EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LA NÉCESSITÉ DE CORRIGER LES EFFETS PERVERS DE LA MASTÉRISATION
A. UNE RÉFORME À L'APPLICATION TRÈS DISPARATE AFFAIBLISSANT LA PROFESSIONNALISATION DES FUTURS ENSEIGNANTS
De l'aveu général, la réforme de la mastérisation se solde par un échec. Elle a fragilisé dangereusement la formation des enseignants en affaiblissant la préparation à l'entrée dans le métier et en asséchant le vivier de recrutement. Tant les inspections générales que la Cour des comptes et le président du comité Master, Jean-Michel Jolion, ont pointé de lourdes carences. Cette réforme ne répondait pas au souci légitime d'améliorer le recrutement, la formation initiale et l'entrée dans le métier des enseignants, mais répondait à des objectifs budgétaires : il s'agissait avant tout de trouver le moyen de respecter les contraintes de suppressions de postes imposées à l'éducation nationale.
La suppression de l'année de préparation au profit d'une entrée directe dans le métier se révèle particulièrement dommageable. Elle empêche de fait de compenser les carences des cursus universitaires de masters d'enseignement. L'insuffisance de la professionnalisation à l'université est pourtant patente, si bien que les enseignants-stagiaires qui ont réussi le concours ne possèdent pas de base pédagogique et didactique suffisamment solide pour exercer leur métier dans de bonnes conditions.
Dans le cas très spécifique de l'école maternelle, par exemple, les étudiants diplômés ne disposent pas des repères minimaux pour enseigner le langage à des élèves non parleurs. Parce qu'elle est la plus éloignée des pratiques universitaires standards, l'école maternelle ne pouvait qu'être le segment du système éducatif le plus affecté par la mastérisation. Le préjudice est d'autant plus grand qu'un large consensus émerge pour faire de la maternelle une étape clef du développement de l'enfant et un maillon essentiel de la lutte contre l'échec scolaire.
En outre, la mastérisation a été mise en oeuvre de façon très disparate selon les académies et les universités, au mépris du principe d'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. La faiblesse du cadrage national conduit à une disparité préjudiciable des actions des recteurs et des universités, sans réelle coordination. Le défaut d'articulation entre le formateur et l'employeur, entre les masters élaborés par les unités de formation et de recherche (UFR) et les besoins de l'éducation nationale ont témoigné à l'envi du fossé qui séparait encore les deux univers scolaires et universitaires.
Ces dérives ont régulièrement été pointées du doigt par la commission de la culture et de l'éducation du Sénat. Rendu public au début de l'été 2012, son dernier rapport d'information sur le métier d'enseignant 1 ( * ) indiquait notamment que :
« La préprofessionnalisation demeure trop absente dans les parcours de formation antérieurs au concours. L'organisation des stages est dans la main des rectorats, ce qui constitue une très lourde tâche. Les contacts avec les universités sont trop faibles, comme si l'institution formatrice était déchargée de l'aspect professionnel du futur métier, uniquement confié au futur employeur. Dans ces conditions, il est inévitable que l'insertion des stages dans les masters ne soit pas optimale : les stages sont vécus par les étudiants comme des parenthèses, qui ne sont pas utilisées à des fins formatrices. De même, le concours ne tient absolument pas compte des expériences vécues. Il est impossible alors de préparer les futurs enseignants à devenir des praticiens réflexifs. » 2 ( * )
LES CONDITIONS D'ACCÈS AUX STAGES EN
RESPONSABILITÉ
a) Les politiques des universités Parmi la grande diversité des politiques autonomes des universités, les inspections générales sont parvenues à distinguer : - celles, nombreuses, qui tendent à limiter l'obligation du stage en responsabilité aux seuls admissibles ; - celles qui font le choix d'inscrire dans leur maquette de M2 des stages en responsabilité et donc de les proposer à tous les étudiants, qu'ils soient admissibles ou pas comme dans les universités des académies de Grenoble, de Lyon et de Nantes, voire qui en font une condition de l'obtention du master ; - celles qui refusent d'inscrire des stages en responsabilité dans leurs maquettes de master comme l'université Bordeaux 3 ou Toulouse 3 ; - celles qui le rendent optionnel parmi d'autres types de stages possibles comme l'université Paris Est-Créteil ; - celles qui au sein d'une même académie valorisent diversement le stage dans le master, par exemple le stage en responsabilité est valorisé par 15 ECTS ( European Credit Transfer System ) par l'université de Poitiers et par 6 ECTS par celle de La Rochelle ; - celles qui n'encouragent pas leurs étudiants à faire ces stages en considérant que leur durée, réduite à peau de chagrin, ne correspond pas aux standards de durée des stages dans les masters professionnalisants, comme à Nancy-Metz. La logique universitaire de diplômation l'emporte ici sur la préparation à l'entrée dans le métier ; - celles qui dissuadent les étudiants, y compris les admissibles, de faire un stage en responsabilité sous le prétexte inverse que la préparation des épreuves du concours est beaucoup plus utile que la préparation de cours pour des classes prises en responsabilité. La logique de préparation au concours, sous forme de « bachotage » l'emporte ici encore sur la professionnalisation des futurs enseignants. b) Les politiques académiques Les académies dans lesquelles les choix concertés des universités et du recteur conduisent à offrir les stages en responsabilité à tous les étudiants de M2 sont peu nombreuses : il s'agit des académies de Grenoble, de Lyon et de Montpellier. La consommation des moyens délégués par les recteurs pour faire face aux stages en responsabilité s'annonce plus faible que prévue sous l'effet conjugué de la limitation de stages en responsabilité aux seuls étudiants admissibles, observée dans la plupart des académies, de la réduction des 6 semaines théoriques à 3 ou 4 semaines en responsabilité effective et des pratiques du service partagé par deux étudiants. En revanche, les contraintes pesant sur l'organisation sur le terrain des stages sont fortes. D'après les inspections générales, toutes les académies mettent l'accent sur les réticences très fortes des professeurs à confier leurs classes à des étudiants pendant plusieurs semaines, notamment au cours du second trimestre de l'année scolaire. En outre, les demandes de stages en responsabilité se concentrent sur les établissements des villes possédant des centres universitaires, d'où la saturation des capacités d'accueil et de prise en charge dans les établissements concernés. En outre, l'organisation du suivi des stages connaît un grand flou. Les fonctions spécifiques ainsi que les rôles respectifs du professeur « tuteur ou référent » en établissement et du « maître de stage » de l'université formatrice ne sont pas clairs. Ainsi, pour certains responsables de département, le « maître de stage » supervise mais n'émet pas comme tel d'avis formalisé sur le déroulement du stage ; pour d'autres, en revanche, il doit formuler un avis complémentaire de ceux du chef d'établissement et du professeur « tuteur ou référent ». Cet avis du professeur référent possède une fonction très flottante et, aussi bien du côté de l'IUFM que du côté de l'employeur, la confusion règne. |
Source : IGEN-IGAENR - Commission de la culture et de l'éducation du Sénat
* 1 B. Gonthier-Maurin, Le métier d'enseignant au coeur d'une ambition émancipatrice , Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, Rapport n° 601 2011-2012, juin 2012.
* 2 Ibid., pp. 44-45.