ANGLETERRE ET PAYS DE GALLES
1) Le régime général des délits d'imprudence et de négligence
Traditionnellement, la responsabilité pénale ne peut
être encourue que si deux éléments sont
réunis :
- l'accusé doit avoir commis une infraction ou s'être rendu
coupable d'une omission qui constitue une infraction, les infractions
étant définies comme telles par la jurisprudence ou par la loi,
voire par les deux ;
- il doit présenter un certain état d'esprit (
mens rea
),
permettant de qualifier l'acte ou l'omission d'infraction
(3(
*
))
.
Certaines infractions ne sont constituées que si elles sont
intentionnelles. Plus fréquemment cependant, la négligence grave
(
recklessness
) suffit. Dans certains cas, la négligence simple
permet de mettre en cause la responsabilité pénale.
a) La négligence grave
Pendant
fort longtemps, les tribunaux ont considéré que ce terme
correspondait à la négligence volontaire et consciente,
c'est-à-dire à la prise délibérée d'un
risque déraisonnable, car susceptible de se traduire par une
illégalité. Cette affirmation a été reprise par
l'article 8 du
Criminal Justice Act
de 1967, qui
énonce :
"
Un tribunal ou un jury, en se prononçant sur la
culpabilité d'une personne,
"
(a) n'auront pas l'obligation légale de déduire qu'elle
recherchait ou prévoyait le résultat de ses actes simplement
parce qu'il constitue la conséquence naturelle et probable de ces actes,
mais
"
(b) devront décider si elle voulait obtenir ou pouvait
prévoir ce résultat, compte tenu de tous les
éléments de preuve disponibles et en en faisant les
déductions qui apparaissent convenables en l'espèce.
"
Pour être considéré comme coupable, le prévenu
devait donc avoir conscience de l'existence d'un risque qu'un bon père
de famille aurait jugé déraisonnable de prendre.
Cependant, en 1981, dans l'affaire
Caldwell, la Chambre des lords
élargit la définition de la négligence grave
:
désormais, l'accusé est considéré comme gravement
négligent non seulement s'il prend un risque tout en sachant que ce
dernier existe, mais également s'il refuse de se demander si le risque
existe. La négligence grave apparaît donc peu différente de
la simple négligence. Ceci explique que les juridictions
inférieures aient souvent interprété de façon
restrictive la décision Caldwell.
b) La négligence simple
Elle est
avérée lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :
- le risque est prévisible par quelqu'un de raisonnable ;
- l'accusé ne parvient pas à le prévoir et à faire
le nécessaire pour l'empêcher ou bien, l'accusé l'ayant
prévu, il ne fait pas le nécessaire pour l'empêcher ou
prend des mesures notoirement insuffisantes.
Le principal cas où la négligence simple suffit pour que la
responsabilité pénale soit reconnue est l'homicide.
2) La responsabilité pénale des personnes morales
Le
droit anglais admet la responsabilité pénale des personnes
morales depuis le milieu du XIX
ème
siècle.
Depuis cette époque, les tribunaux ont en effet reconnu qu'une personne
morale pouvait, au même titre qu'une personne physique, être
pénalement responsable pour violation d'une obligation que la loi lui
fixait (respecter des horaires d'ouverture par exemple).
De plus, dès le milieu du XIX
ème
siècle,
appliquant aux personnes morales le principe de la responsabilité pour
les actes ou les omissions d'une autre personne, les tribunaux ont
affirmé qu'une entreprise pouvait être rendue responsable des
infractions commises par ses employés.
Cependant, le champ de la responsabilité pénale des personnes
morales s'est beaucoup étendu à partir de 1944, en vertu de la
théorie jurisprudentielle de
l'identification
. D'après
cette théorie, les personnes qui contrôlent et dirigent les
activités d'une personne morale peuvent être
considérées comme la personne morale elle-même. Cette
dernière est donc responsable, non pas des actes réalisés
par les personnes qui travaillent pour elle, comme c'est le cas pour la
responsabilité pour autrui, mais de ses propres actes.
La reconnaissance de la responsabilité pénale d'une personne
morale n'empêche pas que les personnes physiques concernées
puissent elles aussi être tenues pour responsables, comme auteurs ou
comme complices : la jurisprudence le prévoit, de même que
plusieurs lois.
Comme toute personne morale, les collectivités locales peuvent donc
voir leur responsabilité pénale engagée. Cependant, le
plus souvent, leur responsabilité est recherchée sur le terrain
civil, en vertu de la théorie des
torts
.
Le
non-respect d'une obligation extra-contractuelle constitue un
tort
lorsqu'il se traduit par un préjudice pour autrui. Les victimes des
torts
obtiennent réparation grâce à des actions en
dommages et intérêts ou à des injonctions des tribunaux. La
négligence constitue le principal
tort
, et de nombreux cas de
torts
pour négligence impliquent des collectivités
locales. Devant la multiplication des cas
(4(
*
))
, provoquée par l'extension du
concept de " devoir de vigilance ", devenu un principe
général dont le non-respect entraînait la reconnaissance
d'une responsabilité pour négligence, les tribunaux ont, à
partir du milieu des années 80, modifié leur position.
Désormais, dans chaque affaire, ils vérifient trois points avant
de conclure à l'existence d'une responsabilité civile
extra-contractuelle pour négligence :
- le caractère raisonnablement prévisible du
préjudice ;
- la " proximité " de la relation entre les parties, seule
susceptible de justifier un " devoir de vigilance " ;
- le caractère "
juste
,
équitable
et
raisonnable
" de l'existence d'un devoir de vigilance.
3) La responsabilité pénale des élus locaux
En
principe, les élus locaux ne sont pas individuellement responsables des
actes de la collectivité. En effet, la possibilité de poursuivre
les membres du conseil qui ont autorisé un acte par lequel la
collectivité a engagé sa responsabilité n'est pas
clairement établie.
Cette règle générale et traditionnelle de
l'immunité des élus locaux a été confortée
par certaines prescriptions législatives, en particulier par
l'
article 265 de la loi de 1875 sur la santé publique
, qui
énonce : "
Aucun acte d'une collectivité locale,
aucun contrat souscrit par elle (...), aucun acte de n'importe lequel des
membres ou employés d'une telle collectivité, ou de n'importe
quelle personne agissant sous les ordres d'une telle collectivité, dans
la mesure où l'acte a été accompli ou que le contrat a
été conclu de bonne foi afin d'appliquer la présente loi,
ne les exposera personnellement ou n'exposera l'un d'eux personnellement
à une réclamation dans le cadre d'une action en
responsabilité ou à quelque requête que ce soit
(...)
".
L'article 39 de la loi de 1976 portant dispositions diverses sur les
collectivités locales,
relatif à la protection des membres et
des employés des collectivités locales contre la
responsabilité personnelle, a étendu le champ d'application de
cette disposition afin de couvrir toutes les collectivités locales, pour
l'exécution de toutes les lois.
Cette immunité, d'ordre strictement judiciaire, n'empêche pas
l'
Audit Commission for Local Authorities
, l'organisme national de
contrôle des collectivités locales, de remplir sa mission.