PREMIÈRE PARTIE :
LE CINÉMA
I. UN CONTEXTE FAVORABLE À L'INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE
Après une période de baisse importante et
continue de
la fréquentation comme de la production, le secteur
cinématographique français connaît depuis plusieurs
années une nouvelle phase de croissance.
Cette tendance confirmée en 1998 se traduit notamment par une
vitalité de la production et une augmentation de la fréquentation.
Cependant, en dépit de ce bilan encourageant, la situation de
l'industrie française du cinéma demeure fragile. La part de
marché des films français sur le territoire national
connaît un fléchissement et les résultats à
l'exportation demeurent médiocres.
Par ailleurs, cette croissance de l'industrie cinématographique
française s'accompagne d'une transformation de l'économie de ce
secteur, notamment d'une tendance à la concentration et d'une
évolution de ses modalités de financement, deux évolutions
qu'il convient de surveiller au regard de l'exigence de pluralisme. Ce contexte
économique auquel viennent s'ajouter les effets de mutations
technologiques considérables implique donc une adaptation des
mécanismes de soutien à l'industrie cinématographique qui
constituent une des spécificités de la politique culturelle
française.
A. L'EXPLOITATION EN SALLES : UN NOUVEL ÉLARGISSEMENT DU PUBLIC DU CINÉMA
1. La croissance de la fréquentation est confirmée
a) Les chiffres de la fréquentation
Avec
170,1 millions d'entrées
et une recette globale de
près de 6 milliards de francs, la fréquentation
connaît en 1998 une
augmentation de plus de 14 %
par rapport
à 1997. Il s'agit là des meilleurs résultats atteints
depuis treize ans.
On rappellera qu'en 1997, la progression était déjà de
8 % par rapport à l'année précédente.
Les Français continuent à fréquenter les salles de
cinéma davantage que leurs voisins européens. En 1998, l'indice
de fréquentation, rapport entre le nombre d'entrées et la
population, s'élève en France à 3 contre 2,8 en Espagne,
2,3 au Royaume-Uni et moins de 2 dans les autres principaux pays voisins.
En 1998, pour la deuxième année consécutive,
l'accroissement de la fréquentation s'accompagne d'un
élargissement des publics du cinéma
. En effet, la
proportion de la population française qui est allée au moins une
fois au cinéma augmente significativement ; de 55,3 % en 1996
et de 57,1 % en 1997, elle s'établit désormais à
62,2 %. On relèvera, pour s'en féliciter, que l'ensemble des
catégories du public est concerné par cette évolution.
b) Un recul des films français
La
progression de la fréquentation s'effectue néanmoins au
détriment des films français
. L'évolution
constatée cette année est en effet pour une large part imputable
au succès rencontré par le film " Titanic " de James
Cameron qui a totalisé plus de 20 millions d'entrées.
La part de marché des films français
s'établit en
1998 à
24,7 %
, ce qui représente un recul de
28 % par rapport aux chiffres de 1997 (soit 34,5 % des entrées) et
apparaît comme le niveau le plus bas jamais atteint.
Jusqu'ici plus élevé que chez nos principaux voisins, le taux de
fréquentation des films nationaux tend donc désormais à
rejoindre la moyenne européenne, soit 22 % en 1997, en augmentation
au cours des dernières années en raison du succès
rencontré auprès du public par les oeuvres nationales.
2. La poursuite du développement des multiplexes
a) Les multiplexes sont à l'origine du dynamisme du secteur de l'exploitation
La
croissance du secteur de l'exploitation constatée en 1998 est pour une
large part imputable à l'expansion des multiplexes, consacrant ainsi une
évolution qui semble désormais irréversible.
En 1998, le rythme d'ouverture des nouvelles salles s'est maintenu à un
niveau élevé. Cette croissance résulte essentiellement du
développement des multiplexes. En effet, sur les 206 nouvelles salles
ouvertes en 1998, 124, soit 60 %, appartiennent à des multiplexes.
Par ailleurs, le phénomène apparaît avec plus
d'évidence encore lorsque l'on considère non pas le nombre
d'écrans mais le nombre d'établissements. En effet, alors que le
rythme de création de nouveaux écrans s'accélère,
le nombre d'établissements diminue. On recensait
2 150 établissements en activité
1(
*
)
en 1998, contre 2 159 en 1997.
Ces deux phénomènes ne sont contradictoires qu'en
apparence : les fermetures de salles concernent en général
des petits établissements et les ouvertures sont de plus en plus le fait
des multiplexes.
On a assisté au cours des derniers mois à une intensification du
développement de ce nouveau type de salles.
Depuis la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 1996 soumettant à
autorisation la création d'ensembles de salles de cinéma comptant
1 500 places ou plus et l'extension à 2 000 places
d'établissements existant depuis plus de 5 ans, les commissions
départementales d'équipement cinématographique (CDEC) ont
examiné 84 demandes d'autorisations. Le rythme de ces commissions s'est
accéléré depuis le second semestre de l'année 1998
et s'est considérablement renforcé au premier semestre 1999,
puisqu'on a recensé au cours de cette dernière période
sensiblement autant de demandes que sur les deux premières
années. Selon les premières estimations, le rythme
d'enregistrement des dossiers, au second semestre 1999, devrait se poursuivre
à un niveau équivalent (soit une quarantaine de demandes). Au
total, à la fin de l'année 1999, il est probable que près
de 120 dossiers auront été examinés en CDEC. Signalons que
cette augmentation importante des demandes d'autorisation n'est pas
liée, du moins pour le moment, à l'abaissement en juillet 1998 du
seuil à partir duquel une autorisation est nécessaire : 5
dossiers seulement sur les 59 examinés depuis la modification du seuil
présentent des capacités inférieures à 1 500
fauteuils.
Années |
1 er semestre |
2 e semestre |
1997 |
8 |
7 |
1998 |
10 |
19 |
1999 |
40 |
Estimation : 40 |
Au 30
juin 1999, sur les 84 demandes présentées, les commissions
départementales ont délivré 61 autorisations et rendu 23
avis défavorables. Après recours, le nombre des autorisations
s'élève à 50 et à 40, si l'on tient compte des
seules créations d'établissements nouveaux.
Compte tenu des risques de fléchissement de la fréquentation en
1999, le maintien d'un rythme aussi soutenu de créations de nouveaux
multiplexes ne peut qu'engendrer des craintes pour l'avenir du secteur de
l'exploitation, en particulier pour les petites et moyennes salles qui seraient
sans doute les premières victimes des effets d'un sur-équipement.
En tout état de cause, votre rapporteur souhaite rappeler que la
transposition de la logique de l'urbanisme commercial au secteur de
l'exploitation constitue une solution encore peu adaptée compte tenu de
la spécificité des équipements cinématographiques.
Dans le souci de promouvoir un développement plus cohérent des
multiplexes, une circulaire adressée aux préfets par la ministre
de la culture a rappelé les critères présidant à
l'octroi des autorisations, à savoir les conséquences du projet
en terme de concurrence, de concentration et d'aménagement du
territoire, circulaire qui pour l'heure n'a pas encore profondément
infléchi la pratique. Par ailleurs, afin de tenir compte des
conséquences de l'essor de ce nouveau type de salles sur la
diversité de l'offre cinématographique, une modification du
décret n° 83-13 du 10 janvier 1983 relatif aux groupements et
ententes de programmation a permis d'étendre aux propriétaires de
salles placés en situation de position dominante susceptible de
perturber le libre jeu de la concurrence
2(
*
)
l'obligation de souscrire des
engagements de programmation, obligation qui s'imposait jusque-là aux
seuls groupements et ententes de programmation.
Ces initiatives, aussi pertinentes soient-elles, ne permettront pas de corriger
significativement les effets de la transposition de la logique de l'urbanisme
commercial au secteur de l'exploitation cinématographique.
La prise en compte de la spécificité culturelle des
établissements cinématographiques nécessite à
l'évidence un aménagement des dispositions législatives en
vigueur. Afin d'évaluer les possibilités de réforme en ce
domaine, la ministre de la culture a confié à M. Francis Delon,
président de la commission de classification des oeuvres
cinématographiques, une mission d'expertise et d'analyse sur
l'implantation des multiplexes dont les conclusions devraient être
connues d'ici la fin de l'année.
b) Les effets de cette évolution sont atténués par un contexte favorable à l'exploitation
•
Force est de constater que
l'accroissement du nombre des multiplexes
contribue de manière déterminante au dynamisme de l'exploitation.
Au 31 décembre 1998, les multiplexes représentent seulement
12 % de l'offre
cinématographique
mesurée en
termes d'écrans et de fauteuils mais totalisent
22 % de la
fréquentation globale
, contre respectivement 9,6 % et
17,3 % en 1997.
Si comme lors des précédentes années, l'incidence des
multiplexes sur la fréquentation demeure considérable, elle ne
constitue pas le seul facteur de la croissance significative constatée
en 1998.
En effet, on enregistre en 1998 une augmentation de 15 % du nombre
d'entrées annuel moyen par établissement, contre 8,5 % en
1997. Si l'on exclut les multiplexes, on constate une
augmentation
,
certes plus modeste, mais néanmoins
satisfaisante de la
fréquentation des cinémas " classiques
", soit
+7,7 % en 1998 contre +1,15 % en 1997. Cette évolution
s'explique pour une large part par les conditions d'exploitation du film
" Titanic " qui ont également bénéficié
à la petite et moyenne distribution.
• S'agissant de la
programmation des salles,
le mouvement de
concentration, s'il n'est pas enrayé, est atténué en 1998
grâce à l'extension du parc de multiplexes.
L'ouverture de nouveaux lieux de projection susceptibles d'attirer une
clientèle nombreuse demeure un enjeu prioritaire pour les groupements
nationaux de programmation. Ces derniers programment désormais 22,1 %
des salles existantes, contre 20,6 % en 1996 et 21,9 % en 1997. Une telle
évolution ne peut à terme qu'avoir des effets sur la
diversité de la diffusion cinématographique, effets qui sont
d'ores et déjà sensibles dans un contexte de croissance de la
fréquentation.
Toutefois, on relèvera que la part des recettes des grands groupes
nationaux est en légère diminution par rapport aux deux
années antérieures, soit 45,2 % en 1998 contre 46,6 % en 1997. En
effet, l'élargissement du marché consécutif aux
implantations relevant de nouveaux opérateurs a sensiblement
modifié à la baisse le taux de concentration observé
jusqu'ici.
Les autorisations accordés par les CDEC en 1999 vont probablement
renforcer ce phénomène. En effet, sur les 40 autorisations
accordées, 24 opérateurs sont recensés, ce qui
apparaît comme une diversification importante des demandeurs.
• Le développement des multiplexes n'a pas pour l'heure
modifié la
répartition de l'équipement
cinématographique sur le territoire.
En dépit de la création massive de multiplexes dans les zones
urbaines les plus peuplées déjà bien
équipées en salles de cinéma, cette répartition,
hors zones rurales, demeure assez harmonieuse. Ainsi, si le nombre de salles
est naturellement plus élevé dans les départements
très urbanisés, le nombre de fauteuils pour 100 habitants est
à peu près équivalent quelque soit la taille des
unités urbaines.
A la différence de la situation d'autres pays européens, les
salles ne sont pas absentes des petites agglomérations et des communes
rurales. A cet égard deux évolutions encourageantes peuvent
être soulignées. On assiste désormais à l'apparition
d'une nouvelle génération de multiplexes de dimensions plus
modestes, qui se développent dans des agglomérations de
près de 50 000 habitants. Par ailleurs, la création de
nouvelles salles dans les unités urbaines, petites et moyennes, se
poursuit, notamment grâce aux actions incitatives de l'Etat. En 1998, le
CNC a accordé des aides à la création de salles à
38 projets (soit 101 écrans), dont 23 sont situés dans des
communes de moins de 30 000 habitants, ce qui représente une
nette augmentation par rapport à 1997.
Par delà cet équilibre géographique global qui demeure
pour l'heure préservé, on peut s'interroger sur les effets du
développement des multiplexes sur la répartition des salles au
sein des agglomérations. A cet égard, les études du CNC
soulignent que les effets sur la concurrence sont très variables selon
le lieu d'implantation des multiplexes et la politique menée par les
salles situées à proximité.
Il a été observé que les multiplexes des centre-villes
provoquent en moyenne un transfert plus important que ceux installés
dans la périphérie des grandes villes.
De même, on constate que les salles concurrentes résistent
d'autant mieux qu'elles ont procédé à une
rénovation de leur équipement. Par ailleurs, les salles pourvues
d'une identité forte, à l'image de celles qui se consacrent aux
films d'art et d'essai, et mènent une politique d'animation dynamique
conservent une clientèle importante, et parfois même en
augmentation lorsqu'elles ont été modernisées.