C. UNE HAUSSE NÉCESSAIRE DANS UN CONTEXTE DE MENACE SÉCURITAIRE
L'évasion spectaculaire de Rédoine Faïd en juillet 2018 du centre pénitentiaire sud-francilien de Réau a mis en lumière les défis sécuritaires de l'administration pénitentiaire .
L'administration pénitentiaire suit particulièrement certains détenus, en raison de leur risque d'évasion, de leur capacité d'atteinte à l'ordre public ou de leur comportement particulièrement violent : ce sont les « détenus particulièrement signalés » (DPS) et, parmi eux, les « auteurs de grandes violences en détention » (AGVD).
Depuis quelques années, le nombre de DPS était en constante diminution en raison d'une volonté de l'administration de réexaminer régulièrement leur situation, d'optimiser leur prise en charge et leur surveillance : alors qu'étaient recensés 347 DPS au 1 er janvier 2012, il y en avait 278 au 1 er janvier 2016. Après une augmentation significative en 2017 (303 DPS dont 59 AGVD au 1 er aout), leur nombre s'est à nouveau stabilisé : au 1 er août 2018, on recensait 273 DPS, dont 55 AGVD .
1. La consolidation du service du renseignement pénitentiaire
Dans un contexte de menace sécuritaire élevée, l'action du bureau central du renseignement pénitentiaire apparaît cruciale .
Le bureau central du renseignement pénitentiaire : bilan et évolutions Depuis le 1 er février 2017, le renseignement pénitentiaire est organisé en tant que service de renseignement ayant pour mission de prévenir le terrorisme, la criminalité et la délinquance organisées, ainsi que les évasions et maintenir la sécurité et le bon ordre au sein des établissements pénitentiaires. La structuration du renseignement pénitentiaire repose sur trois échelons : au niveau national, le bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) dispose d'une autorité fonctionnelle sur les dix cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP), qui ont elles-mêmes autorité fonctionnelle sur les délégations locales du renseignement pénitentiaire en établissement (DLRP) et les cadres référents du renseignement pénitentiaire (CRRP) en SPIP. Ces trois échelons constituent le « service du renseignement pénitentiaire » et sont placés sous l'autorité hiérarchique du sous-directeur de la sécurité pénitentiaire pour le BCRP, des directeurs interrégionaux des services pénitentiaires (DISP) pour les CIRP, des chefs d'établissement pour les DLRP et des directeurs fonctionnels des services d'insertion et de probation (DFSPIP) pour les CRRP. Le renseignement pénitentiaire ainsi structuré selon une double ligne fonctionnelle et hiérarchique a permis de répondre aux exigences qui en étaient attendues depuis son entrée dans le second cercle de la communauté nationale du renseignement, en février 2017. Cette organisation présente néanmoins des limites opérationnelles qui atteignent l'efficacité et la pérennité du réseau du renseignement pénitentiaire. En effet, le fonctionnement actuel peut aboutir à des contradictions entre les orientations données aux agents du réseau du renseignement pénitentiaire par le BCRP ou les CIRP, et celles qui leurs sont délivrées par leurs supérieurs hiérarchiques, principalement pour des raisons de conflits de priorisation entre les missions de renseignement et les impératifs de gestion de la détention. Pour pallier ces difficultés, le bureau central du renseignement pénitentiaire devrait se constituer en service à compétence nationale en 2019 : l'ensemble des ressources humaines et financières serait alors rattachée à une entité hiérarchique et fonctionnelle unique. En outre, la visibilité et la légitimité du renseignement pénitentiaire seront rehaussées vis-à-vis de ses pairs par son rattachement direct au directeur de l'administration pénitentiaire, à l'instar des services à compétence nationale tels que TRACFIN 8 ( * ) et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). |
Composé de 17 agents nationaux en 2016, le BCRP en comptait 37 en 2018. 38 postes supplémentaires devraient compléter l'organisation centrale (BCRP) ou déconcentrée (CIRP) du renseignement pénitentiaire en 2019, puis 35 en 2020.
Effectifs du renseignement pénitentiaire (en ETPT réels/théoriques)
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
|
BCRP |
13/13 |
11/15 |
13/17 |
37/37 1 |
37/37 9 ( * ) |
CIRP |
14/14 |
34/42 |
80/80 |
128/128 |
128/128 |
DLRP 10 ( * ) |
- |
7/30 |
37/40 |
42/42 |
77/77 11 ( * ) |
TOTAL |
27/27 |
52/87 |
130/137 |
207/207 |
242/242 |
Source : direction de l'administration pénitentiaire.
L'augmentation progressive des DLRP et leur professionnalisation depuis 2015 ont eu pour conséquence le recueil d'une plus grande quantité d'informations et de renseignements à analyser par les CIRP et le BCRP. Actuellement, au BCRP et en CIRP, chaque analyste est ainsi chargé du suivi de 70 à 120 objectifs ; au-delà de ces suivis individuels, les informations à traiter augmentent continûment, l'intégration du renseignement pénitentiaire au sein de la communauté nationale du renseignement ayant démultiplié les transmissions en provenance des partenaires et l'exploitation des techniques de recueil de renseignement 12 ( * ) , désormais accessibles à la BCRP, mobilise les analystes.
Répartition des crédits alloués au renseignement pénitentiaire (en millions d'euros)
Consommation 2017 |
Dotation
|
|||
AE |
CP |
AE |
CP |
|
Dotation budgétaire |
4,57 |
3,8 |
6,5 |
6,5 |
Système d'information |
1,39 |
1,09 |
2 |
2 |
Matériels/équipements/logiciels
|
2,5 |
2,5 |
||
Mise en conformité IG1300 |
3,18 |
2,71 |
2 |
2 |
Source : direction de l'administration pénitentiaire.
Le BCRP est également sollicité dans le cadre de la mise en oeuvre du plan national du Gouvernement pour la prévention de la radicalisation « Prévenir pour protéger », présenté le 23 février 2018 par le Premier ministre.
Si le nombre de détenus de droit commun identifiés comme susceptibles de radicalisation (DCSR) s'est stabilisé (1 152, soit + 0,3 % au 10 septembre 2018 par rapport au 1 er octobre 2017), le nombre de personnes incarcérées pour des faits de terrorisme islamiste (TIS) continue de croître (511, soit + 4,7 % au 10 septembre 2018).
L'accès au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et la présence systématique du renseignement pénitentiaire aux groupes d'évaluation départementaux (GED) ont contribué à parfaire l'intégration du BCRP et des CIRP dans la communauté du renseignement et tout particulièrement auprès de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), du service central du renseignement territorial (SCRT) et de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). Dans le cadre des GED, le renseignement pénitentiaire, aux côtés de l'UCLAT 13 ( * ) , joue un rôle primordial dans le suivi des sortants de prison.
2. La mise en oeuvre du plan national du Gouvernement pour la prévention de la radicalisation
D'autres mesures du plan national du Gouvernement pour la prévention de la radicalisation concernent directement l'administration pénitentiaire.
Mesure n° 55 du plan national du Gouvernement pour la prévention de la radicalisation « Prévenir pour protéger » « Développer les capacités d'évaluation des détenus radicalisés : - par la création de quatre nouveaux quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) dont un sera réservé à l'évaluation des détenus de droit commun ; - pour les femmes détenues, en renforçant l'évaluation pluridisciplinaire par les binômes de soutien ; - pour les mineurs, en renforçant, sous le contrôle du juge, l'évaluation pluridisciplinaire par des mesures judiciaires d'investigation éducative (MJIE) ou par l'évaluation réalisée dans le cadre de l'intervention continue des services éducatifs de la PJJ en détention. » |
Actuellement, trois QER, ouverts en Île-de-France en 2017 au sein des maisons d'arrêt du Val-d'Oise (Osny), de Fresnes et de Fleury-Mérogis, évaluent les personnes incarcérées pour des faits de nature terroriste.
Sur les 4 quartiers d'évaluation de la radicalisation annoncés, deux quartiers devraient ouvrir en 2018 et un troisième en 2019.
Le premier QER de Vendin-le-Vieil a ouvert le 14 mai 2018. Un QER supplémentaire a ouvert en octobre 2018 au sein du même établissement. Le troisième QER, annoncé pour 2018, ne sera effectif qu'en 2019 avec l'ouverture de la maison d'arrêt de Paris - La Santé : il pourrait être le premier QER à accueillir des détenus de droit commun repérés pour leur radicalisation (DCSR) et non des détenus incarcérés pour des faits de terrorisme en lien avec l'islamisme (TIS). Aucune indication n'a été communiquée à votre rapporteur concernant la date et le lieu d'ouverture du quatrième QER supplémentaire.
Calendrier d'ouverture des quatre quartiers d'évaluation de la radicalisation annoncés en février 2018
Source : commission des lois du Sénat à
partir des informations communiquées
par la direction de
l'administration pénitentiaire.
Au 20 juillet 2018, 211 personnes détenues pour des faits de nature terroriste ont été évaluées, parmi lesquelles 135 en QER ; 26 sont en cours d'évaluation.
Concernant l'évaluation des femmes, en l'absence de quartier dédié, l'administration pénitentiaire met en oeuvre une procédure d'évaluation ambulatoire des femmes détenues pour des faits de terrorisme au sein des quartiers maison d'arrêt pour femmes (QMAF) de Fleury-Mérogis et de Fresnes. L'évaluation, réalisée par une équipe pluridisciplinaire sur une période de quatre mois, a pour objectif de déterminer les modalités de la prise en charge des personnes évaluées.
Si le nombre de femmes incarcérées pour des faits de terrorisme islamiste est inférieur à celui des hommes incarcérés pour de tels faits, il a toutefois augmenté de 42 % entre juillet 2017 et juillet 2018. La pérennité d'une telle organisation mérite réflexion alors que les conclusions de la commission d'enquête du Sénat « Menace terroriste : pour une République juste mais plus ferme » invitaient à la création d'un QER réservé aux femmes 14 ( * ) .
Mesure n° 56 du plan national du Gouvernement pour la prévention de la radicalisation « Concevoir et répartir sur le territoire des quartiers de prise en charge des personnes radicalisées (QPR) pour y accueillir après leur évaluation les détenus majeurs radicalisés et prosélytes nécessitant une prise en charge adaptée et séparée de la détention ordinaire. Adapter le régime spécifique de détention des détenus terroristes et radicalisés en disposant à la fin 2018 d'au moins 450 places en gestion étanche (quartiers d'isolement (QI), QER, QPR et quartiers spécifiques). » |
En complément du QPR du centre pénitentiaire de Lille-Annoeullin, un deuxième QPR a ouvert en septembre 2018 au sein du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe.
Alors que le Gouvernement s'est engagé à créer 450 places de détention en gestion étanche des détenus terroristes et radicalisés afin de les séparer de la détention ordinaire et de leur proposer une prise en charge spécifique avec des programmes dédiés, la réalisation concrète de cet objectif apparaît, au 1 er novembre 2018, encore très floue.
Calendrier d'ouverture des quartiers de prise en charge des détenus terroristes et radicalisés annoncés en février 2018
Source : commission des lois du Sénat à
partir des informations communiquées
par la direction de
l'administration pénitentiaire
Un QPR devrait ouvrir à Vendin-le-Vieil avant la fin de l'année 2018 puis un deuxième QPR à Condé-sur-Sarthe en 2019. Aucune indication n'a été communiquée à votre rapporteur concernant la date et le lieu d'ouverture d'un quatrième QPR.
Votre rapporteur rappelle qu'afin de faciliter les affectations des détenus radicalisés, le Sénat a adopté, dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, des dispositions facilitant l'affectation des détenus majeurs dans les quartiers dédiés à la prise en charge de la radicalisation (QPR) lorsque leur comportement porte ou est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique.
Mesure n° 57 du plan national du Gouvernement pour la prévention de la radicalisation « Développer des programmes de prévention de la radicalisation violente dans l'ensemble des établissements susceptibles d'accueillir des détenus poursuivis pour des faits de terrorisme islamiste. Renforcer le repérage et la prise en charge des troubles psychologiques des détenus radicalisés par les binômes de soutien (psychologues et éducateurs), en cohérence avec la stratégie nationale santé des détenus. » |
Des programmes de prévention de la radicalisation violente sont actuellement développés au sein de 78 établissements, susceptibles d'accueillir des détenus poursuivis pour des faits de terrorisme.
Une circulaire conjointe des ministères des solidarités et de la santé et de la justice est également en cours d'élaboration autour de cinq axes : le repérage de ressources adaptées par les agences régionales de santé ; la sensibilisation et la formation des professionnels de santé et de santé mentale à la question de la radicalisation ; l'amélioration des échanges d'information santé/justice dans le cadre de la prise en charge et du suivi des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) radicalisées ; la prise en charge à la sortie et l'élaboration d'un référentiel métier des psychologues sur le sujet de la radicalisation pour soutenir les psychologues intervenant en milieu carcéral.
Mesure 58 du plan national du Gouvernement pour la prévention de la radicalisation « Créer trois nouveaux centres de prise en charge individualisée pour des personnes radicalisées ou en voie de radicalisation, placées sous-main de justice, à partir du dispositif expérimenté en Île-de-France, à Lille, Lyon et Marseille, pilotés par le ministère de la Justice, pour mettre en oeuvre une prise en charge individualisée éducative, psychologique et sociale efficiente, avec un référent cultuel. » |
De décembre 2016 à octobre 2018, l'administration pénitentiaire a expérimenté un dispositif de prise en charge renforcée des personnes radicalisées en milieu ouvert en créant un centre de jour, qui a pour mission de favoriser le désengagement de la violence extrémiste et la réinsertion sociale des personnes (RIVE) 15 ( * ) : l'impact de l'accompagnement mis en oeuvre sur les trajectoires de personnes a été jusqu'à présent jugé positif.
Un nouveau marché public a été passé en 2018 pour la création de quatre centres de prise en charge individualisée de la radicalisation à Paris, Marseille, Lyon et Lille, avec de substantielles modifications par rapport au marché précédent (hébergement diffus, prise en charge accentuée et modulable (6 heures dans le premier marché, de 3 heures à 20 heures pour le nouveau marché), coût unitaire horaire et non au forfait, cible élargie aux personnes radicalisées ou en voie de radicalisation ; accompagnement renforcé en matière d'insertion sociale et professionnelle en lien étroit avec un dispositif spécifique de préparation à la sortie et de suivi « dedans dehors »).
* 8 Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins.
* 9 À ces 37 postes viennent s'ajouter 5 agents de liaison de services partenaires.
* 10 Ces DLRP sont des postes à temps plein. En sus, une centaine d'ETPT sont réalisés à temps partiel par des agents en détention.
* 11 Sous réserve des dernières CAP de 2018.
* 12 En sus du cadre applicable aux services de renseignement, l'article 35 de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a modifié l'article 727-1 du code de procédure pénale afin que le ministre de la justice puisse autoriser les agents de l'administration pénitentiaire, individuellement désignés et habilités, à intercepter, enregistrer, transcrire ou interrompre les correspondances des personnes détenues émise par voie de communications électroniques autorisées en détention - à l'exception de celle avec leur avocat - et à conserver les données de connexion afférentes. Il leur est également permis d'accéder aux données stockées dans un équipement terminal ou un système informatique dont l'utilisation par la population pénale est autorisée en détention, et de les enregistrer, les conserver et les transmettre. Une évaluation de ces dispositions est en cours.
* 13 Unité de Coordination de la Lutte Anti-Terroriste.
* 14 Rapport n° 639 (2017-2018) du 4 juillet 2018 de Mme Sylvie Goy-Chavent, fait au nom de la commission d'enquête. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-639-notice.html
* 15 Ce centre a été attribué par la voie d'un marché public à l'APCARS (association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale).