II. DES SOLUTIONS JUSQU'ICI INSUFFISANTES
La spécificité du fonctionnement du marché foncier explique que l'Etat se soit donné, ou ait donné les moyens aux collectivités territoriales d'intervenir sur ce marché. Toutefois, les outils de la politique foncière semblent aujourd'hui insuffisants pour résoudre le problème de la pénurie et du renchérissement des terrains à bâtir.
A. LES INSUFFISANCES DE LA POLITIQUE FONCIÈRE
1. Un marché relativement opaque
Le rapport établi en 1996 au nom du conseil économique et social par M. Jean-Louis Dumont 7 ( * ) le constatait : les aménageurs se heurtent à l'opacité qui pèse sur le marché foncier, tant sur les prix des transactions les plus récentes que sur la nature des propriétaires fonciers. La publicité de ces informations, assurée par les 353 bureaux des hypothèques, se heurte à plusieurs limites. D'une part, seule la communication d'une pièce précise est possible : l'usager ne peut consulter directement le fichier immobilier, et doit passer par la médiation d'un agent du bureau des hypothèques. En outre, le coût de la communication d'un extrait étant relativement élevé, il apparaît difficile de mener un travail d'observation du marché foncier.
Cette opacité est, d'après le rapport précité, l'une des causes des phénomènes de spéculation, et limite de surcroît les capacités d'intervention et d'anticipation des acteurs . Elle est d'ailleurs plus accentuée pour le marché urbain, dans la mesure où, s'agissant du marché des terres agricoles, les observations sont nombreuses et anciennes, l'existence d'un droit de préemption des SAFER sur toutes les terres agricoles rendant particulièrement facile la collecte des données.
Le même rapport relevait que cette opacité explique en partie l'utilisation qui est faite par les communes du droit de préemption urbain (DPU). Celui-ci apparaît ainsi davantage utilisé comme un outil d'observation des transactions que comme un outil d'intervention. On constate en effet que près de 96 % des communes dotées d'un POS ou d'un PLU ont instauré le DPU sur la quasi-totalité de leurs zones urbaines ou à urbaniser, mais que ce droit est en fait très rarement exercé, puisque moins de 0,6% des déclarations d'intention d'aliéner entraînent une décision de préemption. De surcroît, le taux « d'évaporation » des décisions de préemption non suivies d'acquisition effective est élevé : en 1998, 60 % des dossiers se concluaient par un retrait de la collectivité ou du propriétaire.
Ainsi, une meilleure connaissance de l'information détenue par les conservations des hypothèques sur les transactions pourrait limiter l'usage du DPU comme moyen de connaissance des intentions de mutation.
Votre rapporteur pour avis relève enfin avec intérêt que certaines communes transmettent pour avis les déclarations d'intention d'aliéner qu'elles reçoivent aux bailleurs sociaux , ceux-ci pouvant, le cas échéant, signaler les opportunités compatibles avec une opération de logements sociaux.
2. L'intervention des collectivités territoriales
Avec la décentralisation, l'Etat a réduit ses aides à la constitution de réserves foncières, sans que les collectivités aient toujours les moyens suffisants pour prendre le relais. Elles peuvent intervenir sur le marché foncier par trois biais différents.
En premier lieu, les zonages élaborés dans les documents d'urbanisme peuvent modifier la valeur d'un terrain . Ainsi, tous les documents d'urbanisme doivent déterminer les conditions permettant d'assurer la diversité des fonctions urbaines et la mixité sociale dans l'habitat urbain et dans l'habitat rural , en prévoyant des capacités de construction et de réhabilitation suffisantes pour la satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs en matière d'habitat et d'activités économiques. En outre, dans les zones urbaines, le plan local d'urbanisme peut instituer des servitudes consistant à réserver des emplacements en vue de la réalisation, dans le respect des objectifs de mixité sociale, de programmes de logements qu'il définit (article L. 123-2 du code de l'urbanisme).
Enfin, le programme local de l'habitat a vu son rôle renforcé par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : celui-ci définit, pour une durée au moins égale à six ans, les objectifs et les principes d'une politique visant à répondre aux besoins en logements et en hébergements, et à favoriser le renouvellement urbain et la mixité sociale en assurant entre les communes et entre les quartiers d'une même commune une répartition équilibrée et diversifiée de l'offre de logements.
En second lieu, les collectivités ont, à leur disposition, un certain nombre d'outils opérationnels. Parmi ceux-ci se trouvent notamment les procédures de lotissement et les zones d'aménagement concerté .
S'agissant de ces dernières, le diagnostic établi par le rapport de M. Pierre Pommelet pour l'Ile-de-France tend à montrer qu'une utilisation plus fréquente de ces procédures aurait un impact sur le marché foncier. En effet, c'est bien l'altération du processus de transformation de terrains potentiellement constructibles en terrains à bâtir mis sur le marché qui explique l'actuelle pénurie de terrains pour la construction. Ainsi, en Ile-de-France, au 1 er janvier 2002, on comptait 789 ZAC, représentant une emprise au sol de 18.900 hectares, à comparer aux 167.000 hectares urbanisés en région Ile-de-France dont la surface totale est de 1.200.000 hectares.
En outre, d'après ce rapport, toutes les potentialités ouvertes par ces ZAC sont loin d'être utilisées puisque, sur les 713 ZAC en cours de commercialisation, si l'on fait la différence entre les surfaces prévues dans les plans d'aménagement de zone et celles qui ont fait l'objet d'une déclaration d'ouverture de chantier, on trouve une surface hors oeuvre nette résiduelle de 36 millions de mètres carrés, soit 14 % de la surface totale programmée . Ces surfaces se décomposent en 5,6 millions de mètres carrés de bureaux, 2,1 millions de commerces, 18 millions d'activité industrielle et 11,3 millions de mètres carrés de logements.
Il apparaît donc que la relance de l'urbanisme opérationnel serait de nature à permettre une relance du logement en Ile-de-France : celle-ci passe par une relance des ZAC, mais aussi l'utilisation des fortes capacités résiduelles à mettre en chantier.
Par ailleurs, il paraît nécessaire, afin d'assurer une meilleure efficacité des procédures d'aménagement des quartiers existants , de clarifier le champ d'application de l'autorisation d'opération de restauration immobilière et de simplifier la procédure en la rapprochant de celle du permis de construire. Ces dispositions devraient figurer dans l'ordonnance prise en vertu de l'article 13 de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit précitée.
En troisième lieu, une action foncière nécessite la mobilisation de ressources financières importantes pour constituer des réserves foncières et effectuer du portage foncier . Or toutes les communes ne disposent pas de ces moyens, ni des capacités d'expertise suffisantes pour donner une cohérence à leurs interventions foncières.
Pour la constitution de réserves foncières en vue d'une opération d'aménagement, les collectivités peuvent soit internaliser le portage, ce qui suppose des ressources suffisantes, soit faire appel à un instrument foncier . Parmi ceux-ci, on relèvera que le syndicat d'action foncière (1 seul en activité), la société d'économie mixte locale (290 dans le secteur de l'aménagement, sur les 1.158 existantes), et l'office public d'aménagement et de construction (30 en 2001) ont pour principal défaut l'impossibilité de mettre en oeuvre des procédures de préemption ou d'expropriation.
Les établissements publics fonciers apparaissent à cet égard comme des outils plus pertinents. Toutefois, le bilan des établissements publics fonciers locaux apparaît relativement insatisfaisant, puisque seulement six établissements ont été créés depuis 1990. Certes, la réforme de leur régime en 2000 a entraîné la création de quatre nouveaux établissements, et la récente loi relative aux libertés et aux responsabilités locales a permis à ces établissements de percevoir une taxe spéciale d'équipement à hauteur de 20 € par habitant. Toutefois, ces établissements sont encore très faiblement développés à l'échelle du territoire .
En revanche, votre commission se félicite des dispositions du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale qui visent à faciliter la création d'établissements publics fonciers d'Etat . En séparant mieux les métiers d'aménageur et d'opérateur foncier, en fixant une priorité en matière de logement social et en portant le plafond de la taxe spéciale d'équipement à 20 €, ce projet de loi devrait permettre la création d' instruments efficaces au service des collectivités locales .
L'établissement public du Nord-Pas-de-Calais
Créé en 1990, cet établissement a pour première mission la requalification des friches industrielles (4.400 hectares déjà réhabilités sur des crédits contractualisés Etat-région Nord-Pas-de-Calais). Depuis 1996, grâce au produit de la taxe spéciale d'équipement, l'organisme assure des missions de recyclage foncier à travers 32 conventions-cadres signées avec des établissements publics de coopération intercommunale. Il a acquis pour 56 millions d'euros de biens immobiliers et a revendu pour 20 millions d'euros de biens.
Récemment, l'établissement, en lien avec l'association régionale de l'habitat et la Caisse des dépôts, s'est impliqué dans la recherche de foncier en vue d'opérations de construction de logements sociaux . En 2003, quatre bureaux d'études ont été mandatés pour dresser un état des besoins et des possibilités, en renouvellement urbain (pour les deux tiers) ou en zones d'extension urbaine. Ces travaux ont fait apparaître un besoin d'environ 60 millions d'euros d'acquisitions foncières , un possible début de réponse au "stock" de 103.000 demandes de logement en instance dans la région . Le conseil d'administration de l'EPF a décidé d'y prendre une part de 15 millions d'euros sur la période 2004-2006. La somme sera mobilisée progressivement par emprunt (2 millions d'euros cette année, 5 millions l'an prochain, 8 millions en 2006).
3. Le patrimoine de l'Etat
Le rapport remis au Premier ministre par M. Olivier Debains sur la gestion du patrimoine de l'Etat 8 ( * ) rappelle que les propriétés publiques sont considérables en nombre et en volume , mais que leur recensement et la connaissance de leur affectation sont loin d'être exhaustifs, en l'absence d'un registre des biens publics.
Votre rapporteur pour avis regrette que l'Etat ne puisse pas, aujourd'hui, fournir un inventaire détaillé et une évaluation de la valeur de ses propriétés, et relève qu'un certain nombre de terrains affectés aux services ministériels ou à des organismes publics sous tutelle, pourraient opportunément être remis sur le marché et affectés à la construction de nouveaux logements. Il souligne également que la volonté de dégager des recettes pour le budget de l'Etat ne doit pas mettre en péril l'exigence de leur affectation prioritaire vers le logement et que la remise de ces terrains doit s'effectuer dans le cadre d'un projet mis au point avec les collectivités territoriales concernées.
Il convient à cet égard de saluer la démarche adoptée par le ministère de l'équipement à la suite du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 18 décembre 2003. Le ministre de l'équipement a en effet nommé en début d'année 2004 un délégué ministériel à l'action foncière qui lui est directement rattaché et qui est chargé de coordonner l'ensemble des actions nécessaires à la mobilisation et à la mise sur le marché des terrains de l'Etat disponible s affectés aux services du ministère ou aux organismes publics sous sa tutelle.
Un premier inventaire des terrains a été réalisé en Ile-de-France . Celui-ci a conduit à recenser environ 300 hectares de terrains pouvant être remis sur le marché qui devront faire l'objet, en priorité, d'une affectation à la construction de nouveaux logements.
La délégation à l'action foncière a commencé à instruire les dossiers avec leurs organismes propriétaires ou leurs services affectataires, en liaison avec les municipalités concernées. L'objectif est de clarifier et de préciser la destination de ces terrains en tenant compte de la volonté de l'Etat de donner une priorité à la construction de nouveaux logements. Dès la fin de l'année 2004, cette démarche associant l'ensemble des acteurs concernés sera opérationnelle en Île-de-France et sera étendue progressivement à l'ensemble des grandes métropoles régionales.
Le 4 novembre 2004, MM. Gilles de Robien et Marc-Philippe Daubresse ont annoncé qu'en Île-de-France, 9.300.000 m² de terrains seront mobilisés dans les dix années à venir, dont 1.300.000 m² dans les trois prochaines années. Sur la base de programmes mixtes accueillant des logements et des activités, ces terrains pourraient permettre de réaliser environ 40.000 logements. Des conventions ont été signées avec les principaux établissements publics du ministère , afin de définir précisément les terrains qui pourront être libérés : il s'agit de 2.610.000 m² pour Réseau ferré de France et la SNCF, 220.000 m² pour la RATP .
Si les terrains publics rendus disponibles ne suffisent pas à eux seuls à résoudre la pénurie foncière, cette démarche est décisive à plusieurs égards :
- elle est exemplaire de la part de l'Etat, qui ne peut inciter ou encourager les maires bâtisseurs, sans donner lui-même l'exemple sur ses propres terrains lorsqu'ils ne sont plus utiles à l'exercice de ses missions publiques ou qu'ils peuvent faire l'objet d'une utilisation plus rationnelle ;
- l'offre foncière ainsi créée a un effet induit sur la fluidité de l'ensemble du marché foncier ;
- si ces terrains ne représentent qu'une faible part des besoins fonciers à l'échelle nationale ou régionale, ils jouent souvent un rôle décisif à l'échelle des communes dans lesquels ils se situent.
* 7 Conseil économique et social, La question foncière, avis adopté le 10 janvier 1996, p. 57.
* 8 Olivier Debains, Mission « immobilier public », rapport remis au Premier ministre, 2003.