Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les auditions menées par le rapporteur l’ont établi : nous observons une baisse tendancielle de la délinquance des mineurs, puisque le nombre d’affaires dans lesquelles ceux-ci sont mis en cause a diminué de plus de 30 % entre 2017 et 2023.
C’est bon signe, mais un fait est indéniable : cette délinquance reste hautement préoccupante. Elle est surtout de plus en plus violente et implique des auteurs toujours plus jeunes. Actuellement, 10 % des mineurs susceptibles de faire l’objet de poursuites sont âgés de moins de 13 ans, c’est-à-dire qu’un mineur mis en cause sur dix est un enfant ou un préadolescent.
La violence et l’âge sont deux paramètres qui défient notre compréhension de la délinquance juvénile ; l’actualité nous alerte régulièrement sur cette réalité. Or, une fois n’est pas coutume, nous voudrions pouvoir répondre par une nouvelle loi.
Pour autant, les évolutions de ce type de délinquance ne sont pas un phénomène inconnu de cette assemblée. Voilà quelques années, un rapport d’information de la commission de la culture et de la commission des lois du Sénat, intitulé Prévenir la délinquance des mineurs – Éviter la récidive, révélait le lien de corrélation entre le décrochage scolaire et la délinquance.
Ses auteurs montraient également que l’appât du gain était la principale motivation de la participation à la narcocriminalité, ou encore que les réseaux sociaux avaient un rôle amplificateur des violences. Ils situaient la délinquance des mineurs à la croisée de plusieurs politiques publiques, telles que la lutte contre les violences intrafamiliales, l’éducation nationale, la lutte contre la pauvreté, ou encore la politique de la ville.
Telle n’est pas du tout l’approche du texte qui a été transmis au Sénat. Cette proposition de loi a un angle, et un seul : la répression.
Le député qui en est l’auteur l’affirme d’ailleurs clairement dans son exposé des motifs : « Il nous faut adapter la réponse de notre justice pour provoquer un sursaut d’autorité et une prise de conscience » chez cette partie de nos adolescents qui « glisse […] vers une forme de violence déchaînée, décomplexée, sans règle ». C’est donc sous l’unique prisme de l’efficacité répressive qu’il nous appartient d’étudier ce texte.
Notre rapporteur n’a pas manqué de le faire. Ne cédant pas aux sirènes de la communication politique, Francis Szpiner a réalisé un travail de juriste. Il en a tiré des conclusions implacables, que nous ne pouvons que rejoindre – elles vont d’ailleurs dans le sens des amendements que mon groupe avait déposés en commission –, et qui ont déjà été détaillées.
Il a ainsi, notamment, supprimé la comparution immédiate prévue à l’article 4, laquelle n’est pas adaptée à la justice des mineurs et ne correspond d’ailleurs pas à l’architecture du nouveau code de la justice pénale des mineurs.
Le Gouvernement souhaite réintroduire cette procédure, dans une forme remaniée qui ne nous semble pas plus convaincante que la formule initiale.
Lorsqu’elle a modifié le texte, notre commission des lois n’a pas envoyé un message hors sol, de laxisme ou d’absence de considération pour les préoccupations de nos concitoyens. Elle a adressé un message de sérieux.
Il ne nous paraît ni souhaitable ni opportun de faire croire aux Français que nous allons avancer grâce à des mesures inadaptées à la réalité de la justice pénale des mineurs. Cette dernière et les pratiques en ce domaine ont d’ailleurs déjà été profondément remaniées récemment, par l’adoption d’un code spécifique entré en vigueur voilà à peine quatre ans.
L’évaluation de cette réforme reste à parfaire, et nous regrettons vivement l’absence d’une étude d’impact qui aurait pu nous éclairer.
Le nouveau code conserve les principes qui ont guidé notre action en la matière depuis l’ordonnance de 1945 et auxquels mon groupe est profondément attaché.
Quels sont ces principes ? Ne pas considérer ni condamner un mineur comme un adulte, car il ne s’est pas encore développé comme tel et n’a pas encore le même sens des responsabilités ; toujours faire primer l’éducatif sur le répressif ; offrir au mineur une juridiction spéciale, avec des juges qui s’attacheront à tenter de l’assagir et à l’insérer correctement dans la société.
La commission des lois a supprimé les dispositions qui n’étaient pas tenables ou qui étaient mal rédigées, mais elle n’a pas modifié la philosophie du texte. En l’état, il contient une extension du périmètre de l’actuelle circonstance aggravante à différents délits commis par les parents et permet aux assureurs de faire participer ces derniers à la réparation financière des dommages causés par leurs enfants.
Nous ne sommes toutefois pas tout à fait convaincus de la pertinence de cette vision de l’autorité parentale. Chercher à responsabiliser davantage les parents des mineurs délinquants, c’est omettre le caractère complexe, multifactoriel, de cette délinquance.
C’est prendre le risque de creuser un peu plus le fossé d’incompréhension entre parents et enfants, voire d’accélérer une potentielle rupture, alors même que la force de la cellule familiale est précisément l’un des éléments susceptibles de permettre à un mineur de sortir de la délinquance ou de ne pas y entrer.
Nous croyons également qu’il est illusoire de penser que nous pourrons faire face à ce problème sans nous doter de moyens pour mettre en œuvre les dispositifs qui existent déjà. Tous les professionnels de l’enfance le disent : au pénal comme au civil, nombre de mesures éducatives ou de protection ne peuvent être mises en œuvre faute de moyens.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe du RDSE devraient majoritairement s’abstenir sur la version actuelle de ce texte, mais ils voteront contre en cas de rétablissement de la rédaction initiale. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER, CRCE-K et GEST. – M. François Patriat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants, telle est l’ambition affichée de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Trois ans après la large réforme liée à l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs et malgré un premier bilan plutôt positif de cette dernière, il est apparu nécessaire à l’auteur de ce texte, Gabriel Attal, que nous adoptions d’autres dispositions.
Tout le monde a bien entendu en tête les faits divers tragiques de ces derniers mois, avec des infractions plus graves et dont les auteurs étaient plus jeunes.
Au-delà même du cadre particulier du narcotrafic, dont nous avons eu l’occasion de débattre dans cette enceinte, et de petites mains qui sont parfois utilisées pour commettre des assassinats, certains jeunes n’hésitent plus à sortir un couteau pour régler un simple différend. Nous assistons à une véritable banalisation de l’ultraviolence.
Rappelons-le, 21 % des affaires concernant des mineurs ont pour fondement des faits de coups et blessures volontaires : cette proportion est plus élevée que pour les adultes ! Ce constat ne peut que nous inquiéter, comme bon nombre de Français, et ce changement de paradigme doit trouver un écho plus fort dans la prise en charge des mineurs par la justice.
C’est pourquoi ce texte visait à instaurer, entre autres, une comparution immédiate des mineurs pour les cas les plus graves et à donner plus de facilité aux magistrats pour lever l’excuse de minorité.
Toutefois, se pose également la question de la responsabilité des parents dans ce développement de la violence.
Bien entendu, nous pensons tous au cas de la mère isolée qui peine à joindre les deux bouts et qui, travaillant de nuit, ne peut pleinement surveiller ses enfants. Dans ce cas, il est impératif que nous n’aggravions pas son fardeau par des dispositions punitives.
Néanmoins, il faut le dire, certains parents sont démissionnaires et ne s’intéressent ni à l’éducation ni aux fréquentations de leurs enfants.
Or l’éducation des enfants relève de la sphère familiale, et il est important de se donner des outils pour le rappeler aux parents.
Sur ce volet, ce texte comportait une réécriture du délit de soustraction du parent à ses obligations légales, la création d’une nouvelle circonstance aggravante en la matière, l’instauration d’une amende civile pour les parents ne se présentant pas aux convocations du juge des enfants et l’extension de la responsabilité des parents pour les dommages causés par leurs enfants.
Face à ce vaste programme, c’est peu de dire que notre rapporteur n’a pas été convaincu par la version proposée : quatre articles ont été supprimés en commission, deux autres ont été vidés de leur substance ; il ne reste donc plus grand-chose du texte initial !
Si nous pouvons nous accorder sur le fait que certaines mesures étaient mal cadrées, il aurait été préférable de les réécrire plutôt que de les supprimer, car les objectifs sont louables.
Pourtant, notre rapporteur a su améliorer certains aspects du texte : je pense particulièrement à l’article 3, qui donne aux assureurs la possibilité de faire participer les deux parents à la réparation financière des dommages causés par leur enfant mineur.
Les membres du groupe Union Centriste sont convaincus qu’il aurait pu aller plus loin dans la réécriture du texte, sans jeter pour autant le bébé avec l’eau du bain. Nous avons donc déposé une série d’amendements, afin que nous puissions débattre sur un texte complet.
Nous souhaitons ainsi rétablir en partie la rédaction de l’article 1er, tout en gardant les ajouts du rapporteur, à savoir la suppression de la peine complémentaire de travaux d’intérêt général, ainsi que l’extension du périmètre de l’actuelle circonstance aggravante à différents délits, à l’exception toutefois de ceux qui sont prévus aux articles 227-5 à 227-7 du code pénal.
En effet, nous craignons qu’ils ne soient utilisés contre les mères de famille qui se refusent à présenter leurs enfants à des pères violents ou abusifs. Elles sont d’ailleurs déjà souvent confrontées à des manœuvres judiciaires de la part de ces derniers, protégeons-les donc également sur ce point.
En ce qui concerne l’article 2, nous proposerons de le rétablir. En effet, même s’il est préférable que les parents s’inscrivent dans une logique d’adhésion à l’égard des mesures éducatives ordonnées par le juge des enfants, il n’est pas non plus acceptable que certains parents ne se présentent pas aux convocations.
En ce qui concerne l’article 3, si nous souscrivons pleinement au dispositif proposé par M. le rapporteur, nous proposons toutefois une modification. En effet, même quand la mère n’est pas séparée du père, bien souvent le contrat d’assurance est à son nom, surtout s’il s’agit d’une assurance scolaire.
Dans la rédaction actuelle, elle serait la seule responsable devant cette assurance. Notre amendement a pour objet que l’indemnisation soit due par les deux parents, quel que soit le signataire du contrat. C’est une mesure d’équité et de responsabilisation de tous les parents.
Nous avons également fait le choix de proposer de rétablir les dispositions relatives à la comparution immédiate des mineurs et à l’excuse de minorité.
Ce sont les mesures les plus emblématiques de ce texte. Si elles constituent un indéniable durcissement pénal, elles ne sont réservées qu’aux cas les plus graves, car notre justice se doit d’être en phase avec la réalité de cette nouvelle violence.
Je donnerai un exemple très concret : l’assassin de Phillippine, dont nous avons déjà parlé la semaine dernière, lors de l’examen de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, avait ainsi bénéficié de l’excuse de minorité lors d’une précédente condamnation pour viol. Il n’avait alors été condamné qu’à sept années de prison et il n’en a purgé que cinq sous l’effet des remises de peine. Quant aux suites tragiques, nous les connaissons…
En ce qui concerne la procédure de comparution immédiate, que nous vous proposerons également de réintroduire, mes chers collègues, si la césure pénale doit rester la norme, afin de laisser une pleine place aux mesures éducatives, il est nécessaire de sanctionner rapidement les cas les plus graves et de ne pas laisser en liberté, ou du moins sans contraintes, des individus dangereux, quel que soit leur âge.
Ce texte n’est pas parfait, notamment parce qu’il ne répond pas à la question des moyens, en particulier, monsieur le garde des sceaux, pour la protection judiciaire de la jeunesse, dont les acteurs sont pourtant très engagés et savent faire des merveilles avec des bouts de ficelle.
Si ce texte n’est pas parfait, il n’en est pas moins nécessaire, malheureusement.
Face à une délinquance qui évolue plus vite que notre procédure parlementaire et que les procédures judiciaires, il est indispensable que notre justice ne prenne pas plus de retard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains » : c’est ainsi, madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, que s’ouvrait l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, signée par le général de Gaulle.
Alors que la société sortait d’une période ultraviolente et particulièrement meurtrière, celle de la Seconde Guerre mondiale, nos gouvernants savaient l’importance de protéger notre jeunesse pour mieux préparer l’avenir. L’ordonnance organisait ainsi la justice pénale des mineurs selon des principes indispensables : l’atténuation de la responsabilité des mineurs en fonction de l’âge, la primauté de l’éducatif sur le répressif et la spécialisation des juridictions.
Lorsque la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui nous a été transmise par l’Assemblée nationale, nous nous sommes préparés à la combattre, car elle va à l’encontre de ces principes, au risque d’aboutir à des résultats finalement néfastes. En effet, mettre en cause systématiquement la responsabilité des parents en supposant qu’ils sont forcément démissionnaires, ou même indifférents à l’égard de leurs enfants, ce qui est faux,…
M. Olivier Paccaud. Pas toujours !
M. Ian Brossat. … est contreproductif.
Notre groupe luttera toujours contre les parents maltraitants, qui se soustraient à leurs obligations parentales et compromettent la santé, la sécurité, la moralité et l’éducation de leurs enfants. La loi prévoit d’ailleurs déjà de sanctionner ces comportements.
Toutefois, les parents de mineurs délinquants ne sont pas systématiquement des parents maltraitants. Les spécialistes du secteur en témoignent : nombre d’entre eux sont contraints parfois de cumuler plusieurs emplois aux horaires décalés, ce qui les empêche, de fait, d’être présents auprès de leurs enfants.
Les familles monoparentales sont particulièrement exposées, ce qui ne veut évidemment pas dire que toutes les familles en difficulté ont des enfants délinquants. Ces familles ont avant tout besoin d’un accompagnement social, éducatif, psychologique et juridique.
Précisément, que fait l’État pour pallier ses carences ? Cette année encore, la protection judiciaire de la jeunesse, l’aide sociale à l’enfance et la justice des mineurs ont été abandonnées dans le budget.
Il est pourtant indispensable de revaloriser toutes les filières sociales, éducatives et judiciaires pour mieux protéger nos enfants. Il manque 26 000 postes d’enseignants dans nos écoles pour atteindre la moyenne européenne de 19 élèves par classe. Les crédits du programme budgétaire « Jeunesse et vie associative » ont été amputés de 52 millions d’euros cette année.
La Cour des comptes alerte pourtant dans son rapport annuel, qui a été publié la semaine dernière, sur les grandes inégalités qui existent dans les politiques publiques à destination de la jeunesse, exposant les enfants au cercle vicieux de la précarité.
Cette proposition de loi prévoyait, dans sa version initiale, la mise en place d’une comparution immédiate pour les mineurs de plus de 16 ans. Outre qu’elle porterait, si elle était adoptée, une atteinte disproportionnée au principe fondamental reconnu par les lois de la République de spécificité de la justice pénale des mineurs, cette mesure serait, là encore, contreproductive. Elle n’est en effet pas adaptée au temps de l’enfant. Elle ne laisse pas place à la réflexion et empêche toute possibilité pour l’enfant de changer grâce à un accompagnement.
Enfin, cette proposition de loi permettait également, dans sa rédaction initiale, de déroger plus souvent au principe d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs, pourtant fondamental en matière de justice des mineurs. On interdit aux personnes de moins de 16 ans de voter, mais on considère qu’elles peuvent être jugées comme des adultes… Comment le comprendre ? Cette surenchère nous paraît vaine.
Monsieur le rapporteur, nous souscrivons à vos constats et nous saluons votre lucidité sur ce texte. Les amendements que vous avez fait adopter en commission ont permis d’éviter le pire, et nous nous en réjouissons.
Nous restons toutefois opposés à l’article 4 bis, qui assimile les enfants de moins de 16 ans à des majeurs lorsque l’infraction est grave. Un enfant de 13 ans ne peut pas être considéré comme un adulte ; il ne peut pas être placé en détention provisoire, encore moins pour une durée d’un an. Ces mesures seraient, de nouveau, préjudiciables pour des enfants à la maturité si limitée.
Il est pour nous impératif de défendre la primauté absolue de l’éducatif sur le répressif. Nous avons donc déposé un amendement de suppression de cet article.
S’il nous semble par conséquent inévitable en l’état de voter contre ce texte, nous resterons très attentifs à l’évolution des débats, afin qu’aucune modification substantielle particulièrement problématique ne soit votée. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi est un texte d’affichage, comme tant d’autres. Elle est dépourvue d’avis du Conseil d’État. Elle a été écrite sans concertation avec les acteurs de terrain, alors même que les dispositions qu’elle entend modifier sont entrées en vigueur récemment, à la suite de l’adoption d’un texte dont l’encre est à peine sèche et dont l’objectif annoncé était de fonder une justice pénale des mineurs « plus lisible et efficace ».
Pourquoi ne pas attendre d’évaluer les effets réels de la loi Belloubet, avant de modifier de nouveau l’état du droit et de complexifier la tâche des acteurs de terrain ?
Je ne suis ni professeur de droit ni juriste, mais je ne crois pas qu’il soit bon, comme vous l’affirmiez, monsieur le garde des sceaux, lors de l’examen de la loi Immigration, de voter un texte quand certaines de ses mesures sont « manifestement contraires à la Constitution ». Vous ajoutiez : « Le Conseil constitutionnel fera son office, mais la politique, ce n’est pas être juriste avant les juristes ».
Je pense au contraire que le politique, quand il est législateur, doit faire attention au droit, à sa bonne rédaction et à ses conséquences.
Je partage l’analyse du rapporteur Szpiner sur cette proposition de loi : elle est mal écrite et au mieux inefficace ; l’ensemble des articles qui ont été supprimés en commission n’avaient d’autre but que d’afficher, en ces temps troublés, une autorité suraffirmée, prétextant une démonstration de force forcément salvatrice.
Je souscris aussi à la volonté de la présidente Muriel Jourda d’exercer une vigilance particulièrement sérieuse sur l’écriture du texte et de supprimer les formulations douteuses, problématiques et inefficaces.
Je salue la réécriture en commission de l’article 1er.
Je salue aussi la suppression de l’article 2, qui visait à responsabiliser davantage les parents. Alors que la crise du travail social se traduit par un manque tout à fait préoccupant de travailleurs sociaux dans les structures de la PPJ et de l’ASE, les auteurs de cette proposition de loi ferment les yeux sur les graves dysfonctionnements des institutions qui pourraient accompagner les parents, parfois dépassés, et préfèrent jeter le discrédit sur les familles des enfants délinquants.
Je n’invente rien : la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier soulignait déjà le rôle de l’ASE et de la PJJ dans sa recommandation n° 27. Mais ni dans la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui a suivi les travaux de cette commission, ni dans ce texte, cet aspect n’est présent. Je le déplore.
Cet acharnement sur la responsabilisation parentale, au sein de familles souvent monoparentales qui se trouvent déjà dans une grande précarité, ajoute des maux aux maux sans jamais rien résoudre dans le parcours éducatif et social des mineurs. Et je ne parle même pas de l’absence de services publics – école, santé, police de proximité, sports, culture –, ou de dispositifs de formation, d’information ou d’animation.
Notre groupe se réjouit de la volonté de la commission de supprimer l’article 4 relatif à la comparution immédiate des mineurs, qui n’apporte rien et ne répond pas « aux besoins réels des éducateurs et des magistrats », selon les propres termes du rapport de la commission. Voilà encore une pure mesure d’affichage, de posture de force, de réponse dans l’immédiateté ! Mais la justice des mineurs, ce n’est pas cela, ce ne peut pas être cela !
Enfin, nous saluons la suppression de l’article 5, qui visait à encourager les juridictions à déroger au principe d’atténuation de la peine. La disposition que l’article voulait modifier n’avait eu, selon notre rapporteur, que très peu d’effets depuis sa mise en place. Comme beaucoup d’autres, cet article aurait constitué davantage « une source de complexité supplémentaire pour les juges qu’un outil réellement opérationnel ».
Ce texte déposé par un ancien Premier ministre, fraîchement redevenu député après avoir passé l’été dans la douceur d’une trêve politique olympique imposée par la seule volonté du Président de la République, s’inscrit dans le cadre d’une idéologie simpliste et d’un discours démagogique en faveur du tout-sécuritaire.
L’auteur de cette proposition de loi et le Gouvernement qui la soutient alimentent le mythe d’une explosion de la violence juvénile, laquelle serait imputable à un prétendu laxisme judiciaire.
La justice pénale des mineurs n’est pourtant pas laxiste. En 2022, un tiers des peines prononcées à l’encontre des 31 000 mineurs condamnés ont été des peines de prison. Les peines à l’égard des mineurs sont non seulement plus fréquentes, mais aussi plus sévères : on dénombre environ 800 mineurs incarcérés chaque mois depuis 2024, contre 700 au cours des dernières années.
Il n’y a pas non plus d’explosion de la délinquance chez les jeunes : la part des mineurs impliqués dans les délits commis est passée de 22 % en 1998 à 12 % en 2023. La commission a bien souligné, dans son rapport, cette « baisse volumétrique tendancielle » de la délinquance des mineurs.
La question de la justice des mineurs est aussi et surtout celle du manque de moyens humains et matériels de la justice, sur laquelle la Défenseure des droits ne cesse d’alerter.
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous resterons attentifs à l’évolution de ce texte au cours de son examen, d’autant qu’un grand nombre d’amendements visant à rétablir des mesures problématiques y seront discutés. S’ils sont adoptés, nous nous opposerons à ce texte.
Nous continuerons à défendre la spécificité de la justice des mineurs et à nous opposer à son rapprochement avec la justice des majeurs. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la violence des mineurs nous choque, et à juste titre. Elle brise des vies et nourrit le sentiment d’un échec collectif à l’égard de la jeunesse, chaque drame renforçant ce sentiment d’échec.
Toutefois, notre responsabilité est aussi d’appréhender cette question avec un minimum de rigueur et de distanciation par rapport à l’émotion que provoquent ces drames.
Pour cela, j’aimerais rappeler quelques éléments factuels. Selon les chiffres du ministère de la justice, en 2022, dans les affaires relatives à la délinquance des mineurs traitées par les parquets, 168 900 mineurs ont été mis en cause, contre 198 000 en 2021.
Il est vrai toutefois, car nous devons faire preuve d’honnêteté intellectuelle, que cette délinquance se rajeunit et qu’elle est plus violente. C’est ce phénomène qui doit nous interroger.
De même, le taux de réponse pénale à l’égard des mineurs est de plus de 90 %. Cette réponse intervient de manière plus systématique, mais aussi plus rapide que pour les majeurs : comme M. le garde des sceaux l’a souligné tout à l’heure, 816 mineurs étaient incarcérés le 1er octobre 2024, contre 214 en janvier 2023.
C’est sans doute la conséquence de l’entrée en vigueur récente, depuis 2021, du code de la justice pénale des mineurs (CJPM), qui a apporté des améliorations en refondant la procédure autour d’une double audience : l’audience de culpabilité, qui constitue une occasion de reconnaître la faute et qui permet d’acter la responsabilité, puis l’audience de sanction. Entre les deux, dans un temps contraint, a lieu une phase de mise en œuvre d’un travail éducatif, que l’on pourrait presque qualifier de séquence de probation.
Mes chers collègues, si nous supprimions ce processus, il n’y aurait plus de probation, ce qui irait à l’encontre des principes constitutifs de la justice des mineurs.
N’oublions pas que le CJPM va plus loin : il permet de sanctionner les parents qui ne se présenteraient pas aux audiences, de ne pas appliquer de façon systématique le principe d’atténuation de la peine pour les mineurs de plus de 16 ans et de juger plus vite les mineurs de plus de 16 ans multiréitérants, dans le cadre de la procédure d’audience unique, qui est une sorte de comparution immédiate, même si elle n’en porte pas le nom.
Pourquoi, dès lors, vouloir créer quelque chose qui existe déjà ? Laissons-nous le temps d’appliquer le CJPM et d’évaluer les résultats.
D’ailleurs, la procédure de jugement unique devait être l’exception. Or on constate qu’elle est employée dans le tiers environ des affaires. Ce dispositif fonctionne donc, et le CJPM ne constitue pas un havre de permissivité et d’impunité pour les mineurs délinquants. Le dépôt de cette proposition de loi est d’autant plus étonnant. Celle-ci vise, selon son titre, à « restaurer l’autorité de la justice », ce qui semble signifier que la justice n’a plus d’autorité…
Ce texte tend à durcir les sanctions pénales à l’égard des jeunes et à renforcer la responsabilité des parents, en ignorant, cela a été rappelé, les principes constitutionnels et internationaux de la justice des mineurs, à savoir l’atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l’âge, la primauté de l’éducatif sur le répressif et la spécialisation de la justice des mineurs.
Le texte tel qu’il a été voté à l’Assemblée nationale aggravait au contraire les sanctions, sur trois points en particulier, qui constituent des lignes rouges en matière de justice des mineurs.
Il instaurait ainsi une procédure de comparution immédiate, laquelle a été proscrite par le Conseil constitutionnel en 2011. Il inversait le principe de l’atténuation des peines pour les mineurs de plus de 16 ans, laquelle deviendrait l’exception, une mesure soulevant aussi une question constitutionnelle au regard du principe de proportionnalité. Enfin, il aggravait les sanctions envers les parents.
Comme certains l’ont souligné, ce texte relevait plus de la réaction à l’actualité que de la volonté de corriger les faiblesses structurelles de la justice des mineurs, à savoir l’inapplication des peines prononcées par le juge, le manque d’éducateurs et la saturation des lieux d’accueil de la protection judiciaire de la jeunesse.
Comme je l’avais souligné en tant que rapporteure au Sénat du budget de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), je rappelle que notre justice des mineurs manque cruellement de ressources :1 juge pour enfant pour 400 enfants ; 650 places en milieu fermé ; 4 200 mesures en attente d’application…
Pensez-vous sincèrement qu’un mineur ne passera pas à l’acte parce qu’il encourra quatre ans au lieu de trois ans ? Que des parents démunis face à leurs enfants les tiendront mieux s’ils encourent trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, au lieu de deux ans de prison et 35 000 euros d’amende ? Le problème n’est-il pas ailleurs ?
Plutôt que d’adopter des mesures contestables et potentiellement inconstitutionnelles, ne devrions-nous pas nous concentrer sur l’exécution des peines et le renforcement de notre institution judiciaire ?
On ne peut pas, à la fois, dire qu’il faut prioriser l’éducatif et ne faire que du répressif ! C’est pourquoi, sans être totalement en phase avec la philosophie générale du texte, nous avons souscrit aux modifications effectuées par la commission.
Pour autant, mes chers collègues, nous sommes inquiets au regard des amendements déposés en vue de la séance et du débat que nous avons eu en commission : ils nous interrogent sur une dérive, sur une petite musique inquiétante qui se répète au Sénat depuis quelques semaines.
Lors des discussions sur ce texte et sur d’autres récemment adoptés, qu’il s’agisse de celui qui était relatif aux allocations familiales conditionnelles ou, dans un tout autre domaine, du plan Ferme France, une stratégie inquiétante se met insidieusement en place : il s’agit de se revendiquer de l’opinion publique pour faire voter des mesures manifestement inconstitutionnelles, d’attendre que ces mesures soient légitimement retoquées, puis d’accuser le Conseil constitutionnel de bloquer la « volonté des Français ».
Comme si l’argument de la constitutionnalité n’était plus un argument (Applaudissements sur les travées du groupe SER.), comme si l’État de droit n’était plus incontournable !
Monsieur le garde des sceaux, vous avez pu constater durant l’examen de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, portée par le binôme Étienne Blanc et Jérôme Durain, que nous savions être responsables et constructifs. Nous serons au rendez-vous pour travailler de la même façon chaque fois que vous nous le demanderez. Mais nous refusons d’opposer responsabilité et fermeté, d’un côté, et accompagnement et prévention, de l’autre ! Vous l’avez dit vous-même, répression et éducation, les deux sont nécessaires.
Ce qui est irresponsable, en revanche, c’est d’entraîner le Parlement dans une forme de trumpisme législatif (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), où l’on fabrique des textes pour l’affichage et où l’on teste la solidité du Conseil constitutionnel, à charge pour lui de souffrir la vindicte de l’opinion. Le critiquer sera d’autant plus facile !
Nous nous efforcerons, pour notre part, d’agir avec responsabilité, avec tout l’égard dû à nos institutions et à notre État de droit, en nous efforçant d’appliquer une devise qui est pour moi fondamentale dans le cadre de mon mandat parlementaire : rigueur scientifique et honnêteté intellectuelle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et RDSE.)