ETATS-UNIS
Aux
Etats-Unis, l'euthanasie est illégale dans tous les Etats. Elle est
poursuivie sur le fondement de meurtre ou d'assassinat. Le suicide
médicalement assisté est sanctionné de la même
façon dans presque tous les Etats, mais, contrairement à
l'euthanasie, il se trouve au centre du débat dans une
société qui met l'accent sur l'autonomie de l'individu.
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I. LE CADRE JURIDIQUE
Les textes qui traitent des différentes formes d'euthanasie varient d'un Etat à l'autre, l'Etat fédéral n'intervenant dans ce domaine que par le biais des fonds fédéraux, dont il contrôle l'affectation.
1) Les lois pénales des Etats
Dans
tous les Etats, l'euthanasie constitue un homicide. Ainsi, le médecin
qui administre à son patient un produit mortel ou le lui fournit pour
que celui-ci se l'administre lui-même peut être poursuivi pour
meurtre ou assassinat, même s'il agit avec le consentement du malade et
même si celui-ci se trouve dans un état proche de la mort.
Par ailleurs, l'aide au suicide constitue une infraction dans presque tous les
Etats : trente-cinq Etats ont une loi qui incrimine
expressément l'aide au suicide et neuf autres Etats la condamnent en
application d'une jurisprudence constante, tandis que l'Oregon est le seul
à l'avoir récemment légalisée.
2) La loi de l'Oregon sur la mort dans la dignité
Elle
constitue
l'exception
au principe énoncé plus haut.
En novembre 1994, interrogés par référendum, 51 %
contre 49 % des habitants de l'Oregon ont approuvé une loi
autorisant le suicide médicalement assisté. Les opposants
à cette loi ont alors déposé un recours en justice, qui a
suspendu son entrée en vigueur jusqu'au début de l'année
1997, puis ont obtenu du Parlement de l'Etat qu'elle fût soumise à
un second référendum. En novembre 1997, les électeurs ont
choisi à une large majorité (60 % contre 40 % des voix)
de ne pas repousser cette loi, qui est entrée en vigueur
immédiatement.
Cette loi permet à "
un adulte capable (...), dont le
médecin traitant et un médecin consultant ont établi qu'il
souffrait d'une maladie en phase terminale (qui entraînera la mort dans
les six mois) et qui a volontairement exprimé son souhait de mourir, de
formuler une requête pour obtenir une médication afin de finir sa
vie d'une manière humaine et digne
". Un troisième
médecin spécialisé établit, si besoin est, que le
patient ne souffre pas de dépression en rapport avec sa maladie. Le
malade exprime son accord par une requête verbale,
réitérée dans un délai de quinze jours, puis par
une requête écrite. La rédaction de la prescription ne peut
se faire qu'après l'écoulement d'un délai d'au moins
quinze jours à compter de la première requête et de
quarante-huit heures à compter de la requête écrite. Le
texte prévoit que le médecin puisse bénéficier
d'immunités et se prévaloir d'une clause de conscience.
3) Les lois fédérales sur les fonds fédéraux
Deux
d'entre elles ont une influence directe sur la pratique de l'euthanasie et de
l'aide au suicide :
- l'
Assisted Suicide Funding Act
, adopté par le Congrès en
1997,
interdit que des fonds fédéraux servent au paiement de
biens ou de services en relation avec le suicide assisté, l'euthanasie
ou le meurtre par compassion
;
-
la loi sur l'autodétermination du patient,
adoptée par
le Congrès en novembre 1990, oblige les services médicaux
recevant des fonds fédéraux à informer le patient, au
moment de son admission, sur son droit à refuser un traitement et sur
les lois relatives au testament de vie et/ou au mandat de santé en
vigueur dans l'Etat, ainsi qu'à lui fournir des formulaires.
4) Les lois des Etats sur les instructions avancées
Tous
les Etats ont légiféré pour permettre au patient de
laisser des instructions quant aux décisions médicales qui
devraient être prises
(y compris l'arrêt de tout ce qui le
maintient en vie artificiellement)
s'il devenait incapable
. Il peut
s'agir d'instructions écrites, comme le
testament de fin de vie
,
ou de la désignation d'un
mandataire de santé
.
Les cinquante Etats, ainsi que le district de Columbia, prévoient une
forme ou une autre d'instruction anticipée : quarante-six Etats et
le district de Columbia autorisent les deux ; l'Alaska n'autorise que le
testament de vie ; le Massachusetts, le Michigan et l'Etat de New York
seulement le mandat de santé.
La faible utilisation de ces possibilités par les malades, malgré
l'incitation que constitue la loi fédérale sur
l'autodétermination du patient, a conduit environ la moitié des
Etats à adopter des dispositions permettant de
désigner
d'office un mandataire de santé
. Lorsque le patient ne l'a pas fait
lui-même et qu'il n'a pas émis un refus exprès
préalable, il est donc possible, en suivant des règles analogues
à celles des successions
ab intestat
, de désigner un
proche du malade comme mandataire de santé.
II. LA PRATIQUE ET LE DEBAT
1) L'euthanasie active
Elle est unanimement condamnée, mais elle n'occupe pas une place essentielle dans les discussions. En effet, conséquence de la crainte des Américains devant de possibles dérives de l'euthanasie et de la priorité donnée à l'autonomie du patient dans les décisions d'ordre médical, le débat s'est centré sur l'aide au suicide.
2) L'aide au suicide
Une
large majorité de parlementaires fédéraux et locaux est
opposée au suicide médicalement assisté, tout comme
l'administration Clinton.
Quant à l'Association médicale américaine, elle
considère que l'aide au suicide est en totale contradiction avec la
mission thérapeutique du médecin et qu'elle nuit gravement
à la relation entre le médecin et le malade.
Paradoxalement pourtant, les sondages indiquent que les Américains sont
majoritairement favorables au suicide médicalement assisté. Les
jurés sont également peu enclins à condamner une personne
qui en aide une autre à se suicider. Ainsi, le Docteur
Y. Kevorkian, connu comme le " docteur suicide " aux Etats-Unis,
et qui revendique avoir aidé à ce jour cent-vingt personnes
à se suicider n'avait jamais été condamné jusqu'au
mois de novembre 1998, alors même que tous les éléments de
l'infraction étaient établis.
Le 26 juin 1997, la Cour suprême américaine, dans les deux
affaires Washington v. Harold Glucksberg et Vacco, attorney general of New
York, v. Quill a jugé :
- qu'il n'y avait pas de droit constitutionnel à l'aide au suicide par
un médecin ;
- que les lois des Etats interdisant l'aide au suicide n'étaient pas
inconstitutionnelles (en vertu du quatorzième amendement, selon
lequel : "
aucun Etat (...) ne pourra priver une personne de sa
vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale
régulière
") ;
- que les Etats pouvaient choisir de légaliser ou non l'aide au suicide.
La majorité des juges siégeant à la Cour suprême a
laissé entendre que des recours ultérieurs de malades incurables
pourraient faire évoluer cette jurisprudence.
Les opposants au suicide médicalement assisté ont poursuivi leur
combat, et le sénateur républicain Don Nickles a
présenté au Congrès, cet automne, un texte qui permettrait
à la
Federal Drug Enforcement Administration
d'enquêter sur
l'intention d'un médecin qui prescrit une forte dose de
stupéfiants et d'interdire la prescription de certaines substances par
les médecins coupables d'avoir prescrit des stupéfiants pour
aider au suicide. Un vote pourrait avoir lieu début 1999.
Par ailleurs, le 4 novembre 1998, les électeurs du Michigan ont
rejeté par 71 % des voix contre 29 % une proposition tendant
à légaliser le suicide médicalement assisté, comme
cela s'était passé dans l'Etat de Washington en 1991 et en
Californie en 1992. Une loi interdisant l'aide au suicide est entrée en
application le 1
er
septembre 1998 dans l'Etat du Michigan.
* *
*
En Oregon, le seul des Etats à avoir légalisé le suicide médicalement assisté, d'après un rapport publié en août 1998, dix personnes ont obtenu une dose mortelle de médicaments en application de la loi, et huit d'entre elles l'ont utilisée. Les deux autres personnes sont mortes avant d'avoir pu s'en servir.
3) L'euthanasie indirecte
Bien que
certains Etats interdisent expressément d'administrer à des
patients des doses potentiellement mortelles de sédatifs en vue
d'atténuer la douleur, l'euthanasie indirecte était largement
pratiquée jusqu'à la fin de l'année 1997.
L'adoption de la loi sur le suicide médicalement assisté en
Oregon a provoqué de nombreuses réactions et de nombreuses
oppositions. Dès novembre 1997, la
Federal Drug Enforcement
Administration
a menacé les médecins prescripteurs de
sanctions pour violation de la loi fédérale sur les narcotiques,
obligeant ainsi le ministre fédéral de la Justice, Mme Janet
Reno, à déclarer en juin 1998 que les médecins qui
agissaient en conformité avec la loi en vigueur dans leur Etat ne
pouvaient être poursuivis. Les menaces de la
Federal Drug Enforcement
Administration
ont cependant conduit de nombreux médecins à
s'abstenir d'utiliser des antalgiques puissants comme la morphine. Ainsi, un
sondage réalisé en 1998 à New York montre que 71 %
des médecins reconnaissent ne pas prescrire d'antalgiques dans le
traitement du cancer dès lors qu'ils nécessitent un formulaire
particulier.
A contrario
, en Oregon, la loi sur la mort dans la dignité a
permis le développement des soins palliatifs et l'utilisation plus
systématique de la morphine. L'Oregon est venu se ranger en quelques
années dans les trois premiers Etats du pays utilisateurs de morphine
à des fins médicales.
4) L'euthanasie passive
a) Les malades capables de donner un consentement juridique valable
Le droit pour une personne capable de refuser un traitement médical et le droit à l'intégrité corporelle sont des droits constitutionnels établis depuis 1891 avec la jurisprudence Union Pacific Railroad co. v. Botsford.
b) Les malades incapables de donner leur consentement, mais qui ont laissé des instructions avancées
Tous les Etats ayant légalisé, sous une forme ou sous une autre, les instructions anticipées, ces malades se trouvent dans la même situation que ceux qui peuvent donner un consentement juridique valable.
c) Les malades incapables de donner leur consentement et qui n'ont pas laissé d'instructions avancées
L'arrêt du traitement est admis dans la mesure où la
volonté du patient peut être établie sans aucune
ambiguïté.
Ainsi, dans l'arrêt Re Quinlan, la Cour suprême du New Jersey
a, en 1976, autorisé l'arrêt de la ventilation artificielle d'une
jeune femme dans un état végétatif persistant, en
reconnaissant que le droit à la protection de la vie privée,
garanti par la constitution du New Jersey et par celle des Etats-Unis,
englobait le droit de refuser un traitement médical, même s'il en
résultait la mort. Elle a également autorisé son tuteur
à exprimer ce droit en ses lieu et place.
Dans l'arrêt Cruzan v. Missouri Department of Health, la Cour
suprême des Etats-Unis a, en 1990, considéré que Nancy
Cruzan, jeune femme dans un état végétatif persistant,
avait un droit constitutionnel au retrait de la nutrition et de l'hydratation
artificielles, mais qu'il fallait préalablement apporter la preuve
claire et convaincante de sa volonté. En effet, la protection de la vie
privée, garantie par le quatorzième amendement, assure à
chacun le droit de refuser une intervention médicale. Comme, par
ailleurs, la nutrition et l'hydratation artificielles constituent des moyens
thérapeutiques, le patient peut les refuser, au même titre que
n'importe quel traitement médical, dans la mesure où sa
volonté peut être établie sans ambiguïté.