SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (Janvier 2004)
NOTE DE SYNTHÈSE
L'article 64 de la Constitution française
énonce que le président de la République est garant de
l'indépendance de l'autorité judiciaire
, qu'il est
assisté par le Conseil supérieur de la magistrature et qu'une loi
organique définit le statut des magistrats.
Même s'ils sont indépendants dans l'exercice de leurs fonctions,
les magistrats n'en sont pas moins tenus de respecter un
ensemble de devoirs
et d'obligations
qui figurent dans
l'ordonnance n° 58-1270 du
22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la
magistrature
.
Ainsi, en application de l'article 6 du statut, tout magistrat, lors de sa
nomination à son premier poste, prête
serment
«
de bien et fidèlement remplir
[ses]
fonctions, de
garder religieusement le secret des délibérations et de se
conduire en tout comme un digne et loyal magistrat
».
L'article 10, relatif au
devoir de réserve
, interdit aux
magistrats «
toute délibération
politique
», «
toute manifestation
d'hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la
République », « toute démonstration de nature
politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs
fonctions », et « toute action concertée de nature
à arrêter ou entraver le fonctionnement des
juridictions
».
Le statut de la magistrature prévoit également une série
d'
incompatibilités
, telles que l'interdiction d'exercer toute
autre activité professionnelle, qu'il s'agisse d'un emploi public ou
privé, ou de détenir un mandat public électif.
De plus, l'article 43 du statut de la magistrature définit la
faute
disciplinaire
comme «
tout manquement par un magistrat aux
devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse
ou à la dignité
».
En revanche, il n'existe pas de
code de déontologie
, et le
Conseil supérieur de la magistrature n'y est pas favorable.
Les devoirs et obligations statutaires sont complétés par ceux
dégagés par la
jurisprudence du Conseil supérieur de la
magistrature
, instance disciplinaire des magistrats du siège, et du
Conseil d'État
, juge de cassation des décisions
disciplinaires prononcées par le Conseil supérieur de la
magistrature.
En effet, si les magistrats du siège peuvent recevoir un avertissement
des chefs de cour dans le cadre de la
procédure disciplinaire
hiérarchique
, c'est le
Conseil supérieur de la
magistrature
siégeant en formation disciplinaire qui intervient
lorsque les fautes motivent des poursuites disciplinaires.
Conformément aux articles 50-1 et 50-2 du statut, l'action disciplinaire
à l'égard des magistrats du siège appartient au ministre
de la Justice ainsi qu'aux premiers présidents de cour d'appel ou aux
présidents de tribunal supérieur d'appel, tandis que le pouvoir
disciplinaire est exercé par le Conseil supérieur de la
magistrature. La procédure disciplinaire respecte les droits de la
défense et le principe du débat contradictoire. Les
décisions disciplinaires sont motivées et rendues publiquement.
L'article 45 du statut dresse la liste des sanctions applicables, depuis la
réprimande avec inscription au dossier jusqu'à la
révocation avec suspension des droits à la retraite, mais
n'établit aucune règle de correspondance entre les fautes et les
sanctions. Aucune voie de recours n'est expressément prévue par
le statut de la magistrature. Toutefois, depuis longtemps, le Conseil
d'État reconnaît sa compétence de juge de cassation.
Depuis plusieurs années, certains estiment que la mise en oeuvre de la
responsabilité disciplinaire des magistrats est insuffisante et
réclament que ceux-ci soient effectivement sanctionnés pour les
fautes qu'ils commettent, en contrepartie des garanties dont ils
bénéficient.
Du reste, le projet de loi organique modifiant l'ordonnance relative au statut
de la magistrature, examiné en première lecture à
l'Assemblée nationale et au Sénat respectivement en mars 2001 et
février 2002, mais qui n'a pas abouti, envisageait la création
d'une
commission nationale d'examen des plaintes des
justiciables
. Cette commission aurait pu être saisie par toute
personne s'estimant lésée par un dysfonctionnement de la justice
ou par une faute disciplinaire d'un magistrat. De même, le Conseil
supérieur de la magistrature, dans sa contribution à la
réflexion sur la déontologie des magistrats du 2 octobre
2003, «
estime indispensable la mise en place d'une
procédure de traitement systématique des réclamations des
justiciables et des partenaires de l'institution
».
La commission d'éthique de la magistrature
, chargée au
printemps dernier par le garde des sceaux de mener une réflexion sur les
règles d'éthique applicables au corps judiciaire a, dans le
rapport qu'elle a rendu à la fin du mois de novembre 2003, émis
plusieurs propositions.
Elle suggère en particulier la réécriture du serment des
magistrats, de façon à ce que celui-ci fasse apparaître
sept obligations fondamentales : l'impartialité, le devoir de
réserve, la loyauté, l'intégrité, la
dignité, la diligence et le secret professionnel. Tout manquement
à ces obligations constituerait une faute disciplinaire. Repoussant
l'idée d'un code d'éthique, la commission se montre cependant
favorable à la publication annuelle d'un recueil des principes
déontologiques comportant les textes, la jurisprudence et les avis de la
future formation chargée de l'éthique au sein du Conseil
supérieur de la magistrature. Elle propose également, lorsque le
comportement d'un magistrat le requiert, la mise en place d'une
« veille déontologique », sous la forme d'entretiens
réguliers et d'une surveillance étroite des pratiques
professionnelles du magistrat concerné.
Dans ce contexte, il est apparu utile d'étudier le régime
disciplinaire des magistrats du siège dans plusieurs pays
représentatifs de traditions juridiques différentes :
l'Allemagne, l'Angleterre et le pays de Galles, le Danemark, l'Espagne,
l'Italie, ainsi que le Canada
.
Pour chacun de ces pays, trois points ont été
examinés :
- le contenu des devoirs et obligations des magistrats et, le cas
échéant, la définition des fautes disciplinaires ;
- la procédure disciplinaire, en mettant en évidence les
titulaires de l'action et du pouvoir disciplinaires ;
- les sanctions prévues et les voies de recours ouvertes aux
magistrats.
Dans certains pays, il existe, comme en France, deux procédures
disciplinaires : les fautes les moins graves sont sanctionnées par
la hiérarchie, tandis que les autres relèvent d'une
procédure juridictionnalisée faisant intervenir un organe
ad
hoc
. Pour ces pays, l'étude a été limitée
à la seconde procédure.
S'agissant des
deux sujets actuellement en débat en France,
les règles éthiques applicables au corps judiciaire et
l'existence d'une commission
chargée de traiter les plaintes des
justiciables, l'analyse des dispositions étrangères montre
que :
- dans la plupart des pays étudiés, les fautes
disciplinaires et les règles éthiques ne sont pas explicitement
définies ;
- l'Angleterre et le pays de Galles, le Danemark et le Canada ont
prévu une procédure d'examen des plaintes des justiciables.
1) Dans la plupart des pays étudiés, les fautes disciplinaires et
les règles éthiques ne sont pas explicitement définies
Les fautes disciplinaires ne sont explicitement définies qu'en Espagne.
Dans les autres pays, elles le sont par rapport aux devoirs et aux obligations,
qui font eux-mêmes l'objet, sauf au Canada, de dispositions
éparses.
a) Seule l'Espagne définit explicitement les fautes disciplinaires
des magistrats
La loi espagnole relative au pouvoir judiciaire dresse un catalogue
des fautes disciplinaires des magistrats du siège.
Ces fautes sont réparties en
trois catégories
:
- les fautes très graves, au nombre de quatorze, parmi lesquelles
le manquement volontaire au devoir de fidélité à la
Constitution, l'adhésion à un parti politique ou l'absence
injustifiée de plus de sept jours ;
- les fautes graves, au nombre de quinze, dont font partie le manque de
respect envers la hiérarchie ou l'absence injustifiée de plus de
trois jours ;
- les fautes légères, au nombre de cinq, telles le
non-respect des délais prescrits.
De plus, la loi, tout en laissant à l'instance disciplinaire un certain
pouvoir d'appréciation en fonction des circonstances, établit une
correspondance entre la gravité de la faute et la nature de la sanction.
Dans les autres pays étudiés, les fautes disciplinaires
des magistrats du siège sont définies par rapport aux devoirs et
obligations.
En règle générale, sont considérés comme des
fautes disciplinaires la « mauvaise conduite » et les
manquements aux obligations professionnelles et déontologiques, sans que
ces dernières soient pour autant clairement précisées.
b) Le Canada est le seul pays où les devoirs et les obligations des
magistrats soient définis de façon détaillée
Le 1
er
décembre 1998, le
Conseil canadien de la
magistrature
a rendu public ses
principes de déontologie
judiciaire.
Destinés à fournir une ligne de conduite aux
juges fédéraux et à les aider à trouver des
réponses aux questions qu'ils se posent, ces principes sont
répartis en en cinq catégories : l'indépendance,
l'intégrité, la diligence, l'égalité de traitement
et l'impartialité.
Ils sont détaillés et commentés dans une brochure d'une
cinquantaine de pages. Rendu public, ce document vise également à
assurer la confiance des citoyens dans l'institution judiciaire.
En même temps que ces principes ont été publiés, un
comité consultatif chargé de conseiller les magistrats sur leur
application pratique a été créé.
Dans les autres pays, les devoirs et les obligations des magistrats,
dispersés dans plusieurs textes, sont définis de manière
plus vague.
En règle générale, les obligations des magistrats
résultent avant tout de la Constitution ainsi que des lois sur les juges
et sur l'organisation judiciaire.
Ces textes précisent essentiellement le régime des
incompatibilités, professionnelles ou politiques, et affirment le devoir
d'indépendance et d'impartialité du corps judiciaire. En
revanche, les autres obligations des juges ne sont guère définies
dans un texte, mais sont plutôt précisées peu à peu
par la jurisprudence. C'est notamment le cas en Italie, où toutes les
mesures disciplinaires applicables aux magistrats, de la plus
légère à la plus grave, relèvent de la seule
compétence du Conseil supérieur de la magistrature. Ce dernier a
donc été conduit à élaborer progressivement un
ensemble de règles qui complètent, d'une part, les dispositions
législatives et réglementaires et, d'autre part, le code de
déontologie élaboré en 1994 par l'Association nationale
des magistrats.
2) L'Angleterre et le pays de Galles, le Danemark et le Canada ont mis en
place une procédure spécifique de traitement des plaintes des
justiciables
a) En Angleterre et au pays de Galles, au Danemark et au Canada, tout
justiciable peut saisir l'instance disciplinaire des magistrats
Dans ces trois pays, tout justiciable mécontent peut saisir l'instance
disciplinaire d'un incident relatif au comportement d'un magistrat à
l'occasion d'une affaire donnée, et il existe une
procédure
formalisée d'examen des réclamations
.
En Angleterre et au pays de Galles, les justiciables peuvent se plaindre du
comportement d'un magistrat auprès du Lord Chancelier. Seul
compétent en matière disciplinaire, le Lord Chancelier remplit
à la fois les fonctions de ministre de la Justice et de plus haut
représentant de l'ordre judiciaire. Conformément à un
protocole
ad hoc
conclu en avril 2003 entre les représentants de
la profession et le Lord Chancelier, les plaintes sont traitées par une
unité administrative spécialisée chargée de leur
instruction et des suites à leur donner.
Au Danemark, le code judiciaire permet à tout justiciable qui estime
qu'il a été traité de façon
«
irrégulière ou inconvenante
» par un
juge de saisir directement le tribunal disciplinaire des magistrats, ce dernier
pouvant infliger une amende au justiciable qui a déclenché la
procédure indûment.
Au Canada, tout citoyen peut écrire, y compris anonymement, au Conseil
canadien de la magistrature pour déposer une réclamation portant
sur le comportement d'un juge fédéral. Selon les règles
adoptées par le Conseil canadien de la magistrature, cette plainte est
examinée par le comité permanent pour la conduite des juges,
puis, le cas échéant, par un comité d'enquête.
b) En Allemagne, en Espagne et en Italie, l'action disciplinaire est
réservée à certains titulaires
Certes, les plaintes des justiciables sont susceptibles d'être
reçues, notamment en Espagne, où la loi prévoit que la
commission de discipline du Conseil général du pouvoir
judiciaire peut déclencher la procédure disciplinaire
après dénonciation d'un particulier, et en Italie, où le
ministre de la Justice, titulaire de l'action disciplinaire, peut agir à
la suite d'informations fournies par un justiciable mécontent.
Toutefois, aucun de ces trois pays n'a institué de procédure de
traitement systématique des plaintes des justiciables.
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Le Canada apparaît comme le seul des pays sous revue disposant à la fois d'un code de déontologie définissant explicitement les devoirs et les obligations des magistrats et d'une procédure d'examen des réclamations des justiciables.