IV. LE MODÈLE DES CADETS

Le cas des organisations de jeunes cadets (Youth Cadet Corps) dans les États successeurs de l'Empire britannique mérite toutefois une attention spéciale puisqu'il s'agit d'une forme d'engagement volontaire mixte : les jeunes généralement mineurs sont sous statut civil et participent à des actions civiques bénévoles, mais reçoivent aussi une instruction dans un cadre militaire sous la responsabilité du ministère de la Défense. Le terme de cadet est ambivalent : on ne traitera pas des commissioned officer cadets , ces élèves d'écoles militaires, qui reçoivent une formation militaire les destinant à devenir officiers et qui doivent en principe s'enrôler. Sans négliger les exemples potentiels de l'Inde, de Singapour, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, on se concentrera sur les cas du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni.

Issues d'écoles militaires fondées à partir de 1862, les organisations de cadets du Canada 29 ( * ) sont régies par la loi sur la Défense nationale (art. 46 L.R.C. 1985, ch. N-5) : le ministre de la Défense canadien peut autoriser la constitution d'organisations de cadets, placées sous l'autorité et la surveillance des Forces armées ; il a la faculté de fixer les périodes d'instructions, les conditions auxquelles matériel et logement sont fournis, et les modes d'administration des organisations ; il désigne les officiers qui en exercent le commandement. Il est expressément prévu par la loi que les cadets, âgés de 12 à 18 ans, ne font pas partie des Forces armées canadiennes 30 ( * ) . Il ne pèse sur eux aucune obligation de s'engager ou d'effectuer des années de service à l'issue.

Le programme est ouvert aux jeunes résidents autorisés au Canada, notion qui recouvre les citoyens canadiens, les immigrants admis et les personnes à charge d'un résident légal temporaire aux fins d'études ou d'emploi. Le commandant de l'unité d'accueil doit approuver chaque demande d'admission. Il rassemblait en 2015 environ 54 000 jeunes au sein de 1 111 corps (armée de terre et marine) ou escadrons (armée de l'air), dont presque la moitié pour les seuls Cadets de l'Air. Depuis le début des années 1990, les effectifs ont décru d'environ 10 % mais se sont stabilisés au-dessus de 50 000 jeunes, quelles que soient les fluctuations annuelles, ce qui représente environ 1,8 % d'une classe d'âge. Les filles, admises depuis 1975, comptent pour plus de 30 % du total.

Les objectifs affichés par le programme sont de développer chez les jeunes les capacités de décision (leadership) , la confiance en soi et l'esprit de civisme, d'améliorer la condition physique et de susciter l'intérêt des jeunes pour les activités des Forces armées. Les cadets consacrent un soir par semaine et certains week-ends aux activités de leurs unités de septembre à juin. La formation est divisée en un bloc commun (histoire militaire canadienne, exercices militaires, entraînement physique, activités civiques et bénévolat, instruction au leadership et travail en équipe) et des modules spécialisés selon l'Arme 31 ( * ) . En outre, une instruction d'été est offerte à environ 20 000 cadets sélectionnés sur leur assiduité, leur comportement, leurs résultats scolaires et les qualités dont ils ont fait preuve au cours du programme annuel. Les participants reçoivent une prime ou une allocation hebdomadaire pour couvrir leurs dépenses personnelles.

L'encadrement du programme des Cadets est assuré par des officiers et des sous-officiers relevant du Service d'administration et d'instruction des organisations de cadets (SAIOC), qui fait partie de la Réserve. Les 7 800 militaires canadiens concernés sont sélectionnés, formés et rémunérés jusqu'à 25 jours de solde par an.

Entre 2008 et 2011, le ministère canadien de la Défense et les forces armées a consacré 238,9 millions $CAN (162,2 millions €) par an pour le financement des Cadets, soit une dépense de 4 800 $CAN par jeune, en augmentation de 40 % depuis 1992 . Si l'on intégrait les contributions des Ligues de cadets, qui sont des associations civiles de soutien, ainsi que les dons des familles, le coût total dépasserait 5 000 $CAN (3 394 €) par jeune 32 ( * ) .

Le rapport d'évaluation des Cadets, publié en février 2013 est toutefois assez critique sur le programme, ses effets sur les jeunes, sur la formation des officiers d'encadrement, son coût et la répartition entre les postes de dépenses, sur l'instruction avancée d'été et sur la structure de gouvernance. Il propose de réorienter les dépenses vers les activités au niveau le plus local, de rationaliser le programme d'été en réduisant au minimum l'instruction avancée au niveau régional et national, de recourir davantage au bénévolat, de simplifier la répartition des responsabilités et d'envisager la création d'une ONG à but non lucratif bénéficiant d'un mandat du ministère pour administrer le programme.

Les États-Unis connaissent également des programmes fédéraux analogues à celui des Cadets, mais avec la particularité d'être intégrés à la vie scolaire . Le plus important d'entre eux est le Junior Reserve Officer Training Corps (JROTC) . Depuis le National Defense Act de 1916, les lycées pouvaient créer des unités d'instruction mixte avec un entraînement militaire en bénéficiant du prêt d'équipement militaire fédéral et de l'affectation de personnel militaire comme instructeurs. Cette première étape ne concernait que l'Armée de terre. En 1964, le Vitalization Act a ouvert cette possibilité aux autres armes et a favorisé le remplacement comme instructeurs des soldats en service actif par des officiers en retraite.

Aux termes des dispositions légales en vigueur (10 U.S. Code §§2031-2032) , il est fait obligation à chaque département de l'armée (Army, Navy, Air Force, Marines, Coast Guards) de constituer des unités de JROTC dans les établissements secondaires et publics qui en font la demande et qui remplissent les critères pertinents :

- un nombre suffisamment important d'élèves (en général 100) de plus de 14 ans en bonne condition physique, citoyens américains ou bénéficiant d'un permis de résidence permanent ;

- des installations nécessaires pour l'entreposage d'armes et d'équipements militaires ;

- la proximité immédiate de zones d'entraînement de plein air ;

- un engagement de constituer un cursus d'une durée minimale de 3 ans ;

- une sélection des élèves du programme sur la base de leurs résultats scolaires et de leur comportement.

Le but affiché est d'instiller aux lycéens américains les valeurs de citoyenneté, de service envers la Nation et de responsabilité personnelle. Les textes réglementaires (Code of Federal Regulations, Title 32, Part 542) précisent pour le cas de l'Armée de terre que le programme de JRTCC vise le développement du civisme et du patriotisme, de l'autonomie, du leadership et du respect des autorités constituées, ainsi que des capacités de communication écrite et orale. Il doit amener les jeunes à apprécier l'importance de la condition physique, le respect pour le rôle de l'Armée de terre dans la poursuite des objectifs nationaux des États-Unis, et une connaissance des compétences militaires de base. Sans constituer un programme de formation d'officiers et sans entraîner d'obligation d'effectuer un service militaire à son issue, il doit susciter une attitude favorable envers l'engagement militaire . Les jeunes qui ont participé à un JROTC peuvent bénéficier de primes lorsqu'ils s'engagent ou lorsqu'ils entrent dans la Réserve.

La réglementation propre au JROTC de la Navy précise que le programme comporte chaque semaine trois périodes d'instruction en classe sur la science navale civile et militaire et deux périodes d'entraînement. Sur une année, cela représente 72 heures d'instruction en classe et 48 heures d'entraînement militaire et physique.

Le programme des JROTC compte environ 280 000 jeunes répartis dans 1 645 lycées. Il ne s'étend plus en raison de son coût budgétaire, notamment pour les districts scolaires locaux. Les coûts sont en effet partagés entre les districts scolaires et l'armée par subvention du budget fédéral pour un montant gravitant autour de 300 millions $US , soit approximativement 250 millions €, mais avec des fluctuations importantes selon les années. Le gouvernement fédéral participe au financement des salaires des instructeurs, des uniformes, des équipements et des manuels.

Depuis 1948 existe également au Royaume-Uni un programme de jeunes élèves soutenu financièrement par le ministère de la Défense, la Combined Cadet Force (CCF) 33 ( * ) . Rassemblant approximativement 43 000 cadets de 13 à 18 ans répartis dans des sections installées dans les écoles secondaires , la CCF est gérée par le ministère avec l'appui d'une fondation d'utilité publique (national charity) . De même qu'au Canada et aux États-Unis, les jeunes ne font pas partie des forces armées et n'ont pas d'obligation de service subséquente, même si le programme cherche aussi à nourrir l'intérêt des jeunes pour les forces armées et les encourager à devenir officiers par la suite. Le budget consacré était approximativement en 2014 de 26 millions £ (29,2 millions €) pour soutenir 260 écoles secondaires, dont un quart dans le secteur public. Le gouvernement Cameron a lancé un mouvement d'expansion du programme en constituant 100 nouvelles sections de cadets dans les écoles publiques en 2015. Un effort supplémentaire de 50 millions £ est budgété pour parvenir à l'objectif de 500 unités de cadets en 2020.


* 29 On ne développera pas l'autre programme beaucoup plus restreint des Rangers juniors canadiens ciblant surtout les jeunes issus de communautés traditionnelles isolées du Grand Nord.

* 30 À partir de 19 ans, les anciens cadets peuvent devenir bénévoles civils, instructeurs civils ou officiers du Cadre des instructeurs de Cadets.

* 31 Armée de terre : utilisation des cartes et du GPS, course d'orientation, secourisme, survie, canotage, descente en rappel, randonnée et vélo de montagne ; Marine : navigation à voile, matelotage, vie à bord des navires, transmissions navales, réparation de bateaux, mécanique navale ; Armée de l'air : vol à voile, vol à moteur, maintenance des aéronefs, navigation, aérospatiale.

* 32 Chef -Service d'examen, Évaluation des organisations de Cadets du Canada, février 2013.

* 33 Ce programme prend le relais et fusionne d'autres initiatives remontant à 1859 et constituées d'unités de volontaires bénéficiant d'une instruction militaire de base dans les écoles.

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