Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 2 juin 2004



Élargissement

Déplacement en Estonie

Communication de M. Maurice Blin

Je me suis rendu en Estonie du 20 au 22 avril dernier, soit pratiquement la veille de l'entrée de ce pays dans l'Union européenne. Il s'agissait de mon troisième déplacement, après ceux de juin 2000 et juin 2001, dont je vous ai alors rendu compte. Cette visite était toutefois un peu différente des deux précédentes, puisqu'elle ne visait plus à savoir comment l'Estonie se préparait à entrer dans l'Union, mais plutôt à faire le point sur ses attentes et propositions à l'égard d'une Union dont elle devenait membre à part entière.

Comme vous le savez, l'Estonie est plutôt un pays baltique qu'un pays balte ; c'est un pays non scandinave, de 1,4 million d'habitants, dont environ 300 000 russophones, soit 23 % de la population. Il faut rappeler que des milliers de salariés russes ont été appelés, durant la période soviétique, à travailler dans les entreprises d'armement en Estonie, en particulier à Narva, ville frontière avec la Russie. Par ailleurs, l'Estonie est un petit pays dont la croissance démographique est faible (1,2 enfant par femme).

L'Estonie est un pays singulier, particulièrement dynamique et attachant. Je rappellerai simplement que son accès à l'indépendance en 1991 a été appelé la « révolution chantante », révolution en grande partie menée par des femmes. L'Estonie est un pays singulier à d'autres points de vue. Il a connu dès son indépendance une révolution libérale radicale. Le « modèle estonien » repose en grande partie sur une fiscalité très faible : l'impôt sur le revenu est perçu à un taux proportionnel de 26 %, qui devrait être réduit à 20 % d'ici 3 ans, et tous les bénéfices des entreprises qui sont réinvestis sont exonérés. Cette politique d'imposition faible se conjugue avec une faible dépense publique et un État restreint : le peuple estonien a jusqu'à présent accepté une politique rigoureuse de réformes, que les responsables publics appellent d'ailleurs à poursuivre, notamment en matière de retraites ou de santé publique. Enfin, l'équilibre budgétaire est un principe que doit respecter le gouvernement.

La réussite économique estonienne est réelle. Le taux de croissance de l'économie a atteint une moyenne annuelle de 5 % ces six dernières années, ce qui place l'Estonie en tête des pays baltes. Les investissements directs étrangers affluent, représentant plus de 300 millions d'euros par an sur les cinq dernières années, soit 6 à 10 % du PIB, dont environ un tiers en provenance de Finlande. De nombreux sous-traitants d'entreprises finlandaises, comme Nokia, sont installés en Estonie. Les investissements français sont cependant faibles, malgré la présence de quelques grands groupes (Schneider, Alstom, Vivendi, Saint-Gobain) : la France n'est que le treizième investisseur en Estonie, et nos petites et moyennes entreprises y sont peu implantées, malgré des réussites individuelles.

D'un point de vue général, l'inflation est maîtrisée, le secteur bancaire est solide, avec des capitaux provenant essentiellement de Suède, et le pays n'enregistre qu'un faible endettement public. Le taux de chômage est légèrement inférieur à 10 %. Le pays a privatisé tous les secteurs de son économie, à de rares exceptions près (l'entreprise publique d'électricité Eesti Energia), et ceci malgré quelques déconvenues, essentiellement dans le domaine des transports : la privatisation du réseau des chemins de fer a été confiée à des experts britanniques avec des résultats peu concluants, si bien que des experts de la SNCF sont désormais sollicités ; la desserte des îles par des compagnies privées, qui ne donne pas satisfaction, est également remise en question.

Les questions sociales commencent à investir le champ politique après plusieurs années de strict libéralisme. Le programme triennal de baisses d'impôts a provoqué des tensions dans la coalition gouvernementale à l'automne dernier. Pour le moment, ces préoccupations sociales sont cependant limitées au soutien à la famille ou à l'éducation, notamment la formation professionnelle.

Il faut par ailleurs noter une véritable fracture entre Tallin et le monde rural estonien, qui est à l'abandon. La classe politique porte très peu d'intérêt au monde rural : citant volontiers le modèle néo-zélandais, et les idées du groupe de Cairns, les Estoniens refusent de subventionner leur agriculture, considérant que ce n'est pas un secteur d'avenir. Ils préfèrent mettre en avant leur réussite dans le domaine des nouvelles technologies et consacrer leurs efforts à attirer les investissements dans ces secteurs « de pointe ». Ils sont donc hostiles à la politique agricole commune et se démarquent, de ce point de vue, d'autres nouveaux entrants dans l'Union européenne, comme la Pologne.

S'agissant des institutions, je rappellerai que l'Estonie est dotée d'un parlement monocaméral, le Riigikogu, qui comprend 101 membres élus pour quatre ans. Le président de la République est Arnold Rüütel, dernier dirigeant de la période soviétique mais aussi « père » de l'indépendance proclamée en septembre 1991. Il a succédé à Lennart Meri en septembre 2001, pour un mandat de cinq ans. Une coalition de centre-droit est au pouvoir depuis les élections législatives de mars 2003 et comprend le parti Res publica (parti du premier ministre Juhan Parts), le parti de la Réforme (auquel appartient l'ancien premier ministre et nouveau commissaire européen Siim Kallas) et l'Union du peuple (parti du président Rüütel). Le Président Christian Poncelet a reçu, le 10 mai dernier le premier ministre Juhan Parts, quelques jours seulement après l'entrée de son pays dans l'Union européenne.

J'en viens maintenant plus spécifiquement aux relations entre l'Estonie et l'Union européenne. Il faut tout d'abord souligner que l'Estonie a toujours considéré faire partie de l'Europe, même si elle n'est entrée dans l'Union européenne que le 1er mai dernier. Au sein de l'Union européenne, l'Estonie a un vrai souhait : garder sa spécificité et son indépendance, chèrement acquise après des siècles d'occupation par les Danois, les Allemands, les Suédois (cette période ayant toutefois été considérée comme une période « heureuse », les Suédois ayant notamment fondé l'université de Tartü) puis les Soviétiques. Il faut rappeler que, avant 1991, l'Estonie n'a connu que vingt années d'indépendance entre février 1920 et juin 1940.

L'adhésion à l'Union européenne est donc perçue avec un sentiment ambivalent : d'une part, la satisfaction d'être reconnu comme membre à part entière de la « famille » européenne avec les perspectives qui en résultent, en termes d'aides structurelles notamment, et, d'autre part, la crainte d'être « englouti » dans une nouvelle union, dirigée essentiellement par les grands États membres. On peut ajouter à cette crainte une méfiance à l'égard de tout ce qui représente le pouvoir de l'État et de l'administration en général, et on entend parfois dire que la bureaucratie bruxelloise ne doit pas remplacer la bureaucratie soviétique.

Ceci explique sans doute que le référendum d'adhésion à l'Union européenne n'ait recueilli que 69 % de votes positifs en Estonie, soit le score le plus faible des trois États baltes, même si une partie de ce résultat pourrait être dû à une méfiance de la minorité russophone. L'Estonie veut conserver sa spécificité dans l'Union européenne et n'entend pas renoncer, en particulier, à son modèle libéral, dont elle est très fière.

Par ailleurs, l'Estonie ne porte pas un grand intérêt à l'Europe de la défense. Elle se souvient que l'Europe de l'Ouest n'a rien pu faire pour mettre un terme à la domination soviétique. Il ne vous étonnera pas que les Estoniens entretiennent un sentiment de rejet mêlé de crainte à l'égard des Russes, qualifiés par certains de « byzantins », notamment pour leur propension à instrumentaliser la situation des minorités russophones d'Estonie, afin d'en tirer des avantages de négociation avec l'Union européenne. Il est vrai que certains russophones refusent d'apprendre l'estonien et ne peuvent accéder à la nationalité et à certains de ses droits associés, comme l'accès à la fonction publique. L'Estonie regrette que la Russie n'ait toujours pas ratifié l'accord frontalier conclu en 1994, et elle y voit un refus de reconnaître la pleine souveraineté du pays. De ce point de vue, l'adhésion définitive de l'Estonie à l'OTAN le 2 avril dernier est perçue comme la seule garantie contre l'hégémonie russe, bien plus que l'adhésion à l'Union européenne. L'Union européenne doit apporter à l'Estonie le développement économique, et les États-Unis sont toujours perçus comme les garants de sa sécurité.

S'agissant plus précisément des institutions européennes, l'Estonie est favorable à une adoption rapide de la Constitution européenne. Elle souhaite le maintien d'un commissaire européen par État membre, au moins jusqu'en 2009, et préfère conserver un seuil minimal de six députés européens, même si l'argument de l'existence de six partis représentés au Riigikogu ne peut être reçu. Elle n'est pas favorable à l'extension du vote à la majorité qualifiée pour les questions touchant à la fiscalité, aux affaires sociales et à la défense, pour les raisons que j'ai déjà évoquées. Elle n'est pas non plus très favorable aux coopérations renforcées, même si j'ai perçu des avancées possibles en matière de sécurité et de police. Sur le mode de prise de décision au Conseil des ministres, les dispositions du traité de Nice lui convenaient, mais elle est ouverte à des aménagements. Enfin, l'Estonie plaide en faveur du maintien en l'état des critères du pacte de stabilité et souhaite adhérer « dès que possible » à l'euro.

Je finirai mon propos par une question qui nous intéresse plus spécifiquement, à savoir l'influence de la culture française en Estonie. Comme vous le savez, l'Estonie n'a pas de passé commun avec la France ; elle appartient au monde germano-baltique. Toutefois, en entrant dans l'Union européenne, ce pays a compris l'intérêt de se rapprocher de ses grands voisins plus éloignés, dont la France, dont elle estime qu'elle exerce une influence dans les institutions communautaires.

J'ai ainsi noté avec satisfaction lors de mon déplacement à Tallin que le centre culturel français dispensait des cours de langue française à de nombreux fonctionnaires estoniens (819 fonctionnaires en 2003) et comptait plus de 1 000 abonnés pour les livres et périodiques en langue française. Si l'activité du centre culturel est soutenue, sa situation matérielle est cependant bien moins satisfaisante. Il y a trois ans, la France a acheté un bâtiment dans le centre de Tallin pour 380 000 euros afin de créer un nouveau centre culturel, plus spacieux et moderne. Les travaux devaient représenter 1,5 million d'euros. J'ai pu constater avec un immense regret lors de ma visite que ces travaux n'avaient toujours pas commencé et que le bâtiment était laissé à l'abandon. J'ose espérer que des décisions pourront être prises dans un avenir proche afin de mettre un terme à cette situation.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je vous remercie pour votre communication. Il faudra suivre avec attention le devenir du nouveau centre culturel français de Tallin. Vous avez évoqué l'adhésion à la zone euro : cette question va être abordée dans quelques instants par notre collègue Xavier de Villepin.

M. Pierre Fauchon :

Il me semble que les Estoniens n'ont pas de sentiment positif à l'égard de l'Union européenne, sauf pour les aides qu'elle peut leur apporter. Avez-vous une idée du montant des aides communautaires que l'Estonie reçoit ?

M. Maurice Blin :

J'ai effectivement indiqué à mes interlocuteurs qu'ils attendaient au moins de l'Union européenne qu'elle aide au développement de leur économie par les fonds structurels. Ils ont reconnu qu'ils recevraient ces aides, mais ils ont assuré qu'ils pouvaient aussi développer leur économie sans elles, grâce à leur politique libérale. En tout état de cause, il me semble qu'ils auront besoin d'un appui dans certains domaines, par exemple pour l'aide à l'intégration économique et sociale des minorités russophones, qui souffrent d'un taux de chômage élevé. Quant aux attentes à l'égard de la France, elles concernent essentiellement l'aide culturelle et la coopération administrative.


Économie, finances et fiscalité

L'élargissement de la zone euro

Rapport d'information de M. Xavier de Villepin

Résumé du rapport

Maintenant que l'élargissement de l'Union européenne est réalisé, la question qui se pose est celle de l'introduction de l'euro pour les 74 millions d'habitants des dix nouveaux États membres. Ces États ont en effet accepté l'Union économique et monétaire comme un des éléments de « l'acquis communautaire ». Ils sont tenus d'abandonner leur monnaie nationale et d'adopter l'euro s'ils remplissent les critères de convergence du traité de Maastricht. Cela signifie que, à la différence du Royaume-Uni ou du Danemark, ils ne peuvent demander à bénéficier d'une clause d'exemption, et leur statut « d'États membres bénéficiant d'une dérogation » ne peut qu'être provisoire.

Dans la procédure de sélection à venir des nouveaux États participant à l'euro, la Banque centrale européenne aura un rôle déterminant car c'est elle qui rédigera les rapports sur la convergence économique des pays candidats. Dans cette perspective, elle a publié, le 18 décembre 2003, une position de principe fort prudente qui invite les États candidats à n'envisager de rallier, d'abord le mécanisme de change européen, puis l'euro, qu'après avoir atteint un certain degré de convergence avec la zone euro.

Pour la zone euro elle-même, ces adhésions ne vont d'ailleurs pas sans poser de nombreux problèmes dans la mesure où, dans un premier temps, douze pays de l'Europe élargie se plieront aux règles de l'euro tandis que treize resteront en dehors, même si, par le traité d'adhésion, ces derniers doivent se soumettre à la coordination des politiques économiques de l'Union européenne. Il résulte de ce constat que le calendrier d'adhésion à l'euro des nouveaux États membres dépendra de très nombreux facteurs soumis, non seulement aux décisions des autorités politiques, mais aussi à celles des acteurs économiques, au premier rang desquels les marchés financiers.

La période de deux ans de présence dans le système monétaire européen, sans dévaluation, qui est exigée par le traité avant cette adhésion, sera, de ce point de vue, une période délicate au cours de laquelle des facteurs contradictoires pourront se manifester. Le risque d'instabilité monétaire sera alors très important et les erreurs de politique économique pourront être sévèrement sanctionnées.

Pour autant, faut-il repousser à des échéances lointaines une adhésion qui apparaît comme le complément naturel, voire indispensable, de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale, alors même que les avantages de cette adhésion seront très importants pour ces pays ? La réponse est tout autant politique qu'économique, car, comme toute monnaie, l'euro est d'abord la manifestation d'une volonté politique.

Première interrogation : Dans quelles conditions les nouveaux États membres de l'Union européenne pourront-ils rejoindre la zone euro ?

Le traité d'adhésion n'a pas modifié les règles de sélection des pays candidats à l'euro. Ces règles ont été définies par le traité de Maastricht en 1992 et n'ont pas été révisées depuis. Or, le contexte économique était alors très différent de celui dans lequel s'inscrivent les pays d'Europe centrale et orientale. Ces pays viennent en effet de traverser une phase de transition extrêmement difficile et ils ont encore un rattrapage important à mener pour atteindre la convergence réelle avec les pays membres de la zone euro.

Dans le cadre de la procédure d'examen qui sera menée par la Banque centrale et la Commission européenne, avec l'avis du Parlement européen, les pays candidats seront soumis aux mêmes critères d'inflation, de taux d'intérêt, de discipline budgétaire et de stabilité monétaire que les douze pays membres de la zone euro. Ces critères, selon la Banque centrale européenne, ne feront l'objet d'une interprétation « ni plus favorable, ni rendue plus difficile par l'adjonction de critères supplémentaires de convergence réelle ». Après délibération du Conseil européen, le Conseil des ministres de l'économie et des finances décidera finalement, au cas par cas, si les pays ont atteint la convergence requise par le traité.

Quelle est la situation actuelle de leur convergence nominale ? Vous trouverez dans mon rapport écrit un tableau qui fournit les chiffres complets de cette convergence et qui montre que, pour l'heure, seules l'Estonie et la Lituanie remplissent tous les critères fixés par le traité. Mais leur régime de change n'est pas conforme aux conditions requises pour participer pendant deux ans au mécanisme de change européen. Les dix pays adhérents ont notifié pour la première fois, début 2004, à titre d'information, leurs données de déficit et de dette, dans les mêmes conditions que les États membres. En 2003, les plus forts déficits, en pourcentage du PIB, ont été observés en République tchèque (- 12,9%), à Malte (- 9,7%), à Chypre (- 6,3%), et en Hongrie (- 5,9%). Seule l'Estonie a enregistré un surplus (+ 2,6%). Les plus hauts niveaux de dette publique, en termes de PIB, ont été relevés à Chypre (72,2 %) et à Malte (72,0 %), et les plus bas en Estonie (5,8 %), en Lettonie (15,6 %) et en Lituanie (21,9 %). L'évolution de ce ratio dépendra à l'avenir de la croissance, du déficit du budget de l'État et des administrations et du taux de change.

Qu'en est-il de la convergence réelle ? D'une manière générale, ces pays ont connu depuis dix ans une croissance impressionnante, avec une multiplication par deux de leur produit intérieur brut par habitant, supérieure, selon les sources du FMI et de la Banque centrale, à celle de pays émergents comme l'Inde, le Mexique ou le Brésil, et du même niveau que celle de la Chine. Pour autant, les retards par rapport aux économies de la zone euro restent considérables si on en juge par quelques indicateurs comme le PNB par habitant, le coût du travail horaire et le taux de chômage. En revanche, le taux de croissance et le montant des investissements directs étrangers sont à leur avantage. S'agissant de l'emploi, dans onze régions, le taux de chômage est égal ou inférieur à celui de l'Union européenne. Ces régions sont situées en République tchèque (cinq), en Hongrie (quatre), ainsi qu'à Chypre et en Slovénie. Dans dix-neuf régions, le taux de chômage est plus de deux fois supérieur à celui de l'Union européenne : les seize régions de Pologne et les trois régions de la République slovaque. En dehors de la Slovénie, qui se situe à plus de 70 % du niveau de vie moyen de l'Union européenne, le PIB par habitant des pays candidats à l'euro ne dépasse pas 40 % de celui des anciens États membres.

Deuxième interrogation : À quelle date ces nouveaux États membres pourront-ils adopter l'euro ?

Les critères d'adoption de l'euro ne résultent pas d'un choix politique des États membres. Ils résultent des mécanismes macroéconomiques de fonctionnement des systèmes de marché dans un environnement marqué par la liberté de circulation des marchandises et des capitaux. Les seules décisions politiques tiennent au choix, par chaque État candidat, de sa date d'intégration dans le mécanisme de change européen (MCE II) et au choix, par le Conseil, statuant à la majorité sur proposition de la Commission, de la date d'entrée dans la zone euro pour chaque État candidat.

Mais, pour adopter l'euro, les nouveaux États membres devront d'abord intégrer, pendant une période d'au moins deux ans, le mécanisme de change européen qui est le successeur de l'ancien Système Monétaire Européen (SME) créé en 1979. Si des adhésions au MCE II devaient avoir lieu dès 2005, les premières entrées dans la zone euro ne pourraient donc intervenir au plus tôt qu'en 2007.

Plusieurs des nouveaux États membres ont déjà manifesté leur volonté de rejoindre le MCE II à bref délai, comme l'Estonie et la Lituanie, qui ont indiqué la date de juillet 2004 pour le dépôt de leur candidature avec une entrée dans le mécanisme de change au 1er janvier 2005. Chypre et la Slovaquie penchent pour une décision à la fin 2004 ou au début de 2005, la Lettonie, la Slovaquie, Malte et la Hongrie courant 2005, et la République tchèque en 2009 ou 2010. La Pologne envisageait une échéance proche de la fin de la décennie, mais les propos du gouverneur de la Banque nationale de Pologne publiés dans la presse la semaine dernière semblent remettre en cause cette échéance en faveur d'une adhésion plus rapide.

La BCE, reprenant les conclusions du Conseil Ecofin du 7 novembre 2000, a précisé que « la participation au MCE II se fait sur une base volontaire pour les États membres n'appartenant pas à la zone euro ... L'entrée dans le MCE II peut intervenir à tout moment après l'adhésion à l'UE. Alors que la procédure d'adhésion au MCE II peut être engagée à tout moment par l'État membre concerné et n'est liée à aucune date précise, les principales caractéristiques, en particulier le cours pivot et la largeur de la marge de fluctuation, doivent être définies entre tous les participants au mécanisme ».

Un des éléments déterminants dans le choix politique d'une date proche d'entrée dans l'euro tient à la plus grande stabilité de la dette extérieure et à l'allègement de sa charge pour les finances publiques du fait de la baisse des taux d'intérêt à long terme. En termes d'avantages commerciaux, la Commission européenne et le Fonds monétaire international ont calculé que leur intégration dans l'UEM pourrait apporter à ces pays un à deux points de croissance supplémentaire par an. Les pays qui auraient le plus à gagner d'une adhésion rapide à l'euro seraient la Hongrie, la Slovénie et les États baltes. En revanche, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie auraient moins d'avantages à une entrée rapide du fait de gains plus faibles dans le service de la dette, parce que leurs taux d'intérêt sont déjà peu élevés, que leur dette est limitée et que leur taux d'inflation est satisfaisant.

S'agissant de l'introduction anticipée de l'euro sans entrée dans l'UEM, la BCE, confirmant la position du Conseil Ecofin du 7 novembre 2000, a nettement pris position contre « l'euroïsation » des économies d'Europe centrale : « Une adoption unilatérale de la monnaie unique à travers l'`euroïsation' en dehors du cadre prévu par le traité irait à l'encontre du raisonnement économique sous-tendant l'Union économique et monétaire, qui conçoit l'adoption de l'euro comme l'aboutissement d'un processus de convergence structuré à l'intérieur d'un cadre multilatéral ».

Le comportement des économies de ces nouveaux pays étant différent de celui des anciens États membres ayant adopté l'euro, il n'existe pas, à l'heure actuelle, de certitude totale quant à l'absence de risques d'instabilité monétaire dans le MCE II. Le manque de synchronisation des cycles économiques avec ceux de la zone euro semble en outre s'être accentué ces dernières années, aussi bien en raison de différences de comportements des consommateurs et des politiques fiscales que des différences de réaction de leurs exportations à la demande des autres pays de l'Union européenne.

Jusqu'à présent, et à l'exception de la République tchèque qui a connu en 1997 une double crise monétaire et bancaire, les pays candidats à l'entrée dans l'euro ont sans doute échappé aux désordres monétaires et aux répercussions des crises asiatiques ou argentine. Mais l'entrée dans le MCE II change les données du problème, car, du fait de la liberté totale de circulation des capitaux à laquelle ont souscrit les nouveaux États membres dans le cadre de l'acquis communautaire, ces pays deviennent plus vulnérables aux interrogations que pourraient avoir les marchés sur une éventuelle inadéquation, soit de leurs cours pivots, soit de la convergence de leurs économies, soit encore de leur policy mix.

Les banques centrales participant au MCE II pourront certes intervenir pour maintenir la stabilité du taux de change, relever les taux d'intérêt pour attirer de nouveaux capitaux et pour rendre plus coûteuse la spéculation monétaire. Mais l'expérience, notamment celle de la crise du SME de 1992, prouve que lorsque la confiance des marchés est atteinte, de telles interventions manquent vite de crédibilité du fait de la limite des réserves dont disposent les banques centrales au regard des masses de capitaux du monde entier engagées dans la spéculation et du fait des répercussions des taux d'intérêt élevés sur l'économie du pays concerné. C'est pourquoi un certain nombre d'économistes estiment que le MCE II contient en lui-même des risques élevés d'instabilité dans la mesure où il est proche d'un système de taux de change fixes. C'est précisément la raison pour laquelle les États candidats ont exprimé leur souhait de limiter au strict minimum de deux ans leur adhésion au MCE II.

Un autre motif qui pourrait conduire à reporter les dates d'entrée dans le mécanisme de change européen tient à la diversité des systèmes de change actuellement en vigueur dans ces pays. Dans un premier temps, la plupart de ces pays ont choisi un taux de change fixe avec le deutsche mark ou le dollar, puis avec l'euro, pour lutter contre l'hyperinflation qui était la conséquence du phénomène de rattrapage accéléré de leurs prix intérieurs. Grâce à une politique monétaire restrictive qui en était la contrepartie, ces pays ont pu maîtriser assez vite leur inflation en stabilisant la demande. Dans le même temps, le choix d'un taux de change fixe a entraîné une appréciation de la monnaie nationale qui a eu comme effet une baisse des prix des importations et une pression supplémentaire sur l'inflation. La confiance dans les autorités monétaires a rassuré les investisseurs extérieurs et favorisé les investissements directs extérieurs (IDE).

Trois régimes de change coexistent encore dans les nouveaux États membres :

- le régime de la « caisse d'émission » (ou currency board), régime dans lequel l'émission monétaire doit être entièrement couverte par les réserves de change, entraînant une convertibilité totale de la monnaie, mais aussi une perte totale de l'outil monétaire ;

- le régime des taux de change fixes (le peg), avec cependant une souplesse rendue possible par la fixation d'une marge de fluctuation plus ou moins grande par rapport à une ancre monétaire ;

- le régime du taux de change fixe assorti d'une perspective de dévaluation continue mais contrôlée (ou crawling peg) qui offre l'avantage de pouvoir freiner l'appréciation de la monnaie au fur et à mesure de l'entrée de capitaux extérieurs liés aux investissements étrangers.

Compte tenu du niveau d'inflation, de ses répercussions sur le niveau des prix des biens produits par ces pays, de leur perte de compétitivité et des conséquences sur la balance commerciale, les mécanismes de taux de changes fixes présentent l'inconvénient de conduire à une appréciation du taux de change réel. C'est la raison pour laquelle la Hongrie a choisi d'élargir les bandes de fluctuation autour de son cours pivot et d'adopter un objectif d'inflation. C'est aussi la raison pour laquelle la République tchèque a laissé flotter sa monnaie, sa banque centrale ayant adopté comme stratégie monétaire un objectif d'inflation. Quant à la Pologne, elle utilise à la fois le flottement de sa monnaie et le crawling peg, comme la Slovaquie et la Slovénie. À l'inverse des grands pays, comme on le voit avec le tableau qui se trouve dans mon rapport, d'une manière générale les petits pays candidats (comme l'Estonie et la Lituanie) sont en régime de change fixe, la Lettonie ayant de son côté adopté un régime de cours pivot à bande étroite par rapport à un panier de monnaies étrangères, ainsi que Malte, dont le panier de monnaie comprend pour 70 % l'euro, et Chypre, qui a adopté un cours pivot par rapport à l'euro en bande étroite.

La BCE a fort bien résumé la situation : « Comme les pays adhérents présentent des divergences importantes de structure économique, de régimes monétaires et de change ainsi que de degré de convergence nominale et réelle déjà réalisé, il n'est pas possible de définir ni de recommander un schéma unique pour la participation au MCE II et l'adoption de l'euro. Il convient de noter que les pays appartenant actuellement à la zone euro ont également suivi des voies différentes. Par conséquent, les situations et stratégies nationales seront évaluées au cas par cas tout au long du processus menant à l'adoption de l'euro. À cet égard, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne pourrait formuler des recommandations spécifiques à chaque pays ».

Troisième interrogation : La perspective de l'élargissement de la zone euro doit-elle conduire à une révision de ses règles de fonctionnement ?

Nombreux sont ceux qui font remarquer que, si le pacte de stabilité et de croissance n'est pas parfaitement adapté aux anciens États membres, il l'est encore moins pour les nouveaux États membres. En effet ceux-ci sont confrontés à la nécessité de construire de nouvelles infrastructures de transports ou d'énergie et de mettre en place de nombreuses réformes qui, temporairement, ont pour conséquence une augmentation des dépenses budgétaires. D'ailleurs, leur participation à l'Union européenne entraîne naturellement une augmentation des dépenses publiques, ne serait-ce que du fait de leur contribution au budget communautaire ou du fait de leur participation financière aux programmes qui sont subventionnés par l'Europe.

Par ailleurs, l'élargissement de la zone euro rendra encore plus difficile la recherche d'une politique monétaire efficace en Europe. Même si ces pays sont confrontés à des problèmes inflationnistes, leur influence sur les choix de la politique monétaire de la BCE sera négligeable dans la mesure où leur PIB ne représente que 6 % du PIB de la zone euro. Pourtant, en raison du poids de leur population (25 % de celle de la zone euro), il est probable que les décisions de politique monétaire ne pourront ignorer les conséquences qu'elles pourraient avoir sur leurs populations. D'ailleurs, si la BCE venait à ignorer ces conséquences, il est probable que les marchés, eux, en tiendraient compte.

Pour la zone euro elle-même, les risques d'une entrée prématurée des nouveaux États membres ne sont pas non plus négligeables. Faute de mécanismes budgétaires de rééquilibrage de la croissance entre les différents pays participants à l'euro, une politique monétaire unique pourrait en effet exacerber les tensions entre les pays en phase de rattrapage et les pays du coeur de la zone. Quelles seraient finalement les réformes indispensables pour le succès de l'euro dans une Europe élargie ? J'en vois pour ma part quatre principales.

1°) Donner à l'eurogroupe une capacité de décision dans le choix des parités de change des nouveaux États membres

Le Conseil des ministres de l'économie et des finances tient du traité lui-même des compétences en matière de change, compétences qu'il a en partie abdiquées en novembre 2000, sous présidence française, alors que M. Laurent Fabius présidait l'Ecofin.

Pourtant, il me semble que le Conseil doit intervenir dans la détermination des cours pivots du nouveau système de change européen afin de veiller à ce que ne soient pas seulement prises en compte les indications monétaires fournies par les marchés et pour éviter que les nouveaux adhérents ne prennent des risques excessifs pour l'avenir. Voir l'avenir de la zone euro à travers les seules considérations de technique monétaire serait une vision réductrice de l'élargissement de l'Union européenne à un moment où l'Europe doit retrouver le chemin de la croissance et du mouvement.

2°) Mettre en place les méthodes et les moyens pour combattre d'éventuelles crises financières pendant la phase de transition du MCE II

Rapportées à l'ensemble de la zone euro, les masses monétaires des nouveaux États sont faibles : dans les conditions actuelles de change, l'ensemble des moyens de paiement (M3) en circulation dans ces pays ne représente que 3 % de la monnaie en circulation dans la zone euro. Mais les montants requis par ces interventions peuvent être considérables. À titre d'exemple, il semblerait que 5 milliards d'euros de réserves monétaires aient été mobilisés fin 2003 pour contrer en une semaine la crise de défiance envers la monnaie hongroise.

La responsabilité des autorités de régulation du secteur financier est donc déterminante pour prévenir une telle crise. Mais il n'existe pas de supervision européenne centralisée pour fournir les moyens d'alerte précoce. C'est pourquoi, parallèlement à l'Accord de change de 1998, un Accord de supervision serait également souhaitable.

3°) Adapter les règles budgétaires aux conditions particulières des différents États membres de la future zone euro élargie

Quatre pays de la zone euro actuelle sont en situation de déficits excessifs : l'Allemagne, la France, l'Italie et la Grèce. Six pays candidats à l'euro sur les dix nouveaux membres de l'Union européenne sont également en situation de déficits excessifs : Chypre, Malte, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie. Dans une zone euro composée des douze membres actuels et des dix nouveaux membres, dix seraient en situation de déficits excessifs. En outre, selon les dernières prévisions de l'OCDE de mai 2004, l'Allemagne ne pourrait pas en 2005, pour la quatrième année consécutive, revenir sous la barre des 3 % de déficit budgétaire. À l'évidence, les règles du policy mix dans la zone euro doivent être révisées.

Une des réformes possibles pourrait consister dans le fait de mettre l'accent, non plus sur le déficit budgétaire annuel, mais sur le niveau de la dette. Si le traité de Maastricht a accordé plus d'importance au déficit budgétaire qu'au niveau de la dette, la raison tient sans doute aux différences constatées alors dans le niveau de la dette des pays fondateurs de la monnaie unique, afin de rendre crédible leur qualification. Il serait sans doute souhaitable que les États dont le niveau de la dette est peu élevé - ce qui est le cas pour les nouveaux États membres - bénéficient d'une manière ou d'une autre d'une plus grande marge de manoeuvre budgétaire pour intervenir en phase de récession économique. Le niveau de la dette influence par ailleurs le niveau des taux d'intérêt et ses effets sur le solde budgétaire dépendent aussi directement du taux de croissance. C'est pourquoi certains économistes estiment que le niveau de la dette est un meilleur outil de maîtrise des finances publiques que le solde budgétaire.

Ce serait aussi un meilleur outil pour prendre en compte la spécification des nouveaux États candidats à l'euro dont le niveau de la dette est relativement peu élevé, mais dont les besoins budgétaires sont importants et où la croissance potentielle peut influencer positivement la dette publique.

4°) Mettre en place des politiques d'accompagnement de la politique monétaire pour corriger les effets négatifs de l'élargissement

Une vision strictement monétaire de l'élargissement de la zone euro pourrait gravement compromettre la croissance en Europe. Comme l'a souligné devant notre délégation Jean-Paul Betbéze, le contexte dans lequel va intervenir l'élargissement de la zone euro n'est plus celui des précédents élargissements et de la création de l'euro. Les États-Unis génèrent chaque année deux fois plus de richesses que l'Europe et la Chine, dont la taille économique n'est pourtant guère supérieure à celle de la France et qui crée, chaque année, à elle seule, autant de richesse que toute l'Europe.

Or, dans une économie globalisée, les effets d'agglomération de la richesse, mais aussi de dispersion des écarts et de diffusion, seront plus importants que dans le passé : le sens du rattrapage des économies des nouveaux États membres n'est pas assuré ; certaines régions - celles des capitales et de quelques grandes agglomérations - pourront gagner en richesse tandis que les régions les plus défavorisées seront encore plus défavorisées.

Il est par conséquent de la responsabilité du Conseil de mettre en place les politiques structurelles, industrielles, régionales, de la recherche et de la formation professionnelle qui devraient accompagner les politiques de régulation, budgétaires et monétaires.

Sans ces politiques d'accompagnement, l'élargissement de la zone euro risque fort de ne pas apporter les gains espérés.

Compte rendu sommaire du débat

M. Maurice Blin :

Le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark, qui ne font pas partie de la zone euro, enregistrent des performances, en termes d'emploi comme de taux de croissance, qui sont aussi bonnes, voire meilleures, que celles des pays qui ont adopté l'euro. Les nouveaux adhérents qui, comme les États baltes, sont sous influence britannique, s'interrogent ainsi sur la nécessité, pour eux, de rallier l'euro, alors que la France et l'Allemagne, les deux grands pays du continent, restent à la traîne, tandis que la Grande-Bretagne se porte bien. Ces pays peuvent-ils durablement bénéficier des avantages de l'Europe tout en évitant de se lier à l'euro ?

M. Robert Del Picchia :

Il me semble que la comparaison ne doit pas se faire en partant du point de vue britannique. La question que nous devons plutôt nous poser est de savoir si nos économies se porteraient aussi bien sans l'euro. Les succès du Royaume-Uni ne résultent pas de sa non adhésion à l'euro, mais sont plutôt les conséquences de la politique thatchérienne, poursuivie par ses successeurs.

M. Lucien Lanier :

Je remercie très vivement Xavier de Villepin pour son exposé qui a été non seulement clair, mais franc. Il n'a pas eu peur de présenter la situation telle qu'elle est. Pour autant, je me demande si des politiques d'accompagnement des politiques de régulation - en fait des politiques d'assistance - seront suffisantes pour remédier aux problèmes que nous constatons. Si le mal est plus profond, ne faudrait-il pas que le Conseil des ministres de l'économie et des finances prenne des mesures plus radicales plutôt que d'envisager des remèdes fondés sur l'assistanat ?

M. Hubert Durand-Chastel :

Vous nous avez parfaitement montré qu'il n'y avait pas de solution unique pour traiter les problèmes économiques actuels de l'Europe dans le cadre de l'élargissement. Pour autant, ne faudrait-il pas chercher une plus grande convergence de la gouvernance économique en Europe ? Ne faudrait-il pas obtenir de l'eurogroupe, qui n'a pas jusqu'à présent vraiment répondu à nos attentes, une action plus énergique ?

M. Xavier de Villepin :

Lors de notre réunion de la semaine dernière, j'avais évoqué cette question : pourquoi la zone euro présente-t-elle des résultats moins bons que ceux de la Grande-Bretagne, du Danemark et de la Suède, trois pays qui sont restés en dehors de l'euro ? Robert Del Picchia répond - ce qui est juste - que la Grande-Bretagne a bénéficié du redressement opéré pendant l'ère Thatcher. Mais cette réponse ne me semble pas suffisante. En effet, la politique économique du Royaume-Uni repose, pour l'essentiel, sur l'abandon de l'industrie au profit des seuls services. Que ce soit ou non une bonne politique, il est sûr que ce n'est pas le choix de la France, qui veut le maintien d'une présence industrielle. J'en veux pour preuve le traitement des dossiers Alstom face à Siemens et Sanofi-Synthelabo face à Aventis. Deux exemples qui rappellent étrangement la grande époque de la politique industrielle de la France du Président Georges Pompidou.

J'ai été frappé par un article récent publié dans la presse britannique, qui montre à quel point la politique industrielle du Royaume-Uni est opposée à celle de la France, par exemple dans le domaine de l'armement. Les Britanniques, qui n'attachent guère d'importance à la nationalité des propriétaires de leur industrie, ont autorisé Thales à racheter Racal et sont prêts à vendre leurs usines d'hélicoptères aux Italiens. Qui d'entre nous voudrait voir disparaître Thales, EADS ou la SNECMA, actuellement convoitée par l'américain General Electric ? À tort ou à raison, nous croyons que, dans le monde de demain, une industrie se maintiendra sur notre territoire et nous pensons que notre pays ne doit devenir ni une pure économie de services, ni un musée du tourisme pour les étrangers en visite ; nous voulons que le drapeau tricolore flotte sur les champions nationaux de notre industrie. Je ne dis pas que les Français ont raison et que les Britanniques ont tort ; je constate que les réponses sont différentes selon les pays et leurs stratégies industrielles. Il y aura encore de la diversité dans l'Europe de demain, et l'Europe ne sera grande que si elle admet cette diversité.

M. Robert Del Picchia :

Je partage naturellement cette analyse. Quant aux politiques d'accompagnement dans le cadre de l'élargissement de la zone euro, elles sont nécessaires car il en va de la crédibilité de l'euro. Faute de ces politiques, les marchés financiers réagiront.

M. Xavier de Villepin :

Si nous n'avions pas eu l'euro ces dernières années, il est certain que nous aurions été dans l'obligation de pratiquer des dévaluations importantes.

M. Maurice Blin :

Je voudrais encore faire deux observations dans ce débat qui est très riche.

Tout d'abord, la situation actuelle de l'industrie en France n'est pas comparable à celle de l'industrie britannique d'avant l'ère Thatcher qui était alors à bout de souffle dans des secteurs comme la sidérurgie ou l'automobile. Les Britanniques n'avaient pas le choix. Leur industrie ne pouvait pas survivre dans l'état où elle se trouvait. Ce n'est le cas, aujourd'hui, ni de la Snecma, ni de Thales.

Quant à l'euro, on peut se demander s'il n'a pas masqué la dégradation de notre appareil de production. Sans l'euro, il est probable que nous aurions pris conscience plus rapidement de la situation réelle de notre économie. Grâce à la souplesse de l'euro, la France et l'Allemagne ont évité une crise révélatrice qui aurait pu provoquer un sursaut. Mais la crise larvée est bien là. L'euro pèse lourd et l'Europe s'enfonce doucement, avec la France et l'Allemagne, dans la crise.

M. Serge Lagauche :

Vous comprendrez bien que je ne partage pas toutes les analyses qui viennent d'être formulées. Certaines comparaisons me paraissent peu fondées et je m'étonne que l'on évoque la Chine, qui vit d'autres problèmes. En revanche, la France, c'est vrai, n'a pas tenu ses engagements, par exemple en matière d'économies d'énergie. Il va bien falloir réagir contre des errements, comme celui des 4 x 4 dans les villes, alors qu'il faudrait promouvoir les vélos électriques comme le font les Chinois. La France est capable de réagir ; elle peut progresser, à condition de stimuler la recherche et à condition de réaliser les réformes qui s'imposent.

A l'issue de ce débat, la délégation a autorisé la publication de ce rapport.


Environnement

Accès à la justice en matière d'environnement
(E 2430, E 2431 et E 2432)

Communication de M. Hubert Haenel

M. Hubert Haenel :

Le 24 mai dernier, je vous ai transmis la communication suivante qui porte sur trois textes européens relatifs à l'accès à la justice en matière d'environnement :

Le 25 juin 1998, la Communauté européenne a signé la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement dite « convention d'Aarhus ». Cette convention comporte trois dispositions principales : un droit d'accès du public à l'information sur l'environnement, un droit à prendre part aux décisions en matière d'environnement et enfin un droit d'accès à la justice en matière d'environnement. La Communauté a l'intention d'approuver prochainement cette convention et souhaite, préalablement, mettre en conformité le droit communautaire avec ses dispositions.

Deux directives ont déjà été adoptées concernant l'accès du public à l'information environnementale (directive 2003/4/CE) et la participation du public lors de l'élaboration de certains plans et programmes relatifs à l'environnement (directive 2003/35/CE).

L'ensemble des textes qui ont été soumis à la délégation est composé d'une proposition de directive, d'une proposition de règlement et d'une proposition de décision. La proposition de directive vise à compléter ces dispositions concernant le troisième et dernier « pilier » de la convention d'Aarhus, à savoir le droit d'accès à la justice en matière d'environnement, défini à l'article 9 de la convention. Il s'agit de conférer au public le droit d'engager des procédures administratives ou judiciaires en vue de contester des actes ou des omissions de personnes privées ou d'autorités publiques qui vont à l'encontre des dispositions du droit de l'environnement.

La proposition de règlement et la proposition de décision visent, d'une part, à garantir le respect des dispositions de la convention d'Aarhus par les institutions et organes communautaires et, d'autre part, à permettre l'approbation de la convention au nom de la Communauté. Ces deux propositions ne posent pas de difficulté particulière et n'appellent donc pas d'observations. Il convient en revanche d'examiner la proposition de directive.

I - LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

Le contenu de la proposition de directive est, en résumé, le suivant :

- l'article 1er définit l'objet et le champ d'application de la proposition de directive et précise, en particulier, que les « procédures en matière d'environnement » sont les procédures administratives et judiciaires devant une autorité judiciaire ou un organe indépendant et impartial, à l'exclusion des procédures pénales ;

le droit de l'environnement est défini à l'article 2 par référence à l'article 174 du traité de la Communauté européenne et à la convention d'Aarhus ;

- à l'article 3, la proposition de directive précise qu'elle s'applique aux actes et omissions des personnes privées comme des autorités publiques ;

- à l'article 4, elle définit les membres du public qui ont droit d'ester en justice : ils doivent avoir un intérêt suffisant à contester l'acte ou faire valoir une atteinte à un droit dans le cas où l'État membre en fait une condition de formation du recours ;

- à l'article 5, elle prévoit d'accorder un droit d'ester en justice à certaines entités qui n'auraient dès lors pas à prouver un intérêt suffisant pour agir. Ces entités qualifiées doivent répondre à certains critères définis à l'article 8 du projet de directive. Ces critères sont les suivants : avoir comme premier objectif statutaire la protection de l'environnement, agir sans but lucratif, être doté de la personnalité juridique et avoir une durée minimale d'existence (qui est fixée par chaque État sans pouvoir dépasser trois ans). La procédure de reconnaissance comme entité qualifiée, définie à l'article 9, serait soit préalable, par l'administration, soit au cas par cas, par le juge (« ad hoc »), mais tout État membre devra laisser la possibilité d'une reconnaissance « ad hoc » rapide.

- l'article 6 de la proposition de directive limite le délai de réponse à une demande de recours administratif à 12 semaines, délai au-delà duquel le plaignant peut engager une procédure (article 7) ;

- l'article 10 du projet de directive exige, de manière générale, « l'instauration de procédures efficaces et adéquates, qui soient justes et équitables, dans un temps opportun, et ne coûtent pas excessivement cher ».

Enfin, la proposition de directive fixe l'entrée en vigueur de ses dispositions au 1er janvier 2005.

II - LES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR CETTE PROPOSITION DE DIRECTIVE


Il ne saurait être question de remettre en cause l'adhésion de l'Union européenne à la convention d'Aarhus, mais cette proposition de directive pose des questions de subsidiarité et de proportionnalité.

En effet, la proposition de directive se fonde sur les dispositions du Traité en matière d'environnement alors que certaines dispositions relèvent manifestement du pilier « justice et affaires intérieures » (JAI). Par ailleurs, le texte va sur plusieurs points au-delà de la convention d'Aarhus.

La proposition de directive tend en effet à intervenir dans l'organisation des procédures administrative, civile et pénale, alors que ces procédures relèvent du droit processuel des États membres (coûts, délais, ministères d'avocats, régime des preuves).

Ainsi, l'article 10 de la proposition de directive pose problème en ce qu'il porte une atteinte excessive à l'autonomie des États membres dans l'organisation de leur système juridique. L'article 10 impose « l'instauration de procédures efficaces et adéquates, qui soient justes et équitables, dans un temps opportun, et ne coûtent pas excessivement cher » là où l'article 9 de la convention d'Aarhus ne mentionne que « l'accès à une procédure rapide établie par la loi qui soit gratuite ou peu onéreuse ».

Comme il ne semble pas possible de limiter les dispositions procédurales aux seules affaires contentieuses en matière d'environnement, leur insertion contraindrait vraisemblablement à modifier l'ensemble des procédures en matière judiciaire, pénale et administrative.

Ainsi, la Cour de justice des communautés européennes pourrait devenir le juge de la qualité et de l'organisation judiciaire des États membres.

A ce titre, certains amendements, pour l'essentiel présentés par la commission de l'environnement du Parlement européen, pourraient aggraver la situation s'ils étaient retenus :

- en réintégrant, à l'article 2 de la proposition de directive, les procédures pénales dans la définition des « procédures en matière d'environnement », et en élargissant ces procédures à celles « ayant un lien en matière d'environnement » ce qui rendrait le champ d'application de la directive très large et incertain ;

- en donnant, au même article, une définition large de la notion d'autorité publique, au-delà de la définition donnée par la Convention d'Aarhus ;

- en supprimant aux articles 6 et 7 des dispositions relatives au réexamen interne, et en interdisant ainsi l'obligation de respecter un recours gracieux préalable à tout recours contentieux ;

- en élargissant le droit d'ester en justice, à l'article 8, au-delà des organisations reconnues de protection de l'environnement, à toute organisation « qui, à un moment donné, se trouve dans le besoin concret de protéger le milieu où elle se situe » ce qui serait particulièrement large et indéfini ;

- en ajoutant aux dispositions de l'article 10 sur le coût des procédures, des obligations nouvelles d'information du public sous la forme de bureaux d'information.

À la suite de cette communication, je vous proposais de prendre acte des textes E 2430 et E 2432, et d'adopter des conclusions sur le texte E 2431. Notre collègue Serge Lagauche a souhaité évoquer ces textes devant la délégation pour faire quelques observations sur les conclusions relatives au texte E 2431.

M. Serge Lagauche :

Je vous remercie de me donner l'occasion de faire quelques observations au sujet des projets de textes communautaires relatifs à l'accès à la justice en matière d'environnement.

Nous souhaitons que la mise en application de ces textes, et en particulier la transposition de la proposition de directive (E 2431), se fasse le plus rapidement possible après le 1er janvier 2005 : nous considérons donc que le délai de trois ans, proposé dans le projet de conclusions, est trop long ; nous comprenons que certains États membres auront besoin de modifier leur législation nationale, mais rien ne nous empêche de donner l'exemple, alors que le Parlement examine en ce moment le projet de Charte pour l'environnement.

Signée en juin 1998 par la Communauté et ses États membres, la Convention d'Aarhus est entrée en vigueur le 30 octobre 2001. Nous avons commencé à la transposer, notamment en matière de droit à l'information, dans la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, et nous devons continuer dans cette voie. Rien ne nous empêche de progresser plus rapidement que les autres États membres et de démontrer ainsi notre volonté à aller plus loin, tout de suite, en matière de droit à l'environnement.

Nous demandons donc que le délai soit ramené à dix-huit mois, conformément aux propositions du Parlement européen ; il nous semble amplement suffisant. Nous tenons également à ce que l'entrée en vigueur de la directive soit maintenue au 1er janvier 2005, conformément à la proposition de directive.

M. Hubert Haenel :

Je pense que les observations de notre collègue sont parfaitement fondées. La rédaction des conclusions de notre délégation pourrait être précisée : il ne s'agit pas de repousser l'entrée en vigueur de la directive, qui est prévue, selon la proposition de la Commission, pour le 1er janvier 2005, mais de s'assurer que les États membres auront le temps nécessaire pour la transposer.

En effet, à la date limite de transposition, tout État peut faire l'objet d'un recours devant la Cour de justice des communautés européennes pour défaut de transposition. Nous ne savons pas encore quelle sera l'importance de cette transposition, puisque le texte n'est pas encore adopté, et il faut donc s'assurer que notre pays dispose d'un délai minimum.

Je vous propose donc que l'alinéa soit re-rédigé de la manière suivante :

(la délégation) suggère que le délai limite pour la transposition en droit interne des dispositions de la directive soit de trois ans à compter de la date d'entrée en vigueur de ladite directive.

Je précise que le délai de trois ans est un délai habituel en matière de transposition. Il s'agit là d'un délai maximum et, pour répondre au souhait de Serge Lagauche, nous pouvons faire savoir au Gouvernement que nous souhaitons que la France transpose rapidement la directive relative à la mise en oeuvre de la Convention d'Aarhus, dès qu'elle sera définitivement adoptée, sans attendre l'expiration de ce délai.

*

La délégation a alors adopté les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation du Sénat pour l'Union européenne,

Vu le texte E 2431 (COM (2003) 624 final),

- Souhaite que la Communauté approuve la convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, dans la mesure où l'application de cette convention permettra de mieux garantir le respect de l'environnement, pour lequel l'Union européenne et la France se sont particulièrement engagés ;

- Est favorable à ce que la directive sur l'accès à la justice en matière d'environnement permette de mettre la Communauté en conformité avec la convention d'Aarhus, sans aller au-delà de ces dispositions, chaque État membre ayant toujours la possibilité de prendre des mesures plus favorables, selon le principe de subsidiarité ;

- Propose que soit exclue de la directive toute coordination des procédures administrative, civile et pénale qui ne sont pas mentionnées dans la convention d'Aarhus, et qui relèvent, soit du pilier « Justice et affaires intérieures », soit des dispositions législatives internes des États membres ;

- Suggère que le délai limite pour la transposition en droit interne des dispositions de la directive soit de trois ans à compter de la date d'entrée en vigueur de ladite directive.


Justice et affaires intérieures

Mandat d'arrêt européen

Intervention de M. Pierre Fauchon

M. Hubert Haenel :

Comme le déclarait récemment le Commissaire européen chargé de ces questions, le mandat d'arrêt européen a représenté le « bijou de la couronne » de l'espace judiciaire européen. Or, il semblerait que la mise en oeuvre du mandat d'arrêt européen se heurte à des difficultés, non seulement en raison du retard pris par certains États membres à transposer cet instrument, mais également du point de vue de son application concrète par les juridictions. Ainsi, l'une des premières applications de ce nouvel outil par une juridiction française a donné lieu à un refus d'exécution. En effet, la Chambre de l'Instruction de la Cour d'Appel de Pau vient de rendre un arrêt, hier 1er juin, qui refuse l'exécution d'un mandat d'arrêt européen émis par un juge espagnol à l'encontre de ressortissants français soupçonnés d'avoir commis des infractions dans le cadre d'une organisation terroriste. Or, cette décision a été présentée dans plusieurs journaux comme une interprétation restrictive du mandat d'arrêt européen et le signe d'un certain recul de la coopération judiciaire européenne.

Au moment où la Commission européenne vient de présenter le bilan du programme de Tampere et les orientations futures pour l'  « espace de liberté, de sécurité et de justice », je voudrais donc recueillir le sentiment de notre collègue Pierre Fauchon, qui est spécialiste de ces questions. Je rappellerai, en effet, que, lorsque le Sénat a été saisi au titre de l'article 88-4 de la Constitution de la proposition de décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen, Pierre Fauchon a été le rapporteur de cette proposition pour notre délégation et qu'il a été à l'origine d'une résolution adoptée par le Sénat sur ce sujet. Il a été ensuite le rapporteur du projet de loi constitutionnelle sur le mandat d'arrêt européen, puisque la transposition de cet instrument dans notre droit a nécessité au préalable une révision de notre Constitution. Mais surtout, c'est à son initiative que le mandat d'arrêt européen a été transposé dans notre droit, puisqu'il est l'auteur de l'amendement qui a permis cette transposition dans la loi portant l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, entrée en vigueur le 9 mars dernier.

M. Pierre Fauchon :

Je préciserai, avant toute chose, que je ne dispose pas encore de l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Pau et qu'il me sera donc difficile de commenter cette décision. A ce stade, je voudrais donc simplement faire quelques observations sur les commentaires qui ont été faits par la presse à la suite de cette décision.

Tout d'abord, je rappellerai que, lors de l'examen de la proposition de décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen, nous avions estimé qu'il y avait un certain abus de langage à employer le terme de « mandat d'arrêt européen ». En dépit des progrès importants qu'il introduit, cet instrument ne représente, en effet, qu'une procédure d'extradition améliorée. Nous sommes loin d'un véritable mandat d'arrêt, car la décision prise par le juge d'un État n'est pas reconnue pleinement sur l'ensemble du territoire de l'Union. Il subsiste, en effet, des motifs de refus d'exécution du mandat d'arrêt européen et une marge d'appréciation laissée au juge de l'État d'exécution.

Ensuite, je voudrais souligner un point qui n'a pas été assez évoqué dans les commentaires qui tient au fait que le mandat d'arrêt européen a supprimé l'exception au profit des nationaux. Il s'agit là d'un changement notable par rapport à la procédure traditionnelle d'extradition. Il faut toutefois souligner que certains pays, à l'image de la Pologne, ont effectué une transposition qui laisse subsister cette exception, ce qui paraît contraire aux dispositions de la décision-cadre.

La décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen a prévu des motifs, obligatoires ou facultatifs, de refus d'exécution du mandat d'arrêt européen, qui ont été repris par les différentes législations nationales à l'occasion de la transposition de cet instrument. En particulier, d'après l'article 695-24 du code de procédure pénale, l'exécution d'un mandat d'arrêt européen peut être refusée si « les faits pour lesquels il a été émis ont été commis, en tout ou en partie, sur le territoire français ». Il s'agit là d'un motif de refus facultatif d'exécution sur lequel s'est fondée la Cour d'appel de Paul pour refuser en l'espèce l'exécution du mandat d'arrêt européen.

Je crois donc qu'il convient de relativiser la portée de cette affaire. En réalité, la question soulevée par cet arrêt porte moins sur l'application du mandat d'arrêt européen que sur la question du règlement de conflits de compétences à l'intérieur de l'espace judiciaire européen. Il s'agit là d'une question très importante, que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer au sujet de la proposition relative au principe « non bis in idem », mais qui a été renvoyée à plus tard au cours des négociations sur cette initiative. Or, je considère qu'on ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur ce sujet majeur qui risque de se poser avec acuité avec le développement de la coopération judiciaire européenne et l'application du principe de la reconnaissance mutuelle.