SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (Janvier 2004)
ITALIE
L'article 104 de la
Constitution
garantit
l'indépendance de la magistrature et énonce les principes
relatifs à la composition du
Conseil
supérieur de
la magistrature.
D'après
l'article 105, les mesures
disciplinaires applicables aux magistrats relèvent de la seule
compétence du Conseil supérieur de la magistrature
,
l'article 107 accordant toutefois au ministre
de
la
Justice
la possibilité de déclencher l'action
disciplinaire.
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1) Les devoirs et les obligations des magistrats
a) Les sources
Outre la
Constitution, les principaux textes qui définissent les droits et les
obligations des magistrats sont le décret n° 12 du 30 janvier 1941
et le décret législatif n° 511 du 31 mai 1946. Les
dispositions du second, formulées de façon
générale, ont été interprétées par
le Conseil supérieur de la magistrature.
Par ailleurs,
l'Association nationale des magistrats
a
rédigé un
code de déontologie
.
Le décret du 30 janvier 1941
L'organisation judiciaire est toujours régie par ce décret, qui a
été modifié à de nombreuses reprises et dont la
réforme a également été envisagée plusieurs
fois.
L'article 9 de ce texte énonce le serment prononcé lors de
l'entrée dans la magistrature : «
Je jure d'être
fidèle à la République italienne et à son chef,
d'observer loyalement les lois de l'État et de remplir avec conscience
les
devoirs inhérents à mes fonctions
. »
L'article 16 du même texte interdit aux juges d'exercer une autre
activité professionnelle, même à temps partiel, qu'il
s'agisse d'un emploi public ou privé.
Le décret législatif du 31 mai 1946
L'article 18
de ce texte est la seule disposition normative
définissant
les fautes des magistrats
. Il
énumère trois cas justifiant une sanction disciplinaire :
- le manquement à ses devoirs ;
- le fait de se conduire, aussi bien dans l'exercice des fonctions qu'en
dehors, de façon à se rendre «
indigne de la
confiance et de la considération
» dont un juge doit
jouir ;
- la mise en danger du prestige de l'ordre judiciaire.
Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature
Elles permettent de compléter le
corpus
des obligations des
magistrats, notamment pour ce qui concerne les incompatibilités,
professionnelles ou non.
Compte tenu de l'article 16 du décret du 30 janvier 1941, qui interdit
aux juges d'exercer une autre activité professionnelle,
tout emploi
annexe doit être autorisé par le Conseil supérieur de la
magistrature
. En revanche, les magistrats peuvent publier des articles dans
la presse, sous réserve qu'ils respectent l'obligation de réserve.
De même, le Conseil supérieur de la magistrature estime que les
juges peuvent adhérer à un
parti politique
, mais qu'ils ne
peuvent participer à une campagne électorale ou siéger au
Parlement que s'ils sont en congé.
Posée dès les années 80, la question de l'appartenance
à la
franc-maçonnerie
a été soumise au
Conseil supérieur de la magistrature. La chambre disciplinaire a
condamné toute adhésion à la loge P2, parce qu'il
s'agissait d'une société secrète et qu'une telle
adhésion violait l'article 18 de la Constitution (relatif à
l'interdiction des associations secrètes). Par ailleurs,
l'assemblée plénière du Conseil supérieur de la
magistrature a, en 1990, mis en garde les juges contre l'adhésion
à des associations, lorsque celle-ci risquait d'entamer la confiance des
citoyens dans la justice et que la solidarité exigée des membres
risquait d'entrer en contradiction avec les obligations professionnelles des
magistrats.
Le code de déontologie de l'Association nationale des
magistrats
En 1993, le gouvernement a, par délégation législative,
adopté un décret prescrivant aux différentes
administrations nationales l'élaboration de codes de déontologie
visant à garantir la qualité des services rendus aux citoyens.
Le comité directeur de
l'Association nationale des magistrats
,
bien que doutant de la constitutionnalité de la loi de
délégation
(6
(
*
))
,
a établi un code de déontologie en 1994.
Ce code, qui comprend quatorze articles, est divisé en trois parties
consacrées respectivement aux règles générales, aux
principes d'indépendance, d'impartialité et de correction, et
à la conduite dans l'exercice des fonctions professionnelles.
b) Les fautes disciplinaires
Les
textes qui définissent les devoirs et les obligations des magistrats ne
précisent pas les comportements ou les actes susceptibles de constituer
des fautes disciplinaires, mais
la
jurisprudence de la chambre
disciplinaire du
Conseil supérieur de la magistrature
permet
de définir les fautes des magistrats, qu'elles se rapportent ou non
à l'exercice des fonctions judiciaires.
Les principales
fautes professionnelles
peuvent être
classées en cinq groupes :
- les manquements à l'obligation d'exactitude (falsification de
statistiques par exemple) ;
- les manquements à l'obligation de moralité (liens avec un
avocat, avec une partie, avec la mafia...) ;
- les manquements à l'obligation de diligence (non-respect de la
procédure, retards injustifiés, activité professionnelle
très limitée...) ;
- les manquements à l'obligation de réserve
(déclarations dans la presse sur des affaires couvertes par le secret de
l'instruction ou sur des collègues) ;
- les manquements à l'obligation d'impartialité (recours
systématique aux mêmes experts par exemple).
Dans sa
vie privée
, tout magistrat se doit de respecter la loi et
de ne pas mettre en avant ses fonctions pour obtenir des avantages. Ainsi, en
1991, la chambre disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature a
puni un magistrat pour infraction à la législation sur les armes.
De même, en 1994, elle en a sanctionné un autre pour appartenance
à une loge dont le serment de fidélité apparaissait
incompatible avec le respect dû à la loi.
Le projet de loi habilitant le gouvernement à réformer l'ordre
judiciaire
, lequel est actuellement régi par le décret du
30 janvier 1941, détermine les principes généraux que
le texte réglementaire devra respecter. Il prévoit notamment que
celui-ci identifie les comportements susceptibles de justifier la mise en
oeuvre de la procédure disciplinaire. Ce projet de loi a
été déposé le 29 mars 2002 au Sénat,
où son examen se poursuit.
2) La procédure disciplinaire
a) Le déclenchement de la procédure
Conformément à l'article 107 de la Constitution, le
ministre de la
Justice
est titulaire de l'action disciplinaire.
Il peut agir par exemple à la suite du signalement d'un chef de
juridiction, ou d'informations fournies par un justiciable mécontent,
par un avocat, par un parlementaire ou par le médiateur de la
République. Lorsque les faits évoqués semblent justifier
une enquête, le ministre de la Justice peut saisir l'Inspection
générale des services judiciaires. Le cas échéant,
les conclusions du rapport d'inspection conduisent ensuite le ministre à
poursuivre la procédure en saisissant le procureur général
près la Cour de cassation.
Le
procureur général près la Cour de cassation
dispose également de la faculté autonome et
discrétionnaire de mettre en mouvement la procédure.
La procédure doit être déclenchée dans le
délai d'un an après que l'un des titulaires de l'action
disciplinaire a pris connaissance des faits justifiant la demande de poursuite.
Par ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature reçoit
directement des plaintes, de la part de chefs de juridiction ou de particuliers
par exemple. Celles qui semblent mériter un examen
(7
(
*
))
sont soumises à l'audience
plénière, puis classées sans suite ou transmises au
ministre de la Justice.
b) L'instance disciplinaire
D'après l'article 105 de la Constitution, «
les
mesures disciplinaires concernant les magistrats relèvent de la
compétence du Conseil supérieur de la
magistrature, selon
les règles de l'ordre judiciaire
. »
Aucune sanction ne peut être directement infligée par la
hiérarchie. La
chambre disciplinaire du Conseil supérieur
de la magistrature
est seule compétente
.
Présidée par le vice-président du Conseil supérieur
de la magistrature, elle comprend cinq autres membres du Conseil
supérieur de la magistrature, élus par ce dernier en son
sein : un magistrat de la Cour de cassation, deux juges du siège,
un membre du ministère public, et un membre élu par les
parlementaires.
Le fonctionnement et la composition du Conseil supérieur de la
magistrature sont régis par une loi
ad hoc
du 24 mars 1958, qui a
été modifiée par une loi du 28 mars 2002. Actuellement, le
Conseil supérieur de la magistrature rassemble 27 membres. Outre les
3 membres de droit (le président de la République, qui
préside, le premier président de la Cour de cassation et le
procureur général près la Cour de cassation), il comprend
24 membres nommés pour quatre ans : 16 sont élus par les
magistrats et 8 par les parlementaires parmi les professeurs
d'université et les avocats. Une fois leur mandat achevé, les
membres du Conseil supérieur de la magistrature ne sont pas
immédiatement rééligibles. La présidence est en
pratique assumée par le vice-président, qui est élu par le
Conseil supérieur de la magistrature parmi ses membres élus par
les parlementaires.
Le chef de l'État, en tant que président du Conseil
supérieur de la magistrature, peut présider la chambre
disciplinaire. En pareil cas, la présence du vice-président est
exclue.
c) Le déroulement de la procédure
Le
procureur général près la Cour de cassation procède
à une instruction sommaire ou demande à la chambre disciplinaire
du Conseil supérieur de la magistrature de le faire.
Au sein de la chambre disciplinaire du Conseil supérieur de la
magistrature, la procédure se déroule selon les règles de
l'ancien code de procédure pénale, qui date de 1930
(8
(
*
)),
complétées par des
dispositions spécifiques à la procédure
disciplinaire, le procureur général près la Cour de
cassation exerçant les fonctions du ministère public. Le
magistrat mis en cause peut se faire assister d'un défenseur.
D'après le décret du 31 mai 1946, celui-ci ne pouvait pas
être un magistrat. La Cour constitutionnelle a, dans une décision
prise en novembre 2000, décidé qu'une telle limitation
n'était pas constitutionnelle. De plus, contrairement à ce que
prévoyait le texte de 1946, les débats sont publics. Cette
pratique résulte d'une décision de la chambre disciplinaire du
Conseil supérieur de la magistrature, entérinée
ultérieurement par le législateur.
Pendant l'instruction ou pendant le jugement, la chambre disciplinaire du
Conseil supérieur de la magistrature peut, de façon provisoire et
à la demande du ministre de la Justice, suspendre le magistrat mis en
cause. Elle peut également le priver de son traitement. Une telle
suspension est obligatoire lorsque le magistrat a été
arrêté.
Outre la procédure disciplinaire
stricto sensu
, le Conseil
supérieur de la magistrature dispose d'un autre instrument pour
sanctionner les magistrats qui, «
pour n'importe quelle raison, et
même indépendamment de toute faute de leur part, ne peuvent plus
exercer leurs fonctions dans leur poste de façon compatible
avec
le prestige du corps judiciaire
» :
l'assemblée
plénière du Conseil supérieur de la magistrature peut,
après enquête et audition du magistrat concerné,
décider de le déplacer d'office.
3) Les sanctions et les voies de recours
a) Les sanctions
Les
sanctions disciplinaires prévues par les articles 19, 20 et 21 du texte
de 1946 sont les suivantes :
-
l'avertissement oral,
communiqué par le supérieur
hiérarchique, qui établit un procès-verbal, lequel est
transmis au
ministre
;
-
le blâme,
pour lequel un procès-verbal,
également transmis au ministre, est établi dans les mêmes
conditions ;
-
le retard d'avancement
, d'une durée comprise entre deux
mois et deux ans, et qui exclut que l'intéressé se
présente à quelque examen, concours ou élection que ce
soit ;
-
la révocation
(9
(
*
))
, avec, le cas échéant, perte des droits
à pension.
Le blâme et le retard d'avancement peuvent être assortis d'un
changement d'affectation
.
La loi ne contient aucune indication de correspondance entre les fautes et les
sanctions. En revanche, le projet de loi portant délégation au
gouvernement de la compétence pour réformer l'ordre judiciaire
prévoit que le futur décret doit définir une telle
correspondance.
b) Les voies de recours ouvertes au magistrat sanctionné
Les
décisions de la chambre disciplinaire du Conseil supérieur de la
magistrature peuvent être contestées devant la
Cour de
cassation
, qui contrôle aussi bien le respect des règles de
procédure que l'existence et la qualification des faits reprochés.
Le ministre de la Justice, le procureur général près la
Cour de cassation et le magistrat mis en cause peuvent exercer ce recours.
* (5) Ce service d'inspection, prévu par la loi organique de 1985 comme l'un des organes techniques dont dispose le Conseil général du pouvoir judiciaire, est chargé de se rendre sur place pour contrôler le bon fonctionnement des juridictions.
* (6) L'article 102 de la Constitution réserve au législateur la compétence pour traiter du statut des juges.
* (7) L'une des neuf commissions permanentes du Conseil supérieur de la magistrature examine les plaintes des personnes privées.
* (8) La procédure pénale de droit commun se déroule désormais selon les règles du nouveau code, qui date de 1988. Les nouvelles règles, influencées par le modèle anglo-saxon, ont perdu leur caractère essentiellement inquisitoire.