M. le président. Il va falloir conclure.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. À cet égard, il convient de traiter les causes structurelles du conflit, et nous comptons aussi sur la mobilisation de la diplomatie parlementaire pour y parvenir. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 26 mars, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Alain Marc.)
PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour une mise au point au sujet d’un vote.
Mme Patricia Schillinger. Lors du scrutin n° 232, sur l’ensemble de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, M. Georges Patient souhaitait voter contre.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis un avis favorable, par trente-huit voix pour et deux voix contre, sur la nomination de M. Jean Maïa aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
5
Exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, présentée par Mmes Émilienne Poumirol et Anne Marie Nédélec (proposition n° 751 [2023-2024], texte de la commission n° 437, rapport n° 436).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi.
Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je nous félicite collectivement – notamment les membres du groupe Les Républicains – d’avoir inscrit cette proposition de loi qui porte sur un sujet essentiel, la santé de nos sapeurs-pompiers, à l’ordre du jour de l’espace transpartisan de notre assemblée, que nous inaugurons.
Je tiens à remercier la coauteure de cette proposition de loi, Anne-Marie Nédélec, du travail que nous avons effectué ensemble. Nous partageons le souci d’aller plus loin, au travers de ce texte, dans la protection de la santé des sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires.
Protéger ceux qui nous protègent : telle a toujours été notre ambition commune. Celle-ci a présidé à la rédaction de notre rapport d’information Cancers imputables à l’activité de sapeur-pompier : protéger les soldats du feu, publié en mai 2024, comme à celle de cette proposition de loi.
Je souhaite rendre hommage à l’ensemble des sapeurs-pompiers de France, professionnels comme volontaires, qui œuvrent, au péril de leur santé, au secours de nos concitoyens. Qu’ils interviennent pour lutter contre des feux, pour effectuer des opérations de secours à la personne ou pour gérer les conséquences de catastrophes naturelles, leur rôle est essentiel.
Face aux dangers accrus auxquels les sapeurs-pompiers sont confrontés, il appartient aujourd’hui à la représentation nationale de les défendre et de reconnaître – enfin – les risques qui pèsent sur leur santé.
Je remercie, en outre, les syndicats de sapeurs-pompiers et tous les acteurs qui, depuis des années, travaillent à cette reconnaissance.
La proposition de loi que nous vous proposons d’adopter aujourd’hui constitue la première étape de cette reconnaissance, mes chers collègues. Elle a trait à la prévention et au suivi de la santé des sapeurs-pompiers.
Nous vous proposons en effet, au travers de ce texte, d’inscrire dans la loi l’obligation, pour les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), de créer des fiches d’exposition pour l’ensemble des sapeurs-pompiers. La mise en œuvre de ces dernières a d’ailleurs été concrétisée par une circulaire du mois de janvier, à la suite à la publication, en mai 2024, de notre rapport d’information, qui le préconisait. Je m’en réjouis.
Nous estimons toutefois qu’il importe aujourd’hui d’aller plus loin et de renforcer cette disposition en l’inscrivant dans la loi.
En effet, selon les médecins colonels Michel Weber et Thierry Dulion, membres de l’Association nationale des médecins des services d’incendie et de secours (Anamnesis), « l’emploi d’une fiche d’exposition n’est pas généralisé dans l’ensemble des Sdis » et « reste une initiative locale et dépendante des moyens octroyés et de la sensibilité des responsables ». En la matière, du fait de l’autonomie de gestion dont bénéficient les Sdis, il existe donc autant de politiques de prévention que de tels services.
La généralisation des fiches d’exposition, sur le modèle préconisé par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), paraît donc fondamentale. Celles-ci constitueront la preuve de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), ce qui permettra d’acter l’imputabilité d’un cancer à ladite exposition.
La France ne dispose hélas ! pas d’études épidémiologiques concernant une telle exposition, ou plutôt de telles expositions, car aujourd’hui, nous les savons multiples.
Pourtant, dès 2003, le rapport Pourny alertait sur l’absence de données épidémiologiques et préconisait « de mettre sur pied une véritable veille sanitaire des sapeurs-pompiers s’appuyant sur une banque nationale de données (BND) fiable ». Plus de vingt ans plus tard, ni étude épidémiologique ni suivi médical coordonné n’a été mis en œuvre.
Ce manque de données s’explique notamment par le désengagement des pouvoirs publics, au fil des ans, du financement des recherches épidémiologiques, mais également par l’influence des entreprises productrices de substances potentiellement cancérogènes. J’en appelle donc aux pouvoirs publics, ainsi qu’à vous, madame la ministre, pour engager au plus vite des études épidémiologiques sérieuses.
Cette proposition de loi ne constitue qu’une étape. Nous devons aller plus loin dans notre action, tant en matière de prévention que de reconnaissance des cancers comme maladies professionnelles, sans oublier la prise en charge de ces derniers.
En effet, seule une partie des recommandations qu’avec Anne-Marie Nédélec, nous avons formulées dans notre rapport, lequel a du reste été adopté à l’unanimité par la commission des affaires sociales, sont prises en compte dans cette proposition de loi. Permettez-moi donc revenir sur différentes dispositions à mettre en œuvre dans les plus brefs délais, madame la ministre.
En juin 2022, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé l’activité de sapeur-pompier comme cancérogène pour l’homme et reconnu des « preuves suffisantes » pour le mésothéliome et le cancer de la vessie, ainsi que « des associations positives crédibles » pour les cancers du côlon, de la prostate, du testicule, ainsi que pour le mélanome et le lymphome non hodgkinien. Le risque d’être touché par le mélanome serait plus élevé de 58 % chez les sapeurs-pompiers que dans la population générale. Dans le cas du cancer de la vessie, ce même risque serait supérieur de 16 %.
Or notre pays connaît un retard important en matière de reconnaissance des maladies professionnelles, notamment des cancers.
Ainsi, pour les sapeurs-pompiers français, seuls deux types de cancer sont présumés imputables au service : le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire – paradoxalement, le Circ ne mentionne pas le lien entre ces derniers et l’activité de sapeur-pompier. Or aucun cas n’a été à ce jour reconnu comme maladie professionnelle par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Pourtant, vingt-huit types de cancer peuvent être reconnus comme maladies professionnelles chez les sapeurs-pompiers dans l’État du Nevada, aux États-Unis. Au Canada, ce nombre varie selon les provinces, allant jusqu’à dix-neuf en Ontario. Au Québec, neuf types de cancer sont présumés imputables au service, pour peu que le pompier ait effectué vingt ans de service et soit non-fumeur. Nous ne pouvons à ce jour expliquer de telles disparités avec notre pays en matière de reconnaissance de ces cancers comme maladies professionnelles.
En tout état de cause, il nous paraît essentiel que pour l’ensemble des pompiers, indépendamment de leur statut, la présomption d’imputabilité au service soit élargie aux types de cancer dont le lien avec l’activité de sapeur-pompier est reconnu par le Circ. Nous invitons donc le Gouvernement à créer un tableau des maladies professionnelles regroupant les pathologies liées aux travaux d’extinction des incendies.
Dans notre pays, ces tableaux sont établis par le Gouvernement après consultation des partenaires sociaux, selon des logiques qui ne semblent pas tenir compte de l’état des connaissances scientifiques. Ces tableaux résultant de négociations entre les partenaires sociaux, leur mode d’élaboration interroge. Les maladies professionnelles sont en effet ce que l’historien Paul-André Rosental nomme des « maladies négociées », car elles font l’objet de conflits d’intérêts entre les représentants du patronat, qui finance la prise en charge des maladies professionnelles, et les syndicats de salariés, qui luttent contre les phénomènes de sous-reconnaissance.
Ainsi, aujourd’hui, le cancer de la vessie et le mésothéliome, dont le lien avec l’activité de sapeur-pompier a été affirmé par le Circ et qui figurent dans les tableaux des maladies professionnelles, ne sont pas considérés comme directement imputables au service. La raison en est que la liste des travaux susceptibles de les provoquer n’inclut pas l’extinction des incendies. Il appartient donc aux sapeurs-pompiers eux-mêmes d’apporter la preuve du lien direct entre ces pathologies et l’exercice de leurs fonctions. C’est un comble !
Or nous savons que, dans le cadre de la lutte contre l’incendie, les sapeurs-pompiers sont exposés à des produits de combustion cancérogènes présents dans les fumées, à l’instar des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), de certains composés organiques volatils (COV), de l’amiante, des particules fines, ainsi que des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). A récemment été mis en lumière le cas des retardateurs de flamme : en effet, ces produits, contenus dans très nombreux objets du quotidien, dégagent des fumées hautement toxiques.
Les conséquences de la polyexposition demeurent de plus encore méconnues. Les expositions cumulées à des substances nocives sont en effet susceptibles de se potentialiser entre elles, avec des effets encore inconnus sur l’organisme. Le terme de polyexposition désigne du reste non seulement l’addition de plusieurs produits toxiques, mais aussi le cumul de ces derniers avec d’autres facteurs de risque pour la santé des pompiers, tels que le travail de nuit, le port de charges lourdes, qui provoque des troubles musculosquelettiques (TMS), etc.
Ces tableaux devront donc être régulièrement mis à jour au regard de l’évolution des connaissances scientifiques, afin de garantir aux pompiers français une protection efficace.
S’il nous faut mieux reconnaître les cancers comme maladies professionnelles, il convient également de nous attacher à les prévenir. Il existe certes une doctrine nationale de prévention, éditée par la DGSCGC, mais tous les Sdis ne se l’approprient pas de la même façon.
Mieux prévenir, c’est d’abord améliorer la consultation d’aptitude à l’embauche. Il faudrait en particulier y expliquer les risques professionnels encourus, afin que les sapeurs-pompiers s’acculturent eux-mêmes à la nécessité de les prévenir. Chaque agent deviendrait ainsi un acteur de sa propre santé.
Outre la prévention, il convient aussi de renforcer le dépistage, au travers de programmes nationaux réguliers de surveillance médicale des sapeurs-pompiers.
Le suivi post-professionnel, dont la qualité est aujourd’hui très variable du fait des difficultés rencontrées pour recruter des médecins du travail sapeurs-pompiers, doit lui aussi être renforcé. De plus, ce suivi ne concerne pas les sapeurs-pompiers volontaires, qui constituent pourtant 80 % des effectifs. Pour ces derniers, après l’arrêt de l’activité, le suivi est assuré par le médecin généraliste traitant, qui n’est pas formé aux risques spécifiques encourus par les sapeurs-pompiers. Il conviendrait donc que les Sdis proposent à l’ensemble des agents, tous les cinq ans, une visite de contrôle assurée par un médecin sapeur-pompier.
Cette surveillance contribuerait à la collecte des données épidémiologiques nécessaires à l’élaboration de mesures de prévention et de réparation par un observatoire de la santé des sapeurs-pompiers.
Nous appelons enfin le Gouvernement à prévoir une dotation exceptionnelle, afin de financer l’équipement de chaque sapeur-pompier d’une cagoule filtrante de nouvelle génération, mais également de tous les équipements de protection individuelle (EPI) dont l’efficacité en termes de protection est prouvée scientifiquement, madame la ministre.
Je l’ai dit, cette proposition de loi n’est donc qu’une première étape. Si la prévention reste une priorité, il nous faut également reconnaître l’imputabilité au service des pathologies lourdes, comme le font d’autres grandes nations. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, RDPI et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Dumont, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que vient de prendre fin un épisode particulièrement précoce de feux de forêt dans la vallée de la Roya, et au terme d’une année caractérisée par une forte pression opérationnelle pour nos soldats du feu, il importe de rappeler que les sapeurs-pompiers font face à des risques graves, protéiformes et, surtout, omniprésents.
Je me réjouis donc que la représentation nationale se mobilise aujourd’hui afin de prendre sa part dans la protection de cette profession, dont la vocation a toujours été de protéger les autres.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est issue des constats dressés par Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol dans leur rapport d’information sur les cancers imputables à l’activité de sapeur-pompier. Je tiens donc, en premier lieu, à les remercier de leur engagement sur ce sujet.
Les travaux de nos collègues ont notamment mis à jour un risque de sous-déclaration d’ampleur des maladies professionnelles de ces agents, étayé par une observation simple : alors que le risque cancérogène des substances auxquelles ils sont quotidiennement exposés est de mieux en mieux documenté, le nombre de maladies déclarées reste particulièrement bas dans notre pays.
Voilà pourtant trois ans que le Centre international de recherche sur le cancer a catégorisé le métier de sapeur-pompier comme cancérogène pour l’homme, reconnaissant le lien entre cette activité et le mésothéliome, ainsi que le cancer de la vessie, mais également, avec des preuves plus limitées, les cancers du côlon et de la prostate, ou encore le mélanome. Selon les dernières études scientifiques, ces maladies trouveraient leur origine dans le contact quotidien des agents avec les produits de combustion des incendies, les matériaux de construction – dont l’amiante – ou encore avec les produits chimiques contenus dans les mousses anti-incendie et les retardateurs de flamme.
Ces avancées scientifiques ne semblent pas se traduire par une augmentation du nombre de déclarations de maladie d’origine professionnelle dans notre pays : de fait, seules vingt-quatre affections de ce type ont été recensées en 2023 pour les sapeurs-pompiers professionnels, soit moins de 1 % de la sinistralité pour la catégorie d’emploi concernée. En outre, aucun cancer professionnel n’a été détecté chez ces agents entre 2013 et 2025.
Le constat d’une sous-déclaration des maladies professionnelles, corroboré par ces données, est inacceptable pour quiconque connaît l’engagement et le dévouement des sapeurs-pompiers à leurs missions.
Nous ne pouvons en effet tolérer que certains agents de Sdis, malades du fait de leur activité, sont injustement privés du bénéficie du congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis), qui assure un maintien du revenu, ainsi que de l’allocation temporaire d’invalidité (ATI).
Par ailleurs, la sous-documentation de certains risques encourus empêchera d’alimenter de futurs travaux visant à perfectionner les équipements de protection ou à améliorer les protocoles de décontamination au sein des Sdis.
Dans leur rapport d’information, nos collègues auteures de la proposition de loi ont expliqué cette sous-déclaration par les difficultés rencontrées par les sapeurs-pompiers à démontrer le lien entre leur pathologie et les missions exercées dans le cadre de leurs fonctions. En effet, hormis pour certaines maladies figurant dans les tableaux annexés au code de la sécurité sociale, lesquelles font en conséquence l’objet d’une présomption d’imputabilité au service, il revient à l’agent d’établir que sa pathologie est essentiellement et directement causée par son activité, afin d’obtenir la reconnaissance de la maladie professionnelle.
Les difficultés de cette démonstration ne sont niées ni par les médecins ni par les Sdis. Tous reconnaissent d’ailleurs des lacunes dans le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des substances nocives pour leur santé. Lorsqu’une maladie survient plusieurs années après les expositions, de telles lacunes rendent presque impossible l’objectivation par l’agent de l’origine professionnelle de sa maladie.
L’obligation de réaliser un relevé d’exposition à des substances nocives figure pourtant dans un décret du 5 novembre 2015. Celui-ci prévoit que l’autorité territoriale réalise annuellement une synthèse relevant l’ensemble des activités potentiellement exposantes de l’agent et délivre, lorsque ce dernier quitte le Sdis, un document cumulant toutes les synthèses annuelles. Ces dossiers sont en théorie conservés pour une durée de cinquante ans.
De l’aveu même des directeurs de Sdis, cependant, ces dispositions sont aujourd’hui très imparfaitement mises en œuvre. Si certains services départementaux sont proactifs et ont adopté des dispositifs de suivi très performants, d’autres sont hélas ! en décrochage.
Afin d’assurer un suivi homogène et rigoureux des risques encourus par les professionnels dans le cadre de leurs fonctions, le texte présenté par nos collègues prévoit donc d’inscrire dans la loi l’obligation pour le Sdis de réaliser une fiche d’exposition dès lors qu’un sapeur-pompier a, dans le cadre de ses fonctions, été au contact d’agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
La consécration législative de cette obligation doit susciter une réelle prise de conscience des employeurs et inciter ces derniers à se conformer aux normes en vigueur au plus vite. Elle constitue également une protection supplémentaire, car la disposition ne pourra pas être amoindrie par de futures mesures réglementaires et qu’elle fera l’objet d’une vigilance accrue de la part de la représentation nationale.
Afin d’aider les directeurs de Sdis à se soumettre à cette obligation, la proposition de loi prévoit la publication de modèles nationaux de fiche d’exposition dont ils pourront se saisir afin de garantir une traçabilité, selon un modèle standardisé dans tous les départements.
En effet, comme l’expliquent clairement les services départementaux, la diversité des environnements dans lesquels les sapeurs-pompiers interviennent rend aujourd’hui particulièrement complexe un suivi exhaustif de leurs risques de contamination. Ces derniers dépendent en effet de la nature des combustions, du port ou non de certains équipements, ainsi que des missions confiées à l’agent au sein de l’équipe d’intervention.
Au fait de ces difficultés, et certainement sensible au travail sérieux et documenté de nos collègues, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises a publié, le 14 janvier dernier, des modèles nationaux de fiche d’exposition, afin d’assurer une uniformisation du suivi et, in fine, de favoriser la reconnaissance de maladies professionnelles pour les sapeurs-pompiers.
La publication de ces modèles et l’adoption du présent texte constituent donc une étape décisive afin que, partout sur le terrain, les agents se voient garantir une prise en charge dès la découverte d’une affection en lien avec leur activité.
Avant de conclure, il me tient à cœur de rappeler que les dispositions proposées au travers de ce texte demeurent indissociables de réels progrès en matière de prévention. Qu’il s’agisse de réduire l’exposition au risque, notamment par les protocoles de sécurité et le port des équipements de protection, ou de détecter au plus tôt d’éventuelles pathologies par un suivi médical renforcé, la prévention est le premier rempart contre les maladies professionnelles des sapeurs-pompiers.
Les deux leviers que sont la prévention et la prise en charge sont les conditions d’un exercice sain et juste de missions ô combien essentielles pour nos concitoyens.
Mes chers collègues, je vous demande donc d’adopter cette proposition de loi, qui constitue une garantie supplémentaire et indispensable pour la protection et la préservation de la santé des sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Monsieur le président, mesdames les auteures de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser mes collègues de l’intérieur, Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, ainsi que le ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification, Laurent Marcangeli, qui sont tous trois pleinement investis auprès des sapeurs-pompiers de notre pays.
Le Sénat a régulièrement prouvé sa grande attention aux services de lutte contre l’incendie, en s’appuyant sur l’expérience des élus locaux qui siègent dans les services départementaux d’incendie et de secours, les Sdis.
Le Sénat le prouve encore aujourd’hui avec cette initiative transpartisane, qui prolonge le rapport d’information déposé l’année dernière par Mmes Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol, qui sont également les auteures de cette proposition de loi.
Votre texte, mesdames les sénatrices, aborde des questions graves : comment pouvons-nous mieux protéger ceux qui nous protègent ? Comment prévenir les cancers imputables à l’activité de sapeur-pompier ?
Si les pompiers sont habitués au danger, ils sont hélas ! exposés à des risques moins visibles et moins directs que le feu : les agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, qui peuvent être à l’origine de maladies professionnelles, à commencer par des cancers.
Si de nombreux récits de malades nous touchent et nous interpellent, nous connaissons encore mal les risques médicaux auxquels les sapeurs-pompiers sont exposés. Il nous faut donc continuer de documenter l’exposition professionnelle de ces derniers. Les nombreux travaux qui sont menés par le Centre international de recherche sur le cancer et à l’étranger alertent sur les conséquences sanitaires de ces risques. Un certain nombre d’exemples étrangers ont été cités précédemment.
Du point de vue administratif, je n’ignore pas les difficultés rencontrées par les pompiers pour faire reconnaître l’origine professionnelle d’une maladie dont ils sont victimes. En effet, le nombre de reconnaissances de maladie professionnelle paraît faible, y compris pour des pathologies dont le lien de causalité avec le métier de pompier est avéré. Nous devons donc agir.
Avec ce texte, mesdames les sénatrices, vous nous invitez à renforcer la traçabilité des expositions des sapeurs-pompiers et pompiers volontaires à des agents toxiques.
Vous proposez donc d’inscrire dans le code général de la fonction publique l’obligation, pour tous les services départementaux d’incendie et de secours, de renseigner une fiche d’exposition individuelle pour les personnels exposés, soit aux agents CMR, soit aux agents toxiques cités dans les tableaux des maladies professionnelles du code de la sécurité sociale.
Concernant l’exposition aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, les sapeurs-pompiers, comme tous les travailleurs, sont protégés par les dispositions du code du travail, au travers du dossier médical en santé au travail et du document unique d’évaluation des risques professionnels.
L’objectif opérationnel est donc de mieux mobiliser et d’accompagner les Sdis.
Le Gouvernement partage votre préoccupation, mesdames les sénatrices : il faut rendre effective la traçabilité. Or depuis 2015, la mise en œuvre du suivi par les Sdis est très inégale, de l’aveu même de ces derniers. Pour la santé des pompiers, nous devons et nous pouvons mieux faire.
Tel est le sens de la circulaire et de la note publiées, le 14 janvier dernier, par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Ladite circulaire fixe un cap et fournit aux Sdis des fiches de suivi. Sa publication a été saluée par les organisations syndicales des agents des Sdis comme une avancée.
Les fiches ont été élaborées dans le cadre de l’observatoire de la santé des agents des Sdis, lequel réunit, depuis 2024, des représentants des directions et des syndicats, ainsi que des scientifiques et des médecins. Ces fiches fixent un cadre commun. Le dispositif, robuste, doit maintenant se traduire par des actes. Je sais que la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises sera très attentive à sa mise en œuvre, en particulier dans le cadre des évaluations par les corps d’inspection.
Améliorer la traçabilité nous permettra de mieux connaître l’exposition subie par les sapeurs-pompiers et d’améliorer la prévention des pathologies, comme cela a été mentionné, mais aussi de faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles.
À cet égard, je relève un deuxième axe d’amélioration : nous devons actualiser les tableaux des maladies professionnelles pour qu’ils tiennent compte des maladies professionnelles et des cancers qui sont en lien avec la profession de sapeur-pompier, de sorte que les cancers visés soient automatiquement reconnus comme maladies professionnelles. Cette actualisation sera effectuée dans le cadre du dialogue social. Nous avons engagé cette révision avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui a été saisie à l’automne 2024. Plusieurs formes de cancer sont concernées. Ceux qui affectent les pompiers seront traités en priorité.
J’observe une grande convergence de vue entre les propositions que vous formulez et les initiatives prises par le Gouvernement pour mieux protéger ceux qui nous protègent : les soldats du feu. Je tiens donc à vous remercier de votre rapport d’information, qui nous a permis, avant même la discussion de cette proposition de loi, d’accélérer les travaux qui ont présidé à la rédaction de la circulaire du 14 janvier 2025. Il me semble du reste que les principales préoccupations exprimées par Mmes les auteures de la proposition de loi, ainsi que par Mme la rapporteure, reçoivent déjà ou vont recevoir une réponse.
Malgré les quelques réserves de nature technique exprimées par le Gouvernement sur le dispositif proposé, je constate que nous partageons un l’objectif de mieux protéger les pompiers. Je m’en remettrai donc à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)