II. LES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
A la suite de la présentation des crédits de la gendarmerie votre rapporteur souhaite faire quatre observations concernant le respect des engagements budgétaires de la LOPSI, la réorganisation territoriale des forces de sécurité intérieure, la place de l'Arme dans le dispositif de sécurité intérieure, enfin le rôle de la gendarmerie en Europe.
A. LE NÉCESSAIRE RESPECT DES ENGAGEMENTS PRIS EN FAVEUR DE LA GENDARMERIE
L'indéniable redressement du moral des militaires de la gendarmerie s'explique sans aucune ambiguïté possible par les mesures et engagements pris en faveur des personnels et de leur outil de travail . Il faut en effet se rappeler qu'au-delà du refus de rester à l'écart de progrès sociaux et financiers accordés au monde civil et notamment aux personnels de la police, les revendications des gendarmes portaient essentiellement sur leurs conditions de travail. Les moyens accordés à la gendarmerie et l'engagement des ministres de l'intérieur et de la défense à les faire respecter, malgré une conjoncture budgétaire très difficile, permettent aujourd'hui de renouveler rapidement les matériels et de mettre fin à une impression de « paupérisation » durement ressentie par les militaires .
L'effort décidé l'an passé ne doit pas cependant être relâché et conduire à retomber dans les erreurs du passé . Votre rapporteur souhaite souligner deux points principaux :
- L'indispensable revalorisation paritaire des carrières dans la police et la gendarmerie . Les réflexions en cours et les projets de réforme des corps et carrières dans la police nationale ne peuvent être poursuivis sans prendre en compte dans leur globalité et leur diversité l'ensemble des acteurs de la sécurité intérieure. Le placement pour emploi de la gendarmerie auprès du ministre de l'intérieur doit conduire à prendre en compte les conséquences sur la gendarmerie de telles évolutions. Faire travailler ensemble policiers et gendarmes n'est pas envisageable si chaque catégorie n'a pas l'impression d'être respectée dans sa spécificité, dans sa culture, dans ses traditions, mais aussi dans son traitement indiciaire. Toute réforme doit s'inscrire dans une logique non pas d'égalité stricte mais de parité police-gendarmerie car les deux corps n'ont pas le même statut. Ainsi, des améliorations, qui seraient accordées aux officiers de police, devraient impérativement avoir une correspondance pour les sous-officiers de gendarmerie exerçant des responsabilités ou des fonctions d'encadrement .
C'est pourquoi, votre rapporteur souhaite notamment que les responsabilités exercées par les commandants de brigade, de communautés de brigades ou d'autres unités soient pleinement reconnues et valorisées par une prime spécifique. Il estime également extrêmement souhaitable que la gendarmerie mette en place des voies d'accès accéléré à ces postes de responsabilité en recrutant une partie des sous-officiers parmi des candidats ayant accomplis plusieurs années d'études supérieures , à l'instar des officiers de police. Une école spécifique de commandants de brigades pourrait être créée avec une voie d'accès interne et une voie d'accès externe.
- Le nécessaire respect des engagements financiers de la LOPSI . Par la LOPSI, le gouvernement s'est engagé sur un montant global de 5,6 milliards d'euros de crédits de paiement entre 2003 et 2007 en faveur de la gendarmerie et de la police (article 3). L'annexe II de la loi, consacrée à la programmation financière, donne plus de détails sur la répartition des crédits, précisant que la gendarmerie disposera de 2,85 milliards d'euros au total dont 700 millions de rebasage dès 2003, 1,13 milliard pour financer l'accroissement des effectifs et 1,02 milliard pour les programmes d'équipement.
Lors du vote de la loi, le gouvernement avait transmis une programmation indicative des crédits de la gendarmerie en autorisations de programme et crédits de paiement sur la durée de la loi. Cette programmation avait pour but d'indiquer l'échelonnement dans le temps et la progression des crédits afin qu'ils puissent être entièrement mis en oeuvre en cinq ans.
Ainsi, l'effort supplémentaire d'investissement prévu par la LOPSI était échelonné de la manière suivante :
(en millions d'euros)
|
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
TOTAL |
AP |
180,105 |
260,221 |
282,220 |
255,473 |
187,981 |
1 166 |
CP |
93,173 |
193,188 |
249,817 |
254,464 |
229,358 |
1 020 |
Source : Avis n°373, 2001-2002, LOPSI, M. Philippe François au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Or, l'examen des crédits prévus pour 2004 fait ressortir un décalage par rapport à cette programmation indicative . Il est le signe de la conjoncture budgétaire difficile. Votre rapporteur souhaite qu'il puisse être comblé dès le projet de loi de finances pour 2005 afin de ne pas mettre en cause la bonne exécution de la LOPSI dans la durée et sans que pour autant les moyens prévus au titre de la LPM ne soient touchés, dès lors qu'il convient de garder à l'esprit, qu'ils visaient dès l'origine à satisfaire majoritairement le renouvellement des moyens existants et strictement nécessaires.
B. LA RÉORGANISATION TERRITORIALE DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE
Décidée par la LOPSI, la réorganisation territoriale des forces de sécurité intérieure comprend deux volets principaux : le redéploiement des forces de police et de gendarmerie et la mise en place des communautés de brigade.
1. Le redéploiement police-gendarmerie
Fin juillet 2003, avaient été décidées des mesures de redéploiement dans 35 départements avec reprise de 40 circonscriptions de sécurité publique (CSP) par la gendarmerie correspondant pour l'essentiel à des communes de 10 à 15 000 habitants, des mesures de redéploiement sans reprise de CSP dans 26 départements et l'absence de mesures de redéploiement dans 29 départements.
En France métropolitaine, ces mesures conduisent la gendarmerie à transférer la responsabilité de 217 communes et 970 000 habitants à la police et à prendre en charge 115 nouvelles communes et 785 000 habitants .
En Île-de-France, l'échelon de la compagnie avait été supprimé en 2000 dans les départements de la petite couronne. Les brigades territoriales ont été regroupées par secteur. Cela a permis d'adapter le dispositif de la gendarmerie à des départements entièrement placés en zone de police et de renforcer les effectifs des départements de la grande couronne. En 2003, la décision a été prise de ne conserver des unités qu'au niveau des quatre districts de police de chaque département (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne).
Dans le cadre de ces redéploiements, 2 894 emplois seront créés en zone de gendarmerie, dont 1 782 provenant de transferts d'effectifs actuellement installés en zone de police et 1 112 postes seront pourvus au titre de la LOPSI. En 2004, 324 des 1 171 emplois budgétaires supplémentaires seront consacrés au redéploiement. Celui-ci est donc assez coûteux en terme d'effectif puisqu'il représente 1/3 des nouveaux postes en 2004 et près de 17 % des effectifs supplémentaires de la LOPSI d'ici 2007 .
2. La mise en place des communautés de brigades
La phase de délimitation des communautés de brigades par les commandants de groupement en liaison avec les préfets est en cours d'achèvement. Ces propositions sont progressivement validées par la direction générale de la gendarmerie en tenant compte des redéploiements effectués ou programmés entre la police et la gendarmerie. Les communautés sont alors appréciées sur la base des effectifs autorisés de l'année 2002, sans extrapolation sur des renforcements ultérieurs. 50 départements avaient fait l'objet d'une décision en juillet 2003 et les textes de validation sont en cours de diffusion .
Concrètement, la mise en place de communautés de brigades conduit à regrouper sous l'autorité d'un seul commandant plusieurs brigades dont les effectifs sont insuffisants ou dont la mutualisation des moyens permettrait de lutter avec plus d'efficacité contre la délinquance . Sont recherchés à cette occasion un plus grand nombre de patrouilles de jour comme de nuit et une réduction des délais d'intervention. Tous les gendarmes de toutes les brigades interviennent sur le territoire de la communauté de brigades et non uniquement dans le secteur de leur brigade d'origine. Des patrouilles mixtes peuvent être organisées. La constitution d'une communauté peut également conduire à fermer des brigades pendant certaines heures du jour afin de dégager des personnels.
Cette évolution des méthodes de travail de la gendarmerie suscite certaines réserves à la fois des personnels mais aussi des citoyens et des élus car elle n'est pas toujours bien comprise et bien expliquée . Notamment la fermeture temporaire d'une brigade est une nouveauté qui est mal comprise, car elle va à l'encontre de la conception traditionnelle de la disponibilité permanente demandée aux gendarmes . De même, il est craint, parfois avec raison, que l'intervention de gendarmes d'une brigade éloignée soit moins efficace car ils connaissent moins bien le terrain et ont un plus long trajet à effectuer.
Comme lors de la mise en place du renvoi des appels après 19 h vers le centre opérationnel de la gendarmerie (COG) situé au chef-lieu de département, il sera nécessaire que la nouvelle organisation du service soit bien assimilée par les gendarmes et qu'elle soit perçue comme une amélioration du service par la population, la rapidité des temps d'intervention et la capacité de mobiliser des forces supplémentaires devant faire la preuve de l' efficacité du nouveau système. Il ne faut pas non plus oublier que ces changements permettent de réduire les astreintes pesant sur les gendarmes et donc de libérer du temps.
C. LA PLACE DE LA GENDARMERIE DANS LE DISPOSITIF DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE
Depuis 2002 et conformément à la volonté du Président de la République, la gendarmerie, tout en restant une force militaire accomplissant des missions au profit de l'état-major des armées et administrée par le ministère de la défense, est placée pour emploi pour ses missions de sécurité intérieure sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Ce nouveau positionnement a permis de mettre en valeur la nécessité d'un traitement paritaire des deux forces afin que leur coopération puisse se développer de manière équilibrée dans le respect des compétences de chacun .
Votre rapporteur souhaite souligner deux points principaux :
- Le partage de la responsabilité des offices centraux . Fin 2003, 10 offices centraux sont placés sous la responsabilité de la police nationale tandis que 3, dont deux nouveaux sont placés sous l'autorité de la gendarmerie. Il s'agit des offices centraux de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), contre la délinquance itinérante (OCLDI) et contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (ORLIESP) . La création des deux derniers offices a résulté d'une réorganisation interne du service des opérations et de l'emploi, et d'une modification par décret en Conseil d'Etat du code de procédure pénale afin de permettre à certains militaires d'exercer leurs compétences judiciaires sur l'ensemble du territoire. Votre rapporteur estime souhaitable que la gendarmerie se voit reconnaître de plus larges responsabilités .
Par ailleurs, six officiers et quinze sous-officiers de gendarmerie sont affectés au sein des offices centraux relevant de la police nationale. Cette participation est en voie d'augmentation.
- Le réseau des attachés de sécurité intérieure . Créé récemment, le réseau des attachés de sécurité intérieure a pour objet de faciliter la coopération policière entre les forces de sécurité, la criminalité étant de plus en plus transnationale. Logiquement, la gendarmerie a été appelée à prendre toute sa part dans ce réseau sans abandonner sa participation à celui des attachés de défense . Plus particulièrement, il est naturel qu'elle assure les relations avec les pays disposant de forces de sécurité à statut militaire ou avec ceux dans lesquels elle mène des coopérations importantes .
Ainsi, la gendarmerie dispose d'un attaché spécifique en Espagne, à Bruxelles (Union européenne), en Italie, en Autriche, en Belgique, au Canada, en Turquie et dans de nombreux autres pays d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Amérique du Sud. Dans d'autres pays, elle dispose d'un attaché de sécurité intérieure adjoint. Votre rapporteur a toutefois été étonné que le poste d'attaché de sécurité intérieure en Roumanie n'ait pas été attribué automatiquement à la gendarmerie en raison de l'aide très importante qu'elle a apportée à la reconstitution de la gendarmerie roumaine .
D. LA GENDARMERIE EN EUROPE
La gendarmerie en tant que force de police à statut militaire apporte un savoir-faire particulier de plus en plus utilisé dans les opérations extérieures puisqu'elle est capable d'accomplir ses missions aussi bien en temps de paix que dans un contexte très dégradé. La gendarmerie nationale est ainsi présente en ex-Yougoslavie sous l'égide de l'OTAN, de l'ONU et de l'Union européenne.
En Bosnie-Herzégovine , l'Union européenne a succédé à l'ONU et a mis en place, en janvier 2003, une mission d'assistance aux forces locales de police. La gendarmerie y participe afin de conseiller, contrôler, surveiller et inspecter les forces locales de police et de lutter contre la criminalité organisée et la corruption. 73 ont été déployés dans ce cadre et 84 au sein de la SFOR.
Au Kosovo , la gendarmerie est présente au sein de la KFOR (OTAN) et de la MINUK (ONU). Dans le cadre de la KFOR, la gendarmerie assume, au sein de la brigade multinationale Nord-Est, des missions de maintien de l'ordre et de recherche de renseignements. 560 gendarmes ont été employés. Par ailleurs, au sein de la mission de police civile de l'ONU, la gendarmerie a détaché 148 officiers et sous-officiers expérimentés au sein des états-majors. La constitution progressive d'une force de police « kosovare » permet à l'ONU de se recentrer sur des missions de contrôle, de formation et de conseil.
En outre, deux escadrons de gendarmerie mobile sont présents en Côte-d'Ivoire depuis les graves incidents ayant pris pour cible nos ressortissants et notre ambassade. 309 gendarmes ont participé en 2003 à l'opération Licorne.
L'expérience acquise dans ses opérations menées le plus souvent soit dans un cadre européen soit dans un cadre international a fait ressortir le besoin d'une coopération plus poussée.
Un premier cadre de coopération a été défini avec la force de police européenne . En effet, en juin 2000 au sommet de Feira (Portugal), les Quinze s'étaient fixés l'objectif de pouvoir disposer en 2003, sur une base volontaire, de 5 000 policiers dont 1 400 déployables en moins de trente jours. Lors du sommet de Nice (décembre 2000), les chefs d'Etats et de gouvernements ont retenu deux options principales d'emploi : le renforcement des capacités locales de police par des missions de formation, d'entraînement, d'assistance, de contrôle et de conseil, et la substitution à des forces locales défaillantes afin d'apporter une réponse immédiate aux besoins les plus urgents de sécurité et d'entamer la reconstruction dans les délais les plus brefs.
A l'occasion du sommet de Göteborg (Suède - juin 2001), M. Javier Solana a décidé la création d'une unité de planification de police. Puis lors de la conférence d'engagement des capacités de Bruxelles (novembre 2001), la France s'est engagée à fournir 810 personnels, dont 600 gendarmes, 300 étant mis à la disposition de la capacité de déploiement rapide .
La Force de police européenne est aujourd'hui opérationnelle et déployée en Bosnie-Herzégovine.
Enfin, en octobre 2003, Mme Michèle Alliot-Marie a proposé la création d'un corps européen de gendarmerie . Faisant le constat d'un « vide sécuritaire » entre les opérations militaires et le retour à une situation normale, elle a proposé aux pays disposant de forces de police à statut militaire de regrouper leurs forces et leur expérience. Il aurait pour mission d'assurer une transition harmonieuse sans rompre l'unité du commandement militaire et de faciliter le passage à une autorité civile.