IV. EXEMPLES D'APPLICATIONS CONCRÈTES : LES CAS DU CANNABIS ET DES SALLES DE CONSOMMATION À MOINDRE RISQUE (SALLES DE SHOOT)
1. La réglementation des salles de consommation de drogues à moindre risque au Danemark
L'existence de ces lieux met en exergue le souci du gouvernement danois de conduire une politique la plus cohérente et la plus efficace possible.
Ainsi, ayant à coeur la prévention de l'impact et des risques sanitaires, il fut proposé, contrairement à ce qui figurait dans le plan d'orientation de la politique publique sur les drogues « Kampen mod Narko » de 2003, réaffirmé dans le plan de 2010 « Kampen mod Narko II », de permettre la mise en place de « salles de shoot ». Une modification de la loi sur les substances euphorisantes est entrée en vigueur le 18 juin 2012, pour répondre à la forte mortalité liée à la consommation de drogues dans l'espace public, notamment l'héroïne (239 décès en 2008, 276 en 2009) et une population toxicomane passant de 28 000 en 2005 à 33 000 en 2009, croissance qui avait été endiguée avec les mesures prises en 2003.
Aussi la nouvelle loi sur les substances euphorisantes dispose-t-elle dans son article 3.B al. 1 que :
« Le ministre de la Santé et des personnes âgées peut, à la demande d'un conseil municipal, accorder des autorisations particulières concernant la mise en place et la gestion de salles de prise de substances ( stofindtagelsesrum) municipales ou dirigées par des institutions privées (dont la direction est au préalable négociée avec la municipalité) destinées aux personnes de plus de 18 ans dont la forte dépendance résulte d'une prise de substances euphorisantes inscrite dans la durée et persistante ».
L'article 3.B alinéa 2 octroie également un pouvoir au ministre afin qu'il « arrête des règles plus précises concernant les salles de shoot susnommées concernant notamment les conditions d'hygiène de l'environnement d'accueil, la surveillance par des personnels qualifiés, la prise de stupéfiants, les offres sanitaires et sociales et des comptes rendus (évaluations) ».
La prise de substances euphorisantes dans ces salles est dès lors très encadrée. Les usagers consomment sur place des substances qu'ils se sont eux-mêmes procurés hors-les-murs et ils les consomment seuls, le personnel ne pouvant en aucun cas les aider à prendre les dites substances.
Toutefois, le personnel invite régulièrement les usagers à participer à des formations concernant l'hygiène et la manière de procéder. Il est à noter que la majorité des usagers ne participe pas à ces formations, ayant pris l'habitude de consommer les produits dans la rue. Les personnes suivant ces formations précisent, tout de même, y avoir appris de nombreuses choses utiles.
Une étude d'impact 62 ( * ) a été menée par l'Institut des soins de l'École professionnelle de l'université de Copenhague (Institut for Sygepleje på Professionshøjskolen Metropol ) entre 2013 et 2015 dans les 5 salles existant durant cette période (3 à Copenhague, 1 à Aarhus et 1 à Odense). Il résulte des données collectées une baisse de la mortalité par surdose sur la période 2012-2014 ainsi qu'une légère hausse sur le plan national en 2015, toutefois hors de Copenhague et Aarhus.
Dès leur installation ces lieux ont été très fréquentés. Au moment de l'étude, on recense 6.175 utilisateurs répartis sur l'ensemble des salles. Ce chiffre est en constante augmentation.
Qui plus est, l'étude a permis de mettre en avant la prépondérance du travail social qui peut être effectué au sein de ces structures, afin de créer un lien avec les usagers, qui se sentent considérés comme des êtres humains et attachent beaucoup d'importance à l'interaction avec le personnel. La proximité immédiate des salles avec les centres d'hébergement et souvent de désintoxication permet également d'orienter les usagers vers les institutions adéquates.
En 2016, une modification 63 ( * ) de la loi sur les substances euphorisantes a été adoptée par le Parlement pour amender le processus de prise de substances. Désormais, dans les communes ayant décidé de le permettre, le personnel peut autoriser un usager dont l'état de manque empêche une prise de stupéfiant de manière sécurisée à être assisté par un tiers n'appartenant pas à la salle.
La circulaire sur les narcotiques du Ministère public indique qu'à l'intérieur et aux abords immédiats d'une salle de prise de substances, la possession pour un usage personnel de substances euphorisantes ayant été signalées aux services de police lors de l'ouverture de ladite salle, ne fait pas l'objet de poursuites ni de confiscation dans le cas d'un majeur fortement dépendant se rendant à la salle de prise de substance à des fins de consommation.
2. L'ouverture des salles de consommation de drogues à moindre risque dans un cadre juridique imprécis en Espagne
En Espagne, l'ouverture de salles de consommation à moindre risque, appelées également salles de consommation supervisée ou hygiénique, s'est réalisée dans un cadre juridique quelque peu imprécis.
Au niveau de l'État central, l'article 43 de la Constitution espagnole laisse ouverte la possibilité, de façon générale, de mettre en place de ces salles dans la mesure où il autorise la mise en place des mesures préventives et des services nécessaires pour la protection de la santé. Ces dispositions ont été reprises dans la loi générale de santé de 1986 64 ( * ) .
Cependant, c'est au niveau des communautés autonomes, compétentes en la matière, que la décision d'une ouverture de salle de ce genre est prise et nous devons nous à la réglementation adoptée par le cadre légal de la communauté en question.
La première salle de ce type en Espagne fut ouverte dans une banlieue marginalisée de la communauté de Madrid en 2000. Elle a été récemment fermée le 31 janvier 2011 à cause des contraintes budgétaires 65 ( * ) .
L'ouverture avait été décidée sur le fondement de la loi d'aménagement urbain de la communauté de Madrid de 1995, dans sa version modifiée de 1997 66 ( * ) . Pour autant, cette loi ne fait aucune mention des salles de consommation à moindre risque mais elle autorise, en son article 33, l'ouverture d'infrastructures de n'importe quel type, y compris des constructions et des installations précises, dès lors qu'elles sont justifiées par l'urgence par des raisons d'intérêt public exceptionnel. En l'espèce, cette clause de compétence générale fit l'objet d'une interprétation particulière en ce sens, en accord notamment avec le Plan national sur les drogues de l'époque.
Cette ouverture ne fut pas sans soulever quelques interrogations juridiques, notamment sur la question de la responsabilité engagée par la communauté autonome en cas de décès d'un usager dans une salle de consommation à moindre risque. Pour y remédier, la signature d'un document d'exonération de responsabilité de la salle est exigée à l'entrée.
3. L'ouverture de l'expérimentation du cannabis médical au Danemark
Au Danemark, la loi n° 1668 d'expérimentation du 26 décembre 2017 67 ( * ) concernant l'utilisation thérapeutique du cannabis dit médical, entrée en vigueur le 1 er janvier 2018, a ouvert une période d'essai du 1 er janvier 2018 au 31 décembre 2021 afin d'explorer les effets d'une légalisation du cannabis à usage médical.
Cette loi définit le cadre de l'importation ou de la production de produits issus du cannabis, à des fins médicales, conformément à la Convention sur les narcotiques de l'ONU. En revanche, cette loi ne concerne pas les produits pharmaceutiques contenant du cannabis qui sont, eux, régulés par les dispositions figurant dans la loi sur les médicaments.
Cet essai est motivé dans le décret de procédure thérapeutique utilisant du cannabis médical. Il est souligné que contrairement aux médicaments autorisés et bien que le cannabis médical fasse l'objet d'un nombre important de publications scientifiques, il n'existe pas d'essais cliniques suffisamment poussés permettant d'établir l'impact thérapeutique réel du traitement. Le cannabis médical est souvent mis en regard d'un placebo dans le cadre d'études restreintes et pratiquement jamais avec un produit actif. La mise en évidence de la possible efficacité et de la sûreté du traitement s'en trouve grandement limitée et ne permet pas aux médecins de déterminer la pertinence d'un traitement au cannabis sur de bonnes bases. Ce décret a donc pour objet de fixer un cadre sur lequel les médecins peuvent s'appuyer.
Il y est précisé que les médicaments autorisés les plus pertinents doivent avoir été essayés avant toute mise en place d'un traitement au cannabis médical, étant donné le peu d'informations disponibles à l'heure actuelle sur les effets et la sûreté du traitement.
4. La reconnaissance de la légalité des clubs de cannabis sous certaines conditions par la jurisprudence du Tribunal suprême espagnol
En Espagne, la jurisprudence du Tribunal suprême a accepté en 2015 la légalité des clubs de consommation partagée, dits aussi « clubs de cannabis » sous certaines conditions 68 ( * ) .
Il doit s'agir d'associations constituées pour éviter le recours au trafic illicite comme voie d'approvisionnement pour la consommation à titre personnel par des personnes majeures ayant déjà consommé du cannabis antérieurement à leur adhésion.
En outre, la consommation doit se réaliser dans un lieu privé et fermé afin d'éviter toute publicité ou contact avec les tiers.
Les associations constituées ne doivent pas dépasser un numéro déterminé de membres qui ne saurait excéder la trentaine.
Enfin, la quantité de drogue fournie ne doit pas dépasser la quantité nécessaire pour la consommation immédiate de sorte que la culture du cannabis par le groupe doit être limitée à la quantité prévisible qui sera consommé par le nombre réduit de membres de l'association.
* 62 Cf. l'article « Salles de prise de de substances et réduction des risques » (Stofindtagelsesrum og skadereduktion) paru dans la revue scientifique spécialisée danoise Stofbladet (revue sur la drogue). Disponible à l'adresse http://www.stofbladet.dk/6storage/586/51/stof27.47-55.pdf
http://www.stofbladet.dk/6storage/586/51/stof28.artikel_3.pdf
* 63 Voir décret sur les salles de prise de substances en annexe.
* 64 Ley 14/1986 de 25 de abril, General de Sanidad. https://www.boe.es/buscar/pdf/1986/BOE-A-1986-10499-consolidado.pdf
* 65 Cf. l'article « La ley regional del suelo permite construir la narcosala de Las Barranquillas sin pedir licencia » paru dans le journal El País le 7 janvier 2000.
https://elpais.com/diario/2000/01/07/madrid/947247856_850215.html.
* 66 Ley 9/2001, de 17 de julio, del Suelo, de la Comunidad de Madrid.
https://www.boe.es/buscar/pdf/2001/BOE-A-2001-18984-consolidado.pdf
* 67 Lov om forsøgsordning med medicinsk cannabis.
https://www.retsinformation.dk/Forms/R0710.aspx?id=196748
* 68 Arrêt du Tribunal suprême espagnol STS 3981/2015 du 7 septembre 2015.