EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 9 OCTOBRE 2024

M. Christophe-André Frassa, président. - Nous écoutons maintenant Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis sur la proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes.

Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis. - Notre commission est saisie pour avis avec délégation au fond de l'article 5 de la proposition de loi déposée le 24 juillet 2024 par la présidente Sylvie Robert ayant pour principal objectif de renforcer les garanties offertes aux journalistes contre les pressions susceptibles d'entraver leur mission d'information du public.

Cet article concerne la protection du secret des sources, avec un triple objectif : étendre le champ des immunités pénales en matière de secret des sources à tous les journalistes, y compris ceux qui exercent leur profession sans rémunération ou de manière ponctuelle, aux directeurs de publication et à « tout collaborateur d'une rédaction » « amené à prendre connaissance d'informations permettant de découvrir une source » ; soumettre tout acte de procédure tendant à lever le secret des sources au juge des libertés et de la détention (JLD) ; augmenter le quantum de peine applicable en cas d'atteinte au secret des sources.

Ces dispositions reprennent en partie celles qui avaient été proposées dans le cadre de la loi dite « Bloche » de 2016 et censurées par le Conseil constitutionnel. Notre commission a donc déjà eu à les examiner.

Le régime de protection du secret des sources découle de la loi du 4 janvier 2010, qui a réformé l'article 2 de la loi de 1881 et le code de procédure pénale afin de mettre le droit français en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). C'est de celle-ci, consacrant le secret des sources comme « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse », que découlent les limites imposées par l'article 2 de la loi de 1881 à l'atteinte au secret des sources et notamment l'exigence d'un « impératif prépondérant d'intérêt public ».

Si elle est consacrée par le droit interne, la protection du secret des sources n'a pas valeur constitutionnelle en elle-même. Le Conseil constitutionnel effectue un examen approfondi des mesures tendant à protéger le secret des sources. L'immunité accordée à certaines personnes dans le cadre d'enquêtes ou des procès pour protéger les sources doit être proportionnée par rapport à l'objectif constitutionnel de recherche des auteurs d'infractions et au droit à un procès équitable. C'est parce qu'elles ne respectaient pas cet équilibre que les dispositions de la loi de 2016 ont été censurées par le Conseil constitutionnel. L'article 5 ne reprend cependant pas ses dispositions les plus problématiques.

Deux éléments d'actualité nous conduisent à nous pencher à nouveau sur la protection du secret des sources : les conclusions des états généraux de l'information rendues le 12 septembre dernier appellent à une clarification des exceptions prévues au secret des sources ; le règlement européen du 20 mars 2024 sur la liberté des médias, entré en vigueur partiellement depuis le 7 mai 2024 et progressivement mis en place jusqu'au 8 août 2025, conduira nécessairement à des évolutions législatives, notamment parce qu'il prévoit une extension des personnes protégées et la mise en place de nouvelles procédures de protection.

C'est au regard de ces principes et de cette actualité que j'ai examiné l'article qui nous est soumis. Or plusieurs de ces choix posent des difficultés, s'agissant tout d'abord de l'extension du champ de la protection du secret des sources.

Dans sa décision précitée sur la loi de 2016, le Conseil constitutionnel a considéré que l'extension de l'immunité prévue par l'article 2 de la loi de 1881, si elle devait être étendue aux collaborateurs de rédaction, concernerait « des personnes dont la profession ne présente qu'un lien indirect avec la diffusion d'information au public », ce qui rend douteuse la constitutionnalité de la disposition.

Par ailleurs, de manière constante et notamment en 2016, la commission des lois s'est opposée au transfert au JLD de la compétence sur les actes de procédure relatifs au secret des sources, mission assurée de manière efficace par les juges d'instruction ; il serait malvenu d'alourdir encore la procédure pénale.

Enfin, l'alourdissement des peines en matière d'atteinte au secret des sources n'améliorera pas la protection dont elles font l'objet. Que ce soit pour des raisons de constitutionnalité, d'opportunité ou de cohérence de la procédure pénale, ces différents points ne peuvent donc être conservés.

À l'inverse, l'extension de la protection du secret des sources à tous les journalistes exerçant leur profession dans le cadre fixé par le code du travail et aux directeurs de publication me paraît proportionnée et conforme tant à l'évolution de la jurisprudence qu'à celle du droit européen.

En accord avec Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi, je vous présenterai donc un amendement proposant une nouvelle rédaction de l'article 5 ne conservant que l'extension de la protection des sources à tous les journalistes exerçant leur profession conformément au code du travail et aux directeurs de publication.

Plusieurs sujets demeurent en suspens, mais ne peuvent être traités dans le cadre de cette proposition de loi : un projet de loi tendant notamment à tirer les conséquences du règlement européen sur la liberté des médias, mais aussi de la directive contre les procédures baillons du 11 avril 2024 serait bienvenu. Nous en saurons plus sur les intentions du Gouvernement lors de la séance publique.

M. Pierre-Alain Roiron. - Je souhaite saluer votre travail et l'initiative de notre collègue Sylvie Robert. Ce texte répond à l'impératif de mieux protéger le secret des sources pour assurer la liberté de la presse au service de notre démocratie. L'extension du champ de la loi de 1881 reconnaît le rôle déterminant de professionnels pour la collecte d'informations sensibles et augmente la protection globale au sein des équipes rédactionnelles.

L'article 5 offre un cadre plus rigoureux, avec une évaluation stricte par le JLD. En effet, seul un contrôle judiciaire peut vérifier que l'équilibre entre nécessité de l'enquête et protection des sources est bien respecté. La liberté de la presse n'est pas absolue, mais ses restrictions doivent être strictement nécessaires et proportionnées.

M. Christophe-André Frassa, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient de proposer à la commission de la culture le périmètre indicatif de l'article 5 de la proposition de loi pour lequel nous avons délégation au fond. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à la protection du secret des sources.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE

Article 5 (délégué)

Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis. - Je vous ai déjà présenté mon amendement COM-12.

L'amendement COM-12 est adopté.

La commission propose à la commission de la culture d'adopter l'article 5 ainsi rédigé.

Après l'article 5 (délégué)

La commission propose à la commission de la culture de déclarer l'amendement COM-15 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Le sort des amendements sur les articles pour lesquels la commission bénéficie d'une délégation au fond examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 5

Mme JOSENDE, rapporteure pour avis

COM-12

Amendement de réécriture

Adopté

Article additionnel après Article 5

Mme de MARCO

COM-15

Sanction contre les procédures bâillons

Irrecevable au titre de l'article 45, alinéa 1 de la Constitution (cavalier)

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