B. LA FISCALITÉ DE PRODUCTION EST DÉSORMAIS LE PRINCIPAL FREIN À LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES, ET LA PRESSION DE LA FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE S'ACCROÎT
1. La fiscalité de production est désormais le principal obstacle à la compétitivité de l'industrie française
Si l'effort budgétaire et fiscal en faveur de l'innovation et de la recherche est notable, votre rapporteur constate toutefois que la fiscalité de production est l'un des principaux freins à la progression de la compétitivité des entreprises industrielles françaises.
En effet, les études comparées au sein de l'Union européenne démontrent que la France a désormais comblé la majeure partie du différentiel en termes de coût de la main d'oeuvre. D'autre part, la politique du Gouvernement de baisse des taux de l'impôt sur les sociétés a réduit l'imposition basée sur les bénéfices. Néanmoins, la fiscalité de production, c'est-à-dire basée sur la valeur ajoutée ou sur la valeur des équipements productifs, reste lourde. Ainsi, l'industrie, qui ne représente que 3 % des locaux affectés à des activités professionnelles, versent 28 % des montants de TFPB. L'industrie manufacturière contribue à hauteur de 35,4 % au produit de CFE, ne représentant que 1,8 % des assujettis. 26 ( * )
Votre rapporteur souligne bien évidemment l'enjeu que représentent ces produits fiscaux pour les collectivités locales, qui en sont les principales bénéficiaires. Il n'est pas question d'une simple baisse de taux ou de changement de méthode de calcul sans compensation de la perte en résultant pour les collectivités.
Il appelle donc le Gouvernement à conduire durant l'année 2019, en concertation avec toutes les parties prenantes, une réflexion de fonds sur le poids de la fiscalité de production sur les entreprises industrielles, et sur la manière dont l'État pourrait contribuer à alléger cette pression fiscale.
À défaut d'une telle réflexion, les avantages compétitifs de l'industrie française continueraient à être limités par une fiscalité désincitative à la production. Certaines des entreprises auditionnées par votre rapporteur ont d'ailleurs estimé que les impôts basés sur les bénéfices sont des impôts vertueux, qu'il faudrait renforcer, tandis qu'il conviendrait d'alléger les impôts désincitatifs basés sur la production ou l'outil productif.
Votre rapporteur note que le ministre chargé de l'Économie et des finances, M. Bruno Le Maire, a déclaré devant votre commission le 30 octobre 2018 dernier, qu'il conviendrait d'examiner dès 2019 comment les impôts de production pourraient être allégés. Votre rapporteur insiste sur le fait qu'un tel allègement ne saurait avoir pour conséquence de diminuer les moyens des collectivités territoriales, déjà très largement mises à contribution de la réduction de la dépense publique et des baisses de prélèvements obligatoires au cours des dernières années.
À défaut d'une telle réflexion d'ensemble, l'article 56 du projet de loi de finances pour 2019 modifie les règles d'évaluation de la valeur locative des locaux industriels. La définition des bâtiments industriels est ainsi fondée sur « l'exercice d'une activité de fabrication ou de transformation de biens corporels mobiliers qui nécessite d'importants moyens techniques ».
Sont toutefois exclus de cette qualification les bâtiments dont les installations techniques, matériels et outillages sont de valeurs inférieures à 300 000 euros : ils seront considérés comme des locaux professionnels. Un dispositif de lissage est mis en place pour les locaux dont la requalification à compter de 2020 impliquerait une variation des montants dus au titre de la fiscalité locale.
Votre rapporteur souligne que cette question est d'importance fondamentale pour les établissements industriels. La fiscalité basée sur la valeur locative est particulièrement lourde pour les bâtiments industriels, puisqu'elle pénalise de fait les entreprises ayant investi dans des équipements plus coûteux. Le PLF 2019 accroît cette divergence en excluant les locaux des entreprises artisanales de l'application de la méthode comptable.
2. La fiscalité énergétique augmente la charge pesant sur l'industrie
La transition écologique et énergétique est un enjeu fondamental. À ce titre, l'industrie, tout comme les ménages, sont soumis à une fiscalité spécifique, décourageant les comportements non vertueux.
Cela emporte un double enjeu pour les entreprises industrielles. D'abord, elles sont directement concernées par les variations du niveau d'imposition , par exemple dans le cas des taxes payées sur les carburants utilisés pour fournir de l'énergie aux machines et équipements productifs. Ensuite, à mesure que la fiscalité écologique et énergétique modifie les comportements, elle change également les composantes et les volumes de la demande de biens industriels. Dans le cas de l'industrie automobile par exemple, qui sera traité ci-dessous, la désincitation à l'utilisation du diesel entraîne une remise en cause profonde de l'orientation de la production.
Votre rapporteur relève que le présent projet de loi durcit la fiscalité énergétique à l'encontre des entreprises.
Alors que le Gouvernement déclare faire de l'allègement du poids des prélèvements obligatoires l'un de ses principaux objectifs, votre rapporteur fait le constat d'une trajectoire d'évolution des prélèvements obligatoires sur les entreprises à la hausse pour l'année 2019. Si l'on exclut du calcul la bascule du CICE en allègement pérenne de cotisations sociales , qui permet un gain de trésorerie au titre de la « double année » de l'ordre de 20,4 milliards au total ; les mesures fiscales au titre de l'année 2019 dessinent en effet une hausse de 1,6 milliards des prélèvements sur les entreprises.
Le budget de l'année 2018 avait à l'inverse réduit de près de 8,4 milliards les divers prélèvements, notamment grâce à la baisse du taux d'impôt sur les sociétés de 33 à 25 % (- 1,2 milliards), la surtaxe exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés (-5,1 milliards) et la baisse du taux du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (-3,7 milliards). 27 ( * )
Le premier poste d'augmentation des prélèvements obligatoires sur les entreprises au titre de l'année 2019 sera la fiscalité des carburants.
Selon les estimations fournies par le Gouvernement dans le projet de loi de finances, avec la hausse de la fiscalité énergétique engendrerait jusqu'à 1 milliard d'euros de dépenses supplémentaires pour les entreprises.
Par ailleurs, la suppression des taux réduits de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour certains usagers du gazole non routier (GNR) représenterait un coût supplémentaire de 1 milliard également. Le produit total de la TICPE passerait ainsi de 13,3 milliards à 17 milliards en 2019, soit une hausse de 28 %.
En effet, l'article 19 du projet de loi de finances supprime certains tarifs réduits de TICPE sur le gazole non routier. Ces carburants, particulièrement utilisés par les entreprises de travaux publics, les secteurs ferroviaires et agricoles et dans l'industrie extractive, sont notamment nécessaires à faire fonctionner les machineries et les moteurs stationnaires. Le GNR étant nécessaire à leur activité, ces utilisateurs bénéficient aujourd'hui de tarifs réduits.
Le Gouvernement explique vouloir supprimer « une dépense fiscale inefficace et peu vertueuse sur le plan environnemental » . 28 ( * ) Toutefois, votre rapporteur remarque que les tarifs réduits ont été conservés pour les secteurs agricoles et ferroviaires. Une nouvelle fois, l'industrie se retrouve soumise à une pression fiscale dont sont exonérés d'autres secteurs, sans que ne soit justifiées les raisons de ces régimes distincts. Le coût supplémentaire engendré pour ces entreprises par la suppression des tarifs réduits est estimé à un milliard d'euros.
Alors que le PLF se veut agir en faveur de la compétitivité des entreprises, cette mesure s'assimile à un alourdissement fiscal considérable ciblé sur certaines industries uniquement. Aucune entrée en vigueur différée de cette suppression n'est prévue : les contrats déjà signés sur la base des frais actuels de carburant ne pourront être modifiés, ce qui pourrait rendre ces marchés déficitaires. Les entreprises concernées ne bénéficient d'aucun délai qui leur permettrait d'acquérir des machineries fonctionnant avec des carburants plus propres. Votre rapporteur s'alarme des conséquences attendues de cette suppression sur les marges des entreprises industrielles, déjà fragilisées.
* 26 Chiffres issus du « Rapport relatif aux modalités d'évaluation et à la sécurisation de la qualification des locaux industriels », 2018.
* 27 Les chiffres de la présente section sont issus du projet de loi de finances pour 2019.
* 28 Projet de loi de finances pour 2019.