III. L'ATTRIBUTION DE LA PERSONNALITÉ EN MATIÈRE PÉNALE DANS LE DROIT ESPAGNOL
Le droit pénal espagnol prend en considération la vie avant la naissance (3.1). La jurisprudence pénale a également eu l'occasion de déterminer le début de la prise en considération de la personne humaine (3.2). De manière annexe, un ensemble de délits assez récents interdit la manipulation génétique (3.3).
1. Les différentes étapes de la vie avant la naissance dans le droit espagnol
Afin de pouvoir caractériser le délit d'avortement, l'existence d'un objet matériel du délit est nécessaire, en l'espèce, l'existence d'un embryon.
Pour ce faire, la limite minimale pour la détermination de celui-ci est fixée par la doctrine au moment de la nidation de l'embryon dans l'utérus qui a lieu normalement environ 7 jours après la fécondation. C'est à partir de ce moment que le foetus nidifié dans le ventre de la mère constitue l'objet possible d'un délit d'avortement. Quant aux embryons fécondés in vitro mais pas encore implantés dans le corps de la mère, ils ne rentrent pas dans le champ d'application du délit d'avortement tel que prévu dans les articles 144 et ss. du code pénal espagnol.
Toutefois, une division plus précise de ces étapes est prévue par la loi espagnole 14/2007 du 3 juillet 2007 sur la recherche biomédicale 125 ( * ) . À cet égard, l'article 3 de cette loi donne, entre autres, les définitions de l'embryon, du pré-embryon et du foetus. Elle a repris notamment la définition du pré-embryon posée par la loi espagnole 14/2006, du 26 mai, sur les techniques de procréation médicalement assistée 126 ( * ) .
Selon la loi espagnole sur la recherche biomédicale, la phase de l'embryon s'étend du moment où l'ovocyte fécondé se trouve dans l'utérus d'une femme jusqu'à l'organogenèse. Cette phase s'achève selon la loi le 56 e jour à partir du moment de la fécondation. Vient ensuite la phase où l'on est en présence du foetus où l'embryon a déjà une apparence humaine. Cette phase commence selon la loi à partir du 57 e jour après la fécondation.
Avant ces deux moments de la gestation, on se situe selon la loi dans la phase du pré-embryon. Celui-ci est constitué par l'embryon créé in vitro et est formé par le groupe de cellules résultant de la division progressive de l'ovocyte depuis le moment de la fécondation jusqu'à 14 jours après.
2. Le début de la prise considération de la personne humaine dans le droit pénal espagnol
Cette prise en considération revêt toute son importance en cas de délits contre les personnes, afin de déterminer l'application des différents types de délits prévus par le code pénal et notamment pour la délimitation des délits d'homicide (arts. 138 à 142) et d'avortement (arts. 144 à 146) , mais aussi pour la délimitation des atteintes contre la personne (arts. 147 à 156) et des atteintes au foetus (arts. 157 et 158).
À cet égard, la doctrine et la jurisprudence pénales espagnoles soulignent le fait que le déclenchement de la prise en considération juridique de la personne repose davantage sur des critères de politique pénale que sur des critères d'ordre biologique, l'important étant non pas de déterminer le début de la vie mais le moment idoine à partir duquel le droit pénal doit intervenir pour la protection de l'enfant à naître et de la personne.
Pour la détermination de ce moment, le Tribunal suprême espagnol considère que « le début de l'accouchement met fin au stade foetal ». Ce moment « commence à partir de la période de dilatation et continue avec la période d'expulsion de l'enfant ». Or, à partir de ce moment « l'être humain déjà formé et dont la naissance a commencé se trouve être une personne et non plus un foetus » 127 ( * ) . C'est à partir de ce moment qu'un délit d'homicide peut être caractérisé.
Ces décisions se trouvent dans la continuation de la jurisprudence constitutionnelle espagnole issue notamment d'une décision de 1985 128 ( * ) qui indique que le début de l'accouchement marque le moment à partir duquel il n'y a pas de doute possible sur la conceptualisation de la personne qui jouit dès lors de toute l'effectivité du droit fondamental à la vie (art. 15 de la Constitution) et du droit constitutionnellement garanti à l'intégrité physique et à la santé (art. 43 de la Constitution).
Cette même décision établit une différence entre la vie et la vie de l'être à naître, qui forment deux biens juridiques distincts 129 ( * ) .
3. L'interdiction pénale de la manipulation génétique en Espagne
Le nouveau code pénal espagnol de 1995 introduisit pour la première fois de nouvelles figures délictuelles relatives à la manipulation génétique dans les articles 159 à 162. Plus particulièrement sont interdits :
- la manipulation de gènes humains à d'autres fins que celles de l'élimination de tares génétiques ou de maladies graves ;
- l'utilisation d'ingénierie génétique afin de construire des armes biologiques ou d'éliminer l'espèce humaine ;
- la fécondation d'ovules à d'autres fins que la procréation humaine ;
- la création d'êtres humains identiques par clonage ou de procédés visant la sélection de la race ;
- la fécondation d'une femme sans son consentement ;
- l'altération du génotype par faute grave.
La question se pose de savoir quel est le bien juridique protégé par les articles sous cette rubrique vu l'hétérogénéité des pratiques prohibées. Il s'agirait semble-t-il de la protection de la dignité humaine abstraitement caractérisée ainsi que de l'identité génétique de l'espèce humaine. Les perspectives d'application de ces articles étant réduites, l'intervention pénale dans le domaine revêt principalement un caractère symbolique.
En tout état de cause, vu le principe d'intervention minimale et de dernier recours du droit pénal, la régulation des questions génétiques revêt un caractère extra-pénal. C'est dans la loi 14/2007 de recherche biomédicale et surtout dans la loi 14/2006 « de techniques de reproduction humaine assisté » qui encadrent ces pratiques.
* 125 Ley 14/2007, de 3 de julio, de Investigación biomédica .
* 126 Ley 14/2006, de 26 de mayo, sobre técnicas de reproducción humana asistida.
* 127 Cette jurisprudence date de 1999 pour la caractérisation des atteintes à la personne. Cf. Tribunal suprême espagnol. Décision STS 241/1999 du 22 janvier 1999. Le même critère du début de l'accouchement a été suivi postérieurement pour la qualification de l'homicide. Cf. Tribunal suprême espagnol. Décision STS 9375/2001 du 29 novembre 2001 .
* 128 Décision du Tribunal constitutionnel espagnol TC 53/1985, du 11 avril.
* 129 La notion de bien juridique (bien jurídico) reprend la notion juridique de Rechtsgut conceptualisée pour la première fois par le juriste allemand Birnbaum au milieu du XIX e siècle. Cette notion fait référence aux valeurs ou aux objets abstraits protégées par les normes juridiques, particulièrement celles de nature pénale. La doctrine et la jurisprudence espagnoles utilisent cette notion pour la justification de l'existence de ces normes et, parfois, pour expliciter ou délimiter l'application de normes similaires.