Présidence de M. Loïc Hervé
vice-président
Secrétaires :
Mme Catherine Di Folco,
Mme Patricia Schillinger.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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Mariage en France et résidence irrégulière sur le territoire
Adoption d'une proposition de loi modifiée
M. le président. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, la discussion de la proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l'un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire, présentée par M. Stéphane Demilly et plusieurs de ses collègues (texte n° 190 rectifié [2023 2024], résultat des travaux de la commission n° 334, rapport n° 333).
Discussion générale
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Stéphane Demilly, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je soumets aujourd'hui à votre examen une proposition de loi simple, univoque et laconique.
Simple, car elle s'appuie sur le bon sens. Univoque, car elle clarifie la loi. Laconique, enfin, car elle tient en une seule phrase. Si cette proposition de loi revêt ces trois qualités, me semble-t-il, son chemin parlementaire et juridique ne saurait tout à fait bénéficier des mêmes qualificatifs, j'en suis bien conscient. J'en ai beaucoup parlé avec M. le rapporteur, que je remercie de sa disponibilité.
Ce texte vise à encadrer juridiquement le mariage des personnes séjournant irrégulièrement en France. Pour le dire plus simplement, il tend à ce que le mariage ne soit autorisé qu'aux personnes séjournant de manière régulière sur notre territoire.
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. Stéphane Demilly. J'évoque régulièrement cette idée, qui m'apparaît logique et légitime, avec les élus et les citoyens de mon territoire, mais aussi ici, avec mes collègues du Sénat. La plupart du temps, la réaction est à peu près la même face à la découverte, pour certains, de cette incohérence : comment se fait-il que cette mesure ne soit pas déjà en vigueur ?
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Stéphane Demilly. Comment est-il possible de marier quelqu'un qui n'est pas en situation régulière sur le territoire ? Est-il concevable de lire des articles du code civil, au sein de la maison municipale de la République, à une personne qui n'a pas le droit d'être là ?
Tels sont les retours et les réactions interrogatives de ceux à qui j'en parle. Pourtant, si cette mesure semble évidente à beaucoup, notre droit, en l'état, ne permet pas de s'opposer au mariage d'une personne en situation irrégulière ou faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
M. Thomas Dossus. Heureusement !
M. Stéphane Demilly. Dans notre chambre, beaucoup sont d'anciens maires. Je sais que certains d'entre vous, mes chers collègues, ont été confrontés à cette situation.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Oh oui !
M. Stéphane Demilly. Je voudrais d'ailleurs vous rappeler l'expérience douloureuse de Stéphane Wilmotte, maire d'Hautmont, que nous avons reçu la semaine dernière au Sénat. Il avait refusé de célébrer le mariage d'un individu placé sous obligation de quitter le territoire français, ancien président d'une mosquée fermée pour discours haineux et apologie du djihad armé.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C'est le summum !
M. Stéphane Demilly. À ce titre, notre collègue Wilmotte a reçu des menaces de mort et subi des pressions. Son domicile a dû être protégé.
C'est le monde à l'envers : l'individu sous OQTF a porté plainte contre le maire, qui a de ce fait encouru une peine de prison et d'inéligibilité, ainsi que le versement de dommages et intérêts !
Heureusement, la justice a tranché en sa faveur. Mais comment est-il possible de placer un élu de la République dans une telle situation ? Comment est-il possible que les maires risquent de longs mois de procès, parfois aggravés d'un stress personnel et familial, alors qu'ils agissent pour le bien du territoire ?
S'il est bien un espace parlementaire pour répondre à ces interrogations, c'est celui du Sénat. La législation actuelle contre les mariages de complaisance est insuffisante et place les officiers d'état civil dans des situations ubuesques.
Ainsi, face à une demande de mariage émanant d'une personne en situation irrégulière, le maire doit rechercher « une présomption de fraude », ou examiner « la sincérité de l'union ». Bref, on lui demande de se transformer en inspecteur Colombo ou en ersatz d'huissier conjugal pour enquêter.
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. Stéphane Demilly. Mes chers collègues, comme vous le savez, ce n'est pas le rôle du maire, d'autant plus que sa volonté d'investiguer, ou celle de l'adjoint délégué, variera selon sa propre sensibilité. En outre, le temps et les moyens consacrés à ces démarches, tout comme les conclusions tirées de ces investigations, sont pluriels et changent d'une mairie à une autre, comme le confirme le Syndicat de la magistrature lui-même.
Pour le dire autrement, il n'y a pas d'égalité de traitement. Ces disparités peuvent même être interprétées comme une inégalité devant la loi, en complète opposition à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. »
Ainsi, ma proposition de loi est un moyen de clarifier et d'uniformiser notre droit, mais aussi, in fine, de protéger les élus. En revanche, contrairement à ce que j'ai pu lire, elle n'est pas une manière de remettre en cause nos droits fondamentaux. Elle n'est pas non plus un texte teinté d'un quelconque ressentiment vis-à-vis des étrangers. Elle n'est pas, enfin, un texte populiste surfant sur l'actualité politico-juridique d'un édile de l'Hérault.
M. Fabien Gay. Mais non…
M. Stéphane Demilly. En effet, je le rappelle, j'ai déposé cette proposition de loi en 2023, à la suite de l'affaire Wilmotte.
Je souhaite également anticiper les préoccupations légitimes que soulève ce texte, notamment au regard de la protection des droits et du respect des libertés individuelles.
M. Thomas Dossus. Ah !
M. Stéphane Demilly. Par exemple, je n'ignore pas la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui, dans sa décision du 20 novembre 2003, a estimé qu'une telle mesure constituerait une atteinte disproportionnée au droit fondamental du mariage.
Cependant, plus de vingt ans après, le contexte a radicalement évolué.
Mme Frédérique Puissat. Eh oui !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Absolument !
M. Stéphane Demilly. Ainsi, en 2003, le nombre des OQTF prononcées était de 20 000, contre 130 000 en 2023, soit plus de six fois plus !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Tout est dit !
M. Stéphane Demilly. Pour rendre sa décision, le Conseil constitutionnel s'était fondé sur les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui consacrent la liberté personnelle. Je tiens donc à rappeler spécifiquement les termes dudit article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »
Je répète cette dernière phrase : « Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »
Mme Marie-Do Aeschlimann. Très bien !
M. Stéphane Demilly. Je vous propose donc aujourd'hui, mes chers collègues, de déplacer le curseur de ces bornes, puisque c'est nous qui faisons la loi !
D'aucuns évoqueront peut-être nos engagements internationaux, notamment l'article 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH). Là encore, relisons-le : « L'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ».
Je répète la fin de cet article : « Selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ». Le texte est donc clair : ce droit est encadré par les lois nationales des États. Or c'est l'une de nos prérogatives que de faire évoluer ces dernières.
Au travers de sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs régulièrement clarifié sa position, indiquant que, concernant les restrictions que la loi nationale peut appliquer au droit du mariage, les États jouissent d'une « ample marge d'appréciation », notamment lorsqu'ils sont appelés à protéger les intérêts de la société.
On pourrait d'ailleurs citer ici l'exemple du Danemark, pays membre de l'Union européenne, qui impose depuis 2002 la détention d'un titre de séjour valide pour les étrangers qui souhaitent se marier dans le pays. Même si certains me rappelleront la particularité danoise liée au mécanisme d'exemption, il n'en reste pas moins vrai que je ne fais que proposer la même mesure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
M. Stéphane Demilly. C'est également le cas, depuis 2011, pour la Suisse, pays membre du Conseil de l'Europe.
Mme Valérie Boyer. Il a raison !
M. Stéphane Demilly. Oui, mes chers collègues : le mariage est une institution protégée par la loi, mais rien n'interdit de la préciser, donc de la faire évoluer, pour éviter des contournements de son esprit.
Je souhaite appeler aujourd'hui à un débat riche et constructif, ainsi qu'à l'examen approfondi des amendements déposés sur ce texte.
« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement », disait Boileau. En interdisant avec cette proposition de loi le mariage de personnes en situation irrégulière, nous visons, une fois de plus, à clarifier les choses, à protéger les maires et à prévenir les abus.
Puisque j'ai évoqué un homme de lettres du XVIIe siècle, qu'il me soit permis de conclure en citant un auteur de la première moitié du XVIIIe siècle, Montesquieu, qui, dans L'Esprit des lois, écrivait : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». (M. Thomas Dossus manifeste son ironie.)
Mes chers collègues, il me semble que cette proposition de loi est utile et qu'elle renforce les lois de notre République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Pierre Grand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, par un hasard du calendrier, nous voilà réunis aujourd'hui pour débattre d'une proposition de loi de notre collègue Stéphane Demilly, laquelle trouve un large écho dans l'actualité judiciaire, médiatique et politique.
En tant que rapporteur de la commission des lois, il ne me revient pas de prendre position sur les affaires judiciaires en cours, qui accaparent l'attention de la presse et interpellent très largement notre population quant à la justesse de notre législation civile et pénale.
Je rappelle simplement que M. Robert Ménard, maire de Béziers, n'est pas le seul édile à avoir été assigné en justice pour avoir refusé de célébrer un mariage dont l'un des futurs époux était soumis à une obligation de quitter le territoire français. L'auteur du texte a également cité Stéphane Wilmotte, maire d'Hautmont, que nous avons eu l'honneur de recevoir au Sénat il y a quelques jours.
Cela dit, sans ignorer ce contexte judiciaire, la commission des lois a adopté une position en deux temps, fondée sur une analyse juridique approfondie, plutôt que sur l'émotion à court terme, partagée ou non, que suscitent les procédures judiciaires en cours.
Tout d'abord, je souhaite éclairer nos collègues membres d'une autre commission en dressant un rapide état du droit en la matière.
Actuellement, la liberté du mariage est, certes, consacrée par quatre décisions constitutionnelles et traités internationaux. Elle n'est pas, pour autant, absolue. Ces limites à la liberté matrimoniale ne peuvent, en outre, être déterminées que par la loi, donc par le législateur, comme l'a rappelé, à plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel. Nous sommes donc, aujourd'hui, dans notre rôle.
Les restrictions à la liberté du mariage prévues par la législation française sont cependant peu nombreuses : elles sont quatre et concernent exclusivement les mineurs, la polygamie, la consanguinité et l'absence de consentement. Cette dernière constitue, en fait, le cœur de la question qui nous est soumise ce matin. En effet, c'est sur ce fondement que repose le dispositif civil de prévention des mariages simulés ou arrangés, appelés couramment les mariages blancs ou gris.
Or dans sa jurisprudence, la Cour de cassation a toujours associé les mariages arrangés à un vice de consentement. C'est ainsi sur ce motif que le ministère public peut s'opposer à de tels mariages, sur saisine, bien évidemment, de l'officier d'état civil. Ce dernier doit apprécier, notamment sur la base des pièces fournies par les époux et des auditions qu'il peut mener, s'il existe « des indices sérieux laissant présumer » un mariage simulé ou arrangé.
Le procureur a ensuite le choix de laisser le mariage se tenir, de s'y opposer ou de surseoir à la célébration dans l'attente des résultats d'une enquête. Ce sursis est actuellement limité à une durée d'un mois renouvelable une fois, à l'expiration de laquelle il fait savoir à l'officier d'état civil, par une décision motivée, s'il laisse le mariage se produire ou s'il refuse sa célébration.
Bien que ces dispositions constituent une entrave à la liberté du mariage, le Conseil constitutionnel a considéré que le cadre législatif actuel était conforme à la constitution. D'une part, en effet, cette liberté « ne fait pas obstacle à ce que le législateur prenne des mesures de prévention ou de lutte contre les mariages contractés à des fins étrangères à l'union matrimoniale ». D'autre part, il a réfuté explicitement l'existence d'un droit de contracter le mariage à des fins étrangères à l'union matrimoniale.
Il y a donc une reconnaissance constitutionnelle de ces bornes à la liberté du mariage. Cependant, celle-ci est, en l'état du droit et de la jurisprudence actuels, dissociée du droit au séjour.
Autrement dit, cette liberté du mariage n'est pas conditionnée à la régularité du séjour. C'est la raison pour laquelle le maire, en tant qu'officier d'état civil, ne dispose d'aucun pouvoir pour s'opposer formellement au mariage de toute personne présente en situation irrégulière sur le territoire national, ou encore d'une personne soumise à une OQTF.
Cela résulte d'une décision de 2003 du Conseil constitutionnel, laquelle énonce clairement que « le respect de la liberté du mariage […] s'oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l'intéressé ». Ainsi, l'officier d'état civil ne peut, en l'état actuel du droit, demander une pièce justifiant de la régularité du séjour des futurs époux, même à titre informatif.
Le code pénal prévoit d'ailleurs qu'un maire qui s'opposerait, de façon illégale, à la célébration d'un mariage est passible d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, assortie d'une peine complémentaire d'inéligibilité. Telles sont les sanctions qu'encourent, actuellement, les maires de Béziers et d'Hautmont.
Une fois rappelé le cadre juridique qui structure notre débat de ce jour, et afin d'éviter des polémiques stériles de la part des opposants à cette proposition de loi (M. Jean-Claude Tissot proteste.), je précise d'ores et déjà que l'incompatibilité du dispositif initial avec la jurisprudence constitutionnelle n'a jamais été niée par la commission des lois. Celle-ci l'a même formalisé clairement dans son rapport, adopté à l'unanimité.
Ainsi, j'y insiste, le débat ne porte pas sur une éventuelle marge d'interprétation laissée par le Conseil constitutionnel quant au dispositif initial du texte.
J'en viens désormais à la position de la commission, qui s'est construite en deux temps. En effet, celle-ci était consciente de la fragilité constitutionnelle du texte initial et gênée par son caractère lacunaire, qu'a reconnu son auteur. Notamment, l'autorité chargée de se prononcer sur le respect de la condition de régularité du séjour n'était pas précisée.
C'est pourquoi la commission a rejeté le texte à l'unanimité lors de son premier examen, la semaine dernière – pour des raisons sans doute différentes d'un groupe politique à l'autre… Il ne s'agissait toutefois pas d'un rejet sec, et cela pour deux raisons.
En premier lieu, une majorité des commissaires partagent les deux objectifs de ce texte, à savoir, d'une part, la protection des officiers d'état civil, les maires, qui ne disposent pas toujours de toutes les informations nécessaires à l'appréciation de la légalité des mariages, et, d'autre part, le renforcement de la prévention et de la lutte contre les mariages simulés ou arrangés, qui dévoient une institution centrale de notre société. En effet, nonobstant le déni dont font preuve certaines associations que j'ai auditionnées, ces derniers sont une réalité incontestable.
En second lieu, comme je m'y étais engagé vis-à-vis de la commission, nous avons déposé, en vue de la séance publique, des amendements de nature, selon moi, à concilier les exigences du Conseil constitutionnel et les objectifs de cette proposition de loi. Élaborés en bonne intelligence et en coordination avec les services du ministère de la justice, ils constituent, je le pense, une voie de passage raisonnable, que je vous présenterai plus en détail lorsque nous les examinerons.
Ces trois amendements, j'y insiste, ont un caractère détachable du dispositif initial du texte. Ils peuvent être vus, soit comme tendant à le compléter utilement en précisant les moyens dont disposeront les maires et le ministère public pour s'opposer au mariage au sein duquel l'un des futurs époux est en situation irrégulière, soit comme un renforcement, même sans l'adoption du dispositif initial, des prérogatives des maires et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés.
Pour conclure, il est vrai que la situation des maires d'Haumont et de Béziers nous interpelle et que la jurisprudence du Conseil constitutionnel soulève des interrogations quant aux marges d'action réduites qu'elle laisse au législateur.
C'est la raison pour laquelle nous estimons que l'institution du mariage doit être protégée de tout dévoiement et que la liberté matrimoniale ne doit pas être confondue avec un passe-droit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Pierre Grand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Bernard Buis et Jean-Pierre Grand applaudissent également.)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, certains textes que nous sommes amenés à examiner exigent des démonstrations juridiques très fines. D'autres relèvent de la simple évidence, pour ne pas dire du bon sens. La proposition de loi de Stéphane Demilly et de ses collègues centristes appartient sans doute à cette seconde catégorie.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Tout à fait !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Elle repose sur une idée simple : le mariage, acte d'engagement, ne peut être conclu que par des personnes en capacité de s'engager.
Ainsi, la proposition de loi qui nous est présentée est nécessaire, parce qu'elle répond à une incohérence criante : comment un État peut-il constater qu'une personne est en situation irrégulière, tout en lui permettant d'accéder à une institution aussi forte et symbolique que le mariage, qui ouvre, en droit français, des droits durables ?
La situation irrégulière signifie, par essence, que l'intéressé n'a pas vocation à demeurer de manière prolongée sur le territoire national.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est en attente !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Dans ces conditions, comment justifier l'accès à une institution qui consacre une forme de pérennité ?
M. Thomas Dossus. Par l'amour !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Cette contradiction fragilise l'autorité de l'État et nourrit l'incompréhension criante de nos concitoyens. Plus encore, elle vient placer, au cœur de ce paradoxe, les acteurs essentiels de la démocratie que sont les maires, représentants de l'État, représentants du préfet, représentants du procureur de la République.
Premiers garants de la légalité des actes civils, ils se trouvent aujourd'hui en première ligne d'un front qu'ils n'ont pas choisi. En effet, la célébration du mariage est à la fois un devoir d'officier d'état civil et un acte fort qui peut contribuer à la construction d'une famille dans la commune.
Le mariage n'est pas une simple déclaration d'amour. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'être amoureux pour se marier,… (Sourires.)
M. Thomas Dossus. C'est tout de même mieux !
M. Jean-Claude Tissot. Cela dure plus longtemps !
M. Patrick Kanner. Ça, c'est bien vrai !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Un mariage oblige à une communauté de vie. Un mariage oblige au secours, à l'assistance, à l'éducation des enfants – tout ce qui est désormais dit et redit dans toutes les salles de mariage de France. Pour avoir été maire, comme nombre d'entre vous, j'ai moi aussi fait la lecture des articles du code civil concernés.
Toutefois, comment contribuer à une communauté de vie, au secours, à l'assistance, à l'éducation des enfants et à la pérennité de la famille quand on doit être expulsé du territoire national ?
« Mariage d'amour, mariage d'argent, j'ai vu se marier toutes sortes de gens », disait Brassens. Mais les maires sont souvent les spectateurs des tentatives d'instrumentalisation de cette institution. Nous ne comptons plus les témoignages d'élus qui font part de leur malaise face à des situations où la fraude est soit criante, soit larvée, ce qui les place dans une position dans laquelle le courage n'est, aujourd'hui, plus suffisant.
En l'état de notre droit, et alors même qu'ils ont connaissance de la situation irrégulière du futur conjoint, des maires se retrouvent contraints de célébrer un mariage ouvrant le droit direct à une régularisation.
Quand bien même un signalement au parquet aurait été réalisé, quand bien même le parquet aurait répondu, quand bien même une mesure d'éloignement aurait été ordonnée, le maire se retrouve obligé de célébrer une union qui ne constituera qu'un obstacle à l'État de droit.
Mme Marie-Do Aeschlimann. C'est sûr !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Si cette proposition de loi est l'œuvre d'un sénateur, il ne faut pas y voir un hasard. Le Gouvernement et la société ne peuvent être sourds à la volonté de la chambre représentant les collectivités locales, porte-parole des maires. Le Gouvernement et la société ne peuvent être sourds au cri d'alarme du maire d'Hautmont, dans le Nord, qui a courageusement essayé de poursuivre l'action de l'État – celui-ci avait fermé la mosquée radicalisée et ordonné l'expulsion de la personne en cause –, mais qui était obligé par la loi de célébrer ce mariage.
Mettre en cohérence notre droit est, avant tout, une manière de protéger les maires, de leur redonner les moyens d'agir face aux abus, mais, surtout, de restaurer l'autorité de l'État et la force de nos lois dans chacune des mairies de France. Remettre du bon sens dans notre droit et du bon sens au ministère de la justice, voilà le sens de l'œuvre du sénateur Demilly, que je soutiens particulièrement.
Deux débats vont donc se tenir ce matin, dont la légitimité est bien sûr entière.
Sur le fond, certains soutiendront que cette mesure constitue une atteinte aux libertés fondamentales. À ceux-là, je veux dire très clairement que, en République, les droits s'acquièrent dans le respect des règles communes, et d'aucune autre manière.
Mme Frédérique Puissat. Exactement !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. La régularité du séjour est la condition même de l'intégration. Ainsi, permettre à une personne en situation irrégulière de se marier ouvre le droit à une régularisation, ce qui affaiblit considérablement nos règles de vie en commun, ainsi que la loi votée par le Parlement et validée par ailleurs par le Conseil constitutionnel.
C'est pourquoi ce texte vise à rétablir une logique simple : l'accès au mariage et aux nombreux droits qu'offre cette institution ne se conçoit pas sans le respect de nos lois sur le séjour.
Le second débat est juridique : le Parlement ne pourrait légiférer, parce que la Constitution ou la CEDH l'interdiraient.
S'agissant des engagements internationaux de la France, il faut regarder la réalité en face : la Suisse, ou encore le Danemark, sous des gouvernements comprenant des socialistes, ont déjà adopté des législations similaires à celle que vous allez adopter, je n'en doute pas, dans quelques instants.
Si le Danemark, classé premier en matière de respect de l'État de droit par le World Justice Project, a estimé pouvoir interdire le mariage aux personnes en situation irrégulière, je crois que la France peut suivre son gouvernement, qui a été membre de l'internationale socialiste européenne. Elle peut s'engager sur cette voie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Pierre Grand applaudit également.)
M. Thomas Dossus. Tout va bien !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Personne ne méconnaît, monsieur le rapporteur, la décision de 2003 du Conseil constitutionnel que vous avez mentionnée. Nul n'entend mépriser son autorité.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Sans blague !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Cependant, la Constitution n'interdit pas de rédiger une telle loi ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Thomas Dossus s'exclame.) Il s'agit d'une interprétation, d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Merci Richard Ferrand !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. En effet, la stabilité n'est pas l'immobilisme. Demander au Conseil constitutionnel de réexaminer sa position n'est pas un acte de défiance, mais, bien au contraire, un acte de confiance en sa capacité à s'adapter aux réalités de notre temps, comme l'ont voulu Michel Debré et le général de Gaulle en rédigeant la Constitution de 1958.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais bien sûr ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Poser deux fois la même question au juge constitutionnel à vingt ans d'intervalle, ce n'est être ni insolent ni kamikaze.
M. Patrick Kanner. Comme son nouveau président !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est reconnaître que la société évolue, que les enjeux changent et qu'il appartient à notre plus haute juridiction d'accompagner cette évolution.
M. Roger Karoutchi. Eh oui…
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. En un mot, il s'agit d'entendre le sentiment du peuple français, qui a changé sur le mariage et sur les personnes qui peuvent se marier sur le sol national.
M. Franck Dhersin. Absolument !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne se marie pas en entrant dans une mairie par effraction. Cela vaut pour les mariages gris et, plus généralement, pour tous ceux qui utilisent notre légalité pour escroquer non seulement leur futur conjoint, mais également la République.
Telle est la raison pour laquelle le Gouvernement soutiendra la proposition de loi et les amendements de M. le rapporteur, dont je crois qu'ils tendent à assurer la parfaite constitutionnalité et la sécurité juridique de l'interdiction proposée.
En luttant contre les mariages frauduleux, ce texte contribuera à soutenir les maires de notre pays et à rétablir l'autorité de l'État. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains et UC.)