II. DES ATTENTES TRÈS FORTES ENVERS LA LOI DE PROGRAMMATION PLURIANNUELLE DE LA RECHERCHE
A. DES PROBLÉMATIQUES FINANCIÈRES NON RÉSOLUES À CE JOUR, AUXQUELLES LA LOI DE PROGRAMMATION DEVRA S'ATTELER
Dans le cadre de ce budget 2020, votre rapporteur pour avis souhaite mettre en exergue plusieurs problématiques portant sur le financement des organismes de recherche . La plupart sont anciennes et bien connues, mais l'absence persistante de résolution ne fait qu'accroître les attentes envers la LPPR .
1. La persistance de l'application aux organismes de recherche d'un taux de réserve de précaution, dont la hausse annoncée constitue un très mauvais signal
L'existence d'une réserve de précaution s'explique par la nécessité de respecter l'équilibre financier voté par le Parlement tout en donnant au Gouvernement une certaine souplesse dans la gestion des crédits afin de faire face à des dépenses imprévues et urgentes en cours d'exercice.
Pour autant, l'application d'un taux de réserve restreint la marge de manoeuvre et la visibilité budgétaires d'opérateurs de recherche dont les dotations sont déjà sous-calibrées.
Jusqu'en 2018, les taux de mise en réserve s'élevaient à 0,5 % sur les dépenses de personnel et à 8 % sur les autres dépenses. Un taux réduit était toutefois appliqué aux crédits alloués aux opérateurs de recherche (0,35 % pour les dépenses de personnel et 4,85 % sur les autres dépenses).
En loi de finances pour 2018, il a été décidé d'abaisser le taux de réserve sur les dépenses hors personnel à 3 % (exception faite de l'ANR, dont le taux est resté bloqué à 8 % ; cf. I. A. 1.). Cependant, la ministre a maintenu le taux de 4,85 % afin de disposer d'une marge de manoeuvre correspondant à la différence entre le taux de réserve appliqué (4,85 %) et le taux de réserve affiché (3 %). Ce choix a été reconduit en 2019.
Sur ces deux années, cette marge de manoeuvre a permis de financer l'augmentation de 25 millions d'euros de la dotation « de base » des opérateurs de recherche . Cette mesure est d'ailleurs reconduite en 2020 (cf. I. A. 4.).
Officiellement de 3 %, le taux de réserve remonterait, en 2020, à 4 % . Lors de son audition par votre commission, la ministre a confirmé cette information, tout en rappelant que son ministère bénéficiait de certaines dérogations et en précisant que les discussions étaient toujours en cours avec le ministère des finances.
Votre rapporteur pour avis estime regrettable qu'à la veille de l'examen du projet de loi de finances en séance publique, la représentation nationale ne sache toujours pas quel taux sera appliqué . En outre, si ce relèvement devait être confirmé, elle considère qu'il s'agirait d' un très mauvais signal envoyé au monde de la recherche à l'aube d'une LPPR censée amorcer un virage financier .
2. Le financement d'une masse salariale grandissante : un désengagement de l'État qui n'est pas acceptable
• Le glissement vieillesse-technicité (GVT) des organismes de recherche, qui correspond à l'évolution mécanique (sans mesure nouvelle) de leur masse salariale liée aux promotions et à la structure démographique de leurs personnels, n'est pas pris en compte dans la subvention pour charge de service public que leur verse l'État. Son coût global est évalué entre 34 et 50 millions d'euros 18 ( * ) .
Afin de faire face à cette charge à budget constant, voire en diminution, les organismes de recherche sont contraints de réduire leurs effectifs , sans pour autant parvenir à la contenir complètement.
L'exemple du CNRS est particulièrement révélateur de cette situation . Depuis 2010, 3 000 équivalents temps plein travaillés ont été supprimés, soit près de 11 % de ses effectifs. Dans le même temps, la part de la subvention pour charge de service public consacrée à sa masse salariale a augmenté de plus de 12 % 19 ( * ) .
Par voie de conséquence, la part de la subvention consacrée aux dépenses de fonctionnement, d'équipement et d'investissement a baissé de l'ordre de 20 % entre 2010 et 2019, réduisant d'autant les moyens dont le CNRS dispose pour conduire sa politique scientifique.
Votre rapporteur pour avis estime donc urgent de s'atteler à cette question du financement de la masse salariale afin de redonner aux organismes de recherche des marges en fonctionnement et en investissement .
• Par ailleurs, les mesures de réduction d'effectifs expliquent le décalage entre les plafonds d'emplois inscrits en projet de loi de finances , qui ne sont en réalité que théoriques, et le nombre d'emplois effectivement occupés sur le terrain .
Aussi, votre rapporteur pour avis demande-t-elle que le Parlement puisse se prononcer à partir d'une présentation sincère et exhaustive de l'état des emplois dans chaque établissement de recherche . Interpellée sur ce sujet lors de son audition devant votre commission, la ministre s'est engagée à transmettre le détail des emplois opérateur par opérateur de recherche.
3. La structure de financement de la recherche publique : un équilibre à trouver entre dotations « de base » et financements sur projets
La réduction de la part de la subvention pour charge de service public pouvant être consacrée aux dépenses de recherche hors masse salariale oblige les opérateurs à se tourner de plus en plus vers les financements sur projets , qu'ils proviennent de l'ANR, de l'Union européenne, du Programme d'Investissements d'Avenir (PIA) ou de contrats avec les entreprises ou les collectivités territoriales.
Ce type de financement est pertinent à plusieurs titres : il est source d'émulation pour la communauté des chercheurs ; il permet de structurer les projets de recherche et de sélectionner les meilleurs ; il limite le « saupoudrage » des aides ; il crée des possibilités en termes de débouchés (dans le secteur de l'industrie, par exemple).
Il n'est néanmoins pas exempt de désavantages : le temps passé par les chercheurs à préparer les dossiers de candidature réduit d'autant le temps consacré à leur recherche ; il peut décourager ceux dont les projets n'ont pas été retenus ; il conduit, par le principe même de sélection, à écarter des projets de qualité ; il peut se révéler moins adapté à certains types de recherche (recherche fondamentale) ou de secteurs (sciences humaines et sociales).
Pour ces raisons, le développement du financement sur projet ne doit pas conduire à un effet d'éviction sur le financement via les dotations « de base » , lesquelles ne peuvent plus continuer à être absorbées par une masse salariale grandissante.
Votre rapporteur pour avis sera donc très attentive à ce que, dans le cadre de l'examen de la LPRR, un bon équilibre soit trouvé entre ces deux sources de financement , dans un contexte où la part du PIB aujourd'hui consacré à la recherche publique est seulement de 0,79 % et où l'atteinte de l'objectif de 1 % implique un effort supplémentaire compris, selon les projections, entre 5 et 8,5 milliards d'euros.
* 18 Le montant de 34 millions d'euros correspond aux estimations du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Le montant de 50 millions d'euros est obtenu en multipliant par deux le montant du GVT du CNRS (autour de 25 millions d'euros), sachant que ses effectifs représentent la moitié environ de ceux de l'ensemble des opérateurs de recherche.
* 19 Données transmises par le CNRS à votre rapporteur pour avis.