LA RESPONSABILITE PENALE DES ELUS LOCAUX POUR DES FAITS NON INTENTIONNELS
Table des matières
NOTE DE SYNTHESE
En
France, depuis 1992, l'article 121-2 du code pénal prévoit la
responsabilité pénale des personnes morales. Cependant, en ce qui
concerne les collectivités territoriales, la responsabilité
pénale est limitée aux "
infractions commises dans
l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de
délégation de service public
". Par conséquent,
pour les activités qui ne peuvent pas faire l'objet de telles
conventions, seule la responsabilité des personnes physiques,
c'est-à-dire des élus locaux, peut être mise en cause.
De plus, comme le même article du code pénal énonce
que : "
la responsabilité pénale des personnes
morales n'exclut pas celles des personnes physiques auteurs ou complices des
mêmes faits
", le champ de la responsabilité
pénale des élus locaux apparaît presque illimité.
Certes, la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 a restreint la
définition du délit non intentionnel, puisqu'elle prévoit
qu'en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une
obligation de prudence ou de sécurité, un élu local ayant
reçu une délégation ne peut être condamné
"
pour des faits non intentionnels commis dans l'exercice de ses
fonctions que s'il est établi qu'il n'a pas accompli les diligences
normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont
il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi
lui confie
".
Cependant, malgré la loi de 1996, la responsabilité pénale
des élus locaux continue à être fréquemment mise en
cause pour des faits non intentionnels, et les demandes de réforme du
régime français se multiplient.
Dans la perspective de l'examen par le Sénat de la proposition de loi
tendant à préciser la définition des délits non
intentionnels, présentée par M. Pierre Fauchon au mois
d'octobre 1999, il a semblé utile d'examiner le régime de la
responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non
intentionnels dans plusieurs pays européens. L'
Allemagne,
l'
Angleterre
et le
Pays de Galles
, le
Danemark
,
l'
Espagne
et le
Portugal
, représentatifs de traditions
juridiques différentes, ont été retenus.
Pour chacun de ces cinq pays, l'étude présente :
- le régime général des délits d'imprudence et de
négligence ;
- les règles relatives à la responsabilité pénale
des personnes morales ;
- les circonstances dans lesquelles la responsabilité pénale des
élus locaux peut être mise en cause.
Cette analyse permet de mettre en évidence que :
- en Allemagne, en Espagne et au Portugal, en l'absence de prescriptions
spécifiques relatives à la responsabilité pénale
des élus locaux, ces derniers peuvent être mis en examen pour
négligence ;
- la loi danoise exclut que les élus locaux soient mis en cause
uniquement pour négligence ;
- la tradition d'immunité des élus locaux anglais a
été confortée par la loi.
1)
En Allemagne, en Espagne et au Portugal, aucune prescription
spécifique relative à la responsabilité pénale des
élus locaux n'empêche leur mise en examen pour négligence
Dans ces trois pays, ni le code pénal ni les textes sur les
collectivités locales ne comportent de dispositions particulières
à la responsabilité pénale des élus locaux
.
En effet, la loi espagnole de 1985 sur les fondements du régime local
précise que les élus locaux répondent civilement et
pénalement des actes réalisés pendant l'exercice de leurs
fonctions, ainsi que de leurs omissions, et que leur responsabilité est
recherchée par les tribunaux compétents conformément
à la procédure de droit commun.
De même, la loi portugaise de 1987 portant statut des élus locaux
prévoit que les collectivités doivent supporter les frais
relatifs aux procès où les élus sont impliqués par
suite de l'exercice de leur mandat, sauf s'il y a eu négligence ou dol
de leur part. Ceci signifie implicitement que la responsabilité
pénale des élus locaux portugais est recherchée selon les
règles du droit commun.
En revanche, le droit allemand n'évoque pas du tout le cas des
élus locaux. Tout au plus leur qualité de
" dépositaire de l'autorité publique " justifie-t-elle
que les juges usent de leur pouvoir d'appréciation pour les sanctionner
plus sévèrement.
Dans ces trois pays, l'absence de dispositions spécifiques relatives
à la responsabilité pénale des élus locaux
n'empêche donc pas ces derniers d'être mis en examen pour
négligence
. Ainsi, la catastrophe du lac de Banyoles en Catalogne,
en octobre 1998, s'est traduite par la mise en examen du conseiller
chargé de l'environnement, pour homicide par imprudence grave, ainsi que
pour coups et blessures par imprudence grave. En revanche, en Allemagne les
atteintes à l'environnement, semblent constituer le motif le plus
fréquent de mise en examen des élus locaux. Toutefois, la
recherche de la responsabilité pénale des élus locaux pour
des faits non intentionnels paraît exceptionnelle. Au Portugal, aucun
élu local n'a été mis en cause pour négligence
à ce jour.
2) La loi danoise exclut que la responsabilité des élus locaux
soit mise en cause uniquement pour négligence
La loi de 1998 sur les organes des collectivités locales reprend une
disposition introduite en 1984 à la suite de quelques cas graves,
à l'occasion desquels l'opinion publique s'était émue
devant l'impossibilité de toute intervention. La loi énonce
désormais que : "
Les membres des conseils qui se rendent
coupables de manquements graves aux devoirs que leur mandat implique sont punis
d'une amende. La négligence simple n'est pas punie.
"
De plus, elle précise que seule l'autorité qui contrôle les
actes des collectivités locales peut engager une action contre les
élus locaux.
Ces règles législatives ont été
précisées par une circulaire du ministre de l'Intérieur,
qui apparaît assez protectrice pour les élus locaux, dans la
mesure où elle souligne que la faiblesse des pouvoirs de contrôle
des élus locaux sur l'administration locale devrait limiter les cas de
" manquements graves ". La circulaire justifie également que,
de façon générale, les élus prennent leurs
décisions sur la base des travaux de l'administration locale, à
moins que le caractère erroné ou lacunaire de ces travaux
n'apparaissent de façon évidente.
3) La tradition d'immunité des élus locaux anglais a
été confortée par la loi
En règle générale,
la responsabilité des
collectivités locales anglaises est recherchée sur le terrain
civil
, en application de la notion de
responsabilité
extra-contractuelle
, et non sur le terrain pénal.
Distincte de la responsabilité des collectivités, celle des
élus à titre individuel pourrait en théorie
également être engagée. Cependant, cette possibilité
n'a jamais été clairement établie, de sorte que les
élus jouissent traditionnellement de l'immunité contre tout type
de responsabilité.
Cette tradition a été confortée dès la fin du
XIX
ème
siècle par la loi sur la santé publique,
qui excluait que la responsabilité personnelle des élus locaux
fût recherchée dans le cadre de l'application de cette loi par les
collectivités locales, dans la mesure où tous les actes qui s'y
rapportaient avaient été accomplis de bonne foi. En 1976, une loi
sur les collectivités locales a étendu cette immunité pour
couvrir les actes se rapportant à l'exécution de toutes les lois.
* *
*
Même en l'absence de dispositions protectrices, la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non intentionnels semble donc constituer un phénomène marginal dans les cinq pays étudiés.
ALLEMAGNE
1) Le régime général des délits d'imprudence et de négligence
L'article 15 du code pénal énonce
:
"
Seul l'acte intentionnel est punissable, à moins que la loi ne
sanctionne expressément l'acte commis par négligence
".
Le code oppose donc la négligence à l'intention, mais ne
définit aucune des deux notions.
Parmi les actes commis par négligence, le code pénal sanctionne
notamment toutes les atteintes à l'environnement (pollution de l'air, de
l'eau, dépôt non autorisé de déchets dangereux ou
toxiques...), ainsi que l'incendie et la plupart des autres infractions se
traduisant par un " danger public " (provocation d'une inondation,
d'une explosion...). En revanche, dans les articles du code pénal
consacrés, d'une part, à l'homicide et, d'autre part, aux coups
et blessures, le mot " négligence " ne figure pas. La
distinction s'établit différemment : le code oppose
l'homicide à l'homicide commis par un assassin (c'est-à-dire par
une personne poussée par la cupidité ou par l'instinct sexuel par
exemple). De même, il distingue les coups et blessures des coups et
blessures prémédités.
La doctrine distingue la négligence " consciente " de la
négligence " inconsciente ". La première correspond aux
cas où l'auteur prévoit que son acte aura des conséquences
illicites, mais espère qu'elles ne se produiront pas. La seconde
correspond à ceux où l'auteur ne prévoit pas les
conséquences de son acte, mais où il aurait dû le faire
s'il avait fait preuve de la diligence habituelle dans les rapport
sociaux.
2) La responsabilité pénale des personnes morales
Le
code pénal allemand ignore la notion de responsabilité
pénale des personnes morales
. Par conséquent, en application
de
l'article 14 du code pénal
relatif à
"
l'action pour autrui
", le maire, représentant
légal de la commune, peut voir sa propre responsabilité
pénale mise en cause lorsque la commune commet une infraction.
L'article 14 du code pénal
prévoit en effet que, lorsque
quelqu'un agit comme représentant légal d'un personne morale, une
loi qui justifie une sanction pénale est applicable au
représentant si les éléments constitutifs de l'infraction,
bien qu'absents de sa propre personne, sont réalisés chez la
personne représentée.
Bien que les personnes morales ne soient pas responsables pénalement,
elles peuvent être sanctionnées à la suite d'une faute
commise par leur représentant légal.
En effet, le droit
pénal allemand connaît, à côté des crimes et
des délits, une autre catégorie d'infractions : les
" infractions administratives " (
Ordnungswidrigkeiten
).
Dépourvues de tout caractère pénal
(1(
*
))
, elles sont sanctionnées par une amende
(2(
*
))
et sont régies par une loi spécifique.
L'article 30 de la loi sur les " infractions administratives " traite
des amendes qui peuvent être imposées aux personnes morales. Il
prévoit que, si quelqu'un, agissant comme l'organe représentant
d'une personne morale ou comme membre d'un tel organe, a commis une infraction
pénale ou une " infraction administrative " à cause de
laquelle cette personne morale a failli à sa mission, ou grâce
à laquelle la personne morale s'est enrichie ou aurait dû
s'enrichir, une amende peut être imposée à cette personne
morale.
Le montant de l'amende dépend de l'infraction. S'il s'agit d'une
infraction pénale intentionnelle, elle peut se monter à un
million de marks (soit 3,35 millions de francs). Si l'infraction
pénale résulte d'une négligence, l'amende ne peut pas
dépasser 500 000 marks. S'il s'agit d'une " infraction
administrative ", le montant de l'amende est déterminé par
la loi. Il est généralement compris entre 5 et
1 000 marks. Dans tous les cas, il faut cependant tenir compte de
l'article 17 de la même loi, d'après lequel les montants
peuvent être augmentés s'ils ne compensent pas les avantages
obtenus de façon illicite par la personne morale.
Le système
des " infractions administratives " permet de sanctionner la personne
morale, mais sans que cette sanction revête une quelconque connotation
pénale.
La procédure contre la personne morale se cumule en principe avec la
procédure
, administrative ou pénale selon la nature de
l'infraction,
contre la personne
physique
, car l'article 30
de la loi sur les " infractions administratives "
énumère limitativement les cas où la procédure
contre la personne morale exclut celle contre la personne physique
. Dans la
pratique, le cumul constitue cependant l'exception
, car les poursuites
contre la personne physique ne sont engagées que si elles semblent
absolument nécessaires.
3) La responsabilité pénale des élus locaux
Le
code pénal ne comporte aucune disposition spécifique aux
élus locaux
,
qui sont donc soumis au droit commun. Cependant,
leur qualité de "
dépositaire de l'autorité
publique
" justifie que les juges usent de leur pouvoir
d'appréciation pour les sanctionner plus sévèrement.
En effet, le code pénal comporte une partie consacrée aux
infractions spécifiques aux " dépositaires de
l'autorité publique ". Font partie de ces infractions, non
seulement celles qui sont propres aux fonctionnaires, comme la
prévarication, mais aussi des infractions susceptibles d'être
commises par tout citoyen. Ainsi, l'article 340 du code pénal, qui
traite des coups et blessures, prévoit que le " dépositaire
de l'autorité publique " qui s'est rendu coupable d'une telle
infraction encourt une peine de prison comprise entre trois mois et cinq ans,
alors que cette infraction est normalement sanctionnée par une amende ou
par une peine de prison d'au plus trois ans.
En pratique, les atteintes à l'environnement constituent le motif le
plus fréquent de mise en cause de la responsabilité pénale
des élus locaux.
Ainsi, en 1992,
la Cour
fédérale suprême a condamné le maire d'une commune
du Land de Hesse pour ne pas avoir fait respecter une décision
communale, selon laquelle certains propriétaires fonciers devaient,
aussi longtemps que le réseau de collecte des eaux usées les
desservant ne serait pas raccordé à une station
d'épuration publique, faire installer et fonctionner des
équipements individuels d'épuration.
ANGLETERRE ET PAYS DE GALLES
1) Le régime général des délits d'imprudence et de négligence
Traditionnellement, la responsabilité pénale ne peut
être encourue que si deux éléments sont
réunis :
- l'accusé doit avoir commis une infraction ou s'être rendu
coupable d'une omission qui constitue une infraction, les infractions
étant définies comme telles par la jurisprudence ou par la loi,
voire par les deux ;
- il doit présenter un certain état d'esprit (
mens rea
),
permettant de qualifier l'acte ou l'omission d'infraction
(3(
*
))
.
Certaines infractions ne sont constituées que si elles sont
intentionnelles. Plus fréquemment cependant, la négligence grave
(
recklessness
) suffit. Dans certains cas, la négligence simple
permet de mettre en cause la responsabilité pénale.
a) La négligence grave
Pendant
fort longtemps, les tribunaux ont considéré que ce terme
correspondait à la négligence volontaire et consciente,
c'est-à-dire à la prise délibérée d'un
risque déraisonnable, car susceptible de se traduire par une
illégalité. Cette affirmation a été reprise par
l'article 8 du
Criminal Justice Act
de 1967, qui
énonce :
"
Un tribunal ou un jury, en se prononçant sur la
culpabilité d'une personne,
"
(a) n'auront pas l'obligation légale de déduire qu'elle
recherchait ou prévoyait le résultat de ses actes simplement
parce qu'il constitue la conséquence naturelle et probable de ces actes,
mais
"
(b) devront décider si elle voulait obtenir ou pouvait
prévoir ce résultat, compte tenu de tous les
éléments de preuve disponibles et en en faisant les
déductions qui apparaissent convenables en l'espèce.
"
Pour être considéré comme coupable, le prévenu
devait donc avoir conscience de l'existence d'un risque qu'un bon père
de famille aurait jugé déraisonnable de prendre.
Cependant, en 1981, dans l'affaire
Caldwell, la Chambre des lords
élargit la définition de la négligence grave
:
désormais, l'accusé est considéré comme gravement
négligent non seulement s'il prend un risque tout en sachant que ce
dernier existe, mais également s'il refuse de se demander si le risque
existe. La négligence grave apparaît donc peu différente de
la simple négligence. Ceci explique que les juridictions
inférieures aient souvent interprété de façon
restrictive la décision Caldwell.
b) La négligence simple
Elle est
avérée lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :
- le risque est prévisible par quelqu'un de raisonnable ;
- l'accusé ne parvient pas à le prévoir et à faire
le nécessaire pour l'empêcher ou bien, l'accusé l'ayant
prévu, il ne fait pas le nécessaire pour l'empêcher ou
prend des mesures notoirement insuffisantes.
Le principal cas où la négligence simple suffit pour que la
responsabilité pénale soit reconnue est l'homicide.
2) La responsabilité pénale des personnes morales
Le
droit anglais admet la responsabilité pénale des personnes
morales depuis le milieu du XIX
ème
siècle.
Depuis cette époque, les tribunaux ont en effet reconnu qu'une personne
morale pouvait, au même titre qu'une personne physique, être
pénalement responsable pour violation d'une obligation que la loi lui
fixait (respecter des horaires d'ouverture par exemple).
De plus, dès le milieu du XIX
ème
siècle,
appliquant aux personnes morales le principe de la responsabilité pour
les actes ou les omissions d'une autre personne, les tribunaux ont
affirmé qu'une entreprise pouvait être rendue responsable des
infractions commises par ses employés.
Cependant, le champ de la responsabilité pénale des personnes
morales s'est beaucoup étendu à partir de 1944, en vertu de la
théorie jurisprudentielle de
l'identification
. D'après
cette théorie, les personnes qui contrôlent et dirigent les
activités d'une personne morale peuvent être
considérées comme la personne morale elle-même. Cette
dernière est donc responsable, non pas des actes réalisés
par les personnes qui travaillent pour elle, comme c'est le cas pour la
responsabilité pour autrui, mais de ses propres actes.
La reconnaissance de la responsabilité pénale d'une personne
morale n'empêche pas que les personnes physiques concernées
puissent elles aussi être tenues pour responsables, comme auteurs ou
comme complices : la jurisprudence le prévoit, de même que
plusieurs lois.
Comme toute personne morale, les collectivités locales peuvent donc
voir leur responsabilité pénale engagée. Cependant, le
plus souvent, leur responsabilité est recherchée sur le terrain
civil, en vertu de la théorie des
torts
.
Le
non-respect d'une obligation extra-contractuelle constitue un
tort
lorsqu'il se traduit par un préjudice pour autrui. Les victimes des
torts
obtiennent réparation grâce à des actions en
dommages et intérêts ou à des injonctions des tribunaux. La
négligence constitue le principal
tort
, et de nombreux cas de
torts
pour négligence impliquent des collectivités
locales. Devant la multiplication des cas
(4(
*
))
,
provoquée par l'extension du concept de " devoir de
vigilance ", devenu un principe général dont le non-respect
entraînait la reconnaissance d'une responsabilité pour
négligence, les tribunaux ont, à partir du milieu des
années 80, modifié leur position.
Désormais, dans chaque affaire, ils vérifient trois points avant
de conclure à l'existence d'une responsabilité civile
extra-contractuelle pour négligence :
- le caractère raisonnablement prévisible du
préjudice ;
- la " proximité " de la relation entre les parties, seule
susceptible de justifier un " devoir de vigilance " ;
- le caractère "
juste
,
équitable
et
raisonnable
" de l'existence d'un devoir de vigilance.
3) La responsabilité pénale des élus locaux
En
principe, les élus locaux ne sont pas individuellement responsables des
actes de la collectivité. En effet, la possibilité de poursuivre
les membres du conseil qui ont autorisé un acte par lequel la
collectivité a engagé sa responsabilité n'est pas
clairement établie.
Cette règle générale et traditionnelle de
l'immunité des élus locaux a été confortée
par certaines prescriptions législatives, en particulier par
l'
article 265 de la loi de 1875 sur la santé publique
, qui
énonce : "
Aucun acte d'une collectivité locale,
aucun contrat souscrit par elle (...), aucun acte de n'importe lequel des
membres ou employés d'une telle collectivité, ou de n'importe
quelle personne agissant sous les ordres d'une telle collectivité, dans
la mesure où l'acte a été accompli ou que le contrat a
été conclu de bonne foi afin d'appliquer la présente loi,
ne les exposera personnellement ou n'exposera l'un d'eux personnellement
à une réclamation dans le cadre d'une action en
responsabilité ou à quelque requête que ce soit
(...)
".
L'article 39 de la loi de 1976 portant dispositions diverses sur les
collectivités locales,
relatif à la protection des membres et
des employés des collectivités locales contre la
responsabilité personnelle, a étendu le champ d'application de
cette disposition afin de couvrir toutes les collectivités locales, pour
l'exécution de toutes les lois.
Cette immunité, d'ordre strictement judiciaire, n'empêche pas
l'
Audit Commission for Local Authorities
, l'organisme national de
contrôle des collectivités locales, de remplir sa mission.
DANEMARK
1) Le régime général des délits d'imprudence et de négligence
L'article 19 du code pénal
énonce :
"
Pour ce qui concerne les infractions prévues par le
présent code, la négligence est punie seulement lorsqu'une
disposition l'établit expressément. Pour les autres infractions,
les sanctions prévues sont applicables, y compris lorsque l'infraction
est commise par négligence, à moins que la loi ne prévoie
expressément le contraire
. "
Ainsi le code pénal sanctionne-t-il l'homicide, les coups et blessures
et l'incendie, lorsqu'ils résultent d'une négligence. En
revanche, lorsqu'ils résultent d'une négligence, les faux en
écriture et la diffamation ne sont pas sanctionnés par le code
pénal.
De façon générale, le code pénal établit une
distinction entre négligence et négligence
" grossière ", mais il ne donne aucune définition du
mot " négligence "
2) La responsabilité pénale des personnes morales
L'article 25 du code pénal prévoit la
responsabilité pénale des personnes morales
.
Il précise, à l'
article 27
, que
les communes et
les comtés
ne peuvent être sanctionnés que pour des
infractions commises dans l'exercice d'
activités équivalentes
à des activités susceptibles d'être exercées par des
personnes de
droit privé
. Ceci exclut la possibilité
de mettre en cause la responsabilité de la commune pour des incidents
survenus dans le cadre de celles de ses activités qui relèvent
des prérogatives de puissance publique.
3) La responsabilité pénale des élus locaux
Le
code pénal ne comporte aucune disposition spécifique aux
élus locaux
.
En revanche, l
'article 61c de la loi n° 59 du 29 janvier 1998 sur
les organes des communes
(5(
*
))
énonce,
à l'alinéa premier, que : "
Les membres des conseils
qui se rendent coupables de manquements graves aux devoirs que leur mandat
implique sont punis d'une amende. La
négligence simple n'est pas
punie
. "
L'alinéa 2 du même article précise que l'action contre les
élus locaux ne peut être engagée qu'à la demande de
l'autorité qui contrôle
(6(
*
))
les actes
des collectivités locales.
Les règles relatives à la responsabilité pénale
des élus locaux ont été introduites en 1984. Une
circulaire du ministre de l'Intérieur
de l'époque,
adressée aux collectivités locales, précise :
- que ces règles s'appliquent aux activités de la
collectivité comme institution, comme maître d'ouvrage ou comme
exploitant ;
- que le mot " manquement " recouvre aussi bien les actions que les
omissions ou les défaillances ;
- que l'expression " les devoirs que leur mandat implique "
correspond non seulement aux missions qui incombent à tous les
conseillers, y compris à ceux qui n'ont pas de fonctions
particulières, mais aussi à celles qui sont l'apanage de certains
élus (membres des commissions, maires...) ;
Dans cette circulaire, le ministre indique également que les membres des
conseils ne disposent pas de larges pouvoirs de contrôle et de
surveillance sur l'administration locale. Il paraît donc probable que les
" manquements graves " des élus locaux seront rares. De plus,
le ministre considère comme normal que les élus locaux se fondent
sur les travaux de l'administration locale pour prendre position, sauf si le
caractère erroné ou lacunaire de ces travaux apparaît
incontestable.
A contrario
, les élus locaux n'engagent en
principe aucune responsabilité s'ils ne suivent pas les suggestions de
l'administration. Cependant, leur responsabilité peut être mise en
cause dans le cas où ils se sont rendus compte ou auraient dû se
rendre compte que, en agissant ainsi, ils transgressaient la loi. Enfin, le
fait de prendre une décision sans qu'il y ait un rapport administratif
préalable n'entraîne en principe aucune mise en cause de la
responsabilité, à moins qu'il n'apparaisse clairement que
l'affaire a été insuffisamment instruite.
Bien que la loi sur les organes des communes ne prévoie pas d'autres
sanctions que l'amende, le ministre rappelle que l'élu local qui s'est
rendu coupable d'un " manquement grave " peut être
déclaré inéligible. Par ailleurs, l'application de cette
loi n'exclut pas qu'un élu local soit sanctionné sur le fondement
d'un autre texte.
Le ministre justifie le fait que seule l'autorité de contrôle
puisse engager une action contre les élus locaux par la
nécessité de les protéger de plaintes infondées,
inconsistantes ou seulement dictées par des considérations
politiques. Le monopole dont dispose l'autorité de contrôle ne
l'empêche cependant pas d'agir à la demande d'un citoyen ou
d'autres élus locaux.
ESPAGNE
1) Le régime général des délits d'imprudence et de négligence
L'article 12 du code pénal énonce
:
"
Les actions ou omissions imprudentes seront punies seulement lorsque
la loi le prévoit expressément
".
Le code sanctionne notamment l'homicide, les coups et blessures, la
non-assistance à personne en danger, l'incendie et les atteintes
à l'environnement lorsqu'ils résultent d'une imprudence.
En règle générale, l'infraction qui résulte
d'une imprudence est sanctionnée
seulement en cas
d'" imprudence
grave "
,
et
la peine peut
être aggravée
lorsque l' " imprudence
grave " se double d'une " imprudence professionnelle ". Cette
hypothèse, prévue pour quatre infractions (homicide, avortement,
coups et blessures, ainsi que lésions sur un foetus), concerne
essentiellement le corps médical. Seuls l'homicide ainsi que les coups
et blessures sont également sanctionnés s'ils résultent
d'une " imprudence
légère ". Toutefois, le code
ne définit pas la notion d'imprudence.
2) La responsabilité pénale des personnes morales
Comme le
droit espagnol ignore la notion de responsabilité pénale des
personnes morales, l'article 31 du code pénal prévoit que le
représentant, de droit ou de fait, d'une personne morale répond
personnellement des infractions commises par l'entité qu'il
représente.
Plusieurs articles du code, notamment l'article 318, qui concerne les
infractions contre les droits des salariés, appliquent le principe
général posé par l'article 31.
3) La responsabilité pénale des élus locaux
Le
code pénal ne comporte aucune disposition spécifique aux
élus locaux.
En revanche,
la loi n° 7 du 2 avril 1985 sur les fondements
du régime local
énonce, à l'
article 78
,
les règles relatives à la mise en cause de la
responsabilité civile ou pénale des élus locaux.
L'alinéa premier dispose que les élus locaux répondent
civilement et pénalement des actes réalisés pendant
l'exercice de leurs fonctions, ainsi que de leurs omissions, et que leur
responsabilité est recherchée par les tribunaux
compétents, selon la procédure de droit commun.
L'alinéa 2 prévoit le cas où la responsabilité
n'est pas individuelle, mais collective : lorsque l'infraction
résulte d'une décision de la collectivité, seuls les
conseillers qui ont voté pour cette décision sont
considérés comme responsables.
Comme l'action publique peut être mise en mouvement par tout citoyen
(7(
*
))
, la responsabilité pénale d'un
élu local peut être mise en cause par un citoyen, victime ou non
des actes qu'il dénonce, par un autre élu local, ou par la
collectivité où il a été élu. Dans les deux
premiers cas, il suffit de saisir directement le tribunal compétent. En
revanche, dans le troisième, c'est l'assemblée
délibérante qui prend la décision d'entamer l'action en
justice.
En octobre 1998, une embarcation surchargée, à bord de laquelle
une centaine de touristes français avaient pris place, fit naufrage sur
le lac de Banyoles, en Catalogne. Vingt et une personnes périrent. Les
proches de plusieurs victimes ont porté plainte, notamment contre le
conseil municipal de la commune. Le juge chargé de l'affaire a
refusé d'inculper le maire, au motif que "
la personne qui
assumait la responsabilité de
l'application de la
réglementation relative à la navigation sur le lac était
le conseiller pour
l'environnement
". Ce dernier a
été mis en examen pour homicide par imprudence grave, ainsi que
pour coups et blessures par imprudence grave.
PORTUGAL
1) Le régime général des délits d'imprudence et de négligence
D'après
l'article 13 du code pénal
, la
négligence n'est punissable que dans les cas expressément
prévus par la loi.
L'article 15 du code pénal
définit comme négligence
le fait de "
ne pas procéder avec le soin auquel on est tenu et
dont on est capable
", la situation étant
appréciée en fonction des circonstances. De plus, l'article 15
distingue la négligence consciente de la négligence inconsciente.
En règle générale, le code pénal sanctionne la
seule négligence. Il le fait notamment pour les infractions
suivantes : homicides, coups et blessures, incendies, inondations,
atteintes à l'environnement. Dans quelques cas cependant, comme
l'homicide, il punit particulièrement sévèrement la
négligence " grave ".
2) La responsabilité pénale des personnes morales
L'article 11 du code pénal
, relatif au
caractère personnel de la responsabilité, rappelle que seules les
personnes physiques sont susceptibles d'engager leur responsabilité
pénale.
L'article 12
précise que celui qui agit de façon
volontaire comme le représentant d'une personne morale (voire d'une
simple association de fait) est punissable même lorsque
l'établissement de l'infraction exige des éléments
personnels déterminés et que ces derniers sont
réalisés chez celui qui est représenté.
Bien que les personnes morales ne soient pas responsables pénalement,
elles peuvent être sanctionnées pour les fautes commises par leurs
représentants.
En effet, comme le droit allemand, le droit
pénal portugais connaît, à côté des
infractions à caractère strictement pénal, les
" infractions administratives "
(
contra-ordenações
) qui sont sanctionnées par une
amende dépourvue de tout caractère pénal (
coima
et
non
multa
). Le texte qui régit les " infractions
administratives " prévoit que les personnes morales
répondent des
contra-ordenações
commises par leurs
organes représentatifs pendant l'exercice de leurs fonctions.
3) La responsabilité pénale des élus locaux
Le
code pénal ne comporte aucune disposition spécifique aux
élus locaux
. Les seules prescriptions d'ordre pénal qui les
visent expressément sont celles de la loi de 1987 relative aux
infractions propres aux titulaires de fonctions publiques ou de charges
électives (corruption, détournement de fonds...).
Par ailleurs, la loi du 30 juin 1987 portant statut des élus locaux
prévoit, à l'article 21, que les collectivités
territoriales doivent supporter les frais qui résultent des
procès où les élus locaux sont parties "
dans la
mesure où ces procès trouvent leur origine dans l'exercice de
leurs fonctions et où il n'y a eu ni dol ni négligence de la part
des élus
".
Dans les faits, il semble que le ministère public ait tendance à
classer les affaires où des collectivités publiques sont
impliquées, de sorte que,
jusqu'à maintenant, aucun élu
local n'a été mis en cause pour négligence.
Cependant,
cette pratique est de plus en plus contestée par les victimes et leurs
avocats. Ainsi, au début de l'année 1999, le ministère
public a classé le dossier Rúben Cunha, pour manque de preuves.
Dans cette affaire, un enfant de treize ans était mort
électrocuté à Lisbonne, au mois de juillet 1997,
après avoir appuyé sur le bouton commandant un feu de
signalisation. Les parents, qui avaient porté plainte notamment contre
le conseil municipal de Lisbonne, ont demandé la réouverture du
dossier.
(1)
La distinction entre infractions pénales et " infractions
administratives " s'établit en fonction de la sanction : aux
premières correspond une peine (qui peut être une amende), aux
secondes une amende non pénale. La plupart des infractions au code de la
route ne sont pas des infractions pénales, mais des " infractions
administratives ".
(2) Cette amende porte le nom de Geldbuße, contrairement à
l'amende pénale, qui est qualifiée de Geldstrafe (Strafe =
peine).
(3) De nombreuses lois ont établi des cas de responsabilité sans
faute. Dès lors, les actes ou omissions concernés sont
punissables quel que soit l'état d'esprit de l'intéressé.
Ainsi, une personne qui conduit sur la voie publique sans être
assurée engage sa responsabilité pénale.
(4) Ainsi, une collectivité a été condamnée en 1955
pour ne pas avoir pris toutes les précautions qui s'imposaient pour
empêcher un enfant qui rentrait de l'école de rejoindre la grande
route et de causer la mort d'un camionneur qui avait tenté
d'éviter l'enfant. Une autre l'a été en 1964 parce qu'une
fillette qui courait dans le couloir d'une école s'était
blessée en tentant de bloquer une porte battante.
(5) Dans l'ensemble de la loi, le mot " commune " est utilisé
pour désigner les communes et les comtés.
(6) Le ministre de l'Intérieur pour les comtés ainsi que pour les
deux communes de Frederiksberg et de Copenhague, un comité ad hoc
constitué au niveau du comté et composé de membres du
conseil de comté pour les autres communes.
(7) Ceci constitue l'application de l'article 125 de la Constitution qui
énonce : " Les citoyens pourront exercer l'action populaire
(...) ", cette disposition ayant été reprise par
l'article 101 du code de procédure pénale, selon
lequel : " L'action pénale est publique. Tous les citoyens
espagnols pourront l'exercer conformément aux dispositions de la
loi ".