B. UN ÉCLAIRAGE SUR DEUX SUJETS MAJEURS POUR L'AVENIR DE LA RECHERCHE FRANÇAISE
Dans la perspective de la LPPR, votre rapporteur pour avis souhaite insister sur deux sujets qui lui paraissent fondamentaux pour l'avenir du secteur , le statut des chercheurs et le rôle des structures de valorisation de la recherche que sont les instituts de Carnot et les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT).
1. La valorisation du statut des chercheurs : l'urgence à agir
L'année dernière déjà, votre rapporteur pour avis avait identifié le chantier de la revalorisation salariale des chercheurs comme prioritaire. Son degré d'urgence est apparu avec une acuité accrue cette année , à l'aune des nouvelles auditions qu'elle a menées, en particulier une table ronde avec l'ensemble des représentants syndicaux de chercheurs.
Le constat est connu et partagé :
- la rémunération des chercheurs et enseignants-chercheurs français est en décrochage par rapport aux standards internationaux, particulièrement en début de carrière : le salaire annuel brut d'entrée moyen des chercheurs en France représente, en parité de pouvoir d'achat, 63 % du salaire moyen perçu par les chercheurs en Europe et dans les pays de l'OCDE 20 ( * ) ;
- le même phénomène de déclassement est observable entre les chercheurs et les cadres supérieurs de la fonction publique, principalement sur le volet indemnitaire : le taux moyen de primes des chercheurs et enseignants-chercheurs (incluant les heures complémentaires et supplémentaires) s'élève à 12,9 % du traitement indiciaire, alors qu'il correspond à 27,1 % du traitement indiciaire pour l'ensemble des corps de catégorie A, et à 60 % pour les corps de juridiction, de contrôle et d'expertise 21 ( * ) ;
- le recrutement est particulièrement tardif (35 ans en moyenne), ce qui est particulièrement pénalisant pour les femmes ;
- le métier de chercheur souffre d'une perte d'attractivité et de reconnaissance , comme l'illustrent la diminution inquiétante du nombre de doctorants et la désaffection des jeunes pour la carrière de chercheur ;
- le nombre d'emplois contractuels, souvent mal rémunérés, dans les organismes recherche progresse , contrepartie des politiques de réduction des effectifs de titulaires ;
- le recours aux vacataires , qui se définissent comme les « invisibles » du système et qui subissent une véritable précarité, est de plus en plus systématique .
Cette liste n'est pas exhaustive, mais suffit à mesurer l'ampleur de la tâche. Celle-ci ne se résume pas à une seule question financière, elle relève aussi d'un devoir moral : il s'agit de renouer le pacte de la nation avec ses chercheurs .
Votre rapporteur pour avis appelle donc à ce que la future LPPR porte une réforme de fond, ambitieuse et attractive du statut des chercheurs .
2. Les instituts Carnot et les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) : des structures-passerelles au service de la valorisation de la recherche publique
La valorisation désigne la façon dont les connaissances produites par la recherche publique sont utilisées par les entreprises - ou les chercheurs eux-mêmes - afin de produire de la valeur économique et sociale .
Il existe plusieurs modalités de valorisation de la recherche, même si, en pratique, celles-ci sont souvent connectées et complémentaires. Les deux principales sont :
- la recherche partenariale entre laboratoires publics et entreprises , qui est la voie la plus répandue et qui, elle-même, peut prendre plusieurs formes selon le degré d'intensité ou d'intégration du partenariat. Les instituts Carnot s'inscrivent dans ce cadre ;
- le transfert de technologie , qui recouvre l'exploitation commerciale par les entreprises, sous la forme de contrat de licence ou de création d'entreprise, de la propriété intellectuelle ou du savoir-faire développés par les laboratoires de recherche. Les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) en sont le principal outil.
N'intervenant pas au même stade d'un projet de recherche et ne poursuivant pas la même logique, les instituts Carnot et les SATT sont néanmoins des dispositifs complémentaires que votre rapporteur pour avis estime important de soutenir .
• Carnot est un dispositif lancé par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en 2006, correspondant à l'attribution d' un label d'excellence à des établissements de recherche pour une période de cinq ans renouvelable, à l'issue d'un appel à candidatures sélectif.
Il est destiné à favoriser la recherche contractuelle entre les laboratoires publics et les entreprises afin de faciliter le passage de la recherche à l'innovation.
Concrètement, les établissements labellisés, appelés instituts Carnot, reçoivent des financements (gérés par l'ANR et provenant de crédits de la Mires, complétés de crédits du Programme d'Investissement d'Avenir - PIA -), calculés en fonction du volume des recettes tirées des contrats de recherche passés avec les entreprises partenaires.
La particularité des instituts Carnot, et donc leur plus-value, est de mener une politique très volontariste en direction des entreprises , petites ou grandes, qui consiste à comprendre leurs besoins d'innovation pour trouver ensuite, dans les laboratoires, des solutions permettant d'y répondre.
D'un coût budgétaire relativement modéré (environ 70 millions d'euros en agrégeant les crédits du budget de l'État et ceux du PIA), le volume des contrats de recherche portés par les instituts Carnot s'élève à 458 millions d'euros (dont 25 % avec des PME et ETI), soit 55 % de la R&D financée par les entreprises. Ces chiffres témoignent d' un important effet de levier .
Cependant, la forte augmentation du volume des contrats de recherche se heurte progressivement à une stabilisation ou, dans le meilleur des cas, à une croissance moins rapide de la dotation de l'État versée aux Carnot. Cette situation conduit à une érosion continue du taux d'abondement moyen 22 ( * ) des instituts , notamment depuis le début des années 2000 : de 23,8 % en 2011, il est passé à 13,8 % en 2019.
À l'heure où de nouvelles structures de recherche devraient être labellisées Carnot 23 ( * ) , se pose donc la question du montant de l'enveloppe financière consacrée au dispositif . L'augmentation de 5 millions d'euros attribuée en 2018, en 2019 et à nouveau en 2020, va dans le bon sens mais son niveau demeure insuffisant .
• Les sociétés d'accélération du transfert de technologies ou SATT ont été créées dans le cadre du PIA 1 pour répondre au constat d'un financement insuffisant de la maturation 24 ( * ) des projets de recherche . Faute d'investisseurs privés suffisamment spécialisés ou dotés de moyens importants, les projets ne parvenaient pas à un stade de développement leur permettant d'être valorisables par les entreprises.
14 SATT , recouvrant la quasi-totalité du territoire métropolitain, ont ainsi vu le jour entre 2010 et 2014, à la suite d'un appel à projets lancé par l'ANR. Elles ont pour mission principale, selon la définition qu'en donne la Cour des comptes, « de sélectionner, au sein des laboratoires de recherche, les avancées scientifiques pouvant déboucher sur une activité économique , de s'assurer de leur protection juridique et de financer les premières étapes menant de la recherche fondamentale à un produit ou une idée exploitable en termes économiques, sous forme de licence concédée à une entreprise ou de création de start-up par les chercheurs » 25 ( * ) . Autrement dit, à l'inverse des instituts Carnot, les SATT partent des projets de recherche et les aident à se structurer pour leur permettre de trouver ensuite une exploitation économique .
Les SATT ont fait l'objet, à l'occasion de la publication du rapport de la Cour des Comptes précité, d'un bilan mitigé . Globalement, le constat est le suivant : tassement de l'activité après une forte progression, insertion insuffisante dans l'écosystème de la recherche, modèle économique intrinsèquement fragile. La Cour fait néanmoins valoir que les résultats sont très contrastés d'une structure à l'autre, des stratégies économiques différentes ayant été adoptées.
Aussi, votre rapporteur pour avis a-t-elle souhaité se faire sa propre opinion en visitant la SATT de Paris-Saclay , qui est la dernière structure de ce type créée en 2014. Elle y a passé une demi-journée à la rencontre de l'équipe dirigeante, mais aussi d'« utilisateurs » de la SATT, à savoir des chercheurs, des représentants d'établissements de recherche et des créateurs de start-up.
L'exemple de la SATT de Paris-Saclay Se situant sur un territoire particulièrement riche en acteurs de la recherche (360 laboratoires, 11 000 chercheurs, 19 établissements de recherche...), la SATT de Paris-Saclay bénéficie d'un écosystème exceptionnel , qui donne tout son sens à la logique territoriale qui sous-tendait la création de cette nouvelle structure. Cet environnement porteur, couplé à une stratégie pertinente de son directeur (équipe constituée de profils scientifiques et industriels, choix d'investir dans des projets de rupture ou structurants, accompagnement de haute valeur ajoutée proposé aux chercheurs) explique ses bons résultats : dotée d'une capacité d'investissement de 66 millions d'euros, la SATT a réalisé 30 millions d'euros d'investissements pour 60 projets soutenus . Il faut d'ailleurs rappeler que la valorisation des connaissances produites par la recherche s'effectue sur un cycle long : le retour sur investissement n'est donc visible qu'au terme, en moyenne, d'une dizaine d'années. Les projets soutenus par la SATT de Paris-Saclay ont trait à des domaines très diver s, allant de la santé, au numérique, en passant par les transports ou la chimie. Votre rapporteur pour avis s'est ainsi entretenue avec une chercheuse de l'INRA spécialiste du microbiote du poumon et des responsables d'une start-up, Exotrail, créatrice de propulseurs pour petits satellites. Tous ont expliqué que leurs projets de recherche, ambitieux et risqués, n'auraient jamais pu être développés sans l'accompagnement de la SATT . Des représentants d'établissements de recherche présents sur le même territoire (Université Paris-Saclay, CEA Tech, École Polytechnique) ont également souligné l'importance de son rôle en termes d'apport de moyens, financiers et stratégiques, dont eux ne disposent pas. |
À l'issue de cette visite de terrain, votre rapporteur pour avis tient à souligner que toutes les SATT ne doivent pas faire l'objet de la même appréciation : certaines sont assurément plus performantes que d'autres . Ce constat d'hétérogénéité a d'ailleurs été reconnu par la ministre lors de son audition par votre commission. Votre rapporteur pour avis souhaite donc que les plus dynamiques d'entre elles puissent être davantage soutenues dans leur mission de valorisation de la recherche publique .
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Prenant acte de l'augmentation du budget alloué pour 2020 à la recherche, dont elle a cependant relevé les limites, votre rapporteur pour avis formule un avis favorable à l'adoption des crédits dédiés à la recherche au sein de la Mires .
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Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2020 .
* 20 Donnée extraite du rapport du groupe de travail 2 « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques », constitué par le Gouvernement dans le cadre de la préparation de la LPPR.
* 21 Donnée extraite du rapport du groupe de travail 2 « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques », constitué par le Gouvernement dans le cadre de la préparation de la LPPR.
* 22 Le taux d'abondement est le rapport entre l'abondement effectivement versé aux instituts par l'État et leur assiette d'abondement (c'est-à-dire le volume des contrats de recherche passés avec les entreprises).
* 23 Grâce au dispositif « Tremplins Carnot », des structures peuvent se préparer à l'obtention du label, dont une nouvelle vague d'attribution aura lieu très prochainement.
* 24 Phase d'étude ayant pour objectif de valider le potentiel du sujet de recherche.
* 25 Cour des comptes, « Les outils du PIA consacrés à la valorisation de la recherche publique », rapport public thématique, mars 2018.