SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (Janvier 2004)
ESPAGNE
Le titre
VI de la
Constitution,
« Du pouvoir judiciaire »,
comprend plusieurs articles relatifs à la responsabilité
disciplinaire des magistrats. L'article 117 garantit leur indépendance
ainsi que leur inamovibilité, et précise que toute mesure de
déplacement ou de suspension doit être prise conformément
à la loi. L'article 122 fait du
Conseil général du
pouvoir judiciaire
l'organe d'autogestion de la magistrature et
prévoit que le régime disciplinaire des juges doit être
régi par la loi. L'article 127 laisse au législateur le soin de
définir le régime des incompatibilités et des associations
professionnelles des magistrats.
|
1) Les devoirs et les obligations des magistrats
a) Les sources
Outre la
Constitution, le principal texte qui détermine les droits et les
obligations des magistrats est
la loi organique du
1
er
juillet 1985 relative au pouvoir judiciaire
, plusieurs
fois modifiée depuis son entrée en vigueur.
En effet, ce texte énonce le serment prononcé lors de
l'entrée dans la magistrature, établit le régime des
incompatibilités politiques et professionnelles des magistrats, et
énumère leurs fautes disciplinaires.
Le serment est le suivant : «
Je jure de respecter et de
faire respecter fidèlement et en toutes circonstances la Constitution
ainsi que les autres normes
juridiques, de me comporter loyalement
envers la Couronne, d'administrer la justice avec droiture et
impartialité, et de remplir mes fonctions judiciaires à
l'égard de tous. »
Les fonctions de magistrat sont incompatibles avec tout mandat électif,
national ou local. De plus, une modification de la loi organique de 1985
adoptée en 1997 empêche les magistrats qui ont exercé un
mandat électif de reprendre leurs fonctions avant un délai de
trois ans. Les magistrats ne peuvent pas non plus adhérer à un
parti politique ou à un syndicat.
Par ailleurs, les magistrats ne peuvent pas exercer d'activités
professionnelles annexes rémunérées ou commerciales, les
seules exceptions étant l'enseignement du droit, la recherche juridique,
ainsi que la création littéraire, artistique, scientifique ou
technique.
La loi organique du 1
er
juillet 1985 relative au pouvoir judiciaire
ne comprend aucune définition des devoirs des magistrats, mais une
énumération limitative des fautes.
b) Les fautes disciplinaires
Elles
sont définies aux articles 417, 418 et 419 de la loi organique de 1985
et sont classées en trois catégories : les fautes
très graves, les fautes graves et les fautes légères.
Les fautes très graves
- la loi en définit
quatorze - sont notamment le manquement volontaire au devoir de
fidélité à la Constitution, l'adhésion à un
parti politique ou à un syndicat, le fait de provoquer, pour des motifs
étrangers à la fonction judiciaire, des affrontements
répétés et graves avec les autorités de la
circonscription, l'absence injustifiée de plus de sept jours, l'abus
d'autorité visant à obtenir un traitement favorable de la part
d'une administration ou d'un particulier, et le manquement au devoir de
réserve lorsqu'il porte préjudice à un tiers.
Les fautes graves
- la loi en définit quinze -
sont notamment le manque de respect envers les supérieurs, l'absence
injustifiée de plus de trois jours, l'abus d'autorité et le
manquement au devoir de réserve lorsqu'ils ne constituent pas des fautes
très graves.
Les fautes légères
- la loi en définit
cinq - sont notamment le non-respect des délais prescrits et
l'absence injustifiée de plus d'un jour.
2) La procédure disciplinaire
a) Le déclenchement de la procédure
La
procédure peut être déclenchée par :
- le ministère public, que la loi organique de 1985 charge
notamment de veiller à l'indépendance des tribunaux et à
la recherche de l'intérêt général ;
- les organes de direction des tribunaux, qui réunissent les
présidents des tribunaux, ceux des différentes chambres des
mêmes tribunaux, ainsi que des magistrats élus ;
- la commission de discipline du Conseil général du
pouvoir
judiciaire, agissant de sa propre initiative, sur demande
motivée d'un autre organisme administratif, voire après
dénonciation d'un particulier.
b) L'instance disciplinaire
L'instance disciplinaire dépend de la gravité de la
faute.
Pour les
fautes très graves
, c'est
l'assemblée
plénière du Conseil général du pouvoir
judiciaire.
Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire est présidé par
le président du Tribunal suprême et rassemble vingt membres. Tous
sont nommés par le Roi sur proposition du ministre de la Justice
après avoir été choisis par le Parlement :
- chaque assemblée élit, à la majorité des
trois cinquièmes de ses membres, six membres parmi les magistrats en
service, chaque catégorie de magistrat devant être
représentée ;
- chaque assemblée élit, à la majorité des
trois cinquièmes de ses membres, quatre membres parmi les juristes
reconnus et expérimentés.
Pour les
fautes graves
, c'est la
commission de discipline du
Conseil
général du pouvoir judiciaire
.
Elle se compose de cinq membres élus par ce dernier en son sein. Trois
des cinq membres doivent être des magistrats.
Pour les
fautes légères
, c'est le
président ou l'organe de direction du tribunal
auquel le
magistrat mis en cause appartient, selon que la sanction consiste en un
avertissement ou en une amende.
c) Le déroulement de la procédure
Toute
demande de sanction doit faire l'objet, dans le délai d'un mois, d'un
rapport du service d'inspection du Conseil général du pouvoir
judiciaire
(5
(
*
))
, qui
peut proposer le classement sans suite, des vérifications
complémentaires (c'est-à-dire une demande d'explication au
magistrat visé par la plainte) ou l'ouverture directe de la
procédure disciplinaire.
La procédure disciplinaire est spécifique
: elle est
décrite à l'article 125 de la loi organique sur le pouvoir
judiciaire.
Un magistrat d'un rang au moins égal à celui du magistrat mis en
cause est chargé de l'instruction. Une fois celle-ci terminée, le
magistrat instructeur notifie les charges et propose une sanction. Le magistrat
mis en cause peut se faire assister par un avocat. Il peut contester les
charges dans le délai de huit jours. Quand ce délai est
expiré, le dossier est transmis à l'instance disciplinaire, afin
que celle-ci prononce la sanction. Si la sanction demandée excède
les limites de compétence de l'instance disciplinaire qui a
entamé la procédure, l'instance disciplinaire de niveau
supérieur est saisie et prend la décision définitive, qui
est notifiée à l'intéressé, au ministère
public et au plaignant.
La loi limite la durée de la procédure à
six mois
.
En pratique, elle dure plus longtemps : entre six et douze mois.
3) Les sanctions et les voies de recours
a) Les sanctions
Elles
sont définies à l'article 420 de la loi organique de 1985, qui
prévoit l'échelle suivante :
-
l'avertissement
;
-
l'amende,
dont le montant ne peut pas excéder 3
000 € ;
-
la
mutation d'office
, le nouveau poste devant être
séparé de l'ancien d'au moins cent kilomètres ;
-
la
suspension professionnelle
, d'une durée d'au
plus trois ans ;
-
la destitution
.
La mutation d'office peut être assortie d'une interdiction temporaire de
passer un concours. La durée de cette interdiction,
nécessairement inférieure à trois ans, doit être
précisée dans la décision de l'instance disciplinaire.
La loi associe :
- aux fautes légères un avertissement et/ou une amende d'au
plus 300 € ;
- aux fautes graves une amende comprise entre 301 € et
3 000 € ;
- aux fautes très graves les autres sanctions (mutation d'office,
suspension ou destitution).
Elle précise toutefois que l'instance disciplinaire peut, après
examen des faits, infliger des sanctions moins lourdes que celles qui sont
normalement prévues pour la faute commise.
Les sanctions sont inscrites dans le dossier des intéressés.
Elles en sont effacées à l'issue d'une période de six mois
à quatre ans, en fonction de la gravité de la faute commise.
b) Les voies de recours ouvertes au magistrat sanctionné
Le
magistrat sanctionné peut contester la décision de deux
façons :
- par un recours administratif si la sanction a été prise
par les organes de direction des tribunaux ou par la section disciplinaire du
Conseil supérieur du pouvoir judiciaire ;
- par un recours contentieux devant la juridiction administrative.
La sanction est exécutoire lorsque tous les recours administratifs sont
épuisés.
Les associations professionnelles de magistrats peuvent faire un recours
contentieux au nom de leurs membres.
* *
*
Dans son
rapport annuel, le Conseil général du pouvoir judiciaire fournit
des statistiques sur l'activité de ses différentes commissions,
et notamment de la commission de discipline.
Les derniers rapports donnent les indications suivantes :
|
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
Plaintes reçues : |
1417 |
990 |
788 |
643 |
Demandes d'explication au magistrat visé : |
467 |
463 |
467 |
|
(consécutives à des plaintes pour retard) |
367 (79 %) |
376 (81 %) |
381 (82 %) |
|
Procédures disciplinaires ouvertes : |
51 |
53 |
51 |
61 |
Décisions définitives : |
46 |
49 |
51 |
56 |
Sanctions prononcées : |
22 |
26 |
32 |
37 |
par l'assemblée plénière du Conseil général du pouvoir judiciaire |
4 |
5 |
8 |
11 |
par la commission de discipline du Conseil général du pouvoir judiciaire |
10 |
14 |
18 |
19 |
par la hiérarchie |
8 |
7 |
6 |
7 |
* (4) Les articles 1 et 1a du code judiciaire sont consacrés respectivement aux tribunaux de droit commun et à ce tribunal, qui a d'autres compétences que disciplinaires : il examine par exemple les demandes de révision en matière pénale.