IV. LE PROJET DE LOI D'ORIENTATION POUR L'AMÉNAGEMENT ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE
A. DES DISPOSITIONS QUI RÉVÈLENT LE MANQUE D'AMBITION DU PROJET
Le
projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire a été adopté en
Conseil des Ministres le 29 juillet dernier, soit plus de
18 mois après l'annonce, au CIADT de décembre, de son
adoption prochaine.
Présenté aux membres du CNADT par Mme Dominique Voynet le
11 juin 1998, l'avant-projet de loi a fait l'objet d'un avis du
Conseil économique et social, de M. Jean-Claude Bury et adopté
lors de la séance des 7 et 8 juillet dernier.
Ce texte, comme l'indique son exposé des motifs, se fonde sur les
quatre priorités affirmées par le CIADT du 15
décembre 1997
:
- mobiliser les territoires et réduire les inégalités
entre eux ;
- consolider les systèmes urbains à vocation internationale ;
- jeter les bases du développement durable ;
- consolider la décentralisation.
Aucun des membres de votre commission ne conteste au Gouvernement le droit
de choisir une autre politique que celle conduite jusqu'alors. Les objectifs
énoncés peuvent même recueillir l'assentiment de certains
d'entre eux. Encore faut-il que les choix effectués par le Gouvernement
soient conformes aux objectifs qu'il poursuit. Le contenu des 36 articles du
projet qui sera prochainement soumis à l'Assemblée nationale
entretient les doutes de votre commission sur ce sujet.
Ce texte propose en effet :
-
l'abandon du schéma national d'aménagement du
territoire (SNADT) et des schémas sectoriels
Le CIADT de décembre avait décidé de l'abandon du SNADT,
en cours d'élaboration, et de son remplacement par des
" schémas de services collectifs ".
L'exposé des motifs du texte de loi précise que
"
Les
schémas de services collectifs (articles 9 à 19)
réconcilient politique nationale et nécessités locales :
élaborés en concertation avec les partenaires locaux, dans une
perpective de vingt ans, ils partent des besoins de services et
d'équipements, et non de l'offre ou de la seule demande exprimée.
Les schémas de services collectifs répondront aux orientations
dont le CIADT avait entériné le principe : le
développement durable, la volonté d'assurer la circulation des
personnes, des marchandises et de l'information, de garantir l'accès
à un haut niveau de services sur l'ensemble du territoire et d'assurer
une gestion économe des ressources. Les schémas de services
collectifs doivent permettre d'assurer la cohérence et
l'efficacité des choix publics. Les contrats de plan, comme les
schémas régionaux d'aménagement et de développement
du territoire, devront tenir compte des orientations qui auront
été ainsi définies dans le cadre des
huit
schémas de services collectifs retenus
:
enseignement
supérieur et recherche ; services culturels ; services sanitaires ;
information et communication ; transport de marchandises et transport de
voyageurs ; énergie ; espaces naturels et ruraux
. "
"
Enfin, la volonté du Gouvernement d'infléchir la
politique des transports se traduit par la transformation des cinq
schémas sectoriels et modaux de transport de la loi du
4 février 1995 en deux schémas de services collectifs
multimodaux (articles 17 et 29 à 34) ".
Avec l'abandon du SNADT et de son adoption par le Parlement, quelle garantie
dispose-t-on quant à la cohérence d'ensemble de ce
système ?
-
La priorité donnée au développement des
agglomérations
Estimant que les villes sont le lieu où se crée l'essentiel et de
l'emploi, et que "
de leur capacité à s'inscrire dans les
territoires qui les entourent dépend l'évolution de nombre de
zones rurales
", le Gouvernement entend développer
l'organisation des agglomérations, non seulement dans le projet de loi
d'orientation (article 21) mais également dans le texte relatif
à l'organisation urbaine et à la simplification de la
coopération intercommunale.
Votre commission ne peut recevoir sans réserves une telle
allégation : s'il est vrai que les villes sont l'un des lieux de la
création d'emplois, il revient aux pouvoirs publics de permettre
à cette dynamique de se développer aussi dans les tissus
territoriaux.
-
L'association des pays aux démarches contractuelles
L'article 20 du projet de loi prévoit que dès lors qu'ils
auront élaboré et traduit, dans une charte de territoire, leur
projet de développement durable, les pays -regroupant notamment des
communes et des groupements de communes- pourront contracter avec l'Etat et la
région dans le cadre des contrats de plan Etats région.
- Une planification territoriale régionale
réorientée
Les régions élaborent les schémas régionaux
d'aménagement et de développement du territoire (SRADT)
(article 5 du projet de loi). Bien qu'il n'ait pas, conformément
aux propositions du rapport Morvan, de caractère prescriptif, le
SRADT comprend une analyse prospective, une charte régionale -le projet
de la région et de ses partenaires publics et privés- et un
document cartographique qui traduit les grandes orientations spatiales du
projet régional. Il s'inscrit dans la procédure de planification
(article 7 du projet).
D'après l'article 35 du projet, les régions pourront
demander à l'Etat l'élaboration de directives territoriales
d'aménagement (DTA).
-
Des instances partiellement redéfinies
Abandonnant l'objectif de la loi de 1995 de création d'un groupement
d'intérêt public (GIP) le projet de loi consacre le Conseil
national d'aménagement et de développement du territoire et
confie à sa commission permanente un rôle de pilotage de
l'évaluation des politiques d'aménagement du territoire
(articles 4 et 8). Il prévoit la tenue de conférences
régionales d'aménagement et de développement du territoire
(article 6), la création de conseils de développement au
niveau des pays (article 20) et la possibilité de les créer
pour les agglomérations.
-
Des moyens insuffisants et inadaptés
Le projet de loi propose la création d'un
fonds de gestion des
milieux naturels
(article 24), dont l'objectif est
20(
*
)
"
de faire en sorte que les
milieux naturels deviennent [...] des atouts de développement et de
qualité de la vie, comme ont été
considérées, depuis vingt ans, les grandes infrastructures de
transport et les grands projets structurants. "
Le texte n'envisage pas la création de réel outil au service
du développement économique local, ce qui constitue aux yeux de
votre commission un " oubli " majeur.
-
Des propositions timides sur les zonages
Malgré la réflexion menée dans le cadre du rapport Auroux,
le projet de loi ne propose que la création, aux côtés des
ZAT, TRDP et ZUS, un nouveau type de zones : "
zones prioritaires
ultra-périphériques "
couvrant les DOM (article 26
du projet) ;
-
La validation rétrospective de la décision d'abandon
du Canal Rhin-Rhône
Le Gouvernement indique que "
en application de la décision
prise par le Gouvernement d'abandonner le projet de canal à grand
gabarit Rhin-Rhône, les articles y afférents de la loi
n° 80-3 du 4 janvier 1980 tels que modifiés par la loi du
4 février 1995 sont abrogés "
par le projet
d'article 37 du texte.
Votre commission renouvelle son opposition à une telle démarche,
à son sens juridiquement " stupéfiante ".
B. LES INTERROGATIONS ET LES RÉSERVES EXPRIMÉES DANS L'AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
Le
Conseil économique et social, saisi par le Premier ministre de
l'avant-projet de loi d'orientation, a adopté son avis en
juillet dernier, sur le rapport de M. Jean-Claude Bury au nom de la
section des Economies régionales et de l'aménagement du
territoire.
Notant qu'il avait à s'exprimer sur "
un texte
présenté comme une révision ",
le Conseil
économique et social a
regretté qu'aucune disposition
institutionnelle ni fiscale n'y soit modifiée.
Il s'est interrogé sur la
" compatibilité entre les
objectifs affichés, les priorités retenues et les
modalités effectives de leur mise en oeuvre ".
Il a noté que des "
enjeux stratégiques "
comme la création d'emploi, le développement des
activités productives, l'articulation entre industrie et recherche, le
rôle des services publics, n'étaient "
pas traités
de façon approfondie "
Relevant certains éléments à son sens positifs le Conseil
estime que "
la place légitime faite aux préoccupations
environnementales [...] ne doit pas l'être au
détriment du
développement économique et de la croissance
, qui restent
essentiels pour la création d'emploi ".
En outre, il regrette que
le rôle moteur de l'Etat
dans la
politique d'aménagement du territoire ne soit pas affirmé avec
une force suffisante. Il estime que "
la suppression du
schéma national de développement et d'aménagement du
territoire
, de même que l'absence d'une véritable politique en
matière de péréquation constituent des handicaps ".
Le Conseil considère en effet que sa suppression fait courir un
réel risque d'incohérence à la planification territoriale.
Il estime que "
ni les huit schémas de services collectifs, qui
ne contiennent pas la totalité des secteurs concernés par
l'aménagement du territoire, ni quelques choix stratégiques
imprécis qui ne reprennent pas l'ensemble des objectifs annoncés
par le Gouvernement, ni des schémas régionaux de
développement et d'aménagement du territoire simplement
juxtaposés et pas forcément cohérents entre eux, ne
pourront véritablement le remplacer
".
Votre commission partage entièrement cette analyse et ces
préoccupations. Inquiète du manque d'ambition du projet
gouvernemental, elle se préoccupe, en outre, de l'avenir des zones
rurales qui semblent bien être les grandes oubliées du texte qui
sera bientôt soumis à notre Haute Assemblée.