B. LE PROJET DE LOI AFFICHE DES OBJECTIFS AMBITIEUX DE RÉDUCTION DE L'ARTIFICIALISATION, TOUTEFOIS DESSERVIS PAR UNE MÉTHODE CENTRALISATRICE ET DE NOMBREUSES OBLIGATIONS SANS RÉELLE PLUS-VALUE
1. Les objectifs affichés sont ambitieux...
Les objectifs affichés par le projet de loi sont ambitieux, dépassant parfois les propositions de la Convention citoyenne pour le Climat. La réduction par deux en dix ans du rythme d'artificialisation des sols marquerait une vraie rupture avec les dynamiques de consommation d'espace passées - bien que les efforts accrus de sobriété foncière conduits par les collectivités depuis le début des années 2000 aient déjà entraîné un ralentissement du rythme constaté. L'inscription de l'objectif de « zéro artificialisation nette » à horizon 2050, va plus loin que les propositions de la Convention, traduisant plutôt les orientations du Gouvernement énoncées dès 2018 dans le Plan Biodiversité.
La volonté d'améliorer la prise en compte de ces enjeux par les documents d'urbanisme doit être saluée. L'artificialisation soulève en effet de vraies problématiques, tant environnementales qu'économiques, voire sociales, comme le rapport sénatorial « L'objectif de "zéro artificialisation nette" à l'épreuve des territoires : territorialiser, articuler, accompagner », présenté en mai 2021 par Jean-Baptiste Blanc, Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy l'a rappelé.
Le texte apporte également des avancées appelées de longue date, notamment en matière de réhabilitation des friches. L'absence de définition juridique de ces terrains et l'insuffisance des outils réglementaires pour les mobiliser étaient mises en cause depuis plusieurs années par divers rapports parlementaires, dont le rapport « Pollutions industrielles et minières des sols : assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l'avenir » de la commission d'enquête sénatoriale sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières.
L'interdiction, qui peut certes être nuancée par les dérogations, de tout projet commercial artificialisant des sols représente un renforcement inédit de la réglementation en matière d'urbanisme commercial , qui frappera des dizaines de projets par an.
Par ailleurs, l'intégration des enjeux de la logistique au sein du SCoT, via le Document d'aménagement artisanal et commercial (DAAC), représente une avancée importante afin de planifier et coordonner le développement de ce secteur essentiel à nos chaînes d'approvisionnement. Son insuffisante prise en compte dans les documents d'urbanisme a notamment récemment été pointée dans le rapport de Serge Babary au nom de la commission des affaires économiques « Équité et souplesse, pour un commerce en pleine mutation » de février 2021.
2. ... mais la méthode centralisatrice n'est pas gage d'efficacité
La commission estime cependant que le projet de loi, s'il joue de l'effet d'annonce, se trompe sur la méthode retenue pour mettre en oeuvre ces objectifs. En effet, il traduit une véritable volonté centralisatrice de la politique d'urbanisme , avec un État « répartiteur » des droits à construire et des collectivités reléguées au rang d'exécutants.
Confier au SRADDET ce rôle de répartition n'est pas pertinent ni efficace, l'échelon régional n'étant pas outillé pour opérer ces arbitrages. Le SRADDET n'est pas un document d'urbanisme, et ses procédures d'élaboration ne garantissent pas la bonne association des collectivités locales , en dehors de la conférence territoriale de l'action publique qui fait souvent figure de « grand-messe ». Le choix de cet échelon régional, qui ne correspond pas aux recommandations de la Convention citoyenne - elle visait plutôt l'échelon intercommunal - n'a d'autre intérêt que de limiter le nombre d'interlocuteurs pour l'État, et de pouvoir mieux contrôler administrativement l'atteinte des cibles chiffrées.
Le texte néglige le rôle des SCoT , qui ont à l'inverse enclenché depuis les années 2000 ce travail de sobriété foncière, en mettant en oeuvre des dynamiques de coopération entre EPCI et communes, et se sont déjà fixé des objectifs de réduction de la consommation d'espace. C'est à cet échelon de proximité que le dialogue est le plus fructueux, là que s'opère la nécessaire conciliation des objectifs de politique publique entre logement, biodiversité, développement économique, ou encore agriculture.
Cette approche centralisée et uniforme va à rebours des déclarations du Gouvernement relatives au futur projet de loi « 4D », qui se veut porter une ambition de décentralisation et de différenciation.
Elle manque à la fois de réalisme , car elle méconnaît les structures et initiatives locales, et d'efficacité , car elle pourrait perturber les efforts qui ont déjà été conduits et remettre en question des projets mûris. L'effort de sobriété foncière, de renouvellement urbain, de densification qualitative, ne pourra pas se faire contre les collectivités et contre les habitants.
Par ailleurs, rien ne justifie que le pouvoir de décision en matière d'urbanisme commercial soit demain centralisé, ainsi que le prévoit pourtant le projet de loi, en ce qui concerne l'examen des demandes de dérogation au moratoire. En effet, les critères de dérogation sont soit purement objectifs, soit éminemment locaux. Dès lors, l'échelon local, le seul au fait des besoins du territoire et de ses équilibres, reste le plus pertinent pour effectuer cet examen.
3. De nombreuses obligations à faible portée concrète
Outre les mesures ambitieuses relatives aux objectifs de réduction de l'artificialisation des sols et à l'implantation des surfaces commerciales, la plupart des mesures du texte relèvent plutôt de compléments ou d'ajustement que de changements structurants.
Ainsi, la mesure présentée comme orientant l'aménagement de demain, qui vise à fixer une densité minimale au sein des grandes opérations d'urbanisme (GOU), est d'ampleur très limitée, car il n'existe à date qu'une seule GOU, et le déploiement de ces opérations est limité aux seuls périmètres de projets partenariaux d'aménagement, au nombre de douze en France. Elle relève davantage d'une mesure cosmétique que d'une véritable ambition.
À l'inverse, le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont souvent adopté une approche coercitive, fondée sur beaucoup d'obligations dont la plus-value réelle est souvent très incertaine , ou qui sont contre-productives. On peut citer, à titre d'exemple :
• l'obligation d'instaurer une surface minimale de pleine terre ou de végétalisation en zone dense (article 49 bis E), que nombre de communes et EPCI instaurent déjà facultativement lorsque cela est pertinent. Il est à craindre, en zone dense, qu'elle n'accentue la rareté du foncier, dès lors que les collectivités ne choisiraient pas un taux très faible ;
• l'obligation de se doter de nouvelles orientations d'aménagement et de programmation (OAP) en matière de continuité écologique ou encore d'échéancier d'ouverture à l'urbanisation (articles 49 bis C et 49 bis D), qui alourdit inutilement les plans locaux d'urbanisme. Cela va à l'encontre de l'objet même des OAP, conçus pour être des outils souples mobilisés « à la carte » par les communes pour complémenter le règlement ;
• l'obligation de présenter annuellement, au conseil municipal ou communautaire, un rapport sur l'artificialisation des sols suivi d'un débat et d'un vote (article 50). Cette mesure apparaît à la fois disproportionnée (notamment pour les petites communes qui ne construisent que peu chaque année) et peu utile, le Gouvernement ayant concédé qu'il s'agit d'une mesure « à visée principalement pédagogique » ;
• l'obligation de réaliser une « étude d'évaluation du changement de potentiel » des bâtiments , à la fois lors de la construction et lors de la démolition. La finalité et la plus-value de cette étude ne sont pas évidentes. L'évolution des techniques sur la durée de vie d'un bâtiment, de plusieurs décennies, fait que l'étude réalisée lors de la construction sera rapidement caduque. Cet alourdissement des procédures, à l'encontre de l'impératif de simplification pour refaire « la ville sur la ville », interroge ;
• l'objectif de végétaliser l'ensemble des parkings existants d'ici 2025 et de couvrir d'ombrières la moitié des parkings extérieurs existants dans les dix prochaines années (article 52 bis C). Tout à fait irréaliste et au coût faramineux pour les collectivités et les commerçants, cet objectif relève davantage de la simple déclaration d'intention que d'une disposition législative normative et concrète ;
• l'interdiction stricte de tout projet commercial de plus de 10 000 m² de surface de vente, qui emporte également interdiction de toute extension d'un bâtiment situé sous ce seuil, dès lors que cette extension le conduirait à le franchir. Cette disposition est d'autant plus préjudiciable que les extensions, qui sont souvent prévues à l'appui d'un projet de modernisation-rénovation d'une surface commerciale, participent de la lutte contre l'artificialisation des sols en rendant moins attractive l'option de la construction de nouvelles surfaces.
L'accumulation de ces obligations conduira les collectivités territoriales et les acteurs économiques à dépenser beaucoup d'énergie, de temps et de moyens au bénéfice de « mesurettes » à la portée réelle limitée, si ce n'est à l'utilité contestée.
4. De larges angles morts
À l'inverse, des aspects pourtant centraux de la politique de lutte contre l'artificialisation des sols sont à l'évidence absents du projet de loi.
Aucun accompagnement financier ou d'ingénierie supplémentaire n'est prévu, à l'exclusion d'un petit ajustement relatif au périmètre d'intervention des agences d'urbanisme. La distinction avec le volet du texte dédié à la rénovation énergétique est à cet égard frappante. Pourtant, les conséquences sur les budgets des collectivités seront importantes, à la fois au regard des bases de la fiscalité foncière que des coûts supplémentaires liés au recyclage foncier ou à la réhabilitation de l'existant.
La renaturation est à peine évoquée. Alors même qu'il consacre une approche « nette » de l'artificialisation, le texte ne définit ni les méthodes de « désartificialisation », ni leur prise en compte « comptable » dans les objectifs chiffrés. Les sujets de compensation sont eux aussi renvoyés à d'éventuels décrets. Même la définition des sols artificialisés est réduite au minimum, et confiée au pouvoir réglementaire, ce qui laisse les acteurs locaux dans l'incertitude quant à la traduction réelle des objectifs dans les documents d'urbanisme.
L'accompagnement et le développement des opérations vertueuses , par exemple celles menées sur les friches, ou réhabilitant le bâti existant, ne sont abordés qu'à travers l'angle de dérogations de droit au plan local d'urbanisme, solution peu satisfaisante en ce qu'elle affaiblit la portée du projet de territoire élaboré par les collectivités. On ne trouve aucune mesure de simplification des autorisations d'urbanisme, ni mesure incitative pour équilibrer le modèle économique des opérations de réhabilitation.
Les entrepôts du commerce en ligne sont largement absents du volet relatif à la réglementation commerciale, alors même que leur multiplication soulève des préoccupations légitimes en matière de consommation des sols et d'équilibres territoriaux.
Enfin, la commission déplore le manque criant d'évaluation de l'impact concret des mesures prévues par le projet de loi , alors que les ramifications en sont nombreuses : cherté et rareté du foncier constructible, contraction de l'offre de logement, risque pour l'attractivité du territoire pour les implantations économiques, enclavement de certains secteurs ruraux...