DÉBAT SUR LA SITUATION POLITIQUE EN MOLDAVIE : VERS DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES AU SUFFRAGE UNIVERSEL DIRECT ?
Débat animé
par Mme Sandrine Treiner,
Directrice de la rédaction de France
Culture
Ont participé :
M. Arcadie BARBAROSIE, Directeur de l'Institut de politique publique (IPP)
M. Florent PARMENTIER, École d'affaires publiques de Sciences Po et co-fondateur d'Eurasia Prospective
Mme Sandrine TREINER - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre. Ceux qui étaient présents parmi nous lors de notre dernière conférence, en janvier 2015, se souviennent que notre attention était alors largement focalisée sur la situation géopolitique internationale de la Moldavie. Il a donc été convenu que cette année, nous nous intéresserions plus spécifiquement à la situation nationale, tant économique que politique.
Avant de donner la parole à M. Arcadie Barbarosie, qui répondra à nos questions et que j'en remercie par avance, je voudrais rappeler quelques dates récentes, choisies à dessein et sans prétention à l'exhaustivité. La première est celle du 4 décembre 2014, qui est celle des révélations sur le « milliard disparu ». Puis, au printemps 2015, les contestations ont émergé et ont gagné en intensité en septembre, il y a tout juste six mois. Le mouvement « dignité et liberté » a demandé la démission du Président et du gouvernement, et l'organisation d'élections présidentielles au suffrage universel direct. L'accord d'association avec l'UE doit également être évoqué, de même que le gel des crédits par la Banque mondiale, le FMI, l'Union et la Roumanie.
Plusieurs questions se font jour : celle de l'avenir économique de la Moldavie, mais aussi celle du positionnement de l'opinion publique à l'égard de la classe politique moldave, celle du régime politique vers lequel évolue le pays et enfin celle des élections, avec la surprise de l'annonce, le 4 mars dernier, de l'élection du président au suffrage universel direct, qui pourrait avoir lieu à l'automne 2016.
Monsieur Arcadie Barbarosie, vous êtes directeur de l'Institut de politique publique (IPP) à Chisinau. À partir des dates citées, pourriez-vous nous dire où nous en sommes aujourd'hui, afin de compléter le tableau économique qui nous a été présenté ?
M. Arcadie BARBAROSIE, Directeur de l'Institut de politique publique (IPP) - Bonjour à tous. Merci beaucoup pour l'invitation qui m'a été faite. Je suis très honoré de pouvoir prendre la parole ici ce soir.
La Moldavie a réussi à établir un étrange record. Elle a entamé une révolution le 31 avril 2009, qui a conduit les communistes dans l'opposition et vu les partis démocratiques pro-européens prendre le pouvoir. Cette révolution a ouvert l'histoire du succès du partenariat oriental et de la signature de l'accord d'association UE-Moldavie. Mais aujourd'hui, on est face à une profonde crise politique, économique et sociale, l'État étant comme « capturé ». Ce constat est partagé par divers experts et analystes.
Je voudrais d'abord évoquer l'agitation qui a suivi les élections de novembre 2014, les gouvernements qui ont réussi ou échoué à diriger le pays en 2015 et l'étrange coalition qui est actuellement au pouvoir. Statisticien de formation, j'aime les chiffres et parlerai donc de la situation de l'opinion publique et de son évaluation de la classe politique.
Le 30 novembre 2014 se sont tenues des élections législatives. Le Parti socialiste a remporté 25 sièges, les libéraux-démocrates, 23, le Parti des communistes, 21, le Parti démocrate, 19, et le Parti libéral, 13. Mais pendant la campagne, deux faits notables se sont produits. D'une part, le parti « Patria », dirigé par M. Usaty, a été exclu des élections la veille du scrutin. Nombre de ses sympathisants ont sans doute quand même voté pour lui (2,5 % des voix), les autres se reportant sur le Parti socialiste. D'autre part, un « faux » parti communiste a été créé, baptisé « Parti des communistes réformateurs de Moldavie », doté d'un sigle identique (PCRM) et de symboles très similaires au vrai Parti des communistes ; ce parti factice a obtenu presque 5 % des voix. Les résultats des élections s'en sont donc trouvés légèrement modifiés, en faveur des partis pro-européens.
Après de difficiles négociations, un gouvernement de coalition a été formé sous la direction de M. Chiril Gaburici, réunissant les libéraux-démocrates et les démocrates, avec le soutien tacite des communistes. Ce gouvernement minoritaire a chuté en juin 2015. En juillet, un nouveau gouvernement a été investi, dirigé par M. Valeriu Strelet et disposant d'une véritable majorité au Parlement (démocrates, libéraux-démocrates et libéraux). Cependant, il n'a pu rester en place que trois mois. En 2015, cinq gouvernements se sont ainsi succédé : le gouvernement Leanca (un mois et demi), le gouvernement Gaburici (quatre mois), le gouvernement Gherman (intérim), le gouvernement Strelet (trois mois) et, enfin, le gouvernement Brega (intérim).
Mme Sandrine TREINER - Comment envisagez-vous la situation et les équilibres actuels ?
M. Arcadie BARBAROSIE - Une majorité étrange a été établie en novembre 2015 : elle a été formée de deux groupes parlementaires, les libéraux-démocrates (14 sièges) et les libéraux (13 sièges), mais aussi de 14 ex-communistes, d'un ex-membre du Parti socialiste et de 9 ex-membres du Parti libéral-démocrate qui se sont tous déclarés indépendants, soit au total 56 députés. Elle réunit donc des libéraux qui sont en faveur de l'adhésion à l'OTAN et de l'unification avec la Roumanie, et des communistes qui sont contre ces deux options et en faveur d'une orientation vers l'Est.
Les problèmes auxquels le gouvernement dirigé par M. Pavel Filip est confronté sont presque insolubles : un système judiciaire corrompu et dénué de toute confiance ; une corruption dont le niveau n'a pas baissé de 2006 à 2012 et a même augmenté ; la crise bancaire et la disparition d'un milliard de dollars des finances publiques ; la situation du budget, qui est déficitaire et dépend dans une large mesure de donations extérieures. Par ailleurs, le gouvernement doit également résoudre des problèmes d'image. La société moldave n'a guère confiance en lui, ni dans les institutions ; elle ne se sent pas représentée par lui. Des manifestations de protestation ont lieu. L'économie ne pourra pas être réformée sans que le système judiciaire ne le soit et sans que le niveau de corruption ne baisse - je sais que je suis en désaccord avec Monsieur le Ministre sur ce point.
Mme Sandrine TREINER - Monsieur Florent Parmentier, serez-vous notre juge de paix ? Comment la décision de la Cour constitutionnelle du 4 mars 2016, qui a invalidé l'instauration de l'élection du Président de la République par le Parlement, est-elle susceptible de répondre à une partie du constat qui vient d'être fait ?
M. Florent PARMENTIER, École d'affaires publiques de Sciences Po et co-fondateur d'Eurasia Prospective - Merci à Mme Josette Durrieu de nous avoir invités et merci aux organisateurs. Je m'étais interrogé sur le meilleur moyen de faire comprendre la situation en Moldavie à un public tiers, bien qu'ici, nous ayons des auditeurs avertis. En science politique, on dispose de l'outil des « trois I » : les idées, les intérêts, les institutions.
En ce qui concerne les idées, l'essentiel a déjà été dit. Il existe au sein de la coalition un désaccord profond l'orientation de la Moldavie : il y a un pôle « roumain », un pôle « russe » et un pôle « central », qui essaie de faire la synthèse. On doit aussi mentionner la société de défiance, qui s'exprime par exemple par les manifestations ou à l'occasion de la découverte du « milliard volé ».
Si l'on examine les intérêts partisans, on est frappé de constater que sur le long terme, c'est-à-dire depuis l'indépendance, en 1991, la régularité de la vie politique moldave est celle de l'instabilité. À l'exception des deux mandats du Parti des communistes, les gouvernements ont toujours été formés de coalitions, donc nécessairement instables. Les partis eux-mêmes sont instables : de nouveaux apparaissent en permanence, mais les anciennes « familles » perdurent (partisans d'une unification avec la Roumanie, partisans d'une option centrale, réformateurs). Un certain nombre de partis précédemment établis -le Parti des communistes, le Parti libéral-démocrate- sont en déclin ; d'autres vont émerger autour de personnalités telles que Mme Maia Sandu, ancienne ministre de l'Éducation, ou M. Iurie Leanca, ancien Premier ministre ; enfin, certains reprennent des pans entiers d'un électorat, comme M. Igor Dodon, qui a attiré vers son Parti socialiste d'anciens communistes. Pour résumer cela d'une phrase, on peut parler d'une stabilité des intérêts et d'un changement des formes.
Ce qui est intéressant au sujet des institutions, c'est la volonté de présidentialiser le régime qui s'est exprimée le 4 mars. Le passage au suffrage universel direct pour l'élection du Président entraînera cependant un renforcement du pouvoir exécutif si, et seulement si, les autorités et les compétences qui lui sont attribuées vont de pair avec cette élection. Si tel n'était pas le cas, le futur Président aurait la légitimité populaire, mais non les moyens de ses ambitions. Or il me semble que le chef de l'État ne proposera pas son candidat au poste de Premier ministre au Parlement mais que le chef du gouvernement émanera de la majorité parlementaire elle-même.
Pour résumer, je dirais donc que la société moldave est une société de défiance, que les institutions sont défaillantes et donc critiquées par la population et les donateurs internationaux (dont la Roumanie), et que le renouveau des partis ne saurait cacher une réelle stabilité des idées.
Partant de ces différents éléments, je voudrais esquisser plusieurs scénarios quant à l'élection présidentielle qui devrait avoir lieu à la fin de l'année. S'il fallait donner une matrice, elle pourrait être la suivante en ce qui concerne le chef de l'État : soit un Président « pro-russe », c'est-à-dire soucieux de ses intérêts propres mais tourné vers la Russie ; soit un Président « pro-européen », qui défendrait ses intérêts au moyen d'un vecteur plus européen car les acteurs politiques ne s'oublient jamais ; soit encore un Président plus « neutre », si les différents partis politiques se mettaient d'accord pour ne pas politiser l'élection et conférer au Président un profil plus faible.
Il faut ensuite envisager le résultat des élections législatives, puisqu'il n'est pas certain qu'ils confirmeront exactement l'issue de la présidentielle. Là encore, trois cas de figure sont possibles : soit des partis « pro-russes » majoritaires, soit des partis « pro-européens » ou « pro-réformateurs », soit encore un Parlement divisé et de ce fait en difficulté. S'ajoute à ces différentes possibilités l'option d'un report des élections, qui ne me paraît cependant pas la plus vraisemblable à l'heure actuelle compte tenu des attentes fortes de la population (d'après les sondages, 88 % soutiendraient l'élection du Président au suffrage direct).
Mme Sandrine TREINER - Messieurs Barbarosie et Parmentier, quelles sont vos réactions aux propos tenus par M. le Ministre au sujet de la politique économique ?
M. Arcadie BARBAROSIE - Le niveau de vie en Moldavie recule. Nous avons donc besoin d'un développement économique soutenu et soutenable. Or on ne peut pas mener de réformes économiques sans réforme de la justice, du système judiciaire, qui est corrompu et contrôlé politiquement, et sans une baisse de la corruption : sinon, les investisseurs ne viendront pas en Moldavie.
M. Florent PARMENTIER - Je rejoins tout à fait M. Barbarosie sur ce point. Pour que la corruption ne soit pas rédhibitoire, il faut que le marché intérieur d'un pays soit suffisamment fort et que les investissements étrangers affluent de toute façon. Cela est le cas en Chine, par exemple, mais non en Moldavie.
Au cours des dernières années, la Moldavie a obtenu un accès croissant aux marchés européens. Les Européens ont fait le pari qu'un accord de libre-échange profond et complet doit avoir pour principale vertu de modifier le comportement des acteurs économiques, notamment pour ce qui a trait à la corruption. La réforme du système bancaire est également essentielle, qui concerne la France dans la mesure où le nouveau gouverneur de la Banque centrale connaît les méthodes françaises pour être passé par Paris et avoir travaillé à la BNP. Il jouera, comme M. Stéphane Bridé, ancien ministre de l'Économie, avant lui, un rôle important dans les réformes à venir, ce qui est une tradition louable.
La question de la surveillance des réformes est, en tout état de cause, une question essentielle à mes yeux.
Mme Sandrine TREINER - Que dire du gel des crédits des partenaires occidentaux ?
M. Florent PARMENTIER - Tant que la Moldavie peut se le permettre, il nous appartient seulement de rester vigilants. En tant qu'Européens, nous sommes avant tout là pour soutenir non pas les gouvernements moldaves mais leurs réformes.
Mme Sandrine TREINER - Y a-t-il des interventions dans la salle ?
De la salle - Je voudrais tout d'abord féliciter le gouvernement moldave pour ses chiffres du chômage : 4 %, c'est un taux trois fois inférieur au taux de chômage français, et il doit être largement imputable à la fermeture des trois banques. Comment retrouver le milliard perdu ? Je m'interroge sur les méthodes de recherche qui ont été mises en oeuvre. Tous les mouvements passent par les circuits informatiques. Si on y employait quatre personnes pendant deux ou trois semaines, on retrouverait tout l'argent.
Par ailleurs, je me demande comment le pays peut tenir après la fermeture de trois banques et vraisemblablement bientôt de trois autres. Y a-t-il tant d'investissements étrangers en Moldavie ? Tous les investisseurs rencontrent des difficultés avec le fisc ou d'autres institutions de l'État. Ne faudrait-il pas mener une réforme de simplification et instaurer une taxe sur les bénéfices unique de 10 % ?
Les personnes qui viennent en Moldavie doivent aussi accéder au pays. Lorsque l'on vient par la route, l'état du réseau est tel qu'il ne donne pas envie de régler le péage : quand je circule dans le pays, je suis tenté de demander au gouvernement de m'indemniser pour les dommages subis par mon véhicule sur les routes. Je sais que depuis quelque temps, tout le budget alloué à l'entretien du réseau routier passe en pensions et salaires des fonctionnaires.
Tous les chômeurs qui ont perdu leur emploi à cause de la politique menée par les gouvernements et qui ont quitté le pays continuent à financer la Moldavie. Les « rémittences » envoyées par les émigrés moldaves représentent 30 % du produit intérieur brut (PIB) moldave. Un seul pays au monde dépend plus de sa diaspora, c'est les Îles Tonga, dont la population va travailler dans l'Australie voisine.
Mme Olesea IONCU-DUBOIS - Bonsoir. Je travaille à Sciences-Po et suis, par ailleurs, moldave. M. Barbarosie vient de dire que la justice était corrompue et contrôlée. Il me semble important de préciser que l'information l'est aussi. Les accès sont verrouillés. Ma question est la suivante : comment fait-on devant une telle disparité de l'information ?
Mme Ana GUTU - Je suis professeur des universités et je préside le nouveau parti politique de « La Droite » en Moldavie. Celui-ci regroupe des jeunes Moldaves de la diaspora européenne, diplômés d'universités et d'écoles prestigieuses, qui plaident en faveur du rattachement de la Moldavie à la Roumanie. L'option de la réunification est actuellement soutenue par 25 à 30 % de la population, et cette part augmente.
Cette question revêt deux dimensions. La première est historique : la seule nation européenne divisée après la Seconde Guerre mondiale et non encore rassemblée est la nation roumaine ; le pacte Ribbentropp-Molotov, bien qu'unanimement condamné, produit toujours des effets. La revendication de réunification, parfaitement légitime, ne disparaîtra jamais. La deuxième dimension est plus pragmatique : les citoyens moldaves, conscients de la situation de leur pays, pensent que l'union avec la Roumanie règlerait des problèmes économiques et sociaux notamment, en premier lieu l'insécurité aux confins de l'UE, mais aussi l'appartenance à l'UE et à l'OTAN, la sécurisation des investissements étrangers...
Nous ne sommes pas en faveur d'un référendum parce qu'un État post-totalitaire n'a pas cette culture de la consultation populaire. Nous appelons de nos voeux une décision géopolitique et juridico-politique prise par les deux parlements, roumain et moldave. Cette issue est loin d'être improbable.
Dimanche dernier, une marche de soutien à la réunification a rassemblé 50 000 personnes en Moldavie, sur une population totale de 3 millions d'habitants. Alors que la tendance est aux séparatismes un peu partout en Europe, le temps est venu pour la nation roumaine de se rassembler.
Les réformes que nous prônons, les changements que nous voulons voir en République de Moldavie prendront beaucoup de temps - peut-être des siècles - à la recherche de cette « statalité », si je puis utiliser ce néologisme qui ne se trouve dans aucune de nos deux langues, de cette construction étatique moldave qui n'a jamais existé.
M. Florent PARMENTIER - Je voudrais préciser que l'ancien Président roumain, M. Traian Basescu, a demandé la citoyenneté moldave, ce qui est rare - l'inverse s'observe plus fréquemment. Les actuels Président et Premier ministre roumain ont pris la décision intéressante et plutôt courageuse de conditionner le soutien de la Roumanie à la mise en oeuvre de réformes en Moldavie.
Sur le fond de la question, je me référerai à ce que Fernand Braudel écrivait de l'Europe dans La grammaire des civilisations : la culture dit généralement oui, l'économie dit plutôt oui, le politique dit plutôt non. Quand on connaît l'attachement des Européens, en règle générale, à la stabilité des frontières, il semble très difficile d'imaginer que les 27 autres États-membres cautionneraient une réintégration de la Moldavie à la Roumanie, y compris par voie parlementaire, alors qu'ils n'arrivent déjà pas à tomber d'accord sur le statut du Kosovo. Je ne me prononce pas sur la question culturelle, qui ne fait pas de doute, ni sur la question économique, mais il y a un vrai risque politique. À l'heure où les Européens se divisent, où l'on parle de Brexit, où l'arrivée massive de migrants pose la question de la frontière, où le groupe de Viegrad - les États d'Europe centrale qui avaient le mieux réussi dans la transition : la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie - sont en voie de défendre leur propre vision, la question de la Moldavie ne sera pas en haut de l'agenda européen.
Mme Sandrine TREINER - M. Barbarosie, quelle est votre réaction aux propos de M. Parmentier sur le fait que la réunification ne poserait aucune question culturelle ?
M. Arcadie BARBAROSIE - Si l'on pense que les Roumains sont d'ex-Soviétiques, alors il n'y a effectivement aucune question à se poser. Mais ils ne se considèrent actuellement pas comme tels.
La question de la réunification est actuellement beaucoup discutée. Si l'on veut réussir un tel processus, il faut en assurer la légitimité, ce qui passe soit par un référendum, soit par une situation de crise profonde, qui rendrait le gouvernement incapable d'assurer la sécurité de ses populations et rendrait nécessaire une intervention extérieure, comme cela s'est produit en 1918. Sans cette légitimité, une réunification serait toujours contestée, tant par les acteurs internes que par les acteurs externes.
D'après les sondages, si quelque 22 ou 23 % de la population moldave voteraient en faveur de la réunification lors d'un référendum, 60 à 65 % voteraient contre. Par ailleurs, l'analyse des coûts d'une telle option n'a pas encore été faite ; il n'y a aucune feuille de route avec un chiffrage précis, étape par étape.
En ce qui concerne le chômage, je voudrais préciser que les Moldaves qui ont perdu leur emploi ont émigré. Ils se sont rendus en France, en Espagne, en Italie, etc. Ceci explique qu'ils ne soient que 4 % dans le pays.
Ainsi que cela a été dit, l'espace médiatique est contrôlé, et il l'est largement par la Russie, surtout pour ce qui est de l'audiovisuel. Or plus de 90 % des Moldaves ont pour première ou deuxième source d'information la télévision, devant Internet. On estime que 75 à 80 % des chaînes à couverture nationale sont contrôlées par une seule personne, M. Vladimir Plahotniuc, vice-président du Parti démocrate.
Mme Sandrine TREINER - Monsieur le Ministre, je vous invite à réagir sur les questions de la confiance et des investissements étrangers, ainsi que sur celle de la situation économique et du chômage.
M. Octavian CALMÂC - Concernant le système bancaire, le problème est en grande partie antérieur à 2015, puisqu'il remonte à 2001. Il n'a été identifié que lorsque la Banque centrale l'a vu. La décision de celle-ci d'intervenir, fin 2014, était raisonnable : sinon, tout le système bancaire aurait été ruiné. L'État a donc injecté 13,5 milliards de lei.
La corruption du système judiciaire date également du début des années 2000. Pour la combattre, il ne suffit pas de remplacer les fonctionnaires. Il faut un changement systémique et un accroissement des capacités -ce chantier est en cours.
Pour ce qui est de la situation économique du pays, je connais évidemment tous les chiffres et statistiques qui ont été cités. Je suis prêt à en discuter avec les personnes intéressées après cette conférence. Dans la situation actuelle, nous essayons de changer de paradigme de développement en transformant une économie de consommation en une économie d'investissements. L'objectif est de faire en sorte que toutes les forces de travail contribuent au développement économique. Près de 50 000 places seraient actuellement vacantes. Il convient de préciser qu'il est de coutume, en Moldavie, de n'occuper qu'un seul emploi, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays.
Enfin, je voudrais souligner que la Cour constitutionnelle s'est déjà prononcée sur plusieurs sujets politiques qui ont été abordés. Ses décisions ne se discutent pas, elles s'exécutent. Chacun peut avoir sa vision personnelle et est libre de l'exprimer lors des élections présidentielles et législatives.
Je suis quelqu'un d'ouvert, disponible pour la discussion, afin de chercher ensemble des solutions. On peut venir me trouver à Paris, mais aussi en Moldavie. J'ai rencontré hier les membres de la diaspora moldave, à l'Ambassade. Je suis sûr que nous pouvons construire un dialogue qui puisse contribuer au développement de l'économie moldave.
Mme Sandrine TREINER - Je donne la parole à deux participants qui l'ont demandée.
M. Hervé LERNER - Citoyen français, je souhaite poser plusieurs questions à M. le Ministre. Comment voyez-vous l'Union européenne, de l'extérieur ? Une zone monétaire « leu », composée de la Roumanie et de la Moldavie, est-elle envisageable ? Existe-t-il une synergie entre les marchés moldave et ukrainien, l'Union européenne ayant signé un accord d'association avec chacun des deux pays ? Enfin, préférez-vous le dollar ou l'euro ?
Mme Sandrine TREINER - Nous ne pourrons pas répondre à toutes les questions. Il y aurait matière à organiser une journée d'échanges.
M. Ion CEBAN - Je représente un parti d'opposition de Moldavie, qui compte environ 25 % des sièges au Parlement, qui a la majorité au sein du conseil municipal de Chisinau et auquel appartiennent plus de cent maires. Monsieur le Ministre, il ne me paraît pas possible d'accuser le gouvernement qui était en poste de 2002 à 2005 ; l'argent volé en Moldavie n'est pas revenu dans le pays et personne n'est jugé pour ce crime. La Moldavie est aujourd'hui un « État confisqué » : il ne reste plus une institution libre, que ce soit le procureur général, le centre anti-corruption ou d'autres organes -tous sont sous contrôle.