B. ANALYSE DU FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ FONCIER

1. Une crise liée à la crise immobilière

Contrairement à une idée reçue, ce n'est pas exclusivement la cherté du foncier qui accroît le prix du logement, ce peut être l'existence d'une forte demande de logements, non satisfaite, qui pèse sur le prix du foncier.

Les liens entre prix de l'immobilier et du foncier sont complexes, comme le montre l'encadré suivant.

De l'immobilier au foncier : les causes et les conséquences

Est-ce le marché des terrains qui entraîne le marché de l'immobilier ou le marché de l'immobilier qui entraîne le marché des terrains ? De la réponse à cette question dépend la validité des politiques foncières à adopter. La réponse n'est pas simple, mais elle existe. Elle dépend en particulier de l'échelle géographique à laquelle on se place.

1) L'effet de levier de l'immobilier sur le foncier

Les coûts d'une opération immobilière, qu'il s'agisse de logements neufs ou de bureaux, forment un ensemble hétérogène dans lequel on peut utilement distinguer trois parties :

1. Les coûts plus ou moins proportionnels au prix de sortie de l'opération (c'est à dire au prix auquel l'opérateur escompte la vendre). Ce sont les marges, les frais financiers, les budgets d'études, les coûts de commercialisation, etc.

2. Les coûts plus ou moins fixes, ou qui n'augmentent et ne diminuent que faiblement lorsque le prix de sortie augmente ou diminue et qui ne varient même pas énormément en fonction du standing de l'immeuble. Ce sont essentiellement les coûts de construction.

3. Enfin un dernier coût éminemment variable, la charge foncière, apparaît comme la variable d'ajustement . Il inclut aussi bien le prix du terrain proprement dit que le coût de sa libération, les équipements à la charge du constructeur et diverses autres ponctions financières.

Dans la mesure où le prix de sortie est une donnée du marché et où les deux premières séries de coûts sont calculables, il est possible d'en déduire (à travers le « compte à rebours »), la charge foncière maximum acceptable pour que l'opération puisse se faire.

Or certains des coûts étant constants, il est clair que toute augmentation ou diminution du prix de sortie entraînera une augmentation ou diminution plus que proportionnelle des charges foncières maximales supportables.

Pour un même terrain, les calculs des différents promoteurs en compétition pour son achat aboutiront sensiblement au même résultat, c'est à dire à la même offre. Si cette offre ne parvient pas à surpasser la valeur d'usage actuel du terrain, le propriétaire la refusera et l'opération n'aura pas lieu.

Mais si, au contraire, une augmentation du niveau de l'immobilier provoque, par l'effet de levier, une augmentation plus que proportionnelle des charges foncières acceptables, ce sont, peut-être, non seulement l'opération en cause qui deviendra faisable, mais toute une série d'autres opérations qui était jusque là bloquées dans le même quartier.

2) La formation des prix de sortie

Dans un quartier existant donné, il est clair que le renouvellement immobilier, en l'absence d'interventions publiques fortes, sera étroitement commandé par la mécanique du compte à rebours. C'est le prix de sortie de l'immobilier qui commandera les charges foncières acceptables et donc le rythme du renouvellement urbain.

Mais comment ces prix de sortie vont-ils se fixer ? Le marché de l'immobilier ne se forme pas à l'échelle du quartier, mais à celle de l'agglomération ou, plus précisément du « bassin d'habitat », c'est à dire de l'ensemble des secteurs géographiques entre lesquels il est raisonnable qu'un ménage recherche une localisation résidentielle optimale en comparant les coûts, les avantages et les inconvénients qui lui sont offerts ici et là.

Un ménage, qu'il soit riche ou qu'il soit pauvre, aura toujours la possibilité, pour un budget logement donné, soit d'habiter plus au large dans une localisation moins bonne (généralement parce qu'excentrique), soit d'habiter plus à l'étroit dans un emplacement plus favorable. Il existera donc, en particulier, une alternative résidentielle entre les nouvelles localisations résultant de la production foncière périphérique proposée sur le marché des nouveaux terrains à bâtir et les localisations plus centrales.

Or, les politiques foncières mises en oeuvre peuvent avoir un fort impact sur la valeur du gisement foncier périphérique qui entraînera automatiquement une baisse du prix des terrains neufs. L'avantage relatif à habiter à la périphérie s'en trouvera renforcé et la compétition pour les localisations centrales moins vive.

A l'échelle de l'agglomération, on peut donc dire, tout au contraire que ce sont les politiques foncières qui commandent les prix de l'immobilier et que leur impact se propage de la périphérie vers le centre .

Et dans la mesure où le marquage social devient un facteur de formation de la valeur immobilière des quartiers plus important que l'accessibilité, on peut ajouter que les politiques de mixité sociale, elles aussi, contribuent à la formation des valeurs foncières.

Source : d'après Joseph Comby, La formation de la valeur sur les six marchés fonciers, numéro 101 de la revue « Etudes foncières » (janvier 2003) .

2. Le marché foncier : un marche atypique

Dans l'article cité précédemment, M. Joseph Comby écrit : « Au café du Commerce, rien de plus simple que le fonctionnement du marché foncier. Si les prix des terrains augmentent c'est que les acheteurs sont nombreux et que les terrains sont devenus « rares et chers ». S'ils augmentent vraiment beaucoup, c'est à cause des spéculateurs. Et s'ils diminuent ? Ce n'est plus un sujet de conversation puisque chacun est convaincu que les prix des terrains ne peuvent pas baisser. L'idée que l'on observe toujours autant de ventes que d'achats, autant de vendeurs que d'acheteurs (pour qu'une mutation foncière se réalise, il faut être deux) paraît étrangement incongrue. Quant à l'affirmation selon laquelle il y a toujours autant de terrains avant et après la hausse des prix, que la surface d'une commune ne change pas, elle provoque des abîmes de perplexité chez l'interlocuteur. La fameuse « loi de l'offre et de la demande » qui conditionne nos réflexions, n'est décidément d'aucun secours pour comprendre quelque chose à l'économie foncière. Pire, elle nous égare. ».

Contrairement aux autres marchés, la valeur de l'espace sur le marché foncier ne se forme pas du côté de l'offre mais de celui de la demande : c'est la compétition que se livrent les acquéreurs potentiels d'un espace donné qui en détermine la valeur. Le nombre de mutations dans un secteur dépend ainsi du nombre de propriétaires disposés à vendre compte tenu de la valeur que la demande accorde à ce secteur.

De surcroît, il convient de distinguer le marché de la ressource foncière, c'est-à-dire le « foncier brut » à aménager, qualifié de « gisement foncier », et le marché des terrains à bâtir , produits à partir de ces terrains bruts. L'un des principaux objets de la politique foncière est de permettre le processus de fabrication de terrains à bâtir.

Or l'analyse de la crise actuelle fait apparaître que c'est précisément ce processus qui pose problème. Le rapport établi en 2003 pour le ministre de l'équipement par M. Pierre Pommelet, intitulé « Relancer l'habitat en Ile-de-France par la mobilisation des actifs fonciers publics » constate ainsi pour l'Ile-de-France : « la rareté et le coût du foncier dans les secteurs bien desservis sont les facteurs le plus communément cités par les acteurs publics et privés de la construction de logements pour expliquer la chute de la construction. En réalité il ne s'agit pas de foncier physiquement rare : (...) plus de 3 millions de m² peuvent être mobilisés dans la seule sphère du ministère de l'équipement ; il s'agit, en réalité, du foncier mis sur le marché dans le but de construire des logements qui, lui, est effectivement rare et cher, en zone agglomérée ».

En effet, le foncier urbain est « naturellement » cher, dans la mesure où sa valeur d'usage est élevée (desserte par les réseaux, équipements ...), alors même que son coût intrinsèque est alourdi par les coûts de démolition, voire de dépollution, préalables à une reconstruction. Le prix de vente n'est donc pas suffisant pour supporter à la fois un prix de réhabilitation ou de construction et une rémunération du foncier , surtout si son coût est déjà amputé par les frais de remise en état des immeubles concernés, de démolition et de remembrement. Par définition, les opérations de réhabilitation sont au démarrage très déficitaires. Le problème foncier vient dans ce cas du décalage entre le prix du foncier et ses possibilités actuelles de valorisation.

Les aménageurs indiquent à cet égard qu'il est impossible de remodeler de tels quartiers sans une importante aide publique . Dans les secteurs dégradés, les experts estiment souvent qu'il faut apporter environ 150 euros par mètre carré de subvention pour équilibrer l'opération, soit 12.000 à 15.000 euros par logement 6 ( * ) .

L'idée d'un outil public d'intervention sur le foncier est donc pertinente, d'autant que, par ailleurs, tous les paramètres de la valorisation (ouverture des documents d'urbanisme à la construction, mise en place d'équipements...) sont entre les mains de structures publiques.

* 6 Marc Sauvez, Acheter le foncier pour renouveler la ville, ADEF, n° 99, sept-oct 2002.

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