M. Christian Cambon. Très bien !

M. Cédric Perrin. C'est l'élu du département le plus industrialisé de France qui vous le dit : ne sous-estimons pas la gravité de notre affaiblissement industriel en matière de production de matériel de guerre, entre autres. Les compétences et les moyens de production qui ont été abandonnés ne pourront être restaurés d'un coup de baguette magique.

Et puis, derrière les effets délétères des dividendes de la paix, il y a les effets psychologiques de l'effacement dans les consciences européennes de cet horizon des peuples que constitue la guerre, menace éternelle qui pousse les nations à se préparer, à se protéger, à anticiper et à se rassembler sur un socle de valeurs communes.

La guerre était loin, elle ne concernait pas la vie quotidienne ; les questions de défense et le sens des priorités ont disparu du débat public.

Tout cela explique la grande difficulté dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, alors que la Russie accroît sa pression et que les États-Unis ont annoncé réduire leur soutien et, surtout, le conditionner à une forme de vassalisation de l'Europe.

L'alignement sur le narratif russe et l'espoir de faire de fructueuses affaires avec la Russie sur le dos des Européens sont, certes, des nouveautés de l'actuel président américain. Cependant, la dénonciation de la répartition inéquitable de l'effort de défense au sein de l'Otan et le pivot stratégique vers le Pacifique sont des constantes des administrations successives depuis la présidence d'Obama en 2011.

Reste que nous, Français, avons toujours envisagé ce type de scénario. C'est ce qui a motivé notre choix de nous doter d'une capacité souveraine de dissuasion nucléaire. Les responsables français de l'après-guerre, en particulier le général de Gaulle, ne voulaient plus jamais dépendre d'autres pays pour assurer la défense des intérêts vitaux de la France.

Mes chers collègues, nous sommes désormais à l'heure des choix. Notre groupe politique considère que c'est ce chemin d'autonomie tracé depuis l'après-guerre qu'il nous faut suivre à l'heure des périls. Cela suppose pragmatisme et ambition.

Pragmatisme, car, avant de jeter le bébé américain avec l'eau saumâtre du bain trumpiste, il faut déterminer ce que les Européens peuvent encore raisonnablement espérer faire avec les Américains. Le Premier ministre britannique a indiqué, dimanche dernier, qu'un déploiement en Ukraine d'une force de maintien de la paix européenne après la fin des combats ne pourrait se faire qu'avec l'appui américain dans trois domaines : la logistique, les communications et le soutien aérien. Or rien de tout cela n'est acquis.

Ambition, ensuite, car nous ne pouvons confier à d'autres pays notre destin. Je n'ai pas caché l'ampleur de la tâche, mais je ne veux pas non plus éluder nos nombreux atouts.

La brutalité et les provocations du président Trump entraînent un véritable réveil européen., encore inimaginable il y a seulement quelques semaines. En témoignent les déclarations fortes du futur chancelier allemand, celles du Premier ministre polonais et celles de Kaja Kallas.

Par ailleurs, l'Europe a les éléments de la puissance si elle est prête à les assumer : sa population, comme vous venez de le rappeler, monsieur le Premier ministre, et sa richesse économique, mais aussi certains points forts technologiques et scientifiques.

En Europe, la France est écoutée sur ces sujets, car personne ne lui conteste la qualité et les capacités de ses forces armées. En outre, elle est le seul État doté de l'arme nucléaire au sein de l'Union européenne et le seul pays en Europe qui ne dépend en rien des États-Unis pour la mise en œuvre de sa dissuasion.

Sur ce sujet, il n'y a pas lieu de gloser sur l'épouvantail agité par les deux extrêmes quant aux prétendus risques de perte de souveraineté si le parapluie nucléaire français devait être étendu au territoire de l'Union européenne. Tout cela n'est guère sérieux, la dissuasion ne pouvant se partager.

En revanche, la question de savoir dans quelle mesure les intérêts vitaux de la France englobent certains éléments de la sécurité de l'Europe a depuis longtemps été évoquée par les présidents de la République successifs, le général de Gaulle en tête. Il n'y a pas lieu d'avoir sur ce sujet des débats oiseux, très éloignés de la réalité de la dissuasion nucléaire.

Quant au rôle essentiel que la France doit jouer, il se justifie par notre promotion de l'autonomie stratégique européenne, par l'expérience, le professionnalisme et les capacités de nos forces armées, ainsi que par l'excellence technologique de notre BITD. Faisons prospérer ces atouts dans des partenariats concrets avec nos alliés européens.

Naturellement, ces atouts auront peu d'importance si la France et l'Europe ne se lancent pas immédiatement dans un redressement historique de leur effort de défense.

Nous avons le devoir de présenter aux Français la réalité telle qu'elle est, dans toute sa gravité et dans toute sa dureté.

Mes chers collègues, nous sommes tous des élus de terrain. Comme vous, j'entends les préoccupations quotidiennes de nos compatriotes qui tournent autour du chômage, de l'insécurité, du recul et de la dégradation des services publics dans nos territoires.

Pourtant, si nous devons redresser notre effort de défense, il faudra bien prendre l'argent quelque part : n'éludons pas cette question très difficile !

L'État est financièrement exsangue. La solution ne peut venir d'un nouvel alourdissement de la dette, qui atteint des niveaux insupportables.

Ne faisons donc pas croire aux Français que nous pourrons financer par la dette l'augmentation de notre effort de défense ; en tout cas, il ne pourra s'agir d'une dette nationale.

Certains m'objecteront que je n'ai pas évoqué l'autre possibilité, celle qui consiste à ne pas augmenter notre effort de défense. Certains de nos compatriotes peuvent penser que, après tout, l'Ukraine est loin, ce qui est géographiquement assez inexact : la frontière ukrainienne se trouve à moins de 1 500 kilomètres de chez moi.

Je pense que c'est peut-être là le point le plus important de notre débat : pourquoi la guerre en Ukraine concernerait-elle chaque Français ? pourquoi devrions-nous réarmer la France et l'Europe ?

Trois raisons suffisantes justifient que nous apportions notre soutien à ce pays.

Premièrement, l'armée ukrainienne est aujourd'hui l'obstacle majeur au projet de Vladimir Poutine de reconstituer le glacis soviétique. Si l'Ukraine perd, Poutine poursuivra son projet, et nous connaissons déjà ses prochaines cibles : la Moldavie, la Roumanie, les États baltes, la Pologne et les Balkans occidentaux. Et c'est sans compter sur l'explosion de la guerre hybride que la Russie a déjà déclenchée contre nous.

Laisser faire aujourd'hui, c'est nous assurer d'un face-à-face prochain avec la Russie, ce dans des conditions bien moins favorables, car elle se sera débarrassée des 400 000 Ukrainiens qui forment la première armée d'Europe.

Deuxièmement, si la Russie gagne la guerre en Ukraine, l'Europe enverra au monde entier un extraordinaire signal de faiblesse. Quel traitement espérer des autres puissances dans ces conditions ? Croit-on qu'une Europe divisée, affaiblie et humiliée serait en situation de calmer l'appétit économique de Trump et des grandes puissances ?

Oui, il va falloir accepter que la défense soit prioritaire par rapport aux autres politiques publiques, car si nous ne renversons pas le cours des choses, nous serons soumis et vassalisés. Dans ce cas, monsieur le Premier ministre, il n'y aura plus lieu de parler de l'indexation des retraites, de la valeur du point d'indice ou de transition écologique, car la richesse nationale sera captée par d'autres.

Troisième et dernière raison fondamentale, qui doit nous conduire à restaurer notre effort de défense au niveau où il était pendant la guerre froide, c'est-à-dire entre 3,5 % et 5 % du PIB : « Si tu veux la paix, prépare la guerre. » Rien n'est plus vrai dans ces matières que cet adage.

Poutine ne respecte que la force. La seule chose qui puisse l'empêcher de commettre le pas de trop qui conduirait à un affrontement direct entre la Russie et les pays d'Europe, c'est l'aptitude des pays européens à être suffisamment dissuasifs. Nos capacités militaires sont donc notre propre garantie de sécurité.

En conclusion, l'ensemble de la classe politique française va devoir faire face à ses responsabilités. Au risque d'être taxé de partialité, je crois que le Sénat peut montrer la voie dans ce domaine. Dans cet hémicycle, les divergences politiques et les désaccords, parfois profonds sur certains points, n'ont jamais empêché l'écoute de chacun et le respect mutuel.

Je le rappelle, la loi de programmation militaire (LPM) de 2018 a été votée au Sénat par 96 % d'entre nous et celle de 2023 l'a été par 95 %.

Sur ces sujets majeurs, les sénateurs ont toujours su se retrouver dans une convergence proche de l'unanimité. C'est de ce consensus républicain que nous avons besoin dans ces heures graves. Je forme le vœu que tous les sénateurs puissent se faire l'écho dans leurs territoires de nos débats aujourd'hui, dans cet esprit de responsabilité et de gravité.

Monsieur le Premier ministre, dans ce moment difficile, le Président de la République et le Gouvernement ne sont pas restés inactifs ; nous vous en donnons acte.

Portons maintenant nos regards au-delà, pour doter la France des moyens de défendre ses intérêts et la sécurité des Français, qui sont menacés, et diffuser en Europe notre volonté d'indépendance et de souveraineté.

Oublions les vieux schémas de pensée, inadaptés à la situation grave dans laquelle nous sommes, et ayons le courage et la lucidité de regarder la dure réalité en face pour agir sans plus attendre : le temps nous est compté.

C'est le sens de la conclusion que le général Beaufre tirait du drame de 1940 : « Les nations ne sont que les jouets du destin si elles n'ont pas su prévoir la montée des périls ni intervenir à temps pour les conjurer. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, « la guerre, c'est la guerre des hommes ; la paix, c'est la guerre des idées ». Les propos de Victor Hugo sont criants d'actualité : la véritable bataille se joue dans l'arène des convictions, des valeurs et des visions du monde.

La guerre en Ukraine, au-delà des affrontements physiques, est également une bataille des idées, où la démocratie, la liberté et la souveraineté sont en jeu face aux forces autoritaires et impérialistes.

En effet, la guerre en Ukraine ne se limite pas à un simple affrontement militaire ; elle incarne un bras de fer idéologique et géopolitique pour l'avenir de la paix, de la liberté et de la démocratie. C'est non pas seulement l'Ukraine qui est en jeu, mais l'équilibre d'un monde en perte de repères.

Alors que les menaces se font de plus en plus pressantes, résonnent en moi les premiers mots de l'hymne ukrainien :

« La gloire et la liberté de l'Ukraine ne sont pas mortes. »

Il nous faut prendre la mesure de ce qui se dresse devant nous. L'équilibre fragile que nous avons patiemment construit peut être anéanti, et tout ce qui a été édifié pour garantir la paix peut être balayé, car le retour de la guerre sur le sol ukrainien n'est que le prélude à une escalade qui semble désormais inéluctable.

Nous ne sommes pas en guerre au sens traditionnel du terme, mais la guerre hybride a déjà commencé depuis plusieurs années ; c'est une réalité incontournable.

Depuis plus de trois ans, le peuple ukrainien, avec une résilience inouïe, porte le poids de la guerre, affrontant des attaques militaires incessantes et une pression idéologique impitoyable.

Il se bat non pas seulement pour sa propre survie, mais aussi pour des valeurs qui nous sont communes. Sa lutte est notre lutte. Nous devons affirmer notre solidarité avec ce peuple héroïque qui résiste avec courage. Combien de fois avons-nous proclamé que l'Ukraine se battait pour nous, alors que nous devons nous battre avec elle !

L'Europe ne peut pas permettre que l'Ukraine soit sacrifiée dans des compromissions internationales qui l'excluent de son propre destin. L'Europe ne peut cautionner une sortie de crise qui priverait l'Ukraine de toute perspective, en entravant en premier lieu l'exploitation de ses ressources stratégiques.

Nous ne pouvons pas tolérer qu'elle soit soumise à une domination à caractère néocolonialiste. Tout compromis privant l'Ukraine de son intégrité territoriale ou de son avenir européen serait une trahison pour l'ensemble de l'Europe.

Nommons les choses : ce qui est actuellement proposé à l'Ukraine est un accord, non pas de paix, mais de reddition. Résultant d'une guerre d'agression, celui-ci conduirait en effet à la perte par celle-ci de plus de 20 % de son territoire et de 100 % de sa souveraineté.

Nous avons la responsabilité collective de trouver une solution viable et digne afin d'éviter ce que la Russie de Vladimir Poutine ou les États-Unis de Donald Trump souhaitent imposer à l'Ukraine.

Sortons de la naïveté, mes chers collègues. Le vent de l'autoritarisme souffle fort aujourd'hui. Bien qu'antagonistes, ces puissances partagent des caractéristiques et des objectifs inquiétants : étendre leur domination en divisant pour mieux régner, affaiblir notre démocratie, réécrire l'Histoire à leur convenance et étouffer la vérité sous le poids de la désinformation organisée.

Les échanges qui se sont tenus publiquement entre le président Zelensky et les président et vice-président des États-Unis le 28 février en sont une parfaite illustration. La vision du monde de ces deux derniers est simple : ils souhaitent que leur pouvoir s'étende, tandis que l'Europe se fragmente et que l'ordre multilatéral s'effondre. Trump, Vance, Rubio et Musk font penser aux quatre cavaliers de l'Apocalypse…

Cette proximité entre les États-Unis et la Russie entraîne un basculement des alliances dont nous devons tirer toutes les conséquences. Il nous faut nous ériger en défenseurs de relations internationales fondées sur la coopération, en défenseurs des organismes et des institutions internationaux.

Dans ce contexte, l'Europe, plus vulnérable que jamais, se trouve prise dans la tourmente. L'Amérique de Trump n'est plus un allié ; elle est au mieux un protecteur. Et pour Donald Trump, l'Europe n'a jamais été une alliée ; au mieux, une protégée. Trump voit le monde comme un immense jeu de Monopoly, avec ses transactions immobilières. Le traquenard médiatique du Bureau ovale a dévoilé la seule motivation de Donald Trump, que l'on peut résumer cyniquement ainsi : « I want my money back. »

Cette nuit, il est allé encore plus loin en gelant l'aide apportée à l'Ukraine pour pousser à sa capitulation.

Un sursaut est urgent. Seule une volonté collective, unie, pourra garantir à nos citoyens une paix durable et une Europe forte, prête à défendre ses intérêts et ses valeurs sur la scène internationale.

Face à ce contexte mondial tumultueux, nous ne pouvons plus être des spectateurs passifs. « Il ne suffit pas d'avoir horreur de la guerre. Il faut savoir organiser contre elle les éléments de défense indispensables. » Ces mots d'Aristide Briand nous ramènent à la fameuse locution latine, que je citerai pour ma part en latin : « Si vis pacem, para bellum ».

Si le général de Gaulle a déjà été légitimement cité, je rappellerai aussi ces mots de François Mitterrand : « Quand l'Europe ouvre la bouche, c'est pour bâiller. » Nous n'avons plus cette liberté, mes chers collègues. Le doute, la division et l'hésitation doivent cesser. Il est temps d'agir. L'Europe ne peut plus se permettre d'être une spectatrice sidérée.

Les différends qui ont marqué la récente conférence de Munich sur la sécurité et la réunion convoquée à la hâte par Emmanuel Macron le 17 février dernier ne doivent plus avoir cours. Nous ne pouvons plus laisser les puissances russe et américaine semer la discorde parmi nous.

L'autonomie stratégique européenne, loin d'être une chimère, doit devenir un objectif prioritaire. Il s'agit, non pas seulement de renforcer nos capacités militaires, mais aussi de garantir notre indépendance numérique, économique et commerciale. Il est inconcevable que l'Europe demeure sous la tutelle des États-Unis ou que des régimes autoritaires comme la Russie puissent exercer une emprise sur nos infrastructures critiques et nos informations. Seule une Europe ferme et déterminée, prenant son destin en main, pourra préserver sa souveraineté.

L'inaction et l'absence de coordination servent avant tout les intérêts de Poutine et de Trump, qui, comme l'a justement rappelé Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l'Otan, partagent une vision du monde marquée par la loi du plus fort.

J'en viens à l'Otan. Le lundi 24 février, lors de la rencontre entre Emmanuel Macron et Donald Trump, la tension était palpable. Le président américain a réaffirmé sa volonté d'obliger les Européens à augmenter leur contribution de manière significative – j'y reviendrai.

Cette confrontation met en lumière l'urgence qu'il y a à redéfinir notre rôle au sein de l'Otan. Il nous faut rappeler que l'Union européenne fournit un soutien financier globalement plus important que les États-Unis, bien que ces derniers conservent un rôle de chef de file en tant que principal fournisseur d'aide militaire directe, influençant d'ailleurs ainsi fortement la stratégie militaire dans le conflit ukrainien.

Ce dilemme budgétaire se noue dans un contexte où l'Europe fait face à de nombreuses autres menaces : cyberattaques, guerres hybrides invisibles, déstabilisation dans des régions stratégiques comme l'Arctique, du fait de ses ressources et de ses voies commerciales vitales.

L'Europe se trouve à un carrefour crucial : doit-elle continuer à financer l'Otan selon les exigences américaines ou bien investir davantage dans sa propre défense et sa souveraineté pour peser davantage au sein de l'Otan ?

L'Europe doit renforcer son autonomie, mais cela appelle à une véritable construction stratégique. Comme l'a indiqué le Premier ministre, augmenter les dépenses pour la défense n'aura en effet qu'une utilité relative. Actuellement, près de 80 % de nos équipements militaires ne proviennent pas de l'Union européenne. Nous devons donc adopter une vision d'ensemble et œuvrer à ce que la reconstruction industrielle militaire aille de pair avec le renforcement de nos capacités d'intervention.

À cet égard, la France porte une responsabilité particulière. En tant que puissance nucléaire et État membre clé de l'Union européenne, il lui revient de jouer un rôle central. En meneur audacieux, elle doit être le moteur de cette transformation européenne et défendre l'unité de l'Europe face aux défis géopolitiques actuels.

Ces diagnostics, bien qu'incomplets, étant posés, je souhaite vous poser quatre séries de questions portant sur les aspects financiers, diplomatiques et humains, mais aussi relatives aux sanctions, monsieur le Premier ministre.

Sur le plan financier, s'il convient de renforcer notre effort militaire face aux enjeux actuels, comment pouvons-nous tenir un objectif fixé à 3,5 % du produit intérieur brut, qui emporterait une augmentation du budget de la défense de 45 milliards d'euros, tout en tenant compte de notre situation budgétaire actuelle ? Quid de la position de la France et de sa participation au plan de 800 milliards d'euros pour réarmer l'Europe qui vient d'être annoncé aujourd'hui par Mme Ursula von der Leyen ?

Il faut tenir aux Français un discours de vérité. Annoncez clairement les sacrifices qui devront être faits pour résister aux nouveaux impérialistes. Annoncez clairement les conséquences qu'aura la guerre commerciale engagée contre nous par les États-Unis.

Nous devons – vous devez – repenser votre ligne politique à l'aune de cette nouvelle donne internationale. Notre contrat social ne peut pas être sacrifié sur l'autel de l'agression russe en Ukraine. D'autres sources de financement doivent être imaginées dans le cadre du patriotisme fiscal que vous devez affirmer, y compris envers ceux qui étaient présents le 20 janvier dernier lors de l'intronisation de M. Trump, monsieur le Premier ministre.

Nous vous rappelons aussi notre proposition pour garantir notre sécurité nationale, défendre nos intérêts vitaux et répondre aux différentes difficultés de financement des entreprises du secteur de la défense. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a proposé la création d'un livret d'épargne dédié à la défense et à la souveraineté. Allez-vous étudier cette solution ?

Envisagez-vous par ailleurs la confiscation des 250 milliards d'euros d'avoirs russes pour financer la protection de l'Ukraine et de l'Europe ?

Sur le plan diplomatique, en lien avec le plan financier que je viens d'évoquer, comptez-vous revenir sur les mesures qui, depuis 2017, ont considérablement affaibli notre appareil diplomatique dans le monde ?

Vos contradictions sont grandes, monsieur le Premier ministre. Vous tenez en effet un discours volontariste, mais, dans le même temps, vous diminuez les moyens de l'aide publique au développement et le budget du Quai d'Orsay. Il faut remettre cela sur la table et envisager un collectif budgétaire pour corriger vos décisions.

Sur le plan humain, dans le cadre d'un éventuel accord de paix pour l'Ukraine, sachant qu'il est impossible d'exclure toute reprise des hostilités, envisagez-vous le déploiement d'une force de maintien de la paix sur la ligne de front du côté ukrainien dès l'arrêt des combats ?

Enfin, sur le plan des sanctions, où en est la création d'un tribunal spécial chargé de poursuivre le crime d'agression commis contre l'Ukraine, soutenu par une coalition de trente-huit pays, dont l'immense majorité des pays de l'Union européenne ?

La guerre en Ukraine restera inscrite dans l'Histoire comme le témoignage incontestable de la défense d'une certaine idée du principe de souveraineté. Cet affrontement militaire doit se solder par le triomphe de la justice du droit contre la brutalité de la force. Dans ce combat, l'humanité se trouvera certes confrontée à la tentation de la domination par la violence, mais elle sera également appelée à la quête inaltérable de la liberté et de la dignité humaine. Si le droit l'emporte au bout de cette épreuve, cette victoire sera le reflet de notre capacité collective à défendre ce qui nous unit tous, mes chers collègues : le respect de l'individu, de la justice et de la souveraineté comme fondement inaliénable d'un monde libre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens d'abord, monsieur le Premier ministre, à vous remercier de vos propos, auxquels nous souscrivons sans réserve.

Souvenons-nous, mes chers collègues : il y a tout juste cinq ans, nous observions avec sidération nos rues vides et décomptions un nombre de morts croissant chaque jour. Beaucoup ont éprouvé ce même sentiment de sidération vendredi, en voyant en direct le président Trump reprendre les éléments de langage de M. Poutine pour humilier le président Zelensky dans le bureau ovale de la Maison-Blanche.

Le président américain a reproché au président ukrainien d'avoir participé à une chasse aux sorcières contre Poutine, et contre lui-même, Trump, alors candidat à la présidence des États-Unis, en aidant ses opposants politiques démocrates à faire de même contre lui. Ces propos insultants contre la politique internationale des États-Unis d'Amérique menée par les prédécesseurs du président américain, Joe Biden et Barack Obama, atteignent par ricochet tous les alliés de l'Amérique qui font front commun pour défendre un système de valeurs universel.

De l'Europe au Canada, les dirigeants des pays alliés de l'Amérique ont réagi comme un seul homme pour apporter leur soutien au président Zelensky, tandis que M. Orban et d'autres partisans de M. Poutine célébraient les propos par lesquels M. Trump faisait passer l'agressé pour l'agresseur.

Renvoyé comme un serviteur, le président Zelensky est sorti de l'épreuve avec dignité. Avait-il d'autres choix ? Que lui était-il reproché ? D'avoir fait face sans ciller. D'avoir défendu les intérêts du peuple ukrainien, bien sûr. Il porte la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour défendre leur patrie et celle des victimes de la destruction aveugle du régime russe, mais pas seulement.

Depuis trois ans, l'Ukraine défend les valeurs portées tant par l'Europe que par tous les pays qui se revendiquent de nos valeurs, à commencer par les États-Unis d'Amérique.

« C'est une immense honte que Trump ait effectivement changé de camp dans la guerre russo-ukrainienne en rejoignant la Russie. Les États-Unis se sont alignés, non pas avec nos alliés de l'Otan, mais avec la principale menace historique de l'Otan : Moscou. Il est impensable qu'un président américain puisse agir ainsi. »

Ce n'est pas moi qui le dis ; c'est John Bolton, qui fut nommé conseiller à la sécurité nationale au début du premier mandat de Donald Trump, après avoir été notamment sous-secrétaire d'État sous George W. Bush.

M. Olivier Cadic. Le Make America Great Again promet donc de se faire au détriment des alliances historiques.

America First est le mot d'ordre des partisans de la politique du « moi d'abord ». L'Europe s'est justement constituée pour tourner le dos à cette politique, qui a conduit à deux guerres mondiales.

Donald Trump répétait dans ses meetings qu'il était capable de mettre fin à la guerre en Ukraine en vingt-quatre heures, tout comme M. Poutine pensait qu'il allait prendre le contrôle de ce pays en trois jours.

Trois ans plus tard, la Russie s'épuise et ne paraît pas en mesure de gagner cette guerre, même en faisant appel à des troupes venant de Corée du Nord. Dans le même temps, l'Otan a vu la Suède et la Finlande la rejoindre.

Il y a, selon moi, trois priorités : aider l'Ukraine ; faire de l'Europe une puissance militaire ; mobiliser la population.

Il convient tout d'abord d'aider l'Ukraine. Comme le président Larcher l'a fait il y a quelques jours, je salue l'action de Nadia Sollogoub, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE, RDPI, INDEP et SER.)

L'Ukraine défend nos valeurs. Nous ne saurions accepter qu'on lui torde le bras pour accepter un accord de cessez-le-feu qui ne serait qu'un répit pendant lequel M. Poutine pourrait préparer la prochaine offensive.

L'Ukraine n'est pas seule et elle ne doit pas l'être. Si les États-Unis se retirent, il sera de la responsabilité de l'Europe de se substituer à eux.

La deuxième priorité est de réarmer l'Europe pour en faire une puissance mondiale reconnue qui dissuadera la Russie de toute velléité d'attaque.

Chaque Européen perçoit désormais le caractère visionnaire du plaidoyer pour une défense européenne auquel le Président de la République s'est livré en 2017 à la Sorbonne. Il contribue à placer la France en position de leader dans l'organisation de ce tournant.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a dévoilé ce matin le programme ReArm Europe, qui pourrait mobiliser près de 800 milliards d'euros.

La sécurité de l'Europe est menacée de manière très réelle. J'ai pu l'observer à Tapa, en Estonie. La France contribue en effet, tout comme le Royaume-Uni et les États-Unis, à assurer la sécurité et la stabilité de l'espace baltique dans le cadre de l'Otan, face à des forces russes postées seulement quelques kilomètres plus loin.

Cette nouvelle orientation impliquera nécessairement de revoir nos priorités budgétaires pour augmenter encore significativement notre budget de défense. Comme l'ont rappelé les présidents Perrin et Kanner, « si tu veux la paix, prépare la guerre ». Le chef d'état-major des armées ne dit pas autre chose quand il annonce qu'il faut « gagner la guerre avant la guerre ».

Les athlètes ne gagnent pas aux jeux Olympiques sans s'être préparés pendant des années. Il nous appartient de mobiliser sans attendre la population française, qui doit être pleinement consciente des menaces auxquelles nous sommes tous confrontés. La responsabilité de la sécurité et de la protection d'un pays repose collectivement sur toutes les personnes qui y habitent.

Le gouvernement de la Suède a édité un livret envoyé à tous les habitants du pays. (L'orateur exhibe ledit livret.) Ce document est destiné à aider la population à mieux se préparer pour tout ce qui peut arriver, que ce soient des accidents graves, des intempéries extrêmes, des cyberattaques ou des conflits militaires. Il y est indiqué que, si la Suède est attaquée par un autre pays, elle ne se rendra jamais, et que toutes les informations ordonnant de cesser la résistance seraient fausses. Ce message n'est pas inutile tant il est vrai que dans tout pays européen, des politiques seraient prêts à jeter le fusil avant même de le porter en riposte à une attaque de M. Poutine.

Il reste que les Suédois se préparent déjà à une vie quotidienne qui, du jour au lendemain, pourrait être mise sens dessus dessous. J'ai remis hier, à Londres, une copie de ce livret au ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger, Laurent Saint-Martin. Je souhaite vous le remettre également, monsieur le Premier ministre, afin que vous puissiez évaluer par vous-même s'il ne serait pas pertinent de s'inspirer dès à présent de ces bonnes pratiques.

Comme vous l'avez dit avec raison, monsieur le Premier ministre, c'est à nous, Européens, de garantir la sécurité et la défense des Européens. Nos forces armées continentales, additionnées à celles du Royaume-Uni, comptent plus de 2,5 millions de soldats professionnels, soit 25 % de plus que les forces russes, avez-vous indiqué hier à l'Assemblée nationale.

L'Europe est une puissance militaire qui s'ignore. Elle doit désormais s'affirmer.

Il y a toutefois un principe de réalité. Aujourd'hui, elle a autant besoin des États-Unis pour assurer sa sécurité que les États-Unis ont besoin de l'Europe à cette même fin.

J'ai pu le mesurer dans le domaine de la cybersécurité, où les hostilités ont démarré depuis bien longtemps. L'an dernier, pour faire face à l'ampleur de la menace cyber, la Maison-Blanche m'invitait à Washington avec une délégation de parlementaires et d'experts français pour prôner la cybersolidarité.

La brutalité des propos de Donald Trump aura eu le mérite de renforcer la solidarité entre les Européens. La réunion qui s'est tenue à Londres ce week-end l'atteste. C'est rassurant, car notre point faible est la fragmentation de notre organisation.

L'État russe est connu pour chercher à utiliser la désinformation afin de nous diviser et d'altérer simplement notre force de résistance. C'est sa façon de chercher à gagner la guerre contre les démocraties sans avoir à utiliser la force militaire.

C'est désormais un défi pour tous ceux qui défendent la liberté, la démocratie et les droits humains à chaque élection.

C'est également un défi pour l'Union européenne. « L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires. Les faits lui ont donné raison par le passé. Je suis persuadé que sa pensée doit continuer à nous guider, mes chers collègues.

Si l'Europe se dote d'une puissance militaire à la hauteur de sa puissance économique, elle surmontera cette crise, comme elle a surmonté toutes celles qui l'ont précédée depuis sa création. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)