ESPAGNE
Le régime juridique applicable au culte musulman actuellement en vigueur en Espagne résulte principalement de la loi organique n° 7 du 5 juillet 1980 sur la liberté religieuse et de la loi n° 26 du 10 novembre 1992, approuvant l'accord de coopération de l'État et de la commission islamique d'Espagne (Comisión islamica de España) , qui y est annexé.
L'article 5 de la loi organique précitée dispose que les Églises, confessions et communautés (confesiones y comunidades) religieuses ont la personnalité juridique à compter de leur inscription dans un registre public tenu par le ministère de la Justice. Pour obtenir cette inscription, elles doivent déposer une demande qui fait notamment état de leur fondation ou de leur établissement en Espagne. L'article 7 du même texte prévoit, quant à lui, que l'État peut conclure des accords avec les entités inscrites dans ce registre lorsque par l'étendue (ambito) et le nombre des croyants elles ont atteint un enracinement notoire (notorio arraigo) dans le pays. La conclusion d'un tel accord permet à l'entité concernée d'être soumise au régime fiscal applicable aux organisations dépourvues de but lucratif et aux organismes de bienfaisance.
La loi n° 26 du 10 novembre 1992, approuvant l'accord de coopération de l'État et de la commission islamique d'Espagne, fixe les règles générales applicables à ce culte telles que le statut des imams, leur « agrément » (conformidad) par la Commission islamique d'Espagne, les conditions de leur rattachement au régime général de sécurité sociale, la fiscalité des biens, ainsi que le régime applicable au « Halal ».
On examinera successivement, lorsqu'elles existent, les règles relatives :
- au régime applicable au financement ;
- et les règles encadrant l'abattage rituel.
1. Le régime applicable au financement
L'article 11 de l'accord approuvé par la loi n° 26 de 1992 modifiée dispose que la commission islamique d'Espagne (Comisión islamica de España) et les communautés qui en font partie peuvent collecter librement auprès de leurs membres des contributions (prestaciones) , organiser des collectes publiques et recevoir des offrandes (ofrendas) et des libéralités (liberalidades de uso) . L'article précise en outre les diverses exemptions fiscales dont bénéficient tant la commission islamique d'Espagne que les communautés qui la composent.
La recherche n'a pas permis de mettre en évidence de dispositions législatives ou réglementaires spécifiques concernant les financements étrangers.
La presse s'est faite l'écho du financement de mosquées par des pays étrangers : à Fuengirola, Málaga, Marbella et Madrid, où la mosquée M-30 aurait bénéficié de fonds de l'Arabie Saoudite 3 ( * ) , ainsi qu'à Reus et Torredembarra, en Catalogne, par des fonds du Koweït 4 ( * ) . La majorité des plus de 1 200 mosquées espagnoles auraient cependant été autofinancées 5 ( * ) . Au moins deux autres constructions étaient également projetées en 2014 et en 2015 : l'une à Barcelone, financée par le Qatar 6 ( * ) , et l'autre à Badalona, par le Maroc 7 ( * ) .
La recherche n'a pas permis de connaître les montants mobilisés pour financer ces opérations.
Le journal El Pais a publié, en juillet 2011, des extraits d'un rapport des services de renseignement espagnols consacré à certains flux de financement étrangers. Le texte de la traduction de ce document figure dans l'encadré ci-après.
« Les services secrets espagnols (Centro Nacional de Inteligencia) alertent sur le fait que six pays musulmans financent l'islamisme » - Traduction non officielle d'un article d'Ignacio Sembrero 8 ( * ) publié par El País , juillet 2011 - « Six pays musulmans subventionnent les communautés islamiques d'Espagne, parfois avec l'objectif de les contrôler, et presque toujours avec peu de discernement. Les fonds qu'ils envoient tombent fréquemment dans les mains d'organisations radicales ou d'individus sans scrupules. Un rapport secret envoyé le 16 mai [2011] par le service espagnol de renseignement (Centro national de inteligencia, CNI) [...] aux ministres des Affaires étrangères, de l'Intérieur et de la Défense, analyse avec préoccupation le financement et les aides que versent l'Arabie Saoudite, le Koweït, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, la Libye, et surtout le Maroc, aux musulmans en Espagne, qui sont désormais 1,2 million. "Les conséquences du financement débouchent sur des attitudes négatives pour la vie en commun, comme l'apparition de ghettos et de sociétés parallèles, tribunaux et polices islamiques aux marges de la légalité en vigueur, déscolarisation de fillettes, mariages forcés, etc.", indique le document du CNI auquel ce journal a eu accès. "Il n'existe pas de contrôle suffisant des flux financiers que supposent les dons et les aides que l'on verse à la communauté islamique d'Espagne depuis d'autres pays (...)", indique le principal service secret espagnol. "Il est nécessaire que les pays donateurs soient pleinement conscients des risques qu'entraîne le financement de demandes individuelles". Pour essayer d'en faire prendre conscience à ces pays, deux hauts fonctionnaires des ministères des Affaires extérieures et de la Justice [...] ont effectué, début juin [2011] , un tour dans trois pays du Golfe persique (Koweït, Émirats et Oman) et, après le ramadan, [...] projettent un voyage en Arabie Saoudite et au Qatar. Précédemment, le secrétaire d'État à la Justice [...] , accompagné d'une importante délégation de fonctionnaires des ministères des Affaires étrangères, de la Justice et de l'Intérieur, avait convoqué au Palais de Parcén les ambassadeurs du Golfe, auxquels il demanda leur collaboration pour mettre de l'ordre dans le financement de l'Islam en Espagne. "Tous se sont montrés réceptifs", a assuré [...] le directeur de la fondation Pluralisme et Vie ensemble, qui assista à la rencontre. Au cours de cette réunion [...] , il leur a été remis une brochure intitulée "Le système de canalisation des fonds pour l'appui aux projets des communautés islamiques en Espagne", dans laquelle les autorités espagnoles expliquent en trois langues (espagnol, anglais et arabe) comment elles souhaiteraient que l'on canalise l'envoi des fonds du Golfe. Bahreïn est le seul pays qui n'a jamais versé de dons. Le Gouvernement veut que les riches monarchies pétrolières financent les projets présentés par les communautés musulmanes à la Commission islamique d'Espagne (CIE), l'interlocuteur officiel qui est en pleine transformation afin d'être plus représentatif. Seules les demandes approuvées par cette commission seraient susceptibles d'être financées par le Golfe. L'intention du Gouvernement est cependant d'en finir, à moyen terme, avec l'ingérence étrangère. "le droit et la gestion de la liberté religieuse des Espagnols, quelles que soient leurs croyances, ne peuvent être soumis à aucun pays étranger", signalait un rapport conjoint des ministères de la Justice et de l'Intérieur élaboré en 2009 "(...) la vie quotidienne des communautés et leur financement doivent résulter d'une politique espagnole spécifique et ne pas permettre les ingérences, bien qu'il puisse y avoir une période de transition". Dans l'opuscule remis aux ambassadeurs, on insiste sur le fait que, outre l'aide directe aux communautés musulmanes, il serait bon de financer, par exemple, une licence en sciences religieuses, la formation du clergé, des manuels de religion rédigés en Espagne, des guides de gestion des services publics pour les musulmans, la rétribution du personnel religieux, des initiatives pour la normalisation de l'Islam dans la presse, etc. Outre les subventions, les pays du Golfe inondent les mosquées d'opuscules qui irritent les autorités espagnoles : "l'Europe d'aujourd'hui continue de considérer la race blanche comme supérieure aux races de couleur", souligne une monographie en castillan publiée par le ministère des Affaires islamiques du Qatar sous le titre "Mohamed, le prophète idéal". "L'Europe, avec toutes ses prétentions à éclairer et diriger (...), continue à être à la traîne de l'Islam", ajoute-t-il. Durant la réunion avec les ambassadeurs, [le secrétaire d'État à la Justice] n'a pointé aucun pays du doigt, mais dans le rapport du CNI, le moins bien traité est le Koweït. Par l'intermédiaire de la Société pour la renaissance de l'héritage islamique (RIHS, selon son acronyme anglais), il a financé la construction des mosquées de Reus et Torre dem Barra (Catalogne) à partir desquelles est diffusée une interprétation religieuse contraire à l'intégration dans la société espagnole en encourageant la séparation et la haine vis-à-vis des entités non musulmanes. La RIHS du Koweït fut inscrite en 2008 par le département du Trésor des États-Unis et, plus tard, par les Nations Unies, sur la liste des organisations ayant financé des groupes affiliés à Al-Qaïda. Le "principal bénéficiaire" de ses aides et gestionnaire de l'argent saoudien en Espagne est, selon le service secret, [un] salafiste hollandais d'origine marocaine [...] . À moyen terme, la RIHS projette d'ouvrir une agence en Espagne. Le Qatar, en revanche, tend à donner à la ligue islamique pour le dialogue et la vie en commun en Espagne "liée aux Frères musulmans" de Syrie, selon le CNI, qui contrôlent, par exemple, le Centre culturel islamique catalan. En revanche, Sharja, qui appartient aux Émirats Arabes Unis, a une préférence pour les convertis espagnols regroupés dans Al Morabitun , auxquels il a payé la mosquée Albaicín de Grenade, et se montre disposé à en offrir une autre à Séville. Le leader libyen Mohamar Kadhafi a aussi montré, quand il disposait encore ( cuando aún ) de moyens, une prédilection pour les convertis espagnols regroupés dans la Junta islámica de España . Selon le CNI, il a établi une "relation personnelle" avec son président, le psychiatre établi à Cordoue, mort en octobre dernier [...], qui adopta le nom arabe de Mansour. Le service secret rend compte, dans son rapport, de quelques opérations ponctuelles de financement, comme les 300 000 euros que paya le Qatar pour rénover le centre culturel islamique catalan, mais ne donne pas de chiffres globaux "On utilise en majeure partie des canaux alternatifs pour faire parvenir ces dons qui échappent aux contrôles des régulateurs du système financier espagnol", signale-t-il. Il va sans dire que le pays le plus généreux est l'Arabie Saoudite. Aux dons directs de la famille royale s'ajoutent ceux de son ambassade à Madrid, et d'une infinité d'associations de bienfaisance plus ou moins officielles. La ribambelle de mosquées et de centres qui reçoivent ces aides "ne se caractérisent pas par leur niveau élevé de radicalisme", selon le CNI, bien que leur "soumission" aux directives saoudiennes soit totale. Non seulement les radicaux profitent de la générosité du Golfe, mais aussi des individus qui s'attribuent une "représentativité illégitime", arrivant même à "s'approprier indûment les fonds obtenus", avertit le CNI. C'est pourquoi certains voyages dans la zone pour recueillir des subventions "se font dans le secret le plus absolu et sans qu'ils soient connus" de la communauté islamique au nom de laquelle elles sont demandées. Si elles sont obtenues, elles ne servent pas toujours au but déclaré pour lequel elles ont été sollicitées ». |
2. Les règles encadrant l'abattage rituel
Le paragraphe 3 de l'article 6 de la loi n° 32 du 7 novembre 2007 relative à la protection, à l'exploitation, au transport, à l'expérimentation et à l'abattage des animaux dispose que si l'abattage s'effectue selon les rites propres à un culte inscrit au registre des entités religieuses, dont les prescriptions ne sont pas compatibles avec les dispositions de la loi relative à l'étourdissement des animaux, les autorités compétentes n'exigeront pas le respect de ces dispositions, sous réserve que ces pratiques ne dépassent pas les limites posées par l'article 3 de la loi organique n°7 du 5 juillet 1980 sur la liberté religieuse, en matière d'ordre public (protection de la sécurité, de la santé et de la moralité publiques).
Le texte précise en outre :
- qu'un vétérinaire officiel supervisera l'abattage rituel ;
- et que l'abattoir devra communiquer à l'autorité compétente qu'il entend réaliser ce type d'abattage afin d'être enregistré à cet effet, sans préjudice des autorisations nécessaires au titre du droit communautaire.
L'article 14 de l'accord annexé à la loi n° 26 du 10 novembre 1992 modifiée fixe les règles applicables à la dénomination « Halal », et dispose qu'« en accord avec la dimension spirituelle et avec les particularités spécifiques de la loi islamique, la dénomination `'Halal'' sert pour distinguer les produits alimentaires élaborés conformément à celle-ci ».
En ce qui concerne l'abattage rituel, le même texte prévoit que « L'abattage (sacrificio) d'animaux réalisé conformément aux lois islamiques devra respecter les normes sanitaires en vigueur ».
L'Observatoire du pluralisme religieux en Espagne a publié un Guide pour la gestion publique de la diversité religieuse en matière d'alimentation qui décrit les règles applicables en la matière et indique qu'un organisme de certification « Halal » permet d'apposer sur les produits une marque de garantie « Garantia Halal de Junta Islamica » 9 ( * ) .
* 3 http://politica.elpais.com/politica/2014/12/23/actualidad/1419358835_747124.html , http://www.abc.es/internacional/20131009/abci-arabia-mezquitas-201310081300.html et
http://www.elconfidencial.com/mundo/2015-01-17/quien-paga-las-mezquitas-las-finanzas-del-islam-en-europa_623113/
* 4 http://politica.elpais.com/politica/2011/07/31/actualidad/1312140952_655494.html
* 5 http://www.elconfidencial.com/mundo/2015-01-17/quien-paga-las-mezquitas-las-finanzas-del-islam-en-europa_623113/
* 6 http://www.elmundo.es/cataluna/2014/06/25/53aa08e2ca4741ae2e8b45a1.html
* 7 http://www.abc.es/espana/20150424/abci-mezquita-auge-salafista-barcelona-201504241253.html
* 8 Source : « El CNI alerta de que seis países musulmanes financian al islamismo » (http://politica.elpais.com/politica/2011/07/31/actualidad/1312140952_655494.html).
* 9 Observatorio del pluralismo religioso en España , Guía de apoyo a la gestión pública de la diversidad religiosa en el ámbito de la alimentación , sans date, p. 16.