SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (Janvier 2004)
ALLEMAGNE
Le titre
IX de la
Loi fondamentale
intitulé « Le pouvoir
judiciaire » comprend un article 97, qui garantit
l'indépendance des juges
et qui prévoit que ceux-ci ne
sont soumis qu'à la loi et ne peuvent, «
contre leur
gré, être révoqués, suspendus définitivement
ou temporairement de leurs fonctions, mutés à un autre emploi ou
mis à la retraite qu'en vertu d'une décision de
justice,
et uniquement pour les motifs et dans les formes prévus par la
loi
».
|
L'organisation judiciaire distingue cinq ordres juridictionnels
dotés de tribunaux hiérarchisés en trois niveaux et
totalement autonomes : la juridiction administrative, la juridiction
financière, la juridiction du travail, la juridiction sociale et la
juridiction « ordinaire ».
Les cours suprêmes
, c'est-à-dire la Cour
fédérale administrative, la Cour fédérale des
finances, la Cour fédérale du travail, la Cour
fédérale du contentieux social et la Cour fédérale
de justice,
relèvent de l'État fédéral, tandis
que les tribunaux de première instance et
d'appel relèvent
des
Länder
.
Il existe donc une
magistrature fédérale
(environ 500
juges) et
des magistratures des
Länder
(environ 20 000
juges). L'article 98 de la Loi fondamentale prévoyant que
«
le statut des juges fédéraux doit être
réglé par une loi fédérale
spéciale
» et que «
le statut des juges des
Länder est fixé par des lois spéciales de
Land
», la loi fédérale sur les juges
établit les principes applicables à tous les magistrats,
définit le statut des magistrats fédéraux et contient des
dispositions encadrant le statut des magistrats des
Länder
.
Seul le régime disciplinaire des juges fédéraux est
analysé dans la suite
du texte
. Les juges des
Länder
connaissent des régimes proches, sous réserve
des deux exceptions suivantes : l'éventail des sanctions
applicables diffère et les juges des
Länder
bénéficient d'une voie de recours contre les décisions
rendues par l'instance disciplinaire.
Indépendamment du régime disciplinaire analysé ci-dessous,
l'article 98 de la Loi fondamentale prévoit que «
si
dans l'exercice de ses fonctions ou en dehors de celles-ci, un juge
fédéral contrevient aux principes de la Loi fondamentale ou
à l'ordre constitutionnel d'un Land, la Cour constitutionnelle
fédérale peut, à la demande du Bundestag et à la
majorité des deux tiers, ordonner la mutation du juge à d'autres
fonctions ou sa mise à la retraite. Si la contravention du juge est
intentionnelle, la
révocation peut être
prononcée
. »
1) Les devoirs et obligations des magistrats
a) Les sources
La loi fédérale du 8 septembre 1961 sur les
juges
L'article 4 de la loi fédérale modifiée du
8 septembre 1961 sur les magistrats, relatif aux
incompatibilités professionnelles,
interdit l'exercice des
activités relevant du pouvoir législatif ou exécutif, mais
autorise les activités ressortissant à l'administration
judiciaire, à l'enseignement supérieur, aux examens et à
la présidence de commissions de conciliation et autres organes
indépendants de la fonction publique.
La section V de la première partie de cette loi traite des devoirs
particuliers du juge.
Le
serment
que le juge est tenu de prononcer lors de l'audience publique
d'un tribunal, en application de l'article 38, fait référence
à ces devoirs dans les termes suivants : «
Je jure
d'exercer la fonction de juge dans le respect de la Loi fondamentale de la
République fédérale d'Allemagne et dans le respect des
lois, de juger au mieux de mes connaissances et selon ma conscience sans
considération de la personne à juger et de ne servir que la
vérité et la justice.
»
L'article 39 oblige le juge à se comporter de manière à ce
que la confiance en son
indépendance
ne risque pas d'être
compromise. Ces dispositions, applicables aussi bien dans l'exercice des
fonctions professionnelles que dans la vie privée, valent le cas
échéant en cas d'activité politique.
L'article 43 oblige le juge à respecter le
secret des
délibérations et du vote
, et ce, même après la
fin de ses fonctions.
L'article 40 soumet l'exercice de fonctions d'arbitrage à l'autorisation
de la hiérarchie.
L'article 41 interdit au juge de donner des consultations juridiques à
côté de son activité professionnelle et de fournir des
renseignements juridiques en échange d'une rétribution.
La loi fédérale du 14 juillet 1953 sur les
fonctionnaires
L'article 46 de la loi fédérale sur les juges prévoit que
les juges fédéraux sont régis par les prescriptions
applicables aux fonctionnaires fédéraux, sauf si elle en dispose
autrement et tant qu'il n'existe pas de réglementation
particulière.
D'après l'article 59 de la loi fédérale modifiée du
14 juillet 1953
sur les fonctionnaires, les juges doivent se
récuser dans les affaires où eux-mêmes ou l'un de leurs
proches parents ont un intérêt.
Les articles 65 et 66 de la même loi déterminent les conditions
dans lesquelles des
activités annexes
peuvent être
exercées. Pour les juges fédéraux, ces dispositions sont
complétées par l'ordonnance modifiée du 15 octobre
1965 sur l'activité annexe des juges fédéraux. D'une
manière générale, toute activité annexe est soumise
à l'autorisation de la hiérarchie. Outre qu'elle ne doit pas
être préjudiciable à l'activité principale du juge,
une telle activité ne doit pas risquer de porter atteinte à la
confiance mise en son indépendance, son impartialité ou sa
neutralité. S'il s'agit d'une activité dans la fonction publique,
elle doit être prévue par l'article 4 de la loi sur les juges ou
relever du domaine judiciaire. S'il s'agit d'une activité privée,
le juge ne peut percevoir une rémunération supérieure
à 100 € par mois.
L'article 70 interdit au juge de recevoir de l'argent ou des cadeaux à
l'occasion de l'exercice de ses fonctions.
b) Les fautes disciplinaires
Selon
l'article 77 de la loi fédérale sur les fonctionnaires, qui
s'applique par analogie, le juge commet une faute disciplinaire lorsqu'il
manque aux devoirs qui lui incombent.
Tout acte commis en dehors du service peut également être
considéré, eu égard aux circonstances, comme une faute
disciplinaire, dès lors qu'il est de nature à porter atteinte de
manière significative au respect et à la confiance dus aux
fonctions exercées ou au service public de la justice.
2) La procédure disciplinaire
a) Le déclenchement de la procédure
La
procédure disciplinaire peut être déclenchée
par :
-
le supérieur hiérarchique
, lorsqu'un juge est
soupçonné d'avoir commis une faute disciplinaire ;
-
le juge lui-même
, lorsqu'il veut faire la preuve que les
soupçons qui pèsent sur lui sont infondés.
b) L'instance disciplinaire
Le
tribunal disciplinaire des magistrats
, qui est une
chambre
spécialisée
de la Cour fédérale de
justice
, fait l'objet des articles 61 et suivants de la loi
fédérale sur les juges.
Il est composé d'un président, de deux assesseurs permanents et
de deux assesseurs non permanents. Le président et les assesseurs
permanents font partie de la Cour fédérale de justice. Les
assesseurs non permanents sont des juges appartenant au même ordre de
juridiction que le juge mis en cause. Les présidents de tribunal et les
vice-présidents ne peuvent être membres de cette instance.
Le président et les assesseurs, ainsi que leurs suppléants, sont
nommés pour cinq ans par la présidence de la Cour
fédérale de justice. Les assesseurs non permanents sont
appelés dans l'ordre de présentation des listes établies
par les présidents des cours suprêmes.
c) Le déroulement de la procédure
L'article 63 de la loi fédérale sur les juges
prévoit que la
loi fédérale disciplinaire du
9 juillet 2001 valable pour les fonctionnaires fédéraux
s'applique par analogie.
La procédure disciplinaire débute par une
phase
administrative
. Une
phase juridictionnelle
lui succède,
lorsque la hiérarchie estime que les faits reprochés sont trop
graves pour être punis d'un simple blâme, seule sanction que
l'article 64-1 de la loi fédérale sur les juges l'autorise
à prononcer. Une plainte disciplinaire est alors déposée
auprès du tribunal disciplinaire. Un magistrat peut également,
après avoir épuisé les voies de recours internes,
contester auprès de l'instance disciplinaire le blâme qui lui a
été infligé.
La procédure administrative
Le juge est immédiatement informé de l'ouverture d'une
procédure disciplinaire hiérarchique à son encontre, ainsi
que des griefs retenus contre lui. Il peut choisir de faire part de ses
observations oralement ou par écrit - un délai lui est alors
accordé -, ou de ne rien dire. Il peut à tout moment se
faire représenter ou se faire assister. Il participe à
l'enquête administrative qui est menée à charge et à
décharge, en assistant à l'audition des témoins et des
experts, ainsi qu'en suivant les inspections faites sur place. L'audition du
juge soupçonné et les preuves qu'il apporte figurent au
procès-verbal. Lorsque l'enquête est close, le juge chargé
de l'enquête transmet ses observations finales.
La procédure juridictionnelle
La plainte disciplinaire est déposée par écrit devant le
tribunal disciplinaire des magistrats par la hiérarchie. Le juge mis en
cause en est aussitôt informé par son supérieur. Ce
document décrit la carrière personnelle et professionnelle de
l'intéressé, le déroulement de la procédure, les
faits reprochés, ainsi que tous les éléments de fait et de
preuve déterminants pour la décision du tribunal.
Le juge mis en cause a alors deux mois pour faire état de manquements
graves dans la procédure disciplinaire hiérarchique ou dans la
plainte déposée et présenter de nouvelles preuves.
S'agissant du déroulement du procès proprement dit, la
procédure utilisée est semblable à celle applicable devant
la juridiction administrative.
3) Les sanctions et les voies de recours
a) Les sanctions
D'après l'article 64-2 de la loi fédérale sur
les juges, les juges des cours suprêmes ne peuvent faire l'objet que des
sanctions suivantes :
blâme, amende et révocation
.
L'amende est en principe limitée à un mois de salaire et la
révocation est assortie de la perte des droits à pension.
S'agissant des juges des
Länder
, la partie 2 de la loi
fédérale du 9 juillet 2001 sur la discipline prévoit que
les instances disciplinaires des
Länder
peuvent infliger les
sanctions suivantes : le blâme, l'amende, la réduction du
salaire (limitée à un cinquième du montant mensuel et
à trois ans), la mutation dans un emploi de même catégorie
avec traitement de fin de carrière inférieur et la
révocation.
Aucune correspondance n'est explicitement prévue entre les sanctions et
les fautes. Cependant, l'article 13 de la loi fédérale sur la
discipline précise que la mesure disciplinaire doit être
adaptée à la personnalité du juge et proportionnelle
à la gravité de la faute et à la perte de confiance que
son comportement a suscitée, que ce soit auprès de ses
supérieurs ou des justiciables. Ainsi, le juge qui a commis un acte
d'une gravité telle qu'il a perdu définitivement cette confiance
doit être révoqué.
b) Les voies de recours ouvertes au magistrat sanctionné
L'article 62-1 de la loi fédérale sur les juges
prévoit que
le tribunal
disciplinaire des magistrats statue en
premier et dernier ressort
dans les affaires relatives à la
discipline des juges fédéraux.
D'après l'article 62-2 de la loi fédérale sur les juges,
le tribunal disciplinaire des magistrats de la Cour fédérale de
justice est juge de cassation des décisions rendues par les tribunaux
disciplinaires des
Länder
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Au cours de l'année 2002, dix actions ont été engagées devant le tribunal disciplinaire fédéral des magistrats. Toutes visaient à obtenir la révision de décisions rendues par les tribunaux disciplinaires des Länder , quatre ont donné lieu à un jugement, deux ont été déclarées irrecevables, et l'examen des quatre autres n'était pas achevé à la fin de l'année 2002.