M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous remercie, monsieur le Premier ministre, de vos propos lucides et engagés, que nous avons beaucoup appréciés.

Il y a deux semaines, à l'occasion d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement, je vous demandais si les États-Unis étaient toujours nos alliés, monsieur le Premier ministre. Au regard du spectacle sidérant auquel nous avons assisté vendredi soir et des dernières déclarations intervenues la nuit dernière, je suis empreint d'un double sentiment de honte et de colère.

Honte de l'humiliation subie vendredi dernier par le président ukrainien, qui, à la tête d'une nation se battant sans relâche depuis trois ans contre l'agresseur russe pour sa liberté, s'est vu inlassablement répéter qu'il n'avait pas les cartes en main.

Honte du manque de respect et de compassion affiché envers un pays martyrisé – vous avez évoqué les enfants déportés, monsieur le Premier ministre –, par un président Trump balayant d'un revers de main les immenses pertes humaines et matérielles que ce pays déplore et affirmant que « la guerre chez vous ne sera pas belle à voir ».

Colère, aussi, face aux déclarations du président Trump, prenant à son compte le narratif russe au mot près, aux dépens de l'Ukraine et des Européens. La décision américaine de geler l'aide militaire à l'Ukraine est en ce sens une véritable trahison envers un pays allié et ami. Elle doit nous interroger sur notre capacité à prendre le relais des Américains en fournissant une aide immédiate et supplémentaire.

Par cette décision, le président Trump veut forcer le président ukrainien et tout un peuple à capituler devant l'agresseur russe. En réalité, c'est Donald Trump qui vient de se soumettre aux exigences de Vladimir Poutine.

Face à des détracteurs qui estimaient qu'il ne pouvait choisir que le déshonneur plutôt que la guerre, le président Zelensky a choisi la dignité et le courage. Il a dit la vérité, sans jamais insulter personne.

Les temps ont bien changé. Nous avons eu par le passé la conférence de Yalta. Aujourd'hui, nous venons de vivre la séquence stupéfiante de la Maison-Blanche.

Le monde libre est désormais incarné par les Européens. Devant le risque d'un grand effacement, il est temps de cesser de déléguer notre sécurité, de cesser de nous dénigrer alors que nous sommes puissants, et, surtout, de cesser de monnayer notre souveraineté.

Nous devons lutter de toutes nos forces face au retour à une triste époque au cours de laquelle les grands empires dessinaient les frontières par la force tout en soumettant les peuples. Cette volonté américaine de vassaliser l'Europe et l'Ukraine en souhaitant imposer aux Ukrainiens une paix non concertée pour une guerre qu'ils n'ont pas provoquée doit agir sur nous comme un électrochoc.

Comme la France le défend depuis 2017, l'Europe doit assumer elle-même sa propre sécurité. Nous devons, en Européens, nous réarmer urgemment et faire face aux défis.

La visite du Président de la République aux États-Unis et le sommet pour l'Ukraine qui s'est tenu dimanche dernier à Londres ont marqué une étape importante. La France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne ont entraîné leurs partenaires à leur suite et elles ont su montrer au président Trump que l'Europe est unie et fédérée derrière une ambition commune.

Nous avons la responsabilité d'obtenir, non pas la capitulation d'un peuple agressé, mais une paix globale, juste et durable. Il ne saurait y avoir de paix si les agresseurs sont soutenus et si les Ukrainiens sont écartés des négociations. La paix que nous appelons de nos vœux devra respecter la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance de l'Ukraine.

Nous souhaitons pour ce faire obtenir des garanties de sécurité fortes permettant de faire respecter un futur accord de paix sans lequel la Russie, comme par le passé, attaquera de nouveau l'Ukraine, voire un pays membre de l'Otan.

Conformément au plan préparé par la France et le Royaume-Uni, le déploiement d'une troupe européenne sur le sol ukrainien peut être envisagé, mais uniquement après un accord signé. Cette « coalition de volontaires » devra prendre toute sa part au maintien de la paix. Si les Américains ne veulent pas y participer, alors il nous faudra élaborer un plan B au plus vite, monsieur le Premier ministre. Oui, nous venons de basculer dans une autre dimension.

Les volontés impérialistes du président Poutine sur notre continent n'auront de limites que celles que nous serons en mesure de lui imposer. Il faut un sursaut européen et une initiative nouvelle.

Notre protection passera par un effort inédit en faveur de notre défense. Un nouvel objectif ambitieux établissant le montant des dépenses de défense à 3 % du PIB doit être fixé en accord avec la proposition du Président de la République.

Les déclarations du Premier ministre britannique et du chancelier allemand montrent qu'il y a enfin une prise de conscience de la nécessité de bâtir une force européenne indépendante des États-Unis.

En la matière, la France n'a pas à rougir. Dès septembre 2017, lors de son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron appelait à l'autonomie stratégique de l'Europe, émancipée de la tutelle des États-Unis. Force est de constater qu'il a été bien peu suivi à l'époque.

En tant que seule puissance nucléaire de l'Union dotée d'une armée reconnue, notre pays est de facto force d'entraînement pour créer les conditions de la sécurité de toute l'Europe.

Le débat sur le partage de la dissuasion nucléaire doit être évoqué, mais il appelle des efforts de clarification afin d'éviter toute interprétation malencontreuse. Il est question, nullement de déléguer à l'Union la dissuasion française, mais d'associer les pays européens aux exercices des forces de dissuasion. La décision ultime n'appartient naturellement qu'au seul chef de l'État français.

La question du financement européen de notre effort de défense se pose. Nous devons être en mesure d'emprunter conjointement, sur le modèle de ce que nous avons déjà fait pour la covid-19, afin d'assurer la pérennité de notre continent.

Dans un premier temps, nous avons besoin de débloquer rapidement 200 milliards d'euros afin d'investir dans notre industrie de défense, ce qui constitue une condition essentielle pour sortir l'Europe de sa dépendance. Il nous faut toutefois à tout prix acheter européen.

Je salue à ce titre les propositions de la présidente de la Commission européenne en vue de la mobilisation de près de 800 milliards d'euros pour la défense européenne, grâce à un assouplissement des règles budgétaires en faveur des investissements et à la mise à disposition d'une enveloppe de 150 milliards d'euros de prêts européens pour les membres de l'Union.

Nous ne pouvons pas faire supporter l'entièreté de cet effort de guerre par les contribuables. Je suis donc favorable à l'utilisation des avoirs russes gelés pour armer et reconstruire l'Ukraine, mais aussi pour protéger l'Europe.

Par ailleurs, il est clair qu'avec le retour de la guerre commerciale entre Occidentaux, la construction européenne que nous avons bâtie sur un marché unique et une intégration économique forte entre États membres doit évoluer en profondeur.

Nous devons construire un nouveau modèle, avoir un nouveau dessein européen. Dans ce monde qui vacille, il y a une place pour une Europe qui, au cours de son histoire mouvementée, au fil des tragédies qu'elle a vécues, a acquis la certitude que le bonheur des peuples ne peut exister que si nous défendons ce que nous avons de plus cher : la science avec la conscience, la justice, la démocratie et la liberté.

Face à des partis d'extrême droite, partisans de Vladimir Poutine et soutenus par Elon Musk, qui se coalisent pour former une internationale réactionnaire en Europe, il est de notre devoir de défendre notre héritage.

L'Europe que nous avons bâtie depuis soixante-quinze ans et telle qu'elle avait été imaginée par Jean Monnet et Robert Schuman est à la croisée des chemins, mes chers collègues. Nous sommes – comme le Polonais Donald Tusk, vous l'avez rappelé, monsieur le Premier ministre – face à une menace existentielle. La situation actuelle, dans laquelle 500 millions d'Européens demandent à 300 millions d'Américains de les défendre face à 140 millions de Russes, doit cesser. Ce n'est pas tant la supériorité économique ou militaire qui nous manque que la conviction d'être une puissance mondiale.

L'Europe doit désormais se projeter comme étant cette puissance unie. C'est ce qu'elle a exprimé le week-end dernier à Londres, au nez et à la barbe des autocrates et de leurs admirateurs. Opérons cette révolution copernicienne que le chef de l'État appelle de ses vœux depuis 2017. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'Europe est à un tournant critique de son histoire. Le bouclier américain se dérobe, l'Ukraine risque d'être abandonnée et la Russie renforcée. Washington est devenue la cour de Néron : un empereur incendiaire, des courtisans soumis et un bouffon sous kétamine chargé de l'épuration de la fonction publique.

C'est un drame pour le monde libre, mais c'est d'abord un drame pour les États-Unis.

Le message de Trump est que rien ne sert d'être son allié puisqu'il ne vous défendra pas, puisqu'il vous imposera plus de droits de douane qu'à ses ennemis et vous menacera de s'emparer de vos territoires tout en soutenant les dictatures qui vous envahissent.

Le roi du deal est en train de montrer ce qu'est l'art du deal à plat ventre. Il pense qu'il va intimider la Chine en se couchant devant Poutine, mais Xi Jinping, devant un tel naufrage, est sans doute en train d'accélérer les préparatifs de l'invasion de Taïwan.

Jamais dans l'Histoire un président des États-Unis n'a capitulé devant l'ennemi. Jamais aucun d'entre eux n'a soutenu un agresseur contre un allié, jamais aucun n'a piétiné la constitution américaine, pris autant de décrets illégaux, révoqué les juges qui pourraient l'en empêcher, limogé d'un coup l'état-major militaire, affaibli tous les contre-pouvoirs, ou pris le contrôle des réseaux sociaux. Ce n'est pas une dérive illibérale ; c'est un début de confiscation de la démocratie.

Rappelons-nous qu'il n'a fallu qu'un mois, trois semaines et deux jours pour mettre à bas la République de Weimar et sa constitution. J'ai confiance dans la solidité de la démocratie américaine ; d'ailleurs, le pays proteste déjà. Mais, en un mois, Trump a fait plus de mal à l'Amérique qu'il n'en a fait en quatre ans lors de sa précédente présidence.

Nous étions en guerre contre un dictateur ; nous nous battons désormais contre un dictateur soutenu par un traître. Il y a huit jours, au moment même où Trump passait la main dans le dos de Macron à la Maison-Blanche, les États-Unis votaient avec la Russie et la Corée du Nord à l'ONU contre les Européens réclamant le départ des troupes russes.

Deux jours plus tard, dans le Bureau ovale, le planqué du service militaire donnait des leçons de morale et de stratégie au héros de guerre Zelensky, avant de le congédier comme un palefrenier en lui ordonnant de se soumettre ou de se démettre. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE et UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER.) Cette nuit, il a franchi un pas supplémentaire dans l'infamie en stoppant la livraison d'armes pourtant promise.

Que faire devant une telle trahison ? La réponse est simple : faire face ! Et d'abord ne pas se tromper : la défaite de l'Ukraine serait la défaite de l'Europe. Les pays baltes, la Géorgie, la Moldavie figurent déjà sur la liste. Le but de Poutine est le retour à Yalta, où fut cédée la moitié du continent à Staline. Les pays du Sud attendent l'issue du conflit pour décider s'ils doivent continuer à respecter l'Europe ou s'ils sont désormais libres de la piétiner.

Ce que veut Poutine, c'est la fin de l'ordre mis en place par les États-Unis et leurs alliés il y a quatre-vingts ans, lequel avait pour premier principe l'interdiction d'acquérir des territoires par la force. Cette idée est à la source même de l'ONU, au sein de laquelle les Américains votent aujourd'hui en faveur de l'agresseur, et contre l'agressé.

En effet, la vision trumpienne coïncide avec celle de Poutine : elle défend un retour aux sphères d'influence, les grandes puissances dictant le sort des petits pays. À moi, le Groenland, le Panama et le Canada ; à toi, l'Ukraine, les pays baltes et l'Europe de l'Est ; à lui, Taïwan et la mer de Chine… On appelle cela, dans les soirées des oligarques du golf de Mar-a-Lago, le « réalisme diplomatique »…

Nous sommes donc seuls. Mais le discours selon lequel on ne peut résister à Poutine est faux. Contrairement à ce qu'affirme la propagande du Kremlin, la Russie va mal. En trois ans, la soi-disant deuxième armée du monde n'a réussi à grappiller que des miettes d'un pays trois fois moins peuplé. Les taux d'intérêt à 25 %, l'effondrement des réserves de devises et d'or, l'écroulement démographique montrent que ce pays est au bord du gouffre. Le coup de pouce américain à Poutine est la plus grande erreur stratégique jamais commise lors d'une guerre. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)

Le choc est violent, mais il a une vertu : les Européens sortent du déni.

M. Claude Malhuret. Ils ont compris en un jour, à Munich, que la survie de l'Ukraine et l'avenir de l'Europe sont entre leurs mains, et que trois impératifs s'imposent à eux.

Tout d'abord, ils devront accélérer la livraison de l'aide militaire à l'Ukraine pour compenser le lâchage américain, faire en sorte que celle-ci tienne et, bien sûr, imposer sa présence et celle de l'Europe dans toute négociation. Cela coûtera cher. Il faudra donc en finir avec le tabou de l'utilisation des avoirs russes gelés. Il faudra aussi contourner les complices de Moscou à l'intérieur même de l'Europe, en formant une coalition des seuls pays volontaires, avec bien sûr le Royaume-Uni.

Ensuite, il faudra exiger de tout accord qu'il prévoie le retour des enfants kidnappés et des prisonniers, et qu'il comporte la garantie d'une sécurité absolue. Après Budapest, la Géorgie et Minsk, nous savons ce que valent les accords avec Poutine. Cette garantie passe par une force militaire suffisante pour empêcher toute nouvelle invasion.

Enfin, et c'est le plus urgent, parce c'est ce qui prendra le plus de temps, il faudra rebâtir la défense européenne, négligée au profit du parapluie américain depuis 1945 et sabordée depuis la chute du mur de Berlin. C'est une tâche herculéenne, mais c'est sur le fondement de la réussite ou de l'échec de cette construction que seront jugés dans les livres d'histoire les dirigeants de l'Europe démocratique d'aujourd'hui.

Friedrich Merz vient de déclarer que l'Europe avait besoin de sa propre alliance militaire. C'est reconnaître que la France avait raison depuis des décennies en plaidant pour une autonomie stratégique. Il reste à la construire.

Il faudra investir massivement et renforcer le Fonds européen de défense, hors critères de Maastricht, harmoniser les systèmes d'armes et de munitions, accélérer l'entrée dans l'Union de l'Ukraine, laquelle possède aujourd'hui la première armée européenne, repenser la place et les conditions de la dissuasion nucléaire à partir des capacités française et britannique, et relancer les projets de bouclier antimissile et de satellite européens. Le plan annoncé hier par Ursula von der Leyen est un très bon point de départ.

Et il faudra beaucoup plus. L'Europe ne redeviendra une puissance militaire qu'en redevenant une puissance industrielle. En un mot, il faudra appliquer le rapport Draghi, et pour de bon.

Mais le vrai réarmement de l'Europe, c'est son réarmement moral. Nous devons convaincre l'opinion face à la lassitude et à la peur de la guerre, et, surtout, face aux comparses de Poutine, l'extrême droite et l'extrême gauche. Ces derniers ont encore plaidé hier, à l'Assemblée nationale, devant vous, monsieur le Premier ministre, contre l'unité européenne et la défense européenne. Ils disent vouloir la paix. Ce que ni eux ni Trump ne disent, c'est que leur paix, c'est la capitulation, la paix de la défaite, le remplacement de « de Gaulle-Zelensky » par un « Pétain ukrainien » à la botte de Poutine, la paix des collabos qui ont refusé depuis trois ans toute aide aux Ukrainiens !

Est-ce la fin de l'Alliance atlantique ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne. De la mésalliance atlantique !

M. Claude Malhuret. Le risque est grand, mais l'humiliation publique de Zelensky et toutes les décisions folles prises depuis un mois ont fini par faire réagir les Américains. Les sondages sont en chute libre, les élus républicains sont accueillis par des foules hostiles dans leurs circonscriptions. Même Fox News devient critique ! Les trumpistes ne sont plus en majesté. Ils contrôlent certes l'exécutif, le Parlement, la Cour suprême et les réseaux sociaux, mais, dans l'histoire américaine, les partisans de la liberté l'ont toujours emporté. Ils commencent à relever la tête…

Le sort de l'Ukraine se joue dans les tranchées, mais il dépend aussi de ceux qui, aux États-Unis, veulent défendre la démocratie et, ici, de notre capacité à unir les Européens, à trouver les moyens de leur défense commune et à refaire de l'Europe la puissance qu'elle fut un jour et qu'elle hésite à redevenir.

Nos parents ont vaincu le fascisme et le communisme au prix de tous les sacrifices. La tâche de notre génération est de vaincre les totalitarismes du XXIsiècle. Vive l'Ukraine libre, vive l'Europe démocratique ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 24 février 2025 a marqué le troisième anniversaire de la guerre d'agression menée par la Russie de Poutine contre l'État ukrainien. Je tiens ici à le rappeler avec force, cette agression militaire est injustifiable et constitue un crime, un crime contre le droit international et contre la paix.

Dès lors, je tiens, au nom de mon groupe, à saluer et à exprimer ma profonde solidarité envers le peuple ukrainien, qui n'en peut plus de cette guerre.

Depuis l'arrivée de Donald Trump, chacun pressentait que la donne allait changer, que les États-Unis allaient mettre un terme à leur engagement. Cela fait des années que Washington regarde ailleurs, les yeux braqués sur l'Asie plutôt que sur l'Europe.

Cependant, l'impression de violence qu'a dégagée la confrontation entre Volodymyr Zelensky et le président américain, épaulé par le brutal et très droitier Vance, a sidéré le monde, pétrifié nombre d'États européens, qui n'avaient pas anticipé un tel retournement de situation. Nous fustigeons de telles méthodes qui violent les règles élémentaires de la diplomatie.

Le choix solitaire de Trump sonne comme une évidence : la guerre ne pourra, de fait, pas continuer, car une Ukraine et une Europe sans appui militaire américain seront incapables de la poursuivre. L'enjeu est donc clair : comment mettre en place une paix durable à même de garantir la sécurité de chacun ?

Depuis le 24 février 2022, notre groupe n'a cessé d'affirmer que le choix de la guerre fait par Poutine était insensé, qu'il tournait le dos à l'aspiration de tout être humain à vivre en paix. Nous avons exigé le cessez-le-feu pour que l'intelligence triomphe de la bêtise de la guerre.

Mais, lors de chaque débat, ici même au Sénat, c'est l'escalade militaire qui a emporté l'adhésion de la plupart des groupes, certains s'exprimant avec des accents guerriers qui, aujourd'hui, paraissent bien irresponsables au regard des centaines de milliers de morts et de blessés, ukrainiens ou russes.

Tout cela pour en arriver où ? À la situation de 2014, mais avec un pays dévasté !

Je le dis clairement : ceux qui, depuis trois jours, font de la surenchère, appellent au surarmement et au développement de l'arme nucléaire, tentent d'instrumentaliser l'émotion suscitée, afin d'assouvir des ambitions politiques et économiques diamétralement opposées au seul objectif que nous devrions chercher à atteindre : garantir la paix sur le continent européen, en bloquant l'expansionnisme russe et en échappant à la domination américaine.

Nous nous opposons frontalement à la démarche de Mme von der Leyen, laquelle veut consacrer 800 milliards d'euros au réarmement de l'Europe. Que cherchent ces gens ? La confrontation généralisée ? Quelle légitimité ont cette dame et la Commission européenne pour s'exprimer et agir de la sorte ?

Les États-Unis, depuis trente-cinq ans, imposent leur vision impérialiste au continent européen, écartant toute possibilité de construction pacifique avec la Russie. En somme, l'Amérique de Trump ne peut pas se donner le rôle de faiseur de paix, alors que c'est à elle qu'incombe une grande part de la responsabilité qui a mené à l'impasse actuelle et au triomphe de la force au détriment du dialogue et de la raison.

La brutalité de Trump est une caricature de la puissance américaine et de la défense systématique de ses propres intérêts aux dépens de l'équilibre mondial. Rappelez-vous le Vietnam, l'Irak, la Libye, et, plus récemment, la volte-face en Afghanistan, sans oublier l'accompagnement, sans état d'âme, de la violence de Benyamin Netanyahou.

La violence de Trump implique la mise en œuvre de nouveaux rapports internationaux. Face au nouvel ordre international isolationniste, celui du chacun pour soi, un nouvel ordre doit être recherché, mais certainement pas avec pour seule réponse l'ouverture infinie des marchés aux marchands de guerre, dont le cours des actions s'envole.

On prête l'intention à Trump et à ses acolytes techno-fascistes ou suprémacistes de vouloir sortir de l'ONU. Cela montre bien que la voie du développement humain et de la concorde est, à l'inverse, dans le redressement des institutions internationales.

Oui, mes chers collègues, nous sommes à un tournant, à un moment de rupture. Les richesses produites dans le monde entier doivent contribuer, non pas à nourrir davantage la guerre, mais à garantir l'avenir de l'humanité. Le nouvel ordre international ne peut être dissocié d'un nouvel ordre économique qui place, non plus l'accumulation des profits et des richesses, mais l'être humain au cœur de la politique.

Trump et, plus largement, les partisans d'une accumulation capitaliste sans frein et sans fin font des affaires. Le président américain met son poids politique, considérable, dans la balance pour tirer profit matériellement du conflit ukrainien, comme les Bush père et fils ont tiré profit des guerres du Golfe. Le marchandage autour des minerais est insupportable, car il est profondément immoral.

Si l'Europe a un regret à avoir, c'est celui d'avoir tardé, tant tardé, à œuvrer pour la paix, et non celui d'avoir plus fait la guerre ou livré davantage d'armes.

Au printemps 2022, à Istanbul, Kiev a accepté de renoncer à adhérer à l'Otan et a confirmé son intention de ne pas se doter de l'arme nucléaire ; en contrepartie, Moscou a concédé un retrait volontaire de ses troupes des nouveaux territoires occupés. À l'époque, Boris Johnson, alors Premier ministre britannique, a mis fin à cet espoir en affirmant, au nom de l'Occident, que les Ukrainiens devaient « combattre jusqu'à ce que la victoire soit acquise et jusqu'à ce que la Russie subisse une défaite stratégique ».

Johnson reprenait ainsi à son compte la logique d'affrontement imposée par les États-Unis sur le sol européen depuis 1990. Après la dissolution du pacte de Varsovie, plutôt que d'agir pour une Europe de la paix, les États-Unis ont en effet cherché à étendre le plus possible la présence de l'Otan, jusqu'à atteindre les frontières russes. En omettant de rappeler ce fait, nous ne pourrons pas avancer vers une paix durable.

Après trois années de conflit, il est impossible de ne pas dresser un bilan dramatique : on dénombre aujourd'hui des centaines de milliers de soldats et de civils blessés ou tués. Avant d'appeler à la poursuite de la guerre quoi qu'il en coûte, il importe d'épargner toute nouvelle souffrance aux peuples. Si ces derniers pouvaient exprimer librement leur avis, leur réponse serait sans équivoque : donner une chance à la paix !

L'Ukraine, malgré une aide massive, est exsangue ; son PIB a ainsi chuté de 30 %. Face à un tel état des lieux, vouloir la surarmer – même en cas de paix –, comme le proposent Emmanuel Macron et le Gouvernement, est une hérésie, dans la mesure où cette entrée dans une économie de guerre se fera au détriment de la population. Porter le budget de la défense, en France comme en Europe, à 3,5 %, voire à 5 % du PIB, constituerait une véritable bombe sociale.

Il s'agirait aussi d'une hérésie stratégique. Quel est l'objectif ? S'agit-il réellement de dissuasion ou préparons-nous la reconquête des territoires annexés par la force à la Russie ? Nous refusons clairement l'envoi de troupes au sol pour poursuivre la guerre. Des soldats de la paix, oui ! De la chair à canon, non !

Selon nous, la réponse est ailleurs : il faut une autonomie stratégique européenne pour la paix. Cette paix doit respecter la souveraineté de l'Ukraine et se fonder sur la Charte des Nations unies, ainsi que sur les principes de la sécurité collective en Europe tels qu'ils ont été définis dans l'acte final de la conférence d'Helsinki. Elle doit aussi prendre appui sur un cessez-le-feu immédiat, et non sur une trêve alambiquée. (M. Fabien Genet s'exclame.)

Concernant la question territoriale, il faut dès maintenant poser le principe selon lequel un éventuel compromis, imposé par les rapports de force militaires (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.), devra être ratifié démocratiquement par les citoyens des zones concernées pour être reconnu officiellement. (Mêmes mouvements.) Les coups de boutoir de Trump montrent que nous devons nous libérer de l'Otan pour agir. Nous estimons que cette organisation inféodée aux États-Unis a vocation à être dissoute.

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, notre défi est de mettre en œuvre la paix et non d'élaborer de nouveaux plans de guerre. Poussons à l'ouverture rapide de négociations avec toutes les parties concernées et, en particulier, les Ukrainiens ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCEK. – M. Serge Mérillou applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis le premier jour de l'agression russe contre l'Ukraine, les objectifs de Moscou sont aussi clairs qu'impitoyables : l'annexion de territoires, l'empêchement d'une adhésion de l'Ukraine à l'Otan et un changement de régime pour aboutir à un état de soumission.

Face à cette situation, l'Ukraine, portée par la volonté inébranlable de ses citoyens et le soutien indéfectible de ses alliés européens, résiste depuis trois ans avec une bravoure qui force le respect.

Vendredi dernier, jusque dans le Bureau ovale, le président Zelensky a résisté avec courage à ses deux inquisiteurs qui parlaient deal et business, alors que le sang de milliers de jeunes coule encore aux portes de l'Europe. Il s'agissait d'une mise en scène choquante, d'une insulte à l'histoire démocratique américaine et aux valeurs qui ont forgé le monde libre.

Aujourd'hui, l'arrivée de l'administration Trump au pouvoir nous sidère. Devrait-elle nous surprendre ? Non, le nouveau président américain n'a jamais caché son intention d'étendre son America first sur le plan diplomatique.

Avant lui, rappelons-le, le président Obama avait engagé un « pivotement » vers l'Asie, tandis que Joe Biden nous mettait en garde contre notre propension à croire dans les éternels dividendes de la paix. Certes, la méthode était moins brutale sous d'autres ères, mais, au fond, le message était identique à l'égard des Européens : il est temps de prendre en charge votre propre sécurité. Nous l'avons entendu.

Aujourd'hui, n'oublions pas que derrière l'oncle Sam se cache le fantôme du Kremlin. Donald Trump nous a mis le pistolet sur la tempe, mais la menace est d'abord venue de l'Est, de la Russie impérialiste. Avant l'Ukraine, il y a eu la Géorgie et la Crimée. Demain, devons-nous craindre pour les pays baltes ? Nous sommes en tous cas à un tournant historique.

Pour reprendre la pensée de Raymond Aron, l'immédiateté de la diplomatie ne produit pas de certitudes à long terme. Aussi, nous devons garder au moins un cap intangible, celui de tout faire pour garantir notre autonomie stratégique. Reconnaissons à cet égard que le président Macron agit depuis longtemps en faveur de l'autonomie stratégique de l'Europe.

Au sein du groupe du RDSE, nous avons toujours appelé à la création d'une véritable défense européenne. Le contexte actuel pousse à la mise en œuvre accélérée d'un tel projet. La présidente von der Leyen a récemment fait quelques annonces dont nous suivrons l'application concrète, que ce soit l'exclusion des dépenses militaires des États membres des règles du pacte de stabilité et de croissance européen, ou encore la mobilisation d'un financement massif en faveur de l'industrie. Bien sûr, les avoirs gelés des oligarques russes devraient aussi pouvoir contribuer aux efforts en faveur de la défense.

Mon groupe soutient ces initiatives.

Cependant, le Gouvernement doit clarifier sa position sur certaines propositions devant la représentation nationale. Je pense notamment à la possibilité de mobiliser l'épargne pour financer nos programmes de défense, à la nécessité d'ajuster les prévisions de la loi de programmation militaire et de mettre en place un grand emprunt destiné à renforcer nos capacités militaires. En la matière, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et la ministre chargée des comptes publics semblent vouloir faire preuve d'un esprit d'ouverture, malgré le contexte budgétaire contraint qui est le nôtre.

Il est par ailleurs urgent de relancer la réflexion autour du Livre blanc de la défense.

Mobiliser l'ensemble de nos leviers économiques, en parallèle des initiatives de nos partenaires, c'est donner à l'Europe les moyens de disposer d'une puissance militaire pleinement dissuasive et véritablement souveraine.

Pour s'engager dans cette voie, il faut évidemment que l'Europe arrête de douter. Elle est une grande puissance démographique, économique et militaire. Doit-on pour s'en convaincre rappeler que la France, comme notre allié britannique, dispose de l'arme nucléaire ?

Mon groupe aurait souhaité proposer autre chose aux jeunes générations que le projet d'une économie de guerre et un débat sur le partage du parapluie nucléaire. C'est triste et tragique, mais les valeurs qui nous sont chères, la liberté et l'humanisme, nous imposent de réagir.

Ne pas douter ne suffit pas. Il faut également rester unis. Comme le disait François Mitterrand, « la France est notre patrie, l'Europe est notre avenir ». L'Europe en tant que véritable projet politique peine toujours à se concrétiser, car le continent européen résulte d'un mélange d'héritages et de différentes communautés de destin. Cela n'a jamais été facile. Ainsi, nous voyons combien la dernière initiative franco-britannique au sujet de l'Ukraine est fragile.

Mes chers collègues, parce qu'il est déjà compliqué de faire avancer tous les États membres dans la même direction, il convient de ne pas y ajouter nos propres divisions. En ces moments d'inquiétude pour nos concitoyens, les forces républicaines doivent rester soudées et vigilantes face à une extrême droite qui absorbe facilement le narratif russe et réfléchit à sacrifier l'Ukraine sur l'autel d'une paix illusoire.

C'est une question de volonté, mais le continent européen doit pouvoir devenir le dirigeant du monde libre. L'Europe doit aussi pouvoir s'appuyer sur de nouveaux alliés, de grands pays émergents.

Tout cela n'exclut pas de conserver le lien transatlantique, aussi difficile que cela puisse paraître aujourd'hui. N'oublions pas qu'hier ce sont des milliers de soldats américains qui ont débarqué sur nos plages normandes et provençales au nom de la liberté. Comment imaginer que puisse être anéanti le sacrifice de ces jeunes venus sauver un pays qu'ils ne connaissaient pas ?

En attendant, l'élan de solidarité envers l'Ukraine, affiché avec détermination ces derniers jours, est un signe d'espoir pour ceux qui croient en une Europe forte et souveraine. La déclaration du futur chancelier allemand, appelant à une action commune, va dans ce sens.

Dans ces conditions, le RDSE partage la volonté du Gouvernement de réaffirmer le soutien de la France à l'Ukraine. Mais soyons lucides, rien ne se fera sans les Américains, et le président Zelensky restera maître de sa décision.

L'Histoire nous a montré que les cessez-le-feu ne valent que par ceux qui les garantissent.

À court terme, il me semble que notre responsabilité est d'aider les Ukrainiens à négocier au mieux avec l'axe opportun et immoral Washington-Moscou. La conclusion d'un accord prématuré, dans lequel la sécurité des Ukrainiens serait reléguée au second plan, n'est pas envisageable. Sans cela, comment empêcher Moscou de conclure un accord qui lui offrirait un répit avant une nouvelle offensive ?

La proposition d'un déploiement de forces européennes pour assurer la stabilité d'un potentiel cessez-le-feu est une option à ne pas écarter. Toutes les questions doivent être posées sans détour. Nous le devons à nos voisins roumains, moldaves ou polonais, qui se sentent en danger, sous la pression du pouvoir russe.

Nos partenaires attendent de nous un signal clair. Ils espèrent que nous serons fidèles à nos valeurs et principes fondateurs et que nous garderons à l'esprit les mots de Rosa Parks : « Vous ne devez jamais avoir peur de ce que vous faites quand vous faites ce qui est juste. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe INDEP. – Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)