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Mardi 12 février 2002
- Présidence de M. Jacques Valade, président. -
Culture - Avenir de la politique culturelle - Audition de M. Jacques Rigaud, conseiller d'Etat honoraire, président de l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (ADMICAL)
La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jacques Rigaud, conseiller d'Etat honoraire, président de l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (ADMICAL), sur les voies d'avenir de la politique culturelle.
M. Jacques Rigaud a considéré que l'époque actuelle marquait l'achèvement d'un cycle, engagé depuis près de 40 ans, de la politique culturelle. Le débat public en ce domaine exprime un consensus mou, qu'illustrent les déclarations vertueuses et vides sur l'exception culturelle.
Il a indiqué que la France se caractérisait par une tradition multiséculaire d'intervention de l'Etat dans le soutien à la création qui s'était traduit par une institutionnalisation des mécanismes d'aide et il a rappelé que la plupart des institutions héritées de l'Ancien régime étaient des institutions culturelles.
Après avoir relevé que le soutien public à la culture n'avait jamais eu autant d'éclat que depuis le début de la Ve République, il s'est interrogé sur la capacité d'être à la hauteur de cette ambition héritée de l'histoire.
M. Jacques Rigaud s'est demandé si, au vu d'un bilan largement positif, en dépit de zones d'ombre, le sentiment actuel d'essoufflement signifiait que l'Etat avait accompli sa mission, les collectivités locales ou le marché devant prendre son relais, ou bien s'il convenait d'appeler à une refondation de la politique culturelle.
Il a d'abord rappelé les acquis de la politique culturelle.
Le premier d'entre eux est la remarquable continuité de la politique culturelle depuis 1959. En 1969, au départ d'André Malraux, l'existence d'un ministère de la culture n'a pas été remise en cause, le président Georges Pompidou ayant voulu accompagner la modernisation économique de la France d'un élan culturel propre à renforcer son rayonnement international et, depuis, la légitimité de la politique culturelle n'a jamais été contestée. Sur le long terme, au-delà des alternances politiques et des changements de style, il y a eu un grand consensus : en dépit des polémiques ou des controverses, aucun grand parti n'a remis en cause l'existence de la politique culturelle.
Autre acquis : le formidable développement des équipements culturels. Le « paysage culturel », au sens physique du terme, a été profondément modifié grâce à la rénovation et au « recyclage » du patrimoine et à la multiplication d'équipements nouveaux. Ce phénomène s'est accompagné d'une évolution des pratiques culturelles des Français qui se traduit par une diversification de l'origine socio-professionnelle des publics et atteste du dynamisme exceptionnel de la vie culturelle.
Il faut aussi évoquer le changement majeur que représente cependant l'implication des collectivités locales dans le domaine culturel. Une volonté des élus s'est manifestée en ce sens dès les années 1970 et a été encouragée par la décentralisation, qui a donné plus de visibilité à leurs actions. Au niveau local, la culture est désormais reconnue unanimement comme un atout économique et un indice de dynamisme.
Face à ces évolutions, l'administration de la culture, qui a réuni des grands corps savants, qui ont su évoluer, et des gestionnaires modernes, a fait preuve d'une grande imagination et constitue un atout envié par nos partenaires étrangers.
M. Jacques Rigaud a reconnu qu'existaient néanmoins des zones d'ombre. La politique culturelle actuelle repose encore sur des concepts qui ne prennent pas en compte les évolutions essentielles que sont le multimédia, la mondialisation et l'exclusion sociale. Il a constaté, pour le regretter, l'affaiblissement de la volonté politique, lié actuellement à la période de cohabitation, qui a pour effet de restreindre les ambitions de la politique culturelle, comme en atteste le débat actuel sur l'exception culturelle, réduit aux dimensions d'un seul secteur professionnel. L'exception culturelle ne se limite pas, en effet, à l'existence de mécanismes de soutien à la création cinématographique, qui au demeurant ne coûtent pas cher à l'Etat, mais vise à tirer toutes les conséquences du fait que la culture n'est pas une marchandise comme les autres et ne peut être régie par les seules lois du marché. L'enjeu réel de ce débat est de savoir si les collectivités publiques acceptent de financer la politique culturelle.
Il a souligné que la culture ne devait pas être réduite à un secteur d'intervention des collectivités publiques mais devenir une dimension de leur action. Cet aspect est mieux perçu par les élus locaux, en raison de la nature de leurs responsabilités, que par l'Etat.
A cet égard, il a regretté que le ministère de la culture, devenu un ministère des professionnels plutôt qu'un ministère du public, ait ainsi perdu sa faculté d'imagination. Il a observé qu'en raison du poids financier croissant des grands équipements et des droits acquis de certains acteurs de la vie culturelle, il ne disposait plus des marges de manoeuvre nécessaires pour faire face au foisonnement des initiatives culturelles.
Par ailleurs, il a déploré que la décentralisation culturelle ait pris du retard.
Après avoir rappelé le travail pluraliste et collectif accompli par la commission sur la refondation de la politique culturelle dont il avait assuré la présidence, M. Jacques Rigaud a constaté que plusieurs de ses préconisations avaient été suivies d'effet, même si les ministres de la culture successifs n'avaient pas reconnu s'en être inspirés.
S'interrogeant sur les « pistes » à explorer en vue d'une redéfinition de l'action culturelle, il a évoqué la diversité des modes de financement, publics et marchands, de la culture et a considéré qu'au-delà des questions sur le rôle des grands groupes, il était plus important de s'interroger sur les moyens, notamment fiscaux, de permettre à des acteurs plus modestes de contribuer à leurs côtés à une vie culturelle prospère.
Il a reconnu l'importance de l'effort accompli par l'actuel gouvernement pour développer l'enseignement artistique et la pratique amateur, tout en regrettant le caractère très institutionnel des actions mises en oeuvre qui ignoraient encore trop largement la diversification des formes d'expression artistique.
Il a souligné l'intérêt de mener une réflexion sur l'évolution des lieux et des « non-lieux » de la culture, qui conquiert de nouveaux espaces, sur le développement de nouvelles formes d'expression comme le théâtre de rue, les grands événements festifs, sur le fait que la culture devient « itinérante » et investit les places et les rues, y compris dans le monde rural.
Il a estimé que la construction européenne dans le domaine de la culture ne passait sans doute pas par une harmonisation des politiques culturelles mais par une mise en réseau qui concernerait moins les Etats que les collectivités territoriales ou les institutions culturelles.
Un débat s'est alors engagé.
M. Henri Weber a déclaré partager le bilan dressé par M. Jacques Rigaud de l'action culturelle de l'Etat, qui rendait compte de la continuité de la politique conduite tout en soulignant ses insuffisances et ses pesanteurs. En revanche, évoquant les débats relatifs à l'exception culturelle, il a considéré que les négociations commerciales internationales nécessitaient de la part de la France une vigilance de tous les instants, afin de se prémunir contre une nouvelle offensive en faveur d'une libéralisation des services culturels. Lorsque l'on parle de la mort de l'exception culturelle, il s'agit bien de la remise en cause de la conception française du rôle reconnu à l'Etat pour encadrer les lois du marché et soutenir la création, pourtant indispensable au rayonnement de notre culture.
Par ailleurs, il a considéré que la réflexion sur l'avenir de la politique culturelle ne pouvait ignorer le rôle de la télévision, dont l'offre de programme se démultipliait. A cet égard, il a estimé que l'existence d'un service public fort était une condition essentielle de la qualité de la création audiovisuelle, ce qui excluait d'en diminuer le périmètre par une privatisation partielle.
Mme Monique Papon a souligné le rôle joué par les collectivités locales pour soutenir les actions de protection du patrimoine industriel engagées par l'Etat. Elle s'est interrogée sur les moyens à mettre en oeuvre pour aider la Fondation du Patrimoine qui, faute de dispositifs fiscaux réellement efficaces, peine à exister.
M. Ivan Renar a exprimé la crainte que le débat politique actuel ne traite pas des sujets de civilisation, qui sont l'objet de la politique culturelle. Il s'est inquiété de la résurgence du populisme et des communautarismes. Il a regretté que la frilosité juridique et fiscale constitue un frein au développement du marché de l'art alors que les mécènes, aussi modestes soient-ils, étaient essentiels. Il a déploré la médiocrité de l'offre audiovisuelle tant privée que publique. Enfin, après avoir constaté la frilosité actuelle de l'administration de la culture, il s'est interrogé sur l'opportunité de créer un ministère de l'intelligence recouvrant les secteurs très liés de la culture et de l'éducation nationale.
Après avoir fait le constat de l'insuffisant élargissement des publics, Mme Danièle Pourtaud a considéré que la démocratisation de l'accès à la culture constituait le chantier des années à venir. A cet égard, après avoir rappelé l'échec relatif des mesures tarifaires, elle s'est demandé dans quelle mesure l'éducation à la culture et la pratique amateur pouvaient contribuer à cet objectif.
M. Louis de Broissia a regretté la paupérisation des moyens de l'administration d'Etat face aux moyens plus conséquents et plus aisément mobilisables des collectivités locales. Par ailleurs, il a souhaité savoir quel lien il convenait d'établir entre l'exception française et la francophonie, de la vitalité de laquelle il s'est inquiété, et si la promotion de la francophonie pouvait être un des moyens de défendre l'exception culturelle.
M. Michel Thiollière a déploré que les élus soient obligés de demander à l'Etat l'autorisation de faire ce qu'il ne peut plus faire. Une vraie décentralisation est une condition nécessaire pour permettre à l'Etat de retrouver une ambition dans le domaine culturel.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe a estimé qu'avec le concours des collectivités locales, se mettait en place une véritable politique culturelle de proximité destinée à permettre à tous, et notamment aux jeunes, d'accéder à la culture. Le développement de la culture scientifique doit être particulièrement encouragé pour permettre de comprendre les enjeux de civilisation.
En réponse aux intervenants, M. Jacques Rigaud a indiqué que :
- le débat sur l'exception culturelle pose la question de la persistance d'une ambition de la politique culturelle ;
- la perspective d'une privatisation d'une partie de l'audiovisuel public est très inquiétante. La vraie tutelle des chaînes de télévision publiques relève du ministère des finances, ce qui les soumet aux contraintes de la concurrence et les prive, à la différence par exemple de Radio-France, de la possibilité d'assumer une réelle mission culturelle ;
- la résurgence du populisme constitue un sujet de préoccupation. Ce n'est plus le travail mais le non-travail qui constitue un obstacle à l'accès à la culture. La jeunesse ne partage plus les valeurs qui, dans le passé, ont permis de surmonter les divisions nationales. Il faut donner une ambition à la France pour renouveler cette communauté d'adhésion à des valeurs partagées. Les communautarismes font courir le risque de la multiplication des « ghettos » ;
- le mécénat consiste incontestablement à aider les riches, mais le mécénat ne peut venir que de ceux qui ont de l'argent. La loi de 1987 sur le mécénat comme la loi de 1992 sur les fondations d'entreprises n'ont pas permis d'encourager notablement le mécénat. Ce n'est pas pour des raisons fiscales que les entreprises accomplissent des actions de mécénat. Alors que les besoins s'accroissent, le temps est venu d'accomplir un pas en avant pour améliorer le statut juridique et fiscal du mécénat. Les réformes se heurtent à une méfiance des pouvoirs publics dont témoigne la réticence de l'administration à l'égard des fondations. Les dispositifs fiscaux ne sont pas assez incitatifs. Il faut moins de subventions et plus de défiscalisation afin de laisser au citoyen une part de choix ;
- l'idée d'un « ministère de l'intelligence » est séduisante, mais si l'on réunissait l'éducation et la culture, l'administration de l'éducation, lourde et compliquée, étoufferait probablement celle de la culture ;
- l'Etat, qui a su engager dans la période d'après-guerre la modernisation du pays, a aujourd'hui perdu sa capacité de changement et d'inventivité en raison des pesanteurs de la gestion courante ;
- le manque de moyens de l'Etat face aux collectivités locales est susceptible de créer des tensions. Les directions régionales des affaires culturelles, alors qu'elles peuvent jouer un rôle fondamental pour assurer l'unité d'action du ministère de la culture, dont l'organisation est très segmentée au niveau de l'administration centrale, manquent à l'évidence de moyens ;
- la francophonie est gérée de manière institutionnelle et bavarde. Le français ne doit pas être une langue en partage pour quelques pays mais un mode d'accès à l'universel. Il est regrettable que soient supprimés des instituts français à l'étranger car la présence de notre culture requiert des moyens publics. Il ne faut pas dissocier la francophonie du problème général de notre rayonnement culturel à l'extérieur, ni que le statut de notre langue soit seulement celui de la langue d'une ancienne puissance coloniale ;
- dans le domaine culturel, si l'Etat ne doit pas exercer de tutelle sur les collectivités territoriales, il peut toutefois permettre aux élus locaux de résister à certaines pressions ;
- l'action de la cité des sciences de la Villette est de grande qualité. Il convient d'aller plus loin pour favoriser la diffusion de la culture scientifique, en s'inspirant de ce que la culture artistique a inventé de mieux pour favoriser l'accès du public.
Nomination d'un rapporteur
Au cours de la même réunion, la commission a désigné M. Louis de Broissia rapporteur de la proposition de loi n° 218 (2001-2002) de M. Michel Pelchat, tendant à proroger le régime à titre expérimental des services de radiodiffusion sonore en mode numérique de terre.