Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Conte Jaubert, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Conte Jaubert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis maintenant plusieurs décennies, notamment grâce aux travaux menés en matière de sociologie, il n’est plus possible d’ignorer les lacunes structurelles en matière d’accès à l’enseignement et leurs conséquences à long terme.
La notion de « capital culturel » a largement mis en lumière le déterminisme auquel pouvait se heurter un enfant ou un jeune adulte au cours de sa scolarité. Les conséquences de cet héritage transmis par le milieu social et familial valent tout particulièrement pour les études supérieures. Aussi la seule proclamation du principe d’égalité ne suffit-elle plus. Cette prise de conscience de l’inégalité des chances en matière d’éducation doit inciter les pouvoirs publics à œuvrer à un décloisonnement.
Si l’égalité des chances est essentielle partout, elle l’est d’autant plus pour accéder à notre fonction publique : une administration ne saurait être le reflet imparfait de la société qu’elle sert. Toute forme d’isolement risquerait de lui faire perdre ce qui fait sa légitimité : sa capacité à comprendre, à représenter et à protéger chacun de nos concitoyens.
C’est à cette ambition qu’a répondu la mise en place des concours Talents du service public en 2021. Par cette innovation bienvenue, nous avons su reconnaître que l’excellence ne naît pas toujours dans les mêmes cercles, que le potentiel n’a pas d’adresse et que, souvent, il suffit d’un coup de pouce et d’un cadre adapté pour qu’une vocation fasse son œuvre.
En offrant un accompagnement renforcé, ces classes préparatoires ont ouvert les portes des grandes écoles de la fonction publique à des étudiants issus de milieux défavorisés, prouvant que la réussite est une question non pas d’origine, mais d’opportunité.
Voilà pourtant que cette belle dynamique a été brutalement stoppée. La fin de cette expérimentation, programmée au 31 décembre 2024, a laissé derrière elle un vide juridique et une incertitude pesante.
Que deviennent les candidats qui ont travaillé sans relâche pour préparer ces concours ? Quelle réponse leur donner alors que certaines écoles ont déjà commencé les épreuves tandis que d’autres hésitent, paralysées par l’absence de cadre légal ? Laisser les choses en l’état reviendrait à trahir la promesse faite à ces jeunes, en refermant les portes que nous venons de leur ouvrir.
Dans ces circonstances, la proposition de loi que nous examinons n’est pas qu’un simple ajustement technique, elle est une nécessité.
D’abord, elle permet de prolonger l’expérimentation jusqu’en 2028, évitant ainsi l’interruption brutale d’un dispositif qui commence à peine à porter ses fruits.
Ensuite, l’adoption de cette proposition de loi sécurisera les concours déjà ouverts, la fin de l’expérimentation ayant plongé la session 2025 dans l’incertitude. En assurant la continuité du dispositif, ce texte vise à protéger les candidats d’une annulation injuste et à garantir l’équité des épreuves.
Mme Mireille Conte Jaubert. Nous comprenons évidemment les difficultés institutionnelles qui ont fait obstacle à une prolongation du dispositif par le Gouvernement durant l’hiver dernier. Nous pouvons malgré tout regretter que le rapport qui devait être remis à l’été 2024 n’ait jamais été publié.
Enfin, en étendant l’expérimentation à d’autres corps de la fonction publique, cette proposition de loi élargit encore le champ des possibles pour ceux qui, jusque-là, en paraissaient exclus.
En somme, cette proposition de loi ne corrige pas seulement une faille juridique, elle conforte un outil essentiel pour rendre la fonction publique plus accessible et plus représentative de la diversité de notre société.
Toutefois, ce texte ne résout pas tout. Une sensibilisation dès le secondaire permettrait de montrer à tous ces jeunes qui n’osent même pas rêver de la fonction publique que, avec du travail, ces métiers sont aussi les leurs. En effet, les publics ciblés sont souvent mal informés de l’existence des prépas Talents, ce qui limite leur portée. Assurer la promotion de ces dispositifs est l’unique moyen de donner aux futurs candidats l’envie de se projeter et, surtout, de leur donner confiance.
L’égalité des chances n’est pas seulement un concept abstrait. Elle est une idée qui, lorsqu’elle prend forme, change des destins, transforme des vies et enrichit notre République. Veillons à ce qu’elle soit non pas un mirage, mais bien une réalité durable ! Pour ces raisons, le groupe du RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Louis Vogel applaudit également.)
M. Paul Toussaint Parigi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2021, dans le cadre de la réforme de l’encadrement supérieur, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures visant à diversifier le recrutement dans la haute fonction publique.
Fort du constat hélas ! peu encourageant de l’accentuation des inégalités sociales au sein de nos écoles de service public, cette réforme visait à favoriser des recrutements plus inclusifs et plus diversifiés et, en consolidant la dimension méritocratique desdits recrutements, à attirer les nouvelles générations au service de l’intérêt général.
Au cœur de cette réforme, le dispositif des filières Talents avait pour objet de faciliter l’accès des étudiants issus de milieux modestes, quelle que soit leur origine sociale ou géographique, à cinq grandes écoles de service public, en leur réservant 10 % à 15 % des places offertes aux concours externes.
Or ce dispositif a été interrompu de manière abrupte à compter du 31 décembre 2024, sans que le rapport d’évaluation qui devait être remis au Parlement au plus tard le 30 juin 2024 soit présenté, ce qui a placé les candidats ayant déjà commencé la préparation des concours de l’année 2025 dans une situation d’incertitude quant au maintien de ces derniers.
Fort heureusement, la mobilisation politique et transpartisane sur ce sujet ainsi que la volonté du Gouvernement, représenté par M. le ministre Laurent Marcangeli, que je tiens à saluer amicalement, ont permis l’inscription à l’ordre du jour du Parlement de cette proposition de loi portant prorogation de cette expérimentation jusqu’au 31 août 2028.
Je salue également l’appui du Gouvernement à l’élargissement de l’expérimentation à l’accès aux grands corps techniques d’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, par symétrie avec l’accès aux grands corps administratifs : cet élargissement renforce la portée du dispositif.
La prépa Talents n’est pas seulement un programme d’accompagnement, c’est un véritable levier de transformation sociale répondant au droit de chaque élève talentueux d’intégrer la fonction publique, de servir l’État et de contribuer à la richesse et à la diversité de nos institutions. C’est l’un des outils qui permettent d’honorer les promesses de notre idéal républicain dans ses fondements mêmes, en offrant à chaque talent la chance de s’épanouir et de participer, à sa mesure, à la construction d’une société plus riche et plus juste.
Bien qu’il ne puisse à lui seul remédier au défaut d’égalité des chances dans la fonction publique, ce dispositif diversifie sans conteste les origines géographiques des lauréats, répondant ainsi aux enjeux d’attractivité et de méritocratie qui doivent prévaloir.
Pour ces raisons, le groupe centriste votera ce texte sans hésitation, considérant qu’il constitue une avancée significative pour la fonction publique et, plus largement, en faveur de l’égalité des chances au sein de notre société. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette proposition de loi, nous sommes appelés à proroger l’expérimentation des concours Talents jusqu’au 31 août 2028.
Cette mesure semble de bon sens, du moins en apparence : il est difficile pour nous, voire impensable, de nous opposer à l’objectif d’égalité des chances dans l’accès aux grandes écoles de la fonction publique.
Cependant, il ne faudrait pas que cette prorogation nous dispense d’une réflexion plus large et plus approfondie sur l’efficacité réelle du dispositif.
Comme l’a souligné le groupe des députés communistes à l’Assemblée nationale, nous devons prendre en considération un certain nombre de préoccupations, lesquelles expliquent notre position partagée sur ce texte.
Tout d’abord, le délai prévu pour cette expérimentation ayant expiré le 31 décembre 2024 et le rapport d’évaluation qui devait être remis pour juin dernier ne l’ayant jamais été – cela vient d’être rappelé –, nous sommes dans une situation d’incertitude qui soulève des questions légitimes quant à la qualité même du dispositif.
Nous sommes confrontés à un vide juridique alors même que des étudiants se sont préparés pendant des mois, voire pendant des années, pour ces concours. En tout état de cause, il nous paraît incohérent de passer d’un vide juridique à une prorogation automatique, sans réelle analyse de fond. Néanmoins, et bien qu’elle ne soit pas l’idéal, nous soutenons cette prorogation, car il y va de la sécurité juridique des candidats et de leur avenir.
Nous devons nous interroger : prorogeons-nous aujourd’hui pour mieux évaluer ou pour mieux repousser le véritable traitement des problèmes ?
Derrière cette prorogation, il y a une évidence qui semble parfois nous échapper : l’égalité des chances ne se joue ni à bac+3, ni à bac+5, ni au moment d’intégrer une classe préparatoire, ni à celui de passer un concours. Elle se joue bien plus tôt, dès le collège et le lycée, notamment dans l’orientation scolaire et les choix d’études.
Si nous nous contentons de mesures tardives, comme celles qui sont proposées via le dispositif des prépas Talents, nous risquons de ne toucher qu’une petite partie de la population estudiantine.
L’égalité des chances, c’est d’abord offrir à tous les élèves, indépendamment de leur origine sociale ou géographique, des parcours d’éducation qui leur permettent d’accéder aux filières qui sont ici visées.
L’accès aux grandes écoles et à la fonction publique est la résultante d’un parcours qui doit commencer bien avant le concours proprement dit.
Nous devons donc repenser l’éducation en amont, dès les premières étapes du parcours scolaire, en facilitant l’accès à des formations préparatoires adaptées, à des soutiens spécifiques et à une meilleure orientation dès le plus jeune âge.
Faut-il se satisfaire d’un dispositif qui ne concerne de fait qu’un nombre restreint d’étudiants ? Ne devrions-nous pas réfléchir à des mesures plus ambitieuses, intervenant bien plus tôt, j’y insiste, dans les trajectoires scolaires ?
Ce n’est qu’au travers d’un changement global, de l’école primaire au lycée, que nous pourrons véritablement offrir à chacun les mêmes chances de réussir ces concours.
Un autre point mérite notre attention : l’extension du dispositif aux corps techniques d’encadrement supérieur de l’État.
Si l’intention est louable, la réalité est plus nuancée. Les voies de recrutement dans ces corps sont très spécifiques, et l’ajout d’un concours Talents risque de n’être qu’une mesure symbolique sans effet réel sur la diversité des recrutements.
Plus largement, comment rendre l’ensemble des métiers publics plus accessibles – accessibles à tous – en repensant nos critères d’accès et nos exigences afin de ne pas exclure de facto les talents qui n’ont pas eu les mêmes chances que les autres ?
Convaincus que le temps de cette prorogation nous permettra de répondre aux questions posées et de procéder – je le souhaite et je le demande – à une véritable évaluation du dispositif, nous voterons cette proposition de loi, malgré les quelques doutes que j’ai évoqués. Il demeure essentiel, cela dit, d’aller au-delà d’un simple renouvellement de l’expérimentation et d’entamer une réflexion approfondie sur l’égalité des chances dans l’ensemble de notre fonction publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER. – M. Louis Vogel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Monique de Marco. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans La Ferme des animaux, George Orwell montre comment le soulèvement démocratique des animaux au sein d’une ferme bascule progressivement vers un régime autoritaire. Les cochons, doués d’une intelligence supérieure, forment rapidement une élite et asservissent les autres animaux ; et les droits universels originellement proclamés sont bientôt réduits au seul commandement suivant : « Tous les animaux sont égaux, mais certains animaux sont plus égaux que d’autres. »
La situation de l’élite administrative française est à l’image de cette parabole. En théorie, le recrutement par concours place tous les candidats en situation d’égalité. Mais, en pratique, les différences de capital social entre les candidats favorisent certains d’entre eux : les Parisiens représentent 2,5 % des étudiants, mais un tiers des admis dans les grandes écoles ; quant aux enfants des classes supérieures, singulièrement ceux des hauts fonctionnaires, ils y sont eux aussi surreprésentés.
Les mécanismes de reproduction sociale par le biais du concours sont bien connus. En 1954, un candidat éconduit au concours d’entrée à l’ENA, l’École normale d’administration, avait été jusque devant le Conseil d’État pour contester la décision de barrer l’accès de l’école à tout candidat communiste.
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
Mme Monique de Marco. C’est le fameux arrêt Barel.
Or personne n’ignore ici l’influence des anciens élèves de l’ENA dans la conduite des affaires du pays.
Ce phénomène va croissant avec le prestige entourant l’école : il est plus marqué encore pour l’INSP, la nouvelle école d’administration, que pour l’école nationale supérieure de la police. Certaines études récentes montrent que les chances d’intégrer l’ENA sont multipliées par 330 si le père du candidat en est lui-même un ancien élève.
Une telle situation n’est pas digne d’une grande démocratie. Il nous appartient donc de veiller à réduire les barrières administratives et sociales qui bloquent l’accès aux carrières publiques les plus prestigieuses.
C’est pourquoi nous voterons cette proposition de loi qui vise à pérenniser l’expérimentation des classes préparatoires Talents mise en place en 2021.
La proposition de loi de la députée Florence Herouin-Léautey pallie ainsi les manquements du Gouvernement, qui n’a pas honoré son obligation d’informer le Parlement sur le bilan de l’expérimentation. Elle protège en outre les élèves admis dans les classes préparatoires spécifiques. Nous la soutenons donc sans réserve.
Il importe toutefois de rappeler que ce dispositif ne permettra pas à lui seul de restaurer l’égalité des chances entre candidats en matière de carrières publiques.
L’intégration dans ces grandes écoles clôt en réalité des parcours universitaires exemplaires, à l’université et surtout dans d’autres écoles déjà sélectives : l’ENS (École normale supérieure), Sciences Po, HEC.
Elle dépend aussi de l’efficacité de notre système de bourses, et ce tout au long des parcours universitaires. Les fragilités dudit système et la précarité croissante des étudiants affaiblissent par conséquent notre méritocratie en général.
Seules des réformes structurelles, comme l’instauration d’une allocation universelle d’études destinée à l’ensemble des étudiants, sur le modèle de ce qui existe dans les pays scandinaves et de l’allocation déjà versée aux étudiants normaliens, pourraient aboutir à une réelle égalité des chances.
Avec ce texte est aussi posée la question de notre rapport à l’élitisme, qui imprègne tout notre système méritocratique, dans la crise politique que nous traversons.
Je veux à ce propos partager avec vous, monsieur le ministre, mes chers collègues, les conclusions auxquelles parvient l’anthropologue Peter Turchin dans son récent ouvrage Le Chaos qui vient. Il y développe l’idée que la surproduction d’élites dirigeantes serait la cause de crises, voire de l’effondrement des sociétés, et ce en raison de la compétition qu’une telle surproduction ferait naître entre les cadres dirigeants.
Dans le même temps, une récente étude de France Stratégie montre que 15 % des postes ouverts aux concours de la fonction publique n’ont pas été pourvus en 2022. Alors qu’une compétition exacerbée règne pour l’accès aux postes de catégorie A+, les catégories A, B, et C, quant à elles, souffrent d’un déficit d’attractivité.
Aussi la nécessité d’un rééquilibrage me paraît-elle incontestable.
Le groupe écologiste continuera donc de soutenir un renforcement de la diversité et de l’attractivité pour l’ensemble des catégories. Nous restons fidèles à une vision claire, celle d’un service public de qualité, au service de tous, doté des moyens de fonctionner. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les enfants d’ouvriers représentaient 19,6 % de la population active française en 2019, ils ne constituent que 5 % des promotions des écoles de la haute fonction publique pour les années 2020 et 2021. Ce n’est en définitive guère mieux qu’il y a trente ans, lorsque, fille d’un ouvrier et d’une employée et première bachelière de la famille, j’entrais à Science Po Paris.
Ces chiffres édifiants montrent combien, dans notre République, une forme de reproduction sociale continue de limiter les chances de nombreux jeunes, en particulier de celles et ceux qui sont issus des milieux les plus modestes.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient de longue date toutes les initiatives favorisant non seulement l’égalité des chances, mais l’égalité réelle. La démocratisation des parcours éducatifs – de tous les parcours – ne s’oppose pas, selon nous, à l’excellence. Au contraire, elle la bonifie, parce que la diversité – sociale, géographique, académique – des profils dirigeants est créatrice de valeur, dans le secteur privé comme dans le secteur public.
Nous sommes donc ouverts à la mise en œuvre de dispositifs tels que les prépas Talents ou les programmes d’études intégrées, dont l’Institut d’études politiques de Lille fut pionnier dès 2007.
Ces dispositifs sont des leviers indispensables pour permettre à des étudiants d’accéder à des métiers et à des écoles dont leurs parents comme eux-mêmes ignoraient sans aucun doute l’existence jusqu’alors, et pour leur donner la possibilité, par la même occasion, de se mettre au service de l’intérêt général.
C’est dans le cadre du plan Talents du service public et par l’ordonnance du 3 mars 2021 que les concours Talents ont été institués de manière expérimentale, pour trois ans, afin de relever la proportion d’élèves issus des catégories socioprofessionnelles les moins favorisées dans les cinq écoles qui mènent aux trois versants de la haute fonction publique, l’INSP, l’Inet, l’EHESP, l’ENSP et l’ENA.
Les trois années d’expérimentation ont passé et les 103 prépas Talents ne semblent pas avoir posé de difficultés, bien au contraire, aux cinq écoles et aux plusieurs centaines d’étudiants qui, dans l’intervalle, y ont été admis.
Malgré cela, aucune initiative gouvernementale nouvelle n’a vu le jour : ni évaluation en bonne et due forme et dans les délais utiles ni prolongation ou pérennisation de l’expérimentation.
Ce manque – ce manquement, pourrais-je dire – a d’ailleurs été signalé ici même, lors du débat budgétaire sur le programme 148 de la mission « Transformation et fonction publiques » du projet de loi de finances pour 2025, par la rapporteure Catherine Di Folco comme par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Et c’est finalement l’initiative parlementaire qui a pris le relais, grâce à Florence Herouin-Léautey et aux députés socialistes.
Leur proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale le 19 décembre 2024 et que nous examinons aujourd’hui, a donc pour objet de revenir en trois points sur l’ordonnance de 2021 : prorogation de l’expérimentation des concours Talents, qui a expiré le 31 décembre dernier ; report de la remise au Parlement du rapport d’évaluation, dont nous espérons qu’il sera plus complet que le récent rapport partiel ; extension du dispositif aux militaires.
Ces trois évolutions ont été validées à l’Assemblée nationale comme elles l’ont été en commission des lois du Sénat : le dispositif est prorogé jusqu’au 31 août 2028 et une évaluation est demandée au 31 mars 2028.
Au regard de l’urgence qu’il y a à consolider la base légale des concours pour la session 2025, au regard aussi de l’attente angoissée des étudiants et de leurs familles, le groupe socialiste se joint en séance, comme il l’a fait en commission, au souhait d’un vote conforme, donc d’une entrée en vigueur au plus vite de la nouvelle ordonnance.
Bien sûr, la prolongation des prépas et concours Talents ne suffira pas à elle seule à renverser des mécanismes de reproduction sociale encore profondément ancrés dans notre système éducatif et professionnel. Cette proposition de loi constitue néanmoins un pas utile vers un modèle plus inclusif, afin que chaque jeune, quelle que soit son origine sociale ou culturelle, bénéficie de véritables chances d’accès aux fonctions d’excellence, y compris publiques.
Une occasion est ainsi donnée à ces jeunes de rendre à la République ce qu’elle a pu leur apporter et à la République, précisément, de bénéficier pleinement de leurs talents. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Monique de Marco et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose : « Tous les citoyens étant égaux [aux] yeux [de la loi] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Le législateur savait écrire…
M. Pierre Ouzoulias. Exactement !
M. Louis Vogel. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de concrétiser ce principe méritocratique auquel nous sommes tous attachés. Mais, pour obtenir une véritable égalité des chances, il ne suffit pas de dire à nos jeunes : « Les portes de nos écoles sont ouvertes ! » Il faut faire davantage pour ceux d’entre eux qui, justement, sont les plus défavorisés : il faut leur donner un coup de pouce.
Tel est l’objet de ce texte. Je me réjouis qu’il soit examiné dans un esprit consensuel, bien au-delà des clivages partisans : venant du Sénat, cela n’a rien d’étonnant.
Cette proposition de loi répond à trois objectifs – les orateurs précédents les ayant cités, je me contenterai de les rappeler brièvement.
En premier lieu, ce texte prolonge l’expérimentation du concours externe Talents pour l’accès à certaines écoles de service public. Initialement conçu pour ne plus être applicable après le 31 décembre 2024, le programme Talents est donc prorogé jusqu’au 31 août 2028. En conséquence, la proposition de loi reporte au 31 mars 2028 la remise au Parlement par le Gouvernement du rapport d’évaluation de l’expérimentation.
En deuxième lieu, il élargit la voie des concours Talents aux concours permettant l’accès aux écoles assurant la formation de militaires, afin d’y inclure l’accès au corps des ingénieurs de l’armement, ce qui est fondamental dans le contexte actuel.
En troisième lieu, il précise le dispositif des prépas Talents, qui sera appliqué, de façon rétroactive, aux concours ouverts à compter du 1er août 2024.
Cette proposition de loi répare donc un certain nombre de malfaçons intrinsèquement dues au caractère expérimental des mesures visées, l’expérimentation étant par définition de durée limitée.
Je me félicite de l’esprit transpartisan qui a prévalu lors de l’examen de la proposition de loi en commission. Cet esprit traduit notre engagement à tous en faveur de l’égalité des chances, qui donne à chacun la possibilité de réussir en fonction de son mérite. Il faut rappeler cette vérité souvent oubliée : l’État a besoin de tous les jeunes talentueux, quelle que soit leur origine sociale ou géographique, et la fonction publique doit refléter la diversité de notre pays.
Je ne saurais conclure mon propos sans saluer la qualité du travail de notre rapporteure, notre collègue Catherine Di Folco.
Cette proposition de loi va en réalité bien au-delà de la seule prolongation d’un dispositif : elle relève un véritable défi, celui du renforcement de la méritocratie républicaine par l’édification d’une fonction publique plus représentative de l’ensemble de notre société.
Par les temps difficiles que traverse notre pays, il convient de redonner de l’espoir à nos jeunes en leur donnant des raisons de penser qu’ils ont une chance de réussir ; il convient également de nous serrer les coudes et de souder notre communauté nationale.
Tel est au fond l’objet de cette proposition de loi : elle n’est pas seulement un texte technique de prolongation d’un dispositif ; elle s’inscrit dans cet esprit républicain dont nous avons tant besoin aujourd’hui.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Louis Vogel. Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires la voteront. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – Mme Monique de Marco et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais exprimer en quelques mots la position du groupe Les Républicains sur ce texte que nous avons traité selon la procédure de législation en commission.
Cette proposition de loi est née à la fois d’une erreur, d’un espoir et d’une promesse.
L’erreur, tout d’abord, quelle est-elle ? Disons les choses telles qu’elles sont, nous parlons d’une expérimentation dont vous aurez saisi, mes chers collègues, neuf orateurs s’étant exprimés avant moi, qu’elle porte sur notre capacité à ouvrir à une population la plus diversifiée possible des concours donnant accès à cinq grandes écoles de la fonction publique.
De cette expérimentation, nous connaissions, par construction, la date de fin : le 31 décembre dernier. L’expiration de ce délai n’est donc pas arrivée abruptement : nous savions exactement quand elle adviendrait. Un rapport, de surcroît, devait être remis six mois avant l’échéance ; il ne l’a jamais été. C’est une erreur, j’y insiste, que de n’avoir ni remis ce rapport ni, le cas échéant et sur la base du rapport, reconduit l’expérimentation.
L’espoir, ensuite, c’est celui de ceux qui ont néanmoins organisé les concours prévus sur le fondement d’un régime juridique qui n’existait plus ou dont on n’avait pas la certitude qu’il existât toujours. Un recours a du reste été déposé, malheureusement, contre un concours qui avait été organisé sur la base de ce régime inexistant.
La promesse, enfin, c’est celle qui émane de la note par laquelle, monsieur le ministre, vous faites malgré tout état de résultats tout à fait encourageants en matière de diversification du recrutement.
Le groupe Les Républicains votera donc évidemment ce texte dont l’objet est de prolonger rétroactivement l’expérimentation dont il est question, de sécuriser – il faut l’espérer – les résultats des concours organisés sur cette base, mais aussi de poursuivre l’effort engagé de diversification des profils accédant aux cinq grandes écoles de la fonction publique ici visées.
Toutefois, je ne conclurai pas mon propos sans préciser qu’à mon sens cette diversification intervient à un stade quelque peu tardif, celui des concours. Si nous voulons effectivement honorer la promesse méritocratique républicaine dont Louis Vogel parlait à juste titre, ce n’est pas au niveau des concours que nous devons agir : c’est au niveau de l’instruction publique, celle-là même qui doit être dispensée depuis les premiers jours de scolarisation jusqu’auxdits concours. Il convient en effet que l’ouverture recherchée se fasse sur la base d’une instruction solide, donnant à chacun, d’où qu’il vienne, les mêmes chances.
Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais dire, au nom du groupe Les Républicains, sur ce texte que nous approuvons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)