M. Ian Brossat. Je voudrais formuler deux remarques sur l’ensemble de la discussion que nous menons depuis tout à l’heure sur cette proposition de loi.

Premièrement, on parle dans cette enceinte – enfin ! – de salaires, de travail, de rémunération, de dignité au travail. Cela change et cela fait du bien ! On ne peut pas dire que ce soit particulièrement fréquent… Quand je lis notre ordre du jour pour les semaines à venir, je vois un débat sur les relations entre la France et l’Algérie, une proposition de loi sur le mariage des personnes sans papiers, un texte sur l’allongement de la durée de rétention en centre de rétention administrative (CRA)…

Cela fait donc du bien de parler salaires ! Il se trouve, par ailleurs, que c’est la première préoccupation des Français, donc cela tombe bien…

Par conséquent, on peut saluer l’initiative des camarades du groupe communiste – j’en fais partie (Rires.) –, qui ont permis que ce sujet soit enfin inscrit à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.

Deuxièmement, on nous dit qu’il est très bien de parler de ce sujet, mais que nos propositions ne sont pas les bonnes… Dans ce cas, nous attendons les propositions de rechange !

Et là, qu’est-ce que l’on entend ? Qu’il faudrait mettre en place une politique de l’offre… Celle-là même, pro-business et pro-entreprises, qui a été mise en œuvre depuis sept ans, qui a abouti au résultat que nous connaissons, à savoir des salaires ne permettant pas aux gens de vivre de leur travail, et qui n’a pas empêché que 300 plans de licenciements menacent aujourd’hui de mettre sur le carreau 300 000 personnes !

Je veux bien que l’on fasse l’éloge de la politique de l’offre, mais, manifestement, ce n’est pas cette politique-là qui permet aux salariés de vivre de leur travail. Voilà pourquoi cette proposition de loi méritait d’être votée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote sur l’article.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je souscris pleinement aux propos de Ian Brossat, mais je veux revenir, madame la ministre, sur ce que vous avez indiqué à propos de la fameuse boucle prix-salaires.

Vous avez cité des phrases du FMI, que nous aurions cachées, mais que signifient-elles vraiment ? Que les salaires doivent prendre du retard sur l’inflation pour éviter la boucle prix-salaires, mais qu’ils doivent ensuite rattraper ce retard. Je rappelle d’ailleurs que cette proposition de loi vise à maintenir ou à protéger le pouvoir d’achat. Il ne s’agit pas de l’augmenter ! Nous en revenons ici au lien avec l’extrême droite dont nous avons parlé tout à l’heure.

Durant la discussion générale, je pointais du doigt une certaine contradiction, parce que l’on ne peut pas parler en même temps d’effet pervers et d’inanité.

Vous affirmez que, en fin de compte, les salaires suivent, mais avec un certain retard qui permettrait selon vous d’éviter la boucle prix-salaires. Mais cela signifie que c’est le salarié qui doit absorber entièrement les chocs, et surtout pas l’entreprise. Les salaires peuvent être affectés, mais il ne faut toucher en aucune façon aux taux de marge ! C’est avec ce genre de logique que l’on retrouve tant de gens aux Restos du Cœur… Les taux de marge des entreprises devraient aussi prendre leur part.

Vous avez également évoqué les partenaires sociaux. Mais pourquoi sont-ils favorables à l’indexation ? Parce qu’ils veulent préserver les grilles de classification, qui sont au cœur des négociations de branches et que la non-indexation déstabilise.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Tout à fait !

Mme Raymonde Poncet Monge. Vous appelez cela le tassement, mais pour les organisations syndicales, c’est une lente destruction des grilles de classification. Aussi, pour les préserver, indexons-les !

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote sur l’article.

Mme Frédérique Puissat. Je voudrais revenir sur certains propos laissant entendre que, sur la question du pouvoir d’achat, nous serions restés les bras ballants.

Mes chers collègues, nous vous avons remerciés de ce débat, car il est vrai que ce sujet est important pour les Français, mais nous ne sommes pas d’accord avec la proposition que vous formulez.

Ce n’est pas pour autant que nous ne proposons rien : Corinne Bourcier et moi-même avons publié un rapport d’information, au nom de la commission des affaires sociales – je veux en remercier son président –, intitulé Négociations salariales et smicardisation : faux débat, vrai problème, dans lequel nous formulions quinze propositions.

Ces propositions sont certes techniques, mais elles sont importantes et elles répondent à nombre d’attentes des salariés – d’ailleurs, elles deviendront peut-être une proposition de loi.

Ce rapport a été publié en juin 2024, au moment de la dissolution, et nous n’avons peut-être pas parlé assez fort pour nous faire entendre, mais nous avons bien travaillé sur la question du pouvoir d’achat.

Je le redis, nous avons formulé des propositions, mais il est vrai que nous n’avons pas la même vision des choses.

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote sur l’article.

Mme Monique Lubin. En conclusion des interventions de mon groupe, je veux insister sur un point : nous ne devrions pas, comme je l’entends trop souvent, opposer entreprise et salarié. Il n’y a pas d’entreprise, même petite, sans salarié.

Mme Frédérique Puissat. Et pas de salarié sans entreprise !

Mme Monique Lubin. Je n’ai pas bien entendu votre interruption, chère collègue : j’imagine que vous avez dit qu’il n’y avait pas d’entreprise sans patron. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais quand les entreprises tournent bien, les patrons savent se rémunérer…

La première richesse d’une entreprise, ce sont ses salariés. Et, je le redis, il n’y a pas d’entreprise sans salarié.

Mme Brigitte Devésa. Et pas de salarié sans entreprise !

Mme Monique Lubin. Les salariés doivent être parties prenantes de la vie de leur entreprise. Ils doivent être protégés en premier.

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 204 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l’adoption 111
Contre 225

Le Sénat n’a pas adopté.

Il en est donc de même de l’article 5.

Mes chers collègues, les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés, un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Silvana Silvani, rapporteure. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il était intéressant que ce débat ait eu lieu. Il a montré, s’il en était besoin, que nous avions à tout le moins des différends. Je souhaite donc vous remercier tous de vos contributions.

Je veux également remercier particulièrement le secrétariat de la commission des affaires sociales, qui a fourni un remarquable travail. Nous nous sommes, disons-le ainsi, autorégulés !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je m’associe aux remerciements qui viennent d’être formulés, avec une pensée particulière pour Cathy Apourceau-Poly, qui est à l’origine de cette proposition de loi.

Comme cela a été dit, la commission des affaires sociales aborde dans ses travaux les sujets du pouvoir d’achat et des salaires. J’invite tout un chacun à lire nos rapports ! Madame la ministre, vous pourriez même vous inspirer de nos propositions.

Au-delà de nos différences de points de vue, il est évident que le Gouvernement devra s’emparer de ces questions. Dans les semaines et les mois qui viennent, à l’issue de cette période budgétaire, nous devrons traiter de problèmes éminemment sociaux, comme le pouvoir d’achat, la rémunération, les retraites, etc. Sur tous ces sujets, qui seront à mon avis tout à fait d’actualité, le Sénat a des propositions à formuler.

Article 4 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation
 

11

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant à l'application en droit français de la directive européenne relative à l'amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques
Discussion générale (fin)

Conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques

Rejet d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, l’examen de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, tendant à l’application en droit français de la directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues (proposition n° 548 rectifiée [2023-2024]).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Barbara, auxiliaire de vie, ne travaille plus depuis son accident en 2023. Envoyée par Pôle emploi vers la plateforme Click & Care, elle pensait être en intérim, jusqu’au jour où, en protégeant une patiente d’une chute, elle s’est blessée grièvement : rotule fissurée, opération, douleurs persistantes.

Quand elle a demandé la reconnaissance de son accident du travail, la réponse a été brutale : « Vous êtes autoentrepreneuse, nous ne salarions personne. » Plannings imposés, missions assignées… Tout indiquait pourtant une relation de subordination. Aujourd’hui, sans droits ni protection, cette femme est abandonnée.

Ce témoignage n’est pas isolé. Des centaines de milliers de travailleurs de plateformes vivent cette précarité imposée sous couvert d’indépendance fictive.

Cantonnée dans un premier temps aux taxis et à l’hôtellerie, la plateformisation s’est infiltrée dans tous les secteurs, du dépannage au service à la personne. Même le droit, réputé intouchable, est affecté. Progressivement, ce modèle gangrène notre économie, détricote le droit du travail, sape la protection sociale et précarise toujours plus de travailleuses et de travailleurs.

Ce qui relie ces milliers de travailleurs, c’est non pas l’indépendance qu’on leur promet, mais la précarité qu’on leur impose.

Revenu instable, protection sociale inexistante, peur constante de perdre leur activité. Ils ne négocient pas leurs contrats, ils les subissent, sans voix ni recours face aux décisions d’un employeur masqué derrière une interface. Un clic, et ils sont « déconnectés », effacés d’un marché qui les exploite.

On nous vante l’autonomie. Mais comment l’être quand une intelligence artificielle surveille, contrôle et décide de tout, sauf de leur dignité ? L’indépendance, c’est choisir, négocier, refuser. Or ces travailleurs n’ont que l’illusion du choix.

Aujourd’hui, 28 millions de travailleurs dépendent en Europe des plateformes. Demain, ils pourraient être 43 millions ! En France, ils sont déjà plus de 600 000, et bien plus encore si l’on compte celles et ceux qui échappent aux statistiques. Derrière ces chiffres, il y a des visages, des vies et une réalité sociale.

La révolution numérique a bouleversé le monde du travail à une vitesse vertigineuse. Elle a été orientée vers un modèle économique inédit : celui des plateformes, qui redéfinissent la relation entre travailleurs, clients et entreprises.

Ces plateformes numériques recouvrent des réalités diverses. Certaines, comme les plateformes d’intermédiation, se limitent à une simple mise en relation des particuliers, sans interférer.

Les plateformes de travail, en revanche, vont bien au-delà. Elles exploitent la force de travail pour accomplir des tâches spécifiques, dirigeant et contrôlant les travailleurs sans reconnaître leur lien de subordination. Elles les placent dans une situation de dépendance économique, leur imposant des conditions de travail qui échappent à tout cadre de protection.

Sur le papier, c’est une promesse alléchante : travailler librement, en un clic, à la demande. Dans la réalité, c’est une mise sous tutelle algorithmique, une dépendance totale à des applications qui distribuent le travail au gré de leur logique opaque.

Nous assistons à une mutation profonde du salariat, où la relation de subordination ne disparaît pas, mais change de visage. Moins visible, plus insidieuse, elle prive des millions de travailleurs des droits les plus fondamentaux.

Face à cela, nous devons choisir : laisser faire ou protéger.

Le 23 octobre 2024, l’Union européenne a pris ses responsabilités, en promulguant une directive pour mieux protéger ces travailleurs, leur reconnaître des droits et encadrer ces plateformes. Cette directive, qui devra être transposée d’ici à deux ans, impose à chacun des vingt-sept États membres d’instaurer un système de présomption de salariat dans sa législation nationale.

L’un des progrès majeurs réside dans le renversement de la charge de la preuve : désormais, c’est à la plateforme de prouver qu’elle n’entretient pas de lien de subordination avec ses travailleurs – c’est un changement fondamental.

Cette directive impose aussi un contrôle accru du management algorithmique, interdisant à la plateforme de manipuler à sa guise ses algorithmes, tout en garantissant le droit à recevoir une explication quant à leur fonctionnement.

Aussi, pourquoi devons-nous absolument adopter cette proposition de résolution, qui appelle à une application immédiate de cette directive en droit français, sans attendre deux années supplémentaires et de la manière la plus ambitieuse possible ? Parce que, en dépit de ces avancées, la France, lors des discussions, avait pris une position isolée, votant contre ce texte, seule contre tous, cherchant à imposer à tout prix une dérogation « à la française »…

Plutôt que de reconnaître enfin le lien de subordination qui lie les travailleurs aux plateformes, le gouvernement de M. Attal a préféré se réfugier derrière l’illusion de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (Arpe).

Présentée comme un outil de dialogue social, cette instance n’est en réalité qu’un cache-misère destiné à maintenir l’ambiguïté du statut des travailleurs. Elle leur accorde quelques concessions, tout en les maintenant dans la précarité. Une tromperie, dénoncée par de nombreux experts et juristes, qui ne résout en rien la question fondamentale : ces travailleurs ne sont pas indépendants ; ils sont subordonnés et ils doivent être reconnus comme tels.

Comment l’Arpe a-t-elle récemment répondu à la détresse des livreurs Uber ? Par une augmentation de 10 centimes sur le prix minimum de la course… Vous m’avez bien entendu, mes chers collègues : 10 centimes ! Voilà le mépris dans lequel on tient ces travailleurs qui, sous la pluie ou en pleine canicule, assurent les livraisons. Voilà la grande avancée sociale que le Gouvernement ose mettre en avant pour justifier son refus de la directive européenne.

Différents gouvernements ont ainsi choisi de soutenir les intérêts des plateformes, au détriment de ceux qui, lors de l’épidémie de la covid-19, étaient applaudis, au détriment de ceux qui, chaque jour, permettent aux plus isolés d’avoir accès aux services essentiels. Ces travailleurs méritent bien plus que des remerciements ou des promesses vides. Ils méritent des droits.

Le choix politique d’Emmanuel Macron est lourd de conséquences : maintenir un système injuste et précaire, alors que tous les partis, de la gauche au centre droit, ont défendu un cadre juridique garantissant des droits essentiels à ces travailleurs.

Malgré des approches économiques différentes – nous les avons constatées lors du débat précédent –, toutes les sensibilités politiques s’accordent sur l’urgence d’assurer à ces travailleurs protection et droits. Il est temps d’être cohérent, comme l’ont été les députés de toutes sensibilités politiques en défendant la directive au Parlement européen.

Notre proposition de résolution ne fait que refléter les conclusions unanimes – je dis bien unanimes – de la mission d’information du Sénat de 2021, présidée par Martine Berthet, sur l’ubérisation de la société.

En 2021, nous étions unanimes pour étendre aux travailleurs des plateformes les garanties des salariés en matière de sécurité au travail – proposition n° 2.

En 2021, nous soutenions unanimement leur droit à un document clair et détaillé sur les logiques de fonctionnement des algorithmes – proposition n° 11.

En 2021, nous approuvions à l’unanimité l’extension des compétences de l’inspection du travail pour contrôler les plateformes.

La directive européenne ne propose ni plus ni moins. Tous les groupes du Sénat, sans exception, ont contribué à formuler ces recommandations et les ont approuvées. Quatre ans plus tard, nous avons enfin l’occasion de les mettre en œuvre.

L’application de cette directive ne protégera pas seulement les travailleurs des plateformes. Son adoption permettra aussi de rétablir les conditions d’une concurrence véritablement libre et non faussée.

Face à ces multinationales qui se jouent des lois et échappent à leurs obligations tout en profitant des infrastructures publiques, les entreprises traditionnelles, elles, sont lourdement pénalisées. Comment un artisan ou une PME pourrait-il rivaliser avec ces géants qui tordent les règles à leur avantage, écrasant le coût du travail ?

Ces plateformes n’ont pas seulement capté un marché : elles ont imposé un modèle destructeur, rendant obsolètes les structures respectueuses du droit du travail et précipitant la disparition de nombreux emplois.

Voilà le véritable danger de la plateformisation sans encadrement : elle ne laisse place à aucun autre modèle. Pis, elle verrouille l’accès au marché pour ceux qui voudraient entreprendre autrement, en respectant le salariat et les droits des travailleurs.

Ce système est un piège pour les travailleurs, un poison pour les petites entreprises et l’artisanat, une menace pour notre modèle social et notre pacte fiscal. Il repose sur un dumping généralisé : dumping social, en exploitant une main-d’œuvre sans protection ; dumping fiscal, en échappant aux contributions qui financent notre protection sociale.

Selon l’Urssaf, le travail dissimulé coûte à la sécurité sociale au moins 6 milliards d’euros par an. Pourtant, plutôt que de cibler les vrais fraudeurs, le président a préféré accuser les travailleurs précaires. Ce ne sont pas eux qui saignent notre système. Ce sont les plateformes qui exploitent la main-d’œuvre tout en échappant largement à l’impôt.

Pis, l’ubérisation touche désormais les services à la personne, instaurant un modèle dans lequel l’État, via des exonérations fiscales, subventionne indirectement la précarité.

Pendant que ces multinationales accumulent les profits, notre protection sociale s’effondre sous le poids des contournements qu’elles mettent en place. Il est temps d’agir.

En 2020, un arrêt de la Cour de cassation reconnaissait pour la première fois l’existence d’un lien de subordination entre un chauffeur Uber et la plateforme. Depuis lors, les décisions de justice s’accumulent. Deliveroo, Stuart, Uber… Tous ont été condamnés pour travail dissimulé. Chaque condamnation confirme l’essoufflement de ce modèle.

Appliquer rapidement la directive européenne, c’est donner à notre système juridique les moyens de faire respecter le droit, alléger la charge des tribunaux, réduire l’insécurité juridique et garantir aux entreprises un cadre stable et équitable, où la concurrence se joue non pas sur la casse sociale, mais sur l’innovation et la qualité du service.

Mes chers collègues, je vous interroge : face à l’urgence, pourquoi attendre ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie chaleureusement nos collègues du groupe communiste d’avoir mis à l’ordre du jour ce texte relatif à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques.

On estime que notre pays compte 600 000 travailleurs rattachés à l’utilisation de plateformes numériques, soit à peu près 2 % de l’emploi en France. C’est le triple d’il y a sept ans.

On a tendance à résumer cette activité aux chauffeurs VTC ou aux livreurs à vélo, mais en réalité ce phénomène touche des métiers variés, jusqu’aux exploitations agricoles, sans oublier les professionnels de santé ou du droit… À l’échelle européenne, les travailleurs des plateformes sont 28 millions.

La directive européenne du 23 octobre dernier marque un pas important dans la reconnaissance des droits des travailleurs, car elle instaure une présomption légale d’emploi et impose à la plateforme de démontrer la non-subordination de la relation de travail.

Cette évolution est la bienvenue, car elle répond à une faille juridique persistante, qui donne lieu à une gestion algorithmique et déshumanisée des travailleurs.

Comme le disent très bien les auteurs de l’exposé des motifs de la proposition de résolution, la directive européenne rétablit une égalité entre l’ensemble des travailleurs, une égalité des droits fondamentaux.

En l’état actuel du droit, ces travailleurs, considérés comme indépendants du fait de leur statut d’autoentrepreneur, ne bénéficient pas de droits au chômage, ils ne sont pas couverts en cas d’accidents du travail et, à terme, ils ne pourront pas accéder à une retraite digne.

Cette situation constitue un véritable danger pour les travailleurs eux-mêmes, mais également un cheval de Troie pour notre sécurité sociale, en normalisant un salariat sans cotisations.

La transposition dans les meilleurs délais de la directive en droit français nous paraît donc tout à fait justifiée pour enrayer la précarisation à l’œuvre. La réglementation et la transparence des algorithmes sont des enjeux essentiels pour l’information des travailleurs et le respect de leurs données personnelles.

Cette directive permet en réalité le retour de l’humain dans la relation de travail.

Nos plus hautes juridictions ont confirmé que la requalification en travailleur salarié était pleinement légitime et devait être facilitée pour des catégories entières de travailleurs de plateforme.

Le compromis européen permet aujourd’hui de réunir les deux bouts de la problématique de l’économie collaborative, à savoir protéger les travailleurs sans enrayer le dynamisme de cette économie numérique.

Espérons que nous mettrons moins de temps à réagir pour encadrer le secteur de l’intelligence artificielle. La « destruction créatrice » chère aux schumpétériens doit être anticipée, pour que nous ne nous retrouvions pas dans le même étau et à la merci de firmes sans adresse jouant sur nos vides juridiques.

La balle est désormais dans le camp du Gouvernement, à qui j’enjoins, avec nos collègues, de transposer cette directive sociale, qui posera un cadre attendu tant par les entreprises que par les citoyens.

On parle souvent dans cet hémicycle de surtransposition pour critiquer un certain penchant parlementaire à voter des normes plus contraignantes que celles de nos voisins. Évitons également de nous mettre en situation de sous-transposition dans ce domaine majeur. Le groupe RDSE votera donc à l’unanimité ce texte de bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)

Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution présentée par notre collègue Pascal Savoldelli appelle à une transposition rapide de la directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.

Cette directive va dans le bon sens, car elle apporte de réelles avancées pour les droits des travailleurs. En effet, elle introduit une présomption de relation de travail, qui est déclenchée dès que des faits indiquent la présence d’un contrôle et d’une direction, à l’opposé de la définition du travail indépendant. Cette avancée, conforme au droit national et aux conventions collectives, tient compte de la jurisprudence européenne en la matière.

Cette directive oblige les États membres à établir une présomption légale réfutable d’emploi au niveau national, afin de corriger le déséquilibre de pouvoir entre la plateforme de travail numérique et la personne effectuant le travail via cette plateforme. La charge de la preuve incombe à cette dernière, ce qui signifie que c’est à elle de prouver que la relation contractuelle n’est pas une relation de travail subordonné.

Les nouvelles règles garantissent également qu’une personne effectuant un travail via une plateforme ne peut pas être licenciée ou renvoyée sur la base d’une décision prise par un algorithme ou un système de prise de décision automatisée. Au lieu de cela, les plateformes doivent assurer une surveillance humaine sur les décisions importantes, qui affectent directement les personnes effectuant un travail grâce à elles.

Dans le domaine de la protection des travailleurs, il sera interdit aux plateformes de travail numériques de traiter certains types de données personnelles, comme les données relatives à l’état émotionnel ou psychologique de quelqu’un et les croyances personnelles.

Une analyse de la Commission européenne datant de 2021 a révélé qu’il existait plus de 500 plateformes de travail numériques actives et que le secteur employait plus de 28 millions de personnes, un chiffre qui pourrait atteindre les 43 millions cette année. C’est donc une augmentation significative !

Ces plateformes existent dans différents secteurs économiques, que ce soit grâce à la localisation, avec les services de chauffeurs ou de livraison de nourriture, ou en ligne, avec des services d’encodage de données et de traduction.

Si la plupart des travailleurs des plateformes sont officiellement des indépendants, environ 5,5 millions de personnes pourraient être classées à tort dans cette catégorie. C’est donc une part importante des travailleurs du numérique qui pourraient ainsi bénéficier de nouveaux droits.

La directive européenne en elle-même ne pose pas de difficultés à notre groupe. D’ailleurs, elle a été adoptée très largement par un grand nombre de groupes politiques du Parlement européen. Ces évolutions législatives seront bienvenues et nous ne les remettons absolument pas en cause.

Toutefois, nous avons des divergences avec la proposition de résolution de notre collègue Pascal Savoldelli, dont je salue malgré tout le travail. J’ai aussi une pensée pour notre ancienne collègue Catherine Fournier, qui s’était beaucoup investie sur le sujet.

Vous appelez, cher collègue Savoldelli, à une transposition rapide en droit français de cette directive. Toutefois, nous avons jusqu’à novembre 2026 pour opérer cette transposition. Si un tel délai a été prévu, c’est bien parce qu’il est apparu nécessaire aux négociateurs de ce texte.

J’ai énuméré voilà quelques instants les différents apports de cette directive. Elle implique de nouveaux droits qui nous imposent d’adapter notre réglementation. N’agissons pas avec précipitation.

La mise en œuvre de cette directive nécessitera vraisemblablement un travail de requalification pour nombre de travailleurs, ce qui n’est pas neutre non plus pour les plateformes. Chacun devra donc anticiper les évolutions législatives à venir. C’est la raison d’être de ces délais de transposition.

Par ailleurs, votre proposition de résolution rend nécessaire le recrutement massif d’inspecteurs du travail. Nous avons achevé voilà quelques jours l’examen du PLF et du PLFSS. Chacun a pu prendre conscience des différents efforts budgétaires que notre pays doit faire. Je ne pense donc pas que nous puissions supporter une telle augmentation de ces effectifs dans la période que nous traversons.

Aussi, vous l’aurez compris, notre groupe ne votera pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)