NOTE DE SYNTHESE
Les
étrangers qui commettent une infraction en France s'exposent non
seulement aux peines prévues par la loi pour cette infraction, mais
peuvent également être renvoyés dans leur pays d'origine,
à la suite d'un arrêté d'expulsion ou d'une peine
d'interdiction du territoire.
L'arrêté d'expulsion constitue une mesure administrative
.
Il est pris sur la base de l'article 23 de
l'ordonnance du 2 novembre 1945
relative aux conditions d'entrée et de
séjour des
étrangers en France
, qui permet l'expulsion pour une durée
indéterminée de tout étranger dont la présence sur
le sol français constitue «
une
menace grave pour
l'ordre
public
», l'administration se fondant
fréquemment sur les condamnations pénales pour apprécier
cette menace. L'article 25 de l'ordonnance de 1945 prévoit
plusieurs catégories d'étrangers auxquels la procédure
d'expulsion ne peut s'appliquer : il s'agit essentiellement
d'étrangers qui ont des liens étroits avec notre pays
(résidence prolongée en France, mariage avec un ressortissant
français, existence d'enfants de nationalité
française...). Toutefois, en cas de
«
nécessité absolue
pour la
sûreté de l'État ou la sécurité
publique
», l'expulsion peut être prononcée à
l'encontre d'un étranger appartenant à l'une des
catégories protégées.
Par ailleurs, en vertu de
l'article L 131-30 du code pénal
,
les tribunaux peuvent condamner les étrangers coupables d'un crime ou
d'un délit à une peine d'interdiction du territoire. Elle peut
être prononcée à titre définitif ou pour une
durée limitée. Il peut s'agir de la peine principale, mais elle
constitue le plus souvent une
peine complémentaire.
Elle
entraîne la reconduite du condamné à la frontière,
le cas échéant après qu'il a purgé sa peine de
prison, puisque l'interdiction du territoire est suspendue pendant la
durée d'exécution de celle-ci.
Instaurée dans le droit français par la loi du
31 décembre 1970 sur la lutte contre la toxicomanie, l'interdiction
du territoire visait à l'origine les étrangers condamnés
pour les infractions les plus graves à la législation sur les
stupéfiants. Son champ d'application a été progressivement
étendu à quelque 200 infractions définies par le code
pénal (atteintes aux personnes, atteintes aux biens commises avec
violences, atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation...),
par le code du travail ou par l'ordonnance de 1945 sur les étrangers.
La peine d'interdiction du territoire peut être prononcée à
l'encontre de tous les étrangers, quels que soient leurs liens avec la
France. En effet, si l'article L 131-30 du code pénal
prévoit, à l'image de l'article 25 de l'ordonnance de 1945,
plusieurs catégories protégées, il dispose
également qu'«
une décision spécialement
motivée au regard de la gravité de
l'infraction et de la
situation personnelle et familiale de l'étranger
» permet
au juge de décider l'expulsion.
Considéré comme discriminatoire et souvent qualifié de
« double peine »,
l'éloignement du territoire,
qu'il résulte d'un arrêté d'expulsion consécutif aux
antécédents judiciaires de l'étranger ou d'une peine
d'interdiction du territoire prononcée en
complément d'une
condamnation pénale
, fait l'objet de critiques croissantes, qui
justifient l'examen des législations étrangères.
La présente étude analyse donc dans quelle mesure les
étrangers condamnés pour une infraction pénale peuvent
être éloignés du pays qui les a accueillis après y
avoir purgé leur peine. Elle prend en compte le cas des personnes
majeures qui disposent d'un titre de séjour et dont la condamnation ne
repose pas sur une infraction à la législation sur les
étrangers. Elle décrit les règles en vigueur dans six
pays : l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Italie, le Portugal et le
Royaume-Uni.
Pour chacun des pays retenus, les trois points suivants ont été
analysés :
-
la nature des condamnations pénales susceptibles de motiver
une mesure
d'expulsion
, et notamment le fait que les
antécédents judiciaires de l'étranger puissent,
indépendamment des condamnations explicitement prévues par la
loi, fonder une décision d'éloignement ;
-
la protection apportée à certains étrangers
,
du fait de leur appartenance à certaines catégories ou d'autres
circonstances ;
-
les principales modalités de l'exécution de la mesure
d'expulsion
(durée de l'éloignement et date d'expulsion).
En revanche, les questions de procédure (consultation d'un organisme
ad hoc
avant la prise de la mesure d'expulsion, appel des
décisions...) n'ont pas été examinées.
L'analyse des dispositions étrangères montre que :
-
le principe de la double peine est admis dans tous les pays
étudiés ;
-
le prononcé de la double peine est généralement
laissé à l'appréciation de l'autorité
responsable ;
-
la durée souvent indéterminée de la mesure
d'expulsion peut donner à la double peine un caractère
définitif.
1) Le principe de la double peine est admis dans tous les pays
étudiés
Dans tous les pays sauf en Belgique, la législation sur les
étrangers dispose que certaines condamnations pénales peuvent se
doubler d'une décision judiciaire ou administrative d'expulsion. Par
ailleurs, en Allemagne et en Belgique, les antécédents
judiciaires d'un étranger peuvent entraîner une mesure
d'éloignement fondée sur la menace à l'ordre public.
a) En Allemagne, au Danemark, en Italie, au Portugal et au Royaume-Uni,
certaines condamnations pénales peuvent motiver une décision
d'expulsion
Le fondement de la décision d'expulsion peut être l'existence
d'une condamnation à une peine privative de liberté, la
durée d'une telle peine ou la condamnation pour une infraction
donnée.
La décision d'expulsion peut donc être
indépendante ou non de la nature de l'infraction.
• L'expulsion indépendante de la nature de l'infraction
Au
Portugal
, le juge peut prononcer une peine complémentaire
d'expulsion à l'encontre de tout étranger condamné
à une peine de prison d'au moins un an.
De même, au
Royaume-Uni
, le juge pénal peut recommander au
ministre de l'Intérieur de prendre une décision d'expulsion
à l'encontre de tout étranger reconnu coupable d'une infraction
susceptible d'être sanctionnée par une peine privative de
liberté, quelle que soit la longueur de celle-ci.
• L'expulsion liée à la nature de l'infraction
En Allemagne, au Danemark et en Italie, les condamnations pour certaines
infractions peuvent entraîner l'expulsion
. Au Danemark et en Italie,
une telle décision est prise par le juge pénal et constitue une
peine complémentaire. En revanche, en Allemagne, où seuls les
étrangers qui troublent l'ordre public s'exposent à une mesure
d'expulsion, nécessairement prise par l'administration, les
condamnations pénales sont considérées comme un indice de
la menace que l'étranger représente pour la
sécurité publique.
Dans ces trois pays, les infractions à la législation sur les
stupéfiants peuvent motiver une mesure d'éloignement. En outre,
comme le code pénal français, la loi danoise sur les
étrangers et le code de procédure pénale italien
énumèrent de nombreuses infractions pouvant conduire le juge
à prononcer une décision d'expulsion.
Dans ces trois pays, l'expulsion peut également être
prononcée sans qu'il soit
tenu compte de la nature de
l'infraction
. En Italie, une condamnation à une peine privative de
liberté de dix ans peut justifier une décision d'expulsion. Au
Danemark, la durée minimale de la peine de prison susceptible de motiver
une décision d'éloignement varie en fonction de la longueur du
séjour de l'étranger dans le pays. En Allemagne, la simple
condamnation à une peine privative de liberté prononcée
sans sursis peut entraîner l'expulsion.
b) En Allemagne et en Belgique, les antécédents judiciaires
constituent un élément d'appréciation de la menace
à l'ordre public
En Allemagne et Belgique, où l'expulsion est une mesure
administrative prise à l'encontre des étrangers qui troublent
l'ordre public, le passé judiciaire constitue l'un des
éléments d'appréciation du caractère
potentiellement dangereux d'une personne.
Du reste, la loi allemande sur les étrangers énonce que la
réalisation répétée d'infractions permet de
considérer un étranger comme dangereux pour la communauté
nationale.
2) Le prononcé de la double peine est généralement
laissé à l'appréciation de l'autorité
responsable
En effet, la loi allemande prévoit que l'expulsion est obligatoire dans
certains cas. Inversement, les lois italienne et portugaise interdisent qu'une
peine complémentaire d'expulsion frappe certaines catégories
d'étrangers. Dans tous les autres cas, l'autorité
compétente dispose d'une large autonomie.
a) La loi allemande définit des infractions qui entraînent
obligatoirement l'expulsion
La loi allemande sur les étrangers établit une distinction entre
les condamnations qui entraînent obligatoirement
l'expulsion et
celles qui peuvent l'entraîner. Cette distinction repose sur
l'importance de la condamnation
.
L'application de cette règle n'est cependant pas automatique :
lorsque le délinquant appartient à une catégorie
protégée, la mesure d'expulsion ne peut pas être
obligatoire. Les catégories protégées, qui existent dans
tous les pays étudiés sauf au Danemark, regroupent en
règle générale, d'une part, les étrangers
installés depuis longtemps et, d'autre part, ceux qui comptent des
nationaux dans leur famille.
b) Les lois italienne et portugaise excluent la double peine pour les
étrangers appartenant aux catégories protégées
Les textes italiens et portugais excluent que les étrangers qui
appartiennent à une
catégorie protégée
puissent faire l'objet d'une décision judiciaire d'expulsion. Ils
peuvent seulement être éloignés du territoire pour menace
à l'ordre public. Ils ne peuvent donc pas subir de double peine.
c) Dans tous les autres cas, l'autorité compétente dispose
d'une large autonomie
En Allemagne, lorsque la mesure d'expulsion n'est pas obligatoire,
l'administration doit notamment tenir compte de la durée de
séjour de l'étranger et des conséquences de son expulsion
avant de se prononcer sur l'éloignement d'un délinquant.
Il en va également ainsi en Italie et au Portugal quand le
délinquant n'appartient pas à une catégorie
protégée. Du reste, en Italie, où la loi établit le
même type de distinction qu'en Allemagne entre les condamnations
entraînant obligatoirement l'expulsion et celles qui peuvent
l'entraîner, cette distinction n'est que formelle : toute mesure
d'éloignement doit être fondée sur l'appréciation du
caractère dangereux de la personne concernée.
De même, en Belgique, au Danemark et au Royaume-Uni, les lois sur les
étrangers précisent qu'aucune mesure d'expulsion ne peut
être prise sans qu'il soit tenu compte du degré d'insertion de
l'étranger dans la société qui l'a accueilli.
Au
Royaume-Uni
, où la mesure d'éloignement est
recommandée par le juge pénal, mais est prise en dernier ressort
par le ministre de l'Intérieur, elle peut
être
étendue aux
membres de la famille
, dans la mesure où
ils dépendent financièrement de l'étranger
délinquant.
3) La durée souvent indéterminée de la mesure
d'expulsion peut donner à la double peine un caractère
définitif
a) La durée de l'éloignement est de dix ans en Belgique
Les arrêtés d'expulsion sont pris pour une durée unique de
dix ans
.
b) Elle dépend du fondement de la mesure au Danemark
L'éloignement peut être prononcé pour une période de
trois, cinq ou dix ans
,
ou pour une durée
indéterminée
. La durée de l'éloignement est
liée à l'importance de la condamnation, et donc à la
gravité de l'infraction.
c) Elle est en principe illimitée au Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, les mesures d'expulsion sont prises pour une
durée
illimitée
et restent applicables aussi longtemps qu'elles ne sont
pas rapportées, les règles sur l'immigration précisant
qu'aucune annulation ne peut en principe être décidée avant
un délai de trois ans.
d) Elle est laissée à l'appréciation de
l'autorité compétente dans les autres pays
Dans les autres pays, les textes ne déterminent pas la durée de
l'éloignement, qui est donc laissée à
l'appréciation de l'autorité qui prend la décision. La loi
portugaise précise cependant que l'expulsion est prononcée pour
une durée d'au moins cinq ans.
*
* *
Dans
l'ensemble, les dispositions françaises apparaissent comparables
à celles des pays étudiés.
Il convient néanmoins de souligner que
les lois italienne et
portugaise sur les étrangers interdisent toute expulsion judiciaire des
étrangers membres des catégories
protégées
.
Les dispositions danoises sont
également assez protectrices, car imprégnées du principe
de proportionnalité :
la double peine ne s'applique, aussi bien
dans son principe que dans sa durée, qu'en fonction de l'importance de
la condamnation et l'expulsion est d'autant plus difficile à prononcer
que l'étranger réside depuis longtemps.
À l'inverse, il faut remarquer la
possibilité qu'a le ministre
britannique de l'Intérieur d'étendre une mesure
d'éloignement au conjoint et aux enfants mineurs du
délinquant étranger
.