III. UN DÉVELOPPEMENT À MARCHE FORCÉE DE LA VIDÉOSURVEILLANCE MALGRÉ DES RÉSULTATS MITIGÉS ET UN COÛT ÉLEVÉ

La vidéosurveillance a été rebaptisée « vidéoprotection » par l'article 17 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI). Ce changement de vocabulaire, prévu par le projet de loi initial du gouvernement et confirmé par le Parlement, entendait substituer à un terme jugé vaguement inquiétant et susceptible d'évoquer l'oeuvre de Georges Orwell un mot exprimant l'effet bénéfique de cette technologie : à savoir qu'elle protège les citoyens. Or, si les caméras surveillent toujours (lorsqu'elles fonctionnent), elles ne protègent réellement que sous des conditions relativement difficiles à réunir.

Avant 2007, l'Etat se tenait encore en retrait vis-à-vis du développement de la vidéosurveillance, se contentant d'en fixer le cadre juridique tandis que les collectivités locales et les personnes privées déterminaient elles-mêmes leurs propres besoins en la matière. Au contraire, à partir de 2007, le gouvernement a souhaité mettre un accent particulier sur cette technologie.

A l'été 2007 a ainsi été lancé un plan national de développement de la « vidéoprotection » sous l'impulsion de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, avec comme objectif de passer, en deux ans, de 20.000 à 60.000 caméras surveillant la voie publique. Ce développement devait en partie être financé grâce aux crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (28 millions d'euros consacrés à la vidéosurveillance). Aux projets financés chaque année sur les crédits de ce fonds a été ajouté en 2009 et 2010 un programme comprenant deux volets. Le premier volet prévoit la mise en place de 75 systèmes municipaux « types » de vidéosurveillance urbaine, se caractérisant par une densité de caméra d'1 pour 1.000 habitants au minimum, l'existence d'un centre de supervision urbain (CSU) et le raccordement de ce CSU aux forces de l'ordre. Le deuxième volet comprend la vidéosurveillance d'au moins cent établissements scolaires classés sensibles. En outre, le Premier ministre, lors de sa présentation du plan national de prévention de la délinquance, le 2 octobre 2009, a notamment annoncé l'extension du déploiement de la vidéosurveillance à d'autres lieux tels que les parties communes des immeubles, les commerces et les transports.

Enfin, l'année 2010 a également vu le début du développement à grande échelle de la vidéosurveillance à Paris , avec le lancement du projet dit des « 1000 » caméras de la préfecture de police, qui représente en réalité l'installation de près de 1.300 caméras supplémentaires dans la capitale. Le montant prévisionnel de cet investissement est de 21 millions d'euros par an pendant 15 ans.

A. UNE EFFICACITÉ SUJETTE À CAUTION

L'Etat a fait le choix de développer cette technologie en s'appuyant sur deux éléments : l'acceptation, voire la demande du public d'une part, l'efficacité supposée de la vidéosurveillance d'autre part dans la lutte contre la délinquance.

Concernant cette efficacité, de nombreuses études ont été réalisées, en particulier au Royaume-Uni, pays où le nombre de caméras installées dans les zones urbaines est très élevé, et aux États-Unis.

La plus grande partie de ces études démontre que la vidéosurveillance, telle qu'elle a été jusqu'alors mise en place, ne permet pas de faire baisser la délinquance.

1. Une absence d'efficacité pour faire baisser la délinquance sur la voie publique

On peut notamment citer à cet égard deux méta-analyses 8 ( * ) (c'est-à-dire des enquêtes faisant le bilan de plusieurs études ayant été menées sur le sujet et présentant des garanties de rigueur suffisantes). La première méta-analyse couvre 46 études menées aux États-Unis et en Grande-Bretagne, dont 22 ont été jugées d'une qualité suffisante. Les données de 4 d'entre elles n'ont pu être entrées dans la méta-analyse. Neuf études indiquent une baisse de la délinquance dans les zones vidéo-surveillées par rapport à celles qui ne le sont pas, mais les neuf autres ne retrouvent pas cet effet. Il ressort également de l'étude que l'efficacité de la vidéosurveillance pour dissuader la délinquance varie suivant les lieux et les délits .

Ainsi, les cinq études qui portent sur les rues de centres-villes, les parties communes des immeubles d'habitation dans les quartiers populaires et les quatre études réalisées dans les transports publics montrent respectivement peu (moins de deux pour cent) ou pas de réduction significative du niveau de délinquance imputable aux caméras. En particulier, les caméras ont très peu d'effet sur la violence physique .

En revanche, huit études ciblant des parkings montrent une réduction de 41% des effractions ou vols de voitures .

Il ressort ainsi de cette étude qu'il n'est pas exclu que la vidéosurveillance puisse avoir un effet positif, mais dans des cas très déterminés.

La seconde méta-analyse porte sur 13 des 352 projets d'équipements décidés par le Home Office lors de la seconde phase du programme lancé en 1998 par le gouvernement britannique. La qualité de cette méta-étude est renforcée du fait de l'homogénéité supérieure des études sous-jacentes : les zones étudiées sont uniquement urbaines et situées à trois kilomètres au plus du centre d'une agglomération. La plupart portent sur des centres-villes et des quartiers d'habitation, souvent d'habitat social. L'effet sur la délinquance est mesuré 6, 12 et 24 mois avant et après l'installation, et pour chaque délit répertorié : vol à l'étalage, vol avec effraction, agression, etc.

Enfin, l'étude prend en compte les caractéristiques de chaque système de vidéosurveillance (nombre de caméras, fonctionnement de la salle de contrôle des images, lien permanent ou non avec la police, etc.).

Sur les 13 projets, 6 indiquent une réduction de la délinquance, mais pour 4 d'entre eux, cette réduction n'est pas significative après comparaison avec les zones témoins . Sept indiquent une augmentation de la délinquance sans que la vidéosurveillance en soit logiquement la cause . Dans les zones tests, le nombre de vols à l'étalage, de délits liés aux stupéfiants ou de violences aux personnes ne diminue pas plus que dans les zones témoins.

En outre, même dans les parkings, il n'est pas établi que la vidéosurveillance soit toujours efficace une fois pris en compte les autres paramètres tels que l'éclairage ou la réparation des clôtures. Ainsi, sur les sept études retenues concernant les parkings, seules deux se sont avérées statistiquement significatives. Dans l'une, l'efficacité est explicable par d'autres variables. Elle est en revanche avérée dans une zone de Londres qui couvre 58 parkings. Dans cette zone, les résultats de l'étude permettent de déduire que la vidéosurveillance est efficace dans les parkings où le risque de vol est important mais non dans les autres.

Par ailleurs, cette étude anglaise montre également que la présence des caméras ne réduit pas le sentiment d'insécurité de la population et ne conduit pas les personnes à se rendre dans des lieux dans lesquels elles auraient craint de se rendre avant l'installation des caméras.

En revanche, tant cette étude que les sondages réalisés en France montrent paradoxalement une large acceptation de la vidéosurveillance par la population , soit environ les deux tiers des personnes interrogées.

Ainsi, globalement, le premier enseignement que l'on peut tirer de ces études (d'autres études sérieuses vont dans le même sens) est que la vidéosurveillance, telle qu'elle a été utilisée jusqu'à présent, ne réduit guère la délinquance ni le sentiment d'insécurité dans l'espace public . En revanche, elle peut avoir une certaine efficacité dissuasive dans les espaces clos tels que des parkings. La Cour des comptes reprend ce constat dans le rapport thématique précité : « Les études ont, dans l'ensemble, conclu à l'absence d'impact statistiquement significatif de la vidéosurveillance sur l'évolution de la délinquance ».

Seule une étude réalisée à la demande du ministre de l'Intérieur par les inspections générales de l'administration, de la police et de la gendarmerie nationales (IGA/IGPN/IGN) en juillet 2009 conclut à une relative « efficacité de la vidéoprotection » en se fondant uniquement sur l'analyse des statistiques de l'état 4001 dans un échantillon de communes équipées en systèmes de vidéosurveillance. Toutefois, cette étude n'est pas réalisée selon des méthodes scientifiques et aboutit à des résultats souvent aberrants. Selon la Cour des comptes : « Les résultats contradictoires de cette enquête ainsi que sa méthode, entièrement basée sur l'analyse des statistiques de l'état 4001, ne permettent pas d'en tirer des enseignements fiables ».

2. Des résultats mitigés en matière d'élucidation

En revanche, il est possible que la vidéosurveillance, à défaut de réduire le taux de délinquance, puisse améliorer le taux d'élucidation des crimes et délits. Cependant, en ce domaine, au-delà de quelques faits médiatisés, peu d'études prouvent une amélioration significative des élucidations à l'aide de cette technologie.

Sur ce point, les éléments fournis par la Cour des comptes sont, encore une fois, très décevants. La proportion des faits de délinquance élucidés grâce à la vidéosurveillance de la voie publique serait ainsi relativement faible. Même le rapport d'enquête précité, favorable à cette technologie, établit seulement que 3% de l'ensemble des faits élucidés le seraient grâce à la vidéosurveillance. Ce chiffre peut sembler non négligeable mais il convient de le mettre en regard des dépenses très importantes que la vidéosurveillance implique en investissement et en fonctionnement (cf. ci dessous).

De manière générale, la Cour regrette l'absence de réelle évaluation de cette technologie, tant au niveau de l'Etat qu'à celui des collectivités territoriales. En effet, alors que les communes, incitées par l'Etat, sont les principaux artisans du déploiement de la vidéosurveillance, très peu ont mis en place un dispositif d'évaluation.

Le Cour des comptes conclut à la nécessité d' « engager une évaluation de l'efficacité de la vidéosurveillance de la voie publique dans la prévention de la délinquance et l'élucidation des délits, selon une méthode rigoureuse, avec le concours de chercheurs et d'experts reconnus » .

Lors de son audition par la commission, la ministre de l'Intérieur a indiqué qu'il avait demandé une nouvelle étude sur le rapport coût/avantage de la vidéosurveillance. Toutefois, votre rapporteur remarque que cette étude a déjà été annoncée à de nombreuses reprises, que le principe en a été voté par la commission nationale de la vidéosurveillance et qu'elle devait être financée par le FIPD (60 000 euros seraient nécessaires). Pourtant, elle n'a toujours pas été lancée.


* 8 M. Gill et A. Spriggs, Assessing the impact of cctv, Home Office Research Study, n° 292, 2005. B. Welsh et D. Farrington, Crime prevention effects of closed circuit television : a systematic review, Home Office Research Study, n° 252, hmso, 2002. Ces deux analyses sont commentées par Sébastian Rocher dans « La vidéosurveillance réduit-elle la délinquance ? », Pour la Science, n°394, août 2010.

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