M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est des moments dans l'Histoire qui sidèrent le monde, des moments où chacun se souvient où il était et ce qu'il faisait.

Le vendredi 28 février 2025 est indubitablement un de ces moments où l'Histoire s'écrit au présent. Le 28 février dernier, chacun a pu constater l'effondrement, en germe depuis des années, de l'ordre international issu de la guerre froide, du multilatéralisme et du droit international. Le 28 février, chacun a pu juger du glissement de la plus vieille démocratie du monde vers l'autoritarisme et le fascisme.

Certains refusaient de le voir : ils sont tombés de leur chaise ! D'autres, dont nous faisons partie, l'annonçaient : ils ont tout de même reçu de plein fouet la violence de cette scène, tel un coup de poing dans l'estomac. Le 28 février, chacun a pleuré les valeurs de la démocratie et de la liberté, abandonnées par l'un des pays qui les avaient érigées en principe d'existence.

Permettez-moi de vous faire remarquer que les fascistes au pouvoir appliquent des politiques fascistes. La leçon vaut pour notre pays : lorsque l'on banalise les partis et les idées fascistes, lorsqu'on brocarde le droit et qu'on piétine la fraternité, on prépare l'effondrement d'une autre démocratie historique.

Les États-Unis d'Amérique seront-ils encore une démocratie en 2028 ?'Quelle que soit la réponse, cela change désormais peu de choses pour l'Europe. Au mieux, Washington n'est plus notre allié ; au pire, l'Amérique nous sera hostile. Prononcer ces mots donne le vertige.

Cela étant, si l'humiliation du héros Volodymyr Zelensky, orchestrée par les médiocres ventriloques de Poutine, peut servir d'électrochoc à l'Union européenne, nous n'aurons pas tout perdu. L'extraordinaire dignité du président ukrainien, comme son extraordinaire courage, ainsi que celui de son peuple depuis le premier jour de l'agression russe, doit être notre boussole collective, notre boussole pour bâtir, enfin, au pied du mur – comme à notre désolante habitude –, l'Europe puissance, l'Europe à même d'assurer sa sécurité collective.

Il faut une Europe de la défense, pour la défense de ses valeurs et de ses intérêts.

Ne nous y trompons pas : ce qui est attaqué par la Russie et, désormais, par les États-Unis, c'est le principe même de l'Union européenne, à savoir une coopération entre États reposant sur le droit, la démocratie et la liberté. Ce qui est attaqué, c'est le potentiel politique et économique de l'Union.

Pour résister à la vague des impérialismes américain, chinois et russe, nous n'avons d'autre choix que d'opérer un indispensable saut fédéral. Unie, l'Europe est en mesure de peser dans le nouveau désordre mondial et peut tenter de préserver ce qui peut encore l'être du droit international. Désunie, elle est condamnée à l'impuissance, voire à la dislocation, si aucune digue ne vient s'opposer aux ambitions russes.

À tous nos compatriotes, je veux dire que nous entendons leur inquiétude face à un engrenage militaire qui semble implacable. Nous, écologistes, représentants d'une famille politique portant le pacifisme au cœur de son histoire et de son projet, affirmons que, malheureusement, aucune paix ne sera possible dans un monde régi par les rapports de force entre empires. Il nous faut consentir à ces rapports de force pour préserver notre sécurité, nos valeurs et nos idéaux. Nous avons construit l'Europe pour éviter la guerre, mais il nous faut désormais préparer l'Europe face à la guerre.

La position française, qui consiste à renforcer l'autonomie stratégique du continent, et la position historique des écologistes de bâtir une Europe de la défense trouvent aujourd'hui un nouvel écho.

Nous appelons néanmoins l'exécutif français à se garder de tout triomphalisme et à remiser notre penchant national pour la vanité, cette même vanité qui nous a conduits à croire que nous pourrions raisonner Poutine et Trump. La période commande la modestie.

Nous souscrivons à la nécessité de renforcer nos arsenaux, à l'idée d'exclure les dépenses militaires des critères de Maastricht, comme à la volonté d'un emprunt commun. Mais nous insistons sur la nécessité de communautariser davantage nos dépenses militaires, notamment nos achats, pour réaliser des économies d'échelle.

En ce sens, la première mouture présentée par la Commission européenne, qui prévoit que plus de 80 % des efforts seraient réalisés par les États, ne nous satisfait pas. Nous devons évaluer nos besoins pour les satisfaire au mieux plutôt que raisonner avec le seul et imparfait ratio budget de la défense/PIB.

Alors que l'effort national en faveur de la défense représente déjà près de 15 % du budget général et est appelé à croître, nous demandons que « l'économie de guerre » brandie par le Président de la République se concrétise sous la forme d'un patriotisme fiscal bien plus exigeant envers les plus fortunés.

Il ne sera pas supportable d'augmenter nos dépenses militaires à budget constant. Sacrifier nos services publics sur l'autel de notre défense conduirait la France au même destin électoral que les États-Unis. Développer notre arsenal militaire pour le laisser entre les mains de dirigeants fascistes est un écueil que nous devons impérativement éviter.

Ce qui vaut pour la France vaut naturellement pour toute l'Union européenne : celle-ci doit préserver et amplifier ses politiques sociales.

Nous entendons l'appel à élargir le parapluie nucléaire français au reste du continent : le débat sur cette question porte sur une composante importante de notre future architecture de défense commune. Comme le Président de la République et ses prédécesseurs, nous considérons que les intérêts vitaux de la France sont nécessairement des intérêts européens.

Toutefois, nous alertons sur la nécessité de conserver le cadre du traité de non-prolifération et de ne pas nous livrer à une course aux ogives qui serait aussi dispendieuse que dangereuse. Les futures négociations de paix avec la Russie devront réenclencher le processus de désescalade des arsenaux nucléaires.

L'autonomie stratégique européenne n'est pas qu'une question militaire. Elle ne peut être atteinte qu'en diminuant drastiquement notre dépendance aux énergies fossiles et aux engrais azotés russes, à commencer par le gaz naturel liquéfié (GNL) – dont nous sommes le premier importateur européen et sur lequel le Sénat recommande un embargo – et l'uranium enrichi par la Russie.

À ce propos, monsieur le Premier ministre, est-ce bien le moment d'encourir un incident diplomatique avec l'Algérie alors que nous cherchons à nous passer du gaz russe, qui fait couler le sang ukrainien, et du gaz azéri, qui fait couler le sang arménien ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Gilbert-Luc Devinaz et Adel Ziane applaudissent également.)

L'économie de guerre est indissociable d'une écologie de paix. Il est donc impératif de préserver le Pacte vert et de sortir les investissements écologiques des critères de Maastricht.

En outre, il nous faut poursuivre nos efforts pour mettre à bas les vecteurs de désinformation, de propagande fasciste et d'influence russe, au premier rang desquels le réseau social X.

Le défi de l'autonomie européenne est colossal, mais nous avons les moyens de nos ambitions. Pour l'heure, notre urgence est la défense de l'Ukraine. À son peuple combattant, à son peuple sous les bombes, à son peuple en exil, nous réitérons l'expression de notre plein soutien et de notre entière admiration : les Ukrainiens défendent non seulement leur liberté, mais aussi la nôtre.

Nous appelons à renforcer notre soutien militaire et financier pour compenser le désengagement américain et à le poursuivre aussi longtemps qu'il le faudra. Pour ce faire, nous suggérons de mobiliser les avoirs des oligarques russes gelés par l'Union européenne. Ne nous leurrons pas sur le triomphalisme de Poutine : la position russe n'est pas confortable et nous devons continuer de l'affaiblir, au niveau tant international que national. C'est une condition sine qua non de la construction d'une paix durable.

En tout état de cause, nous exigeons qu'aucun accord de cessez-le-feu – et, a fortiori, de paix – ne soit conclu sans l'accord des représentants du peuple ukrainien et sans la participation de l'Union européenne.

M. le président. Il faut conclure !

M. Guillaume Gontard. Un accord de cessez-le-feu devra inclure la libération de tous les prisonniers de guerre et civils ukrainiens détenus dans les prisons russes et exiger le retour des enfants ukrainiens déportés.

Si l'Europe s'érige pour résister aux impérialismes, c'est pour faire prévaloir le droit et la paix, et pour être un point de repère et un appui pour l'ensemble du monde libre. La tâche est considérable, mais nous n'avons pas d'autre choix que de nous montrer à la hauteur ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Patrick Kanner et Pierre-Alain Roiron applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà trois ans que l'Ukraine se bat courageusement ; trois ans de luttes dans un enfer de tranchées, d'explosions d'obus et de grésillement de drones ; trois ans et un million de victimes, civiles ou militaires.

Cette guerre est pour l'Europe un retour à une dure réalité. Pendant soixante-dix ans, l'Europe et la France se sont complu dans un rêve légitime : le droit international et la protection américaine garantiraient pour toujours la paix sur le continent. L'agression russe contre l'Ukraine a brutalement déchiré ce voile de certitudes.

Trois ans plus tard, des négociations de paix semblent se dessiner, apportant leur lot non pas de soulagements, mais bien de nouvelles inquiétudes. L'est de l'Europe, trop de fois martyr, aiguise de nouveau l'appétit de la puissance impérialiste russe. Seule – ou presque –, la Pologne, chère à mon cœur, fortifie sa frontière orientale et craint légitimement l'avenir.

Aujourd'hui, les Européens regardent se décider ailleurs l'issue d'un conflit se déroulant sur leur sol. Prenant acte de la faiblesse consentie des diplomaties européennes, Trump négocie une paix au prix du racket d'une Ukraine dévastée et traumatisée, à laquelle nous réaffirmons notre soutien.

Une telle résolution du conflit apparaît particulièrement inquiétante pour la paix et la sécurité en Europe dans les années à venir. Elle entérine le droit du plus fort, la violation du droit international et le retour d'une diplomatie fondée sur la force brute et la domination des plus violents.

Trois ans plus tard, nous devons également faire le bilan de l'action du Président de la République.

Lorsqu'il va à Moscou en 2022 pour se concilier Poutine – où il se fait imposer une scénographie humiliante –, le Président de la République croit éviter la guerre. Résultat : les troupes russes attaquent l'Ukraine quelques jours plus tard.

Il se rend alors à Kiev, où il assure Zelensky du soutien de la France et de son arsenal. Résultat : le verbe « macroner » est ajouté au dictionnaire ukrainien quelques semaines plus tard, avec comme définition : « parler beaucoup, n'agir jamais ».

Plus récemment, il se déplace à Washington où il s'affirme comme le chef de l'Europe face à un président américain imprévisible, tout en affichant sa bonne entente avec ce dernier devant les caméras. Le soir même, Trump déclenche une guerre commerciale avec l'Union européenne.

La diplomatie à la Macron est un fiasco qui se résume à flatter l'ego du Président au prix d'humiliations à l'encontre de la France.

Ce conflit en Ukraine aurait dû nous amener à tirer des conclusions logiques : la nécessité de renforcer notre souveraineté nationale, militaire et industrielle ; de développer et protéger des infrastructures énergétiques autonomes ; de nouer des relations bilatérales, fondées non plus sur une bureaucratie internationale mais sur des liens interétatiques puissants.

Pourtant, le Président de la République fait au contraire miroiter une européanisation de notre force nucléaire qui conduirait à une relégation définitive de la France et à une perte tout aussi définitive de sa souveraineté.

M. Rachid Temal. Mensonges !

Mme Marie-Arlette Carlotti. C'est Poutine qu'il faut attaquer !

M. Christopher Szczurek. Désormais, à toute question économique ou internationale la France n'a qu'une réponse : la dette et, in fine, l'extension infinie des compétences de Bruxelles sur des domaines relevant des nations, lesquelles doivent évidemment agir de manière conjointe.

Marine Le Pen a demandé dès le début du conflit que la France prenne l'initiative d'organiser une conférence sur la paix pour régler le conflit par la diplomatie.

M. Rachid Temal. Elle soutient Poutine !

M. Christopher Szczurek. Rompant avec ses principes gaulliens, la diplomatie française est allée de gesticulations en humiliations pour masquer son impuissance.

Face aux défis du monde, il n'y a qu'une seule réponse, et il n'y en a jamais eu d'autres : la souveraineté française et celle de tous les peuples européens. Nous maintenons que la paix ne se fera qu'à ce prix ! (M. Joshua Hochart applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord, je ne retirerais pas un mot à l'intervention du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées Cédric Perrin. Le Gouvernement se joint à lui pour inviter l'Europe à suivre le chemin de l'autonomie en matière de défense. C'est d'ailleurs l'objet de la réunion des chefs d'État et de gouvernement qui aura lieu jeudi à Bruxelles.

Je salue également l'invitation qu'il vous a faite de vous saisir de ces questions, si bien traitées à la tribune, pour les diffuser au sein des territoires dont vous êtes les élus. Toutes les Françaises et les Français doivent être pleinement conscients que ce qui se joue en Ukraine emporte des conséquences très lourdes pour la vie de notre pays et de nos territoires.

Monsieur Kanner, vous avez souligné la différence qui existe entre un accord de paix et un accord de reddition. Le Gouvernement soutient un traité de paix en bonne et due forme, qui tire les leçons des erreurs du passé. Je pense notamment au protocole de Minsk : nous avons signé avec Vladimir Poutine un accord de cessez-le-feu ne comportant pas de garanties de sécurité sérieuses en ayant la faiblesse de croire qu'il s'arrêterait là. Force est de constater que ce cessez-le-feu a été violé à vingt reprises et qu'il n'a pas empêché Vladimir Poutine de lancer son invasion de l'Ukraine à grande échelle le 24 février 2022.

Vous m'interrogez sur la participation de la France au plan massif de 800 milliards d'euros présenté aujourd'hui par la Commission européenne. La France se saisira de tous les instruments que cette dernière mettra sur la table, que ce soit la flexibilité en matière de prise en compte des dépenses militaires pour le calcul des critères de Maastricht, les facilités de prêt, ou encore la réutilisation des fonds de cohésion inutilisés pour soutenir notre effort de défense.

Par ailleurs, vous avez mentionné les conséquences d'une guerre commerciale. Vous en avez sans doute vu les premières manifestations sur les marchés financiers dès cet après-midi ; aux États-Unis, une récession s'annonce déjà à la suite des premières annonces de Donald Trump.

À cet égard, notre stratégie est claire : expliquer aux États-Unis d'Amérique qu'ils ont tout à perdre à lancer une guerre commerciale contre l'Union européenne ; les dissuader de le faire en annonçant la couleur, à savoir que nous répliquerons à toute atteinte qui sera portée à nos intérêts ; contourner la guerre commerciale en établissant des relations privilégiées avec des partenaires fiables et non alignés sur la Chine ou les États-Unis.

Si vous avez déploré la réduction des moyens de la diplomatie française, vous vous souvenez certainement que l'essentiel des efforts consentis par mon ministère porte sur l'aide publique au développement. Ce n'est pas sans poser de problèmes, mais il fallait bien que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères contribue à l'effort collectif de réduction des dépenses.

En ce qui concerne le groupe de travail sur le tribunal spécial pour le crime d'agression de la Russie contre l'Ukraine, je tiens à vous rassurer : il est sur le point d'aboutir. Nous souhaitons qu'il se réunisse une ultime fois au mois de mars, en marge d'une réunion des directeurs des affaires juridiques des ministères des affaires étrangères du Conseil de l'Europe, afin qu'un tel tribunal voie le jour.

Monsieur Cadic, dans l'optique de faire prendre conscience aux Français des répercussions de la guerre en Ukraine sur eux, vous avez mentionné l'initiative du gouvernement suédois, qui a remis à tous ses citoyens un livret sur la conduite à tenir en cas de guerre. Ce livret a été traduit en Français et je le remets sous vos yeux à M. le Premier ministre pour qu'il en fasse bon usage. (M. le ministre remet le document au Premier ministre.)

Par ailleurs, vous pointez du doigt la désinformation et la propagande de la Russie, que l'on retrouve parfois sur les chaînes d'information en continu, et même dans certains des propos qui sont prononcés au sein de cette auguste assemblée – j'y reviendrai. En tout état de cause, nous devons nous préparer non seulement à nous prémunir contre la propagande russe dont nous sommes la cible, mais aussi à riposter de manière beaucoup plus offensive que nous ne le faisons jusqu'à présent. Au reste, nous le faisons déjà : la France est aux avant-postes sur cette question depuis plusieurs années.

Vous avez évoqué Jean Monnet, je citerai pour ma part, pour faire le lien avec l'intervention de M. Patriat, Robert Schumann, qui prononça une déclaration d'une minute trente secondes il y a soixante-quinze ans au quai d'Orsay, laquelle fut l'acte de naissance de ce qui deviendrait plus tard l'Union européenne. Elle commence par ces mots : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. »

Monsieur Patriat, vous rappelez, comme l'a fait le Premier ministre dans son intervention, que la Russie est devenue une menace existentielle non seulement pour l'Europe, mais pour une partie du monde. La révolution copernicienne à laquelle vous nous conviez est celle que le Président de la République appelle de ses vœux depuis 2017, et que les Européens sont en train de faire leur.

Monsieur Malhuret, face à la suspension provisoire des livraisons d'armes à l'Ukraine annoncée la nuit dernière par les États-Unis, vous appelez les Européens à sortir du déni. Ils sont de plus en plus nombreux à le faire, y compris ceux qui étaient traditionnellement les plus atlantistes.

En outre, vous pointez les fragilités des accords de Minsk, qui ont, comme je l'ai rappelé, été violés de nombreuses fois et n'ont pas contraint Vladimir Poutine à mettre fin à son expansion impérialiste. L'un des objectifs de ce siècle ou, tout du moins, de notre génération sera, nous dites-vous, de vaincre les totalitarismes : vaste programme ! Mais vous avez raison, cela commence dès à présent en Ukraine.

Madame Cukierman, vous avez dénoncé pendant toute votre intervention la brutalité de Donald Trump et des États-Unis, mais vous n'avez eu aucun mot pour dénoncer la brutalité de Vladimir Poutine, qui s'est rendu coupable de crimes de guerre en déportant des enfants ukrainiens (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.),…

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … ce qui lui vaut un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale.

Vous dénoncez régulièrement – et sans doute avez-vous raison de le faire – le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale contre Benyamin Netanyahou. Mais n'hésitez pas à rappeler celui contre Vladimir Poutine ! Au-delà de ses crimes contre les enfants, celui-ci s'est rendu coupable de multiples violations du droit international et tente de faire aboutir la plus grande annexion territoriale depuis la création des Nations unies.

Vous avez également évoqué la réunion qui s'est tenue à Istanbul au mois d'avril 2022. Il s'agissait de la première discussion de paix entre Russes et Ukrainiens et le projet d'accord ne prévoyait aucune forme de garantie de sécurité pour l'Ukraine. Voilà pourquoi l'Ukraine l'a repoussé !

J'ajoute que, au moment de la discussion de cette potentielle trêve, Vladimir Poutine avait d'ores et déjà abattu la carte qu'il s'apprête certainement à brandir de nouveau : contester la légitimité des responsables politiques ukrainiens. En effet, attendez-vous à ce qu'il conteste la légitimité de Volodymyr Zelensky qui, comme cela a été rappelé de multiples fois à la tribune, est pourtant un héros de guerre et a été confirmé à l'unanimité du Parlement ukrainien pour représenter les intérêts de son peuple.

En tout état de cause, j'invite chacun à ne pas reprendre la rhétorique du Kremlin selon laquelle cette guerre n'est due qu'à l'expansion vers l'est de l'Otan. L'Otan est une alliance défensive. En 2014, la guerre en Ukraine a été déclenchée non pas parce qu'il y aurait eu une poussée de l'Otan vers les frontières de la Russie, mais parce que le peuple ukrainien était pris d'une aspiration européenne que Vladimir Poutine n'a pas voulu laisser exister.

Je ne peux que m'inscrire en faux contre la proposition de Mme Cukierman de faire des concessions territoriales sans aucune garantie de sécurité. Cela constituerait tout simplement une capitulation de l'Ukraine, dont le coût serait incalculable, y compris pour les intérêts français.

Madame Carrère, vous nous mettez en garde contre le changement de régime qui sera inévitablement demandé par Vladimir Poutine, comme il l'a fait à chaque fois qu'il a négocié : cela a été le cas pour la Géorgie et pour l'Ukraine, cela le sera peut-être bientôt pour la Moldavie. À cet égard, vous reconnaissez les efforts du Président de la République pour éveiller les consciences européennes.

En ce qui concerne l'initiative franco-britannique, elle n'est pas si fragile que ne le suggèrent les articles de presse. Pour preuve, je rejoindrai dans quelques instants mon homologue britannique pour évoquer les contours de cette proposition avec les autres ministres des affaires étrangères européens.

Monsieur Gontard, vous avez prononcé la phrase suivante : « Le vertige saisit en prononçant ces mots. » Le Premier ministre vous fait savoir qu'il s'agit d'un alexandrin et vous félicite de la qualité de vos propos. (Sourires. – M. Akli Mellouli et Mme Olivia Richard applaudissent.)

M. Rachid Temal. C'était la note artistique !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Votre intervention comprenait même un autre alexandrin, mais je vous laisserai le trouver vous-même. (Nouveaux sourires.)

M. Yannick Jadot. Il y en a d'autres !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Vous affirmez que vouloir la paix, y compris quand on est pacifiste et écologiste, ce n'est pas vouloir la capitulation ; c'est faire preuve non pas de faiblesse, mais de force. En effet, si nous voulons résister à la poussée impérialiste de Vladimir Poutine, nous ne pouvons nous y opposer qu'avec force.

Vous soulignez l'importance de réduire notre dépendance aux énergies fossiles et aux engrais. Le 24 février dernier, à l'occasion du troisième anniversaire de la guerre d'agression russe, l'Union européenne a adopté un nouveau paquet de sanctions visant le pétrole, les navires de la flotte fantôme et les capacités de stockage en Europe ou dans les pays tiers. Toutefois, la dépendance de notre continent à ces ressources reste une très grande faiblesse. C'est pourquoi nous voulons nous en défaire grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables.

Monsieur Szczurek, vous reprochez beaucoup de choses au Président de la République, notamment d'avoir rencontré Poutine avant la guerre d'agression russe en Ukraine. Or, avant la guerre, la menace ne recouvrait pas tout à fait la même dimension… Vous reprochez également à Emmanuel Macron une supposée absence de popularité en Ukraine ; je vous invite à y aller, car vous pourrez constater qu'il y est, à certains égards, plus populaire que dans d'autres pays européens, …

M. Rachid Temal. Plus qu'en France ! (Sourires.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … peut-être même qu'en France. En tenant ces propos, vous vous faites le relais de la propagande russe, ce qui est tout à fait regrettable.

Quant à la souveraineté de la France, comme celle de l'Europe, elle se joue aussi sur la ligne de front ukrainienne. Le ministre des armées Sébastien Lecornu apportera des précisions sur ce sujet, mais il est évidemment question de notre capacité à dissuader la menace. Aussi, à l'échelle nationale comme européenne, nous mettrons les bouchées doubles pour apparaître pour ce que nous sommes : une puissance qui s'ignore, mais qui va se révéler. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

(M. Pierre Ouzoulias remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

vice-président

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux saluer la qualité des diverses interventions. Pour ma part, je m'attacherai à compléter les propos du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur les questions concernant directement l'engagement des forces armées françaises et le réarmement.

Je commencerai par le point le plus urgent, à savoir l'aide à l'Ukraine, laquelle a pris une tournure différente depuis cette nuit et exige que nous fassions preuve d'endurance et de fiabilité dans la poursuite des différents engagements que nous avons pris.

Nous en avons longuement débattu lors des discussions budgétaires ici, au Sénat. Les crédits votés pour 2025, dans le cadre de la loi de programmation militaire, permettront de poursuivre le renouvellement de nombreuses composantes de notre armée. Ainsi, nous pourrons sortir de l'armée de terre des blindés AMX-10 RC, des véhicules de l'avant blindés (VAB) et des munitions, les rénover un peu plus tôt que prévu et en faire un paquet d'aide d'urgence à l'Ukraine.

Surtout, nous continuerons de mobiliser les avoirs gelés russes, comme nous l'avons fait pour acquérir des missiles Mistral, des canons Caesar ou encore des obus de 155 millimètres. Comme l'a dit le président Perrin, il s'agit d'un moyen supplémentaire pour permettre à nos industriels du secteur de la défense de développer des projets pour coproduire demain en Ukraine – j'en dirai un mot dans un instant.

Vous êtes nombreux à avoir abordé la question des garanties de sécurité. La tournure que prennent les discussions et les négociations montre bien que ces garanties peuvent prendre diverses formes.

Avant de les décliner, dans le prolongement des propos de Jean-Noël Barrot en réponse à la présidente Cukierman : on ne peut pas dire, comme elle l'a fait, que c'est une « hérésie » de continuer à aider l'armée ukrainienne, y compris le jour où les armes se tairont ; sauf à considérer qu'un État souverain n'a même pas le droit d'avoir une armée pour défendre son territoire, la liberté de son peuple et sa sécurité !

Ce serait un retour en arrière absolument épouvantable en matière de droit international.

M. Sébastien Lecornu, ministre. En effet, le principe du respect de la souveraineté des nations doit être reconnu pour tous ; il y va également de notre propre souveraineté !

La première des garanties de sécurité est évidemment notre capacité à aider l'armée ukrainienne dans la durée. C'est dans cette optique que nous avons formé la brigade Anne de Kiev. En effet, dans un pays qui doit malheureusement recourir à la conscription pour mobiliser, la formation est clé pour régénérer les brigades.

Il en va de même pour les équipements, et donc pour la coproduction de matériel sur place que je viens d'évoquer. Pour accompagner l'éveil d'une stratégie de défense en Ukraine, nos industriels doivent prendre davantage de risques en investissant sur place. Les Anglo-saxons l'ont fait beaucoup plus que nous depuis quinze ou vingt ans. Il convient d'insister sur cette nécessité.

En ce qui concerne les stocks stratégiques pour l'Ukraine, nous devons faire en sorte de ne pas revivre la situation que nous avons vécue. Si les armes se taisent, la Russie aura des capacités de production énormes pour reconstituer son stock d'armes. Aussi, nous devons être capables de pré-flécher des stocks stratégiques destinés à aider l'Ukraine en cas d'urgence, quitte à les garder dans nos propres pays.

Voilà autant de propositions qu'il faudra documenter, nourrir, et peut-être porter avec d'autres pays européens, comme cela a été dit par plusieurs orateurs.

Une autre garantie de sécurité serait le déploiement de troupes de paix. J'insiste bien sur cette expression « troupes de paix », car Jean-Noël Barrot a raison de souligner que certains propos tenus ici où là entretiennent la confusion en laissant penser que nous voudrions déployer des troupes de combat en Ukraine. Évidemment, il n'en est rien !

De plus, notre armée a pour habitude, au sein de l'Otan et en dehors, sous le mandat des Nations unies ou sans celui-ci, d'être une force de réassurance, d'observation et de déconfliction. Il existe un décalage politico-médiatique entre, d'un côté, la nature des discussions qui viennent seulement de débuter entre les différentes parties – les difficultés qu'elles emportent viennent d'être rappelées à la tribune – et, de l'autre, les décisions qui pourraient être prises.

Mais, de grâce, ne nous enfermons pas dans un débat sur la seule question des troupes, car il ne s'agit que d'un instrument parmi bien d'autres pour garantir la sécurité de l'Ukraine ! La question est évidemment beaucoup plus complexe que cela.

Permettez-moi par ailleurs de dire un mot sur notre propre réarmement. Je remercie les forces politiques représentées au Sénat de leur mobilisation durant tous les rendez-vous budgétaires que nous avons eus ces derniers temps. J'estime que les orientations que nous avons prises dans le cadre de la dernière loi de programmation militaire (LPM) – et je parle sous le contrôle de son rapporteur au Sénat Christian Cambon – ne sont pas caduques. Je pense en particulier à l'épaulement des forces conventionnelles et de dissuasion, aux engagements européens et otaniens et à la part donnée à la reconstitution de nos capacités expéditionnaires.

Néanmoins, le contexte a changé depuis l'adoption de la LPM, et si un document mérite d'être mis à jour, c'est bien la revue nationale stratégique. Le sénateur Temal nous y avait appelés au nom du groupe socialiste lors d'un précédent débat et avait été rejoint, me semble-t-il, par différentes travées de la Haute Assemblée.

Pourquoi doit-elle être actualisée ? Car la Russie réinvente la guerre ; c'est incontestable ! Elle le fait en reprenant des procédés que nous avons connus pendant la guerre froide, comme en témoigne l'agression par un avion de chasse Soukhoï Su-35 sur l'un de nos drones Reaper en Méditerranée orientale, sur laquelle j'ai communiqué cet après-midi. Surtout, parce que nous sommes une puissance nucléaire, elle s'ingénie à développer des stratégies de déstabilisation pour contourner par le bas notre dissuasion nucléaire.

Je pense bien sûr à la guerre informationnelle, mais également, comme l'a évoqué M. Gontard, à la manipulation des flux énergétiques, qui prendra à l'avenir une tournure encore plus préoccupante. Je pense aussi aux menaces cyber, sur lesquelles François Bayrou a demandé au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et à l'ensemble des ministères de travailler, car la réponse n'est pas seulement militaire. En effet, les collectivités territoriales, les associations, le monde économique, et, plus largement, tous les lieux mobilisant de la data sont concernés.

Nous voyons bien qu'il s'agit de nous interroger sur notre résilience globale face à des attaques qui, à l'avenir, porteront avant tout sur des infrastructures civiles, puisque c'est plus dur de s'en prendre à des infrastructures militaires, surtout lorsqu'elles appartiennent à une puissance nucléaire.

Je suis à la disposition de l'ensemble des formations politiques du Sénat pour discuter, sous l'autorité du Premier ministre, de cette mise à jour de notre revue nationale stratégique. Nous devrons débattre de la manière dont nous conduirons le réarmement français et européen.

Comme je l'ai dit tout à l'heure à l'Assemblée nationale, il n'y aurait rien de pire que de le faire en tentant de répondre à la guerre d'hier. Il serait fondamentalement dangereux de consacrer l'effort important que nous demandons aux contribuables français à la résolution de problèmes du passé plutôt que de l'investir sur des paris pour l'avenir, quitte à prendre quelques risques.

À cet égard, plusieurs pistes s'offrent à nous.

Tout d'abord, d'un point de vue capacitaire, les sénateurs ayant participé à la discussion de la loi de programmation militaire savent que certaines cibles ont été repoussées à la période après 2030, jusqu'en 2035. Toutefois, le désengagement américain exige, de fait, un renforcement de l'engagement des armées françaises.

Aussi, il devient évident de porter le nombre de frégates de la marine nationale de quinze à dix-huit. De même, nous voyons bien que notre armée de l'air manque de vingt à trente avions Rafale et qu'il convient d'investir en profondeur dans les drones et les feux dont dispose notre armée de terre.

Au niveau interarmées, l'Ukraine nous offre un retour d'expérience sur la guerre électronique : il s'agit actuellement de l'endroit le plus brouillé au monde. Nous constatons que la plupart de nos systèmes d'armes ne pourraient pas résister, à terme, à un brouillage de haute intensité.

Ces questions devront d'autant plus nourrir nos débats que des technologies sont en train d'accélérer les ruptures dans le monde, y compris en matière de géopolitique. À ce propos, je me rendrai à l'issue de ce débat à l'École polytechnique pour inaugurer notre laboratoire de recherche en matière d'intelligence artificielle de défense. Mais je ne pense pas seulement à l'intelligence artificielle ; la compétition sera peut-être encore plus rude en matière quantique.

Ces sujets devront être documentés afin de disposer de données chiffrées. Il conviendra de déterminer ce qui relève de notre souveraineté et que nous voulons développer en franco-français, comme nous l'avons fait jadis pour l'atome et la dissuasion nucléaire, et ce qui peut être fait avec d'autres pays – les technologies de rupture évoluant très vite, nous avons intérêt à mutualiser les factures.

Je reviendrai sur un point d'attention que le Premier ministre a évoqué à la tribune : le spatial. Cela me permettra par la même occasion de m'exprimer sur ce que nous pouvons attendre de l'Union européenne. La tuyauterie européenne – pardonnez-moi l'expression – existe déjà pour le spatial, et pas seulement pour les lanceurs. Je pense par exemple au programme Iris2, qui a notamment été lancé par Thierry Breton.

Au moment où tout le monde parle de l'autonomie stratégique européenne, il n'y aurait rien de pire que d'opérer un retour en arrière dans un domaine constituant un des marqueurs identitaires de la coopération européenne bâtie par les grands anciens. Les défis en la matière sont nombreux : je pense notamment à Starlink, à l'observation et aux télécommunications, mais il faudra peut-être également nous interroger sur certaines fonctions militaires plus dures.

À tous égards, l'espace est un domaine sur lequel nous pourrions très vite décrocher face à nos compétiteurs de toutes sortes, voire face à certains de nos alliés. Si ceux qui évoquent un sentiment de déclin de nos armées vous mentent, un tel déclin pourrait advenir dans le spatial si nous ne réagissons pas suffisamment vite. Il convient de reconnaître cette réalité.

La question de la dissuasion nucléaire semble faire consensus dans cet hémicycle, à l'exception du représentant du Rassemblement national, qui a de nouveau parlé d'un « partage » de celle-ci. Monsieur le sénateur Szczurek, si l'on est patriote, on ne fait pas dire au Président de la République des choses qu'il n'a pas dites, surtout sur un sujet aussi important que la dissuasion nucléaire, qui protège nos intérêts vitaux et est en quelque sorte notre assurance vie !

Affirmer que nos intérêts vitaux recouvrent une dimension européenne ne signifie pas partager la dissuasion nucléaire.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Non ! Mais peut-être ne comprenez-vous pas ce que cela veut dire…

M. Rachid Temal. Il sait très bien ce que cela veut dire !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Dans ce cas, je suis à votre disposition pour y revenir.

Cela fait plusieurs fois que je clarifie les choses vis-à-vis de votre groupe politique ces derniers jours ; je l'ai fait une fois, deux fois, mais je ne le referai pas une troisième fois. Désormais, je considère que ces mauvais débats sont susceptibles d'affaiblir notre défense en affectant la clarté de la dissuasion. (Applaudissements. – M. Christopher Szczurek proteste.)

Emmanuel Macron a répété ce que tous ses prédécesseurs avaient dit…

M. Cédric Perrin. À commencer par le général de Gaulle !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si, en 1962, le général de Gaulle a voulu que le président de la République française soit élu au suffrage universel direct, c'est notamment pour qu'il ait la légitimité suffisante pour disposer de la force de frappe.

D'ici à 2027, chaque candidat à l'élection présidentielle pourra détailler la manière dont il entend la notion d'intérêts vitaux. Espérons toutefois qu'ils ne le fassent pas trop : c'est précisément l'ambiguïté stratégique qui nous protège…

Quoi qu'il en soit, il faut réfléchir à ce que la dissuasion nucléaire apporte à nos différents voisins.

Nous avons salué tout à l'heure une délégation estonienne ; au Sénat, la diplomatie parlementaire est plutôt dynamique. En ce moment, je ne peux pas faire un pas dans une capitale européenne sans qu'un parlementaire, le membre d'un gouvernement ou le représentant d'un think tank m'interroge au sujet de notre dissuasion.

Nous n'avons jamais dit qu'il fallait changer de doctrine. Cela étant, notre dissuasion nucléaire n'a jamais été pensée de manière égoïste, au sens où nos intérêts vitaux seraient enfermés dans les frontières européennes. (M. le Premier ministre le confirme.) Il s'agit là d'une permanence, du général de Gaulle à Emmanuel Macron ; et il me semble que c'est un acquis.

De même, personne ne pense que l'administration américaine, quelle qu'elle soit, a partagé sa dissuasion en déployant le parapluie nucléaire.

Au sujet de la dissuasion nucléaire, je sais que les convictions peuvent diverger : raison de plus pour lui consacrer le débat le plus technique possible. C'est le devoir des puissances nucléaires de parler d'un tel sujet avec précision, notamment dans leurs assemblées parlementaires. Or la récurrence des allusions tourne, selon moi, au mauvais procès, lequel est d'autant plus inquiétant qu'il dépasse le champ des affrontements politiques – à la rigueur, si le débat s'y cantonnait, on s'en remettrait sans doute très bien...

Au sujet de la dissuasion nucléaire, il faut que les choses soient dites avec beaucoup de précision et de clarté.

Je ne reviendrai pas sur les remarques formulées au sujet de l'Union européenne ou encore du spatial, qui, pour moi, doit jouer un rôle clé.

Quelques orateurs l'ont rappelé, les acquisitions communes fonctionnent, et elles vont plutôt dans l'intérêt des pays disposant d'une industrie de défense, parmi lesquels la France. Le président Gontard a ainsi relevé que ce système permettait de mutualiser un certain nombre de factures. Qu'il s'agisse des Mistral ou des Caesar, nous avons pu emmener avec nous plusieurs pays, y compris les plus inattendus, comme la Hongrie, ce qui n'allait tout de même pas de soi… (Mme Laurence Harribey acquiesce.) Il faut poursuivre les efforts en ce sens.

Sur tous les sujets relevant du marché unique européen, quels qu'il soient, Cédric Perrin l'a dit : nous passons d'une logique de taxonomie à trois ans à un impératif d'accélération de la production. (M. Cédric Perrin opine.) On pourrait en dire autant de la plupart des directives européennes, comme la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

Chaque fois que l'on transpose des normes européennes, les parlementaires comme le pouvoir exécutif doivent se demander quel est leur l'impact sur les industries de défense, qui sont moins que jamais des industries comme les autres. (M. Rachid Temal acquiesce.) La production d'armes a une vocation stratégique, singulièrement en ce moment. C'est tout simplement un enjeu de souveraineté. C'est aussi, accessoirement, un enjeu pour l'emploi sur le territoire national.

Le Président de la République et le Premier ministre nous ont demandé de réfléchir aux questions de financement, et de nombreux sujets sont sur la table. Il s'agit ni plus ni moins que de définir un modèle économique.

Monsieur le président Kanner, on a parlé de patriotisme financier. Avant de recourir à la fiscalité, peut-être faut-il demander à divers opérateurs de prendre un minimum de risques. Nombre d'entreprises disposent de fonds de roulement importants. La défense dispose d'un véritable modèle économique : pourquoi ne consentirait-on pas davantage de risques bancaires et de levées de fonds ? Nous avons commencé à en discuter, y compris avec plusieurs membres de votre groupe.

Vous avez évoqué la mobilisation de l'épargne des Français : François Bayrou a demandé à Éric Lombard et à votre serviteur de travailler en ce sens.

M. Christian Cambon. Le Sénat a plaidé pour cette solution !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous allons essayer de faire avancer ce dossier, en lien avec les différents groupes parlementaires.

Le Sénat a largement documenté cette piste lors de l'examen de la dernière programmation militaire,…

Mme Laurence Harribey. Nous avons même une proposition de loi, qui est prête !

M. Sébastien Lecornu, ministre. … mais nous devons encore trouver le produit ad hoc. Le recours au livret A, préconisé à l'époque, ne faisait pas consensus, pour des raisons que l'on peut comprendre. L'idée est désormais de créer un produit spécifique. Je le répète, nous allons y travailler.

Enfin, comme l'ont dit Jean-Noël Barrot et le président Perrin, il faut désormais faire vivre ce débat dans l'opinion publique française. C'est là une évidence.

Un certain nombre de choix devront être faits. Nos concitoyennes et nos concitoyens sont inquiets. Dans d'autres pays, plus proches de l'Ukraine et de la Russie, la peur est sensiblement plus forte que chez nous.

Non seulement la France est à l'ouest de l'Europe et dispose de la dissuasion nucléaire, mais elle est membre de l'Otan et possède une armée dotée d'importantes capacités. L'inquiétude n'en est pas moins palpable dans l'opinion publique française. M. le Premier ministre l'a souligné en ouvrant ce débat : il faut transformer cette inquiétude en capacité collective à faire des choix.

Nous sommes tous fiers de citer le général de Gaulle. Nous pouvons compter le dispositif de sécurité et de défense performant légué par nos dirigeants des années 1960 : nous avons le devoir de transmettre cet héritage à la génération suivante. Dans vingt ou trente ans, la France aura tout autant de menaces à réguler et à traiter. C'est précisément pourquoi nous devons remettre sur pied notre système de défense ; mais, pour cela, il faut faire les bons choix politiques. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, chacun mesure ici l'importance de la discussion qui vient d'avoir lieu. J'observe d'ailleurs que nombre d'entre vous sont restés jusqu'au terme du débat pour participer à la réflexion. Ce n'est pas le cas dans toutes les assemblées…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Que cela se sache !

M. François Bayrou, Premier ministre. Je suis frappé de l'intérêt que vous avez accordé à cette déclaration du Gouvernement et je mesure l'investissement de tous les groupes politiques, quels qu'ils soient.

Chacun voit bien que nous vivons un moment historique. Pas un seul des orateurs qui se sont succédé n'a nié le fait que nous sommes en train de changer d'ère.

Voilà quatre-vingts ans que nous vivions sur la base d'un certain nombre de principes, dans un cadre de réflexion aujourd'hui profondément dégradé.

M. Philippe Grosvalet. Voire obsolète…

M. François Bayrou, Premier ministre. Nous tous, en tant que responsables politiques, avons pour mission de préparer l'avenir. Nous allons donc devoir remettre en cause notre manière de voir les choses et notre hiérarchie des priorités, tout simplement afin d'agir.

Nos concitoyens, que vous représentez vous aussi, sont personnellement concernés par ce qui est en train de se passer. Nous ne pourrons, en aucun cas, nous dérober à cette réflexion et aux remises en cause qu'elle implique. Et, comme toujours, c'est devant l'opinion publique, dans la conscience des citoyens, que tout va se jouer.

Notre responsabilité fait la grandeur de notre vocation démocratique. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à dix-neuf heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Accords franco-algériens dans le domaine de l'immigration et de la circulation des personnes

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, à la demande du groupe Les Républicains, sur les accords franco-algériens dans le domaine de l'immigration et de la circulation des personnes.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à rappeler brièvement pourquoi les élus du groupe Les Républicains ont sollicité l'organisation d'un débat sur les relations migratoires entre la France et l'Algérie.

Il ne s'agit évidemment pas de reprendre l'historique des relations entre nos deux pays : nous aurions bien du mal à nous accorder sur un récit commun, même si le Président de la République a reconnu à l'envi, allant jusqu'à provoquer l'écœurement de certains, la dette de la France envers l'Algérie. Il s'agit de parler du présent et, plus particulièrement, des relations migratoires entre l'Algérie et la France.

J'ai souvent eu l'occasion de le rappeler dans cet hémicycle : la politique migratoire se définit somme toute de manière assez simple. Pour un pays doté de frontières, elle consiste à dire qui entre et qui reste, en précisant à quelles conditions.

Dans le cas présent, ces conditions sont fixées par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, document unique en son genre : aucun autre État ne dispose, avec la France, d'un accord si complet.

Le texte en question détaille les conditions d'entrée et de séjour des Algériens, ainsi que les conditions dans lesquelles ces derniers peuvent travailler en France. Il est si complet qu'il déroge presque totalement au droit commun, codifié, comme vous le savez, dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).

Globalement, le droit commun ne s'applique pas à l'accord de 1968. Certaines des dispositions de cet accord sont moins favorables, mais dans l'ensemble l'Algérie dispose d'un régime plus favorable que les autres pays.

On pourrait dire : pourquoi pas ? Après tout, l'Algérie entretient des relations anciennes avec la France. Il y a beaucoup d'Algériens en France – sur les quelque 4 millions de titres de séjour en cours de validité, plus de 600 000, au bas mot, concernent les Algériens –, auxquels s'ajoutent beaucoup de Franco-Algériens.

Dès lors, pourquoi ne pas maintenir un accord plus favorable que le droit commun, d'autant que nous avons des relations assez intenses avec l'Algérie, s'agissant des échanges de populations ? Mais, si cet accord réserve un traitement de faveur aux Algériens quand ils souhaitent venir en France, nous ne bénéficions d'aucune réciprocité de la part de l'Algérie.

Mme Muriel Jourda. L'importante immigration régulière que je viens d'évoquer se double d'une immigration irrégulière presque équivalente, en direction de la France.

J'ai travaillé sur ce sujet avec mon collègue Olivier Bitz : à ce titre, nous avons notamment auditionné le ministre de l'intérieur. Celui-ci nous a expliqué que, dans les centres de rétention administrative (CRA), où sont placés des étrangers attendant d'être éloignés de France et même, désormais presque exclusivement, des individus qui troublent l'ordre public, 40 % de personnes sont de nationalité algérienne.

Le système en vigueur est donc totalement déséquilibré : la France réserve à l'Algérie un statut globalement favorable, sans aucune réciprocité. Les faits récents le démontrent : elle refuse même de reprendre ses propres ressortissants, contrevenant ainsi à ses propres engagements comme au droit international.

Que faire face à cette situation ? Devons-nous accepter la persistance d'un tel déséquilibre ? Je pense que non.

Il me semble que nous ne devons plus tolérer ce déséquilibre dans les relations entre la France et l'Algérie sur les questions migratoires.

Dès lors, que faire ? Négocier, sans doute. Je sais que les affaires étrangères sont toujours désireuses de mener des négociations, et nous avons nous-mêmes suggéré cette piste. Mais nous ne pouvons pas négocier comme les bourgeois de Calais, arrivant la mine basse pour remettre les clés de leur ville...

En vue de cette négociation, nous devons nous doter d'armes juridiques. À cet égard – c'est l'arme la plus évidente, et nous l'avons préconisée dans notre rapport, voté par la commission des lois –, on ne saurait écarter la possibilité de mettre fin à ces accords migratoires si favorables.

Aux accords de 1968 s'ajoutent d'ailleurs, depuis 2013, des accords relatifs aux passeports diplomatiques et aux passeports de service, permettant aux titulaires de ces titres d'entrer facilement en France. N'excluons pas la possibilité de mettre fin à ces divers accords favorables à l'Algérie, tant que l'Algérie n'aura pas, en matière d'immigration, un comportement réciproque au nôtre. Une telle attitude serait somme toute normale vis-à-vis de la France.

Mes chers collègues, voilà où nous en sommes. Si nous mettons fin à ces accords, nous ne ferons que rétablir des relations équilibrées entre deux pays qui, me semble-t-il, ne se doivent plus grand-chose l'un à l'autre, et qui sont deux nations souveraines. La France reprendra ainsi le contrôle de sa politique migratoire, qu'elle doit absolument conduire d'une main ferme. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à vous remercier de l'organisation de ce débat.

J'égrènerai bien sûr mes éléments de réponse tout au long de la discussion.

Madame la sénatrice, nous avons en partage un objectif fondamental, à savoir la maîtrise de nos frontières et donc de notre immigration. Nous devons savoir qui entre réellement sur notre territoire, et nous devons nous doter de critères démocratiques clairs, afin de faire partir ceux qui n'ont pas vocation à rester sur notre territoire.

C'est le cœur de notre politique migratoire, menée par le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, y compris au niveau européen. J'y reviendrai : bon nombre de questions que vous posez doivent être traitées dans le cadre européen – en tant que ministre délégué chargé de l'Europe, je tiens tout spécialement à le rappeler.

Nos relations avec l'Algérie, qui sont le fruit de nos histoires communes, sont régies par un certain nombre de textes. Parmi eux figure bien sûr l'accord de 1968, que vous avez mentionné. Il a été révisé à trois reprises et doit aujourd'hui faire l'objet d'une renégociation. C'est ce que demandent le Gouvernement et le Président de la République. En 2022, nous nous étions d'ailleurs accordés avec le gouvernement algérien sur la nécessité d'une telle renégociation.

Avant de revenir plus en détail sur ces questions, je tiens à souligner, au sujet des expulsions, un point qui échappe souvent au débat public, malgré l'enjeu qu'il représente pour la maîtrise de nos frontières et la lutte contre l'immigration illégale.

Les événements qui ont récemment défrayé la chronique nous l'ont rappelé une fois de plus – je pense aux pseudo-influenceurs tenant un discours de haine contre notre pays et que le ministre de l'intérieur a souhaité expulser, à juste titre –, l'Algérie ne respecte pas, de facto, le protocole de 1994 applicable aux laissez-passer…

M. le président. Merci de conclure, monsieur le ministre.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Au cours des deux dernières années, le nombre de laissez-passer consulaires délivrés par l'Algérie a sensiblement augmenté. C'est aussi l'enjeu des renégociations à venir.

M. le président. Concluez, monsieur le ministre !

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Dans ce rapport de force, nous devrons évidemment défendre nos intérêts – j'aurai l'occasion d'y revenir.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est en invoquant « une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien » qu'Emmanuel Macron a demandé à Benjamin Stora de rédiger un rapport sur les « questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie ». Ces mots ne datent que de 2020 ; mais, aujourd'hui, ils semblent bien loin.

Une fois de plus, nous nous retrouvons dans cet hémicycle pour parler d'immigration : à croire que le sujet est quelque peu obsessionnel sur une partie de ces travées…

Monsieur le ministre, je me réjouis de vous voir au banc du Gouvernement, plutôt que votre collègue chargé de l'intérieur, qui tourne en boucle sur l'Algérie alors que ce sujet ne relève pas de sa compétence.

L'accord franco-algérien de 1968 fixe les conditions de circulation, d'emploi et de séjour en France des ressortissants algériens. Ces derniers ne relèvent historiquement pas du droit commun, mais d'un régime dérogatoire, en raison des liens culturels et politiques noués de longue date entre nos deux pays.

Par plusieurs avenants, dont deux adoptés sous des gouvernements de gauche, le statut spécial des Algériens s'est progressivement rapproché du droit commun. Il reste plus favorable que celui-ci sur certains points – je pense notamment au regroupement familial. Mais sur d'autres volets, comme les titres de séjour étudiants, il y est moins favorable.

Il est clair que l'attitude actuelle de l'Algérie vis-à-vis de la France n'est pas acceptable. Lorsque la France expulse légalement des ressortissants algériens condamnés sur son territoire, l'Algérie n'a pas à les refouler.

À cet égard, la conduite du régime algérien est scandaleuse. Il en est de même de ses déclarations au sujet de Boualem Sansal, lequel est détenu de manière injustifiée. Je le rappelle à mon tour, Boualem Sansal doit être libéré.

La France doit être ferme avec l'Algérie lorsqu'elle ne respecte pas nos accords. Le Président de la République et le ministre des affaires étrangères doivent dès lors engager un dialogue exigeant.

Toutefois, les élus du groupe socialiste considèrent que la population algérienne n'a pas à payer pour l'attitude de son gouvernement. Aussi, nous sommes fermement opposés à la dénonciation unilatérale de cet accord.

C'est d'ailleurs la position du Président de la République lui-même, lequel a contredit son Premier ministre et son ministre de l'intérieur. Cette cacophonie au sommet de l'État est irresponsable. Même lors des véritables cohabitations, l'intérêt supérieur de la France a toujours conduit les deux chefs de l'exécutif à parler d'une seule voix sur les questions internationales. Le mauvais spectacle auquel nous assistons actuellement au sujet de l'Algérie affaiblit la voix de la France sur la scène internationale, à un moment où notre pays doit y peser de tout son poids – le débat sur l'Ukraine vient de le montrer.

Nos relations avec l'Algérie sont actuellement tendues – c'est une évidence – et les tensions vont bien au-delà de la question migratoire. Voilà maintenant deux décennies qu'elles s'accumulent. La reconnaissance soudaine de la marocanité du Sahara occidental, sans aucun geste envers Alger, était une grave erreur de la part de la France.

En outre, la visite du président Gérard Larcher dans le Sahara occidental la semaine dernière n'était sans doute pas des plus opportunes… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Cambon. Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ?

Mme Corinne Narassiguin. Elle a conduit au gel des relations entretenues par le groupe d'amitié de notre assemblée, ce qui est évidemment regrettable.

Alors même que les relations diplomatiques se tendent, notre gouvernement souffle sur les braises.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, l'accord de 1968 ne traite ni de l'immigration illégale ni de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme. En revanche, c'est l'accord qui a le plus de poids symbolique. Brandir la menace de sa dénonciation unilatérale, c'est faire exactement ce que vous reprochez, à juste titre, au gouvernement algérien.

Vous utilisez la rente mémorielle de notre douloureuse histoire commune à des fins de politique intérieure.

Mme Valérie Boyer. Pas du tout !

Mme Corinne Narassiguin. Alors qu'il est indispensable de reprendre le dialogue, vous proposez, paradoxalement, de rompre un accord qui nous lie à l'Algérie depuis des décennies.

Le caractère dérogatoire au droit commun de l'accord de 1968 reste justifié par l'intensité des liens humains et historiques entre nos deux pays comme par l'imbrication de leurs intérêts économiques, sécuritaires et politiques.

Cet accord est indissociable de l'histoire singulière qui lie la France à l'Algérie ; une histoire complexe, dont nombre de nos concitoyens sont les héritiers ; une histoire marquée par cent trente-deux ans de colonisation, dont huit ans de guerre d'indépendance et six décennies de relations bilatérales sinueuses.

Les élus du groupe socialiste considèrent que l'accord de 1968 doit évoluer. Nos deux pays s'entendent d'ailleurs sur ce point. Mais un tel travail ne peut être mené que par la voie de la négociation diplomatique, au terme d'un dialogue exigeant et respectueux.

M. Didier Marie. Très bien !

Mme Corinne Narassiguin. Le Président de la République, et c'est heureux, l'a rappelé pas plus tard qu'hier.

Je précise qu'une dénonciation unilatérale de l'accord de 1968 aboutirait nécessairement à désarmer la France dans sa lutte contre l'immigration irrégulière : une telle rupture diplomatique, par nature brutale, signifierait la fin de la délivrance des laissez-passer consulaires, lesquels sont indispensables aux éloignements. Or, en 2024, Alger a délivré 3 000 laissez-passer consulaires, soit bien davantage que d'autres pays du Maghreb.

Pour beaucoup de juristes, une dénonciation unilatérale violerait également le droit international. Le régime juridique qui serait alors applicable aux mobilités régulières entre nos deux pays inspire, de plus, un certain nombre d'interrogations.

Chers collègues du groupe Les Républicains, pour vous comme pour votre ancien président, devenu ministre de l'intérieur,…

M. Michel Savin. Excellent ministre !

Mme Corinne Narassiguin. … actuellement en campagne pour la présidence de votre parti politique, la relation franco-algérienne se limite à un problème migratoire qu'il faudrait éliminer.

Vous ne semblez pas mesurer l'impact économique d'une telle politique ; il serait désastreux pour la France. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Audrey Linkenheld. Mme Narassiguin a raison !

Mme Corinne Narassiguin. Vous partez d'un terrible préjugé – il s'agit d'ailleurs sans doute d'un relent colonial… (Mêmes mouvements.)

À vos yeux, l'Algérie et les Algériens ne peuvent rien faire sans la France. Or, en cas de rupture, c'est la France qui a beaucoup à perdre.

L'Algérie est un partenaire économique crucial pour la France, les échanges commerciaux entre nos deux pays atteignant 11,8 milliards d'euros en 2023.

Que comptez-vous dire aux 450 entreprises françaises installées en Algérie ? Aux 6 000 entreprises françaises qui y exportent des produits français ? Aux médecins algériens qui tiennent à bout de bras notre système hospitalier ?

La dégradation de nos relations bilatérales a déjà provoqué une chute très importante des exportations françaises de blé vers l'Algérie, et le mouvement risque de s'accentuer. Que comptez-vous dire à nos agriculteurs ?

Mme Corinne Narassiguin. N'oublions pas non plus notre coopération sécuritaire avec l'Algérie, qui joue un rôle majeur contre le terrorisme dans la région du Sahel.

Une fois encore, la pente dangereuse que vous suivez en courant après l'extrême droite nous conduit dans un mur. Vous prétendez protéger la France par des coups de force : en réalité, vous nous affaiblissez.

Une histoire profonde lie nos deux pays. Pour reprendre les mots de Yazid Sabeg et Jean-Pierre Mignard, « des milliers de familles, des millions de personnes, quatre millions peut-être de binationaux, d'enfants et de petits-enfants, de parents algériens, ou à la fois algériens et français, vivent aujourd'hui dans un enchevêtrement d'appartenances, de souvenirs, de cultures, et forment une exceptionnelle mixité humaine. Ils sont la marque indélébile d'un destin partagé. Cette jeunesse issue de l'immigration algérienne, ancrée dans la République, désireuse à la fois de concilier son appartenance à la nation française sans répudier son algérianité, est le socle de notre avenir commun. Nos querelles la troublent et c'est injustifiable. »

Nous avons bien compris que c'est une réalité française que vous ne voulez pas voir. Dénoncer unilatéralement l'accord de 1968 ne la fera pas disparaître, bien au contraire.

Pour toutes ces raisons, nous appelons de nos vœux la reprise d'un dialogue avec l'Algérie. À l'instar du ministre des affaires étrangères, nous proposons notamment de réactiver le groupe technique bilatéral de suivi de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, afin d'élaborer, le moment venu, un quatrième avenant.

Il s'agit, ce faisant, de construire un nouveau cadre de relations diplomatiques apaisées entre la France et l'Algérie, reconnaissant la complexité de notre histoire commune pour mieux la dépasser. C'est notre intérêt économique et sécuritaire. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) C'est le sens de notre histoire. C'est, dès lors, le moyen de réconcilier la France avec elle-même. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)

Mme Audrey Linkenheld. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Narassiguin, nous avons comme vous l'ambition de renégocier l'accord de 1968, d'ailleurs déjà révisé à trois reprises.

Il s'agit une nouvelle fois d'aligner certaines de ses dispositions sur le droit commun, pour attirer davantage de talents – je pense notamment aux étudiants –, et d'y introduire de nouvelles exigences d'intégration républicaine.

Vous l'avez salué, la France, par la voix du Président de la République, s'est beaucoup investi pour la reconnaissance de la mémoire franco-algérienne et la confrontation de nos histoires dans un dialogue sincère et honnête, s'appuyant sur un certain nombre de travaux historiques, en particulier ceux de Benjamin Stora.

Mais, force est de le constater, le rapport à la France fait aussi régulièrement l'objet en Algérie d'une rente mémorielle et politique à l'encontre de notre pays. Nous n'avons pas à nous flageller sur le sujet, nous pouvons le dire honnêtement.

Je vous remercie également d'avoir rendu hommage à notre compatriote Boualem Sansal, toujours emprisonné sans fondement à ce jour. Il est un héraut de la liberté d'expression, de l'universalisme, de la lutte contre toutes les formes de tyrannie. Il est malade, sa santé nous préoccupe et la diplomatie française se mobilise en faveur de sa libération.

Enfin, il ne faut pas opposer la relation nécessaire et importante que nous avons avec l'Algérie à la relation historique, culturelle, stratégique profonde que nous avons avec nos partenaires marocains. La France a reconnu, comme de très nombreux autres pays, que le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivaient dans le cadre de la souveraineté marocaine. Cela s'inscrit dans la profondeur du lien qui nous unit à ce pays, une relation fondamentale pour notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour la réplique.

Mme Corinne Narassiguin. La voie diplomatique demeure effectivement la seule voie viable. Benjamin Stora l'a dit : la rente mémorielle est utilisée des deux côtés de la Méditerranée, et c'est bien le problème.

La France doit évidemment établir des relations diplomatiques apaisées avec tous les pays du Maghreb, avec lesquels nous partageons une histoire commune, mais notre relation avec l'Algérie est beaucoup plus longue et complexe.

Monsieur le ministre, ne laissez pas le ministre de l'intérieur faire des Algériens et de la relation franco-algérienne les victimes de ses obsessions migratoires. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Thomas Dossus applaudit.) Il est anormal qu'un ministre de l'intérieur exerce une telle pression sur le Premier ministre afin d'empiéter avec autant de désinvolture sur ce qui relève de la compétence du Président de la République, dans le dessein d'instrumentaliser la politique étrangère dans une perspective de politique intérieure. La France doit parler d'une seule voix et s'opposer à cette politique de la terre brûlée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1830, la France se lançait dans la conquête de la régence d'Alger qui était, depuis trois siècles, un territoire de l'Empire ottoman. Les cent trente-deux années pendant lesquelles l'Algérie a été un territoire français et la guerre qui y a mis fin constituent l'histoire douloureuse que nos deux pays ont en partage.

Six ans après la fin de la guerre de décolonisation, Paris et Alger ont conclu des accords visant à faciliter l'émigration des Algériens vers la France. Il est souvent dit que la France a fait cela pour satisfaire ses besoins en main-d'œuvre. C'est juste, la France a offert aux Algériens des facilités pour venir dans notre pays, mais, il faut le rappeler, elle n'a forcé personne. Le fait que de nombreux Algériens aient choisi d'en bénéficier montre que ces accords ne leur sont pas défavorables.

Il s'agit en effet de dispositions dérogatoires au Ceseda qui octroient aux Algériens des avantages appréciables. C'est ainsi que, sur les 2,5 millions d'étrangers que notre pays comptait sur son sol en 2023, les Algériens étaient près de 900 000 ; en outre, nombre de nos concitoyens disposent de la double nationalité. Les relations entre nos deux peuples sont fortes et doivent être préservées.

Hélas, le gouvernement algérien continue de les altérer en ressassant inlassablement le passé colonial. En 2023, il a même réintroduit dans son hymne national un couplet demandant à la France de rendre des comptes.

Ces comptes, la France les a déjà rendus il y a bien longtemps et l'Algérie est aujourd'hui, depuis près de soixante-trois ans, un pays souverain et indépendant. C'est le gouvernement algérien qui est responsable devant son peuple ; la colonisation a eu son lot d'effets néfastes, mais ne peut pas tout expliquer.

Le Vietnam a, lui aussi, été colonisé par la France ; lui aussi a obtenu son indépendance de haute lutte, après avoir affronté non seulement les Français mais encore les Américains, au cours d'un conflit majeur. Or, au cours des vingt dernières années, le taux de croissance du PIB algérien a été, malgré l'énorme rente gazière, bien inférieur à celui du Vietnam.

La rente mémorielle, s'il fallait encore le démontrer, n'a jamais développé l'économie d'aucun pays. Tant que le gouvernement algérien instrumentalisera le passé pour dissimuler ou justifier ses propres lacunes, nos relations s'en trouveront dégradées.

La dégradation fâcheuse de nos relations avec le gouvernement algérien a été récemment exacerbée par plusieurs événements.

La France a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Bien que cela puisse déplaire à Alger, la France est, jusqu'à nouvel ordre, en tant que pays souverain, libre de ses positions diplomatiques.

Conséquence indirecte, le gouvernement algérien a arrêté en novembre dernier un écrivain franco-algérien de 75 ans, malade, dont l'œuvre littéraire a été saluée par de nombreux prix. Boualem Sansal est accusé d'avoir porté atteinte à l'unité nationale algérienne ; il est en réalité puni pour avoir tenu des propos déplaisant au gouvernement algérien. Une telle forme de censure n'honore pas du tout ce dernier et la France ne peut pas accepter que l'un de ses ressortissants soit ainsi détenu arbitrairement.

Enfin, le gouvernement algérien a entrepris de refuser illégalement le retour sur son sol de certains de ses ressortissants expulsés par la France parce qu'ils étaient en situation irrégulière. Parmi eux se trouvent quelques influenceurs douteux, dont certains appellent au meurtre, et une personne qui a commis un attentat terroriste à Mulhouse.

Ces refus illégaux, puisque contraires au droit international, ont une conséquence logique, évidente : la France doit s'interroger sur la suite des accords qui la lient à l'Algérie en matière d'immigration. Voilà deux ans déjà, Édouard Philippe attirait notre attention sur la nécessité d'un tel réexamen ; depuis lors, il a été rejoint par de nombreux responsables politiques.

L'une des premières conditions de l'application du droit international est la réciprocité. Les refus du gouvernement algérien de permettre le retour sur son sol de ses ressortissants ne peuvent perdurer. Révisés plusieurs fois, ces traités peuvent être renégociés si cela est nécessaire. Nous considérons qu'ils doivent l'être, afin de mieux répondre aux impératifs auxquels sont confrontés nos deux pays.

Nous souhaitons qu'un accord soit trouvé et que la relation entre nos deux peuples soit préservée, au mieux des intérêts de chacun. Toutefois, la France, tout comme l'Algérie, ne doit pas s'interdire de dénoncer ces accords si aucune solution satisfaisante n'est trouvée, dans le respect du droit international. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, je souhaite rebondir sur le dernier point de votre propos.

Vous avez mentionné l'idée d'une solution qui serait au bénéfice de nos deux peuples. C'est bien entendu ce que nous recherchons. Nous voulons renégocier pour défendre nos intérêts, pour maîtriser notre immigration, mais sans aller à l'encontre des intérêts du peuple algérien ; nous souhaitons plutôt cibler ceux qui prennent les décisions.

À cet égard, je souhaite évoquer un autre accord, de portée moindre mais qui n'est pas anecdotique, celui du 10 juillet 2007, révisé le 16 décembre 2013. Ce traité prévoit une exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou de service. Cet accord facilite notre action diplomatique, mais il est devenu clair qu'il est plus avantageux pour les responsables algériens, compte tenu des liens personnels marqués que beaucoup d'entre eux ont en France ; ils l'utilisent pour faire des allers-retours.

Cet accord peut naturellement être mis sur la table dès lors que la coopération migratoire n'est pas satisfaisante. Nous avons d'ores et déjà pris de premières mesures restrictives, cela a été annoncé à la fois par le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, en durcissant son application. De manière générale, il semble souhaitable de viser la nomenklatura algérienne, car les difficultés que nous avons concernent, je le répète, le gouvernement et non le peuple algérien.

Nous avons donc des outils, des instruments, pour défendre nos intérêts dans notre relation avec Alger.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 27 décembre 1968, la France et l'Algérie ont signé un accord définissant les conditions de circulation, de séjour et de travail des Algériens en France. Les conséquences de cet accord sur notre politique migratoire sont considérables, puisqu'elles offrent à l'Algérie un cadre exceptionnel, en octroyant à ses ressortissants un statut dérogatoire au droit commun, très avantageux pour les Algériens mais dont le contribuable français ignore totalement le coût.

La France abrite une diaspora algérienne d'au moins 2,6 millions de personnes, dont 900 000 immigrés stricto sensu. C'est le contingent le plus nombreux parmi toutes les nationalités représentées. Cette immigration a explosé. Le nombre d'Algériens présents sur le sol français a été multiplié par trois entre 1946 et 1972, posant, bien sûr, de nombreuses difficultés.

À peine 10 % des Algériens expulsables ont été renvoyés de façon coercitive. Par exemple, la présidente Jourda l'a indiqué, 43 % des 1 800 places disponibles en centre de rétention administrative (CRA) sont occupées par des ressortissants algériens. Je rappelle que l'auteur présumé de la barbarie de Mulhouse, un Algérien en situation irrégulière sous OQTF, avait été refusé à dix reprises par l'Algérie.

Malheureusement, je ne dispose pas d'assez de temps pour lister tous les actes de l'Algérie qui font peser une menace directe sur notre sécurité, sans même évoquer certaines révélations faites hier sur une chaîne de télévision.

Je pourrais par exemple parler de la volonté du président Tebboune d'instrumentaliser la haine de la France, de sa volonté de chasser la langue française des écoles privées en Algérie. Pire encore, je pourrais évoquer sa volonté de laisser en France des Algériens soi-disant influenceurs mais qui nous menacent. Permettez-moi de citer quelques messages de ces derniers : « nous allons tous vous violer », « ceux qui savent manier des armes vont vous achever », etc. Je pourrais enfin vous parler du couplet anti-français ajouté dans l'hymne algérien. Mais laissons là ces provocations indignes…

Je souhaite surtout vous parler d'un homme. Depuis plus de cent jours maintenant, cet homme de 75 ans, un écrivain franco-algérien gravement malade, est retenu en otage par l'Algérie. Cet homme, Boualem Sansal, est notre compatriote et notre ami. Il est l'otage d'un régime qui bafoue la liberté d'expression, « un des droits les plus précieux de l'homme », aux termes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Son arrestation à l'aéroport d'Alger ne s'appuie sur aucun motif de droit ; elle procède de la force brutale d'un régime autoritaire qui ne dit pas son nom, d'un régime qui affiche son antisémitisme en demandant à Boualem Sansal de récuser son avocat au motif que celui-ci est juif, qui revendique son mépris envers les juifs, les harkis, les chrétiens et, plus largement, les Européens, notamment les Français.

Et que dire des traitements discriminants et cruels qu'il inflige aux femmes, aux Berbères, aux Kabyles, sans oublier les campagnes racistes perpétrées par les médias d'État contre les migrants, notamment africains ?

M. François Bonhomme. Tout à fait !

Mme Valérie Boyer. Dans ces conditions, pourquoi le Président de la République contredit-il le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, offrant ainsi au président Tebboune l'occasion de se jouer de nos divisions, y compris à la une de certains journaux algériens ? Pourquoi exprimer cette repentance perpétuelle, alors que nous ne récoltons en retour que mensonges historiques et humiliations, comme le Président de la République l'a appris à ses dépens et surtout aux dépens de la France, lorsqu'il a parlé de crime contre l'humanité ?

Mme Valérie Boyer. Lorsque nous nous engageons sur ce chemin avec l'Algérie, il n'y a ni limite ni fin. Il est temps de se débarrasser des procès en culpabilisation et de la rente mémorielle.

C'est pourquoi, comme nous l'avons demandé au Sénat au travers de notre proposition de résolution déposée par Bruno Retailleau le 26 juin 2023, nous réclamons que le chef de l'État dénonce cet accord, non pas pour rompre définitivement toute diplomatie, mais pour reconstruire une relation sur de nouvelles bases – de fermeté, de respect et de réciprocité, comme des nations matures. Il y va de notre souveraineté. Il est légitime d'avoir une politique migratoire allant dans le sens de la volonté de la France et de l'intérêt des Français, c'est-à-dire efficace et respectueuse.

Mes chers collègues, il faut bien sûr lutter contre ceux qui portent la haine de la France, mais il ne faut pas oublier la main qui nourrit cette haine. Comme l'a justement indiqué Jean Sévillia, on « pourra regarder en face l'histoire de la présence française en Algérie […] le jour où l'opprobre ne sera plus jeté […] sur les Européens d'Algérie et les harkis et leurs descendants », le jour où une volonté de paix et de respect sera partagée sur les deux rives de la Méditerranée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Boyer, je tiens tout d'abord à vous remercier de l'hommage que vous venez de rendre à notre compatriote Boualem Sansal. Je souligne d'ailleurs votre combat puisque, je m'en souviens, vous êtes la première à avoir posé une question d'actualité au Gouvernement sur ce sujet, juste après son arrestation. Nous sommes nombreux à admirer son courage et son œuvre ; je pense par exemple à des livres comme 2084 ou Le Village de l'Allemand. Il porte le combat français pour la liberté d'expression et pour l'universalisme.

Je veux également réagir à vos propos sur les laissez-passer consulaires accordés aux personnes sous OQTF, une question qui a pris une teinte particulière avec le drame de Mulhouse. Au cours des trois dernières années, le taux de délivrance de ces laissez-passer est passé de 6 % à 41 %, ratio qui reste certes très insuffisant. Tout cela est régi par le protocole de 1994.

Par ailleurs, il y a eu des cas d'Algériens porteurs de documents d'identité – notamment un influenceur que le ministre de l'intérieur a voulu, à juste titre, faire expulser –, qui ont pourtant été refusés par l'Algérie. Il s'agit là d'une violation du cadre qui régit les relations entre nos deux pays.

Mme Valérie Boyer. Bien sûr…

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Compte tenu de ces difficultés, le Premier ministre a décidé, à l'issue de la réunion du comité interministériel de contrôle de l'immigration du 26 février dernier qu'une liste d'individus serait soumise aux autorités algériennes, afin que ceux-ci soient renvoyés d'urgence en Algérie, et que, à défaut d'une réponse favorable, nous réexaminerions l'ensemble des accords migratoires que nous avons avec ce pays.

Il s'agit simplement de faire appliquer le droit et de défendre nos intérêts sur le plan migratoire.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.

Mme Valérie Boyer. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Aujourd'hui, nous examinons l'application de l'accord de 1968, mais je pense que la représentation nationale, de même que nos compatriotes, devraient être éclairés sur son coût.

Mme Valérie Boyer. Quel en est le coût précis ? J'aimerais le savoir. Que verse précisément la France aux ressortissants algériens, prestation par prestation ?

Nous avons les plus grandes difficultés à obtenir ces chiffres, et cela pose plusieurs problèmes : d'abord, le fait en soi de ne pas obtenir ces informations, mais aussi le fait que, lorsque nous votons notamment le budget de la sécurité sociale, nous en avons besoin pour nous éclairer. En effet, on nous soumet de nouvelles règles applicables au cadre général, mais dont de nombreuses conventions internationales limitent la portée et la possibilité de mener des contrôles.

Non seulement il convient de revoir ces accords, mais il faut en outre que les Français sachent combien ces derniers leur coûtent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France et l'Algérie partagent un passé douloureux, qui, plus de soixante ans après l'indépendance algérienne, continue de susciter des tensions et des incompréhensions. La colonisation française en Algérie reste un sujet de crispation entre Paris et Alger.

L'accord signé par les deux pays le 27 décembre 1968 réglemente les circulations, l'emploi et le séjour des ressortissants algériens en France. Conçu à l'origine pour faciliter l'installation de travailleurs algériens sur notre territoire, il confère aux Algériens un régime dérogatoire au droit commun. Ces derniers bénéficient notamment de facilités d'entrée et de délivrance de titres de séjour, avec des durées allant jusqu'à dix ans.

Cet accord, ciment des relations franco-algériennes, suscite aujourd'hui de sérieuses interrogations. En 1968, il répondait à un besoin économique précis et annonçait un nouveau départ commun pour la France et l'Algérie. Depuis lors, le contexte a évolué et certains événements ont engendré une véritable crise diplomatique.

En juillet 2024, l'Algérie s'est offensée du soutien exprimé par la France au plan d'autonomie marocain au Sahara occidental, territoire qui est le théâtre d'un conflit entre le Maroc et des indépendantistes soutenus par l'Algérie.

En novembre dernier, l'écrivain Boualem Sansal, critique du régime algérien, a été arrêté à Alger. Qualifié par le président Abdelmadjid Tebboune d'imposteur envoyé par la France, ce Franco-Algérien à la santé fragile est toujours incarcéré, malgré les nombreuses demandes émanant de plusieurs pays.

Enfin, le 3 février dernier, le président Tebboune a dénoncé le climat délétère entre l'Algérie et la France.

L'attitude véritablement hostile des autorités algériennes vis-à-vis de notre pays est inquiétante. Dans ce contexte, il est tout à fait légitime d'évoquer les accords de 1968. Les facilités que la France accorde depuis des décennies aux Algériens semblent être en décalage avec l'attitude de l'Algérie, dont la coopération en matière d'immigration irrégulière est très insuffisante.

Je souhaite ici évoquer le cas de l'assaillant qui a tué une personne et en a blessé d'autres le 22 février dernier à Mulhouse. Cet Algérien, arrivé illégalement sur le territoire français en 2014 et faisant l'objet d'une OQTF, est resté sur le sol français parce que l'Algérie a refusé à dix reprises de reprendre son ressortissant. (M. Akli Mellouli proteste.) Ce terroriste radicalisé et condamné plusieurs fois ne serait pas passé à l'acte sur le sol français si l'Algérie avait respecté son obligation de l'accueillir à la suite de son expulsion.

Cet exemple fait écho à une autre situation qui a fait grand bruit en janvier dernier. Il s'agit bien entendu du cas de l'influenceur algérien Doualemn, expulsé légalement par la France vers l'Algérie le 9 janvier et renvoyé d'Alger à Paris le jour même. Les autorités algériennes bafouent ouvertement leur engagement envers la France !

Nous ne pouvons pas l'accepter ; c'est pourquoi, le 26 février dernier, lors de la réunion du comité interministériel de contrôle de l'immigration, le Premier ministre, François Bayrou, a défini une ligne claire : la France ne doit pas continuer de distribuer des visas ni d'accorder des facilités d'accès à son territoire aux ressortissants de pays qui ne respectent pas leurs propres obligations en matière migratoire.

M. Christian Cambon. Il a raison !

Mme Nicole Duranton. C'est pour cela qu'il a demandé aux inspections générales de la police nationale et des affaires étrangères de mener un audit interministériel sur la politique de délivrance des visas. Cette décision témoigne de la résolution et de la fermeté dont nous devons faire preuve envers les pays qui, comme l'Algérie, refusent de reprendre les ressortissants légalement expulsés du territoire français.

Pourtant, en août 2022, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune voulaient ouvrir une nouvelle ère dans les relations franco-algériennes. Ils entendaient insuffler une nouvelle dynamique partenariale entre nos deux pays, afin de faire face ensemble aux nouveaux défis globaux et aux tensions internationales.

Nous ne devons pas renoncer à toute relation avec l'Algérie. Nos deux pays doivent reprendre progressivement le dialogue pour remédier à la situation actuelle. Nous devons bien entendu maintenir une position de franchise et de fermeté. L'Algérie doit respecter ses obligations envers la France, sans quoi nous serons dans notre droit de prendre de nouvelles mesures nous permettant de respecter notre souveraineté en matière migratoire.

La conjoncture est d'autant plus dommageable qu'elle bafoue le passé que nous avons en commun. Celui-ci est complexe, marqué par des blessures encore vives, mais aussi animé par des liens humains et culturels indéniables. Acteurs d'une histoire commune, nos deux pays ont tissé des rapports étroits, notamment sur le plan mémoriel, comme en témoigne le travail mené par la commission Stora à la fin de l'année 2024.

Nos liens économiques ont également été renforcés depuis le début de la guerre en Ukraine. À titre d'exemple, les exportations algériennes d'hydrocarbures vers la France avaient augmenté de 15 % en 2023, en raison de la volonté française de réduire sa dépendance au gaz russe.

Nous devons, par la reprise du dialogue diplomatique, trouver une nouvelle manière de collaborer avec l'Algérie, sans renier nos engagements et nos principes.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Nicole Duranton. Il nous appartient de définir un cadre juste, équilibré et respectueux de la souveraineté de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Akli Mellouli applaudit également.)

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les tensions actuelles entre la France et l'Algérie sont avant tout le fruit de surenchères politiques et médiatiques qui cherchent à capter l'attention à des fins électorales.

Je m'interroge alors : quel est le véritable objectif ici ? Faut-il raviver une guerre d'Algérie au travers de tensions artificielles pour des raisons politiciennes ? Nous devons être extrêmement vigilants face à de telles dérives.

À ce propos, permettez-moi de citer une déclaration célèbre de l'évêque d'Oran : « La France et l'Algérie n'hésitent pas à se blesser mutuellement. L'originalité de ces blessures est qu'elles sont de celles que ne peuvent s'infliger que de véritables amis. »

Le ministre des affaires étrangères a récemment déclaré : « Si un pays ne coopère pas avec les autorités françaises, je vais proposer que tous les pays européens en même temps puissent restreindre leurs délivrances de visas. » Une telle déclaration, déconnectée des réalités diplomatiques, mérite d'être mise en perspective. Elle témoigne d'une vision simpliste et unilatérale, qui oublie que les relations internationales se bâtissent sur le respect et la coopération, non sur la pression ou les menaces.

L'accord franco-algérien de 1968, dont il est notamment question ici, loin d'être un privilège, est le fruit d'une histoire partagée, marquée par des luttes, des sacrifices et des réconciliations. Il a permis à des milliers de familles de contribuer à la richesse de notre nation.

Pourtant, force est de le constater, cet accord, bien qu'il ait joué un rôle crucial dans le passé, n'est plus aujourd'hui qu'une coquille vide. Les procédures de visas et de résidence des ressortissants algériens sont désormais aussi complexes que celles qui s'appliquent à n'importe quelle autre nationalité. Le débat sur sa révision est donc, en réalité, un faux débat.

L'Algérie est un acteur clé dans sa région et sur le continent africain. Elle possède des ressources propres et une politique indépendante. Il est dans l'intérêt de nos deux pays de maintenir une coopération pragmatique, en particulier dans des secteurs comme celui de la santé, des médecins algériens permettant de combler les pénuries dans les déserts médicaux. De plus, l'Algérie représente un marché important pour nos exportations et reste un partenaire stratégique en Afrique du Nord et au-delà. C'est enfin la coopération en matière de sécurité et de renseignement entre nos deux nations que nous devons préserver.

Alors, derrière cette escalade, nous le savons, il y a des stratégies électorales. Certains acteurs politiques, conscients de l'imminence des échéances électorales de 2027, cherchent à maximiser leur influence au sein de leur parti et à se poser en défenseurs de l'identité nationale. Néanmoins, cette attitude, cette volonté de jouer avec les peurs, n'est pas à la hauteur de ce que nous attendons d'une politique étrangère responsable. Cette politique de confrontation n'a que trop duré. Nous devons arrêter ce jeu dangereux qui consiste à instrumentaliser la question de l'immigration pour des raisons purement électorales. (Marques d'agacement sur les travées du groupe Les Républicains.)

À ce sujet, la position du Président de la République mérite d'être soulignée. Emmanuel Macron a, enfin, pris ses responsabilités, marquant la fin de la récréation diplomatique. Il a clairement sifflé la fin du jeu en soulignant notamment que l'« on ne peut pas se parler par voie de presse », et que les relations entre la France et l'Algérie ne doivent pas être instrumentalisées à des fins politiques. Il a également rappelé que des millions de Français, nés de parents algériens, « vivent en paix, adhérant aux valeurs de la République ».

Enfin, je tiens à citer les propos de Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis et ancien représentant permanent auprès des Nations unies ; il a indiqué avec clairvoyance : « Tôt ou tard, nous conclurons que la politique suivie vis-à-vis de l'Algérie nous mène dans une impasse. On fera appel aux diplomates pour réparer le gâchis. » Ces mots doivent résonner comme un avertissement.

Il est grand temps de sortir de cette impasse et de reprendre un dialogue constructif, loin des polémiques inutiles. Il est impératif que nous mettions de côté nos ambitions électorales et agissions dans l'intérêt de notre pays, mais aussi de la stabilité et de la coopération internationales. Nous avons la responsabilité de rétablir une diplomatie respectueuse, fondée sur le respect de nos engagements mutuels.

Je vous invite à reconsidérer toute approche punitive et à favoriser une diplomatie pragmatique et constructive. Nous avons la responsabilité de remettre l'intérêt national au cœur de nos décisions. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Laouedj, vous avez mentionné la déclaration du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, au sujet de la nécessité d'avoir une politique européenne en matière de visas. Mais il est évident que nous devons nous donner, à l'échelon européen, les instruments de la maîtrise de notre immigration, dans le cadre d'une réponse collective !

C'est d'ailleurs le message que porte la France, via la mise en œuvre du pacte européen sur la migration et l'asile, qui permettra de réaliser une première sélection des demandeurs d'asile aux frontières de l'Union, avec la volonté de renforcer les outils externes de la politique étrangère de l'Union en matière migratoire, au travers notamment de la conditionnalité de la délivrance des visas.

En effet, c'est à l'échelon européen que l'on peut être le plus efficace. On l'a vu au cours des dernières années : les politiques de restriction des délivrances de visas font l'objet de contournements par la voie européenne, quand des ressortissants demandent un visa à l'Espagne, à l'Italie ou à l'Allemagne. Nous devons donc définir une réponse collective, au niveau européen.

Nous devons le faire pour ce qui concerne la conditionnalité de l'aide au développement et des accords commerciaux, mais également en révisant la directive dite Retour, afin d'expulser plus efficacement, grâce au renforcement de nos moyens collectifs.

C'est bien sûr cette voie que nous défendons, mais celle-ci n'est pas incompatible avec le dialogue, la diplomatie. Il s'agit simplement d'avoir les instruments nécessaires pour défendre collectivement nos intérêts, en Européens.

C'est aussi cette volonté d'avoir une Europe souveraine, maîtrisant ses frontières, qui est au cœur de la diplomatie française portée par le ministre.

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour le groupe Union Centriste.

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat public s'est emparé du sujet des relations franco-algériennes dans un contexte dramatique. Le terrible attentat de Mulhouse est, en effet, venu illustrer l'échec de l'État à exécuter une obligation de quitter le territoire français à l'endroit d'un ressortissant que l'on savait dangereux, en raison de l'absence non seulement de coopération de l'Algérie, mais aussi, et surtout, de respect par ce pays du droit international.

La détention arbitraire du franco-algérien Boualem Sansal ou encore les affaires récentes concernant les soi-disant influenceurs sont autant de signes actuels et convergents qui nous sont envoyés par le pouvoir algérien.

Le Président de la République aura pourtant essayé de renouveler nos relations avec l'Algérie. Malgré tous ses efforts, sa démarche visant à les normaliser aura largement été vaine, malheureusement.

Nous connaissons tous les vicissitudes des relations entre l'Algérie et la France. Nous savons également l'importance des liens humains entre nos deux pays : 650 000 Algériens vivent en France et 30 000 Français résident en Algérie. Les plus de 3 millions de personnes qui disposent de la double nationalité vivent très majoritairement sur notre territoire. Ces liens historiques et si spécifiques entre nos deux pays rendent, à mon sens, quelque peu illusoire une réponse commune à l'échelle européenne, sans même évoquer les contraintes de calendrier.

Je souhaite partager avec vous une conviction : la renégociation de l'accord de 1968, voire sa dénonciation en cas d'échec des discussions, est désormais nécessaire, indépendamment même de la crise du moment. Quant à l'accord de 2007, encore étendu en 2013, qui tend à dispenser de visa les détenteurs de passeport diplomatique ou de service, sa suspension me semble devoir être directement envisagée et aurait le mérite de ne concerner que les cadres du régime. Rien ne vient plus justifier une faveur de cette nature dans les circonstances actuelles.

Rapprocher la situation algérienne du droit commun en matière migratoire et de droit au séjour serait tout simplement l'expression de notre volonté souveraine de réduire les flux qui entrent sur le territoire national.

Rapprocher la situation algérienne du droit commun en matière d'accès aux droits sociaux, en particulier au revenu de solidarité active (RSA), serait une mesure de bon sens dans un contexte de crise des finances publiques et traduirait notre volonté de rendre notre pays moins attractif en matière de flux migratoires. Comme nous le savons, l'importance globale de ces derniers ne nous permet plus d'accueillir et d'intégrer les primo-entrants conformément à notre modèle républicain.

L'accord franco-algérien de 1968 a mis en place entre nos pays un régime dérogatoire au droit commun dans le domaine migratoire. Avec Muriel Jourda, nous avons rendu récemment un rapport sur les instruments migratoires internationaux. Nous avons analysé précisément l'accord international de 1968 : il est évident qu'il est globalement plus favorable à l'immigration algérienne que le droit commun, malgré les avenants de 1985, de 1994 et de 2001. Depuis 2022, nous attendons d'ailleurs la négociation d'un quatrième avenant.

Il faut garder à l'esprit que l'immigration en provenance de ce pays se distingue des autres flux par son volume. Bien loin d'être une « coquille vide », comme l'a pourtant qualifié le président Tebboune, l'accord de 1968 a entraîné la délivrance par la France de plus de 250 000 visas et de 30 000 nouveaux titres de séjour à des Algériens en 2024. Aujourd'hui, un titre primo-délivré sur dix l'est à un ressortissant de ce pays, tandis que les certificats de résidence concernant les Algériens représentent 15 % du stock global des titres valides. Nous ne pouvons donc pas prétendre réduire les flux si nous ne revenons pas sur un accord dérogatoire de cette importance.

Le Premier ministre a raison de dire que la situation est vraiment insupportable. Alors que l'immigration légale est favorisée, non seulement l'Algérie ne fournit pas le surcroît de coopération dans la lutte contre l'immigration illégale que nous pourrions légitimement attendre, mais elle ne respecte même pas ses obligations internationales.

Bien avant la reconnaissance de la détérioration de nos relations bilatérales en 2024, l'Algérie manifestait déjà sa très mauvaise volonté lorsqu'il s'agissait de reprendre ses nationaux. Ainsi, en 2023, seuls 34,9 % des laissez-passer consulaires demandés par la France avaient été accordés, avant même notre reconnaissance du Sahara occidental ! En 2024, moins de 10 % des Algériens expulsables ont pu être renvoyés dans leur pays, soit près de 3 000 personnes sur 33 754 interpellations pour infraction à la législation sur les étrangers.

Je conclurai en évoquant l'organisation de notre diplomatie migratoire.

Au cours de la mission sénatoriale qui vient de s'achever, 197 instruments internationaux ont été recensés dans le domaine migratoire. De nature, de portée et d'intérêt très variables, les accords applicables représentent une belle sédimentation, voire un joli « fouillis » – nous les avons qualifiés ainsi –, et ne forment aucunement une politique cohérente, dont nous avons pourtant besoin.

Nous avons également identifié, avant même la polyphonie gouvernementale sur l'accord de 1968, une réelle différence d'approche entre le Quai d'Orsay et Beauvau. Elle dure depuis bien longtemps et dépasse donc les actuels titulaires de ces fonctions.

Aujourd'hui, nous appelons de nos vœux une meilleure structuration de notre diplomatie migratoire, notamment un fonctionnement plus régulier du comité interministériel de contrôle de l'immigration, qui ne s'était pas réuni au niveau des ministres depuis 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. J'apporterai simplement une brève précision, en lien avec ma réponse précédente : l'accord franco-algérien de 1968 ne régit pas les visas de court séjour, qui sont des visas relatifs à l'espace Schengen. Il est donc nécessaire d'avoir une réponse européenne pour prévenir les contournements des restrictions de visas que nous avons mises en place au niveau national ces dernières années.

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mme Corinne Narassiguin applaudit également.)

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour débattre des accords franco-algériens en matière migratoire et, de manière plus globale, des relations entre nos deux pays.

Je le précise d'emblée : nous sommes favorables – c'est un euphémisme – à la libération de Boualem Sansal, et cette question ne fait l'objet d'aucun débat entre nous. Aucun écrivain, aucun artiste, aucun intellectuel ne devrait être derrière les barreaux en raison des opinions qu'il défend. J'insiste : cela vaut pour chacun d'entre eux.

S'il s'agit d'affirmer qu'il n'est pas acceptable qu'un pays refuse de récupérer ses ressortissants sous OQTF, nous nous rassemblerons aussi. Le propos vaut pour l'Algérie comme pour tous les autres États.

Néanmoins, comme tout le monde le voit bien à la lumière du débat que nous avons ce soir et de celui – il faut bien le reconnaître – qui se déroule très largement dans les médias, l'enjeu est, en réalité, d'une tout autre nature. J'en veux pour preuve le contexte dans lequel s'inscrit ce débat et le fait que celui-ci est monopolisé depuis maintenant des mois par les questions migratoires.

Pour s'en convaincre, il suffit de regarder l'ordre du jour du Sénat : proposition de loi sur l'interdiction du mariage pour les personnes sans papier, proposition de loi pour allonger la durée de rétention en CRA, proposition de loi visant à remettre en cause le droit du sol à Mayotte, proposition de loi tendant à restreindre l'accès aux prestations sociales pour les étrangers en situation régulière… Autant de textes alors qu'a été votée il y a un peu plus d'un an la loi sur l'immigration qui s'est soldée – il faut bien le dire – par un fiasco tout à fait lamentable !

Nous sommes confrontés, en réalité, à une stratégie délibérée visant, d'une part, à saturer l'espace médiatique autour des enjeux d'immigration et, d'autre part, à faire disparaître des écrans les enjeux relatifs au travail, aux salaires et au pouvoir d'achat – des thèmes qui sont pourtant la première préoccupation des Français. Il a d'ailleurs fallu la niche parlementaire de notre groupe pour que, enfin, pour la première fois depuis des mois, le mot « salaire » soit prononcé dans cette assemblée !

Au fond, l'immigration est un peu, pour un certain nombre de personnalités, une ardoise magique : elle permet d'effacer tous les autres sujets du débat médiatique. J'en veux aussi pour preuve le contexte de régulière montée des tensions avec l'Algérie. Chaque jour, des propos outranciers sont tenus, toujours plus excessifs. Je pense à M. Zemmour, qui affirmait ce week-end que « la colonisation en Algérie était une bénédiction », au fils d'un ancien Président de la République, qui appelle à brûler l'ambassade d'Algérie en France, ou à cette ancienne tête de liste aux élections européennes, qui déclarait avant-hier que l'Algérie « a du sang sur les mains ».

En somme, tout cela constitue une escalade dangereuse, fondée sur une avalanche de contrevérités et qui n'est d'aucune efficacité en matière de politique publique.

Dangereuse, d'abord, parce qu'elle attise les tensions dans un monde qui n'en a franchement pas besoin et parce qu'elle menace notre cohésion nationale : cela a été dit, 12 % des Français entretiennent un lien avec l'Algérie.

Fondée sur une avalanche de contrevérités, ensuite, parce qu'elle vise à faire croire que les accords de 1968 auraient ouvert les vannes de l'immigration algérienne, alors que ceux-ci visaient précisément à la limiter.

Sans aucune efficacité, enfin, car force est de constater que ces joutes médiatiques, qui ont cours – je le redis – depuis des mois, n'ont permis d'obtenir aucune exécution d'OQTF supplémentaire. Quand on est ministre, on est jugé sur ses résultats. En l'occurrence, cette montée de tension a-t-elle permis d'obtenir quoi que ce soit de la part du gouvernement algérien ? Absolument rien !

Certains agitent le fait que l'Algérie – vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, au travers de cette expression qui n'est pas très belle – surferait sur une sorte de rente mémorielle. À la lumière de ces débats médiatiques, j'ai surtout le sentiment que, à l'heure actuelle, la haine de l'Algérie et des Algériens sert de rente électorale à des responsables politiques en manque d'imagination…

Je souhaite que ce débat permette de retrouver de la raison et de l'apaisement et qu'il soit animé par l'intérêt général, car c'est l'intérêt de la France et des Français. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mme Corinne Narassiguin et M. Ahmed Laouedj applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, inscrire ce débat dans un contexte marqué par des manœuvres politiciennes opportunistes n'est ni sage ni responsable.

Les polémiques de ces dernières semaines ont blessé de nombreux Français ayant un lien affectif avec l'Algérie. Ces femmes et ces hommes, véritables ponts entre nos deux pays, ont éprouvé une légitime indignation. Quant aux nombreux Algériens qui vivent et travaillent en France et contribuent à la richesse de notre pays, beaucoup se sont sentis stigmatisés, instrumentalisés et méprisés. Je pense notamment aux médecins algériens – c'est la première nationalité étrangère exerçant dans les hôpitaux français – qui font fonctionner un système de santé à bout de souffle.

Obsession de l'extrême droite et désormais du Gouvernement, l'accord de 1968 cristallise toutes les tensions. Cet accord a pourtant été révisé à trois reprises : à chaque fois, Alger a répondu favorablement, permettant une collaboration constructive. Ces évolutions ont toujours eu lieu dans la discrétion, loin de toute agitation médiatique, et dans un esprit de respect mutuel.

Aujourd'hui, largement vidé de sa substance, cet accord constitue un frein aux droits des Algériens, les excluant de toutes les avancées législatives et administratives dont ont bénéficié d'autres ressortissants étrangers. Par exemple, ces ressortissants ne peuvent pas prétendre aux cartes « compétences et talents », instaurées en 2006, qui facilitent l'installation des travailleurs hautement qualifiés, tels que les médecins et les ingénieurs. Autre inégalité frappante : les étudiants algériens, contrairement à d'autres nationalités, sont soumis à une obligation d'autorisation de travail, compliquant considérablement leur accès à l'emploi et freinant leur insertion professionnelle.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le discours ambiant autour de cet accord de 1968 relève plus du fantasme que de la réalité. Il y a, d'un côté, la propagande politique et, de l'autre, le droit, comme l'a d'ailleurs rappelé le tribunal administratif de Melun. Quand bien même nous devrions revenir une nouvelle fois sur cet accord, optons pour la retenue, le respect mutuel et la diplomatie !

En lieu et place, le Gouvernement a choisi l'escalade verbale, l'outrance et le tapage médiatique. Ainsi, nous voyons une frange de la classe politique française, soucieuse de ses ambitions personnelles, sacrifier l'axe Paris-Alger sur l'autel de calculs électoralistes à courte vue. Cette surenchère a libéré une parole algérophobe qui se traduit par le mensonge, la menace et un négationnisme historique indigne de notre époque.

Nous assistons depuis plusieurs semaines à une dérive inquiétante. Pensant à tort que la polémique fait une politique, voire une géopolitique, des membres du Gouvernement affirment que la colonisation de l'Algérie aurait eu des aspects positifs, tandis que le fils d'un ancien Président de la République appelle à incendier l'ambassade d'Algérie, sans que cela émeuve outre mesure le Gouvernement. De son côté, le Premier ministre multiplie les sommations et les ultimatums.

Faisons-nous face à une « trumpisation » de la classe politique française ? Assistons-nous à la libération d'une algérophobie latente, nourrie par des clichés coloniaux et par un ressentiment anti-algérien, toujours aussi vivace dans certains esprits ? S'agit-il de donner des gages au Rassemblement national, dont dépend la survie de ce gouvernement ? Hélas, il semble bien que ces trois explications se conjuguent, révélant une dérive préoccupante dont les conséquences pourraient être durables pour les relations franco-algériennes.

J'ai toujours été engagé en faveur d'un rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée. Je suis convaincu que l'axe Paris-Alger peut se construire sur l'exemple de l'axe Paris-Berlin. Toutefois, cette relation doit être refondée sur la vérité, la justice et le respect mutuel. Pour ce faire, il faut cesser cette reconnaissance mémorielle au compte-gouttes, dictée par les calculs politiciens du moment. En effet, l'histoire ne s'efface ni ne se maquille au gré des opportunités électorales. Elle doit être assumée dans sa globalité, avec courage et lucidité.

Clemenceau lui-même, pourtant homme de son temps, dénonçait déjà les massacres commis en Algérie en déclarant : « Nous avons rempli l'Algérie de ruines et de cendres, nous avons à répondre de milliers d'hommes massacrés. » Ce constat dressé il y a plus d'un siècle reste d'une actualité criante face aux tergiversations de notre pays sur son passé colonial. Il est temps que certains réalisent – enfin ! – que le seul bienfait de la colonisation fut la décolonisation. Ne vous en déplaise !

Mes chers collègues, nous nous approchons dangereusement du point de non-retour. Hier, nous nous sommes brouillés avec le Mali, la faute revenant, nous a-t-on dit, au gouvernement malien. Est ensuite venu le tour du Burkina Faso, du Niger, du Sénégal et du Tchad. Là encore, la responsabilité en incombait, selon certains, aux gouvernements de ces États africains. À présent, nous nous brouillons avec l'Algérie. Deux hypothèses s'imposent : soit nous sommes des génies incompris, détenant seuls la vérité face à un continent entier, soit nous avons un sérieux problème dans notre manière d'aborder nos relations avec les nations africaines souveraines.

Pendant que nous accumulons les brouilles et les malentendus, d'autres pays avancent. Conscients des mutations du monde, ceux-ci travaillent à bâtir des relations équilibrées, fondées sur le respect mutuel et le principe du partenariat gagnant-gagnant. Je ne vous parlerai pas du plan Mattei de l'Italie…

L'Algérie accueille près de 450 entreprises françaises sur son territoire tandis que plus de 6 000 autres profitent des exportations françaises vers ce marché. Dans ce battage politico-médiatique, avons-nous mesuré les répercussions potentielles sur ces entreprises et les milliers d'emplois qu'elles créent ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Akli Mellouli. Dans le nouvel ordre international qui se dessine, il ne suffit plus, monsieur le ministre, d'imposer, de sermonner ou de mépriser. Il faut écouter, comprendre et construire des alliances solides.

M. le président. Concluez !

M. Akli Mellouli. Si nous persistons à voir l'Afrique comme un théâtre où nous seuls dictons les règles du jeu, nous ne ferons que précipiter notre déclassement. Le monde change, les rapports de force évoluent et il serait temps d'adapter notre logiciel diplomatique avant qu'il ne soit trop tard. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K. – Mme Corinne Narassiguin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Mellouli, de tels sujets méritent apaisement et sérénité.

Le Président de la République est celui qui s'est le plus investi dans la reconnaissance de l'histoire et des mémoires, mobilisant des historiens comme Benjamin Stora, que nous avons évoqué précédemment. Il a voulu engager un dialogue sincère et respectueux, rappelant, pas plus tard que ces derniers jours, la nécessité de respecter nos compatriotes d'origine algérienne ou les binationaux franco-algériens qui ne doivent pas être pris en otage.

Néanmoins, le Gouvernement a aussi raison de vouloir défendre nos intérêts. Pour ce faire, nous défendons notre politique migratoire, nous nous dotons de moyens d'expulser les individus qui, faisant l'objet d'OQTF, n'ont pas vocation à rester sur notre territoire et nous faisons respecter par l'Algérie les conventions qu'elle a signées, en particulier, comme je l'ai souligné tout à l'heure, dans le cadre des accords de 1994. Il est tout à fait naturel d'avoir une discussion sur la renégociation de l'accord de 1968, déjà révisé à trois reprises.

Notre pays pourrait s'accuser de tous les maux en matière diplomatique, et entrer dans le jeu de l'autoflagellation. Toutefois, je vous rappelle que la diplomatie, ce sont aussi des rapports de force, des jeux d'intérêt et, parfois, des ingérences.

À ce titre, vous avez cité quelques théâtres africains au Sahel, en particulier le Mali et le Burkina Faso. Dans ces pays, les troupes françaises se sont engagées pour assurer la sécurité et pour lutter contre le terrorisme à la demande des gouvernements. Des juntes militaires, souvent soutenues par la Russie de Vladimir Poutine, sont désormais installées. Les milices Wagner ont joué leur rôle, et on a assisté à une désinformation, parfois massive, contre notre pays, contre notre présence et contre nos troupes, lesquelles méritent notre soutien et notre respect.

Alors ne mélangeons pas tout : sachons reconnaître nos torts, mais aussi nos adversaires géopolitiques, à commencer par la Russie, qui s'en prend directement à nos intérêts.

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour la réplique.

Mon cher collègue, puisque vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole, je vous accorde trente secondes.

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, c'est de la censure ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Monsieur le ministre, nous sommes d'accord : le problème est non pas que nous revendiquions et défendions nos intérêts, mais que nous acceptions que d'autres pays fassent la même chose !

Défendre nos intérêts doit passer par le dialogue : nous ne parviendrons à négocier ni par l'invective, ni par l'injure, ni par le mépris. Nous ne servirons pas notre cause, toute bonne soit-elle, en cherchant à humilier un partenaire ! Il est normal que nous ayons des désaccords. Il faut les pointer du doigt, mais pas selon cette méthode. Ne tombons pas dans les débats de caniveau, qui n'honorent ni la France, ni l'Algérie, ni les pays africains en général !

Ce qui nous honorerait, c'est de retrouver la raison et d'avoir des échanges diplomatiques, dans le respect mutuel. Voilà l'objectif, qui a d'ailleurs été rappelé par le Président de la République et auquel je souscris ! Vous avez raison, monsieur le ministre : nous ne sommes pas là pour nous flageller. Mais si nous ne regardons pas la réalité en face, nous ne réussirons pas à faire évoluer nos relations. Il faut changer de paradigme !

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me tiens devant vous en éprouvant un sentiment d'urgence républicaine. En effet, les événements récents entre la France et l'Algérie nous plongent dans une crise sans précédent.

Celle-ci va, à mon sens, bien au-delà de tensions de nature diplomatique : nous faisons face à une situation qui est devenue, disons-le, insoutenable. Nous sommes presque à un point de rupture dans les relations entre nos deux pays, car nous devons faire face à une série de dérives qui atteignent le cœur de notre cohésion nationale, notre sécurité et notre souveraineté, comme d'autres l'ont déjà dit.

D'un côté, un terroriste algérien sous OQTF, présenté quatorze fois aux autorités de son pays d'origine, qui a semé la mort à Mulhouse, de l'autre, la souffrance de l'intellectuel franco-algérien Boualem Sansal, qui se meurt dans les geôles du régime d'Alger tout simplement parce qu'il est un peu trop libre ou qu'il aime trop la France : ces deux tragédies récentes illustrent, en réalité, un problème bien plus large et bien plus profond. Ces drames sont, en fait, les symptômes d'un échec massif de la gestion de nos flux migratoires.

Cette crise trouve en l'Algérie l'un de ses aspects les plus visibles. En 2025, plus de 2,5 millions de personnes d'origine algérienne vivent en France, un nombre en constante augmentation. En 2024, 250 000 visas ont été accordés aux ressortissants de ce pays, dont 30 000 nouveaux titres de séjour. Ces chiffres ne font qu'accentuer une situation déjà critique car, dans le même temps, 33 000 Algériens ont été contrôlés en situation irrégulière en France en 2023, dont seuls 3 000 ont fait l'objet d'une procédure d'éloignement. Ce décalage entre réalité des contrôles et mise en œuvre des expulsions illustre bien l'inefficacité de notre politique actuelle.

Mon propos n'est pas de stigmatiser le peuple algérien, qui, comme nous tous, aspire à la paix et à la prospérité. La source du problème, à laquelle il faut s'attaquer, est le régime algérien, régime autoritaire qui a failli à ses responsabilités en laissant prospérer une immigration incontrôlée et en ne régulant pas les flux sortant de son pays. C'est à eux qu'il faut demander des comptes !

Pour cela, comme l'a indiqué le ministre de l'intérieur, il nous faut adopter une réponse graduée en commençant par des mesures individuelles. D'abord, identifions les ressortissants algériens les plus dangereux pour les expulser vers leur pays d'origine dans les meilleurs délais. Ensuite, il ne faut pas s'interdire de s'interroger sur le bien-fondé des accords de 1968 et de 2007. En outre, nous ne pouvons pas non plus faire l'économie d'une réflexion sur l'automaticité de la délivrance des visas. Chaque visa délivré devrait, à mon avis, correspondre à l'expulsion effective d'un ressortissant sous OQTF. Enfin, la réflexion pourrait se porter sur la suspension des flux financiers des Algériens de France vers l'Algérie ou sur l'aide au développement.

En tout état de cause, nous devons démontrer au régime algérien que la France ne peut plus être une porte ouverte pour ceux qui veulent abuser de notre générosité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons est sensible pour la sénatrice représentant les Français établis hors de France que je suis. Je remercie mon collègue Olivier Bitz d'avoir accepté que nous partagions le temps de parole alloué à notre groupe.

Le front diplomatique auquel le ministre d'État, ministre de l'intérieur appelle de ses vœux est un oxymore, car la diplomatie consiste à négocier la paix par le dialogue. Le contre-exemple américain nous le confirme. Pourtant, nous comprenons aisément les raisons de l'ire du ministre, que beaucoup partagent sur ces travées. L'actualité nous a encore montré le peu de cas que le régime algérien fait des accords qui nous lient.

Il faut, sans aucun doute, négocier un quatrième avenant à l'accord franco-algérien, lequel favorise l'immigration familiale sur l'immigration économique, scientifique ou culturelle : seules 10 % des premières demandes de titre de séjour effectuées par les ressortissants algériens le sont pour des raisons économiques. En outre, ceux-ci ne peuvent bénéficier de titres pluriannuels, comme les passeports talents. Enfin, la renégociation de l'accord a déjà été actée par les dirigeants algériens comme français en octobre 2022, comme le Président de la République l'a notamment rappelé hier.

Jean-Noël Barrot, qui a la responsabilité de la relation globale entre nos pays, a rappelé qu'il fallait avoir des objectifs clairs à l'égard des Algériens : nous voulons un dialogue exigeant afin de faire avancer nos sujets de préoccupation. Cet espace de dialogue est indispensable pour préserver la coopération dans des domaines essentiels pour nous.

D'abord, je pense au terrorisme et aux trafics, notamment de drogue.

Ensuite, je pense au renseignement, dans un contexte de tensions sécuritaires avec les pays du Sahel, avec lesquels l'Algérie partage 2 700 kilomètres de frontières.

Enfin, je pense aux migrations. Notons que, en 2024, entre les réadmissions et les laissez-passer consulaires, les éloignements vers l'Algérie ont été proportionnellement deux fois plus nombreux que ceux vers le Maroc. Or, comme pour Boualem Sansal, l'unilatéralisme clôt par définition la coopération.

L'Algérie doit rester un partenaire économique ouvert aux exportations françaises, lesquelles représentent 4,5 milliards d'euros par an, un chiffre en nette baisse. Ce pays est notre deuxième fournisseur de gaz naturel et notre quatrième fournisseur de pétrole. Les marchés que nous perdons, la Russie, la Chine ou d'autres pays européens les gagnent !

Chaque matin, Radya Rahal, présidente du conseil consulaire à Alger, m'envoie, comme à Olivier Cadic, les gros titres de la presse algérienne. Après s'être interrogés sur une désescalade ce week-end, les médias de ce pays soulignent ce matin la cacophonie des gouvernants français.

En Algérie, plus de 30 000 Français sont inscrits au consulat. Quelque 400 entreprises françaises sont installées là-bas. Régulièrement, Mme Rahal m'indique les inquiétudes de la communauté française à Alger, les répercussions de la situation actuelle sur nos relations économiques et la crainte de mesures de réciprocité contre nos ressortissants. Il est nécessaire de toujours rappeler les conséquences de nos déclarations pour nos compatriotes établis à l'étranger. Mes chers collègues, il faut un dialogue exigeant, certes, mais aussi aller vers un nécessaire apaisement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Ahmed Laouedj et Akli Mellouli applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne ferai pas ici le rappel des multiples révisions ou tentatives de révision dont a fait l'objet l'accord entre la France et l'Algérie. Malgré ces révisions ou tentatives de révision, qui n'ont pas toujours été suivies d'effets, l'accord bilatéral de 1968 conserve son caractère spécifique, en tant qu'il permet aux ressortissants algériens de bénéficier d'un statut dérogatoire au droit commun des étrangers.

Les autorités algériennes continuent de considérer cet accord comme un droit acquis hérité de l'histoire.

Or cette situation ne semble plus acceptable aujourd'hui. Une politique migratoire plus restrictive est réclamée par nos compatriotes et semble s'imposer. En 2024, la France a délivré 336 000 titres de séjour et enregistré près de 160 000 demandes d'asile, soit près de 500 000 entrées sur notre territoire. Dans le contexte de tensions migratoires que nous connaissons, l'accord franco-algérien, signé il y a plus de cinquante ans, apparaît désormais anachronique.

En matière d'immigration, nous devons par ailleurs harmoniser le droit français avec le droit européen en tendant vers une plus grande cohérence. Or le régime dérogatoire actuel fait obstacle à cette volonté de régulation et de fermeté. Je citerai par exemple l'accès à un certificat de résidence de dix ans après seulement trois ans de séjour, contre cinq ans pour d'autres nationalités, ou encore les conditions d'admission au titre du regroupement familial, qui sont assouplies sans réelle vérification stricte des conditions d'intégration.

Enfin, la question la plus conflictuelle est le manque de coopération – c'est une litote ! – de l'Algérie dans la délivrance des laissez-passer consulaires, compromettant le retour dans leur pays des Algériens qui se trouvent sous le coup d'un arrêté d'expulsion ou d'une OQTF. Ce point, qui est l'objet de tensions gouvernementales chroniques entre Paris et Alger, a de nouveau fait l'actualité récemment, avec le raccompagnement avorté de l'influenceur Doualemn en janvier dernier. Plus grave encore, un ressortissant algérien a tué un homme et blessé cinq personnes dernièrement à Mulhouse ; cet homme, présent illégalement en France depuis 2014, sortait de prison où il avait effectué une peine pour apologie du terrorisme. Nous avons appris, depuis, que ce meurtrier avait été présenté dix fois sans succès aux autorités algériennes.

Aussi, face à l'intransigeance des autorités algériennes en matière de laissez-passer consulaires, la France doit-elle instaurer un rapport de force. Cela peut passer par une remise en cause de l'accord de juillet 2007 qui vise à faciliter les déplacements officiels de courte durée pour les détenteurs de passeports diplomatiques ; cela peut aussi signifier restreindre, voire bloquer, la quantité de visas délivrés, comme l'a préconisé François-Noël Buffet.

Le rapport de force peut enfin passer par la dénonciation ou la renégociation de l'accord de 1968. Une telle dénonciation unilatérale semble justifiée juridiquement ; elle est en tout cas possible en s'appuyant sur la convention de Vienne sur le droit des traités, Bruno Retailleau ayant jugé l'accord franco-algérien « exorbitant » et « obsolète ». Il s'agit de ramener les Algériens au droit commun, de limiter l'immigration et d'obliger enfin Alger à reprendre ses ressortissants sous OQTF.

Le Premier ministre, s'exprimant officiellement, a donné à l'Algérie « quatre à six semaines » pour coopérer, sous peine de réexaminer l'accord, voire de le dénoncer. Le Président de la République, de son côté, a fait preuve d'une moindre clarté : il a affirmé qu'il ne dénoncerait pas de manière unilatérale les accords de 1968, arguant qu'un tel acte risquerait d'« envenimer inutilement les relations avec l'Algérie ». Il a préféré concentrer son attention sur l'avenant de 1994, suggérant que des ajustements étaient possibles.

La dénonciation de cet accord est pourtant une condition nécessaire de la reconstruction d'une relation avec l'Algérie, sur la base, évidemment, d'une nouvelle – d'une réelle – réciprocité. Ces différences entre les positions respectives du Président de la République et du Premier ministre suscitent des interrogations sur la position officielle de la France ; elles nous affaiblissent, en tout cas, s'agissant de notre capacité à imposer un accord.

Il est temps de sortir de cinquante ans de rente mémorielle ; il est temps de sortir des atermoiements et des propos déplorant l'état de nos relations avec l'Algérie, et surtout avec son gouvernement, qui a pris tout un peuple en otage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais tâcher de me montrer synthétique : beaucoup d'éléments ont été évoqués au cours du débat et je sais les risques qu'il y a à faire attendre le sénateur Karoutchi, mais aussi à le laisser parler en dernier… (Sourires.)

Du fait d'une histoire partagée qui a créé des liens complexes mais profonds entre nos deux pays, l'Algérie est le premier pays d'immigration en France. C'est aussi, après la Chine et le Maroc, le troisième pays auquel nous accordons le plus grand nombre de visas. Il est donc bien naturel, dans un moment où les pouvoirs publics, sur la demande de nos concitoyens, s'attachent à mieux contrôler les flux migratoires, d'évoquer sans tabou la question des accords franco-algériens relatifs à la circulation des personnes. Et je voudrais remercier les sénateurs qui ont pris l'initiative d'organiser aujourd'hui ce débat.

Je crois toutefois important de distinguer deux problématiques, comme je l'ai fait tout à l'heure lors du débat.

La première est celle des reconduites dans leur pays de ressortissants algériens ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. À cet égard, l'Algérie relève pour l'essentiel du droit commun, précisé par le protocole du 28 septembre 1994 portant accord de coopération en matière de délivrance des laissez-passer consulaires, et non d'un accord dérogatoire.

Nous rencontrons, pour procéder à des éloignements, des difficultés significatives, qui ne sont malheureusement pas propres à l'Algérie. En 2024, je le mentionnais, 41 % seulement des laissez-passer consulaires demandés à Alger ont été délivrés dans les délais utiles. Ce chiffre, bien qu'en augmentation, reste bien sûr insuffisant. Les conséquences de ces difficultés peuvent être dramatiques, comme nous l'avons constaté avec l'attentat de Mulhouse, commis par un ressortissant algérien déjà condamné, radicalisé, et dont nous avions demandé l'éloignement à plusieurs reprises, en vain, aux autorités algériennes.

Plus récemment, dans un contexte de tensions bilatérales renforcées, nous avons été confrontés à des difficultés spécifiques concernant des ressortissants algériens disposant de documents d'identité en règle, mais dont les autorités algériennes ont néanmoins refusé le retour, en violation, une fois de plus, du protocole que j'ai cité.

Compte tenu de ces difficultés, le Premier ministre François Bayrou a décidé, à l'issue de la réunion du 26 février dernier du comité interministériel de contrôle de l'immigration, qu'une liste d'individus serait soumise aux autorités algériennes afin que ceux-ci soient renvoyés d'urgence en Algérie, et qu'à défaut de réponse favorable nous réexaminerions l'ensemble des accords migratoires que nous avons avec ce pays.

Une fois de plus, il n'y a dans notre diplomatie aucune naïveté : il y a de la fermeté et de la clarté pour faire entendre nos intérêts, renégocier ces accords et faire respecter nos objectifs de politique migratoire.

Voilà qui m'amène à la deuxième problématique, celle des accords bilatéraux en matière de circulation de personnes.

Le principal est bien sûr l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, un accord qui suscite beaucoup de débats et d'interrogations.

Il faut faire à cet égard plusieurs rappels. En proportion de sa population, et comparée à ses voisins, l'Algérie n'a pas plus de ressortissants disposant d'un titre de séjour valide en France. Si cet accord était dénoncé pour revenir au droit commun, il ne faudrait pas s'attendre à une baisse automatique du nombre d'immigrés algériens, compte tenu de ce que l'on observe, par exemple, pour le Maroc ou la Tunisie.

En revanche, il est vrai, vous l'avez mentionné, mesdames, messieurs les sénateurs, que cet accord facilite l'immigration familiale au détriment de l'accueil de talents, d'étudiants ou de professionnels. Il est également moins exigeant que le droit commun en matière de vérification de l'intégration des immigrés. Il ne correspond donc ni aux exigences du temps présent ni à ce que sont aujourd'hui nos intérêts migratoires.

En outre, comme l'a exposé la mission d'information de votre commission des lois sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, le maintien de ce régime de faveur semble d'autant moins justifié qu'il ne s'accompagne pas d'une coopération satisfaisante dans le champ de la lutte contre l'immigration irrégulière.

La position du ministère est en conséquence de plaider pour une renégociation qui aurait, je le disais tout à l'heure, un triple objectif : rapprocher le régime s'appliquant aux Algériens du droit commun, notamment en matière d'immigration familiale ; introduire des dispositifs attractifs pour les profils les plus dynamiques ; renforcer les exigences républicaines d'intégration, qu'elles soient linguistiques ou civiques. Une telle renégociation n'aurait rien de nouveau, puisque l'accord a déjà été modifié à trois reprises, en 1985, en 1994 et en 2001.

En 1994, par exemple, nous avons rendu obligatoire la présentation d'un passeport et d'un visa pour les Algériens souhaitant se rendre en France. On a donc su faire évoluer de façon significative, vous le voyez, le cadre dont il est question.

Cela a été dit, le comité intergouvernemental franco-algérien de haut niveau avait d'ailleurs convenu, lors de sa session d'octobre 2022, de réactiver le groupe technique bilatéral de suivi de l'accord en vue de l'élaboration, le moment venu, d'une quatrième renégociation.

J'ai mentionné aussi tout à l'heure – c'est important – l'accord du 10 juillet 2007, révisé en 2013, qui prévoit l'exemption réciproque de visa de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou de service.

Nous avons pris, sur la base de cet accord, des mesures restrictives, en durcissant sa mise en œuvre, et notamment en réduisant ou en appliquant des critères plus contraignants à la délivrance de visas diplomatiques aux représentants de la nomenklatura algérienne.

Notre objectif n'est pas de faire peser ce différend sur la population algérienne ou sur la population franco-algérienne ; il est, bien sûr, de faire respecter nos intérêts, de faire entendre nos exigences et d'assumer le rapport de force avec les représentants de la nomenklatura.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai essayé de vous exposer de façon factuelle ce que sont nos intérêts migratoires dans nos rapports avec l'Algérie et la manière dont nous faisons valoir nos priorités.

Comme l'a dit et redit le Président de la République il y a encore quelques jours, un travail de fond exigeant doit être engagé avec « un sens du réel et une culture du résultat », avec pour seule boussole l'intérêt de la France et des Français.

Nous n'aurons, et nous n'avons, aucune difficulté à assumer des rapports de force là où c'est utile et à utiliser la large palette d'instruments dont nous disposons à cet effet, loin des polémiques ou de la rente mémorielle dont notre pays a été l'objet.

Nous ferons entendre la voix de la France et des Français.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans aucune situation la relation entre ancien pays colonisateur et ancien pays colonisé n'est facile. S'y joue nécessairement, en effet, l'héritage des aspects très négatifs de la colonisation. Reste qu'il n'y a pas, dans la colonisation, que des aspects très négatifs ; et nous sommes loin, en ce qui concerne l'Algérie, de pouvoir parler de « centaines d'Oradour-sur-Glane ».

Il faut savoir mesure garder dans l'analyse, et – je le dis très simplement – même l'émir Abdelkader, alors installé à Damas, et dont la smala avait été prise en 1843, avait fait une très belle lettre, après la mort du maréchal Bugeaud, dénonçant les excès et les exactions, mais reconnaissant en ce dernier un grand militaire.

M. Roger Karoutchi. Voilà qui n'empêche pas ensuite, après la décolonisation, de faire le bilan – positif, négatif, bref le bilan !

Quel est le problème aujourd'hui ? Il n'est pas de savoir qui peut faire ledit bilan de manière objective. Évidemment, des deux côtés de la Méditerranée, on n'a pas forcément les mêmes analyses, même si, pour ma part – je vous le dis, mes chers collègues –, je n'ai pas trouvé le débat tel qu'il a lieu en Algérie beaucoup plus modéré que ce que vous appelez le débat « tendu » en France. À écouter certains ministres algériens parler de la France, c'est même le moins que l'on puisse dire : leurs propos relèvent quasiment de la provocation, voire de l'insulte.

Chaque État est libre, et c'est heureux, de gérer ses affaires, de gérer la manière dont il envisage la politique migratoire. La France n'a pas à faire de commentaires sur les politiques migratoires de l'Algérie, du Maroc ou de la Tunisie à l'égard des populations subsahariennes, par exemple. Or, chacun le sait, on ne peut pas dire que ces politiques soient toujours très respectueuses des droits de l'homme, de l'humanité, de tout ce que l'on veut. Dans des pays qui sont y compris des pays amis, l'immigration subsaharienne n'est pas facilement acceptée et fait même l'objet d'un rejet assez brutal.

La France a la maîtrise – c'est normal – de sa politique migratoire. Des accords ont été conclus avec l'Algérie. Je ne reviens pas sur tous ces ressortissants algériens sous OQTF dont elle n'accepte pas le retour, mais, dès lors que l'Algérie ne respecte pas ces accords, il n'y a pas pléthore de possibilités.

En tout état de cause, je demande au gouvernement français de se montrer un tant soit peu uni dans sa manière de s'exprimer : ça peut aider !

Que le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de l'intérieur adoptent le même vocabulaire, ça peut aider – il doit bien y avoir le téléphone, quand même, dans leurs bâtiments respectifs ! (Sourires.) Je m'adresse à eux : ayez le même discours et dites la même chose, parce que rien n'est pire que de laisser supposer aux gouvernants algériens que les dissensions internes au gouvernement français pourraient leur permettre de poursuivre à l'égard de notre pays une politique qui ne soit pas une politique d'équilibre.

Il n'y a pas pléthore de possibilités, disais-je : les choses sont simples. Soit les accords sont respectés, l'Algérie reprend ses ressortissants sous OQTF, la France fait valoir ses règles et il n'y a pas de sujet – on continue ; soit ce n'est pas le cas, pour des raisons diverses – ce n'est pas la peine d'y revenir –, et, le cas échéant, soit on révise les accords de 1968 et les modifications qui y ont été apportées depuis lors, soit on les annule pour négocier autre chose.

Mais la relation d'État à État ne saurait se fonder sur l'idée que l'ancienne puissance coloniale a forcément tort, parce qu'elle est l'ancienne puissance coloniale, et l'ancienne puissance colonisée forcément raison, même si elle ne respecte pas les accords, parce qu'elle est l'ancienne puissance colonisée…

Il faut malgré tout qu'un certain équilibre soit respecté ! Je connais beaucoup de responsables algériens en France qui – on me pardonnera de le dire ainsi – sont les premiers à faire état de la tendance naturelle du gouvernement algérien à donner dans l'« anti-France » afin de ressouder autour de lui la population, alors qu'il se trouve contesté par le Hirak, contesté par les intellectuels, contesté par les Kabyles, en un mot : contesté. Le plus simple, quand on veut refaire l'unité, c'est de s'en prendre à la nation colonisatrice… C'est ce qui s'est passé aussi, d'ailleurs, au Mali, au Burkina Faso ou dans d'autres États.

Pour ma part, je n'appelle ni à la fermeté ni à la facilité. Faites respecter la France, faites respecter les accords internationaux, et tout ira bien. Si l'Algérie respecte les accords, très bien ; si l'Algérie ne les respecte pas, la France, elle, se fera respecter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les accords franco-algériens dans le domaine de l'immigration et de la circulation des personnes.

8

candidature à une commission

M. le président. J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la commission des lois a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quarante-cinq,

est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)

PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

9

Nomination de membres français dans certaines institutions européennes

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes, présentée par M. Jean-François Rapin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 218, texte de la commission n° 358, rapport n° 357, avis n° 375).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons étudier ce soir la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes.

Je voudrais tout d'abord adresser mes remerciements à nos rapporteurs, Agnès Canayer pour la commission des lois et Pascal Allizard, qui est représenté ce soir par Hugues Saury, pour la commission des affaires étrangères, ainsi qu'à la présidente de la commission des lois, avec qui nous avons beaucoup échangé.

Je remercie également Philippe Bas : nous avons travaillé ensemble sur cette question avant sa nomination au Conseil constitutionnel.

Je remercie les présidents de groupe Mathieu Darnaud et Hervé Marseille, ainsi que les 112 collègues – tous groupes confondus, ce que je salue particulièrement – qui ont cosigné cette proposition de loi, dont une majorité des membres de la commission des affaires européennes.

Je remercie enfin le président Larcher, ainsi que la conférence des présidents : j'ai été agréablement surpris par la rapidité avec laquelle il a été procédé à l'inscription à notre ordre du jour de cette proposition de loi déposée en décembre dernier.

Ce texte vient de loin, monsieur le ministre ; vous le savez, car nous nous côtoyons, depuis que vous êtes au Gouvernement, dans le cadre de nos fonctions respectives.

Il provient du combat que je mène depuis que je suis président de la commission des affaires européennes du Sénat pour que les parlements nationaux puissent consolider leur influence dans le jeu institutionnel européen.

Il est aussi issu du travail que j'ai conduit sur ce sujet durant la présidence française de l'Union européenne avec mes collègues des chambres des autres États membres ; la majeure partie des propositions que nous avions faites dans ce cadre ont été endossées par la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) lors de sa dernière réunion.

Il est issu également de mes échanges avec mes homologues des autres États membres de l'Union européenne et s'inspire de leur expérience en la matière. En effet – cela sera rappelé, je n'en doute pas, au cours de cette soirée –, dix parlements nationaux participent au processus de désignation du commissaire européen de leur pays, certains au travers de leur commission des affaires européennes, d'autres au travers de commissions spéciales. Neuf parlements participent au processus de désignation du candidat à la Cour des comptes européenne et onze au processus de nomination des candidats au Tribunal et à la Cour de justice de l'Union européenne.

J'ajoute que le groupe de travail sénatorial sur la réforme des institutions présidé par Gérard Larcher avait également, parmi les propositions formulées dans son rapport de mai 2024 pour redynamiser la démocratie, appelé à davantage associer le Parlement à la désignation des membres français des juridictions européennes. Ainsi avait-il proposé que soit au minimum organisée une audition des candidats présentés par la France aux postes de juge à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) par les commissions spécialisées des deux assemblées parlementaires.

Le texte initial de cette proposition de loi prévoit, dans son article 1er, une audition obligatoire par la commission des affaires européennes de chaque assemblée du Parlement, ouverte à l'ensemble des membres des commissions permanentes, du candidat national pressenti au poste de commissaire européen. Il est prévu que cette audition soit publique, sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale, ce qui est bien normal.

Aux termes de la proposition de loi, l'audition doit se tenir au moins huit jours après que le nom du candidat dont la nomination est envisagée a été rendu public, afin de laisser aux parlementaires un temps suffisant pour préparer l'audition. À l'issue de l'audition serait organisé un vote consultatif, auquel prendraient part les parlementaires ayant assisté à l'audition, visant à émettre un avis simple sur la désignation du candidat pressenti.

Je proposerai que nous amendions chacun des trois articles du texte afin de les clarifier et de modifier quelque peu les procédures qu'ils prévoient, tenant compte, ce faisant, du travail que j'ai mené avec les différentes commissions après le dépôt de la proposition de loi. Je m'étais en effet engagé auprès des commissions à déposer des amendements visant à concrétiser ce travail en reformatant la rédaction proposée conformément à ce qu'elles souhaitaient.

L'article 2, dans son état initial, précisait les modalités d'organisation d'une audition obligatoire du candidat national pressenti au poste de membre de la Cour des comptes européenne. Le dispositif prévoit que le candidat sera entendu par la commission des affaires européennes de chaque assemblée dans le cadre d'une audition ouverte aux membres de la commission des finances. Il est précisé, comme dans l'article 1er, que l'audition est publique, qu'elle doit se tenir au moins huit jours après que le nom du candidat pressenti a été rendu public et qu'un vote non contraignant est organisé. J'amenderai cet article dans le même esprit déjà indiqué précédemment.

L'article 3 a trait, selon les mêmes conditions, à ceci près que c'est la commission des lois et non la commission des finances, cette fois, qui est concernée, à l'audition obligatoire des candidats aux fonctions de juge et d'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne et de juge du Tribunal de l'Union européenne. Je l'amenderai de la même façon pour clarifier la procédure applicable.

Je veux souligner qu'une telle démarche n'interfère en rien avec les négociations sur les portefeuilles des commissaires européens et que le dispositif proposé n'est en rien contraire aux dispositions des traités européens.

Voilà pour l'état des lieux.

Sur un plan plus politique, j'entends déjà les récriminations, celles du Gouvernement, en particulier, quant au fait que ces nominations relèvent du domaine réservé.

Peut-on considérer aujourd'hui, monsieur le ministre, que les affaires européennes n'ont pas évolué depuis l'écriture des textes européens et de notre Constitution ? N'y a-t-il pas, à ce jour, une intrication forte entre le domaine réservé du Président de la République, les orientations du Gouvernement et la parole du Parlement national sur les institutions européennes ?

Monsieur le ministre, vous qui étiez déjà ministre chargé des affaires européennes sous le gouvernement Barnier, vous étiez, et j'avais trouvé cela significatif, le seul ministre à avoir deux fois votre photo sur l'organigramme du Gouvernement : une fois au titre de votre rattachement au Quai d'Orsay et une fois sous l'autorité directe du Premier ministre. N'était-ce pas significatif de ce pouvoir partagé ?

Et, malgré la séparation des pouvoirs, pourquoi le Parlement n'aurait-il pas son mot à dire en matière de nomination dans les instances européennes ?

J'entends aussi, par ailleurs, les procès en inconstitutionnalité. Croyez-vous que le président de la commission des affaires européennes, seule commission constitutionnelle, voudrait trahir ou détourner la Constitution ? Non ! Mon souci est purement celui de l'ouverture de notre démocratie : par ce biais, je souhaite seulement faire avancer et, peut-être, dynamiser nos institutions.

On a inventé, en sus de la démocratie représentative, la démocratie participative. Quant à moi, je suis pour la démocratie tout court. Ce texte, monsieur le ministre, en est un exemple. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Agnès Canayer, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par le président Jean-François Rapin, dont nous débattons ce soir, vise à assurer un rééquilibrage des pouvoirs entre l'exécutif et le Parlement pour ce qui est de la nomination à certaines fonctions européennes ; c'est à une anomalie démocratique qu'il est ainsi répondu.

Le texte part d'un constat simple : en France, et à la différence de ce qui se passe dans d'autres États membres de l'Union européenne, la désignation des candidats à certaines fonctions éminentes au sein des institutions européennes échappe totalement au regard du Parlement.

Si la séparation des pouvoirs est un principe cardinal de nos institutions, elle ne saurait exclure une collaboration entre le Parlement et l'exécutif, a fortiori dès lors que l'objectif est celui d'une plus grande transparence démocratique.

Au regard de la place croissante qu'occupe le droit de l'Union européenne dans notre ordre juridique, au regard aussi des conséquences qu'emportent certaines décisions de la Cour de justice de l'Union européenne ou de la Commission européenne, l'absence d'association du Parlement à la désignation des candidats est regrettable.

Le feuilleton de la désignation du nouveau commissaire européen, l'été dernier, a démontré les limites du silence de notre droit positif, qui laisse aux « autorités nationales » toute liberté pour choisir le candidat français. La désignation de Thierry Breton au mois de juillet, puis son remplacement dans la précipitation par Stéphane Séjourné en septembre, sans aucune concertation et par simple communiqué de presse, ont pu légitimement susciter certaines interrogations.

Cette proposition de loi agit comme un révélateur de l'opacité des conditions de cette désignation et de l'absence du Parlement français dans le processus. Cette anomalie avait d'ailleurs déjà été révélée par les travaux du Sénat.

La proposition de loi prévoit donc de soumettre à une audition préalable les candidats pressentis pour occuper les fonctions de commissaire européen – c'est l'article 1er –, de membre de la Cour des comptes européenne – c'est l'article 2 – et de juge ou d'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne ou de juge du Tribunal de l'Union européenne. En effet, si les fonctions visées sont exercées au sein des institutions de l'Union européenne, le choix des candidats est une question purement nationale. Les traités européens laissent en effet libre choix aux États membres de déterminer comment les candidats sont proposés et surtout par qui.

Pour ce qui est de savoir quelle est l'autorité compétente, l'usage récent semble réserver au Président de la République le soin d'annoncer par courrier le choix des autorités françaises, et le rôle du Premier ministre n'est absolument pas clair.

La compétence exclusive du Président de la République, comme l'a dit le président Rapin, ne trouve aucun fondement évident dans la Constitution ; je pense notamment à son article 13, qui ne mentionne que le pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires de l'État français.

Par ailleurs, une telle compétence exclusive ne peut être rattachée à un quelconque « domaine réservé » du Président de la République. En l'espèce, je fais mienne l'interprétation qui est celle de Philippe Bas, désormais membre du Conseil constitutionnel. En effet, la participation de la France à l'Union européenne et l'exercice en commun des politiques publiques relèvent avant tout de la conduite de la politique de la Nation, que l'article 20 de la Constitution confie au Premier ministre, responsable devant le Parlement.

Afin de garantir l'unité de la voix de la France, il est donc opportun d'affirmer clairement la compétence conjointe du Président de la République et du Premier ministre, doté d'un pouvoir de proposition, pour ce qui est de procéder à ces désignations – tel est l'objet des amendements du président Rapin.

Concernant la procédure, si l'esprit de la proposition de loi est tout à fait conforme à l'objectif de son auteur, certaines dispositions paraissent un peu baroques.

Le texte prévoit en effet que les auditions se font devant la commission des affaires européennes de chaque assemblée et sont ouvertes, pour le candidat pressenti au poste de commissaire européen, à l'ensemble des membres des commissions permanentes ; pour le candidat pressenti au poste de membre de la Cour des comptes européenne, aux membres des commissions des finances ; pour les candidats à la fonction de juge ou d'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne ou de juge du Tribunal de l'Union européenne, aux membres des commissions des lois.

À l'issue de ces auditions, seuls les parlementaires présents à l'audition peuvent voter et émettre ainsi un avis simple, qui ne lie pas l'auteur de la proposition de désignation.

Cette proposition de loi suscite donc quelques réserves. J'espère que les amendements qui ont été déposés afin de clarifier la procédure et les rôles respectifs des commissions permanentes et de la commission des affaires européennes seront adoptés.

Ainsi, il serait préférable, et conforme aux attributions respectives de l'ensemble de ces commissions, que le vote appartienne à la commission permanente compétente, qui se prononcerait après avoir été préalablement éclairée par un avis de la commission des affaires européennes.

Enfin, cette proposition de loi appelle une remarque de fond sur sa conformité à la Constitution, question que le Gouvernement ne manquera pas de soulever.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière peut apparaître extrêmement stricte à la première lecture puisqu'elle conclut que la séparation des pouvoirs s'oppose à subordonner le pouvoir de nomination du Président de la République ou du Premier ministre à une simple audition par le Parlement, sauf si une disposition constitutionnelle le prévoit.

En l'espèce, la désignation des candidats, qui participe de la politique européenne de la France, est non pas une nomination à proprement parler, mais une simple proposition de nomination.

En effet, les nominations sont prononcées par les instances européennes, non par les autorités françaises, qui n'ont qu'un simple pouvoir de proposition. En outre, l'avis qui serait rendu par les commissions permanentes ne serait qu'un avis simple, le Président de la République serait totalement libre de son choix.

Ainsi, si le risque constitutionnel existe, il ne doit pas faire obstacle à l'adoption de ce texte, dont l'objectif démocratique n'est pas contestable.

Je souhaite enfin écarter deux objections soulevées à l'encontre de ce texte.

En premier lieu, la consultation préalable du Parlement risquerait de compromettre les chances de nomination du commissaire européen ou encore de fragiliser la posture de la France dans les négociations sur l'étendue de son portefeuille.

Je pense qu'il n'en serait rien. L'actualité montre d'ailleurs que le fait du prince ne garantit pas l'influence de notre pays, particulièrement si le candidat est perçu comme étant celui du Président de la République et non celui de la France. Au contraire, l'avis favorable des commissions compétentes ne pourrait que renforcer la position de la France et celle du candidat.

En outre, la consultation du Parlement conduirait également l'exécutif à être particulièrement vigilant sur la qualité et l'expérience des candidats qu'il envisagerait de désigner.

En second lieu, la consultation du Parlement sur la nomination des juges ne porterait atteinte ni à leur indépendance ni à leur impartialité, sachant que leurs décisions ont parfois des conséquences directes sur l'exercice du pouvoir législatif et sur l'action publique, comme en témoignent les décisions de la CJUE relatives au temps de travail des militaires ou à la conservation des données personnelles.

Le Parlement a donc toute sa place. Grâce à ces auditions, il s'agirait notamment de connaître la vision des candidats et de vérifier leur aptitude à réfléchir à l'articulation des systèmes juridiques européens et nationaux. L'association du Parlement à ces désignations est non seulement légitime, mais elle relève d'une véritable nécessité démocratique.

Mes chers collègues, il ne nous est pas donné tous les jours de défendre les droits et le rôle du Parlement. Ce texte nous en offre l'occasion et il nous appartient de la saisir. C'est pourquoi la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi, modifiée par les amendements présentés par Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hugues Saury, en remplacement de M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai ce soir la voix du rapporteur pour avis Pascal Allizard, pour qui la proposition de loi du président Jean-François Rapin soulève des questions d'un vif intérêt juridique et d'une grande importance politique.

Ses trois articles prévoient de faire précéder d'une audition parlementaire le choix des candidats français destinés à siéger à la Commission, à la Cour des comptes et dans les institutions judiciaires européennes.

Mieux partager le pouvoir de nomination pour rééquilibrer les institutions a été un objectif partagé dès avant la réforme de 2008. Plus récemment, Philippe Bonnecarrère, dans son rapport sur la judiciarisation de la vie publique en 2022, puis le groupe de travail présidé par le président Larcher dans le sien en 2024 ont proposé un tel mécanisme pour les membres français de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour européenne des droits de l'homme.

Dans ce contexte, nul ne comprendrait qu'une fonction aussi importante que celle de commissaire européen reste l'objet de tractations de couloir au sommet de l'État.

Le secrétariat général du Gouvernement (SGG) estime toutefois que la jurisprudence du Conseil constitutionnel fait obstacle à cette initiative. Le principe de séparation des pouvoirs empêche en effet, selon le juge, que le pouvoir de nomination par une autorité administrative soit subordonné à une audition parlementaire.

L'application de cette jurisprudence au choix du commissaire européen n'est cependant pas évidente. D'abord, quelle est, au juste, la procédure en cause ?

Nos textes n'en disent rien et la doctrine à peine davantage. La dernière thèse de droit public consacrée au pouvoir de nomination du Président de la République, que l'on trouve en ligne, par exemple, n'en parle pas. Ses neuf cents pages ne prouvent donc rien, mais elles jettent le doute sur la prétention du secrétariat général du Gouvernement à trancher la question dans les quelques paragraphes qui nous ont été transmis. Selon lui, la désignation des candidats aux institutions européennes est « assimilable à une nomination », dont la compétence de principe est conférée par la Constitution à l'exécutif seul.

Notre commission des affaires étrangères n'est certes pas compétente au fond en matière constitutionnelle, mais elle l'est sur les questions européennes. Cela tombe bien, car c'est dans le traité sur l'Union européenne que se trouve la base juridique pertinente. Son article 17 prévoit que le Conseil propose un collège de commissaires à l'approbation du Parlement européen sur la base des « suggestions faites par les États membres », avant nomination par le Conseil européen.

Si « suggestion » valait nomination, la candidature de Mme Sylvie Goulard, par exemple, n'aurait pas été rejetée par le Parlement européen en 2019. Le terme de « suggestion » est même si peu précis que la présidente réélue von der Leyen s'est crue autorisée, cet été, à exiger de l'Irlande et de la Bulgarie qu'elles proposent chacune une liste d'au moins deux candidats, dont un homme et une femme.

La décision des États emporte donc trop peu d'effets prévisibles pour qu'on puisse la qualifier d'acte de nomination au sens du droit administratif français. Mais l'emploi que le candidat est appelé à occuper n'entre pas non plus facilement dans nos cases juridiques habituelles.

Le Président de la République a un pouvoir général de nomination « aux emplois civils et militaires de l'État », et le Premier ministre un pouvoir subsidiaire de nomination « aux emplois civils et militaires », car c'est lui qui « dirige l'action du Gouvernement », lequel « détermine et conduit la politique de la Nation ».

Le traité précise cependant que la Commission européenne « promeut l'intérêt général de l'Union », qu'elle exerce « ses responsabilités en pleine indépendance » et que ses membres ne sollicitent ni n'acceptent « d'instructions d'aucun gouvernement, institution, organe ou organisme ». Dès lors, comment rattacher la désignation de ses membres au pouvoir que l'exécutif exerce pour le bon fonctionnement de l'État ?

Disons les choses autrement. Le pouvoir de nomination, depuis l'âge classique, est l'une des plus importantes marques de souveraineté. L'exécutif en dispose, car, juridiquement, il dirige l'administration et, politiquement, il exerce une magistrature d'influence.

Néanmoins, le commissaire européen incarne par hypothèse la délégation de souveraineté. Juridiquement et politiquement, il surplombe les États membres, contraint et concurrence leur activité législative et rivalise d'influence avec eux. Voilà d'ailleurs des décennies que la science politique décrit sa transformation progressive en véritable responsable politique au fur et à mesure que l'Union accumule les compétences.

C'est pourquoi ranger à toute force le choix du commissaire dans les cases de l'article 13 de la Constitution pour conforter la prérogative présidentielle a quelque chose d'un peu paradoxal. Le refus opposé au Parlement d'y jeter ne serait-ce qu'un regard est difficilement justifiable.

La commission des affaires étrangères est donc reconnaissante au président Rapin de son initiative et de l'attention qu'il a prêtée à nos remarques au cours des travaux préparatoires. Ses amendements visent à clarifier la procédure et le format des auditions, mais aussi à expliciter le rôle des commissions compétentes pour les affaires étrangères dans l'audition du futur commissaire. Ils nous satisfont donc pleinement.

Sous réserve de leur adoption, notre commission a émis un avis favorable sur l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le président de la commission des affaires européennes, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier pour l'échange que nous allons avoir ce soir sur les principales nominations dans les institutions européennes.

C'est une question fondamentale pour l'influence de la France à l'échelon européen. Cette séance traduit, une fois de plus, l'importance qu'accorde votre chambre aux affaires européennes, ce dont je me réjouis, à la fois en tant que ministre délégué à l'Europe, mais aussi en tant qu'ancien député attaché à la diplomatie parlementaire.

Je remercie le président Rapin d'avoir initié, par cette proposition de loi, cet échange. Je salue également le travail de la commission qu'il préside, au service de notre politique européenne. Notre action s'en nourrit quotidiennement, ce dont je me félicite.

Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n'est pas en mesure d'apporter son soutien à cette proposition de loi.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. Dommage !

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. En premier lieu, ce texte méconnaît la séparation des pouvoirs consacrée par notre Constitution.

En effet, comme l'a très justement rappelé Mme Canayer dans son rapport pour la commission des lois, le Conseil constitutionnel, dans ses décisions du 13 décembre 2012 et du 13 août 2015, « juge qu'en dehors de la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution, le principe de la séparation des pouvoirs fait obstacle à ce que le pouvoir de nomination du Président de la République ou du Premier ministre soit subordonné même à la simple audition par le Parlement de la personne dont la nomination est envisagée ».

Lorsque la France propose des candidats au sein de la Commission européenne, de la Cour de justice de Luxembourg ou de la Cour des comptes de l'Union européenne, ces propositions sont assimilées, sans ambiguïté, à des nominations au sens et pour l'application de notre Constitution.

Le fait que les désignations dont il s'agit ici relèvent de la conduite des relations internationales conforte encore le risque d'inconstitutionnalité du dispositif au regard des prérogatives de l'exécutif dans ce domaine. Les propositions d'amendements soumises depuis n'écartent aucunement cette difficulté.

La jurisprudence est donc sans équivoque et devrait résonner en vous qui, en tant que parlementaires, êtes les défenseurs des institutions et du droit. À lui seul, le constat relatif au risque d'inconstitutionnalité du texte suffit à exclure le soutien du Gouvernement.

Au-delà de ces remarques sur la lettre du droit, que le président Rapin avait anticipées (M. le président de la commission des affaires européennes sourit.), c'est l'esprit des institutions de la Ve République qui est en quelque sorte malmené par cette proposition de loi.

Dans cet esprit, l'exécutif, tout particulièrement le Président de la République, dispose en effet d'importantes prérogatives dans la conduite de la politique étrangère de la Nation, qualifiée, par Jacques Chaban-Delmas le premier, de « domaine réservé ». C'est en sens que le général de Gaulle affirmait lors du discours de Bayeux en 1946, dans le cadre de sa réflexion sur l'avenir de nos institutions, au lendemain de la libération de la France : « Il faut que l'autorité cesse d'être diluée et que le pouvoir exécutif puisse agir sans entrave dans son domaine propre. »

Tous les présidents, quelle que soit leur appartenance politique, ont depuis maintenu la spécificité de ce domaine réservé. Le renouvellement institutionnel de la Commission européenne, l'une des négociations les plus stratégiques à l'échelon européen, relève indubitablement de la conduite de la politique étrangère et européenne de la Nation. En soumettant le pouvoir d'action du Président de la République à une audition parlementaire, cette proposition va à l'encontre de la philosophie qui a présidé jusqu'alors au fonctionnement de nos institutions.

Surtout, il s'agit là non pas d'une simple considération de principe, mais bien d'une nécessité pour préserver notre intérêt national. Vous le savez, la nomination des nouveaux membres de la Commission est l'aboutissement d'une longue et difficile négociation. Celle-ci porte non seulement sur le nom du commissaire français, mais également sur son portefeuille. Ces deux éléments, qui ne sont pas dépourvus de liens, peuvent évoluer jusqu'à la toute fin de la négociation.

Pour mettre toutes les chances de notre côté et permettre à la France de bénéficier du portefeuille le plus favorable possible, il convient donc de préserver pleinement les marges de manœuvre du Président de la République. Or la procédure formelle qui est proposée ici contraindrait l'exécutif et priverait de souplesse le Président de la République. Ce domaine réservé est bien une force pour notre pays et une garantie d'agilité dans la prise de décision. C'est précisément ce qui manque à beaucoup de nos voisins européens, qui voient là un atout de notre politique étrangère.

Par ailleurs, en projetant nos débats internes dans l'arène européenne et en exposant cette nomination au risque d'instrumentalisation politique, nous prendrions le risque d'affaiblir la voix de la France et de fragiliser le commissaire français. En effet, un candidat mis en cause ou désavoué par le Parlement national, quelles qu'en soient les raisons, risquerait de fragiliser notre posture dans ces négociations, où il importe d'afficher un front uni – ce qui, là encore, a souvent été l'une de nos forces, au-delà des débats politiques qui peuvent agiter la France.

Des exemples récents dans certains pays de l'Union européenne ont montré que l'instrumentalisation politique interne pouvait affaiblir le pays lors de la négociation du portefeuille.

Le risque de politisation des nominations de juges à la CJUE et de magistrat à la Cour des comptes européenne par le biais d'une audition parlementaire n'est pas non plus négligeable. Il pourrait d'ailleurs constituer une entorse au principe d'indépendance et d'impartialité des candidats, comme certains d'entre vous l'ont bien noté. Le Gouvernement s'oppose donc également aux articles de la proposition de loi se rattachant à ces nominations. Avec cette proposition, c'est la voix de la France que nous prendrions le risque d'affaiblir.

Vous avez mentionné le rattachement des parlements nationaux aux débats européens. À l'inverse, je me permets de rappeler ici que le choix du commissaire européen est lui-même approuvé par le Parlement européen, et que notre commissaire actuel, qui est vice-président exécutif de la Commission, a été élu avec les voix du parti populaire européen (PPE), des socialistes, de Renew, des Verts et des conservateurs européens ! À cet égard, la démocratie européenne s'exerce bien au travers du Parlement élu.

Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs, le risque d'inconstitutionnalité de l'intervention du Parlement dans les nominations, ainsi que son caractère inopportun, à notre sens, au regard des enjeux évoqués, ne signifie aucunement qu'il n'ait aucun rôle à jouer. Je rejoins en cela les propos des précédents intervenants. Au contraire – et je m'exprime ici en tant qu'ancien député –, l'association du Parlement à la politique européenne de la Nation – la diplomatie parlementaire – est essentielle.

Je rappelle cependant que la plupart des démocraties parlementaires européennes, et non des moindres, à l'instar de l'Allemagne, des Pays-Bas ou des pays nordiques, ne connaissent pas une telle procédure. Cela n'empêche pas leurs parlements d'être étroitement associés à la politique européenne de la nation, au travers de leurs commissions, des résolutions ou des débats régulièrement organisés sur la politique étrangère.

Aujourd'hui même, vous avez eu deux débats sur des sujets de politique étrangère dans cet hémicycle, le premier sur l'Ukraine, le second, auquel j'ai eu l'honneur d'assister, sur la relation bilatérale avec l'Algérie et sur notre politique migratoire.

Je mesure bien évidemment toute l'importance de ces échanges lorsque je me rends ici au Sénat, mais également à l'Assemblée nationale, avant et après chaque Conseil européen, pour vous rendre compte des positions que la France porte auprès des institutions européennes.

Je sais également à quel point votre chambre se saisit pleinement, par l'organisation de débats, des principales questions de l'actualité européenne. Nous avons ainsi déjà eu l'occasion de débattre de l'influence de la France en Europe.

Ces débats contribuent activement à faire vivre les enjeux européens dans cette assemblée et à rendre, je l'espère, plus lisible pour nos concitoyens l'action européenne de la France.

La réforme constitutionnelle de 2008 a également apporté son lot de progrès. Je pense à l'extension de la portée de l'article 88-4 de notre Constitution, qui conduit le Gouvernement à soumettre au Parlement, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets de réglementations européennes. Nous le savons, ce dispositif est perfectible, car il se heurte souvent au rythme législatif de Bruxelles. Toutefois, il vous revient d'en exploiter toutes les possibilités. Vous pouvez compter sur l'appui du Gouvernement en ce sens.

Vous aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, jouez d'ailleurs directement un rôle majeur au travers des instances interparlementaires européennes, notamment la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), qui, j'en suis convaincu, est une enceinte extrêmement importante et dans laquelle vous êtes particulièrement mobilisés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi traduit une volonté sincère de renforcer l'implication du Parlement dans les affaires européennes. Cependant, selon notre interprétation, ce texte ne contribuerait pas au renforcement de notre influence à Bruxelles. Il remettrait directement en question la marge de manœuvre du Président de la République dans une négociation déterminante pour notre pays. En outre, il présente un risque d'inconstitutionnalité.

J'entends votre message, et je répète la disponibilité du Gouvernement pour échanger régulièrement sur les priorités européennes. Au-delà du débat que nous aurons ce soir, je me tiens à votre disposition pour vous rendre des comptes et écouter vos propositions. C'est dans le respect de nos institutions et dans la complémentarité de nos actions que nous pourrons assurer la place de la France en Europe.

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, durant les premières décennies de leur construction, les institutions européennes ne passionnaient pas les foules. Aujourd'hui encore, il est souvent reproché à l'Union européenne d'être technocratique, voire déconnectée du réel, du quotidien et des préoccupations de nos concitoyens.

Au fil des années, le rôle de l'Union européenne a été étendu. De crise en crise, les Européens ont été conduits à prendre conscience de l'impérieuse nécessité de s'unir plus étroitement.

Les partis des extrêmes pouvaient encore, il y a quelques années, proposer de quitter l'Union européenne. Désormais, sans doute grâce au contre-exemple du Brexit, plus personne n'est assez irréaliste pour prétendre qu'un pays européen, seul, pourrait faire face aux grandes puissances régionales du monde. L'invasion de l'Ukraine par Poutine, les manœuvres de Pékin ou encore l'inconstance de notre allié américain laissent au contraire penser que le renforcement du rôle de l'Union européenne devrait se poursuivre.

À mesure que le pouvoir de ces instances s'accroît, notamment celui de la Commission européenne, les nominations deviennent de plus en plus stratégiques.

Ce raisonnement a conduit le président Rapin à déposer la proposition de loi que nous examinons ce soir. Son objet est de renforcer la place du Parlement dans les nominations des candidats aux fonctions de commissaire européen, de membre de la Cour des comptes européenne ou encore de juge ou d'avocat général près les juridictions l'Union européenne.

Le texte prévoit ainsi que les candidats pressentis seront auditionnés par les commissions du Parlement, auditions qui seraient suivies d'un vote consultatif.

La perspective du renforcement des prérogatives du Parlement est toujours séduisante. Elle ne doit cependant pas nous conduire à méconnaître les principes essentiels de la démocratie, notamment celui de la séparation des pouvoirs.

Les rapporteurs ont exposé la fragilité constitutionnelle du texte. Ces nominations relèvent en effet de l'exécutif.

Mme la rapporteure a toutefois indiqué en commission qu'il ne revenait pas à la commission des lois d'anticiper la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cette position peut étonner lorsque l'on connaît la très grande sensibilité avec laquelle les commissions de notre assemblée appliquent les irrecevabilités au titre des articles 40 et 45 de la Constitution !

En réalité, ce texte est inconstitutionnel. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est parfaitement claire à cet égard, comme l'a souligné la commission des lois dans son rapport.

Sous réserve du dépôt en séance publique d'amendements destinés à apporter des correctifs ne pouvant être qu'insuffisants, la commission a adopté sans modification un texte qu'elle sait inconstitutionnel, ce qui suscite de fortes interrogations de notre part.

Le texte que nous examinons ne semble pas avoir vocation à prospérer, ni encore à être promulgué. Il s'agit d'une proposition d'appel, que nous saluons. Néanmoins, nous considérons que tel ne doit pas être l'objet d'un texte de loi. Faut-il prendre ainsi le risque de fragiliser nos institutions afin de permettre le cas échéant à certains d'exprimer leur désapprobation à l'égard des nominations ?

« Les formes sont les divinités tutélaires des associations humaines », écrivait Benjamin Constant. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires considère qu'il faut avant tout veiller à préserver les institutions de notre démocratie.

L'inconstitutionnalité de ce texte devrait amplement suffire à entraîner son rejet. Nous devons cependant également examiner les conséquences que son adoption entraînerait.

Les candidats resteraient choisis par le pouvoir exécutif. Le Parlement serait consulté sans pouvoir s'opposer à la nomination, mais il pourrait en revanche la désavouer. Si le vote consultatif plébiscite le candidat, la situation resterait inchangée : il signifierait que le Parlement français soutient le candidat français. A contrario, si le vote traduisait la défiance du Parlement, le candidat de la France s'en trouverait affaibli. À cet égard, même une absence d'unanimité pourrait suffire à éroder sa légitimité.

Finalement, cette proposition de loi ne renforcerait aucunement la légitimité du candidat français, mais elle permettrait assurément au Parlement de l'affaiblir. Les divisions politiques intérieures sont une conséquence tout à fait normale de la démocratie. En revanche, il nous semble que les afficher sur la scène internationale pourrait affaiblir la France.

Quand bien même le Parlement verrait son pouvoir s'accroître, nous estimons qu'une telle réforme serait préjudiciable à notre pays. Pour que la France continue de peser au sein des institutions européennes, il nous paraît essentiel que les candidats français ne soient pas fragilisés.

Par conséquent, j'ai le regret de vous dire que le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par notre collègue Jean-François Rapin, que je remercie pour son initiative, répond à une exigence démocratique fondamentale : permettre au Parlement national d'exercer un droit de regard sur la désignation des représentants français à des postes clés au sein des institutions européennes.

Ce texte s'inscrit pleinement dans le prolongement des réflexions menées au sein du groupe de travail transpartisan du Sénat sur les institutions, dont le rapport a été publié en mai 2024.

Aujourd'hui, force est de constater que ces nominations, bien que stratégiques pour notre pays, sont décidées sans que le Parlement ne soit associé au processus. Cela a été particulièrement évident lors de la récente désignation du candidat français à la Commission européenne, intervenue dans des conditions qui ont soulevé de légitimes interrogations.

Une telle situation ne peut plus perdurer si nous voulons restaurer la confiance de nos concitoyens dans nos institutions, affirmer la place de la France en Europe et donner une réelle légitimité aux représentants français face à leurs homologues européens. Pas d'affaiblissement, donc, mais un renforcement de la position de la France !

Cette proposition de loi vise ainsi à combler une lacune en instituant un mécanisme d'audition parlementaire préalable pour les candidats français à certaines fonctions européennes : commissaires européens, membres de la Cour des comptes européenne, juges et avocats à la Cour de justice de l'Union européenne et juges au tribunal de l'Union européenne.

Ces auditions, qui seront ouvertes aux commissions permanentes compétentes de chaque assemblée, garantiront un débat transparent et permettront d'évaluer les compétences et l'indépendance des candidats.

À l'issue de ces auditions, un vote sera organisé, offrant ainsi au Parlement la possibilité de prendre position, sans pour autant remettre en cause les prérogatives de l'exécutif.

Mme la rapporteure a déjà parfaitement décrit l'ensemble de la procédure et ses enjeux. D'ailleurs, dix États membres de l'Union européenne associent déjà leurs parlements nationaux à la désignation de leurs commissaires européens, onze pays à celle des membres des juridictions européennes et neuf à celle des membres de la Cour des comptes européenne.

Cette proposition de loi s'inscrit donc dans une véritable dynamique européenne de consolidation du rôle des parlements nationaux.

La nomination des membres français des institutions européennes n'est pas une question purement formelle. Elle engage notre crédibilité collective et l'efficacité de ses représentants sur la scène européenne.

En effet, comme le rappelle Jean-François Rapin dans son exposé des motifs : « Cette nouvelle procédure permettrait d'évaluer les qualifications et l'expérience du candidat au regard des fonctions qu'il est appelé à exercer, mais aussi d'éclairer la représentation nationale sur les orientations que le candidat entend soutenir s'il est confirmé dans ses fonctions. » Ces nominations doivent être perçues non plus comme des décisions prises unilatéralement, mais bien comme un processus transparent et démocratique.

La représentation nationale doit jouer pleinement son rôle en éclairant la pertinence des candidatures proposées par l'exécutif.

Par ailleurs, cette initiative est cohérente avec l'esprit de la révision constitutionnelle de 2008, qui a renforcé le contrôle du Parlement sur certaines nominations nationales. Elle s'inscrit donc dans la même logique d'équilibre des pouvoirs, en permettant au Parlement d'exercer un contrôle démocratique sur des décisions qui engagent la place de la France en Europe.

J'insiste, ce texte ne remet en cause ni les prérogatives de désignation de l'exécutif ni le domaine réservé du Président de la République. Monsieur le ministre, il s'agit non pas d'un droit de veto parlementaire, mais bien d'un outil au service de notre démocratie. Il permet d'associer le Parlement à des décisions cruciales tout en respectant les équilibres institutionnels. Il s'inscrit dans un contexte plus large de renforcement du rôle du Parlement dans les affaires européennes. Je sais que notre commission des affaires européennes y est particulièrement attachée.

Ce pas supplémentaire permettrait d'associer étroitement les Français, via leurs représentants, à des questions européennes d'une résonnance majeure. C'est notre responsabilité, en particulier au regard des actualités géopolitiques, économiques, sociales et environnementales qui heurtent, parfois, les intérêts de la France et de l'Union européenne.

Ainsi, en adoptant cette proposition de loi, le Sénat enverrait un signal fort en faveur d'un dialogue renouvelé entre les institutions européennes et les institutions nationales au sens large, d'une part, et leurs mandants – les Français –, d'autre part.

Nous avons aujourd'hui l'occasion de réaffirmer la place du Parlement national en tant qu'acteur incontournable de notre démocratie, place que je sais essentielle pour notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch.

M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis ce soir d'une initiative, a priori louable, visant à renforcer l'influence de notre Parlement dans le jeu institutionnel européen. Vous conviendrez néanmoins que l'actualité, qui s'emballe, nous appelle à l'appréhender dans un contexte différent de celui qui a dû présider à sa gestation. En tout état de cause, ce texte engage à faire preuve de la plus grande sagacité sur le processus qu'il risque d'engager.

Les troubles et les évolutions récentes de l'équilibre mondial, dont nous avons débattu aujourd'hui même avec le Gouvernement, n'auront échappé à personne. Ces tensions ont bousculé l'agenda européen dans des délais très courts, que peu d'experts avaient envisagé, sur des thématiques aussi essentielles. Après les tensions sur l'approvisionnement énergétique et celles sur l'accès aux ressources agricoles, nous voici brutalement confrontés à la question de notre défense nationale et européenne, la guerre devenant une thématique de débat dans nos assemblées.

Dans ce contexte, nous sommes tous soucieux de préserver nos intérêts nationaux au sein de l'Union européenne et de garantir nos intérêts européens face à la véhémence des puissances expansionnistes, alors que l'Union est calomniée sur la place publique mondiale et son existence même décriée. Aujourd'hui, 64 % des Français s'inquiètent de la situation en Ukraine et des risques d'embrasement de l'Europe. Cette actualité brûlante nous appelle à faire bloc et à œuvrer avec pragmatisme pour préserver l'efficacité de notre propre influence dans le processus de décision bruxellois.

Cette proposition de loi vise à rendre obligatoire une audition publique devant notre Parlement pour certaines nominations au sein des institutions européennes, suivie d'un vote à caractère consultatif. Encore une fois, si cet objectif paraît louable, il convient de s'interroger sur les conséquences pratiques d'une telle mesure dans le contexte que nous connaissons.

En ce qui concerne la nomination du commissaire européen, la consultation parlementaire préalable qui est souhaitée complexifiera sans équivoque notre processus de désignation. Or le droit de l'Union n'oblige aucunement les États membres à associer leur pouvoir législatif à cette sélection – cela a été rappelé.

Qui plus est, d'un point de vue pratique, une audition devant notre Parlement, organisée sous huitaine, sans que nous ayons connaissance du périmètre du portefeuille dont notre candidat aurait la charge, pose question quant à notre capacité d'apprécier sa candidature et d'émettre un avis pleinement éclairé.

Enfin, la comparaison des pratiques en vigueur dans certains autres États membres conduit à occulter la singularité du rôle joué au nom de la France par tous les chefs de l'État français, de gauche comme de droite, dans la construction de l'Europe depuis le début de ce grand dessein, au lendemain du dernier grand conflit mondial.

La création d'une telle contrainte interne risque de fragiliser la posture de la France, et donc son influence, au cours du processus sensible de négociation entre États membres sur les nominations ; car il s'agit bien, en effet, d'une négociation. Cette désignation s'inscrit dans un rapport de force qui appelle une proposition claire, pleine et entière de la France.

L'équipe de France pourrait-elle faire bloc, alors que la responsabilité et l'autorité des sélectionneurs sur une équipe incapable de jouer collectivement seraient totalement diluées ?

Pour ce qui concerne la nomination d'un commissaire européen, il est légitime que l'autorité mandatée soit notre exécutif : le Président de la République, qui représente l'État français au sein du Conseil européen, arrête la composition du collège soumis au Parlement européen. Le système en vigueur a le mérite de la clarté et d'une certaine efficacité. Il s'inscrit – pardonnez-moi de le rappeler – dans une tradition bien gaulliste, qui me semble partagée par nombre d'entre nous.

Permettez-moi aussi de formuler des réserves sur la conformité juridique du dispositif proposé. En effet, l'analogie du processus de nomination avec la procédure de l'article 13 de la Constitution, dont il s'inspire, est contestable. Citée par notre commission des lois, la décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012 est sans appel à cet égard et ne saurait être ignorée par notre assemblée.

Pour apprécier son caractère démocratique, nous pouvons aussi souligner que la proposition de nomination par le chef de l'État peut parfaitement être rejetée à trois occasions par les instances européennes, qui sont démocratiquement élues et au sein desquelles la voix des citoyens est représentée de façon incontestable. C'est le cas durant le processus de désignation par la voix du Conseil, où siège l'exécutif français ; lors de l'approbation du collège au Parlement européen, au sein duquel siègent les parlementaires français élus au suffrage universel direct ; enfin, lors de la nomination finale de la Commission par le Conseil.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, avec toute la considération et le respect que je porte, comme vous tous, à notre assemblée et au président Rapin, je m'interroge néanmoins sur l'opportunité de cette proposition de loi, a fortiori dans le contexte mondial que nous connaissons.

Faut-il réellement engager une révision des règles de nomination en vigueur et remettre en cause par ce biais l'autorité du Président de la République française, au moment où la France doit tenir sa place et son rang au sein de l'Union européenne ?

Faut-il porter les joutes politiciennes et les divisions extrêmes, qui rongent notre Parlement depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, au sein des institutions européennes, à ce moment crucial de notre histoire ?

Quelle sera notre capacité collective à désigner un candidat commun par la seule règle de la majorité dans les deux chambres, quand il nous a fallu trois gouvernements pour voter le budget de la Nation ?

Mes chers collègues, la fonction présidentielle est essentielle en ces temps de tensions. N'alourdissons pas le navire quand il doit affronter la tempête ! Je suis certain que ceux qui nourrissent l'ambition de prendre la barre à compter de la prochaine échéance présidentielle apprécieront de pouvoir constituer l'équipe de France en faisant preuve du sens des responsabilités, forts de la confiance des Français.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pouvoir de nomination représente, par excellence, l'acte du souverain. Historiquement, cette compétence se rattache à l'exercice du pouvoir exécutif. Les théoriciens de la souveraineté y ont même vu, à l'époque moderne, la prérogative royale la plus importante. Aussi, dans les régimes républicains, cette tradition et sa place n'ont jamais cessé d'être entre les mains du chef de l'État.

L'article 13 de la Constitution de 1958 dispose ainsi : « [Le Président de la République] nomme aux emplois civils et militaires de l'État. » Quant à l'article 21 du même texte, il consacre, sous réserve des dispositions précédentes, une compétence similaire du Premier ministre.

Dans la pratique, cette prérogative est le plus souvent restée la chasse gardée du Président de la République, et elle le restera si l'on en croit le discours que vient de tenir M. le ministre.

La révision constitutionnelle de 2008 a pourtant amorcé une inflexion nécessaire en la matière. Depuis cette date, le Parlement auditionne les personnes nommées à une cinquantaine de fonctions jugées suffisamment importantes pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à élargir les prérogatives des chambres en soumettant à une audition les candidats pressentis aux postes de commissaire européen, de membre de la Cour des comptes européenne et aux fonctions de juge et d'avocat général à la Cour de justice de l'Union européenne et au Tribunal de l'Union européenne.

En ce qui concerne la désignation des candidats pressentis au poste de commissaire européen, nous partageons entièrement le raisonnement du président Rapin.

Après l'épisode, pour le moins surprenant, de la démission de M. Thierry Breton en septembre dernier, il apparaît sain, pour notre compréhension de l'Union européenne et pour notre démocratie, aussi bien de clarifier les modes de nomination des commissaires français que d'auditionner les candidats pressentis à ces postes. Ces commissaires occupent en effet, comme vous le savez, une place essentielle au sein de l'exécutif européen. Que nous puissions auditionner le candidat français paraît donc, sur le principe, tout à fait raisonnable.

De fait – cela a été rappelé –, de nombreux États en Europe ont déjà pris cette direction : dix parlements nationaux participent actuellement au processus de désignation de leur commissaire européen. En Autriche, le nom du candidat proposé fait même l'objet d'une véritable concertation entre les parlementaires et le gouvernement.

Nous estimons que de telles auditions sont également souhaitables pour les candidats au poste de membre de la Cour des comptes européenne. Cette institution remplit une fonction éminente puisqu'elle contrôle les recettes et les dépenses de l'UE, ainsi que les organisations qui gèrent des fonds européens.

Enfin, en ce qui concerne le Tribunal et la CJUE, je comprends que la mesure proposée, laquelle est similaire, puisse étonner. En effet, il n'est pas dans la tradition française de faire auditionner par le Parlement les magistrats et les juges, à l'exception des membres du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil constitutionnel – une institution qui ne cesse de se juridictionnaliser. Sur ce point, je reste donc attachée au texte initial.

Ce n'est pas nuire à l'indépendance des magistrats que d'avoir une conversation franche sur leur future fonction et la compréhension qu'ils en ont, en particulier lorsque ce vote n'est pas contraignant. D'ailleurs ces auditions sont pratiquées chez onze de nos voisins européens. En Allemagne, une commission spéciale est même désignée pour procéder à la nomination des juges allemands au sein du Tribunal et de la CJUE.

Ces auditions, exactement comme celles qui sont prévues aux articles 1er et 2 de cette proposition de loi, permettraient surtout de mieux associer le Parlement aux désignations au sein de certaines institutions européennes particulièrement importantes.

Enfin, je soutiendrai les amendements proposés par le président Rapin, qui visent à régler un certain nombre de difficultés soulevées par la rédaction initiale.

Sans préjuger d'une éventuelle décision du Conseil constitutionnel, le groupe du RDSE votera ce texte, car il est essentiel pour l'avenir de l'Union européenne que les processus de désignation à ces postes clés soient mieux connus, plus transparents, et donc plus démocratiques. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes, déposée par le président Rapin, que je salue et remercie pour cette initiative. Je tiens également à remercier nos collègues Agnès Canayer et Pascal Allizard pour la qualité des travaux qu'ils ont réalisés en tant que rapporteurs.

Le texte dont nous débattons aujourd'hui vise à renforcer le contrôle du Parlement national dans le processus de désignation des candidats français à la Commission européenne, à la Cour des comptes européenne et aux juridictions européennes, en prévoyant des auditions consultatives dans chaque assemblée parlementaire.

Derrière ces dispositions se dessine clairement la volonté de parfaire la légitimité démocratique des institutions de l'Union européenne, une union dont les fondements demeurent les États souverains « unis dans la diversité ». C'est pourquoi il semble légitime que la représentation nationale, dont le Sénat, ait un droit de regard sur les propositions de nomination du Président de la République. Ce contrôle d'une décision de l'exécutif par le législatif n'est ni anachronique ni singulier, bien au contraire !

Trois principales objections ont été formulées contre cette proposition de loi. Je souhaite répondre et réfléchir à chacune d'entre elles avec vous.

Première objection : ces auditions consultatives des candidats alourdiraient une procédure politiquement déjà complexe.

Or, parmi les États membres, dix parlements nationaux participent actuellement à la désignation des commissaires européens, sans que cela pose problème au niveau de la Commission. Je citerai notamment la Hongrie, qui n'est pas au nombre des pays les plus européens ou les plus européistes ! Il ne semble donc pas incohérent, et encore moins inenvisageable, que la France, l'un des pays fondateurs de l'Union, instaure une telle procédure parlementaire.

Deuxième objection : le Parlement européen réalise d'ores et déjà une audition des candidats désignés. À celle-ci j'opposerai deux arguments.

Premier argument, la proposition de loi du président Rapin ne s'oppose en aucun cas aux actions du Parlement européen, elle est un complément ; elle enrichit donc la démarche de ce dernier.

Oui, le Parlement national émet un avis sur les désignations proposées par le Président de la République, puis le Parlement européen est libre d'approuver ou non les candidatures ! Pourquoi ce droit accordé au Parlement européen serait-il refusé aux parlements nationaux ?

Second argument, cette proposition de loi constitue, pour reprendre les termes de l'exposé des motifs, un « enjeu important pour la démocratisation de la construction européenne ». Permettez-moi d'évoquer l'expérience que je vis dans mon département des Hautes-Alpes, frontalier avec l'Italie, un État avec lequel les échanges économiques, sociaux et culturels sont séculaires.

Les élus locaux m'interpellent régulièrement sur des questions transfrontalières de santé, d'immigration ou de transport entre les Hautes-Alpes et la région du Piémont, par exemple, et aussi sur l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 qui se tiendront en partie sur mon territoire ; des échanges se nouent avec Turin qui les a accueillis en 2006, et où certaines épreuves se dérouleront peut-être.

À cet égard, une question se pose : pourquoi un sénateur d'un territoire transfrontalier, élu au scrutin majoritaire, en lien au quotidien avec les élus locaux, ne bénéficierait-il pas d'une légitimité démocratique au moins équivalente à celle d'un député européen, élu au scrutin proportionnel dans une circonscription nationale, pour interroger un candidat au poste de commissaire européen ? Et je n'évoquerai pas les jeux de partis auxquels nous avons pu assister et à cause desquels nos concitoyens se perdent en conjectures...

Troisième objection : il existerait un risque d'inconstitutionnalité.

Les rapporteurs vont nous soumettre des amendements visant à sécuriser le dispositif proposé, mais le risque existe bel et bien. Sur le plan purement juridique, seul le Conseil constitutionnel peut déclarer un texte législatif conforme à notre bloc de constitutionnalité ou le censurer. Sur le plan politique, je tiens à le préciser, bien qu'il soit vrai que les désignations pour les postes européens n'entrent pas dans le périmètre de l'article 13 de la Constitution, cela n'empêche aucunement, selon moi, la tenue d'un cycle d'auditions.

Pour paraphraser les mots de la rapporteure Canayer, les désignations au poste de commissaire européen, notamment, relèvent d'une procédure ad hoc ; il semble donc logique que le contrôle du Parlement national soit également ad hoc.

Pour conclure, il est essentiel de rappeler que nous étudions ce texte dans un contexte international inédit. À l'heure où nous assistons à un « basculement entre deux mondes », il nous faut plus d'Europe. Dans un monde où les poussées impérialistes, où qu'elles se situent, s'accélèrent, l'Union européenne demeure le creuset d'un certain nombre de valeurs. Le combat des idées appelle à la nuance, la confrontation des doctrines appelle à la tolérance. L'Union a donc tout intérêt à ce que les nations qui la composent trouvent leur place dans ce débat à l'échelle européenne.

Comme l'a dit un précédent orateur, l'argument relatif à la protection des institutions, notamment à celle de la présidence de la République, est réversible. Imaginons que nous ayons, demain, un président de la République dont le profil serait de type « Trump », ou autre ! Je ne citerai aucun nom... Il serait alors important que le Parlement puisse émettre un avis et corriger les éventuels excès de pouvoir d'un président de la République autoritariste, élu dans un contexte particulier et dont les idées seraient très éloignées de celles que nous défendons au Sénat ou au sein du Parlement européen.

Je tiens à saluer le travail du président Rapin. Le groupe Union Centriste, qui adoptera les amendements qu'il nous proposera dans quelques minutes, votera cette proposition de loi utile pour la Nation et pour la construction européenne, si nécessaire aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les élections européennes de juin 2024 ont marqué le début d'un nouveau cycle institutionnel pour l'Union européenne. Pourtant, la désignation du commissaire européen français s'est déroulée dans un climat particulièrement troublé. Alors que Thierry Breton était initialement pressenti pour siéger à la Commission européenne, il annonçait le 16 septembre dernier qu'il ne briguerait finalement pas ce poste. Il s'agissait en réalité d'un limogeage pur et simple, orchestré par Ursula von der Leyen, à l'encontre du candidat proposé par la France.

Ce rejet constitue un précédent préoccupant. La Commission européenne est composée de commissaires désignés par les États membres. Leur approbation relève du Parlement européen, non du bon vouloir de la présidente de la Commission !

Cet épisode illustre une tendance lourde : l'effacement progressif de la souveraineté française au sein des institutions européennes, un processus enclenché dès la signature du traité de Maastricht. Il révèle surtout une réalité politique plus inquiétante : l'influence grandissante du capital allemand, dont l'industrie de défense est intrinsèquement liée à celle des États-Unis, et qui impose de plus en plus ses choix stratégiques en Europe.

Pourtant, face à cette mise en garde, le président Emmanuel Macron s'est empressé de s'aligner, en nommant Stéphane Séjourné sans la moindre résistance. Ce faisant, la capacité de la France à défendre ses positions dans des secteurs aussi stratégiques que la défense, le nucléaire ou l'agriculture a été affaiblie.

Ce texte vise justement, dans son article 1er, à ce que le Parlement trouve toute sa place, au travers d'une consultation sur le choix du candidat proposé par le Président de la République pour le poste de commissaire européen. À nos yeux, cette proposition va dans le bon sens en matière de transparence démocratique, en particulier en consolidant l'influence européenne de notre Parlement.

Cependant, nous ne sommes pas favorables à l'idée d'accorder au Parlement un droit de regard sur la sélection des candidats aux postes de juge ou d'avocat général à la Cour de justice de l'Union européenne. Nous estimons en effet qu'une telle procédure porterait atteinte aux garanties d'indépendance dont le candidat doit bénéficier dans l'exercice de ses fonctions juridictionnelles. Selon nous, une telle audition parlementaire ferait peser le risque d'influences politiques, compromettant de fait l'impartialité requise pour ces fonctions.

Malgré ce point, nous voterons ce texte dont nous approuvons l'objectif de renforcement du rôle des parlements nationaux dans le processus de désignation des membres de certaines grandes institutions communautaires. Mais nous tenons tout de même à affirmer que ce texte ne répond que très partiellement à l'enjeu de démocratisation de l'Union européenne.

Pendant que nous débattons des modalités de nomination au sein des institutions européennes, un tournant majeur s'opère sur le continent : l'Union européenne s'engage dans une reconfiguration profonde de sa politique de défense.

Le président Macron appelle à porter les dépenses de défense entre 3 % et 3,5 % du PIB. Qui assumera ce fardeau ? Pour parvenir à ce résultat, certains dirigeants européens évoquent d'ores et déjà des coupes budgétaires dans les services publics, tandis que la France annonce que la préparation du projet de budget pour 2026 devra conjuguer « redressement des finances publiques » et « nouvelles marges de manœuvre » face au contexte géopolitique. Autrement dit, le financement de cet effort reposera, une fois de plus, sur les travailleurs et les classes populaires.

L'intérêt des peuples d'Europe ne réside certainement pas dans une surenchère militaire ou une intensification du conflit. Il s'agit non pas de nier la réalité des menaces, mais d'affirmer une autre voie.

Tant que l'Union européenne continuera de fonctionner sur les mêmes bases, il ne pourra pas y avoir de véritable souveraineté démocratique.

Tant que la Banque centrale européenne (BCE) restera hors de tout contrôle politique, tant que le marché intérieur sera conçu pour servir les intérêts des grands groupes pharmaceutiques, énergétiques et de l'armement, tant que la libéralisation sera un dogme, nous serons enfermés dans une logique qui nous échappe.

Si la France veut véritablement peser au sein de l'Union européenne et retrouver la maîtrise de son destin, elle doit prendre l'initiative de rompre avec le pacte de stabilité et de croissance (PSC). Mais pas pour alimenter un surarmement effréné ! Il faut rompre avec ce carcan budgétaire pour investir dans un autre modèle de développement, fondé sur le progrès humain et non sur une fuite en avant militariste.

Investir dans l'avenir, c'est renforcer notre souveraineté industrielle, développer une industrie numérique publique et autonome, garantir des services publics solides et assurer la pérennité de notre modèle social. Telle est l'Europe que nous voulons construire : une Europe des coopérations entre nations souveraines, affranchie du dogme néolibéral, ...

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Silvana Silvani. ... une Europe où la volonté des peuples prime sur les intérêts des marchés et des vendeurs de canons.

Nous soutiendrons donc cette proposition de loi, mais continuerons à défendre une ambition bien plus grande : celle d'une rupture avec l'ordre maastrichtien et d'une refondation démocratique et sociale de l'Europe.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation internationale, l'escalade et la tournure qu'est en train de prendre la guerre de Poutine en Ukraine nous alertent toutes et tous, unanimement.

Elle nous alerte sur l'urgence d'une Europe forte, unie et capable d'agir. Ce qui se joue aujourd'hui, au-delà d'une guerre terrible aux frontières de l'Europe, c'est l'avenir de notre modèle démocratique. C'est notre capacité à nous protéger, mais aussi à protéger nos valeurs, l'État de droit et la confiance collective que nous avons dans nos institutions.

L'incapacité de l'Europe à s'imposer aujourd'hui sur la scène internationale doit nous alerter non seulement sur notre sécurité militaire et sur notre poids diplomatique, mais aussi sur notre aptitude à prendre des décisions ensemble.

Comment prétendre faire entendre une voix forte et sérieuse hors de nos murs, sans une Europe unifiée et cohérente à l'intérieur ?

Il n'y aura pas d'Europe influente, respectée et capable sans des institutions plus intégrées, moins dépendantes de choix de connivence et du bon vouloir individuel de dirigeants nationaux. Renforcer l'Europe, cela doit se faire tant à l'échelle de l'Union qu'à celle des pays qui la composent.

Aujourd'hui, en France, les candidats à des postes clefs au sein des institutions européennes – en particulier celui de commissaire européen – sont choisis par le seul Président de la République, un choix que ne fait l'objet d'aucune validation, d'aucun contrôle parlementaire. Pourtant, dix autres États membres exercent un tel contrôle. J'ai travaillé dix ans au sein du Parlement européen et je n'ai jamais constaté que cette procédure affaiblissait en quoi que ce soit la voix de ces pays, pas plus que leur crédibilité ou leur capacité à peser sur la composition de la commission.

Nous entendons continuellement, dans la rue, sur les plateaux de télévision, dans la bouche des commentateurs politiques ou dans les sondages, qu'il existe un sentiment d'éloignement des citoyens et une perte de confiance dans nos démocraties, qui grandissent chaque jour un peu plus. Nous ne pouvons donc ni faire l'économie de la transparence et du contrôle démocratique ni accepter que ces décisions soient prises dans l'opacité et sans garde-fou.

Ce texte ne constitue pas une révolution. Garantir que le Parlement puisse être consulté sur un choix aussi important fait, en son nom, par le Gouvernement n'est pas franchement extraordinaire. Mais c'est un pas dans la bonne direction, un pas vers une responsabilisation renforcée de ceux qui nous représentent.

Puisque les commissaires européens relèvent des États, autant qu'ils soient choisis, tout comme les candidats aux autres postes européens, sous contrôle parlementaire.

En réalité, l'enjeu de la légitimité européenne dépasse très largement la seule question des nominations françaises dans le système existant. En ce qui concerne la Commission européenne, c'est le principe même de la nomination du collège des commissaires qu'il faudrait repenser. Comme M. le ministre délégué – c'est le seul point commun que j'ai avec lui –, je considère primordiale, dans la logique institutionnelle de l'Europe, la légitimité du Parlement européen.

L'Union européenne, dont la construction s'est arrêtée à mi-chemin, devrait parachever l'idéal d'une véritable démocratie supranationale. Si nous voulons réellement atteindre cet objectif et devenir tout autant autonomes qu'influents, il est nécessaire que nous réalisions un saut fédéral.

Nous l'avons bien vu lors de la crise du covid, qui nous a obligés à briser le tabou de la mutualisation des dettes publiques et qui a mis en évidence, une fois de plus, la toxicité de l'unanimité en matière budgétaire et fiscale.

Nous le voyons avec la guerre en Ukraine, qui nous impose de développer une véritable défense européenne et de mettre fin, en termes de politique étrangère, à la règle de l'unanimité qui donne à Viktor Orban un droit de veto sur notre avenir.

Voilà pourquoi l'Europe doit se doter d'un véritable gouvernement européen, composé en fonction des majorités politiques au Parlement européen et non plus seulement des critères nationaux, c'est-à-dire d'un exécutif européen nommé, comme tout gouvernement, par la présidence de la Commission et élu par le Parlement européen.

Cela paraît utopique, lointain et un peu fou alors que la construction démocratique de l'Union européenne est restée au milieu du gué. Mais tel était aussi le cas, en 1945, quand a été évoquée l'idée de réconcilier la France et l'Allemagne et de construire des institutions démocratiques communes. C'est en suivant des utopies concrètes que nous avons maintenu la paix, si fragile, depuis soixante-dix ans.

Le trumpisme et le poutinisme ne sont pas dystopiques, ils existent réellement. La démocratie européenne, elle aussi, doit réellement exister. C'est la raison pour laquelle le groupe écologiste votera cette proposition de loi, même si celle-ci n'est pas révolutionnaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Chaillou.

M. Christophe Chaillou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, sur l'initiative de notre collègue Jean-François Rapin, vise à instituer la consultation préalable du Parlement sur la nomination de représentants de la France auprès de certaines institutions européennes.

Sur le principe, nous ne pouvons qu'accueillir favorablement cette volonté de renforcer la place de nos assemblées dans le jeu institutionnel européen. Celle-ci est d'ailleurs conforme aux travaux transpartisans menés par le Sénat depuis plusieurs années afin de contribuer au nécessaire approfondissement démocratique du dialogue entre la représentation nationale et les institutions européennes.

Ma collègue Mélanie Vogel a souligné, ainsi, la nécessité de réduire le fossé entre les citoyens et leurs représentants à l'échelon européen. Quant à Mme la rapporteure de la commission des lois, elle a rappelé quel était l'impact de la législation européenne sur les législations nationales.

Comme nous l'avons indiqué lors de l'examen du texte en commission, nous émettons un certain nombre de réserves sur le cadre juridique et sur l'étendue des fonctions soumises à la consultation du Parlement.

En particulier, nous soulevons, à la suite de plusieurs de nos collègues qui se sont exprimés assez longuement sur ce sujet, la question de la constitutionnalité du dispositif proposé.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré que le risque d'inconstitutionnalité qui pèse sur le texte exclut de fait le soutien du Gouvernement. Pour avoir participé à quelques débats dans cet hémicycle, je me permets simplement de vous rappeler qu'il y a quelques mois, lors de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, le Gouvernement avait considéré que l'inconstitutionnalité très probable de certaines de ses dispositions ne constituait pas un obstacle majeur à son avis favorable. Sur le principe, nous pouvons donc examiner les dispositions de cette proposition de loi.

L'article 1er prévoit un vote consultatif des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur la candidature au poste de commissaire européen proposée par le Président de la République. Cette proposition de bon sens nous paraît tout à fait justifiée.

En effet, le choix du commissaire européen est éminemment politique. Il s'agit d'un poste stratégique pour la France, et il est légitime que le Parlement participe à sa nomination, même si ce n'est que de façon consultative.

Le président Rapin l'a rappelé, cette proposition se rapproche des pratiques de certains États membres, même si, cela a été rappelé, ils sont minoritaires. Que les choses soient claires : nous ne voulons pas pour autant remettre en question la capacité de l'exécutif, et non du chef de l'État, d'exercer pleinement ses prérogatives.

Néanmoins, quelques doutes subsistent : les modalités du vote initialement envisagées dans le texte nous paraissaient particulièrement floues et fragiles. Vous proposez aujourd'hui, chers collègues, des amendements visant à clarifier le dispositif, mais nous regrettons qu'ils tendent à réduire encore davantage la possibilité d'associer les membres de la commission des affaires européennes, qui ne rendraient qu'un avis alors qu'ils sont pleinement à même de s'exprimer sur un choix aussi essentiel.

Des questions se posent également au sujet du double mécanisme proposé, d'avis puis de vote par deux commissions. Que se passerait-il si les commissions des affaires européennes et des affaires étrangères émettaient des avis divergents ? Ce cas de figure est possible. Il faut donc traiter ce sujet.

Il est proposé à l'article 2 d'auditionner le candidat à la Cour des comptes européenne. Cette idée nous laisse assez perplexes, compte tenu du fait que l'article 286 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne définit le processus européen de sélection pour ces fonctions et réglemente précisément cette procédure, des particularités étant par ailleurs prévues pour la France. Très sincèrement, quelle plus-value pourrions-nous apporter à ce dispositif ?

D'ailleurs, dans notre pays, le Parlement ne participe pas à la nomination du premier Président de la Cour des comptes, non plus qu'à celles des conseillers maîtres à la Cour des comptes, qui sont nommés en Conseil des ministres et ne sont pas soumis à l'article 13 de la Constitution.

Enfin, il est proposé à l'article 3 que les candidats aux fonctions de juge et d'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne ou de juge au Tribunal de l'Union européenne soient auditionnés par les commissions compétentes des assemblées. Nous émettons également des réserves sur ce sujet, car cela reviendrait à s'immiscer dans le système judiciaire européen, en contradiction avec sa nécessaire indépendance. En outre, là encore, le Parlement n'a pas en France le pouvoir d'intervenir sur la nomination de hauts magistrats.

Mes chers collègues, avant de laisser la parole à mon collègue Didier Marie, je rappelle que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a toujours soutenu l'intégration européenne et les propositions visant à rendre plus démocratiques les nominations à des postes clés et à y associer les parlements.

Mme la présidente. Il faut conclure.

M. Christophe Chaillou. Pour cette raison, nous ne pouvons qu'être favorables à la consultation du Parlement sur la nomination du commissaire européen. Néanmoins, ce texte mérite d'être retravaillé à la lumière des divers arguments avancés au cours de la discussion générale, y compris pour des raisons juridiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi que Christophe Chaillou vient de le dire, nous partageons l'objectif de cette proposition de loi déposée par le président Rapin.

L'examen de ce texte intervient après la nomination en septembre dernier, par un simple communiqué de presse du Président de la République, d'un nouveau commissaire européen français, après le départ surprenant et probablement contraint de Thierry Breton, qui déplaisait manifestement à Mme von der Leyen.

Dès lors, il nous paraît légitime d'associer le Parlement au processus de désignation du commissaire européen, en instaurant un droit de regard préalable à sa nomination par l'exécutif. À l'évidence, cela constituerait une avancée en matière de transparence de la procédure et un progrès démocratique.

Comme cela a été rappelé lors des précédentes interventions, si les procédures de nomination aux fonctions de commissaire européen, de membre de la Cour des comptes européenne et auprès du Tribunal et de la Cour de justice de l'Union européenne sont encadrées par les traités européens, le processus interne de sélection n'est cependant pas précisé.

Les textes européens laissent effectivement aux États membres la liberté de prévoir ou non des modalités de sélection des candidats envisagés pour occuper ces fonctions. À ce jour, le droit français n'a fixé aucune condition à ces désignations par les autorités, laissant place, il faut le dire, à une certaine opacité.

Les auteurs de la proposition de loi estiment nécessaire que la France s'aligne désormais sur les modalités mises en place dans plusieurs de nos partenaires européens, lesquels prévoient une participation des parlements nationaux à la désignation aux fonctions concernées.

En réalité, les chiffres du quarante-deuxième rapport semestriel publié en fin d'année dernière par la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) montrent qu'une minorité d'États ont instauré une participation de leurs parlements nationaux aux processus de nomination. Seule une dizaine des vingt-sept États membres ont instauré un droit de regard de leurs parlements, selon des modalités extrêmement diverses.

Par ailleurs, à la demande expresse de la délégation française et de Jean-François Rapin, la Cosac évoque opportunément dans ce rapport la question de la participation des parlements nationaux à ces processus, sans pour autant explicitement avancer une proposition claire.

Si la Cosac regrette que le renforcement du rôle des parlements nationaux ne figure pas parmi les priorités stratégiques de la nouvelle commission européenne, ce que nous déplorons, elle ne formule dans sa contribution finale aucune recommandation pour généraliser ce mode de désignation.

L'enjeu du texte que nous examinons aujourd'hui tient davantage aux modalités retenues pour l'association du Parlement qu'au principe en lui-même, lequel, nous l'avons dit, n'appelle pas d'objection particulière. Les modalités retenues par la minorité d'États membres ayant instauré ce droit de regard ne sont d'ailleurs pas uniformes. Cette proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, suscite pour cette raison plusieurs réserves.

Si le mode de désignation du commissaire européen mérite d'être encadré pour assurer une meilleure transparence, notamment au vu du caractère politique et stratégique de cette fonction, les modalités de la procédure envisagée à l'article 1er doivent être clarifiées.

Les deux articles suivants relatifs aux désignations des candidats aux autres postes posent quant à eux d'autres questions, soulevées par Christophe Chaillou. L'intérêt d'une telle procédure pour la nomination des membres à la Cour des comptes européenne semble limité. Quant à la consultation du Parlement sur la désignation des juges au Tribunal et à la Cour de justice de l'Union européenne, elle pose des difficultés s'agissant de l'indépendance des candidats.

Bien que ce texte soulève des questions intéressantes sur la transparence des procédures de nominations à certaines fonctions et sur le rôle du Parlement à cet égard, il nous semble devoir être ajusté, voire nécessiter une réforme constitutionnelle.

Mme la présidente. Il faut conclure.

M. Didier Marie. Nous nous abstiendrons donc sur cette proposition de loi, que l'on peut considérer comme un texte d'appel, qui vise, monsieur le ministre, à demander au Gouvernement de mieux associer le Parlement à la désignation du commissaire européen. Au regard de vos positions, nous craignons malheureusement qu'il ne soit sans suite.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative à la consultation du parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes

Article 1er

Préalablement à sa désignation par les autorités françaises, le candidat pressenti au poste de commissaire européen est auditionné par la commission des affaires européennes de chaque assemblée du Parlement.

L'audition, ouverte à l'ensemble des membres des commissions permanentes, est publique sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale.

Cette audition ne peut avoir lieu moins de huit jours après que le nom du candidat dont la désignation est envisagée a été rendu public.

L'audition est suivie d'un vote, auquel peuvent participer l'ensemble des parlementaires ayant assisté à l'audition, visant à émettre, à la majorité des suffrages exprimés, un avis simple sur la désignation du candidat pressenti. Le scrutin est dépouillé au même moment dans les deux assemblées.

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Chaillou, Marie et Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron, Mmes Carlotti et Conway-Mouret, MM. Darras et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet et Vayssouze-Faure, Mmes Blatrix Contat et Daniel et MM. Jomier et M. Weber, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Préalablement à sa désignation par le Président de la République sur proposition du Premier ministre, le candidat pressenti aux fonctions de membre de la Commission européenne est auditionné conjointement par la commission des affaires européennes et la commission permanente chargée des affaires étrangères de chaque assemblée du Parlement.

II. – Alinéa 2

Supprimer les mots :

, ouverte à l'ensemble des membres des commissions permanentes,

III. – Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

L'audition est suivie d'un vote de la commission des affaires européennes et de la commission permanente chargée des affaires étrangères visant à émettre, à la majorité des suffrages exprimés, un avis sur la désignation du candidat pressenti. Lorsqu'un parlementaire est membre des deux commissions, il ne dispose que d'une voix.

La parole est à M. Christophe Chaillou.

M. Christophe Chaillou. Si nous sommes en principe favorables à la consultation du Parlement sur le choix du commissaire européen, car cette fonction est essentiellement politique, il reste à en déterminer les modalités.

Nous proposons que la commission des affaires européennes et la commission compétente, en l'occurrence la commission des affaires étrangères, tiennent une audition conjointe.

En outre, nous ne sommes pas favorables à une distinction entre les membres de ces deux commissions. Nous proposons, par un mécanisme simple et lisible, de les placer à égalité, y compris lors de l'expression du vote.

Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par M. Rapin, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Préalablement à sa désignation par le Président de la République sur proposition du Premier ministre, le candidat pressenti aux fonctions de membre de la Commission européenne est auditionné conjointement par la commission des affaires européennes et la commission permanente chargée des affaires étrangères de chaque assemblée du Parlement.

II. – Alinéa 2

Supprimer les mots :

, ouverte à l'ensemble des membres des commissions permanentes,

III. – Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

L'audition est suivie d'un vote à la majorité des suffrages exprimés sur la désignation du candidat pressenti de la commission permanente compétente, qui se prononce après avis de la commission des affaires européennes.

La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Le présent amendement vise à apporter des modifications substantielles à l'article 1er.

Nous proposons de préciser que le commissaire européen est désigné par le Président de la République sur une proposition préalable du Premier ministre.

À la suite de nos travaux, nous proposons également de réserver le vote aux membres de la commission des affaires étrangères. L'audition commune serait étendue non plus à l'ensemble des sénateurs, mais seulement aux membres de la commission des affaires européennes, qui émettraient un avis, et à ceux de la commission des affaires étrangères, qui voteraient.

Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par M. Bonneau, Mme Antoine, MM. Burgoa, Chasseing, Chatillon et Courtial, Mmes Demas, Evren, Florennes et Guidez, M. Henno, Mme Housseau, MM. Kern, D. Laurent et Levi, Mme Loisier, MM. Longeot, A. Marc, P. Martin et Milon, Mmes Perrot et Romagny et MM. Saury, Sautarel et Vanlerenberghe, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

L'audition est suivie d'un vote des parlementaires de la commission des affaires européennes ayant assisté à l'audition, visant à émettre, à la majorité des suffrages exprimés, un avis simple sur la désignation du candidat pressenti.

La parole est à M. Hugues Saury

M. Hugues Saury. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par MM. Folliot, Mizzon et Canévet, Mmes Romagny et Guidez et M. Duffourg, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Lorsque la commission permanente compétente en matière d'affaires étrangères dans chaque assemblée en fait la demande, le candidat pressenti est auditionné préalablement à l'audition de la commission des affaires européennes prévue à l'article 1er de la présente loi.

L'audition est publique sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale.

Cette audition ne peut avoir lieu moins de huit jours après que le nom du candidat dont la désignation est envisagée a été rendu public.

Cette audition ne donne lieu à aucun vote.

La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Tout ce qui peut rapprocher l'Union européenne de nos concitoyens est important. À cet égard, les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer. Dans ce cadre, je félicite l'auteur de ce texte qui me semble viser un objectif que nous partageons toutes et tous.

Comment faire en sorte que chacune des commissions soit pleinement associée au processus de nomination ? Nous proposons d'associer pleinement la commission compétente à la désignation du commissaire européen, c'est-à-dire la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Il est vrai qu'on ne peut imaginer toutes les évolutions à venir. Qui eût cru il y a quelques mois encore – je ne parle même pas d'années – que l'Union européenne devrait jouer un rôle aussi important en matière de défense ?

Pour faire face à ces enjeux, il est important que la commission compétente puisse auditionner les candidats au poste de commissaire européen afin de s'assurer qu'ils maîtrisent l'ensemble des éléments leur permettant d'assumer cette fonction. Un commissaire exerce certes une fonction éminemment européenne, mais son rôle consiste également à défendre les intérêts nationaux. De fait, même s'il n'est pas politiquement correct de le dire, chaque commissaire européen n'oublie jamais son pays d'origine. C'est la réalité sur le terrain.

Cet amendement a pour objet de permettre aux membres de la commission des affaires étrangères d'auditionner les candidats au poste de commissaire européen.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 3 du président Rapin, qui nous semble bien plus complet et équilibré que les autres amendements en discussion commune. Elle demande donc le retrait des amendements nos 1 rectifié bis, 7 et 6 rectifié bis ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

L'amendement n° 3 vise à déterminer qui est compétent en matière d'affaires étrangères et à préciser que le Président de la République nomme le commissaire européen sur proposition du Premier ministre.

Contrairement à ce que M. le ministre a indiqué tout à l'heure, nous pensons que cette compétence ne fait pas partie du domaine réservé du Président de la République, qui, si l'on s'en tient à la théorie du général de Gaulle, est limité à la défense et à la diplomatie. Il s'agit ici non pas d'une négociation entre États, mais de la conduite de la politique de la Nation, eu égard au fait que le droit européen produit des effets directs sur notre droit positif.

Il paraît plus simple que l'audition du candidat soit menée conjointement par les deux commissions plutôt que de manière séparée. Nous préférons pour cette raison l'amendement n° 3 du président Rapin à l'amendement n° 6 rectifié bis de M. Folliot, dont l'adoption aurait pour conséquence de multiplier par quatre le nombre d'auditions, ce qui alourdirait considérablement la procédure.

Enfin, en ce qui concerne le vote, il paraît plus simple que la commission des affaires européennes émette un avis et que le vote soit réservé à la commission des affaires étrangères, saisie au fond, pour trois raisons.

Premièrement, c'est la procédure qui s'applique pour les propositions de résolution européennes, notamment, conformément au règlement du Sénat.

Deuxièmement, l'expertise au fond appartient aux commissions permanentes, que ce soit dans le domaine juridique, financier ou diplomatique.

Enfin, troisièmement, les commissions permanentes sont déjà compétentes pour se prononcer sur certaines nominations, dans le cadre des auditions menées au titre de l'article 13 de la Constitution.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements, dont l'adoption n'aurait pas pour effet de supprimer les problèmes constitutionnels que soulève cette proposition de loi. Au contraire, la précision selon laquelle le Président de la République désignerait le commissaire européen sur proposition du Premier ministre interfère dans l'articulation entre les articles 13 et 21 de la Constitution, faisant courir un risque supplémentaire d'inconstitutionnalité.

En pratique, bien sûr, le Président de la République et le Premier ministre s'entendent au sujet des nominations aux emplois stratégiques.

Je le répète, l'adoption de ces amendements ne permettrait pas de corriger l'inconstitutionnalité au cœur du texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour explication de vote.

M. Philippe Folliot. Fort des explications de Mme le rapporteur et à la suite de la présentation de l'amendement n° 3, je retire mon amendement au profit de celui de M. Rapin, bien plus complet que le mien.

Mme la présidente. L'amendement n° 6 rectifié bis est retiré.

La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.

M. Didier Marie. Contrairement à M. Folliot, nous maintenons notre amendement, car nous avons une divergence avec M. Jean-François Rapin et Mme la rapporteure de la commission des lois.

Dans son argumentation, Mme la rapporteure de la commission des lois a fait un parallèle avec l'article 13 de la Constitution. Or en l'espèce, cet article ne s'applique pas : le vote prévu dans le texte n'a qu'un caractère consultatif, alors que le vote prévu par l'article 13 est un vote de validation.

Il n'existe donc aucun obstacle à ce que la commission des affaires européennes vote à égalité avec une commission permanente. Il nous paraît plus juste et opportun que les deux commissions réalisant l'audition en commun émettent un avis ensemble et que leurs membres soient traités de la même façon.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 7 n'a plus d'objet.

Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

Préalablement à sa désignation par les autorités françaises, le candidat pressenti au poste de membre de la Cour des comptes européenne est auditionné par la commission des affaires européennes de chaque assemblée du Parlement.

L'audition, ouverte aux membres de la commission compétente en matière de finances publiques, est publique sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale.

Cette audition ne peut avoir lieu moins de huit jours après que le nom du candidat dont la désignation est envisagée a été rendu public.

L'audition est suivie d'un vote, auquel peuvent participer les membres de la commission des affaires européennes et de la commission permanente compétente en matière de finances publiques ayant assisté à l'audition, visant à émettre, à la majorité des suffrages exprimés, un avis simple sur la désignation du candidat pressenti. Le scrutin est dépouillé au même moment dans les deux assemblées.

Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par M. Rapin, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Préalablement à sa désignation par le Président de la République sur proposition du Premier ministre, le candidat pressenti aux fonctions de membre de la Cour des comptes européenne est auditionné conjointement par la commission des affaires européennes et la commission permanente compétente en matière de finances publiques de chaque assemblée du Parlement.

II. – Alinéa 2

Supprimer les mots :

, ouverte aux membres de la commission compétente en matière de finances publiques, 

III. – Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

L'audition est suivie d'un vote à la majorité des suffrages exprimés sur la désignation du candidat pressenti de la commission permanente compétente, qui se prononce après avis de la commission des affaires européennes.

La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Dans le même esprit que l'amendement adopté à l'article 1er, cet amendement vise à clarifier les procédures. Nous proposons que la commission des affaires européennes émette un avis et que le vote soit réservé aux membres de la commission des finances.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Article 3

Préalablement à sa nomination par le Gouvernement, tout candidat à la fonction de juge ou d'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne ou de juge du Tribunal de l'Union européenne est auditionné par la commission des affaires européennes de chaque assemblée du Parlement.

L'audition, ouverte aux membres de la commission compétente en matière de libertés publiques, est publique sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale.

Cette audition ne peut avoir lieu moins de huit jours après que le nom du candidat dont la nomination est envisagée a été rendu public.

L'audition est suivie d'un vote, auquel peuvent participer les membres de la commission des affaires européennes et de la commission permanente compétente en matière de libertés publiques ayant assisté à l'audition, visant à émettre, à la majorité des suffrages exprimés, un avis simple sur la désignation du candidat pressenti. Le scrutin est dépouillé au même moment dans les deux assemblées.

Mme la présidente. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Chaillou, Marie et Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron, Mmes Carlotti et Conway-Mouret, MM. Darras et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet et Vayssouze-Faure, Mmes Blatrix Contat et Daniel, MM. Jomier, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Ainsi que nous l'avons indiqué lors de la discussion générale, nous souhaitons supprimer l'article 3, car nous ne sommes pas favorables au fait de confier un droit de regard au Parlement sur le choix du candidat à la fonction de juge ou d'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne ou de juge du Tribunal de l'Union européenne.

Un tel droit de regard ne nous paraît pas conforme aux garanties d'indépendance que l'intéressé devra offrir dans l'exercice de ces fonctions juridictionnelles, a fortiori si l'objet de l'audition est de « sensibiliser » les candidats aux priorités européennes du moment, ou pour le dire autrement, de tenter de soumettre le candidat à des injonctions politiques.

À titre de comparaison, à l'échelon national, le Parlement n'est pas consulté sur la nomination des hauts magistrats tels que le vice-président du Conseil d'État ou le Premier Président de la Cour de cassation.

Par parallélisme, nous proposons de supprimer l'article 3.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Pour nous, il s'agit non pas de soumettre les candidats à des injonctions politiques et de porter atteinte à leur indépendance, mais de vérifier leurs compétences et leur capacité à analyser les conséquences des jurisprudences qu'ils rendront.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par M. Rapin, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Préalablement à sa désignation par le Président de la République sur proposition du Premier ministre, tout candidat à la fonction de juge ou d'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne ou de juge du Tribunal de l'Union européenne est auditionné conjointement par la commission des affaires européennes et la commission permanente chargée des lois constitutionnelles de chaque assemblée du Parlement.

II. – Alinéa 2

Supprimer les mots :

, ouverte aux membres de la commission compétente en matière de libertés publiques, 

III. – Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

L'audition est suivie d'un vote à la majorité des suffrages exprimés sur la désignation du candidat pressenti de la commission permanente compétente, qui se prononce après avis de la commission des affaires européennes.

La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Cet amendement vise, comme les amendements précédents, à clarifier la procédure.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Défavorable, pour les mêmes raisons que celles que j'ai avancées précédemment.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3, modifié.

(L'article 3 est adopté.)

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes.

(La proposition de loi est adoptée.)

10

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 5 mars 2025 :

À quinze heures :

Questions d'actualité au Gouvernement.

De seize heures trente à vingt heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe SER)

Proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer, présentée par M. Victorin Lurel et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 370 rectifié, 2024-2025) ;

Proposition de loi expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, présentée par Mme Audrey Bélim et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 364, 2024-2025).

Le soir :

Débat sur la reconnaissance du bénévolat de sécurité civile.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)

nomination d'un membre d'une commission

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Aucune opposition ne s'étant manifestée dans le délai d'une heure prévu par l'article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. David Margueritte est proclamé membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER