II. DES EFFORTS TROP MESURÉS EN MATIÈRE DE POLITIQUE DU HANDICAP
En 2016, les crédits alloués au programme n° 157 « Handicap et dépendance » demeurent, selon votre rapporteur, sous-évalués par rapport à l'évolution des besoins. Ce constat, particulièrement flagrant s'agissant de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), peut également être formulé en ce qui concerne le financement des établissements et services d'aide par le travail (Esat) ou la contribution de l'Etat au fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MPDH).
Si aucun changement de maquette budgétaire n'est opéré en 2016 sur le programme n° 157, des évolutions substantielles interviendront en 2017 lorsque le transfert du fonctionnement des Esat vers l'assurance maladie, qui est inscrit à l'article 47 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, deviendra effectif.
Figure n° 4 : Les crédits de paiement inscrits pour l'année 2016 au programme n° 157 « Handicap et dépendance »
(en millions d'euros)
Crédits de paiement demandés pour 2016 |
|
Handicap et dépendance |
11 597,6 |
Evaluation et orientation personnalisée des personnes handicapées |
57,6 |
Incitation à l'activité professionnelle |
2 754,6 |
Ressources d'existence |
8 762,8 |
Compensation des conséquences du handicap |
16,4 |
Personnes âgées |
2,4 |
Pilotage du programme |
3,7 |
Source : Projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances
A. LA PROBLÉMATIQUE RÉCURRENTE DU FINANCEMENT DE L'ALLOCATION AUX ADULTES HANDICAPÉS
1. Le manque de sincérité budgétaire des prévisions réalisées en loi de finances initiale
a) Les hypothèses d'évolution de la dépense formulées par le Gouvernement
En 2016, le Gouvernement prévoit d'allouer 8 515,5 millions d'euros au financement de l'AAH, soit une enveloppe en légère diminution par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2015, qui s'élevaient à 8 524,43 millions d'euros. S'y ajoutent 247,3 millions d'euros consacrés à l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI), contre 249,6 millions d'euros en 2015.
Figure n° 5 : Evolution du nombre de bénéficiaires et du montant moyen mensuel de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) sur la période 2011-2015
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 p |
|
Nombre de bénéficiaires
|
956 589 |
996 957 |
1 023 300 |
1 041 775 |
1 064 600 |
Montant moyen mensuel
|
596 |
622 |
640 |
653 |
663 |
Source : Projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances
Le Gouvernement s'appuie sur plusieurs éléments pour justifier la diminution des crédits envisagée en 2016.
En premier lieu, il estime que la fin de la revalorisation exceptionnelle de l'AAH effectuée sur la période 2008-2012 et la décélération de l'augmentation du nombre de bénéficiaires constatée depuis fin 2012 contribuent à limiter les effets prix et volume qui influent mécaniquement sur la progression de la dépense.
A ces éléments de nature conjoncturelle s'ajoutent les décisions prises par le Gouvernement pour maîtriser la dépense , qu'il s'agisse de l'amélioration du pilotage de l'AAH, engagée depuis plusieurs années, de la réforme des règles de revalorisation de l'ensemble des prestations sociales ou des mesures mises en oeuvre pour faire converger les modalités d'évaluation des ressources des bénéficiaires de ces prestations. Dans les prévisions de dépenses effectuées initialement par le Gouvernement, il s'agissait en particulier de tenir compte de l'inclusion des revenus du patrimoine non fiscalisés dans le calcul des ressources des bénéficiaires de l'AAH, qui devait engendrer une économie de 90 millions d'euros.
S'agissant de l'ASI, le Gouvernement table, outre les effets de la réforme des modalités de revalorisation des prestations, sur une stabilisation du nombre de bénéficiaires en 2016 .
Les règles de revalorisation des prestations
sociales
Les articles 33 du projet de loi de finances pour 2016 et 57 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 prévoient une réforme des règles de revalorisation des prestations qui sont à la charge, respectivement, de l'Etat et des organismes de sécurité sociale. Le premier changement consiste à limiter le nombre de dates de revalorisation (cinq actuellement) pour ne plus retenir que le 1 er avril et le 1 er octobre (s'agissant des prestations de retraite). Ce changement aura des effets contrastés selon le type de prestations concernées. Il est favorable aux bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c) ou de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS), auxquels s'appliquaient jusqu'à présent des dates de revalorisation plus tardives. Il est neutre pour les bénéficiaires de prestations familiales, de rentes d'invalidité ou de l'ASPA. Enfin, il est défavorable aux bénéficiaires du RSA et de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) qui voyaient jusqu'en 2015 le montant de leur allocation revalorisé au 1 er janvier. Le deuxième changement consiste à revaloriser les prestations en fonction de l'inflation constatée et non plus de l'inflation prévisionnelle. Du point de vue des bénéficiaires des prestations, une telle mesure permet d'éviter l'application de correctifs en fin d'exercice et devrait donc renforcer la lisibilité de l'évolution de leur montant. Du point de vue des finances publiques, la mesure devrait être source d'économies ponctuelles dans un contexte où le niveau de l'inflation est particulièrement faible en 2015 mais pourrait augmenter en 2016 puis 2017. Enfin, un mécanisme de « bouclier » est mis en place pour éviter toute évolution à la baisse du niveau des prestations lorsque l'inflation est négative. 580 millions d'euros d'économies sont attendus de cette réforme : 400 millions d'euros concernent les organismes de sécurité sociale, 90 millions d'euros les collectivités territoriales et 90 millions d'euros l'Etat. |
b) Une sous-évaluation plus que probable
Votre rapporteur ne partage pas l'analyse du Gouvernement concernant les prévisions d'évolution des dépenses d'AAH et d'ASI. Certains déterminants fondamentaux, tels que l'impact de la réforme des retraites, lui semblent en effet trop peu pris en compte. Votre rapporteur constate par ailleurs que, chaque année, l'enveloppe destinée au financement de l'AAH et de l'ASI doit être abondée en fin d'exercice budgétaire. L'année 2015 ne déroge pas à cette règle puisque le projet de loi de finances rectificative, notant une augmentation de la dépense de 4 % alors qu'un ralentissement de l'augmentation du nombre de bénéficiaires avait été initialement anticipé, prévoit l'ouverture de 313,67 millions d'euros de crédits supplémentaires.
Aux yeux de votre rapporteur, il est dès lors très peu probable que, malgré les mesures de maîtrise de la dépense envisagées par le Gouvernement pour 2016, l'enveloppe de financement de l'AAH et de l'ASI puisse être réellement contenue dans les limites annoncées, c'est-à-dire à un niveau inférieur de plus de 300 millions d'euros à celui des dépenses qui devraient être effectivement constatées fin 2015.
2. La réforme avortée des modalités de calcul des ressources des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés : un mauvais signal envoyé aux personnes handicapées et à leurs famille
La trajectoire de dépenses de l'AAH pour l'année 2016 intègre, initialement, une réforme des modalités de calcul des ressources des bénéficiaires visant à prendre en compte les revenus du patrimoine non fiscalisés . Cette mesure, qui aurait dû intervenir par voie réglementaire, est annoncée dans le projet annuel de performances de la mission. Selon ce document, il s'agit avant tout d'une mesure d'harmonisation et d'équité destinée à faire converger les modalités de calcul des ressources des bénéficiaires de l'AAH vers celles applicables aux autres prestations sociales différentielles.
La réforme a été fortement dénoncée par le monde associatif, en particulier au regard des effets collatéraux qu'elle risquait de produire pour les personnes atteintes d'un taux d'incapacité supérieur à 80 % et percevant l'AAH à taux plein qui, du fait qu'elles remplissent ces deux conditions, ont droit au complément de ressources ou à la majoration pour la vie autonome. Environ 210 000 allocataires , qui bénéficient de ces compléments à l'AAH, risquaient d'en être privés si la prise en compte des revenus non fiscalisés de leur patrimoine conduisait à ne plus les rendre éligibles à l'AAH à taux plein.
Cette mesure aurait donc eu pour effet de mettre en difficulté financière un grand nombre de bénéficiaires, alors même que l'économie attendue par le Gouvernement - environ 90 millions d'euros - était de toute façon insuffisante pour assurer une véritable maîtrise de l'évolution des dépenses d'AAH.
Montant maximum de l'allocation
Le montant maximum de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) s'élève, en septembre 2015, à 807,65 euros par mois. Le montant forfaitaire du complément de ressources est quant à lui égal à 179,31 euros par mois. Celui de la majoration pour la vie autonome, qui ne peut être cumulée avec le complément de ressources, est de 104,77 euros par mois. |
Au cours de la première lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a finalement annoncé qu'il renonçait à la réforme , renvoyant à Christophe Sirugue la charge de formuler des propositions dans le cadre de sa mission sur la simplification des minima sociaux. Le Gouvernement a, en conséquence, présenté un amendement abondant de 90 millions d'euros les dépenses d'AAH .
Votre rapporteur estime que ce revirement, ajouté à la sous-évaluation récurrente des dépenses d'AAH, est problématique : incapable d'assumer financièrement les conséquences d'une politique de solidarité ambitieuse envers les personnes handicapées, le Gouvernement n'a pas non plus le courage de prendre, en concertation avec les acteurs concernés, les décisions structurelles qui permettraient de contenir durablement les dépenses.