De Alger à Paris
À la Libération, le Palais du Luxembourg accueille, au retour des pouvoirs publics d'Alger en métropole, l'Assemblée consultative provisoire. Créée par l'ordonnance du 17 septembre 1943 lorsqu'il a été possible de réunir un nombre suffisant de représentants de la résistance extérieure et intérieure, celle-ci est venue renforcer, aux yeux des Alliés, la légitimité du Comité français de la libération nationale.
- 148 représentants de la résistance métropolitaine
- 28 représentants de la Corse et de la résistance extra-métropolitaine;
- 60 représentants des Assemblées parlementaires antérieures;
- 12 représentants de territoires d'outre-mer.
Les 17 membres du CNR et ses 2 secrétaires généraux sont déclarés membres de droit.
« Il a paru d'abord que le Conseil national de la Résistance qui, par son action clandestine, a animé et coordonné magnifiquement l'action des militants pour l'honneur et la gloire de la patrie, devait pouvoir prolonger son rôle en faisant entendre officiellement sa voix... »
(exposé des motifs de l'ordonnance du 11 octobre 1944).
Il s'agit pour le CNR d'une contrepartie au renoncement que lui a demandé le général de Gaulle de continuer à exister comme organe d'action.
Les représentants des assemblées parlementaires antérieures voient leur nombre multiplié par trois par rapport à l'assemblée d'Alger. « Il convient en effet de faire plus large état de la dernière expression connue de la volonté nationale et, en assurant plus largement aussi à l'Assemblée le concours d'hommes ayant une particulière expérience des Affaires publiques, de renouer, dans la limite du possible, avec le passé légal ». Ils sont désignés, parmi les parlementaires membres du Sénat ou de la Chambre des députés depuis le 1er juin 1936, par un comité de 20 membres élu, en leur sein, par les parlementaires qui ont refusé de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Leurs sièges sont répartis par décret entre les divers groupes politiques proportionnellement à leur importance effective à la Chambre des députés à la date du 3 septembre 1939.
L'ordonnance du 11 octobre 1944 maintient l'interdiction faite par l'ordonnance du 17 septembre 1943 à quatre catégories de personnes d'appartenir à l'Assemblée consultative provisoire (anciens membres du gouvernement de Vichy, élus et fonctionnaires ayant d'une manière ou d'une autre collaboré avec l'ennemi depuis le 16 juin 1940, parlementaires ayant voté les pleins pouvoirs, individus nommés par Vichy à une fonction d'autorité ou de responsabilité), mais elle laisse les divers organes de désignation juges de supprimer les incapacités par décision spéciale et motivée.
Par rapport à Alger, la durée des sessions de l'Assemblée consultative provisoire est accrue, mais leur fréquence réduite. Il est prévu qu'elle se réunisse en session ordinaire tous les trois mois pour un mois. Des sessions extraordinaires, de quinze jours au plus, sont possibles, à la demande des trois quarts des membres de l'assemblée ou du gouvernement, mais à un rythme qui ne peut dépasser en principe une session extraordinaire entre deux sessions ordinaires.
Quant à ses attributions, l'assemblée est chargée de donner son avis sur toute question dont elle est saisie par le Gouvernement provisoire de la République française. Son avis est obligatoirement demandé sur le budget du GPRF et les projets d'emprunts importants.
A ces compétences prévues dès le départ, est ajoutée -mais un décret du 29 avril 1944 la mentionnait déjà- l'obligation pour le Gouvernement, sauf cas de nécessité constaté, de recueillir l'avis de l'assemblée avant l'adoption de toute législation touchant au statut des libertés individuelles, à l'organisation des pouvoirs publics et à la structure économique et sociale du pays.
Une ordonnance du 23 octobre 1944 fixe au Palais du Luxembourg le siège de l'Assemblée consultative provisoire à son retour d'Alger.
Inauguration
Elle s'y réunit pour la première fois le 7 novembre, sous la présidence de Paul Cuttoli, sénateur de Constantine et président d'âge. Devant une Assemblée émue, Paul Cuttoli ouvre la séance. Il rappelle la vocation de l'Assemblée consultative : « en ces heures tragiques pour la France, (elle) doit assister le gouvernement et répondre dignement aux graves responsabilités qui l'attendent ».
La presse se fait l'écho de la solennité du moment : « Le Palais du Sénat a abrité la première séance de l'Assemblée consultative provisoire. Pour nous, vieux Parisiens, c'était une minute émouvante que celle où nous avons revu après des années de mort, cette salle illustre retrouver sa vie » (Wladimir d'Ormesson, Le Figaro, 8 novembre 1944).
Le 8 novembre 1944, l'assemblée porte à sa présidence, au second tour de scrutin, par 197 voix sur 225, Félix Gouin, qui présidait déjà l'Assemblée consultative d'Alger. Quatre vice-présidents sont également élus. Il s'agit du révérend père Carrière (Résistance extra-métropolitaine), de Georges Buisson (CGT), et de deux anciens parlementaires, André Mercier (communiste) et François Labrousse (Résistance parlementaire). Au cours des séances suivantes, l'assemblée établit son règlement, nomme les membres des commissions, décide de siéger en séance plénière les mardi, mercredi et jeudi, de réserver les autres jours au travail des commissions et d'instaurer, d'accord avec le gouvernement, des débats de politique intérieure et extérieure.
Le 9 novembre (commémoration du 9 novembre), le général de Gaulle inaugure les travaux de l'assemblée réunie au Palais du Luxembourg. Après une longue ovation, il prend place à la tribune pour rendre hommage aux combattants de la première heure et aux Français qui les ont progressivement ralliés. Grâce à cette résistance, l'Assemblée consultative peut siéger au Palais du Luxembourg, symbolisant ainsi la continuité de la légalité républicaine dans une France encore en guerre. La collaboration de cette assemblée avec le gouvernement est essentielle pour assurer le redressement de la France et la fin de la guerre. Pour le général de Gaulle, la réunion à Paris de l'Assemblée consultative marque « une nouvelle étape sur la route qui (nous) mène à la fois vers la victoire et vers la démocratie ».
Extrait du discours prononcé par le Général de Gaulle le 9 novembre 1944
Les travaux
L'Assemblée consultative provisoire tiendra au Palais du Luxembourg 120 séances publiques, discutera 55 rapports, posera 654 questions écrites, 177 questions orales et répondra à 24 demandes d'avis du gouvernement. Si certains de ses membres ont parfois dénoncé son manque d'influence et le peu d'attention prêtée par le gouvernement à ses avis, elle a débattu de sujets essentiels pour la France.
Ainsi, a-t-elle contribué à la mise en place du plan de la Sécurité Sociale, à l'institution des comités d'entreprise, à la réorganisation de l'armée et à l'accélération du retour des prisonniers en France. A la fin de l'année 1944, les grands problèmes de politique extérieure ont été débattus au sein de l'hémicycle du Palais du Luxembourg. Les membres de l'Assemblée consultative provisoire ont également pu s'exprimer sur des sujets économiques, comme la mise en place d'un impôt de solidarité, l'organisation du contrôle du crédit en vue de la nationalisation de certaines grandes banques ou encore la politique budgétaire et monétaire du gouvernement.
Le 15 mai 1945, au lendemain de la capitulation allemande, le général de Gaulle vient célébrer la victoire devant l'Assemblée consultative provisoire. La salle des séances est pavoisée aux couleurs des vainqueurs.
La fin de la seconde guerre mondiale et le rétablissement progressif de la légalité républicaine sur l'ensemble du territoire poussent le gouvernement provisoire à organiser durablement les pouvoirs publics français. Le 16 juillet 1945, il soumet à l'avis de l'Assemblée consultative provisoire un projet d'ordonnance qui donne lieu à un débat difficile. Les points d'accord sont limités.
L'ordonnance du 17 août 1945 relative au référendum du 21 octobre 1945 sur l'Assemblée nationale constituante fixe à cette même date la fin des pouvoirs de l'Assemblée consultative provisoire. Celle-ci achève en réalité ses travaux le 3 août. Le général de Gaulle déclare dans son discours de clôture qu'« au moment où l'Assemblée se sépare, la nation entreprend une étape nouvelle, décisive, celle que tous et toutes depuis plus de 5 ans ont préparée et voulue. La nation va reprendre en main ses destinées ».