Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Véronique Guillotin.
2. Salutations à une délégation parlementaire ukrainienne
3. Questions d’actualité au Gouvernement
M. François Patriat ; M. François Bayrou, Premier ministre.
M. Claude Malhuret ; M. François Bayrou, Premier ministre.
conséquences du dérèglement climatique sur le littoral côtier
Mme Mireille Jouve ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
demande de débat au parlement sur la situation de l’ukraine
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure ; M. François Bayrou, Premier ministre ; M. Jean-Marc Vayssouze-Faure.
crise démocratique et institutionnelle en france
M. Ian Brossat ; M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
Mme Nadia Sollogoub ; M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jacques Fernique ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche ; M. Jacques Fernique.
réforme du mode de scrutin pour les élections municipales à paris, lyon et marseille
M. Mathieu Darnaud ; M. François Bayrou, Premier ministre ; M. Mathieu Darnaud.
M. Cédric Perrin ; M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Cédric Perrin.
état financier du système des retraites
Mme Monique Lubin ; Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi ; Mme Monique Lubin.
Mme Florence Lassarade ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; Mme Florence Lassarade.
M. Yves Bleunven ; M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
modalités de mise en œuvre du fonds territorial climat
Mme Christine Lavarde ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche ; Mme Christine Lavarde.
M. Jean-Claude Tissot ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; M. Jean-Claude Tissot.
développement du commerce en ligne de produits textiles
Mme Sylvie Valente Le Hir ; Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire.
dépistage de l’amyotrophie spinale
Mme Jocelyne Guidez ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile
4. Mise au point au sujet d’un vote
5. Communication d’avis sur deux projets de nomination
6. Communication relative à une commission mixte paritaire
7. Modification de l’ordre du jour
8. Candidatures à une commission d’enquête
9. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
10. Indexation des salaires sur l’inflation. – Rejet d’une proposition de loi
Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la proposition de loi
Mme Silvana Silvani, rapporteure de la commission des affaires sociales
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi
Clôture de la discussion générale.
Mme Silvana Silvani, rapporteure
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre
Rejet, par scrutin public n° 200, de l’article.
Rejet, par scrutin public n° 201, de l’article.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre
Rejet, par scrutin public n° 202, de l’article.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Audrey Bélim. – Rejet par scrutin public n° 203.
Rejet, par scrutin public n° 204, de l’article, entraînant le rejet de l’article 5.
Tous ses articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mme Silvana Silvani, rapporteure
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales
11. Conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques. – Rejet d’une proposition de résolution
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de résolution
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Rejet, par scrutin public n° 205, de la proposition de résolution.
12. Mise au point au sujet d’un vote
13. Communication d’un avis sur un projet de nomination
14. Modifications de l’ordre du jour
15. Ordre du jour
Nomination de membres d’une commission d’enquête
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Alexandra Borchio Fontimp,
Mme Véronique Guillotin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Salutations à une délégation parlementaire ukrainienne
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur, une délégation de députés ukrainiens, conduite par Mme Liudmyla Buimister, présidente du groupe d’amitié Ukraine-France de la Rada. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent et applaudissent longuement.)
Elle est accompagnée par notre collègue Nadia Sollogoub, présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, dont je tiens à saluer le travail remarquable. (Applaudissements.)
La délégation s’est entretenue aujourd’hui avec Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et avec Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Alors que les combats se poursuivent à l’est et au sud-est de l’Ukraine, et que la Russie conduit des attaques brutales contre des infrastructures civiles, la France continue de condamner cette guerre d’agression comme elle l’a fait dès la première heure.
Sa solidarité avec l’Ukraine est inébranlable ; de même que son soutien politique, humanitaire et militaire. Nous tenons à l’affirmer avec force : il ne peut y avoir de négociations sans la participation de l’Ukraine et sans l’Union européenne, car il y va de la sécurité collective du continent européen tout entier. (Vifs applaudissements.)
Le Sénat apporte lui-même un soutien parlementaire actif. En témoignent les trois résolutions adoptées en 2022 et en 2023 : la première, condamnant la guerre d’agression russe ; la deuxième, reconnaissant le génocide ukrainien de 1932-1933 ; la troisième dénonçant les déportations d’enfants ukrainiens par la Russie.
L’année 2025 marquera le dixième anniversaire de notre coopération avec la Rada. Cette coopération se développe aujourd’hui en particulier dans la perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.
Cet avenir en commun, nous y croyons, car lui seul ouvre l’horizon de paix durable et juste que nous appelons de nos vœux.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, j’assure de nouveau nos amis ukrainiens du soutien du Sénat de la République française dans leur combat pour la liberté et la souveraineté de leur pays. (Applaudissements.)
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
situation internationale (i)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, nous nous joignons bien entendu à vos propos à l’égard de nos amis ukrainiens, à qui nous apportons notre entier soutien.
Monsieur le Premier ministre, les États-Unis sont-ils toujours nos alliés ?
Pendant que la loi du plus fort tente de s’imposer, notre continent fait face à une menace existentielle. Alors que l’Europe se doit de garantir la paix à ses frontières, elle peine, aujourd’hui, à exister dans la résolution de la guerre.
L’Europe que nous avons bâtie depuis soixante-quinze ans est à la croisée des chemins. Depuis la fin de la guerre froide, jamais notre continent n’a été, à ce point, mis à l’épreuve par des éléments exogènes et endogènes qui le percutent dans ses fondamentaux historiques.
Nous faisons face à la fin d’une époque où tout ce que nous considérions comme acquis est désormais réexaminé, révisé, voire renversé.
Le dernier fait en date est la position américaine sur la guerre menée par la Russie en Ukraine, le président américain ayant affirmé hier que le président Zelensky aurait pu éviter le conflit.
Par son revirement stratégique, le président Trump a acté un renversement d’alliance en prenant le parti d’ouvrir des négociations bilatérales avec la Russie mettant de côté les Européens, mais aussi les premiers concernés : les Ukrainiens.
En souhaitant imposer à l’Ukraine une paix non concertée pour une guerre qu’elle n’a pas provoquée, les États-Unis renforcent la position impérialiste de Poutine qui menace désormais toute l’Europe.
Notre continent ne peut plus compter sur son allié américain. Face au risque existentiel qui pèse sur lui, nous devons désormais assurer nous-mêmes notre sécurité.
Je salue ainsi toutes les initiatives prises depuis 2017 par le Président de la République pour promouvoir un réarmement européen et créer une véritable défense européenne. Le sommet de Paris en est une étape cruciale et décisive.
Notre protection n’a pas de prix et passera par un effort inédit pour notre défense dans l’Union européenne.
Monsieur le Premier ministre, face à la désunion internationale orchestrée par M. Trump et aux volontés impérialistes de M. Poutine sur notre continent, comment la France et l’Europe peuvent-elles encore incarner la défense des valeurs démocratiques et le respect du droit international ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Bayrou, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord me joindre aux applaudissements qui ont exprimé si longuement et avec ferveur l’adhésion des parlementaires français, particulièrement du Sénat, au soutien à l’Ukraine à un moment où ce pays est si profondément agressé, physiquement et historiquement.
Ce que vous avez noté, monsieur le président Patriat, n’est que la suite de cette séquence qui s’est ouverte il y a maintenant trois ans par l’agression délibérée et absolument injustifiée de la Russie de Poutine contre l’Ukraine. Cette date a marqué un renversement du monde.
Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, nous vivions avec l’idée – certains diraient peut-être l’illusion – que la planète serait désormais régie par le droit, qu’aucun des grands pays ne s’attaquerait à la stabilité des frontières et qu’une loi internationale permettrait à chacun de poursuivre son développement, dans la perspective d’un avenir stabilisé. C’est cette certitude qui a été renversée par Poutine, à qui se sont jointes un certain nombre d’autres très grandes voix internationales, dont, hélas ! celle du quarante-septième président des États-Unis, élu dans les circonstances que l’on sait et sur un discours qu’on a entendu…
Il y a là une double inquiétude et, plus qu’une inquiétude, un double sentiment de désarroi. L’Ukraine semble abandonnée par le principal pays membre de l’Otan, qui s’était pourtant engagé à défendre le droit. Or il a ouvert le dialogue avec l’agresseur contre les agressés, pour se partager la zone – semble-t-il – au détriment des victimes. Il est vrai que l’Europe a vécu elle aussi dans cette illusion.
Notons que La France a été, depuis le général de Gaulle, sur une ligne qu’elle a constamment défendue : celle de notre autonomie dans l’équilibre du monde. Beaucoup de dirigeants français, au travers du temps, ont soutenu l’idée que c’était de nous que dépendaient, au bout du compte, notre liberté et notre indépendance.
Ce moment historique et ce basculement du monde que nous sommes en train de vivre invitent à deux résolutions.
La première, c’est que nous avons à construire cette Europe que nous avons à peine esquissée, ce qui demandera beaucoup d’efforts.
La deuxième, soyons-en certains, c’est que la France est le pays qui porte la première responsabilité dans une Europe qui se cherche, comme elle l’a d’ailleurs fait depuis toujours. C’est donc de sa vitalité, de sa prospérité et de son unité que dépendent en partie l’avenir de l’Europe et l’avenir de l’Ukraine, que nous aimons. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)
situation internationale (ii)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, vous venez de parler d’un basculement du monde : vous avez raison !
L’Europe est en guerre, elle est seule et elle est divisée. Ce que quelques-uns d’entre nous répètent depuis trois ans en prêchant dans le désert apparaît brusquement comme une évidence.
Mercredi dernier, un simple coup de fil entre Trump et Poutine a transformé l’Europe en paillasson et l’Ukraine en otage d’un pacte honteux.
Le soi-disant maître de l’art du deal et ses copains du golf de Mar-a-Lago, maquillés en diplomates, négocient seuls en cédant d’emblée aux buts de guerre de leur adversaire. Les rodomontades de la paix par la force ont fait place à la pantalonnade de la paix par la reddition. Celui qui, paraît-il, postule au prix Nobel de la paix est déjà assuré d’obtenir celui de la trahison et, depuis hier, celui de la provocation en accusant Zelensky d’avoir déclenché la guerre !
À Munich, son numéro deux, le génie des Appalaches, qui a soutenu l’assaut du Capitole, a osé nous donner des leçons de démocratie. Les Européens ont répondu : « Rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine et rien sur l’Europe sans l’Europe. » Ce sont de belles paroles, mais comment les traduire en actes ?
Depuis des décennies l’Europe n’a cessé de reporter la construction de sa propre défense, malgré les alertes de la France, comme vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre.
En juin 2022, le Président de la République a annoncé « l’entrée de la France et de l’Europe en économie de guerre ». Nous n’avons, à ce jour, pas fait le moindre pas dans cette direction. La réunion de l’Élysée avant-hier n’a pas fait l’objet d’un communiqué pour ne pas étaler les divisions.
Que la guerre se prolonge ou que l’Ukraine ait besoin de garanties, les Européens seront seuls demain pour consentir l’effort, en matériel, en argent et en troupes. C’est en urgence, faute de l’avoir fait avant, que l’Europe doit investir massivement dans sa défense, utiliser les avoirs russes gelés, unir ses marchés de capitaux, sortir les dépenses militaires des critères de Maastricht. Ma question est simple : la guerre se rapproche et nos alliés s’éloignent, quel est le plan ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, vous l’avez rappelé, la France a été constamment non pas seulement à l’avant-garde, mais souvent seule, notamment au cours de la dernière décennie, à porter l’idéal d’une Europe qui s’unirait pour exister.
Nous serons seuls, mais la question la plus fondamentale est : serons-nous nous-mêmes ? Accepterons-nous l’Europe ? Choisirons-nous d’exister ? L’interrogation to be or not to be n’aura jamais été aussi actuelle qu’aujourd’hui.
Vous me demandez que faire, quel est le plan ? Celui-ci, selon moi, repose en partie sur la volonté politique et sur le souhait de construire une défense qui ne dépende pas des autres, quels que soient ces autres. Nul n’ignore ce que suppose technologiquement et numériquement une telle affirmation. C’est le premier point.
Par ailleurs, et c’est le deuxième point, l’Europe sera-t-elle forte, en particulier économiquement ? Je ne crois pas que l’on puisse s’en tenir à une situation aussi déséquilibrée, avec toute la croissance de l’autre côté de l’Atlantique, grâce à un puissant soutien de la Réserve fédérale des États-Unis (FED), et toute la stagnation chez nous, où la Banque centrale européenne (BCE) fait preuve d’une prudente réserve.
Voilà la réalité devant laquelle nous sommes tous placés. La question se pose, comme vous l’avez rappelé, pour les investissements militaires, mais elle vaut également pour l’ensemble de notre économie. Force est de constater que les États-Unis ont depuis longtemps organisé la captation, ajoutant une puissance monétaire sans comparaison à une capacité de croissance entièrement soutenue technologiquement, industriellement et fiscalement.
Le moment vient, les jours approchent, peut-être les minutes, où nous devrons, en citoyens responsables, répondre à ces questions purement et simplement existentielles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, et INDEP.)
conséquences du dérèglement climatique sur le littoral côtier
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Jouve. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Madame la ministre, qu’il s’agisse du rapport récent de la Cour des comptes relatif à l’aménagement du littoral méditerranéen ou d’articles dans la presse scientifique ou grand public, les alertes sur les conséquences du dérèglement climatique pour nos 20 000 kilomètres de côtes sont nombreuses.
Si la tendance – avec la bourrasque Trump et la montée des populismes – est de les nier, les villes côtières du nord au sud de l’Hexagone les subissent déjà.
Risques accrus d’inondation temporaire des zones basses du littoral en cas de tempête, salinisation des nappes phréatiques et des fleuves, altération de certaines infrastructures et destruction d’immeubles, recul du trait de côte, submersion des terres agricoles, atteintes à la biodiversité des parcs naturels : ces bouleversements sont connus.
Devons-nous faire « comme si » ? Devons-nous ignorer ces avertissements ? Il n’est plus temps de procrastiner. Il n’est plus question d’éviter les décisions par peur de leurs effets, car demain ce sera trop tard et trop coûteux !
J’associe à ma question Jean-Marc Ruel et Philippe Grosvalet, tous deux concernés, le premier avec la disparation sous les eaux du village de Miquelon où l’on organise déjà le relogement des habitants, le second avec 18 500 logements menacés par l’érosion d’ici à 2100, pour une valeur de 4,3 milliards d’euros en Loire-Atlantique.
Le littoral méditerranéen n’est pas épargné. Le parc naturel régional de Camargue pourrait perdre une surface de terres équivalente à quatre fois la superficie de Paris.
Selon François Sabatier, maître de conférences, la ville des Saintes-Maries-de-la-Mer subit « des reculs du trait de côte de 1 à 5 mètres par an, l’eau a englouti les épis, franchi la digue et fait disparaître la majeure partie de la plage au Grand Radeau ».
Ma question est simple : quels moyens comptez-vous mobiliser pour les stratégies et les actions de prévention, ainsi que pour le financement des défis que la France aura à relever ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Jouve, que ce soit en Camargue ou ailleurs, le recul du trait de côte et la montée du niveau de la mer sont des enjeux majeurs qui n’épargnent aucune de nos régions côtières.
Le constat est clair : en cinquante ans, près de 30 kilomètres carrés de surface ont déjà disparu.
Cependant, le recul du trait de côte est un phénomène progressif et anticipable. Vous avez raison, plutôt que de fermer les yeux, il serait urgent d’agir, d’anticiper et de revoir nos politiques d’aménagement du territoire.
Les élus l’ont d’ailleurs bien compris. Ils se sont mobilisés, notamment dans le cadre du Comité national du trait de côte, instance au sein duquel ils sont particulièrement actifs et défendent des propositions intéressantes.
Je publierai au début du mois de mars prochain le plan national d’adaptation au changement climatique. L’adaptation de nos zones littorales sera l’une de mes priorités. Idem pour les zones montagnardes et les communes forestières. Il s’agit de trois risques très concrets sur lesquels les élus travaillent aujourd’hui, au niveau local ou régional, et pour lesquels des solutions existent.
Vous m’interrogez sur les moyens dont nous disposons. Eh bien, je vous répondrai que le projet de loi de finances nous donne justement des moyens. Je pense d’abord au fond vert ; avec mon collègue François Rebsamen, j’envisage de consacrer 200 millions d’euros au sein de cette enveloppe spécifiquement à l’adaptation au changement climatique. Vous avez aussi voté une augmentation des crédits consacrés à la gestion des risques au titre du fonds Barnier de 330 millions d’euros, soit 100 millions de plus que l’année dernière. Ces deux enveloppes seront donc mobilisées.
Mais nous devons aussi mettre en place un financement pérenne du suivi des politiques du trait de côte, conformément à la demande des élus locaux. Lors de l’examen du budget, vous avez d’ailleurs milité en faveur de la mise en place d’un seul dispositif pour la submersion marine et pour la gestion du trait de côte. Je m’y engage. Nous pourrions peut-être y travailler en mobilisant les ressources fiscales locales, comme beaucoup d’élus locaux le proposent. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. Mickaël Vallet. Et le fonds érosion ?
demande de débat au parlement sur la situation de l’ukraine
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, trois ans de guerre en Ukraine, trois ans d’agression injustifiée, de massacres de populations civiles, de déplacements d’enfants, côté russe.
Trois ans de résistance héroïque, de courage inouï déployé par tout un peuple derrière le président Volodymyr Zelensky, du côté ukrainien.
Mais, aujourd’hui, nous sommes face à un tournant. Insidieusement, le doute s’est installé, la mobilisation s’est essoufflée et nos alertes sont restées lettre morte.
Déjà, en 2023, notre délégation sénatoriale appelait, au retour d’un déplacement en Ukraine, à agir plus vite, plus fort pour que le pays gagne la guerre.
Trop longtemps, nous avons cru que les États-Unis seraient éternellement de notre côté.
Vous-même, le 13 novembre dernier, déclariez en réponse à une question de notre collègue Claude Malhuret que Donald Trump était « trop avisé pour abandonner les Ukrainiens en rase campagne ».
La conférence de Munich nous place devant une exigence de lucidité : la démocratie américaine reste notre alliée, mais l’administration Trump est désormais un adversaire qui s’en prend à nos valeurs et qui entend décider de l’avenir de l’Ukraine en tête-à-tête avec Poutine.
Mme Émilienne Poumirol. Très bien !
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Avant même que les négociations aient débuté, le président américain semble avoir déjà tout lâché. Quelles garanties avons-nous que nos positions seront respectées ?
Monsieur le ministre, quelle est la stratégie de la France dans le dénouement de ce conflit ? Pouvez-vous nous confirmer, comme vient de l’indiquer la porte-parole du Gouvernement, à la suite de la proposition formulée hier à l’Assemblée nationale par nos collègues socialistes, à laquelle nous nous sommes associés, qu’un débat suivi d’un vote se tiendra au mois de mars, en application de l’article 50-1 de la Constitution ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le sénateur, je vous confirme que le Gouvernement organisera un débat en vertu de l’article 50-1 de la Constitution pour que nous examinions ensemble les données de la situation en gestation depuis des mois et des années, après les récentes prises de position de l’administration américaine.
Je fais comme vous la différence entre le peuple américain, qui est un allié, et l’administration américaine qui, au grand désarroi de beaucoup, semble aujourd’hui prendre ses distances avec les positions fondamentales que les États-Unis ont défendues depuis leur engagement dans la Seconde Guerre mondiale.
Premièrement, au niveau diplomatique, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères s’en est expliqué souvent devant vous, il s’agit de réunir les énergies européennes et de déployer un plan européen, y compris en matière de financement, afin de nous défendre.
Deuxièmement, il convient aussi de se mobiliser au niveau national. Il n’y aura pas de position européenne à la hauteur de nos espérances si la France, elle-même, ne réussit pas à résoudre ses problèmes et à retrouver l’élan qui devrait être le sien pour affronter des crises aussi graves.
Je vous propose donc d’examiner cette double nécessité, européenne et nationale, dans le courant du mois de mars. Je m’en suis entretenu avec à peu près tous les présidents de groupe présents dans cet hémicycle. Tous ont défendu cette position. Je vous confirme donc bien volontiers que ce sera le choix du Gouvernement. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour la réplique.
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre réponse.
Vous avez ici, en face de vous, des démocrates qui feront bloc dans l’intérêt du pays. Les grands principes, les incantations et les sommets, nous les partageons, mais cela ne suffit plus : il faut cesser de subir et agir !
Demain, vous et le Président de la République aurez besoin de convaincre la Nation tout entière afin qu’elle consente aux efforts nécessaires pour défendre l’Ukraine, pour garantir notre sécurité et pour préserver notre modèle démocratique. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – M. Pierre Barros applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Ian Brossat. Monsieur le Premier ministre, ce matin même, au Sénat, nous auditionnions les candidats au Conseil constitutionnel. Leur nomination n’a évidemment rien d’anodin, car il ne s’agit pas de n’importe quelle institution. Il s’agit d’une des institutions les plus importantes de notre République, l’institution garante de la constitutionnalité des lois.
Le premier candidat que nous avons auditionné, Philippe Bas, a suscité un large consensus. (Applaudissements sur l’ensemble des travées. – Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Je le dis d’autant plus librement qu’il n’est pas issu de nos rangs – je crois que cela vient de se voir. (Sourires.)
Le deuxième candidat, Richard Ferrand, n’a pas suscité – c’est le moins qu’on puisse dire – le même enthousiasme, au point d’être rejeté par une majorité de commissaires aux lois tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Il n’échappe finalement au couperet des trois cinquièmes qu’à une voix près, grâce à l’abstention bienveillante et complice des députés du Rassemblement national. (Huées sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ma question est double.
Quel deal caché, quel accord de couloir, quel marchandage d’arrière-cuisine a donc été conclu pour aboutir à l’abstention de l’extrême droite ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que l’une des premières audiences que Richard Ferrand pourrait présider concerne une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité d’un élu. Or il se trouve, comme par hasard, que c’est l’un des enjeux du procès pénal de Mme Le Pen !
Une seconde question en découle. Ne pensez-vous pas précisément, au vu des conditions chaotiques de cette nomination, qu’il serait sage que le Président de la République procède à une autre désignation, qui échappe à tout soupçon, pour présider le Conseil constitutionnel ? (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, GEST, SER, CRCE-K et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pendant un instant, j’ai cru être l’objet de vos applaudissements !
Je veux à mon tour, dans le sillage du sénateur Brossat, saluer la désignation du sénateur Bas au Conseil constitutionnel, que vous pouvez applaudir une fois encore si vous le souhaitez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. C’est un bon début !
M. Patrick Mignola, ministre délégué. Monsieur le sénateur Ian Brossat, si je ne partage pas l’ensemble de vos propos, il est un élément sur lequel nous nous rejoignons : il s’agit de l’importance du rôle du Conseil constitutionnel… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Et de sa crédibilité et de son indépendance !
M. Patrick Mignola, ministre délégué. … dans la vérification de la conformité et de la constitutionnalité des lois, et du respect des règles, auquel, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes tous attachés.
En l’occurrence, il existe une règle de désignation des membres du Conseil constitutionnel, qui s’impose autant à M. le président du Sénat qu’à Mme la présidente de l’Assemblée nationale ou à M. le Président de la République. Selon cette règle, la candidature que chacun d’entre eux présente est validée si et seulement si elle n’est pas rejetée par une majorité de trois cinquièmes des suffrages exprimés. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
En tant que premiers défenseurs de nos institutions, vous reconnaîtrez facilement que chacun doit se plier à cette procédure. À ce titre, je ne doute pas que le Conseil constitutionnel saura, dès demain, s’assurer à vos côtés du bon respect des règles de nos institutions. (Huées sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur des travées des groupes UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le ministre, « La sécurité de l’Europe est à un tournant. » Ces mots ont été prononcés par la présidente de la Commission européenne, à la suite de la conférence de Munich qui a eu lieu dimanche dernier.
Munich, tout un symbole, a été un électrochoc pour l’Europe…
À Munich, nous avons ouvert les yeux. Nous nous sommes enfin réveillés pour constater que le monde d’après 1945 n’était plus. La relation transatlantique a fait long feu. Les États-Unis ne veulent plus assurer la sécurité européenne. Notre continent est livré à lui-même. Il peut éventuellement compter sur l’aide de l’Amérique en fonction de ses intérêts, mais pas davantage…
Or l’addition de nos armées nationales n’est pas un ensemble homogène ni suffisant face à un envahisseur qui, déjà, a franchi les frontières de l’Ukraine. L’économie de la France n’est pas structurée pour affronter la guerre. Telle est la réalité de notre sécurité.
Face à cette situation, deux voies s’offrent à nous : poursuivre dans la division et disparaître, ou bien nous doter d’une véritable armée européenne, garante de notre paix.
Rêve des pères fondateurs de l’Europe, le projet de défense commune s’est toujours heurté aux veto nationaux. La France, en 1954, refusa la Communauté européenne de défense (CED), tandis que, après l’effondrement soviétique, les pays de l’Est préférèrent le parapluie américain à une hypothétique armée du continent. Mais, à cause de Donald Trump, les choses pourraient avoir véritablement changé, dans la douleur et la nécessité.
Aussi, monsieur le ministre, la sécurité de l’Europe est-elle vraiment à un tournant ? Si oui, sur quels moyens industriels, humains et budgétaires pourrait-on compter, pour mettre en place une véritable défense européenne ? Peut-on maintenant y croire ?
Votre réponse est attendue par la représentation nationale comme par nos collègues de la Rada d’Ukraine, que les dernières déclarations américaines plongent dans une profonde sidération et une immense inquiétude. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, je me joins aux félicitations que vous avez adressées à Nadia Sollogoub pour le travail qu’elle a mené sans relâche afin de cultiver et d’entretenir les liens entre la France et l’Ukraine.
Madame la sénatrice, le Premier ministre l’a dit : l’Europe fait face à une menace existentielle. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Lorsque la première guerre contre le Donbass et la Crimée a été lancée il y a dix ans, sans doute avons-nous fait preuve de faiblesse en acceptant un cessez-le-feu fragile, que la Russie a violé par vingt fois avant de lancer son invasion à grande échelle de l’Ukraine.
Entre-temps, les États-Unis ont changé d’orientation stratégique et ont décidé de laisser l’Europe assumer seule la charge de sa sécurité et de sa défense.
Aujourd’hui, l’Ukraine joue le rôle de sentinelle de l’Europe et ce sont les Ukrainiens qui tiennent la première ligne de défense de notre continent.
Heureusement, la France a pris un peu d’avance. Grâce aux dernières lois de programmation militaire qui ont été adoptées et dont les objectifs ont été tenus, les moyens consacrés à la défense nationale auront bientôt doublé.
Cependant, certains de nos partenaires européens sont en retard. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a convié certains d’entre eux à Paris lundi et aujourd’hui encore. Sa volonté n’était pas seulement d’appeler à un réveil européen, mais aussi d’exiger de la Commission européenne qu’elle relâche certaines des contraintes budgétaires qui empêchent les États membres de faire les efforts nécessaires.
Ce réveil des dirigeants européens est une bonne chose, certes. Mais rien ne sera possible sans un réveil des peuples et de leurs représentants. Aussi, je vous invite à vous saisir du débat qui se tiendra dans les deux chambres sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, annoncé par le Premier ministre. En effet, ce n’est que par un réarmement moral embarquant toute la Nation que nous parviendrons à dissuader la menace en lui opposant la force plutôt que la faiblesse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)
démission du secrétaire général à la planification écologique et reculs du gouvernement en la matière
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Existe-t-il, au sein du Gouvernement, une volonté commune pour l’écologie ?
Cette question, madame la ministre de la transition écologique, nous est imposée par la démission du secrétaire général à la planification écologique (SGPE), Antoine Pellion.
Cette démission apparaît comme le symbole d’un recul net et d’un renoncement à porter au plus haut niveau la planification écologique.
Monsieur le Premier ministre, vous êtes vous-même directement chargé de la planification écologique. Mais, pas plus que vos deux prédécesseurs, vous ne laissez entrevoir la dynamique politique de cette mission…
Pour l’écologie, aujourd’hui, c’est le backlash, le retour de bâton !
L’ambition affichée était bien là il y a trois ans. Le slogan faisait office de promesse : « France Nation verte : agir, mobiliser, accélérer ».
Agir ? Mais comment agir, quand les moyens d’action ont été les premiers sacrifiés aux contraintes budgétaires, tant pour la rénovation thermique que pour la décarbonation des transports ?
Mobiliser ? Mais comment mobiliser, quand la démarche n’est plus incarnée dans la continuité à Matignon ni dans l’interministériel ?
Comment mobiliser, quand on laisse monter les velléités de saborder l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), l’Agence Bio (Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique), ou l’OFB (Office français de la biodiversité) ? Comment mobiliser, quand l’objectif de réduction de moitié de l’artificialisation des sols pourrait disparaître (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et quand sont dépénalisées des destructions environnementales ?
Accélérer ? En est-il encore question, alors que, au plus haut niveau, la consigne est à la pause environnementale et que votre gouvernement participe au freinage du Pacte vert pour l’Europe ?
Madame la ministre, quand cessera cette chronique d’un naufrage annoncé ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Fernique, je me félicite que vous vous inquiétiez du départ du secrétaire général à la planification écologique. En effet, en 2022, vous vous étiez montré plus que dubitatif face à la création du SGPE et à son rattachement direct à la Première ministre de l’époque, Mme Élisabeth Borne.
M. Yannick Jadot. C’est encore la faute aux écolos !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. C’était pourtant une première en France, mais aussi en Europe et, plus largement, dans le monde.
Aussi, je prends votre question comme un témoignage, certes tardif, mais vibrant, en faveur de ce choix politique, dont nous entendons poursuivre la mise en œuvre. C’est bien la preuve du succès du secrétariat général à la planification écologique et des politiques que nous avons promues.
Je veux donc vous rassurer : le SGPE est là et continuera à travailler. Depuis près de trois ans, cette instance nous a permis de construire des trajectoires solides de décarbonation, secteur par secteur, levier par levier, sous l’égide des Premiers ministres successifs.
Ces travaux nous ont permis de territorialiser ces actions au sein de chaque région. Cette méthode a montré des résultats. Depuis la création du secrétariat général à la planification écologique, nos émissions de gaz à effet de serre ont diminué de plus de 10 %, soit deux fois plus qu’au cours du quinquennat 2012-2017.
Je souhaite que cette méthode se poursuive au plus près du terrain. Au début du mois de mars, je publierai le plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc) et présenterai les chantiers entamés avec les élus du littoral, de la montagne et des communes forestières, ainsi que d’autres actions engagées.
Vous le savez, je dispose d’un budget inédit pour mettre en œuvre ces actions,…
M. Yannick Jadot. Il est en effet inédit !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. … ce qui montre bien que lorsqu’une priorité politique s’impose, nous pouvons débloquer des crédits. C’est ce que nous avons fait pour l’adaptation au changement climatique.
Dans les mois qui suivront, il en sera de même avec la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) que mes collègues François Rebsamen et Marc Ferracci travailleront à mettre en œuvre.
M. François Patriat. Très bien !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Néanmoins, vous avez raison : de mauvais vents soufflent aujourd’hui sur l’écologie. Je compte donc sur chacun dans cet hémicycle pour choisir les bons combats. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. Puisque vous le dites, tout va très bien, madame la ministre, tout va très bien, tout va très bien ! Nous ne déplorons qu’un tout petit rien !
Faisons donc semblant que tout se planifie au mieux, que l’écologie est sur les bons rails et que la détermination gouvernementale est plus forte que jamais ! Mais quelle sera la suite de cette chronique ? Encore une nouvelle démission ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
réforme du mode de scrutin pour les élections municipales à paris, lyon et marseille
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le Premier ministre, Paris, Lyon, Marseille : les trois principales villes de France ont en commun un mode de scrutin spécifique aux élections municipales, et cela depuis près de quarante ans.
S’il convient sans doute aujourd’hui d’entamer une réflexion sur le sujet, la précipitation qui semble dicter l’action du Gouvernement nous interroge.
Tout d’abord, vous avez souhaité engager la procédure accélérée sur une proposition de loi visant à réformer le mode d’élection dans ces trois villes et inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Or permettez-moi de vous rappeler que l’article 24 de la Constitution dispose que c’est le Sénat qui représente les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, GEST, SER et CRCE-K.) À ce titre, il aurait pu nous revenir d’examiner prioritairement un tel texte.
Ensuite, et c’est plus important encore, une question aussi essentielle mériterait selon moi une véritable étude d’impact.
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
M. Mathieu Darnaud. Nous avons ici même, à plusieurs reprises, évoqué les difficultés que pose ce mode de scrutin et les évolutions qu’il nécessite. Cependant, une étude d’impact est nécessaire.
Enfin, monsieur le Premier ministre, dans un temps politique parfois agité, alors que les élus de France réclament de la stabilité, est-il bien sage de modifier un mode de scrutin moins d’un an avant les élections municipales ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président Darnaud, comme vous l’avez dit, il s’agit d’une proposition de loi. Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai annoncé que je ferai tout mon possible pour que le Parlement retrouve sa faculté d’initiative dans l’examen des textes…
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas cela, l’initiative parlementaire !
M. François Bayrou, Premier ministre. … et que je ne forcerai jamais son sentiment.
Les modes de scrutin en vigueur à Paris, Lyon et Marseille sont discutés depuis des années, voire des décennies ! Et cela fait tout aussi longtemps que des élus réclament leur évolution.
J’entends encore Philippe Séguin expliquer que ce mode de scrutin permettait à une liste minoritaire sur la commune de l’emporter au conseil municipal ! (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.) J’aperçois d’ailleurs nombre d’acquiescements sur les travées du groupe que vous présidez… (Pas du tout ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je vois encore l’ancien maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, déposer ici même une proposition de loi visant à modifier ce mode de scrutin.
Mme Laurence Harribey. C’était au siècle dernier !
M. François Bayrou, Premier ministre. Alors que la ville de Lyon est concernée par ce mode de scrutin, elle compte pourtant moins d’habitants que Toulouse. Or les règles du scrutin diffèrent dans ces deux villes !
Dans quel esprit le Gouvernement propose-t-il d’examiner ce texte ?
Il n’est pas question d’amoindrir le rôle des arrondissements dans les villes en question. (Protestations sur des travées des groupes Les Républicains, CRCE-K, SER et GEST.)
M. Bernard Jomier. C’est faux !
M. François Bayrou, Premier ministre. Au contraire, toutes les garanties devront être recherchées. Cependant, il n’est pas normal, si le rôle du maire d’arrondissement est important, que l’on ne puisse pas l’élire indépendamment du maire de la ville.
Si le maire de la commune et le maire d’arrondissement sont deux personnes distinctes, alors les électeurs doivent pouvoir choisir l’un et l’autre, en fonction, par exemple, de leur personnalité respective, sans qu’ils appartiennent nécessairement à la même liste. (Mme Cécile Cukierman proteste.) À Paris, par exemple, si vous mettez des noms sur les portraits-robots que j’esquisse, des préférences multiples pourraient apparaître !
C’est le seul objet de ce texte : rendre aux citoyens le droit de choisir leurs élus arrondissement par arrondissement, et commune par commune !
M. Bernard Jomier. C’est déjà le cas !
M. François Bayrou, Premier ministre. Cela fera l’objet de discussions avec les auteurs de la proposition de loi, puis d’un examen, sur lequel seul le Parlement sera souverain – pas le Gouvernement ! Je n’imagine pas qu’un texte puisse être adopté sur ce sujet sans qu’un accord soit trouvé entre l’Assemblée nationale et le Sénat. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour la réplique.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le Premier ministre, vous trouverez toujours parmi nous des sénateurs prêts à acquiescer dès lors que vous citez les noms de Philippe Séguin ou de Jean-Claude Gaudin ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cependant, je veux insister sur la nécessité qu’un texte de cette nature épouse les aspirations profondes des Parisiens, des Lyonnais et des Marseillais ! C’est là même son intérêt.
Si nous vous remercions de prêter une attention particulière au sort qui sera réservé à ce texte au Sénat, nous le redisons avec force : il est indispensable de prendre le temps d’une juste expertise sur un sujet démocratique d’une telle importance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, GEST, SER, et CRCE-K.)
soutien à l’ukraine
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, nous vivons des journées historiques. Nous assistons à l’effondrement de toute l’architecture de sécurité sur laquelle nous nous sommes reposés depuis la fin de la guerre froide.
Éprouvées par les deux guerres mondiales, les générations qui nous ont précédés ont consenti des efforts énormes pour que plus jamais le destin de notre pays n’échappe aux Français.
Cette souveraineté retrouvée, nous la devons bien sûr au général de Gaulle. Il savait que l’indépendance nationale reposait sur un socle irréductible de puissance militaire, exprimé en particulier par la maîtrise souveraine de l’arme atomique.
Toutefois, en nous abandonnant aux douces illusions des dividendes de la paix, nous avons oublié les dures leçons que l’Histoire avait enseignées à nos aînés.
Nous en payons le prix aujourd’hui.
Russes et Américains entendent décider du sort de l’Europe sans les Européens, et peut-être renverser les alliances. Les masques sont tombés et une partie cynique est engagée.
Les Européens sont désemparés devant la fuite en avant brutale et inconsidérée de l’allié américain. C’est pourquoi le temps nous est compté pour réagir.
Monsieur le ministre, que comptez-vous dire à nos voisins européens dans les jours à venir pour nous remettre au centre du jeu et opposer un front résolu à l’appétit américain et à la voracité russe ?
Que comptez-vous dire aux Français pour sonner l’heure de l’indispensable sursaut qu’appelle la gravité de la situation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président Cédric Perrin, vous avez raison, nous avons vécu dans une forme d’insouciance.
En 1955, il y a soixante-dix ans, nous consacrions 6 % de notre richesse nationale à nos dépenses militaires. Ces dernières années, nous sommes parvenus à faire remonter ce niveau à environ 2 %, ce qui est évidemment insuffisant.
Or la guerre se joue à proximité de nos frontières. Lorsque nous nous sommes rendus en Ukraine, nous avons constaté ensemble les ravages de la guerre.
Nous les avons vus sur les corps mutilés des soldats revenus du front.
Nous les avons vus dans les esprits des enfants déportés, arrachés à leurs familles, rééduqués dans des camps russes ou biélorusses.
Nous les avons vus à Soumy, tout près de la ligne de front, où nous avons pu échanger avec les soldats qui menaient courageusement la contre-offensive sur la région de Koursk.
Nous sommes rentrés avec plusieurs convictions. Tout d’abord, nous avons conclu que le soutien de la France à l’Ukraine avait été décisif pendant ces trois années. Ensuite, nous savons désormais que la menace est proche, imminente et grave. Enfin, nous avons pris conscience qu’un indispensable sursaut est nécessaire de la part des Françaises et des Français si nous voulons faire face.
« Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. » Vous avez cité le général de Gaulle : permettez-moi de le citer à mon tour. Dans ce moment historique pour le continent européen, c’est la France qui peut montrer la voie.
Le monde connaît un moment de profonde fragmentation, qui ne suit pas une ligne de fracture géographique entre le Nord et le Sud ou entre l’Est et l’Ouest, mais qui départage les partisans de la violence et les défenseurs du droit.
Montrons donc que nous pouvons opposer la force et la résistance au réveil de ces empires pour ne pas laisser la Russie et les autres l’emporter, avec, dans leur sillage, tout ce que nous avons passionnément bâti depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le débat annoncé par le Premier ministre, sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, sera l’occasion de la pleine appropriation par le peuple français, au travers de ses représentants, de ces sujets graves.
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour la réplique.
M. Cédric Perrin. Monsieur le ministre, j’étais présent avec vous sur le front en Ukraine. Cette expérience a marqué ma vie, comme la vôtre, je le sais.
Ce qui se joue actuellement dépasse le sort de la malheureuse Ukraine, dont nous accueillons aujourd’hui plusieurs membres de la Rada. Nos choix collectifs dans les semaines qui viennent engageront l’avenir de tous les enfants européens.
Alors, ne laissons pas l’Histoire s’écrire sans nous et, surtout, ne laissons pas l’Histoire s’écrire contre nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
état financier du système des retraites
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le Premier ministre, dans quelques heures, la Cour des comptes vous remettra le diagnostic que vous avez commandé sur la situation des comptes de notre système de retraite.
J’en profite pour rappeler que le Conseil d’orientation des retraites (COR), qui a été créé pour cela, aurait très bien pu remplir cette mission…
Lors de votre première déclaration devant le Sénat, vous étiez revenu sur votre théorie du prétendu déficit caché. Rappelons que cette théorie n’a pas été reprise par le Conseil d’orientation des retraites et qu’elle est rejetée par la quasi-totalité des économistes.
Le président de notre groupe vous avait d’ailleurs interrogé sur ce point, mais vous ne lui aviez pas répondu. Monsieur le Premier ministre, en confiant cette mission à la Cour des comptes, espériez-vous voir votre théorie reprise ? Votre objectif était-il d’orienter les travaux des partenaires sociaux à partir de ce constat quelque peu fallacieux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée du travail et de l’emploi.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Madame la sénatrice, comme l’a souhaité le Premier ministre, le travail sur la réforme des retraites s’articule en trois temps.
Tout d’abord, le temps de l’expertise de la Cour des comptes est sur le point de s’achever.
Suivra, très prochainement, le temps social, qui permettra à nos partenaires sociaux de négocier sur la soutenabilité de ce régime de retraite. Celui-ci représente un bien commun puisqu’il est l’épargne de ceux qui n’en ont pas. Ce sera également l’occasion de corriger certaines injustices de la réforme. Je pense en particulier à la prise en compte de la pénibilité au travail et à la situation des femmes.
Viendra enfin le temps politique, comme l’a rappelé ici même le Premier ministre, puisque le débat aura lieu dans les deux assemblées.
Concernant le constat dressé par la Cour des comptes qui sera rendu public demain, l’intérêt est d’abord de se pencher sur l’effort collectif de la Nation tout entière pour le financement de la retraite, dans le secteur privé comme dans le secteur public.
Il est primordial de mesurer l’effort réalisé en vue de constituer ce bien commun. Différentes pistes de soutenabilité financière seront ensuite dressées en fonction des hypothèses de croissance économique, de productivité et d’emploi, qu’il est très important de prendre en compte.
Cette démarche aura donc lieu en trois temps. Nous pouvons nous féliciter qu’un sujet aussi important que le devenir de notre régime de retraite par répartition soit aujourd’hui confié aux partenaires sociaux pour en corriger la trajectoire financière et certaines de ses injustices.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.
Mme Monique Lubin. Madame la ministre, je n’ai toujours aucune réponse sur ce fameux déficit caché. Je ne m’attendais pas réellement à en recevoir une !
Je rappelle les trois principes qui nous tiennent à cœur sur le sujet.
Premièrement, nous voulons que cette notion disparaisse définitivement du débat, parce qu’elle est particulièrement trompeuse et, je le répète, fallacieuse. Elle remettrait en question le financement de la retraite des fonctionnaires. Or cela poserait un sacré problème !
Deuxièmement, nous souhaitons que les partenaires sociaux puissent travailler dans un climat de sérénité. C’est la raison pour laquelle le constat préalable d’un déficit caché doit absolument être écarté !
Troisièmement, une fois que les partenaires sociaux auront travaillé, nous demanderons instamment le retour du débat au Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
situation de la viticulture
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour le groupe Les Républicains.
Mme Florence Lassarade. Madame la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, la loi Égalim vise à garantir une meilleure rémunération des viticulteurs en imposant des prix reflétant les coûts de production et en instaurant des indicateurs de prix pour encadrer les négociations.
Pourtant, dans le secteur viticole, son application se heurte à plusieurs obstacles.
D’une part, l’absence d’indicateurs de prix spécifiques au vin empêche une évaluation objective des coûts de production, compliquant la fixation de prix justes.
D’autre part, la renégociation obligatoire des contrats entraîne une charge administrative supplémentaire et génère des tensions commerciales.
En parallèle, les viticulteurs sont également confrontés à un manque de transparence sur les marges et à une complexité législative croissante, qui freinent l’efficacité de la loi Égalim.
À cette complexité s’ajoutent des inquiétudes économiques liées à la situation internationale. En effet, la réélection de Donald Trump ravive les craintes d’un retour des taxes douanières sur les vins français et le cognac, ce qui pourrait affecter leur compétitivité sur le marché américain et fragiliser encore davantage la filière. Mes collègues Daniel Laurent et Corinne Imbert, sénateurs de Charente-Maritime, partagent mes préoccupations.
Face à ces défis, les viticulteurs envisagent la création d’une organisation de producteurs pour mieux structurer la filière et renforcer leur poids dans les négociations afin de stabiliser le marché. Cette initiative nécessite des adaptations réglementaires.
Madame la ministre, dans ce contexte, quelles actions concrètes les pouvoirs publics peuvent-ils mettre en place pour assurer une application plus efficace de la loi Égalim dans le secteur viticole et protéger les viticulteurs français face aux tensions commerciales internationales ? Envisagez-vous de les aider à créer une organisation de producteurs ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Florence Lassarade, qu’il s’agisse de contractualisation écrite obligatoire ou d’un taux de contractualisation élevé, il est important de rappeler que la filière vitivinicole est soumise aux dispositions de la loi Égalim et qu’elle souhaite le demeurer.
Par ailleurs, vous vous faites l’écho des difficultés, que je connais, de cette filière, lesquelles sont liées à la situation spécifique de premier acheteur.
Le premier acheteur est souvent le négociant, qui ne contractualise pas toujours et n’est donc pas tenu de respecter les indicateurs liés aux matières premières prévus dans la loi Égalim.
Autre particularité de cette filière, le vin étant stockable, il peut exister un écart important de coûts d’une année sur l’autre.
En conséquence, des transactions se font à des prix très bas et les productions se retrouvent dévalorisées, même quand elles sont sous signe d’identification de la qualité et de l’origine (Siqo).
Pour remédier à cette situation, deux priorités s’imposent, qui pourraient être incluses dans le futur projet de loi Égalim que ma collègue Véronique Louwagie et moi-même allons bientôt présenter au Parlement.
En premier lieu, nous devons accomplir un travail sur l’amont.
Vous avez eu raison de dire que l’organisation de producteurs (OP) était fondamentale, car elle permettra une meilleure consolidation de l’amont agricole grâce à des contrats-cadres et à des contrats de filière.
En second lieu, un travail s’impose sur les indicateurs, qui sont aujourd’hui beaucoup trop nombreux et hiérarchisés. Le rôle des interprofessions est ici absolument capital.
Je tiens à saluer le travail accompli par les sénateurs Anne-Catherine Loisier et Daniel Gremillet, qui nous ont remis les conclusions de leur rapport d’information sur le suivi des lois Égalim, sur la base desquelles nous travaillerons à ce futur projet de loi.
Le sujet que vous abordez, madame la sénatrice, a également une résonance au niveau européen, avec la révision du règlement portant organisation commune des marchés des produits agricoles, dit règlement OCM.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Annie Genevard, ministre. Sur ce texte, la France a une voix qui porte. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique.
Mme Florence Lassarade. Madame la ministre, les viticulteurs girondins vous attendent sur le terrain. D’autres secteurs très impactés, comme les Côtes du Rhône ou le Languedoc, ont besoin de mesures structurantes.
Il faut véritablement mettre en pratique ces évolutions de la loi Égalim : nous demandons du concret ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
bouclier tarifaire sur l’eau
M. le président. La parole est à M. Yves Bleunven, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Yves Bleunven. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Nos industriels ont eu une nouvelle mauvaise surprise en ce début d’année lorsqu’ils ont découvert leur facture d’eau !
Les industriels du secteur agroalimentaire sont concernés au premier plan par cette hausse, du fait de leur consommation importante d’eau potable : ce secteur accuse une augmentation des coûts de près de 250 % ! Le bassin Loire-Bretagne est particulièrement touché. Par exemple, une entreprise d’abattage d’un département voisin du mien a vu sa redevance passer de 7 000 à 200 000 euros. Et je ne parle pas de l’augmentation intrinsèque du prix de l’eau…
Si certaines augmentations ont été actées au sein des différents collèges des agences de l’eau, d’autres, liées à un changement de règle, ont véritablement suscité l’incompréhension de nos acteurs économiques.
En effet, un certain nombre de secteurs, dont l’agroalimentaire, bénéficiaient d’une assiette plafonnée de la redevance à 6 000 mètres cubes d’eau par an. Les services de l’État ont, semble-t-il, supprimé ce plafond. Il apparaît inconcevable que cette mesure soit prise sans concertation et sans étude d’impact, alors qu’elle a des conséquences majeures pour de nombreuses entreprises dans nos territoires !
Au-delà de la méthode, on ne peut pas concevoir de telles augmentations quand on connaît le manque criant de compétitivité de nos entreprises. Celles-ci ne pourront pas absorber cette brutale hausse de coût, alors qu’elles sont déjà engagées dans des phases d’investissement pour réduire et réutiliser l’eau traitée, suivant en cela la stratégie de réutilisation des eaux usées traitées, la fameuse REUT. Rappelons qu’elles font face, en parallèle, à de fortes hausses de leurs prix de revient, déjà très difficiles à répercuter.
Monsieur le ministre, allez-vous mettre en place en urgence un bouclier tarifaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le sénateur Yves Bleunven, vous m’alertez sur l’effet cumulé de la réforme des redevances des agences de l’eau et des tarifs votés par les instances des agences pour financer le plan eau.
Avant d’évoquer la situation des industriels, notamment ceux de l’agroalimentaire, je veux rappeler que cette réforme a été votée à la fin de 2023 et qu’elle figure dans la loi de finances pour 2024. Son objectif est d’inciter à la sobriété des usages de l’eau, d’optimiser la disponibilité des ressources et de préserver la qualité de l’eau. Entrée en vigueur le 1er janvier 2025, elle instaure trois nouvelles redevances à la place des anciennes redevances sur la consommation d’eau potable, la performance des réseaux d’eau et la performance des systèmes d’assainissement collectifs.
Le but de cette réforme est d’équilibrer la contribution des différentes catégories d’usagers au financement des politiques de l’eau, de renforcer le signal prix et d’améliorer la lisibilité de la fiscalité.
L’effort demandé aux usagers, qui est effectivement important, vise à gérer une ressource que la transformation du climat rend plus rare et plus difficile d’accès. Il participe de l’adaptation de notre société au changement climatique.
Cet effort se répartit entre 8 000 entreprises, que nous accompagnerons de façon ciblée.
Comme vous l’avez souligné à juste titre, l’impact est considérable pour certaines entreprises. Nous travaillons donc avec les ministres concernés à la mise en place d’un bouclier tarifaire qui permettra de les protéger de ces augmentations, et nous profiterons de la période de transition pour demander aux agences de l’eau d’étudier cette question avec elles.
Enfin, vous nous alertez légitimement sur la situation particulière des industries agroalimentaires, qui sont encore plus que d’autres soumises au stress hydrique.
Un plan de sobriété hydrique de la filière agroalimentaire a été publié en février 2024. C’est notre boussole, et je puis vous dire qu’en s’appuyant sur ce plan le Gouvernement accompagnera l’ensemble des entreprises, et en particulier celles qui sont touchées par ces augmentations. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
modalités de mise en œuvre du fonds territorial climat
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Madame la ministre de la transition écologique, vous le savez, depuis que je siège dans cet hémicycle, j’essaie de rendre la fiscalité plus lisible, d’accompagner l’adaptation de notre économie et de notre société aux changements climatiques et surtout de rendre l’action publique plus efficace, plus efficiente et donc plus simple. C’est pourquoi j’avais plaidé en 2017 – c’était le premier amendement que je défendais au Sénat – en faveur de l’affectation d’une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) aux collectivités locales, de manière à donner du sens à cette fiscalité et à ne pas en faire une simple fiscalité de rendement.
L’année dernière, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances, j’ai proposé la création d’un fonds climat territorial, qui devait permettre un financement simple des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et de sortir de la logique de guichet des appels à projets et des appels à manifestation d’intérêt.
Nous avons récidivé en 2025 et cette disposition perdure au-delà de la commission mixte paritaire. Je me suis donc munie du texte de l’amendement, que je me permets de citer : « Par rapport au projet de loi de finances initiale, cette proposition inclut la création d’un fonds territorial climat de 200 millions d’euros – j’insiste sur ce chiffre ! – en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) compris dans l’enveloppe budgétaire prévue au titre du programme 380. La création de ce fonds n’a donc aucune conséquence sur le solde de la mission. »
Ma question est simple : quand allez-vous créer ce fonds climat territorial à hauteur de 200 millions d’euros, et selon quelles modalités ? Car si j’en crois Les Échos, vous devez promulguer le texte réglementaire, avec M. Rebsamen, d’ici à la fin du mois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Lavarde, vous m’interrogez sur les suites données à la volonté de nombreux sénateurs, siégeant sur diverses travées – de ce point de vue, tout le monde a très bien travaillé, de manière partisane –, de créer en 2025 une enveloppe budgétaire dédiée au financement des PCAET des intercommunalités.
L’idée était la suivante : dès lors que les intercommunalités ont travaillé sur des projets, ceux-ci sont considérés comme validés, et elles n’ont donc pas à en justifier de nouveau dans un appel à projets.
Je vous remercie, madame la sénatrice, d’avoir défendu avec beaucoup de détermination cette proposition en tant que rapporteur spécial. J’ai le plaisir de vous annoncer qu’en 2025, pour la première fois, et comme je m’y étais engagée au Sénat lors de l’examen du projet de loi de finances, une enveloppe de crédits de l’État sera dédiée spécifiquement à ce financement.
Mme Christine Lavarde. De combien ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Concrètement, dès ce début de gestion budgétaire – mais peut-être serez-vous un peu déçue –, 100 millions d’euros sont consacrés au programme 380 « Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires », dit fonds vert, lesquels sont répartis entre les intercommunalités ayant signé un PCAET, sans que celles-ci aient à déposer de dossier de candidature auprès des services préfectoraux – c’est aussi le cas pour les autres mesures du fonds vert.
L’attribution se fait donc de manière directe. Il s’agit d’un pacte de confiance avec les collectivités qui se sont engagées dans cette démarche.
Bien entendu, ces intercommunalités peuvent déposer d’autres dossiers. L’enveloppe de 100 millions d’euros n’est pas exclusive de l’accès à d’autres financements. Simplement, les projets qu’elles souhaitent sélectionner sont accélérés.
Vous le savez, le fonds vert a permis de participer en 2024 au financement de plus de 1 300 projets inscrits dans des PCAET, soit 15 % de l’ensemble des projets relevant de ce fonds qui ont été acceptés durant cette même année.
Par ailleurs, les moyens du fonds vert ont été recentrés en 2025, avec 1,15 milliard d’euros contre 1,6 milliard d’euros de crédits consommés l’année dernière.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Il nous faut couvrir, avec cette enveloppe resserrée, de nombreuses priorités. Vous pouvez compter sur moi pour préserver cette enveloppe de 100 millions d’euros, au-delà des autres priorités.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Je vous remercie, madame la ministre, de m’avoir dit tout ce que je savais déjà, sans répondre du tout à ma question ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je viens de citer les termes de l’amendement tel qu’il a été adopté par la commission mixte paritaire, puis voté dans chacune des deux chambres, et vous me dites que vous n’allez pas suivre le Parlement, lequel a décidé de manière souveraine la création d’une enveloppe de 200 millions d’euros… Cela pose question quant à notre travail de parlementaires !
Par ailleurs, j’ai fait un petit peu d’archéologie et je suis allée chercher ce qui avait été voté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024 : l’amendement n° II-788, examiné en deuxième partie, visait à flécher 250 millions d’euros vers le fonds climat territorial, et les conditions devaient être déterminées au cours du premier semestre 2024. Tout cela écrit noir sur blanc dans l’exposé des motifs !
M. Jean-François Husson. Et il ne s’est rien passé !
Mme Christine Lavarde. Cela fait deux fois que le Parlement vote de manière souveraine et que le Gouvernement ne suit pas ce vote. Je ne comprends pas : je croyais que le fonds vert devait sceller un pacte de confiance avec les collectivités ; or c’est tout l’inverse que vous faites ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Applaudissements sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
crise agricole
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Jean-Claude Tissot. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Madame la ministre, le début de l’année 2025 est marqué, concernant l’agriculture, par un moment parlementaire intense. Outre la mission budgétaire « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », nous avons examiné la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, la proposition de loi relative à l’exercice de la démocratie agricole et le projet de loi d’orientation agricole. Nous avons d’ailleurs bien compris que ce dernier texte était votre laissez-passer pour le salon de l’agriculture…
Une loi d’orientation agricole n’est pas censée satisfaire l’enjeu éphémère d’un salon. Au contraire, elle doit répondre à l’intérêt général pour les décennies à venir !
Cette prolifération de textes supposés répondre à la colère du printemps 2024 met en lumière votre erreur de lecture. Car de cette mobilisation est ressorti le constat sans appel d’une crise économique, avec des paysans malmenés par une guerre des prix dans laquelle ils sont toujours cantonnés au rôle de perdants.
La revendication principale des paysans était, et elle est toujours, de pouvoir vivre dignement de leur travail. Au terme de ce marathon législatif, pouvez-vous nous dire ce qui apportera concrètement du revenu dans les fermes ?
La réalité, c’est que vous vous êtes servi de la frustration du monde agricole pour faire adopter des textes bénéfiques à la seule agro-industrie. Vous avez utilisé la colère des paysans pour satisfaire les intérêts d’une agriculture chimiquement intensive, productiviste et anti-environnementale !
Ce ne sont pas les régressions environnementales et sanitaires qui produiront du revenu pour les paysans. Céder aux lobbies agro-industriels est à l’opposé de ce dont les agriculteurs ont besoin !
Je vous le demande sincèrement, quand et comment allez-vous engager une modification du plan stratégique national (PSN) pour mieux répartir les aides de la politique agricole commune (PAC) ? Quels moyens mettrez-vous à disposition des agriculteurs pour qu’ils puissent percevoir un revenu décent, et quand le ferez-vous ?
Entre nous, madame la ministre, souhaitez-vous vraiment dessiner un nouveau modèle agricole pour faire face aux enjeux multiples qui s’ouvrent devant nous ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
Mme Audrey Linkenheld. Tissot, ministre de l’agriculture ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’orientation agricole qui vient de se réunir a été conclusive. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) Je vous rappelle que ce texte avait été examiné à l’Assemblée nationale voilà plusieurs mois, avant que le Sénat n’en débatte la semaine dernière et que la navette parlementaire ne se déroule, le plus normalement possible.
Il s’agissait pour moi d’honorer un engagement et non pas de me saisir, avec ce projet de loi, d’une quelconque opportunité me permettant d’obtenir un blanc-seing au salon de l’agriculture. Ce texte s’inscrivait dans la continuité du travail parlementaire !
L’image que vous donnez des prétendus lobbies productivistes est naturellement une caricature. Dois-je vous rappeler que la fonction première de nos agriculteurs, la plus noble et la plus essentielle qui soit, est de nourrir la population ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et RDPI.)
Je renie totalement ce terme de productivisme ! Il faut réhabiliter l’acte de produire, qui est un acte noble et profondément utile. Et placer l’agriculture au rang d’intérêt majeur de la Nation revient à rendre justice aux agriculteurs, qui travaillent dur pour nous nourrir. (Mêmes mouvements.)
Vous me tenez rigueur de mon activisme parlementaire. Mais plus on parle d’agriculture dans les enceintes parlementaires et plus je suis heureuse, car cela signifie que la question agricole est au cœur de l’actualité, ce qui est en effet le cas !
Vous m’avez interrogée sur la question du revenu des agriculteurs. Ce revenu est composé de trois éléments : des allégements de charges à hauteur d’un demi-milliard d’euros que le Gouvernement, sous l’autorité de M. le Premier ministre, a inscrits dans le dernier projet de budget ; l’accès aux moyens de production, soit la terre, l’eau et les moyens de protection des cultures ; enfin,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Annie Genevard, ministre. … des prix qui soient rémunérateurs. Ma collègue Véronique Louwagie et moi-même allons travailler sur ce dernier point, qui relève du projet de loi Égalim. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour la réplique.
M. Jean-Claude Tissot. Je vous entends, madame la ministre. Mais pour que la commission mixte paritaire soit conclusive, hier, vous l’avez fait passer au forceps ! (On opine sur les travées des groupes SER et GEST.) Nous avons travaillé n’importe comment, avec des textes qui sont arrivés sur la table sans que nous puissions en débattre ; mais c’est un autre sujet…
La mission première d’un paysan, d’un agriculteur, est bien évidemment de nourrir les gens. J’ai exercé ce métier pendant trente ans, je sais de quoi je parle !
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Claude Tissot. Vous avez eu raison de le souligner très clairement, madame la ministre, leur mission première est de nourrir les gens, et non pas de les empoisonner ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
développement du commerce en ligne de produits textiles
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Valente Le Hir, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylvie Valente Le Hir. Madame la ministre, le commerce en ligne connaît de profonds bouleversements depuis l’apparition de nouvelles enseignes asiatiques, telles que Shein et Temu.
Une étude vient de révéler que ces enseignes s’étaient imposées comme celles où les Français avaient dépensé le plus en 2024. Le poids de ces acteurs est de plus en plus visible au sein de notre économie, puisqu’ils représentent 22 % des colis traités, selon le PDG de La Poste, Philippe Wahl.
Face à cette montée en puissance, nombreux sont les professionnels du secteur textile, en grande difficulté, à demander la mise en place d’une régulation. Avec 50 000 salariés, contre 600 000 en 1990, nous assistons à une véritable hécatombe.
De la désertification de nos centres-villes à la perte de savoir-faire historiques et traditionnels, les conséquences économiques deviennent également sociales et environnementales.
Des filières de seconde main sont submergées par des vêtements non recyclables en raison de leur piètre qualité.
Des plateformes dites sociales sur lesquelles règnent de nouvelles icônes de la mode via les influenceurs, rendent « addicts » les consommateurs, à commencer par les plus jeunes.
Face à ces constats, nous demeurons spectateurs et ne réagissons pas. Qu’attendons-nous ?
En tant que rapporteure au Sénat d’une proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, adoptée il y a bientôt un an à l’Assemblée nationale, je vous le dis, madame la ministre : il est plus que temps de passer aux actes. (Mmes Nicole Bonnefoy et Raymonde Poncet Monge applaudissent.) C’est pourquoi, malgré le retrait de l’ordre du jour de ce texte, qui devait être examiné le 26 mars prochain, le Sénat est prêt à agir.
Quelle est votre position ? Soutenez-vous cette démarche de préservation et de souveraineté économique ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et GEST. – Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Valente Le Hir, la proposition de loi relative à la fast fashion n’a pas été retirée : son inscription à l’ordre du jour du Sénat a été décalée. Le Gouvernement espère qu’elle sera examinée avant l’été et que des mesures renforcées y figureront.
Notre objectif est clair. Agnès Pannier-Runacher et moi-même travaillons sur cette proposition de loi afin de la rendre plus robuste et d’éviter les effets de bord qui pourraient pénaliser nos entreprises, ce que vous ne souhaitez évidemment pas. Nous faisons en sorte, également, de nous assurer que ce texte cible bien toutes les plateformes dont vous avez fait état, sans créer d’échappatoire.
Le constat que vous faites, nous le partageons. Nous devons prendre en compte les profonds bouleversements qu’entraîne l’e-commerce, et notamment ses impacts sur l’emploi, l’économie, nos commerces et notre modèle social.
Il nous faut relever un certain nombre de défis en matière environnementale, sociale, économique. Ces entreprises ont en effet réussi à capter une grande part du marché via le modèle de fast fashion qu’ils ont développé : un grand nombre d’articles sont proposés à la commercialisation – jusqu’à 7 000 nouveaux modèles par jour –, à des prix très bas.
Ce modèle, qui met en difficulté nos entreprises et nos emplois, pose une problématique importante en termes de recyclage du textile, comme vous l’avez souligné.
M. Yannick Jadot. Et avec Castaner…
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. De façon plus large, ce modèle d’entreprise ne respecte pas les normes et les règles auxquelles se conforment nos entreprises. Nous devons donc agir et nous sommes prêts à le faire.
Le Gouvernement est parfaitement clair sur cette question. Nous défendons des règles d’affichage environnemental beaucoup plus strictes dans le secteur du textile.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Nous souhaitons aussi instaurer une réglementation plus stricte en matière d’écoconception des produits et de gestion des déchets. Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement est totalement engagé sur ce dossier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
dépistage de l’amyotrophie spinale
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le ministre de la santé, le 28 février prochain aura lieu la Journée internationale des maladies rares (JIMR). À cette occasion, Élisabeth Doineau et moi-même souhaitions attirer votre attention sur un enjeu majeur de santé publique : la généralisation du dépistage néonatal de l’amyotrophie spinale (SMA), première cause génétique de mortalité infantile en France.
Chaque année, 100 à 120 nouveau-nés sont atteints de cette maladie neuromusculaire rare, qui entraîne une faiblesse musculaire progressive et, dans sa forme la plus sévère, un décès avant l’âge de 2 ans.
Pourtant, ces dernières années, des avancées thérapeutiques majeures ont permis de stopper l’évolution de la maladie. Un dépistage néonatal simple et efficace existe. Un test qPCR, réalisé à partir d’une goutte de sang prélevé à la naissance, permet d’identifier les nouveau-nés atteints dès leur premier jour de vie. Ce dépistage est déjà pratiqué avec succès dans plusieurs pays européens, et a été expérimenté dans les régions Grand Est et Nouvelle-Aquitaine depuis 2022.
Sur la base de ces résultats, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu un avis favorable en juillet 2024, recommandant l’intégration immédiate de la SMA dans le programme national de dépistage néonatal. Elle souligne dans son rapport la nécessité d’un diagnostic avant 30 jours de vie, afin d’assurer un traitement précoce et d’éviter des séquelles irréversibles.
Pourtant, huit mois après cet avis, aucune décision n’a été prise, et nous constatons avec inquiétude que cette généralisation tarde à se concrétiser, alors que des nourrissons continuent de mourir faute de dépistage précoce.
Cette préoccupation doit être d’autant plus prioritaire que le taux de mortalité infantile en France a dépassé en 2024, pour la première fois en vingt ans, le chiffre de 4 décès pour 1 000 enfants nés vivants. Nous sommes ainsi redescendus de la troisième à la vingtième place des pays européens.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer du déploiement rapide et homogène de ce dépistage, et selon quel calendrier, afin de donner à chaque enfant atteint par cette maladie les meilleures chances de survie et de développement ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, la question que vous posez est très importante, puisque les maladies rares touchent 3 millions de nos concitoyens. Le dépistage est le meilleur vecteur de prévention, et nous avons la chance de pouvoir dépister 13 maladies néonatales.
Nous annoncerons dès la semaine prochaine que trois nouvelles maladies – l’amyotrophie spinale, le déficit en acyl-coenzyme A déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne (MCAD), ainsi qu’une maladie liée à des déficits immunitaires complexes – pourront désormais être dépistées le plus précocement possible, dans les premiers jours de vie des enfants, sous certaines modalités d’application, ce qui permettra de lutter contre cette mortalité infantile.
Ainsi, chaque année, 120 à 130 enfants chez lesquels une amyotrophie spinale aura été dépistée bénéficieront d’un traitement de thérapie génique qui leur évitera de subir un handicap. Ce dispositif est vertueux.
Je rappelle que nous disposons d’une loi de financement de la sécurité sociale seulement depuis lundi, et qu’hier soir, avec ma collègue Amélie de Montchalin, nous avons prévu tous les moyens nécessaires permettant d’assurer ces actes de prévention qui sauvent des vies, diminuent la mortalité, évitent d’entrer dans le handicap et de subir des pathologies lourdes, et qui permettent donc à notre système de santé de faire des économies.
Nous allons donc mettre en place ce dispositif le plus rapidement possible dans l’ensemble des centres de néonatologie, pour que nos enfants puissent en bénéficier. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 5 mars, à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Dominique Théophile.)
PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa.
Mme Brigitte Devésa. Lors du scrutin public n° 196 sur l’ensemble du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, M. Hervé Marseille souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
5
Communication d’avis sur deux projets de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 et à celles de l’article 56 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu’elle a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable sur la nomination de M. Philippe Bas – trente-six voix pour, deux voix contre – et un avis défavorable sur celle de M. Richard Ferrand – quatorze voix pour, vingt-six voix contre – aux fonctions de membres du Conseil constitutionnel.
6
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
7
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement sollicite du Sénat l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 20 février de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.
Nous pourrions inscrire l’examen de ces conclusions à l’issue de l’espace réservé au groupe Union Centriste. Le délai limite d’inscription des orateurs des groupes serait fixé demain à 11 heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
8
Candidatures à une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des dix-neuf membres de la commission d’enquête sur la libre administration des collectivités territoriales, privées progressivement de leurs recettes propres, et sur les leviers à mobiliser demain face aux défis de l’investissement dans la transition écologique et les services publics de proximité.
En application de l’article 8 ter, alinéa 5 de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
9
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
10
Indexation des salaires sur l’inflation
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, de la proposition de loi visant à indexer les salaires sur l’inflation, présentée par Mmes Cathy Apourceau-Poly, Silvana Silvani, Céline Brulin et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 208, résultat des travaux n° 338, rapport n° 337).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mmes Monique Lubin et Frédérique Puissat applaudissent également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces dernières années, sous les coups de l’inflation et en l’absence d’une véritable politique salariale, la France s’est smicardisée.
Alors qu’en 2021 12 % des travailleurs étaient payés au Smic, ils sont aujourd’hui 17,3 %. La France compte ainsi, en ce début d’année, 3,1 millions de salariés payés au Smic, 58 % d’entre eux étant des femmes travaillant dans des secteurs économiques essentiels.
Ces salariés sont aides à domiciles, ouvriers d’usine, employés dans les services, aides-éducateurs, livreurs, ouvriers artisanaux, et j’en passe. Nous les rencontrons régulièrement : ils nous disent qu’ils ne peuvent plus boucler leurs fins de mois et que ces fins de mois arrivent de plus en plus tôt.
Je pense aussi à celles et ceux qui sont obligés de cumuler deux emplois simplement pour payer les factures, financer les études supérieures de leurs enfants ou permettre à ceux-ci de ne pas connaître la précarité alimentaire.
Ils viennent me voir avec leurs factures d’essence et d’électricité et me disent qu’à la fin du mois le caddie est de plus en plus vide.
Est-il normal que, dans ce pays, en 2025, des travailleurs qui vont au turbin chaque matin soient obligés de s’adresser aux associations caritatives pour manger et nourrir leur famille ? Il y a longtemps que beaucoup d’entre eux ne prennent plus de vacances et que la seule sortie se résume à un après-midi dans un parc.
Que l’on se comprenne bien, je ne verse pas dans le misérabilisme. Je dresse simplement un constat. De nombreux travailleurs, qui chaque matin se lèvent pour se rendre au bureau, à l’usine ou ailleurs, n’arrivent plus à joindre les deux bouts.
Telle n’est pas la conception que nous nous faisons du travail. Le travail doit payer, il doit être justement rémunéré. Ni misérabilisme ni démagogie ! C’est d’abord et avant tout une question de justice et de respect du travail et des travailleurs.
Les salariés de ce pays sont dignes et fiers de ce qu’ils produisent, mais, dans le même temps, ils passent sous les fourches de l’inflation. Cela ne peut plus durer.
Oui, les travailleurs pauvres existent, car le travail ne paie plus ! Il est grand temps que les choses changent, c’est une question de justice sociale. C’est dans cette logique que nous avons déposé cette proposition de loi visant à indexer les salaires sur l’inflation.
Alors que le Smic est indexé sur l’inflation, à l’instar des pensions de retraite et des prestations sociales, les salaires, eux, ne le sont pas ! Les conséquences sont sans appel : on constate un véritable décrochage des salaires et une perte considérable de pouvoir d’achat des travailleurs.
En 2024, les salaires ont progressé de 2,7 % en moyenne soit 0,7 point de plus que l’inflation. Pour autant, cette hausse ne compense pas – loin de là ! – les pertes cumulées en 2022 et en 2023, estimées à 2,4 %.
Et je n’évoque même pas les importantes disparités entre les différents secteurs d’activité : je pense notamment au commerce, où les employés ont tout particulièrement souffert de la situation.
Dans l’industrie, les salaires sont historiquement plus élevés que dans le tertiaire, non pas par bonté, mais parce que la valeur produite par les bras des travailleurs rapporte beaucoup plus d’argent. Cependant, la donne a changé ces dernières années : le décrochage des salaires touche même ces salariés de l’industrie. Je pense aux ouvriers de l’automobile, qui n’espèrent même plus se payer une des voitures qu’ils fabriquent – et je ne parle pas de Maserati ou de Porsche !
Enfin, ce décrochage concerne toutes les catégories socioprofessionnelles. En effet, les cadres ont eux aussi connu une diminution de 2,8 % de leur pouvoir d’achat.
La situation n’est pas plus rose dans la fonction publique, bien au contraire ! Depuis la fin de l’indexation du point d’indice sur l’inflation en 1983, le pouvoir d’achat des fonctionnaires est en chute libre.
C’est bien simple : puisque le Smic est le seul salaire à être revalorisé en tenant compte de l’inflation, on assiste à un rattrapage par le bas des échelles de salaire, donc à un tassement des rémunérations autour de ce qui ne devait à l’origine être qu’un minimum.
La situation est telle que de nombreux fonctionnaires de catégorie C perçoivent une prime de rattrapage du Smic et que le recrutement dans des secteurs comme la santé, la protection de l’enfance ou l’enseignement devient de plus en plus difficile en raison du manque d’attractivité de ces métiers.
Notre pays connaît une explosion de la pauvreté, sensiblement des travailleurs pauvres. Près d’un tiers des personnes pauvres ont un emploi : 19 % de salariés et 12 % d’indépendants.
D’un côté, les travailleurs perdent du pouvoir d’achat, de l’autre, les entreprises du CAC 40 ont réalisé en 2023 pas moins de 144 milliards d’euros de bénéfices.
En 2023, le salaire annuel moyen des patrons du CAC 40 était de 7,1 millions d’euros, soit une augmentation de 6 %, quand les salaires progressent seulement de 4,5 %. Pourtant ce sont les salariés qui produisent la richesse dans les entreprises ! L’écart entre les rémunérations des salariés et des patrons du CAC 40 n’en finit pas de se creuser depuis dix ans. Cette situation est insupportable pour des millions de nos concitoyens.
Disons-le tout net, l’inflation est non pas conjoncturelle, mais structurelle : son ampleur impose donc des mesures elles aussi structurelles.
Même si l’inflation a diminué en 2024 pour s’établir à 2,5 %, après avoir été de 5,2 % en 2022 et de 4,9 % en 2023, elle devrait être de 1,5 % cette année, selon l’estimation de la Banque de France.
Pour nous, il y a donc urgence à indexer les salaires sur l’inflation, car cela permettra de garantir les revenus des travailleurs face à la hausse des prix.
Ce mécanisme d’échelle mobile des salaires, protecteur et efficace, a déjà existé en France en 1952 et a été abandonné en 1983 au moment du tournant de la rigueur. La suppression de ce mécanisme a eu des conséquences désastreuses pour l’économie française. De 1983 à 1989, la part des salaires dans la valeur ajoutée a chuté de dix points.
L’indexation des salaires sur l’inflation permet au contraire de rehausser la part des salaires dans la valeur ajoutée et de donner de la visibilité aux ménages pour se projeter.
Sur ce point, nous serons tous d’accord : les travailleurs utilisent cet argent dans l’économie réelle, ils font vivre l’économie du pays. Ils ne sont pas de ceux qui spéculent ou vont cacher leur épargne à l’étranger. Cette mesure serait donc bonne non seulement pour les individus, mais aussi pour tout le pays et son économie.
Par ce tassement des revenus, on arrive à une situation où la part des dépenses incompressibles dans le revenu des ménages représente de plus en plus souvent la totalité du revenu disponible. C’est ce que dénonçaient les « gilets jaunes » : l’appauvrissement dû au travail, indépendamment des qualifications et des secteurs. La classe moyenne tend à s’effacer.
Dans une économie qui se veut de consommation, la croissance elle-même est freinée par la concentration des richesses entre quelques mains : c’est ce que nous, communistes, appelons la concentration du capital, laquelle mène à la baisse tendancielle du taux de profit, in fine à la crise systémique du système économique.
En commission, certains ont exprimé des craintes pour notre économie, avec le risque que l’indexation entraîne une boucle prix-salaires qui mettrait à genoux les petites entreprises. Je vous propose un petit voyage chez nos voisins européens dans lesquels les entreprises se portent à merveille et où il n’y a pas de spirale inflationniste. Je vous laisse le choix de la destination : Belgique, Luxembourg, Chypre ou Malte.
Il faut le dire : les salaires et les prix, c’est une chose, mais n’oublions pas les profits, ils ne sont pas incompressibles… Cette prétendue boucle inflationniste fait peur, car vous refusez de mettre les profits dans la balance et dans la discussion.
Je rappelle enfin que l’indexation des salaires est une revendication très majoritairement soutenue par les Français, puisque 87 % d’entre eux y sont favorables.
Notre texte prévoit non pas d’augmenter les salaires dans les entreprises, mais seulement de rattraper l’inflation pour stopper la perte continue de pouvoir d’achat des salariés, dans le privé comme dans le public. Le rétablissement de l’échelle mobile des salaires permettra de renforcer les négociations de branches dans les entreprises.
Aujourd’hui, le fameux « coût du travail », si cher à nos collègues de la majorité, est inférieur en France à celui de l’Allemagne : 8,51 euros de l’heure, contre 12 euros outre-Rhin. Pour notre part, nous réfutons l’idée que le travail soit un coût.
Si l’on regarde l’ensemble des salaires, nous avons, à qualifications et emplois égaux, des niveaux de salaire inférieurs aux pays frontaliers situés au nord et à l’est.
Enfin, de trop faibles rémunérations peuvent avoir des conséquences sur la productivité. Comment être productif quand l’idée même de nourrir vos gosses convenablement ne cesse de vous trotter dans la tête ?
Nous avons en France un problème non pas de coût du travail, mais de trop faible rémunération du travail.
Au travers de cette proposition de loi, nous réclamons tout simplement que le travail soit reconnu, qu’il paie et qu’il soit indexé sur l’inflation pour permettre aux salariés de vivre dignement. J’attends avec impatience les arguments du Gouvernement contre cette aspiration de justice sociale qui gagne du terrain dans notre pays.
Je termine en remerciant notre collègue rapporteure Silvana Silvani du travail qu’elle a accompli sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme Silvana Silvani, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Cathy Apourceau-Poly et des membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky vise à mettre en place une indexation des salaires et du point d’indice des fonctionnaires sur l’inflation.
Ce texte intervient à la suite du contexte inflationniste survenu en 2022 et 2023 et de la précarisation importante des salariés du secteur privé qui s’est ensuivie. L’évolution de l’indice des prix a en effet été supérieure à celle du salaire moyen annuel par tête, aboutissant à une chute du salaire net moyen de 1 % en 2022. La diminution du pouvoir d’achat n’a toutefois pas été uniforme.
Dans le même temps, si les revalorisations automatiques du Smic ont protégé le pouvoir d’achat des salariés aux rémunérations les plus faibles, les négociations salariales n’ont pas permis d’éviter le tassement des grilles salariales. La part de salariés rémunérés au niveau du Smic a ainsi atteint le pic historique de 17,3 % en 2023. En outre, un certain nombre de branches se retrouvent en état de non-conformité au regard du Smic, alors même qu’il s’agit d’une obligation légale.
Dans la fonction publique, le constat est encore plus frappant. L’augmentation du point d’indice a été quasi annuelle jusqu’en 2010, date à laquelle les gouvernements successifs ont maintenu le gel de sa valeur durant de longues périodes. Dès lors, la perte de pouvoir d’achat pour les agents publics est patente : selon l’Insee, entre 2012 et 2022, le salaire net moyen des fonctionnaires a augmenté de 1,4 %, quand celui des salariés a crû de 4 % et l’inflation, de 14 %.
La proposition de loi discutée aujourd’hui entend répondre aux problèmes que je viens d’exposer.
L’article 1er prévoit une indexation annuelle des salaires du secteur privé sur le taux prévisionnel d’inflation et, par cohérence, met fin à l’interdiction des clauses conventionnelles d’indexation.
En parallèle, l’article 2 indexe la valeur du point d’indice de la fonction publique sur l’inflation prévisionnelle. Le coût de cette mesure pour les finances publiques a été relevé en commission, mais je rappelle que les mesures dites catégorielles, qui cherchent à pallier le gel du point d’indice, ont représenté une dépense de près de 3,5 milliards d’euros en 2024.
L’article 3 impose la tenue annuelle de négociations sur les salaires au sein des branches professionnelles et précise qu’aucun salaire minimal de branche ne doit être fixé en dessous du Smic.
Enfin, l’article 4 incite les employeurs à augmenter les salaires à la mesure de l’inflation en réduisant, dans le cas contraire, les allégements généraux de cotisations patronales dont ils bénéficient.
Les auditions menées ont éclairé le débat en commission et permettent notamment de répondre à quelques arguments avancés contre l’indexation des salaires.
Premier risque brandi, la boucle prix-salaires fait désormais figure d’antienne. Ce risque était déjà pointé pendant l’examen parlementaire de la loi du 18 juillet 1952 relative à la variation du salaire minimum national interprofessionnel garanti en fonction du coût de la vie… De même, contre-vérité historique, il est souvent dit que l’indexation des salaires a été abrogée en 1982 pour mettre fin à une spirale inflationniste. En réalité, l’échelle mobile des salaires n’a jamais été mise en place en France et n’a donc pas pu nourrir l’inflation.
De plus, les exemples étrangers nous enseignent que cette objection ne résiste pas à l’épreuve des faits. Les mécanismes d’indexation en Belgique ou au Luxembourg ne créent nullement de spirale prix-salaires, quand bien même ils existent depuis respectivement 1919 et 1921. La désinflation en Belgique a eu lieu comme en France à partir de 2023 sans qu’aucun phénomène d’emballement se produise.
C’est là un point qui me semble essentiel ; les contempteurs de cette mesure y voient, au choix, un anachronisme malvenu ou une dangereuse utopie. Pourtant, aux frontières de mon département, au Luxembourg, une indexation automatique et générale des rémunérations est enclenchée chaque fois que l’indice des prix à la consommation nationale franchit le seuil de 2,5 %. De même, en Belgique, des commissions paritaires pilotent, pour chacun de leurs secteurs d’activité, le mécanisme d’indexation qu’elles ont choisi.
L’indexation des salaires est donc pratiquée aujourd’hui chez nos voisins européens et permet d’obtenir des résultats probants. La Belgique est le pays de l’Union européenne où le salaire réel moyen a le plus progressé en 2023, alors même qu’il avait déjà moins diminué que la moyenne de la zone euro en 2022.
Un autre point, souvent avancé, concerne le risque que l’indexation représenterait pour les entreprises. Il faut souligner que, certes, l’indexation des salaires représente un coût pour les entreprises, mais qu’elle favorise également la consommation des travailleurs et soutient donc la croissance. Sans revenir plus amplement sur l’exemple belge, il nous a été rapporté que l’indexation des salaires y est défendue par les représentants des petites et moyennes entreprises.
Plus généralement, les administrations françaises ont considéré qu’une telle indexation était contre nature, presque étrangère à la culture juridique de notre pays, donc nuisible au fonctionnement de l’économie. Tout est affaire de perspective en la matière. Faut-il rappeler que 17 millions de retraités et près de 13 millions de bénéficiaires de prestations sociales voient leurs prestations revalorisées chaque année au niveau de l’inflation ? Face à ce constat, je m’étonne que la question soit balayée sans plus de réflexion pour les 27 millions d’actifs qui travaillent, mais voient leur pouvoir d’achat moins bien protégé.
Enfin, dernier de ses maux, l’indexation des salaires nuirait au dialogue social et déposséderait les partenaires sociaux d’une prérogative qui leur est propre. Là encore, prenons le contre-pied et déplorons que le dialogue social se limite trop souvent à une course contre l’inflation. Les sujets de dialogue social, que ce soit au niveau de la branche ou de l’entreprise, ne manquent pas : formation professionnelle, partage de la valeur, égalité femmes-hommes, sécurité et santé au travail. L’indexation des salaires permettrait ainsi aux partenaires sociaux de mettre à profit ce temps économisé.
Pour finir, il faut insister une nouvelle fois sur la logique de l’indexation, qui ne doit pas faire l’objet d’un contresens. Voir son salaire indexé sur l’inflation ne conduit pas à un gain pour le salarié, mais garantit simplement le maintien de son pouvoir d’achat. C’est donc une mesure minimale qui ne peut être qualifiée d’« augmentation salariale ».
L’indexation des salaires me semble donc répondre aux attentes des salariés et les prémunir de toute dégradation de leur salaire réel si une nouvelle flambée inflationniste devait se produire. Notre économie mondialisée est vulnérable aux chocs qu’elle subit. Un nouveau renchérissement des coûts des matières premières, une désorganisation des chaînes de production ou du transport mondial, ou encore une hausse des droits de douane – même de nos partenaires économiques… – ne sont pas à exclure dans un avenir proche.
À titre personnel, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je suis favorable à l’adoption de la proposition de loi. La commission des affaires sociales ne l’a toutefois pas adoptée, sa majorité ayant pointé le risque d’administration des salaires, le coût pour les finances publiques et les craintes d’une déstabilisation de l’économie. C’est donc le texte initial qui sera examiné cet après-midi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, vous posez la question importante du pouvoir d’achat des travailleurs de notre pays.
Après deux années noires, l’inflation est repassée depuis le mois de décembre 2024 sous les 2 % en glissement annuel, notamment grâce à l’action résolue des pouvoirs publics français et européens. Pour autant, ce n’est pas parce que nous avons fait rentrer le diable inflationniste dans sa boîte que la question ne se pose plus !
L’indexation générale des salaires sur l’inflation ou l’instauration d’une échelle mobile figurent parmi les revendications de plusieurs syndicats salariés, ainsi que Mme la rapporteure l’a rappelé. Je suis donc doublement attentive à la proposition de loi que nous examinons.
Face à une hausse des prix provoquée par des chocs externes, comme celle que nous avons connue à partir de l’automne 2021, les pouvoirs publics doivent agir de deux manières : réduire l’inflation et protéger certains revenus.
Toutefois, face à l’inflation, notamment quand le choc est externe, il n’y a pas de solution magique : quelqu’un doit payer la facture. Les mesures de protection consistent alors souvent à répartir les pertes dans l’économie et la société française. Qui doit payer l’inflation : les salariés, les entreprises, les contribuables, les créanciers ?
Nous pourrions être tentés par l’indexation générale des salaires sur l’inflation. Comme on l’entend parfois, cette solution permettrait de transférer le coût de l’inflation vers les employeurs qui imputeraient leurs pertes sur leurs marges ou les répercuteraient sur leurs prix, donc sur les consommateurs.
Dans ce cas, le prix à payer serait double. Il y aurait un effet négatif sur l’activité et l’emploi, d’une part, et un effet sur les prix qui viendrait alimenter en retour les tensions inflationnistes, d’autre part.
Par le passé, nous avons connu la boucle prix-salaires, les salaires courant après les prix et alimentant l’inflation en retour. Les choix faits dans les années 1980 par des gouvernements socialistes ont permis de sortir la France de la spirale de l’inflation, à l’aide de dévaluations. Inflation et dévaluation marchaient alors ensemble, et je ne suis pas certaine qu’il faille regretter l’une ou l’autre.
Si, depuis 1983, l’indexation générale des salaires sur l’inflation est écartée, nous disposons d’un outil puissant pour protéger les plus faibles rémunérations : le Smic. En effet, lui bénéficie de règles d’indexation précises sur la base de l’inflation et de l’évolution du salaire horaire de base des ouvriers et employés.
Depuis le mois d’octobre 2021, il y a eu huit hausses du Smic, pour une augmentation totale de son montant de 12,4 %. Au début de 2025, on estime que la dernière hausse du Smic a directement bénéficié à près de 14,5 % des salariés du privé.
Notre législation actuelle repose sur un compromis entre la volonté de protéger les bas salaires de l’inflation et les impératifs de ne pas alimenter en retour l’inflation par les salaires ou de ne pas faire payer de manière uniforme l’intégralité de la note aux entreprises ou aux consommateurs.
L’indexation du Smic envoie un signal aux partenaires sociaux. Elle constitue un levier pour les représentants des salariés dans le cadre des négociations annuelles obligatoires sur les rémunérations, qui ont été au rendez-vous au niveau tant des entreprises que des branches.
Après deux années de baisse en 2022 et 2023, les salaires réels sont repartis à la hausse. Madame la rapporteure, je vous invite à regarder la dernière note de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), qui montre qu’au quatrième trimestre de 2024 les salaires réels sur un an ont augmenté. Le salaire horaire de base des ouvriers et des employés augmente de 1,7 point, tandis que le salaire moyen de base augmente de 1,6 point, une fois les effets de l’inflation neutralisés.
L’ajustement des salaires en haut de la grille prend un peu de temps et demande de la volonté. (Mme Raymonde Poncet Monge s’exclame.) En période de forte inflation, on observe immédiatement après une revalorisation du Smic un tassement temporaire de l’éventail des salaires que vous avez rappelé, madame la rapporteure. En effet, le coefficient minimal rattrape rapidement les coefficients immédiatement supérieurs, qui progressent moins vite.
Toutefois, c’est le rôle des partenaires sociaux que d’y remédier dans le cadre du dialogue social à l’échelle des branches et des négociations obligatoires en matière de rémunération. Cela implique également de la volonté politique pour accompagner les branches. Depuis le mois d’octobre, je mène ce travail auprès des branches dont les grilles de salaires sont structurellement non conformes – je pense en particulier à cinq d’entre elles.
La loi pour le plein emploi a renforcé les obligations des branches et réduit les délais. Pas plus tard que vendredi dernier, l’une de ces cinq branches professionnelles structurellement en situation de non-conformité, celle du caoutchouc, s’est remise en conformité.
M. Fabien Gay. Waouh…
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. En outre, les services de l’État ont aussi beaucoup réduit le délai d’extension des accords salariaux.
En définitive, notre législation reposant sur l’indexation du Smic sur l’inflation me semble plus attractive que la législation belge que les auteurs de la proposition de loi donnent en exemple. En effet, elle préserve le rôle du dialogue social.
Madame la rapporteure, vous avez oublié de rappeler que, si les salariés belges sont protégés par des clauses d’indexation, les hausses de salaire sont également plafonnées, afin que l’évolution salariale en Belgique ne diverge pas des économies voisines, celles de la France, des Pays-Bas et de l’Allemagne, dans le but de maintenir la compétitivité de l’économie belge.
S’inspirer du système belge dont vous faites la promotion, madame la rapporteure, reviendrait d’abord à mettre fin à la négociation salariale collective telle que nous la concevons. Cela reviendrait aussi à fixer un plafond des hausses de salaire dans les négociations au sein des entreprises.
Pour mémoire, dans les années 1980, avec les lois Auroux, les gouvernements socialistes ont rendu obligatoire la négociation annuelle sur les salaires. De plus, durant une décennie d’inflation très modérée comme 2010-2019, le salaire moyen par tête a progressé de 0,7 % par an en plus de l’inflation.
Nous partageons tous l’objectif que le travail paie plus et mieux, mais l’indexation générale des salaires ne permet pas de répondre à cette problématique.
Dans le temps imparti à l’examen de cette proposition de loi, nous ne pourrons malheureusement pas traiter des questions de fond comme le temps partiel subi, qui reste la principale source de pauvreté laborieuse et concerne à 80 % des femmes.
Pour les salariés français, l’enjeu est non pas d’être automatiquement protégés contre l’inflation, mais bien d’augmenter la productivité aujourd’hui en panne, afin de redistribuer et de stimuler les revenus.
Il faut également prendre en compte les effets du coin sociofiscal et du financement de la protection sociale. Rappelons-le, le travail finance aujourd’hui 55 % de la protection sociale, voire 65 % si l’on prend en compte la contribution sociale généralisée (CSG) assise sur les salaires. Cela pénalise le coût du travail, mais également le salaire net que touche le travailleur à la fin du mois. Il faudrait peut-être aborder tous ces sujets.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne soutiendra pas l’adoption de cette proposition de loi.
Mme Cathy Apourceau-Poly. On avait bien compris !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, certains sujets reviennent de manière cyclique dans le débat public et l’on ne s’étonne plus de les voir inscrits à l’ordre du jour de nos travaux. La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui, sur l’initiative du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, en fait évidemment partie.
L’indexation des salaires sur l’inflation qui est proposée est incontestablement une idée populaire chez les Françaises et les Français, comme en témoigne un récent sondage.
Cette idée, qui a bénéficié d’un surcroît de visibilité en 2022 et en 2023 en raison de la forte hausse des prix à la consommation dans un contexte de reprise économique et de tensions sur le marché de l’énergie, n’est bien sûr pas nouvelle.
Dès 1952, l’indexation du salaire minimum interprofessionnel garanti, le Smig, autorise l’introduction de clauses visant le même objectif dans les conventions de branche professionnelle.
Censurées une première fois en 1959, ces clauses ne disparaissent définitivement qu’en 1982 lors du tournant de la rigueur, laissant dans les mémoires le souvenir erroné d’une échelle mobile des salaires dans les entreprises.
La Belgique et certains pays européens se sont par ailleurs dotés de dispositions similaires, sous des formes variées, mais qui demeurent difficilement transposables dans une économie comme la nôtre.
La proposition d’indexer les salaires sur l’inflation ne résiste pas à l’analyse.
Premier risque identifié, celui d’une spirale prix-salaires difficile à contrôler, provoquée par la hausse mécanique des coûts de production pour les entreprises et par sa répercussion sur les prix des biens et des services qu’elles proposent. C’est bien cette spirale qui a conduit le gouvernement Mauroy à y mettre fin en 1982, alors que l’inflation frôlait la barre des 20 %.
Second risque identifié, celui de la capacité des entreprises, notamment des plus petites, à absorber les hausses de salaire et à ajuster leurs coûts en cas de baisse de l’activité. Il est évident que les entreprises n’ont aujourd’hui pas la trésorerie nécessaire pour y faire face. Les risques en matière d’emploi sont réels.
La hausse mécanique des salaires aurait en outre une incidence directe sur la compétitivité des entreprises françaises à l’étranger, pénalisant nos exportations et déséquilibrant un peu plus notre balance commerciale.
En outre, l’augmentation minimale de la valeur du point d’indice dans la fonction publique selon l’évolution de l’inflation que vous proposez par ailleurs aurait un impact direct sur les finances publiques.
Si la hausse du coût du travail dans le secteur privé devait être supportée tant bien que mal par les entreprises, l’indexation du point d’indice dans la fonction publique aurait un coût de plusieurs milliards d’euros par an, qui serait insoutenable dans le contexte que nous connaissons.
Alors que nous devons poursuivre nos efforts pour faire des économies et réduire notre déficit public, nous ne pouvons pas envisager des dépenses aussi importantes.
Quant au dialogue social, il fonctionne dans notre pays. Ne l’affaiblissons pas ! Votre proposition, qui consiste à introduire une revalorisation automatique et aveugle des salaires, reviendrait en effet à nier le rôle des partenaires sociaux en matière d’évolution salariale, madame la sénatrice.
Enfin, vous proposez de conditionner le montant des exonérations patronales dont bénéficient les entreprises en fonction de l’augmentation annuelle des salaires. Nous nous y opposons logiquement, comme nous nous sommes opposés à une hausse du coût du travail pour les bas salaires lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, en raison de ses conséquences prévisibles sur l’emploi.
N’ajoutons pas de la complexité à la complexité, en rendant tout simplement illisible notre politique de soutien à l’emploi.
In fine, bien que nous partagions l’intention du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky de protéger le pouvoir d’achat des salariés et des agents de la fonction publique, cette proposition de loi comporte des risques considérables pour notre économie. Nous ne pouvons les ignorer et il ne nous semble pas justifié de les prendre.
Cherchons des solutions plus adaptées pour soutenir le pouvoir d’achat, mais en nous assurant qu’elles n’aient pas d’incidence sur la compétitivité de nos entreprises et l’équilibre de nos finances publiques.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky visant à indexer les salaires sur l’inflation.
Motivée par la forte dégradation du pouvoir d’achat des Français, cette proposition de loi pose deux questions : celle de la préservation de leur niveau de vie, d’une part, celle de la valeur du travail et des salaires, d’autre part.
Sur le terrain, de plus en plus d’offres d’emploi ne trouvent pas preneur, compte tenu du faible niveau de la rémunération proposée. En France, le travail n’est plus attractif.
Les détracteurs de l’indexation des salaires sur l’inflation craignent un effet de spirale inflationniste et redoutent une hausse des coûts de production assortie de la baisse de la compétitivité des petites et moyennes entreprises (PME), des très petites entreprises (TPE), des commerces et de l’artisanat, eux aussi soumis à une concurrence souvent déloyale.
Pourtant, les Français que je rencontre me disent tous la même chose : pour 100 euros dépensés aujourd’hui dans un supermarché, le contenu du caddie se réduit comme peau de chagrin depuis quelques années.
Depuis trois ans, le pouvoir d’achat des Français s’érode sous l’effet de l’inflation. La hausse des prix pèse chaque mois davantage sur les porte-monnaies, sans que les salaires évoluent à la même vitesse.
C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai déposé en 2023 une proposition de loi visant à indexer les salaires et les traitements de la fonction publique sur l’inflation pour soutenir le pouvoir d’achat des Français. À l’époque, on m’a évidemment dit que son adoption aggraverait le déficit de l’État. Je m’aperçois que ma proposition de loi n’a pas été adoptée, mais que le déficit ne s’est pas amélioré pour autant…(Sourires.)
Si le rythme de la hausse des prix ralentit, je rappelle que l’inflation a été de 5,2 % en 2022, de 4,9 % en 2023 et de 1,5 % en 2024. L’effet cumulatif est douloureux pour les Françaises et les Français.
Dans ce contexte, on assiste à la paupérisation de nos concitoyens qui se lèvent le matin pour travailler. Alors que la Banque de France dénombre 600 000 personnes en surendettement en 2024, il est urgent d’envisager tous les leviers disponibles pour garantir la dignité de chacun, sans que les salaires servent de variable d’ajustement.
Indexer les salaires sur l’inflation garantirait aux salariés que leurs efforts au travail ne sont pas dévalorisés. Cela a déjà été indiqué, en Belgique ou au Luxembourg, les salaires sont indexés sur l’inflation, mais il n’y a pas pour autant de spirale inflationniste ou d’emballement économique.
Comme souvent, les avis des membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen sont partagés. Pour ma part, je voterai en faveur de la proposition de loi, quand d’autres s’abstiendront. Cette proposition de loi me semble assez raisonnable. Au vu du niveau actuel de l’inflation, elle pourrait entrer en vigueur sans pénaliser l’économie de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, déjà inquiets pour leur pouvoir d’achat, les Français s’inquiètent de voir le travail ne pas payer assez. Ils ont raison, tant l’inflation est revenue peser sur leur quotidien, depuis 2022.
Il est donc de notre responsabilité collective de répondre à ces préoccupations avec pragmatisme et efficacité, sans pour autant renoncer aux principes d’équilibre économique et de justice sociale.
C’est pourquoi je tiens à remercier ma collègue Cathy Apourceau-Poly, la rapporteure Silvana Silvani et le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky de nous permettre de débattre de l’indexation des salaires sur l’inflation, question que beaucoup de Français se posent légitimement.
Néanmoins, je crois que cette proposition de loi, qui peut sembler pertinente, est alarmante, pour deux raisons.
En premier lieu, son adoption pourrait produire des effets inverses à ceux qu’elle prétend défendre. En second lieu, elle est incomplète.
Dans des pays comme le Luxembourg, Malte, Chypre ou la Belgique, s’il existe un mécanisme d’indexation des salaires sur l’inflation, celui-ci est accompagné de garde-fous permettant d’éviter les effets négatifs évidents qui lui sont associés.
En Belgique, par exemple, des plafonds empêchent ainsi une dérive incontrôlée des salaires et de l’inflation. La loi belge prévoit également des périodes de gel en cas de risque économique majeur.
Dans la proposition de loi qui nous est soumise, aucune de ces précautions n’a été envisagée. Le mécanisme proposé, rigide et généralisé, ne prend en compte ni la diversité des secteurs économiques, ni l’état de nos finances publiques, ni la nécessité d’éviter une spirale inflationniste.
Je m’étonne d’ailleurs qu’alors que nous répétons sans cesse qu’il faut respecter les partenaires sociaux et éviter que la loi vienne tout organiser il soit ainsi proposé de porter atteinte au dialogue social, de légiférer de manière stricte et d’imposer l’indexation. Depuis les années 1950, la loi interdit les clauses d’indexation des salaires sur le niveau général des prix, cette interdiction ayant été confirmée en 1982 par le gouvernement Mauroy.
Le salaire est avant tout un élément de négociation entre employeurs et employés. La loi et l’État n’ont pas vocation à fixer directement l’évolution des rémunérations dans l’ensemble de l’économie.
Certes, il existe un salaire minimum fixé par la loi, le Smic, qui bénéficie d’une revalorisation automatique selon des critères objectifs. Généraliser un tel mécanisme à l’ensemble des salaires reviendrait à nier les réalités propres à chaque secteur, à chaque entreprise et à chaque branche professionnelle.
De plus, l’indexation des salaires sur l’inflation désinciterait fortement la négociation collective. Si les salaires sont automatiquement revus à la hausse, quel rôle pourraient jouer les syndicats et les employeurs pour adapter les rémunérations aux réalités économiques et sociales ?
Mme Céline Brulin. Ils pourraient faire beaucoup de choses !
Mme Brigitte Devésa. Cette proposition excessivement rigide empêcherait la flexibilité nécessaire dans un monde économique en perpétuelle évolution. La concertation et le dialogue doivent prévaloir par rapport à ce dispositif rigide qui ne tient pas compte de la diversité des situations économiques et professionnelles.
Que faire pour le pouvoir d’achat des Français et pour les salaires, me demanderez-vous ? Nous disons la même chose à droite et au centre. Vous nous le reprochez, mais, dans une vision libérale, je l’avoue,…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Elle l’avoue !
Mme Brigitte Devésa. … nous essayons en permanence de garantir que l’État ne s’attaque pas au pouvoir d’achat et ne ponctionne pas les salaires par les charges. En effet, entre le brut et le net, les entreprises et les salariés perdent ce qui est prélevé par l’État, pour l’impôt et pour les charges.
Par exemple, l’augmentation de la TVA prévue dans le budget pour 2025 affectera directement le coût de la vie, donc réduira encore davantage le pouvoir d’achat des ménages. Après avoir augmenté la pression fiscale, l’on voudrait maintenant contraindre les entreprises à compenser les effets de ces décisions en les forçant à augmenter les salaires ? Cela ne serait ni cohérent ni juste – d’ailleurs les entreprises ne le feraient pas !
Cela reviendrait à condamner les entreprises à une double peine, alors qu’elles sont déjà confrontées à des charges lourdes, à des réglementations de plus en plus complexes et à un environnement économique incertain.
Nous vivons dans un monde ouvert, dans une économie mondialisée et dans l’Union européenne. L’indexation des salaires ne pourrait être décidée qu’à l’échelon européen, certainement pas à celui des États.
Si je parle de double peine pour les entreprises, je pourrais également le faire pour les Français, car, même si la proposition d’indexation des salaires sur l’inflation paraît intéressante, on n’en présente pas toutes les conséquences !
D’abord, les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales et des services de l’État augmenteraient, alourdissant les finances publiques. Il y aurait donc une augmentation tant de la dette que des impôts, une double hausse à laquelle les Français sont résolument opposés.
Ensuite, les cotisations et les pensions versées aux retraitées du secteur public augmenteraient mécaniquement, aggravant le déséquilibre des régimes de retraite, ce dont les Français ne veulent pas non plus.
Enfin, sans même parler du risque vicieux d’une alimentation de la hausse des prix à la consommation par la hausse des salaires, les Français dont les revenus reposent davantage sur les primes et les indemnités que sur une rémunération calculée sur le point d’indice seraient désavantagés.
Chers collègues, soyons responsables vis-à-vis des salariés, en leur garantissant un pouvoir d’achat décent et une participation équitable à la richesse produite.
Soyons responsables vis-à-vis des entreprises, en ne leur imposant pas une charge qui pourrait menacer l’emploi.
Soyons responsables vis-à-vis de nos finances publiques, en veillant à ne pas creuser des déficits qui pèseraient demain sur les générations futures.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste soutiendra le vote de la commission des affaires sociales du Sénat, qui, dans sa sagesse, a rejeté le présent texte. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’excellent travail de notre rapporteure Silvana Silvani. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.) Il montre clairement le décrochage qu’ont subi les salaires en France, et son accélération ces dix dernières années.
Deux chiffres illustrent ce constat : entre 2012 et 2022, le salaire réel des salariés a reculé de 10 % et celui des fonctionnaires de 12,5 %. Pourtant, dans le contexte international que tous les orateurs précédents ont évoqué, les entreprises ont maintenu leurs marges à un taux historiquement élevé, notamment en relevant leurs prix.
Indexer les salaires sur l’inflation est donc une question de justice sociale.
C’est aussi une mesure indispensable pour éviter que des professions ne décrochent, elles aussi, en matière d’attractivité. Je pense par exemple aux enseignants, pour lesquels de plus en plus de places ouvertes aux concours de recrutement ne sont pas pourvues. Dans les années 1980, un enseignant en début de carrière gagnait 2,2 fois le Smic ; quarante ans plus tard, un professeur débutant gagne 1,2 fois le Smic.
La déconnexion du point d’indice et de l’inflation en 1983 puis le gel de ce point d’indice durant plus d’une décennie ont eu un effet direct sur la crise de recrutement que nous connaissons aujourd’hui.
Voilà pourquoi il nous semble nécessaire de doter notre économie d’un mécanisme à même de maintenir le pouvoir d’achat de nos concitoyens.
On entend souvent, comme cela vient d’être avancé, qu’un tel mécanisme entraînerait une boucle inflationniste. Pourtant, une étude du Fonds monétaire international – je n’évoque pas Le Capital de Karl Marx ! –, qui se fonde sur l’analyse de la vie économique dans différents pays pendant soixante ans, montre que cette fameuse boucle prix-salaires n’existe pas et qu’il s’agit d’un mythe.
J’entends les inquiétudes concernant le sort des petites entreprises. Sachez que nous y sommes extrêmement attentifs. D’ailleurs, notre proposition de loi vise à maintenir les exonérations de cotisations pour les petites entreprises qui indexeraient les salaires sur l’inflation.
Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, nous avons débattu de la nécessité de conditionner les exonérations de cotisations à des choix vertueux dans les entreprises. Ce texte en fournit un nouvel exemple.
D’ailleurs, les TPE et PME belges ou luxembourgeoises ne se plaignent pas de l’indexation des salaires sur l’inflation. En effet, le plus souvent, leur vitalité et leur compétitivité sont dues à leurs carnets de commandes, ces mêmes carnets de commandes qui ont l’assurance d’être remplis par un pouvoir d’achat garanti. À l’inverse, aujourd’hui, nous constatons que les salariés se privent, remettent à plus tard ou abandonnent des projets, ce qui a évidemment un impact sur l’activité de nos entreprises.
Enfin, au moment où beaucoup de salariés ont du mal à joindre les deux bouts, à faire face à l’inflation qui galope peut-être un peu moins vite qu’il y a quelques mois, mais qui est toujours bien réelle, comment justifier que les retraites ou les prestations sociales soient indexées sur l’inflation, mais pas les salaires des actifs ?
Certains ont voulu répondre à cette question en désindexant les retraites de l’inflation. On sait ce qu’il est advenu de cette sinistre proposition. Nous, nous y répondons en proposant au contraire d’indexer les salaires sur l’inflation.
Le travail n’est pas seulement une valeur à convoquer dans les discours : c’est une activité productive, d’ailleurs la seule qui produit de la richesse. Il n’est pas incongru que les salariés demandent à vivre dignement de leur travail, voire qu’ils revendiquent une part plus importante de la richesse qu’ils créent que celle qui leur revient aujourd’hui.
Il y va du respect des travailleurs, de la justice sociale et aussi de la pérennité de notre pacte social. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après plusieurs pics inflationnistes ressurgit l’exigence d’un retour à l’indexation des salaires, dispositif qui a existé en France jusqu’au tournant de la rigueur.
Dans les pays où cette indexation persiste, comme en Belgique, les salaires réels ont été préservés sans que l’inflation s’emballe. Au mois de mai 2024, l’indice des prix à la consommation harmonisé calculé par Eurostat y était de 3,1, contre 3,5 en Allemagne.
Cette absence d’emballement met à mal l’un des arguments de l’offensive idéologique contre l’échelle mobile des salaires, qui suit d’ailleurs le schéma en trois axiomes qu’Albert O. Hirschman a identifié dans son livre Deux Siècles de rhétorique réactionnaire : l’effet pervers, l’inanité et la mise en péril.
Le premier axiome est l’effet pervers, c’est-à-dire prétendre que tout dispositif proposé par les forces progressistes aboutirait à son résultat opposé : l’échelle mobile des salaires, loin d’être une réponse à l’inflation, en serait le principal moteur du fait d’une boucle prix-salaires.
Non seulement cette thèse ne se vérifie ni en Belgique ni au Luxembourg, mais, comme l’a documenté le FMI dans une étude sur vingt-deux épisodes inflationnistes au cours des cinquante dernières années, seuls trois d’entre eux étaient imputables à cette boucle. La boucle prix-salaires ne se déclenche que dans des circonstances précises, qui ne sont pas réunies dans notre pays et en Europe.
En effet, la boucle inflationniste en France a été causée non pas par les salaires, mais par l’augmentation des taux de marge. Ceux-ci ont alimenté la véritable boucle : la boucle prix-profits. De fait, en 2023, le taux de marge des entreprises françaises a atteint plus de 33 %, poussé par l’énergie et par l’agroalimentaire. Ce dernier secteur a même enregistré un taux de surmarge historique de 48,5 % !
Ces taux de surmarge consolident quarante ans de baisse de la part des salaires dans le partage de la valeur, qui a suivi la fin de l’échelle mobile des salaires. Par conséquent, refuser aux salaires de suivre a minima l’inflation s’explique non par la crainte d’une boucle prix-salaires, mais par un consentement donné à la sécurisation, voire à l’augmentation des taux de marge et à la défense d’une économie de captation des richesses par le capital au détriment des travailleurs.
Le deuxième axiome est l’inanité : une indexation serait inutile, puisque, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, les salaires rattraperaient à la fin l’inflation. À la fin ? Il faudrait donc que les travailleurs consentent pendant des mois, voire pour toujours, à une baisse de leur pouvoir d’achat pour préserver les taux de marge ! De fait, les salaires réels ont baissé, augmentant les inégalités.
Cet argument est en contradiction avec le précédent : si le rattrapage des salaires suit l’inflation, comment expliquer l’absence de la fameuse boucle ?
Le troisième axiome est la mise en péril : l’indexation des salaires ferait courir un danger à la négociation collective. Pourtant, c’est le contraire ! Emboliser des négociations collectives qui visent à éviter le tassement délétère des salaires ou des minima quand ceux-ci ne sont pas indexés reviendrait à appauvrir le dialogue social et à le conflictualiser. Bien plus, cela permet aux entreprises, pour éviter une perte de pouvoir d’achat chez leurs salariés, de se tourner vers des compléments de salaires, non pérennes, qui creusent en outre le déficit de notre sécurité sociale au point de représenter 19 milliards d’euros de perte de ressources.
Ces arguments rhétoriques, véritables invariants de l’idéologie réactionnaire, nous détournent du véritable facteur d’inflation, à savoir la dépendance, que le dérèglement climatique accroîtra, de l’économie européenne à des chaînes mondiales d’approvisionnement. Cette situation plaide en faveur d’une transition écologique nous redonnant autonomie et souveraineté en matière d’énergie et d’agriculture.
Nous voterons donc cette proposition de loi du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky pour plus de justice sociale et écologique. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K. – Mmes Annie Le Houerou et Émilienne Poumirol applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain remercie la sénatrice Cathy Apourceau-Poly et le groupe CRCE-K d’avoir déposé la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Ce texte, qui vise à indexer les salaires sur l’inflation, a, en effet, le grand mérite de braquer les projecteurs sur une problématique qui n’a, à ce jour, pas trouvé de réponse satisfaisante : garantir l’évolution des salaires en général et plus particulièrement en période de forte inflation, comme celle que nous venons de traverser.
Ne soyons pas naïfs : si beaucoup d’entreprises, notamment les plus grandes, ont, à cette occasion, augmenté les salaires de leurs employés, ce n’est pas le cas de toutes, loin de là !
Lors de telles périodes, les entreprises subissent, impuissantes, l’augmentation des coûts de production liés à ceux de l’énergie et des matières premières. Un certain nombre d’entre elles considèrent alors qu’il leur est impossible d’augmenter les salaires, car cette hausse contribuerait à ronger encore un peu plus leurs marges.
Toutefois, les salariés sont frappés de plein fouet, eux aussi, par les conséquences de l’inflation sur leur vie quotidienne. À ce titre, il n’est pas envisageable de considérer que les salaires – leurs salaires ! – ne soient qu’une variable d’ajustement sur laquelle l’entreprise peut jouer, par opposition aux autres coûts de production sur lesquels elle ne pourrait pas agir.
Je rappelle que, ces dernières années, les gouvernements ont choisi de faire preuve dans leurs politiques économiques d’une foi inébranlable en la bonne volonté des entreprises pour assurer un partage de la valeur équitable. Nous constatons que le compte n’y est pas !
De fait, au mois d’avril 2024, Michelin a lancé une campagne de communication pour annoncer qu’un « salaire décent » serait proposé à tous les employés travaillant sur ses différents sites de production. Cette démarche vient tout droit de la tradition du paternalisme social. La démocratie sociale doit s’émanciper d’un tel type de gouvernance ! Par ailleurs, cet engagement de Michelin ne protégeait visiblement pas ses effectifs des plans sociaux…
Un dispositif universel, garanti par l’État et permettant d’assurer la protection du pouvoir d’achat des salariés, est souhaitable. Pour cette raison, l’article 1er de cette proposition de loi nous intéresse particulièrement. Il pose de fait le principe de l’indexation annuelle des salaires du secteur privé sur le taux prévisionnel d’inflation.
La Belgique a plus spécifiquement inspiré ce mécanisme proposé par nos collègues du CRCE-K. Nos voisins ont ainsi pu développer un système d’indexation, certes, qui est très complexe, car différencié en fonction des branches et des entreprises, mais qui a l’avantage d’être un véritable amortisseur social. Très efficace, il préserve les revenus salariés en cas d’inflation.
L’expérience belge a, par ailleurs, pu faire la démonstration du fait qu’un tel dispositif n’entraînait pas en soi l’enclenchement d’une boucle prix-salaires. Ce dernier point est particulièrement important, puisqu’il constitue l’un des arguments régulièrement avancés pour discréditer la possibilité d’indexer l’évolution des salaires sur celle des prix.
Cette proposition de loi contient, en outre, des mesures permettant l’évolution du traitement des fonctionnaires. À l’article 2, elle tend à instaurer, en effet, l’indexation de la valeur du point d’indice de la fonction publique sur l’évolution du taux prévisionnel de l’indice des prix à la consommation des ménages.
Cette disposition est particulièrement bienvenue, car elle signale le refus d’envisager l’emploi public sous l’unique prisme des déficits publics. Il est ainsi affirmé que les agents sont des employés comme les autres. La question de leur pouvoir d’achat n’est ni moins pressante ni moins légitime que celle du pouvoir d’achat des salariés du privé.
L’État, qui est un mauvais employeur, nous le savons, a pourtant pris de longue date l’habitude de maltraiter ses agents en la matière, à tel point que les revalorisations intervenues ces dernières années dans les différentes fonctions publiques ont été impuissantes à mettre fin au décrochage des salaires entre privé et public.
Des chiffres publiés par l’Insee au mois de décembre 2024, issus des séries longues sur les salaires dans le secteur privé et dans la fonction publique, mettent ainsi en évidence que « le pouvoir d’achat du salaire net moyen a progressé de 4,0 % dans le secteur privé et de 1,4 % dans la fonction publique entre 2012 et 2022 ».
Le journal Alternatives économiques, reprenant également des chiffres de l’Insee parus au mois de septembre 2024, souligne ainsi que, si, en 2022, année marquée par une inflation à 5,2 %, les agents de la fonction publique d’État ont vu leur salaire augmenter de 2,9 % par rapport à 2021, « “le salaire net moyen en euros constants se replie nettement”, de – 2,2 % ».
En imposant la tenue annuelle de négociations sur les salaires à l’échelle des branches professionnelles, l’article 3, semble, lui aussi, très pertinent et en cohérence avec les préoccupations du groupe SER. Pour mémoire, nous avons fait la démonstration, au travers de nos amendements, de nos propositions de loi et de nos résolutions, de notre souci en la matière.
Je pense à la proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, pour un Grenelle des salaires en France, texte qui a été déposé en 2022 par Thierry Cozic au nom du groupe SER.
Je pense également à la profonde opposition qui fut la nôtre au choix de l’exécutif d’imposer aux syndicats puis aux parlementaires de travailler en 2023 non pas sur la question des salaires, mais sur tous les autres dispositifs de partage de la valeur. Nous avons beaucoup insisté, à l’époque, sur le fait qu’il s’agissait pour la majorité d’alors de grignoter à bas bruit le salaire socialisé.
Par ailleurs, « l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », qui doit avoir toute sa place dans les négociations annuelles sur les salaires, est réaffirmé à l’article 3. Il y est aussi précisé qu’« aucun minimum de branche ne [doit être] fixé en dessous du salaire minimum de croissance ». Nous soutenons pleinement ces mesures.
Indépendamment des dispositions portées par le groupe CRCE-K, nous devons nous pencher sur d’autres enjeux pour répondre aux problématiques soulevées par ce texte. Quelle est notre définition de la valeur travail ? Comment améliorer le partage des fruits de ce dernier ? Comment protéger le pouvoir d’achat des salariés dans les très petites entreprises ? Repenser les modalités des négociations annuelles obligatoires s’impose, par conséquent.
Si toutes les questions autour du travail relèvent, à mon sens, d’un projet de loi qui ne viendra probablement pas de ce gouvernement, l’auteure de cette proposition de loi ouvre des pistes à explorer et lance un débat que nous espérons fécond. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, des propositions variées provenant de la gauche en 1983, j’en retiens deux. La première était mauvaise : instaurer l’âge de la retraite à 60 ans, à l’heure où la réalité démographique s’imposait déjà en France et en Europe.
Mme Monique Lubin. Voilà qui commence bien !
Mme Marie-Claude Lermytte. La seconde était bonne : arrêter d’indexer les salaires sur l’inflation. Confrontée à la réalité, la gauche a fait le choix qui s’imposait. (Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et GEST.)
Souvenons-nous : la loi du 18 juillet 1952, dite loi Pinay, indexait le salaire minimum sur l’inflation. De fait, certaines conventions collectives ont appliqué ce principe. Nous étions sous la IVe République : le contexte était bien différent, du fait d’une inflation à deux chiffres. La mesure d’indexation était accompagnée d’un dispositif de blocage des prix.
Il y a quarante ans, après un accord pour le moins infructueux entre les socialistes et le parti communiste français, et une succession de mesures dispendieuses et dénuées de tout sens des réalités, le mur des faits s’est érigé. Même François Mitterrand n’a pu l’éviter ! Dans le cadre de la politique d’austérité qui s’est imposée, en 1983, après un retour de tensions inflationnistes, désormais accrues, la gauche a interdit cette fois les clauses permettant l’indexation des salaires sur l’inflation, à l’exception du Smic.
Le gouvernement d’alors a accepté la logique selon laquelle un mécanisme d’indexation des salaires augmente les coûts de production, lesquels augmentent les prix de vente des biens et des services, lesquels entraînent une hausse des salaires. C’est ce que l’on appelle la spirale inflationniste ! La décision a été salutaire : entre 1982 et 1985, l’inflation a diminué, passant de presque 12 % à moins de 6 %.
Quarante ans plus tard, par la proposition de loi qu’il a déposée, le groupe CRCE-K affirme à présent que l’idée était bonne et souhaite revenir en arrière. On se trompe ! Il ne faut pas oublier que toutes les entreprises de France ne font pas partie du CAC 40 et que tous les employeurs ne sont pas des entreprises.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Justement !
Mme Marie-Claude Lermytte. Les quelque 158 000 PME de France emploient 4,3 millions de salariés et créent près d’un quart de la valeur ajoutée de l’ensemble des entreprises. Combien d’entre elles seraient économiquement capables de faire face à l’obligation d’indexer les salaires sur l’inflation ?
De plus, nous pensons évidemment aux collectivités territoriales, dont personne, surtout au Sénat, n’ignore les difficultés. Les départements doivent déjà faire des choix difficiles pour assurer l’intégralité de leurs missions, d’autant que nous connaissons les écueils du Ségur de la santé. (Mme Émilienne Poumirol s’exclame.) Faut-il leur en imposer de nouveaux ?
Chacun devine les bonnes intentions derrière ce texte. Nous les partageons tous, bien sûr !
Mme Marie-Claude Lermytte. Améliorer le pouvoir d’achat des Français, qui pourrait être contre ? Nous devons tout faire pour que l’ensemble de nos concitoyens vivent dignement de leur travail.
Pour autant, imposer une telle mesure aux entreprises alourdirait les contraintes, déjà nombreuses, et réduirait les embauches. C’est inévitable. Par ailleurs, le contexte actuel ne s’y prête guère, le nombre de demandeurs d’emploi ayant augmenté de 3,9 % au quatrième trimestre 2024, la plus forte hausse en dix ans, hors période covid.
Dans leur rapport d’information sur les négociations salariales, nos collègues Frédérique Puissat et Corinne Bourcier proposent de continuer de réformer le système des allégements de cotisations patronales pour limiter les effets de seuil ou encore de poursuivre le développement du partage de la valeur en entreprise. Ce sont là bon sens et réalité sans dogmatisme ! (Mme Émilienne Poumirol proteste.) Indexer les salaires sur l’inflation risquerait de mettre en péril le dialogue social et pourrait nuire à la qualité du travail des partenaires sociaux.
Les augmentations ne peuvent passer que par l’amélioration de la compétitivité et de la productivité des entreprises, en respectant et en renforçant le dialogue social. Par conséquent, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne soutiendra pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, par la proposition de loi qu’elle présente, Cathy Apourceau-Poly aborde un sujet qui nous concerne tous : le pouvoir d’achat. Celui-ci demeure l’une des priorités fondamentales des Français.
D’abord, ma chère collègue, vous faites état dans l’exposé des motifs de cet effet ciseaux que nous connaissons bien : les salaires sont bas et les coûts contraints – alimentation, transport, logement – augmentent, notamment ces dernières années. Cette situation fait que bon nombre de Français qui travaillent connaissent de véritables difficultés, ils ont le sentiment de ne plus y arriver.
Ensuite, vous mentionnez le processus dit de smicardisation, évoquant à ce titre ce que vous appelez l’« absence d’une véritable politique salariale ». Néanmoins, le phénomène en question renvoie au coût du travail en France et, pour utiliser les termes du rapport d’Antoine Bozio et d’Étienne Wasmer, à « trente ans de politique de réduction des cotisations employeur ».
En effet, durant ces trente ans, de 1993 à 2024, se sont succédé plusieurs gouvernements et plusieurs Présidents de la République, de toutes sensibilités politiques, qui ont adopté une stratégie combinant des taux importants de cotisations sociales, un salaire minimum relativement élevé et des réductions de cotisations employeur.
Enfin, vous évoquez « une inflation qui ampute le pouvoir d’achat de l’ensemble des salariés ». Vous prenez l’exemple des répercussions de la hausse des prix sur les salariés, y compris dans la fonction publique, pour aboutir à l’objet de votre proposition de loi : « l’urgence d’indexer les salaires sur l’inflation ».
Nous partageons bon nombre de vos constats. Je pense à ceux qui sont liés à la précarité ou au sentiment de précarité de bon nombre de ménages, situation qui a conduit la commission des affaires sociales à s’emparer du sujet au travers d’une mission d’information sur les négociations salariales, conduite par Corinne Bourcier et par moi-même, au mois de juin 2024. Je pense également aux constats liés aux exonérations, enjeux dont nous avons débattu dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, plus singulièrement de son article 6. Pourtant, le groupe Les Républicains n’aboutit pas aux mêmes solutions que celles que vous proposez dans cette proposition de loi.
Premièrement, je rappelle que, en France, les salaires se décident librement entre le salarié et l’employeur, au travers du contrat de travail et dans le respect du Smic, des grilles salariales d’entreprise, ainsi que des grilles conventionnelles de branche fixées par le dialogue social. Notre logique politique est et reste de laisser les partenaires sociaux négocier entre eux et de ne surtout pas encourager l’État à administrer les salaires.
Pour répondre à l’inflation de ces dernières années, qu’elle soit conjoncturelle ou structurelle, une première tentation consisterait à vouloir indexer les salaires, notamment les salaires minima hiérarchiques, sur le Smic. Cette idée semble séduisante, mais nous pensons que, en matière de négociation collective, il faut parfois faire des choix. Pourtant, l’indexation des pieds de grilles ou d’autres niveaux de rémunération risquerait d’escamoter le dialogue social et, singulièrement sur les bas salaires, de renforcer le tassement des grilles de rémunération en n’agissant que sur les échelons rattrapés par ce seuil.
Deuxièmement, je rappelle – vous l’avez évoqué – que l’indexation des salaires sur les prix a déjà existé en France entre 1952 et 1983. Pourquoi a-t-on modifié le système à cette date ? Le gouvernement socialiste dirigé par Pierre Mauroy, au nom de la lutte contre l’inflation, a fait le choix de la désindexation. L’indexation automatique des salaires sur les prix ne semblait plus concluante et l’exécutif s’était rendu compte que ce mécanisme provoquait l’inverse de ce qui était souhaité. En effet, l’indexation entraînait en réalité une hausse des prix, phénomène appelé à l’époque spirale prix-salaires. J’ai bien noté, madame le rapporteur, que notre interprétation historique divergeait sur ce point.
Troisièmement, je rappelle que, dans les autres pays d’Europe, seuls les travailleurs de la Belgique, de Chypre, de Malte et du Grand-Duché du Luxembourg bénéficient encore de l’indexation automatique des salaires : la grande majorité des États ne s’inscrivent pas dans cette logique économique. Même si j’ai bien noté, chère Cathy Apourceau-Poly, que vous nous encouragiez à voyager, reconnaissons que le champ des destinations reste relativement limité en Europe !
Quatrièmement, les entreprises – il faut le souligner, notamment en faisant référence à la note de la Dares que vous avez citée, madame la ministre – ont procédé à des augmentations ces dernières années. En effet, les salaires ont été revalorisés de 4,6 % en 2023 et de 3,5 % en 2024. Une étude récente sur les 630 accords déjà conclus pour 2025 dans le cadre des négociations annuelles obligatoires relève qu’au mois de janvier 2025 les hausses atteindraient 2,27 % sur un an. Les enveloppes sont donc peut-être en baisse cette année, en lien avec le ralentissement de l’inflation, mais elles sont en moyenne supérieures à celle-ci. Les employeurs sont lucides sur leur besoin de rester attractifs.
Madame la sénatrice, vous appliquez le principe de l’indexation à la fonction publique. Aussi, vous prévoyez une compensation passant par une majoration de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Cette mesure revient à méconnaître – il nous semble – les difficultés que nous rencontrons et, au-delà, à méconnaître nos dernières semaines de discussion, notamment sur les enjeux liés à l’augmentation ou à la baisse de cette enveloppe.
Cinquièmement, sur le conditionnement des réductions de cotisations patronales sur les bas salaires au respect de l’augmentation annuelle des salaires a minima au niveau de l’inflation constatée, nous avons vu, notamment dans l’article 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, combien le débat était délicat et nécessitait une discussion branche par branche. Pour autant, personne n’est opposé à une discussion. Celle-ci ne passera certainement pas par un texte descendant, imposant des solutions non négociées aux branches.
Sixièmement, tordons le cou à une idée partagée par tous, y compris par plusieurs gouvernements, même si j’ai bien noté, madame la ministre, votre singularité en la matière. Grâce à l’action des partenaires sociaux, notre cadre juridique est resté adapté dans la période d’inflation soutenue que nous avons connue, même si – je tiens à en parler – des branches sont en non-conformité.
Le sérieux travail d’enquête que ma collègue Corinne Bourcier et moi avons mené nous a permis de constater que les enseignements tirés des informations transmises par la direction générale du travail (DGT) comme de nos auditions étaient bien différents du réquisitoire à l’origine de la proposition de loi, voire des positions continues des différents gouvernements.
En effet, au mois de décembre 2023, seulement six branches professionnelles – vous en avez évoqué cinq, madame la ministre – étaient encore identifiées par le Gouvernement comme non conformes depuis plus d’un an. Au mois de mars 2024, trois d’entre elles avaient déjà retrouvé des salaires minima hiérarchiques (SMH) supérieurs au Smic pour tous les niveaux de classification. Sur les trois branches restantes, à savoir cafétérias, institutions de retraite complémentaire et foyers de jeunes travailleurs – le caoutchouc n’en fait pas partie –, qui ne représentent plus que 48 000 salariés sur les 13 millions que comporte le secteur privé hors agriculture, aucune situation présentée ne rendait compte d’un dialogue social moribond ou impuissant à la négociation salariale. Nous pouvons donc remercier les branches du travail qui est fait, laborieux et constant.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains rejettera cette proposition de loi. Pour les négociations salariales et les enjeux de pouvoir d’achat des salariés ou des fonctionnaires, il renvoie aux propositions formulées dans le cadre des travaux menés par la mission d’information sur les négociations salariales au mois de juin 2024.
Pour autant, nous remercions Cathy Apourceau-Poly et le rapporteur Silvana Silvani d’avoir mis en avant le débat du pouvoir d’achat et des salaires. Même si chacun propose des solutions différentes, cette question reste un défi majeur et quotidien de notre engagement parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à indexer les salaires sur l’inflation
Article 1er
I. – Les salaires du secteur privé augmentent annuellement au minimum en fonction du taux prévisionnel d’évolution de la moyenne annuelle de l’indice des prix à la consommation des ménages, hors tabac, annexé au projet de loi de finances de l’année de versement, arrondi au demi-entier supérieur.
II. – L’article L. 3231-3 du code du travail est abrogé.
III. – L’article L. 112-4 du code monétaire et financier est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sont également autorisées, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services en vue de la fixation et de la révision des salaires prévus par ces conventions ou accords. »
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Silvana Silvani, rapporteure. Sur l’article 1er, je tiens à souligner un point qui me semble essentiel et qui a peut-être été abordé un peu vite lors de la discussion générale. Outre l’indexation automatique des salaires qui y est proposée, cet article a pour objet d’abroger, par cohérence, l’interdiction des clauses d’indexation des conventions collectives qui existe dans le droit en vigueur.
À la lumière de nos travaux, cette interdiction ne cesse de me surprendre. Pourquoi le législateur tient-il à empêcher tout accord validement conclu entre syndicats et patronat en la matière ? Le Sénat, qui se distingue et qui s’honore traditionnellement par sa défense du paritarisme – les différents orateurs l’ont rappelé –, trouverait là une occasion de marquer sa confiance envers les partenaires sociaux.
M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté, sur l’article.
Mme Marianne Margaté. L’article 1er a pour objet une indexation annuelle des salaires du secteur privé sur le taux prévisionnel d’inflation. Il vise, en outre, à mettre fin à l’interdiction contenue dans le code du travail des clauses conventionnelles comportant une indexation automatique des salaires sur le Smic.
L’indexation des salaires est un mécanisme permettant d’éviter que le niveau de vie des salariés chute quand les prix augmentent. Nous proposons, pour notre part, de lier cette rémunération à l’évolution du coût de la vie.
Il est évident que le choix de l’indice est déterminant dans ce calcul. Nous avons pris comme référence celui de l’Insee, car il fait autorité, malgré les critiques qu’il y aurait à faire à son encontre. Par exemple, l’Insee ne tient pas compte des dépenses liées au logement ou à la santé alors même que ces deux postes pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages.
L’inflation moyenne calculée est donc en décalage avec ce que ressentent nos concitoyens. Ainsi, au mois de février 2023, l’Insee l’a chiffrée à 7,7 %, tandis que le prix de plusieurs denrées de première nécessité avait explosé au cours de la même période : plus de 20 % pour les pâtes, 30 % pour la viande surgelée, 17 % pour les légumes frais ou encore 16 % pour l’énergie.
Actuellement, en l’absence d’indexation des salaires sur un indice des prix, les travailleurs et les fonctionnaires perdent chaque mois du pouvoir d’achat.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous invitons à voter l’article 1er.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Nous vous avons écoutés attentivement, mes chers collègues. Vous n’êtes pas en faveur de notre proposition de loi.
M. Michel Canévet. Non !
M. Fabien Gay. C’est le jeu !
En revanche, vous niez une réalité : il existe bien un problème de salaires en France. Pourtant, vous ne proposez aucune solution pour le régler.
Madame la ministre, nous ne parlons pas de pouvoir d’achat, nous posons la question du salaire, qu’il soit net, brut ou super brut ! À un moment donné, il faudra donc se pencher sur les 88 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales et patronales. Nous devrons tout mettre sur la table !
À nos propositions, vous objectez que le Smic a connu huit hausses. Dont acte. Reste que les salaires augmentent moins vite que les dividendes. Le constat ne provient pas du groupe CRCE-K : toutes les études le démontrent !
Certes, entre 2011 et 2021, les salaires ont augmenté de 22 %, mais, dans le même temps, les dividendes ont explosé : +57 % ! La hausse a donc été deux fois plus rapide pour ces derniers en dix ans et même quatorze fois depuis 2020 ! Pour le dire autrement, depuis la crise inflationniste, les salariés trinquent pendant que les actionnaires continuent à se goinfrer de dividendes !
Si vous ne voulez pas indexer les salaires sur les prix, que voulez-vous faire ? Maintenir le système existant ? Je vous ai bien écoutée, madame la ministre : si la branche caoutchouc a rehaussé sa grille pour la faire passer au-dessus du Smic – c’est très bien –, 94 branches sur 171 continuent en France à faire commencer leurs salaires en dessous de ce seuil. Voilà la réalité !
Il faudra donc passer par une augmentation généralisée des salaires pour que l’ensemble des travailleurs et des travailleuses vivent dignement du fruit de leur travail. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Raymonde Poncet Monge et M. Jean-Claude Tissot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, sur l’article.
M. Yannick Jadot. L’initiative du groupe CRCE-K est très bonne, car la question générale du pouvoir d’achat est devenue éminemment politique. Donald Trump a gagné aux États-Unis en raison non pas simplement de ses délires fascistes repris par un certain nombre d’électrices et d’électeurs, mais aussi du choc d’inflation.
M. Yannick Jadot. En ne voyant pas qu’il faut absolument rassurer les salariés sur le niveau de leur pouvoir d’achat et de leur salaire, vous passez à côté de quelque chose d’extrêmement important, madame la ministre, y compris politiquement.
J’entends les références à la spirale inflationniste des années 1980. Toutefois, à l’époque, la Banque centrale européenne (BCE) n’existait pas et la compétitivité se jouait notamment à coups de dévaluations !
À présent, nous sommes dans un autre monde : la politique monétaire y a pour objectif principal de limiter la hausse des prix.
Nous sommes dans un monde de plus en plus instable, où les chocs inflationnistes viennent percuter les salariés de l’ensemble des pays. C’est pour cette raison que la proposition communiste fait sens : il s’agit de protéger les salariés de ces chocs liés à l’instabilité croissante du monde. C’est cela qui compte.
Sur le pouvoir d’achat, nous faisons des propositions et vous, madame la ministre, vous rejetez l’encadrement des loyers, vous rejetez l’augmentation des financements pour la construction de logements, qu’ils soient sociaux ou autres, vous rejetez toute une série de mesures qui permettent d’augmenter le pouvoir de vivre de nos concitoyennes et de nos concitoyens. De fait, toutes les études montrent un décrochage des salaires par rapport à l’inflation.
J’insiste : nous ne sommes pas dans la situation des années 1980. Dans cet autre monde, profondément instable, les chocs inflationnistes font arriver l’extrême droite au pouvoir. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Il n’y a pas très longtemps, une motion de censure a provoqué un arrêt des embauches et de l’investissement. Sept syndicats sur huit souhaitaient qu’il n’y en ait pas de deuxième ; fort heureusement, ils ont été exaucés. Un budget de compromis a été adopté ; il permettra, nous l’espérons, une reprise des investissements qui étaient gelés.
Le Smic a augmenté, atteignant 1 426 euros brut mensuels en 2024, contre 1 218 euros brut en 2020. Il est vrai que la part de salariés au Smic est passée de 12 % à 27 %. Cela représente 3 millions de salariés.
C’est ce qui a motivé le dépôt de cette proposition de loi visant à indexer les salaires sur l’inflation.
Les 140 milliards d’euros de profits des multinationales, auxquels vous faites référence, sont essentiellement réalisés hors de France.
De même, il est faux de dire que les entreprises « se goinfrent de dividendes ». Nos très petites entreprises (TPE) et nos petites et moyennes entreprises (PME) se développent, créent de l’emploi et font participer leurs salariés en cas de hausse des bénéfices. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Nous voulons comme vous que les salaires augmentent. Mmes El Khomri et Pénicaud, en aménageant le code du travail, ont incité au dialogue dans l’entreprise.
Je souhaite que le Gouvernement continue la politique de l’offre, afin de renforcer notre compétitivité et de permettre la hausse des salaires.
Le dispositif que vous proposez d’instituer a été supprimé en 1983, afin, précisément, de ne pas nuire à cette compétitivité.
Nous devons donc continuer la politique de l’offre pour avoir des TPE compétitives, avec des carnets de commandes bien remplis, et permettre aux entreprises de créer de la richesse.
Maintenons nos acquis sociaux, investissons et augmentons les salaires, afin que nos salariés puissent vivre dignement des fruits de leur travail.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. J’écoute mes collègues et je suis toujours très étonnée : tout le monde partage les objectifs d’amélioration et de préservation du pouvoir d’achat, mais aucune solution ne convient jamais !
Ainsi que je l’ai rappelé en commission et lors de la discussion générale, si le Smic est protégé, les salaires au-dessus du Smic ne le sont absolument pas !
Un grand nombre d’entreprises, notamment de PME, n’augmentent pas les salaires. Même en période de forte inflation, certaines ne les ont jamais augmentés ou l’ont fait seulement au bout de deux ou trois ans, et de moitié par rapport à la hausse des prix !
Des salariés qui perdent en pouvoir d’achat, cela existe, mes chers collègues !
Je suis très surprise que l’on puisse ainsi faire abstraction de la situation des salariés et de la question de la rémunération du travail, et ce toujours en avançant les mêmes arguments : « Il faut préserver nos PME et nos entreprises. » Tout cela, c’est évidemment très important, mais il n’y a pas d’entreprise sans salariés. D’ailleurs, mais c’est un autre débat, certaines d’entre elles feraient peut-être bien de s’interroger sur les causes de leurs difficultés à recruter.
Je suis tout de même un peu consternée de constater que, pour nombre d’entre vous, la situation des salariés est un enjeu très secondaire.
Par ailleurs, j’ai trouvé certaines interventions pour le moins jusqu’au-boutistes. Je me suis même demandé si une pluie de sauterelles ne s’abattrait pas sur les entreprises en cas d’adoption de cette proposition de loi !
(M. Pierre Ouzoulias remplace M. Dominique Théophile au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, sur l’article.
M. Christian Bilhac. Cette proposition de loi part de bonnes intentions, mais on ne se rend pas compte à quel point elle est dangereuse.
Elle va créer de l’inflation. Je rappelle que, en des temps pas si lointains, nous étions à 5 % d’inflation et il n’y avait pas d’indexation des salaires sur les prix.
Mme Raymonde Poncet Monge. C’est l’inverse !
M. Christian Bilhac. Elle va faire augmenter le chômage. Regardons la courbe du chômage : la situation n’est pas brillante, même sans indexation des salaires sur les prix.
Elle va entraîner une dégradation des comptes publics. Une chance que nous n’ayons pas l’indexation des salaires sur les prix, car on ne peut pas vraiment dire que la situation de nos finances publiques soit satisfaisante.
Elle va réduire la compétitivité de la France. Au regard des chiffres de notre balance commerciale, je n’ai pas le sentiment que la compétitivité soit extraordinaire aujourd’hui.
M. Fabien Gay. C’est la politique de l’offre !
M. Christian Bilhac. Elle va provoquer des faillites d’entreprises. Là encore, au vu du nombre de faillites de ces derniers mois, qu’est-ce que ce serait si cette loi s’appliquait déjà ! (Sourires sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l’article.
Mme Raymonde Poncet Monge. Votre amour pour les négociations de branche et les accords entre partenaires sociaux est touchant ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.)
Il ne faut pas, dites-vous, que tout soit administré. Pourtant, nous sommes déjà administrés aujourd’hui ! Un accord collectif de branche ne peut pas protéger sa grille de qualification et de classification grâce à une indexation sur le Smic.
J’ai moi-même fait une négociation de branche. Nous avions élaboré de belles grilles de classification – cela consiste tout simplement à opérer un classement entre qualifications –, mais, du fait du Smic, cette construction est détruite. Nous avions donc proposé un dispositif permettant de protéger l’écart entre deux qualifications, en référence au Smic. C’est interdit. C’est bien la preuve que vous administrez !
L’article 1er tend à remédier à cette situation, en permettant à des branches de s’aligner sur le Smic.
Je termine en revenant sur l’argument du coût. Je rappelle que nous avons dépensé 50 milliards d’euros pour le bouclier énergétique, afin de protéger les ménages face à ce choc exogène. (M. Yannick Jadot renchérit.) Si les salaires avaient suivi, comme en Belgique, cela n’aurait pas coûté plus et l’État n’aurait pas eu à le prendre en charge.
De toute manière, nous ne faisons que suivre des prix.
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, sur l’article.
M. Michel Canévet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier le groupe CRCE-K d’avoir pris l’initiative d’un débat sur ce sujet important, dont il est nécessaire que nous puissions discuter.
Je suis de ceux qui pensent que l’économie ne doit pas être trop administrée. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) Il faut au contraire laisser beaucoup d’initiative et de liberté aux acteurs économiques pour qu’ils puissent s’organiser au mieux, en tenant compte des spécificités de chaque métier.
Mme Raymonde Poncet Monge. Il n’y a pas de liberté !
M. Michel Canévet. Cela ne signifie pas, comme j’ai pu l’entendre tout à l’heure, que la situation des salariés serait un enjeu secondaire à nos yeux. Pour nous, les salariés sont une vraie richesse pour les entreprises.
Pour autant, imposer des charges aux entreprises par des revalorisations automatiques de salaires ne peut pas être une fin en soi.
D’aucuns ont évoqué les allégements de charges. Ceux-ci sont nécessaires, car les charges sociales…
M. Yannick Jadot. Les cotisations sociales !
M. Michel Canévet. … sont malheureusement trop élevées dans notre pays.
Nous voudrions baisser les charges sociales,…
M. Yannick Jadot. Les cotisations sociales !
M. Michel Canévet. … précisément afin de permettre aux chefs d’entreprise de revaloriser les salaires sans que cela leur coûte le double !
Il faut donc diminuer les charges sociales…
M. Yannick Jadot. Les cotisations sociales !
M. Michel Canévet. … et trouver un autre mode de protection du financement de la protection sociale.
Alourdir sans cesse les charges…
M. Yannick Jadot. Les cotisations !
M. Michel Canévet. … sur les salaires altère la compétitivité des entreprises, en particulier à l’international. C’est d’ailleurs ce qui crée des problèmes de pouvoir d’achat : le prix des produits est tellement élevé que les salariés en subissent les conséquences.
L’adoption de ce texte créerait une spirale inflationniste au lieu d’améliorer la situation des salariés.
Enfin, n’oublions pas que la France reste l’un des pays où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés au monde. Nous faisons déjà beaucoup en matière de redistribution. Cela devrait vous satisfaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, sur l’article.
Mme Céline Brulin. Cela me fait sourire d’entendre que cette proposition de loi relèverait d’une « économie administrée ».
Ainsi que Mme la rapporteure et d’autres collègues après elle l’ont rappelé, le Luxembourg figure parmi les pays qui ont opté pour l’indexation des salaires sur l’inflation. Je ne crois pas que l’on puisse parler d’économie administrée le concernant. De notre point de vue, ce serait plutôt un paradis fiscal.
Par ailleurs, et cela a été souligné, si les branches souhaitaient mettre en place une telle mesure par le dialogue social, elles en seraient empêchées. C’est tout de même un comble !
D’aucuns se sont interrogés : « Que feront les partenaires sociaux s’ils ne peuvent plus discuter de l’indexation des salaires sur l’inflation ? Ils risquent de s’ennuyer. » Honnêtement, il reste beaucoup de sujets dont les partenaires sociaux pourraient utilement se saisir. Songeons par exemple au nombre de plans de licenciement qu’il y a aujourd’hui dans notre pays et à tous les projets industriels dont les salariés sont porteurs. Voilà qui aiderait notre économie !
Enfin, les « charges » que vous évoquez, cher collègue, sont en réalité des cotisations sociales,…
Mme Émilienne Poumirol. Exactement !
Mme Raymonde Poncet Monge. Voilà !
M. Michel Canévet. Non ! Ce sont des charges !
Mme Céline Brulin. … et, précisément, du salaire différé.
Non seulement vous refusez d’indexer les salaires sur l’inflation galopante, mais, en plus, vous voulez même retirer aux salariés une part du salaire qui leur revient sous forme de cotisations sociales.
Je trouve que ce débat a le mérite de la clarté : les outrances ne sont pas toujours du côté que l’on croit ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Je souhaite une nouvelle fois remercier le groupe CRCE-K d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui a le mérite de mettre en lumière des différences fondamentales de points de vue sur la question des salaires dans notre pays.
Vous avez évoqué le FMI, dont Le Capital de Karl Marx n’est en effet probablement pas la source d’inspiration première. Vous faites référence, je pense, à une note du mois d’octobre 2022, dont je rappelle les termes : « Dans tous les cas, les salaires réels tendent, dans un premier temps, à diminuer alors que l’inflation dépasse la hausse des salaires, ce qui contribue à compenser une partie des chocs sur les coûts qui ont alimenté l’inflation, et à lutter contre la spirale prix-salaires. » Il aurait fallu poursuivre : « En revanche, si les chocs inflationnistes commencent à venir du marché du travail lui-même, sous forme par exemple d’une augmentation marquée et inattendue de l’indexation des salaires, ils pourraient modérer les effets du recul des salaires réels, et faire augmenter les salaires et l’inflation plus longtemps. »
La spirale prix-salaires existe donc bien et elle constitue un risque dans une économie comme l’économie française.
Monsieur Gay, vous avez abordé la différence entre le super brut, le brut et le net. Parlons-en ! Au sein de l’Union européenne et, probablement, de tous les pays industrialisés, c’est la France qui se distingue par l’écart du coin sociofiscal le plus important, avec, de ce fait, un coût du travail très élevé pour l’employeur et un salaire net structurellement bas. (M. Fabien Gay s’exclame.)
Je pourrais également évoquer le décrochage du PIB par habitant de la France depuis vingt-cinq ans. Au début des années 2000, nous étions au même niveau que les États-Unis. Je vous invite à consulter l’étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du mois de janvier 2025 comparant les structures de financement des protections sociales en Europe. Vous le constaterez, c’est en France que les cotisations salariales et employeurs sont les plus élevées dans le financement de la protection sociale. (Mmes Raymonde Poncet Monge et Émilienne Poumirol protestent.)
M. Fabien Gay. C’est la sécurité sociale !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Certes, j’entends les arguments sur le « salaire mutualisé » ou le « salaire différé » ; Mme Poncet Monge y faisait référence. Reste que, entre la mutualisation et ce qui est versé sur le compte en banque à la fin du mois, je pense que la préférence des salariés va plutôt à ce dernier. Cela pose le problème de la marge de manœuvre salariale.
Enfin, dans vos comparaisons avec le Luxembourg ou la Belgique, vous ne retenez à chaque fois que les seuls aspects allant dans votre sens.
En Belgique, certes, l’indexation est automatique, mais elle est plafonnée à un certain point.
Au Luxembourg, l’indexation n’existe que quand l’inflation est supérieure à 2,5 %, mais ce n’est que 2,5 %. Or, depuis ces dernières années, l’augmentation moyenne des salaires dans notre pays, dans un contexte de choc inflationniste, a été supérieure à 2,5 %.
Au demeurant, comme cela a été souligné, si les exemples d’indexation, avec des encadrements que vous ne mentionnez d’ailleurs pas toujours, avaient été tellement probants, le dispositif aurait été beaucoup plus généralisé au sein de l’Union européenne.
La spirale prix-salaires existe. La question du dialogue social existe également. En Belgique et au Luxembourg, il y a de vrais encadrements.
Encore une fois, regardez les chiffres des dernières années. En 2024, les salaires réels ont augmenté à un rythme entre 1,5 point et 1,6 point supérieur à celui de l’inflation.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 200 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 112 |
Contre | 226 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
La valeur du point d’indice de la fonction publique augmente annuellement au minimum en fonction du taux prévisionnel d’évolution de la moyenne annuelle de l’indice des prix à la consommation des ménages, hors tabac, annexé au projet de loi de finances de l’année de versement, arrondi au demi-entier supérieur.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, sur l’article.
Mme Michelle Gréaume. L’article 2 vise à mettre en place un mécanisme d’indexation de la valeur du point d’indice de la fonction publique.
Dans la fonction publique, le décrochage de la valeur du point d’indice par rapport à l’inflation a entraîné en vingt ans une perte de 25 % de pouvoir d’achat pour les agents.
Cette perte a des conséquences directes sur l’attractivité des métiers de la fonction publique. Nous le voyons régulièrement : qu’il s’agisse de l’armée ou d’autres services, il y a des difficultés de recrutement, beaucoup préférant aller dans le privé. Le sujet est donc vraiment d’actualité.
Selon la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), un niveau de salaire attractif fait partie des motivations d’un tiers des candidats aux concours de la fonction publique. La rémunération des personnes qui travaillent en faveur de l’intérêt général n’est pas anodine.
Je pense par exemple à nos secrétaires de mairie, dont nous avons obtenu la revalorisation en catégorie B, mais dont le salaire moyen est de 1 850 euros net. Depuis la crise de la covid-19, elles ont perdu en moyenne en quatre ans 169 euros par mois en salaire réel. Vous le voyez, c’est concret : 169 euros de moins en fin de mois !
Dans un contexte où l’État est confronté à un phénomène de fuite des cadres de la fonction publique vers le secteur privé, notamment pour des raisons d’attractivité financière, il est plus que temps d’indexer le point d’indice des fonctionnaires. Cela profiterait aux agents en bas comme à celles et ceux en haut de l’échelle.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 201 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 112 |
Contre | 226 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 3
Les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels, se réunissent, au moins une fois par an, pour négocier sur le niveau des salaires.
Ces négociations prennent en compte l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Elles s’assurent qu’aucun minimum de branche ne soit fixé en dessous du salaire minimum de croissance, hors primes versées par l’employeur.
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, sur l’article.
M. Yannick Jadot. Madame la ministre, vous avez eu raison de rappeler que toute comparaison n’était pas forcément raison, même si l’on nous renvoie en permanence dans le débat public au niveau des prélèvements et des cotisations sociales pour suggérer que la France serait un quasi-pays sous-développé au regard de son modèle social.
Le fait est qu’il y a aujourd’hui une boucle inflation-extrême droite. Les électeurs de l’extrême droite sont ceux qui ont la perception de l’inflation la plus déconnectée de la réalité. Ils imaginent souvent le niveau d’inflation deux à trois fois supérieur à ce qu’il est réellement. Nous devons casser cette boucle. C’est cela, l’impératif !
J’entends les comparaisons avec d’autres pays. Mais excusez-moi : en Belgique, c’est le Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) qui gouverne ! Moi, je n’ai pas envie d’être gouverné par l’équivalent du N-VA ou par un autre parti d’extrême droite en France.
Nous sommes dans une Union européenne dont les politiques monétaires sont conçues pour tuer l’inflation, parfois même de manière excessive, car cela a pour effet de tuer aussi l’activité économique.
Le véritable enjeu aujourd’hui est donc de rassurer les salariés sur leur pouvoir d’achat, de faire disparaître cette trouille et cette insécurité individuelle et collective. L’une des premières motivations du vote pour l’extrême droite est précisément notre incapacité collective à les protéger des chocs inflationnistes qu’ils voient venir de l’extérieur.
Je trouve la proposition de loi du groupe CRCE-K intéressante, car, en protégeant les salariés, nous cassons la spirale inflation-extrême droite.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Monsieur le sénateur Jadot, je n’ai pas répondu à l’une de vos remarques très intéressante et très pertinente sur le vote Trump aux États-Unis. L’élection présidentielle américaine s’est aussi jouée sur l’incapacité de l’administration Biden à fléchir l’inflation et à en protéger, notamment, les travailleurs et les cols-bleus.
Je souhaite simplement rappeler deux éléments.
D’une part, regardons les chiffres. Certes, j’entends vos propos sur la différence entre perception et réalité. En France, le rythme de l’inflation a été moins fort que dans d’autres pays européens, précisément parce que – d’ailleurs, nous le payons aujourd’hui en termes de finances publiques – la puissance publique a voulu absorber une partie du choc énergétique externe.
M. Yannick Jadot. Cela coûte extrêmement cher !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Oui, mais cela a été, pour partie, absorbé, notamment sur la facture énergétique.
D’autre part, si nous n’avions pas ce système de redistribution grâce au coin sociofiscal – je ne le critique pas, je souligne simplement que son poids est important –, la différence entre les salaires les plus bas et les salaires les plus hauts serait de dix-sept ; après redistribution, elle est de trois.
Je pense donc que l’enjeu aujourd’hui est de trouver le bon équilibre entre progression des salaires et protection. Il y a, me semble-t-il, des pays qui réussissent mieux que nous à concilier compétitivité des entreprises et cohésion sociale.
Les chiffres le montrent : certes, la boucle inflation-extrême droite existe, mais la boucle inflation-salaires ne serait, à mon avis, bonne pour personne non plus.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 202 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 112 |
Contre | 225 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Après l’article 3
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Bélim, Lubin et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 2222-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une convention ou un accord collectif de travail sur le niveau des salaires et négocié localement peut prévoir, dans le délai prévu à l’alinéa précédent, l’entrée en vigueur anticipée dans un des territoires d’outre-mer cités à l’avant-dernier alinéa d’une convention ou d’un accord collectif de travail sur le niveau des salaires et dont le champ d’application est national. »
La parole est à Mme Marion Canalès.
Mme Marion Canalès. Par cet amendement, nous ne proposons pas une grande révolution.
Afin de mieux concilier l’adaptation des accords collectifs nationaux aux contextes locaux et aux attentes légitimes des salariés ultramarins, le législateur a inscrit en 2016 un délai de six mois avant l’entrée en vigueur des dispositifs, permettant ainsi aux partenaires sociaux de s’accorder.
Malheureusement, la rédaction rigide actuelle empêche tout accord local de s’appliquer avant ce délai, faisant régulièrement perdre deux mois, trois mois, voire cinq mois en cas d’accord rapide.
Cet amendement de bon sens de ma collègue Audrey Bélim vise donc à préciser que les accords sur les salaires négociés en outre-mer peuvent entrer en vigueur avant le délai de six mois prévu par le code du travail.
Ce n’est peut-être pas la panacée pour les travailleurs pauvres, dont nous parlons depuis le début de ce débat. Toutefois, pour quelques centaines de milliers de compatriotes ultramarins, comme à La Réunion, le surcoût de l’alimentation est de 40 %, et les loyers constatés sont souvent les mêmes que ceux des grandes métropoles de l’Hexagone, alors que le taux de pauvreté est de près de 40 %.
Nous souhaitons donc que les salariés puissent voir leur salaire augmenter de 10euros, 20 euros ou 30 euros deux mois, trois mois ou quatre mois plus tôt. Aujourd’hui, ce n’est pas possible, en raison d’une rédaction un peu trop rigide.
L’adoption de cet amendement ne devrait porter préjudice à personne.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Silvana Silvani, rapporteure. Les conventions et accords collectifs de travail nationaux ne s’appliquent dans les outre-mer que six mois après leur entrée en vigueur. Ce délai doit permettre aux partenaires sociaux de négocier les adaptations nécessaires au contexte local.
Cet amendement a pour objet d’anticiper l’entrée en vigueur des accords salariaux en outre-mer.
En cohérence avec sa position globale sur la proposition de loi, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
À titre personnel, j’estime que la précision souhaitée par les auteurs de l’amendement est utile pour protéger le salaire des travailleurs ultramarins. En effet, il est dommage qu’en cas de conclusion d’un accord local l’ensemble du dispositif ne puisse pas s’appliquer avant le délai de rigueur de six mois.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Nous partageons la préoccupation qui a été exprimée. Toutefois, cette demande est juridiquement satisfaite par les dispositions du code du travail qui organisent des modalités spécifiques de négociation en outre-mer, même si nous devons faire mieux connaître cette possibilité.
En outre, des travaux, menés par la direction générale du travail de mon ministère avec les partenaires sociaux, sont en cours pour préciser les modalités opérationnelles de mise en œuvre de ces dispositions et outiller les acteurs locaux.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Cet amendement est important, parce que ses auteurs proposent une mesure qui est juste et qui s’ajuste à la réalité locale.
Les populations des outre-mer subissent déjà des injustices sociales, que nous rappelons régulièrement dans cet hémicycle, ainsi que l’héritage colonial de la vie chère. Il est impératif de mettre en œuvre le plus tôt possible les mesures qui s’imposent.
Ce texte constitue une réponse à la pauvreté qui touche encore plus durement les outre-mer. À La Réunion, le taux de pauvreté atteint 36 %, soit 2,5 fois plus qu’en métropole, et un enfant sur deux grandit dans un foyer pauvre. Le chômage est de 32 % pour les 15-29 ans, contre 13 % dans l’Hexagone.
La pauvreté touche également durement les salariés, si bien qu’augmenter les salaires et les indexer sur l’inflation prend tout son sens pour redonner de la dignité dans le travail. Le travail doit être payé à sa juste valeur pour tous les Français, de métropole comme d’outre-mer.
Dans un contexte de crise du logement, le montant des loyers à La Réunion est similaire à celui des grandes villes de l’Hexagone.
Outre la pauvreté monétaire, il existe une pauvreté de privation : 53 % des Réunionnais vivent une situation de privation.
L’adoption de cet amendement permettrait aux Ultramarins de mieux vivre de leur travail, et cela plus rapidement. Il s’agit de ne pas respecter obligatoirement le délai de six mois, quand celui-ci n’est pas nécessaire, et d’agir rapidement pour que les salaires soient revalorisés.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande d’adopter massivement cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.
Mme Frédérique Puissat. La commission des affaires sociales a émis un avis défavorable sur cet amendement, non pas tant sur le fond que parce que nous ne sommes pas favorables au texte qu’il vise à modifier.
Cependant, cette disposition peut tout à fait trouver sa place dans d’autres textes de loi, par exemple dans la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer, que nous examinerons bientôt. J’invite nos collègues à redéposer cet amendement dans le cadre de ce texte ; il sera étudié de façon plus appropriée.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 203 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 112 |
Contre | 217 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 4
Le I de l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La réduction dont bénéficie chaque employeur est minorée en fonction de l’augmentation annuelle des salaires, au minimum selon le taux prévisionnel d’évolution de la moyenne annuelle de l’indice des prix à la consommation des ménages, hors tabac, annexé au projet de loi de finances de l’année de versement, arrondi au demi-entier supérieur.
« Un décret précise les modalités de calcul de la minoration de la réduction dégressive des cotisations patronales. »
M. le président. Mes chers collègues, je vais mettre aux voix l’article 4.
Si cet article n’était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l’article 5, qui deviendrait sans objet.
Il n’y aurait par ailleurs plus lieu de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, puisque tous les articles qui la composent auraient été successivement supprimés par le Sénat.
Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
Dans ces conditions, quelqu’un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l’article 4 ?
La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote sur l’article.
M. Ian Brossat. Je voudrais formuler deux remarques sur l’ensemble de la discussion que nous menons depuis tout à l’heure sur cette proposition de loi.
Premièrement, on parle dans cette enceinte – enfin ! – de salaires, de travail, de rémunération, de dignité au travail. Cela change et cela fait du bien ! On ne peut pas dire que ce soit particulièrement fréquent… Quand je lis notre ordre du jour pour les semaines à venir, je vois un débat sur les relations entre la France et l’Algérie, une proposition de loi sur le mariage des personnes sans papiers, un texte sur l’allongement de la durée de rétention en centre de rétention administrative (CRA)…
Cela fait donc du bien de parler salaires ! Il se trouve, par ailleurs, que c’est la première préoccupation des Français, donc cela tombe bien…
Par conséquent, on peut saluer l’initiative des camarades du groupe communiste – j’en fais partie (Rires.) –, qui ont permis que ce sujet soit enfin inscrit à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.
Deuxièmement, on nous dit qu’il est très bien de parler de ce sujet, mais que nos propositions ne sont pas les bonnes… Dans ce cas, nous attendons les propositions de rechange !
Et là, qu’est-ce que l’on entend ? Qu’il faudrait mettre en place une politique de l’offre… Celle-là même, pro-business et pro-entreprises, qui a été mise en œuvre depuis sept ans, qui a abouti au résultat que nous connaissons, à savoir des salaires ne permettant pas aux gens de vivre de leur travail, et qui n’a pas empêché que 300 plans de licenciements menacent aujourd’hui de mettre sur le carreau 300 000 personnes !
Je veux bien que l’on fasse l’éloge de la politique de l’offre, mais, manifestement, ce n’est pas cette politique-là qui permet aux salariés de vivre de leur travail. Voilà pourquoi cette proposition de loi méritait d’être votée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote sur l’article.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je souscris pleinement aux propos de Ian Brossat, mais je veux revenir, madame la ministre, sur ce que vous avez indiqué à propos de la fameuse boucle prix-salaires.
Vous avez cité des phrases du FMI, que nous aurions cachées, mais que signifient-elles vraiment ? Que les salaires doivent prendre du retard sur l’inflation pour éviter la boucle prix-salaires, mais qu’ils doivent ensuite rattraper ce retard. Je rappelle d’ailleurs que cette proposition de loi vise à maintenir ou à protéger le pouvoir d’achat. Il ne s’agit pas de l’augmenter ! Nous en revenons ici au lien avec l’extrême droite dont nous avons parlé tout à l’heure.
Durant la discussion générale, je pointais du doigt une certaine contradiction, parce que l’on ne peut pas parler en même temps d’effet pervers et d’inanité.
Vous affirmez que, en fin de compte, les salaires suivent, mais avec un certain retard qui permettrait selon vous d’éviter la boucle prix-salaires. Mais cela signifie que c’est le salarié qui doit absorber entièrement les chocs, et surtout pas l’entreprise. Les salaires peuvent être affectés, mais il ne faut toucher en aucune façon aux taux de marge ! C’est avec ce genre de logique que l’on retrouve tant de gens aux Restos du Cœur… Les taux de marge des entreprises devraient aussi prendre leur part.
Vous avez également évoqué les partenaires sociaux. Mais pourquoi sont-ils favorables à l’indexation ? Parce qu’ils veulent préserver les grilles de classification, qui sont au cœur des négociations de branches et que la non-indexation déstabilise.
Mme Raymonde Poncet Monge. Vous appelez cela le tassement, mais pour les organisations syndicales, c’est une lente destruction des grilles de classification. Aussi, pour les préserver, indexons-les !
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote sur l’article.
Mme Frédérique Puissat. Je voudrais revenir sur certains propos laissant entendre que, sur la question du pouvoir d’achat, nous serions restés les bras ballants.
Mes chers collègues, nous vous avons remerciés de ce débat, car il est vrai que ce sujet est important pour les Français, mais nous ne sommes pas d’accord avec la proposition que vous formulez.
Ce n’est pas pour autant que nous ne proposons rien : Corinne Bourcier et moi-même avons publié un rapport d’information, au nom de la commission des affaires sociales – je veux en remercier son président –, intitulé Négociations salariales et smicardisation : faux débat, vrai problème, dans lequel nous formulions quinze propositions.
Ces propositions sont certes techniques, mais elles sont importantes et elles répondent à nombre d’attentes des salariés – d’ailleurs, elles deviendront peut-être une proposition de loi.
Ce rapport a été publié en juin 2024, au moment de la dissolution, et nous n’avons peut-être pas parlé assez fort pour nous faire entendre, mais nous avons bien travaillé sur la question du pouvoir d’achat.
Je le redis, nous avons formulé des propositions, mais il est vrai que nous n’avons pas la même vision des choses.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote sur l’article.
Mme Monique Lubin. En conclusion des interventions de mon groupe, je veux insister sur un point : nous ne devrions pas, comme je l’entends trop souvent, opposer entreprise et salarié. Il n’y a pas d’entreprise, même petite, sans salarié.
Mme Frédérique Puissat. Et pas de salarié sans entreprise !
Mme Monique Lubin. Je n’ai pas bien entendu votre interruption, chère collègue : j’imagine que vous avez dit qu’il n’y avait pas d’entreprise sans patron. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais quand les entreprises tournent bien, les patrons savent se rémunérer…
La première richesse d’une entreprise, ce sont ses salariés. Et, je le redis, il n’y a pas d’entreprise sans salarié.
Mme Brigitte Devésa. Et pas de salarié sans entreprise !
Mme Monique Lubin. Les salariés doivent être parties prenantes de la vie de leur entreprise. Ils doivent être protégés en premier.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 204 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 111 |
Contre | 225 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Il en est donc de même de l’article 5.
Mes chers collègues, les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés, un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Silvana Silvani, rapporteure. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il était intéressant que ce débat ait eu lieu. Il a montré, s’il en était besoin, que nous avions à tout le moins des différends. Je souhaite donc vous remercier tous de vos contributions.
Je veux également remercier particulièrement le secrétariat de la commission des affaires sociales, qui a fourni un remarquable travail. Nous nous sommes, disons-le ainsi, autorégulés !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je m’associe aux remerciements qui viennent d’être formulés, avec une pensée particulière pour Cathy Apourceau-Poly, qui est à l’origine de cette proposition de loi.
Comme cela a été dit, la commission des affaires sociales aborde dans ses travaux les sujets du pouvoir d’achat et des salaires. J’invite tout un chacun à lire nos rapports ! Madame la ministre, vous pourriez même vous inspirer de nos propositions.
Au-delà de nos différences de points de vue, il est évident que le Gouvernement devra s’emparer de ces questions. Dans les semaines et les mois qui viennent, à l’issue de cette période budgétaire, nous devrons traiter de problèmes éminemment sociaux, comme le pouvoir d’achat, la rémunération, les retraites, etc. Sur tous ces sujets, qui seront à mon avis tout à fait d’actualité, le Sénat a des propositions à formuler.
11
Conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques
Rejet d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, l’examen de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, tendant à l’application en droit français de la directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues (proposition n° 548 rectifiée [2023-2024]).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Barbara, auxiliaire de vie, ne travaille plus depuis son accident en 2023. Envoyée par Pôle emploi vers la plateforme Click & Care, elle pensait être en intérim, jusqu’au jour où, en protégeant une patiente d’une chute, elle s’est blessée grièvement : rotule fissurée, opération, douleurs persistantes.
Quand elle a demandé la reconnaissance de son accident du travail, la réponse a été brutale : « Vous êtes autoentrepreneuse, nous ne salarions personne. » Plannings imposés, missions assignées… Tout indiquait pourtant une relation de subordination. Aujourd’hui, sans droits ni protection, cette femme est abandonnée.
Ce témoignage n’est pas isolé. Des centaines de milliers de travailleurs de plateformes vivent cette précarité imposée sous couvert d’indépendance fictive.
Cantonnée dans un premier temps aux taxis et à l’hôtellerie, la plateformisation s’est infiltrée dans tous les secteurs, du dépannage au service à la personne. Même le droit, réputé intouchable, est affecté. Progressivement, ce modèle gangrène notre économie, détricote le droit du travail, sape la protection sociale et précarise toujours plus de travailleuses et de travailleurs.
Ce qui relie ces milliers de travailleurs, c’est non pas l’indépendance qu’on leur promet, mais la précarité qu’on leur impose.
Revenu instable, protection sociale inexistante, peur constante de perdre leur activité. Ils ne négocient pas leurs contrats, ils les subissent, sans voix ni recours face aux décisions d’un employeur masqué derrière une interface. Un clic, et ils sont « déconnectés », effacés d’un marché qui les exploite.
On nous vante l’autonomie. Mais comment l’être quand une intelligence artificielle surveille, contrôle et décide de tout, sauf de leur dignité ? L’indépendance, c’est choisir, négocier, refuser. Or ces travailleurs n’ont que l’illusion du choix.
Aujourd’hui, 28 millions de travailleurs dépendent en Europe des plateformes. Demain, ils pourraient être 43 millions ! En France, ils sont déjà plus de 600 000, et bien plus encore si l’on compte celles et ceux qui échappent aux statistiques. Derrière ces chiffres, il y a des visages, des vies et une réalité sociale.
La révolution numérique a bouleversé le monde du travail à une vitesse vertigineuse. Elle a été orientée vers un modèle économique inédit : celui des plateformes, qui redéfinissent la relation entre travailleurs, clients et entreprises.
Ces plateformes numériques recouvrent des réalités diverses. Certaines, comme les plateformes d’intermédiation, se limitent à une simple mise en relation des particuliers, sans interférer.
Les plateformes de travail, en revanche, vont bien au-delà. Elles exploitent la force de travail pour accomplir des tâches spécifiques, dirigeant et contrôlant les travailleurs sans reconnaître leur lien de subordination. Elles les placent dans une situation de dépendance économique, leur imposant des conditions de travail qui échappent à tout cadre de protection.
Sur le papier, c’est une promesse alléchante : travailler librement, en un clic, à la demande. Dans la réalité, c’est une mise sous tutelle algorithmique, une dépendance totale à des applications qui distribuent le travail au gré de leur logique opaque.
Nous assistons à une mutation profonde du salariat, où la relation de subordination ne disparaît pas, mais change de visage. Moins visible, plus insidieuse, elle prive des millions de travailleurs des droits les plus fondamentaux.
Face à cela, nous devons choisir : laisser faire ou protéger.
Le 23 octobre 2024, l’Union européenne a pris ses responsabilités, en promulguant une directive pour mieux protéger ces travailleurs, leur reconnaître des droits et encadrer ces plateformes. Cette directive, qui devra être transposée d’ici à deux ans, impose à chacun des vingt-sept États membres d’instaurer un système de présomption de salariat dans sa législation nationale.
L’un des progrès majeurs réside dans le renversement de la charge de la preuve : désormais, c’est à la plateforme de prouver qu’elle n’entretient pas de lien de subordination avec ses travailleurs – c’est un changement fondamental.
Cette directive impose aussi un contrôle accru du management algorithmique, interdisant à la plateforme de manipuler à sa guise ses algorithmes, tout en garantissant le droit à recevoir une explication quant à leur fonctionnement.
Aussi, pourquoi devons-nous absolument adopter cette proposition de résolution, qui appelle à une application immédiate de cette directive en droit français, sans attendre deux années supplémentaires et de la manière la plus ambitieuse possible ? Parce que, en dépit de ces avancées, la France, lors des discussions, avait pris une position isolée, votant contre ce texte, seule contre tous, cherchant à imposer à tout prix une dérogation « à la française »…
Plutôt que de reconnaître enfin le lien de subordination qui lie les travailleurs aux plateformes, le gouvernement de M. Attal a préféré se réfugier derrière l’illusion de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (Arpe).
Présentée comme un outil de dialogue social, cette instance n’est en réalité qu’un cache-misère destiné à maintenir l’ambiguïté du statut des travailleurs. Elle leur accorde quelques concessions, tout en les maintenant dans la précarité. Une tromperie, dénoncée par de nombreux experts et juristes, qui ne résout en rien la question fondamentale : ces travailleurs ne sont pas indépendants ; ils sont subordonnés et ils doivent être reconnus comme tels.
Comment l’Arpe a-t-elle récemment répondu à la détresse des livreurs Uber ? Par une augmentation de 10 centimes sur le prix minimum de la course… Vous m’avez bien entendu, mes chers collègues : 10 centimes ! Voilà le mépris dans lequel on tient ces travailleurs qui, sous la pluie ou en pleine canicule, assurent les livraisons. Voilà la grande avancée sociale que le Gouvernement ose mettre en avant pour justifier son refus de la directive européenne.
Différents gouvernements ont ainsi choisi de soutenir les intérêts des plateformes, au détriment de ceux qui, lors de l’épidémie de la covid-19, étaient applaudis, au détriment de ceux qui, chaque jour, permettent aux plus isolés d’avoir accès aux services essentiels. Ces travailleurs méritent bien plus que des remerciements ou des promesses vides. Ils méritent des droits.
Le choix politique d’Emmanuel Macron est lourd de conséquences : maintenir un système injuste et précaire, alors que tous les partis, de la gauche au centre droit, ont défendu un cadre juridique garantissant des droits essentiels à ces travailleurs.
Malgré des approches économiques différentes – nous les avons constatées lors du débat précédent –, toutes les sensibilités politiques s’accordent sur l’urgence d’assurer à ces travailleurs protection et droits. Il est temps d’être cohérent, comme l’ont été les députés de toutes sensibilités politiques en défendant la directive au Parlement européen.
Notre proposition de résolution ne fait que refléter les conclusions unanimes – je dis bien unanimes – de la mission d’information du Sénat de 2021, présidée par Martine Berthet, sur l’ubérisation de la société.
En 2021, nous étions unanimes pour étendre aux travailleurs des plateformes les garanties des salariés en matière de sécurité au travail – proposition n° 2.
En 2021, nous soutenions unanimement leur droit à un document clair et détaillé sur les logiques de fonctionnement des algorithmes – proposition n° 11.
En 2021, nous approuvions à l’unanimité l’extension des compétences de l’inspection du travail pour contrôler les plateformes.
La directive européenne ne propose ni plus ni moins. Tous les groupes du Sénat, sans exception, ont contribué à formuler ces recommandations et les ont approuvées. Quatre ans plus tard, nous avons enfin l’occasion de les mettre en œuvre.
L’application de cette directive ne protégera pas seulement les travailleurs des plateformes. Son adoption permettra aussi de rétablir les conditions d’une concurrence véritablement libre et non faussée.
Face à ces multinationales qui se jouent des lois et échappent à leurs obligations tout en profitant des infrastructures publiques, les entreprises traditionnelles, elles, sont lourdement pénalisées. Comment un artisan ou une PME pourrait-il rivaliser avec ces géants qui tordent les règles à leur avantage, écrasant le coût du travail ?
Ces plateformes n’ont pas seulement capté un marché : elles ont imposé un modèle destructeur, rendant obsolètes les structures respectueuses du droit du travail et précipitant la disparition de nombreux emplois.
Voilà le véritable danger de la plateformisation sans encadrement : elle ne laisse place à aucun autre modèle. Pis, elle verrouille l’accès au marché pour ceux qui voudraient entreprendre autrement, en respectant le salariat et les droits des travailleurs.
Ce système est un piège pour les travailleurs, un poison pour les petites entreprises et l’artisanat, une menace pour notre modèle social et notre pacte fiscal. Il repose sur un dumping généralisé : dumping social, en exploitant une main-d’œuvre sans protection ; dumping fiscal, en échappant aux contributions qui financent notre protection sociale.
Selon l’Urssaf, le travail dissimulé coûte à la sécurité sociale au moins 6 milliards d’euros par an. Pourtant, plutôt que de cibler les vrais fraudeurs, le président a préféré accuser les travailleurs précaires. Ce ne sont pas eux qui saignent notre système. Ce sont les plateformes qui exploitent la main-d’œuvre tout en échappant largement à l’impôt.
Pis, l’ubérisation touche désormais les services à la personne, instaurant un modèle dans lequel l’État, via des exonérations fiscales, subventionne indirectement la précarité.
Pendant que ces multinationales accumulent les profits, notre protection sociale s’effondre sous le poids des contournements qu’elles mettent en place. Il est temps d’agir.
En 2020, un arrêt de la Cour de cassation reconnaissait pour la première fois l’existence d’un lien de subordination entre un chauffeur Uber et la plateforme. Depuis lors, les décisions de justice s’accumulent. Deliveroo, Stuart, Uber… Tous ont été condamnés pour travail dissimulé. Chaque condamnation confirme l’essoufflement de ce modèle.
Appliquer rapidement la directive européenne, c’est donner à notre système juridique les moyens de faire respecter le droit, alléger la charge des tribunaux, réduire l’insécurité juridique et garantir aux entreprises un cadre stable et équitable, où la concurrence se joue non pas sur la casse sociale, mais sur l’innovation et la qualité du service.
Mes chers collègues, je vous interroge : face à l’urgence, pourquoi attendre ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie chaleureusement nos collègues du groupe communiste d’avoir mis à l’ordre du jour ce texte relatif à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques.
On estime que notre pays compte 600 000 travailleurs rattachés à l’utilisation de plateformes numériques, soit à peu près 2 % de l’emploi en France. C’est le triple d’il y a sept ans.
On a tendance à résumer cette activité aux chauffeurs VTC ou aux livreurs à vélo, mais en réalité ce phénomène touche des métiers variés, jusqu’aux exploitations agricoles, sans oublier les professionnels de santé ou du droit… À l’échelle européenne, les travailleurs des plateformes sont 28 millions.
La directive européenne du 23 octobre dernier marque un pas important dans la reconnaissance des droits des travailleurs, car elle instaure une présomption légale d’emploi et impose à la plateforme de démontrer la non-subordination de la relation de travail.
Cette évolution est la bienvenue, car elle répond à une faille juridique persistante, qui donne lieu à une gestion algorithmique et déshumanisée des travailleurs.
Comme le disent très bien les auteurs de l’exposé des motifs de la proposition de résolution, la directive européenne rétablit une égalité entre l’ensemble des travailleurs, une égalité des droits fondamentaux.
En l’état actuel du droit, ces travailleurs, considérés comme indépendants du fait de leur statut d’autoentrepreneur, ne bénéficient pas de droits au chômage, ils ne sont pas couverts en cas d’accidents du travail et, à terme, ils ne pourront pas accéder à une retraite digne.
Cette situation constitue un véritable danger pour les travailleurs eux-mêmes, mais également un cheval de Troie pour notre sécurité sociale, en normalisant un salariat sans cotisations.
La transposition dans les meilleurs délais de la directive en droit français nous paraît donc tout à fait justifiée pour enrayer la précarisation à l’œuvre. La réglementation et la transparence des algorithmes sont des enjeux essentiels pour l’information des travailleurs et le respect de leurs données personnelles.
Cette directive permet en réalité le retour de l’humain dans la relation de travail.
Nos plus hautes juridictions ont confirmé que la requalification en travailleur salarié était pleinement légitime et devait être facilitée pour des catégories entières de travailleurs de plateforme.
Le compromis européen permet aujourd’hui de réunir les deux bouts de la problématique de l’économie collaborative, à savoir protéger les travailleurs sans enrayer le dynamisme de cette économie numérique.
Espérons que nous mettrons moins de temps à réagir pour encadrer le secteur de l’intelligence artificielle. La « destruction créatrice » chère aux schumpétériens doit être anticipée, pour que nous ne nous retrouvions pas dans le même étau et à la merci de firmes sans adresse jouant sur nos vides juridiques.
La balle est désormais dans le camp du Gouvernement, à qui j’enjoins, avec nos collègues, de transposer cette directive sociale, qui posera un cadre attendu tant par les entreprises que par les citoyens.
On parle souvent dans cet hémicycle de surtransposition pour critiquer un certain penchant parlementaire à voter des normes plus contraignantes que celles de nos voisins. Évitons également de nous mettre en situation de sous-transposition dans ce domaine majeur. Le groupe RDSE votera donc à l’unanimité ce texte de bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)
Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution présentée par notre collègue Pascal Savoldelli appelle à une transposition rapide de la directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.
Cette directive va dans le bon sens, car elle apporte de réelles avancées pour les droits des travailleurs. En effet, elle introduit une présomption de relation de travail, qui est déclenchée dès que des faits indiquent la présence d’un contrôle et d’une direction, à l’opposé de la définition du travail indépendant. Cette avancée, conforme au droit national et aux conventions collectives, tient compte de la jurisprudence européenne en la matière.
Cette directive oblige les États membres à établir une présomption légale réfutable d’emploi au niveau national, afin de corriger le déséquilibre de pouvoir entre la plateforme de travail numérique et la personne effectuant le travail via cette plateforme. La charge de la preuve incombe à cette dernière, ce qui signifie que c’est à elle de prouver que la relation contractuelle n’est pas une relation de travail subordonné.
Les nouvelles règles garantissent également qu’une personne effectuant un travail via une plateforme ne peut pas être licenciée ou renvoyée sur la base d’une décision prise par un algorithme ou un système de prise de décision automatisée. Au lieu de cela, les plateformes doivent assurer une surveillance humaine sur les décisions importantes, qui affectent directement les personnes effectuant un travail grâce à elles.
Dans le domaine de la protection des travailleurs, il sera interdit aux plateformes de travail numériques de traiter certains types de données personnelles, comme les données relatives à l’état émotionnel ou psychologique de quelqu’un et les croyances personnelles.
Une analyse de la Commission européenne datant de 2021 a révélé qu’il existait plus de 500 plateformes de travail numériques actives et que le secteur employait plus de 28 millions de personnes, un chiffre qui pourrait atteindre les 43 millions cette année. C’est donc une augmentation significative !
Ces plateformes existent dans différents secteurs économiques, que ce soit grâce à la localisation, avec les services de chauffeurs ou de livraison de nourriture, ou en ligne, avec des services d’encodage de données et de traduction.
Si la plupart des travailleurs des plateformes sont officiellement des indépendants, environ 5,5 millions de personnes pourraient être classées à tort dans cette catégorie. C’est donc une part importante des travailleurs du numérique qui pourraient ainsi bénéficier de nouveaux droits.
La directive européenne en elle-même ne pose pas de difficultés à notre groupe. D’ailleurs, elle a été adoptée très largement par un grand nombre de groupes politiques du Parlement européen. Ces évolutions législatives seront bienvenues et nous ne les remettons absolument pas en cause.
Toutefois, nous avons des divergences avec la proposition de résolution de notre collègue Pascal Savoldelli, dont je salue malgré tout le travail. J’ai aussi une pensée pour notre ancienne collègue Catherine Fournier, qui s’était beaucoup investie sur le sujet.
Vous appelez, cher collègue Savoldelli, à une transposition rapide en droit français de cette directive. Toutefois, nous avons jusqu’à novembre 2026 pour opérer cette transposition. Si un tel délai a été prévu, c’est bien parce qu’il est apparu nécessaire aux négociateurs de ce texte.
J’ai énuméré voilà quelques instants les différents apports de cette directive. Elle implique de nouveaux droits qui nous imposent d’adapter notre réglementation. N’agissons pas avec précipitation.
La mise en œuvre de cette directive nécessitera vraisemblablement un travail de requalification pour nombre de travailleurs, ce qui n’est pas neutre non plus pour les plateformes. Chacun devra donc anticiper les évolutions législatives à venir. C’est la raison d’être de ces délais de transposition.
Par ailleurs, votre proposition de résolution rend nécessaire le recrutement massif d’inspecteurs du travail. Nous avons achevé voilà quelques jours l’examen du PLF et du PLFSS. Chacun a pu prendre conscience des différents efforts budgétaires que notre pays doit faire. Je ne pense donc pas que nous puissions supporter une telle augmentation de ces effectifs dans la période que nous traversons.
Aussi, vous l’aurez compris, notre groupe ne votera pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alexandre Basquin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Alexandre Basquin. « Nous sommes les nouveaux esclaves d’aujourd’hui. » « C’est un algorithme qui décide pour nous. » Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces témoignages de chauffeurs Uber d’Armentières, dans le Nord, publiés dans le journal La Voix du Nord en 2023, montrent à quel point le statut des travailleurs des plateformes numériques est fragile, précaire et absolument pas protecteur.
En 2023, selon la Dares, ce sont 600 000 travailleurs indépendants qui ont utilisé une plateforme numérique en France au titre de leur emploi principal. Un nombre qui a été multiplié par trois en six ans.
Cette situation ne concerne pas uniquement les chauffeurs Uber : il y a aussi les secteurs de l’hôtellerie, des services à la personne, des services de dépannage, et j’en passe.
Cette nouvelle organisation du travail, fondée essentiellement sur le management algorithmique, impose toujours plus de flexibilité, une fragmentation des tâches et une pression forte pour produire plus rapidement.
Le seul objectif des plateformes est la rentabilité ! La rentabilité à tout prix, et à tous les prix. Les premières victimes sont les travailleurs eux-mêmes. Il s’agit de ne pas mésestimer leur souffrance au travail, car oui, souffrance il y a.
Ce capitalisme de plateforme est pervers, insidieux, sans scrupule et sans honte. Il contient bien trop de zones grises, notamment en ce qui concerne les conditions de travail. Il pousse les travailleurs dans une forme de subordination et de dépendance extrême. Il les isole, avec une délégation quasi totale aux algorithmes des prises de décision.
Rappelons tout de même que, en France, c’est bien Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, qui a ouvert grand les portes à ces nouvelles organisations.
Après un intense travail de lobbying et d’influence du groupe américain, il a facilité l’installation d’Uber en France, avec son lot de dérégulations, comme l’a révélé l’affaire des Uber Files. Ces dérégulations poussent des centaines de milliers de travailleurs dans la plus grande des précarités, sous le seul diktat du profit.
D’ailleurs, et pour ne prendre que cet exemple, on constate une véritable prédation d’Uber sur le travail de ses chauffeurs. Uber dont la capitalisation boursière a dépassé les 150 milliards de dollars…
Dans le même temps, les travailleurs, eux, doivent payer la totalité de leurs cotisations de retraite, de chômage et de maladie. Cette situation inique doit évoluer pour le bien de ces travailleurs.
C’est d’autant plus nécessaire quand on sait qu’ils travaillent également la nuit, les week-ends et les jours fériés pour subvenir à leurs besoins, au détriment de leur vie privée et familiale, sans parler de la pénibilité physique et du stress au travail.
Les promesses d’autonomie et d’enrichissement n’ont pas été tenues. Dans ces conditions, nous comprenons et soutenons les actions collectives des travailleurs pour contraindre les plateformes numériques à les embaucher comme salariés.
Un cadre clair doit être adopté. Il s’agit ni plus ni moins de leur donner une protection identique à celle des salariés traditionnels.
En 2024, un accord a été trouvé au sein des institutions européennes sur une directive plus favorable aux travailleurs des plateformes : ces derniers pourront désormais contester leur statut d’indépendant et demander plus facilement à être requalifiés en salariés. Nous sommes ici face à un enjeu hautement politique et profondément social !
Aujourd’hui, madame la ministre, le Gouvernement se grandirait en acceptant de transposer cette directive. Au contraire, s’il refuse, il se rendra complice et même coupable du maintien de ces travailleurs dans la plus grande précarité.
Mes chers collègues, cette proposition de résolution en appelle à notre responsabilité collective. C’est pourquoi je vous invite, dans notre grande et belle diversité, à la soutenir. N’oublions pas que, derrière ces textes, il y a des femmes, des hommes, bref, de l’humain. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui arrive à un moment particulièrement important. Le 24 avril 2024, le Parlement européen a adopté une directive historique sur les droits des travailleurs des plateformes, soutenue par un large spectre politique.
La question posée aujourd’hui est simple : comment allons-nous transposer ce texte ? Mark MacGann, ancien dirigeant d’Uber devenu lanceur d’alerte, pointait récemment devant l’Assemblée nationale un paradoxe particulièrement saisissant : comment la France, pays de la sécurité sociale, du Smic, des congés payés et de la couverture maladie universelle (CMU) peut-elle aujourd’hui être en première ligne pour vider de son sens cette directive européenne ?
Les chiffres sont accablants : 55 % des travailleurs de plateformes gagnent moins que le salaire minimum horaire net du pays où ils exercent et 41 % de leur temps de travail ne sont même pas rémunérés. Ils doivent financer eux-mêmes leurs propres outils de travail – vélo, téléphone, voiture, assurance –, sans accès à l’assurance chômage ni à la couverture des accidents du travail.
Les tribunaux ne s’y sont pas trompés. De la Cour de cassation reconnaissant le lien de subordination avec Uber en 2020 jusqu’au conseil de prud’hommes de Lyon en 2023, en passant par la condamnation de Deliveroo en 2022, la justice, quand elle est saisie, confirme systématiquement la réalité de la subordination. Cependant, ces procédures s’éternisent – plus de 17 mois en moyenne ! –, et engorgent les tribunaux.
La directive européenne offre une réponse équilibrée. Elle harmonise les règles, tout en respectant la diversité des plateformes. Elle offre des garanties minimales essentielles, sans remettre en cause les bienfaits économiques éventuels.
Elle est aussi bienvenue pour les finances publiques : la Commission européenne estime que sa mise en œuvre permettrait à la France de percevoir entre 328 millions d’euros et 780 millions d’euros de recettes annuelles supplémentaires. À l’heure où l’effort budgétaire est érigé en priorité nationale, comment ne pas soutenir sans délai cette proposition de bon sens ?
Notre groupe soutient donc cette proposition de résolution, qui appelle à une transposition ambitieuse, avec des mesures concrètes : l’établissement d’une présomption de salariat pour les travailleurs soumis au contrôle des plateformes ; le renforcement significatif des moyens de l’inspection du travail ; une véritable régulation des données personnelles et une transparence totale des systèmes de surveillance automatisés ; la mise en place de procédures de recours effectives ; une protection réelle contre les représailles.
Comment peut-il encore en être autrement ? L’enjeu est considérable. Aujourd’hui, ce sont 28,3 millions de travailleurs européens qui sont concernés – un chiffre qui pourrait atteindre 43 millions en 2025.
L’enjeu est aussi fiscal : comment accepter que ces plateformes, certes déficitaires, mais soutenues par d’importants fonds d’investissement, s’affranchissent du financement de notre protection sociale ? Nous ne pouvons laisser ces entités malmener nos économies, nos travailleurs, nos recettes fiscales et plus encore.
Dans un contexte de dette publique préoccupante, ces pratiques d’évasion fiscale menacent non seulement le financement de nos services publics, mais aussi la pérennité même de notre modèle social et du modèle européen.
Il s’agit non pas simplement d’encadrer un nouveau modèle économique, mais de faire respecter en France et dans l’Union nos principes fondamentaux de protection sociale et de justice fiscale. Nous en avons grand besoin.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue au nom du groupe socialiste l’initiative de Pascal Savoldelli et du groupe CRCE-K ayant conduit à l’inscription à notre ordre du jour de cette proposition de résolution tendant à l’application en droit français de la directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques.
Nous nous réjouissons d’autant plus de cette initiative que notre groupe, grâce à Olivier Jacquin, avait déposé en octobre 2024 une proposition de résolution soutenant l’amélioration des conditions de travail des travailleurs de plateformes, notamment par la transposition de la directive européenne dont il est question aujourd’hui.
Nous le savons tous, cette directive est moins-disante que ce qu’elle aurait dû être. À ce titre, nous ne pouvons que déplorer l’activisme à Bruxelles du Président de la République, qui a permis en décembre 2021 d’édulcorer la proposition initiale de la Commission européenne.
Toutefois, cette directive a le mérite d’exister : il faut la transposer rapidement en droit français, voire la surtransposer. En France, selon la Dares, les emplois de plateforme représentaient en 2023 l’activité principale de 2 % des travailleurs.
La jurisprudence a déjà ouvert dans notre pays la voie à une requalification de certains travailleurs des plateformes. Le 4 mars 2020, la Cour de cassation a ainsi confirmé la requalification en contrat de travail de l’activité d’un chauffeur de véhicule de transport avec chauffeur (VTC) employé par Uber.
Le 6 juillet 2022, la Cour d’appel de Paris a condamné Deliveroo France pour travail dissimulé et harcèlement moral en raison de ses pratiques managériales.
La directive qui est l’objet de la présente résolution prend acte de cette réalité. Elle a pour objet d’améliorer les conditions de travail et la protection des données à caractère personnel dans le cadre du travail via une plateforme.
Elle définit tout d’abord des notions clés, telles que « travailleurs de plateformes » ou « plateforme de travail numérique ».
Elle établit ensuite une présomption légale de relation de travail avec une charge de la preuve qui repose désormais sur la plateforme.
Elle est encore marquée par une volonté d’apporter plus de transparence dans l’utilisation des algorithmes par les plateformes de travail.
Elle tend enfin à imposer aux plateformes-employeurs les mêmes responsabilités en matière de santé et de sécurité au travail qu'à tout autre employeur.
Parmi les lacunes de ce texte, je relève la marge très importante laissée aux États dans les modalités de mise en œuvre de ses dispositions, notamment en ce qui concerne la structuration de la présomption de salariat. C’est une source d’inquiétude, bien que la directive impose de s’appuyer sur les définitions nationales du salariat et de la subordination.
Nous nous inscrivons donc pleinement dans la démarche du groupe CRCE-K et nous voterons la présente proposition de résolution. Au-delà des impératifs de délai, nous ajoutons qu’il faut aussi impérativement surtranscrire la directive. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre économie et nos emplois se sont grandement transformés ces dix dernières années.
Transports par VTC, livraisons à domicile, petits travaux et services à la personne ne sont que quelques exemples de secteurs qui ont connu une évolution notable. Nous nous sommes habitués à voir ces nouveaux travailleurs dans l’espace public.
Les travailleurs des plateformes numériques occupent pour la plupart leur emploi en tant qu’indépendants, à temps partiel ou à temps complet, comme seul emploi ou comme emploi complémentaire.
M. Pascal Savoldelli. C’est le paradis ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Leur statut varie en effet, mais nous nous concentrons aujourd’hui sur ceux qui n’ont pas le statut de salarié.
Certains de ces travailleurs sont particulièrement attachés à leur statut de non-salarié, car celui-ci leur offre plus de liberté et d’indépendance et leur permet d’arrondir leurs fins de mois avec quelques heures de travail.
M. Pascal Savoldelli. Ah oui ? J’aimerais bien les rencontrer…
Mme Marie-Claude Lermytte. Les autres sont bien souvent des salariés déguisés des plateformes numériques, il faut bien le reconnaître.
La justice française a essayé d’endiguer le phénomène des faux indépendants en requalifiant certains contrats, mais, face à l’ampleur du phénomène, il fallait que le droit change.
C’est justement l’objet de cette directive européenne. Elle met en place de nouvelles règles pour mettre fin au faux travail indépendant. C’est là la principale avancée de ce texte.
Par ailleurs, elle impose que les plateformes ne puissent plus traiter certains types de données personnelles et que les employés ne puissent plus être licenciés sur la base d’une décision prise par un algorithme.
M. Pascal Savoldelli. On ne peut pas être licencié quand on n’a pas de contrat de travail !
Mme Marie-Claude Lermytte. Nous avons deux ans pour transposer cette directive, mes chers collègues. Aussi, je vous invite à observer la plus grande prudence.
Légiférer en premier, c’est souvent servir de fusible et être très vite rattrapé, puis dépassé. Les plateformes se sont toujours adaptées très vite aux normes en vigueur. C’est le propre de l’ubérisation.
L’Espagne a légiféré en premier avec sa fameuse loi Riders, adoptée en 2021, qui a imposé une présomption d’emploi aux plateformes. Quelles en ont été les conséquences ?
Une partie des riders espagnols, c’est-à-dire des coursiers à vélo, ont été salariés. Une autre partie a perdu son emploi en raison, notamment, de la décision de Deliveroo de quitter le marché espagnol.
D’autres entreprises, comme Uber Eats, ont choisi de sous-traiter en embauchant des livreurs via des sociétés intermédiaires, c’est-à-dire de contourner la loi.
Enfin, de nombreux riders espagnols, après avoir été salariés, ont tenté de redevenir indépendants, déçus par le salariat qui entraîne une imposition des revenus, donc une baisse du net disponible, et la fin de la liberté dans l’organisation du travail.
Précurseurs, les Espagnols ont connu les avantages, mais aussi les inconvénients de leurs décisions. En France, nous avons choisi d’agir en Européens, c’est-à-dire d’harmoniser les pratiques, pour que la norme soit la même partout.
Nous attendions donc cette directive et nous aurons à la transposer dans le délai imparti, en observant ce que font nos voisins pour nous en inspirer. Il nous faudra évidemment laisser derrière nous cette mauvaise habitude française de surtransposer les directives européennes.
Nous devrons avoir à l’esprit que la transposition de cette directive sans déstabiliser un modèle économique qui concerne des milliers d’emplois en France sera un exercice périlleux. La fragilisation de cette économie touchera tout d’abord les travailleurs eux-mêmes, puis les consommateurs, pour qui les prix pourraient augmenter.
Sur un tel sujet, la plupart des groupes de cet hémicycle pourraient être au diapason, mais votre proposition de résolution nous indique le contraire.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les sénateurs du groupe Les Indépendants ne s’associeront pas à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. Pascal Savoldelli. On avait compris !
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, cher Pascal Savoldelli, auteur de cette proposition de résolution, la proposition de résolution qui nous est présentée aborde un sujet qui a souvent mobilisé le législateur, en France comme dans d’autres pays : les conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques.
J’en profite pour remercier Brigitte Devésa d’avoir cité Catherine Fournier, avec laquelle j’avais réalisé un rapport sur le sujet voilà quelques années. Nous ne l’oublions pas.
Monsieur Savoldelli, évoquant dans votre exposé des motifs la nature de la directive, issue d’un accord conclu entre le Parlement et le Conseil de l’Europe le 8 février dernier et qui vise à améliorer les droits des 28 millions de travailleurs des plateformes numériques de l’Union européenne, vous parlez d’un « compromis équilibré ». Nous aurons l’occasion d’en discuter.
Quoi qu’il en soit, convenons que le développement des plateformes soulève principalement deux problèmes : le statut de leurs travailleurs, qui ont des profils divers, et les modèles des plateformes, qui sont tout aussi divers.
Enfin, dans un marché concurrentiel, convenons qu’il faut se poser la question de l’échelon pertinent pour aborder ces sujets.
Vous soulignez que « ce nouveau modèle économique permet aux plateformes de s’affranchir du financement de la protection sociale », brossant un tableau quelque peu obscur des conditions de travail de ces travailleurs indépendants et évoquant la nécessité de stabiliser les processus, afin de désembouteiller les juridictions. Fort de cette analyse, vous demandez au Gouvernement de transposer en urgence et de façon « ambitieuse » la directive européenne.
Si nous pouvons partager certains de vos constats, notamment la nécessité de sécuriser les dispositifs concernés et la pertinence de l’échelon européen, notre groupe est en désaccord avec vous sur plusieurs points.
En ce qui concerne tout d’abord les conditions de travail des salariés de cette forme de travail intermédié, nous considérons, et sans doute y a-t-il là une divergence d’approche entre nous, que l’émergence des plateformes numériques peut être une chance.
Elle a offert à de nombreux travailleurs parfois éloignés du marché du travail la possibilité d’exercer une activité professionnelle. Elle a également permis à des salariés de compléter leur temps de travail et d’améliorer leur pouvoir d’achat. Même si elle n’est pas parfaite, cette forme de travail indépendant doit donc être encouragée en raison du potentiel d’emplois qu’elle représente.
Pour autant, nous sommes d’accord, cette forme d’activité peut être source de précarité sociale pour les « travailleurs concernés ». J’insiste sur cette expression, car je tiens à distinguer ces travailleurs des personnes qui sous-louent des comptes et dont l’activité peut s’apparenter à un travail dissimulé ou illégal condamnable. C’est aussi malheureusement ce dont souffrent ces modèles. Notre groupe avait d’ailleurs proposé de supprimer les possibilités de sous-location de comptes.
Pour les « salariés réels », la possible précarité sociale est à relier, j’y insiste, aux lacunes de la protection sociale de tous les travailleurs indépendants, notamment des autoentrepreneurs, qui ne sont pas obligatoirement couverts contre les accidents du travail, qui ne disposent pas d’une véritable assurance contre le risque de chômage et qui, souvent, ne cotisent pas aux caisses de retraite.
C’est à travers ce prisme des travailleurs indépendants, qui est plus large que celui des travailleurs des plateformes, que la majorité du Sénat a travaillé dès 2016, puis en 2019 et en 2021, pour aboutir à la création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi. Vous en avez d’ailleurs parlé, mon cher collègue, en faisant un constat quelque peu sévère, que Mme la ministre pourra peut-être contester après moi.
Il ne s’est pas seulement agi des « 10 centimes d’euros » que vous avez évoqués, monsieur Savoldelli. Onze accords ont été conclus depuis 2022 et d’autres accords devraient être trouvés dans le cadre du cycle 2024 entre les représentants des plateformes et ceux des « salariés », ou en tout cas des autoentrepreneurs.
M. Pascal Savoldelli. Ce ne sont pas des salariés !
Mme Frédérique Puissat. J’ai bien précisé que je mettais le terme entre guillemets.
Nous ne partageons donc pas la tonalité catastrophiste de votre exposé des motifs. En ce qui concerne la directive européenne, dont votre résolution demande la transposition, elle permettrait de franchir une étape importante en fixant une présomption légale de salariat. La charge de la preuve serait inversée par rapport au droit existant en France.
Aujourd’hui, notre groupe s’interroge sur l’opportunité d’une résolution ayant pour objet de transposer cette directive européenne « au plus vite, sans attendre le délai de deux années, et de la façon la plus ambitieuse ». En effet, cela revient à faire l’impasse sur le dialogue social qui est nécessaire pour définir, notamment, les critères caractérisant un contrat de salarié. Madame Ollivier, ce délai de deux ans nous permettra également de mesurer au mieux l’impact financier de la transposition.
Par conséquent, le groupe Les Républicains est défavorable à l’adoption de cette résolution. Nous vous donnons rendez-vous le 2 décembre 2026 pour la mise en œuvre de cette directive européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la ministre, mon cher collègue Pascal Savoldelli, mes chers collègues, le 14 octobre dernier, le Conseil de l’Union européenne a approuvé la directive relative aux travailleurs des plateformes numériques.
Le compromis trouvé par les États membres, au terme de plusieurs années de négociations, marque une avancée réelle pour les droits des travailleurs qui y ont recours. La proposition de résolution déposée par le groupe CRCE-K, que nous examinons aujourd’hui, nous donne, pour la première fois, l’occasion de le reconnaître et de le saluer.
Alors que le nombre des travailleurs des plateformes ne cesse de croître dans l’Union européenne – ils seraient 43 millions cette année –, les Vingt-Sept se devaient d’harmoniser les règles en vigueur au sein des États membres. C’est chose faite, même si le travail de transposition ne fait que commencer dans l’ensemble des pays de l’Union.
La directive adoptée fixe ainsi pour la première fois des règles de gestion algorithmique, en garantissant davantage de transparence en matière de surveillance ou de protection des données personnelles et en interdisant les décisions automatiques.
Elle rééquilibre par ailleurs le pouvoir de négociation des travailleurs en instituant une obligation légale de présomption de salariat, inversant la charge de la preuve aujourd’hui en vigueur.
Elle devrait permettre un recul des abus et une plus grande sécurisation du statut d’emploi pour chaque travailleur, avec plus de droits sociaux, sans limiter pour autant les avantages et les possibilités que le travail sur plateforme peut offrir.
Au cours de ces négociations, la France a maintenu une position constante. Elle n’a eu de cesse de dire que, au-delà de cette directive, les avancées les plus significatives seraient obtenues par le dialogue social entre les plateformes et les représentants des travailleurs.
Nous le réaffirmons avec force, ce dialogue fonctionne. Il a permis d’obtenir des avancées concrètes ces dernières années. Je pense au revenu minimal par course, à l’évolution des modalités de rupture ou à la liberté de choix des courses.
J’en viens au texte qui nous réunit aujourd’hui.
Entendons-nous bien, si notre groupe se félicite de l’adoption de cette directive, nous ne pourrons malheureusement pas soutenir la proposition de résolution portée par nos collègues du groupe CRCE-K.
Principal objet de désaccord entre nous, vous proposez de transposer « sans attendre » et « de la façon la plus ambitieuse » la directive européenne sur les travailleurs des plateformes, faisant courir le risque d’une transposition hâtive, voire d’une surtransposition, une pratique dont nous sommes coutumiers en France.
Un dialogue a été amorcé par les États membres, afin de sécuriser l’interprétation à donner à ses dispositions. Au vu de la complexité de la directive, un travail précipité présenterait un risque en matière tant de sécurité juridique que de cohérence avec les orientations européennes. (M. Pascal Savoldelli proteste.)
Il ne laisserait en outre pas le temps de mener les concertations nécessaires avec l’ensemble des parties prenantes, notamment sur le sujet de la protection des données personnelles.
Le délai fixé pour transposer la directive dans le droit national est de deux ans. Ce n’est pas un hasard. Laissons donc au Gouvernement, comme au Parlement, le temps de travailler.
À ce titre, l’exemple espagnol que vous citez doit être considéré avec précaution. La loi Riders créant une présomption de salariat est en effet loin d’avoir atteint ses objectifs en raison de trop nombreux effets de bord. Il nous semble qu’un travail commun avec les États membres pour garantir des interprétations cohérentes du texte permettrait d’arriver à un résultat plus abouti.
Pour ce qui concerne la possibilité d’édicter dans la loi des critères de subordination et de créer une aide juridictionnelle au profit des travailleurs, ainsi que vous le proposez, je rappellerai deux choses.
En premier lieu, il est déjà possible pour un travailleur d’agir en justice pour demander au juge de requalifier son contrat commercial en contrat de travail. La justice a ainsi procédé à de nombreuses requalifications ces dernières années, lorsqu’elle a constaté un lien de subordination.
En second lieu, les travailleurs indépendants peuvent d’ores et déjà recourir à l’aide juridictionnelle de droit commun. Je ne vois pas pourquoi l’on devrait déroger au droit commun en la matière.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, tout en vous remerciant une nouvelle fois d’avoir soumis au débat ce sujet très important, je suis au regret de vous confirmer – vous l’aurez déjà compris – que le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants ne soutiendra pas cette proposition de résolution.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le combat contre le travail qui rend pauvre est au cœur de la matrice des socialistes et, plus généralement, de la gauche, en France, en Europe et dans le monde entier.
Alors que, depuis cent cinquante ans, le mouvement social n’a eu de cesse de s’organiser pour donner des droits à ceux qui n’en ont pas et des protections à ceux qui en sont dépourvus face au capitalisme vorace, voilà que le libéralisme profite d’une nouvelle révolution pour mettre à mal notre État social.
Oui, la plateformisation du travail, avec la boîte noire algorithmique qu’elle porte au cœur de sa matrice, est un cheval de Troie contre notre modèle social français et européen !
Oui, la bataille pour la requalification des livreurs à vélo et des chauffeurs de VTC est un combat sociétal, plutôt que sectoriel ; il est un énième arbre cachant la forêt de la précarité et de l’exploitation des plus fragiles.
Cette proposition de résolution s’inscrit dans la longue liste des initiatives, françaises et européennes, de gauche, visant à reconnaître, voire à conquérir, des droits sociaux pour les travailleurs qui en ont le plus besoin.
Madame la ministre, votre politique de protection des plateformes, plutôt que de leurs travailleurs, qui est menée depuis bientôt huit ans, doit cesser !
Alors que, depuis la crise sanitaire et les confinements, les habitants des grandes villes, ainsi que, de plus en plus, ceux des villes moyennes, utilisent à l’excès les plateformes de livraison de repas, la requalification de ces travailleurs, que l’on disait alors « de deuxième ligne », s’impose.
Madame la ministre, la directive européenne issue des efforts de Nicolas Schmit doit être appliquée dans sa version la mieux-disante. Les plateformes doivent être transparentes dans leur fonctionnement et leurs relations avec les travailleurs, en commençant par les algorithmes qu’elles utilisent.
Nous voterons bien sûr ce texte de nos collègues communistes, mais nous posons déjà les jalons de la suite du combat.
Madame la ministre, pourquoi continuez-vous d’entretenir l’Arpe ? Ce pseudo-dialogue social n’a aucun sens et ne peut être la solution ! Nous n’avons eu de cesse de le dire lors des débats sur les fameuses ordonnances Mettling, et les chauffeurs de VTC l’ont également exprimé par leur vote.
Madame la ministre, il est temps de lutter contre l’exploitation des plus précaires qui sévit aujourd’hui. Nous ne sommes plus au temps des étudiants qui faisaient des livraisons à vélo pour compléter leurs fins de mois. De sous-compte en faux contrat, ce sont des milliers de travailleurs sans papiers qui sont aujourd’hui esclaves de nos applications. Donnez donc à l’Urssaf et à l’inspection du travail les moyens de contrôler efficacement les plateformes, et régularisez les travailleurs !
Madame la ministre, alors que la France reste un phare pour les droits des travailleurs et des plus fragiles dans le monde, elle ne peut continuer à être l’Eldorado du capitalisme de plateforme, qui met à mal cent cinquante ans de progrès social. Il faut reprendre le flambeau de la conquête des droits sociaux et de la protection des plus précaires ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 24 avril dernier, le Parlement européen a adopté une directive renforçant les droits de travailleurs des plateformes numériques. L’adoption d’une réglementation était nécessaire, afin de limiter certains abus qui avaient vu le jour à la suite de l’émergence des nouvelles pratiques de travail liées à l’ubérisation.
Il convenait donc de protéger les travailleurs indépendants face à des conditions de travail pouvant parfois s’apparenter à des contrats de travail déguisés, tout en évitant d’oblitérer la compétitivité des entreprises.
Plusieurs décisions de justice ont en effet constaté l’existence d’un lien de subordination entre le travailleur et la plateforme, ce qui peut entraîner la requalification de la relation en contrat de travail ou aboutir à une condamnation pour travail dissimulé.
Pour cette meilleure protection, plusieurs mesures faisant l’unanimité ont été adoptées à l’échelon européen. La directive déjà évoquée permet ainsi de mieux réglementer les systèmes de surveillance algorithmiques.
Les travailleurs des plateformes devront être dûment informés de l’utilisation de systèmes de surveillance ou de prises de décision automatisées en ce qui concerne leur recrutement, leurs conditions de travail ou encore leur rémunération.
De même, une personne effectuant un travail via une plateforme ne pourra plus perdre son job sur la base d’une décision prise par un algorithme. Ainsi, les plateformes devront assurer une surveillance humaine des décisions importantes, celles qui affectent directement les personnes effectuant un travail via une plateforme.
Cette directive renforce également la protection des données personnelles des travailleurs, puisque les systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés seront interdits aux fins de traitement de certaines données à caractère personnel, notamment les données biométriques ou celles qui concernent l’état émotionnel ou psychologique du travailleur.
Enfin, et c’est le point sur lequel il a été le plus difficile de trouver un accord entre les États membres, la directive tend à créer une présomption de relation de travail, par opposition au travail indépendant. Cette présomption s’appliquerait dès que des faits indiquent la présence d’un contrôle et d’une direction, conformément au droit national et aux conventions collectives, et en tenant compte de la jurisprudence européenne.
Les États membres devront établir cette présomption légale d’emploi à l’échelle nationale, afin de corriger le déséquilibre de pouvoir entre la plateforme de travail numérique et la personne effectuant le travail via la plateforme. La présomption sera certes réfutable, mais la charge de la preuve incombera à la plateforme : celle-ci devra prouver que la relation contractuelle n’est pas une relation de travail.
Cette mesure a fait l’objet d’un clivage entre, d’un côté, l’Espagne et la Belgique, qui voulaient un texte particulièrement ambitieux, et, de l’autre, les États de l’Europe du Nord, ainsi que la France, qui souhaitaient davantage miser sur la négociation collective. Force est de constater que c’est bel et bien la première solution qui a été retenue et que, en vertu du droit européen, la France sera obligée de l’appliquer.
La transposition de la directive devra donc intervenir d’ici au mois de décembre 2026, soit dans moins d’un an. Au regard de la complexité du sujet en question, qui devra s’insérer au sein de notre droit du travail, dont nous savons qu’il est déjà bien fourni, ce délai apparaît assez court. Je ne doute pas que les services du ministère du travail sont d’ores et déjà à l’œuvre pour assurer une transposition cohérente.
Aussi, l’objet de cette proposition de résolution, à savoir un appel à une transposition rapide de la directive, me paraît, ainsi qu’au groupe Les Républicains, inopportun.
Les délais sont déjà extrêmement contraints et si, à l’instar des auteurs de la proposition de résolution, nous souhaitons une mise en œuvre ambitieuse de la directive, il convient de laisser du temps au temps. Une transposition précipitée ne pourrait en effet avoir que des effets délétères, pour les travailleurs comme pour les entreprises françaises qui s’inscrivent dans le modèle des plateformes numériques.
Le Parlement aura éventuellement son mot à dire lorsque le projet de loi de transposition sera déposé, s’il le juge opportun. Dans l’attente, comme les autres membres de mon groupe, je voterai contre cette proposition de résolution, dont l’objectif peut sembler positif à première vue, mais qui, en réalité, n’encourage pas réellement une transposition effective de la directive. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux avant tout remercier les sénateurs du groupe CRCE-K, en particulier M. Pascal Savoldelli, d’avoir fait inscrire cette proposition de résolution à l’ordre du jour de votre assemblée. Oui, les travailleurs des plateformes méritent d’être protégés ; ils doivent l’être, que ce soit par la loi ou par des dispositions conventionnelles.
C’est un sujet qui m’est personnellement cher. En tant que députée de Paris, en 2023, j’avais d’ailleurs rencontré l’un des avocats des livreurs en grève d’une des plateformes qui a été mentionnée, cet avocat travaillant dans ma circonscription.
M. Pascal Savoldelli. Vous avez aussi été la conseillère de Macron dans ses discussions avec Uber !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Comme vous, je pense que la directive 2024/2831 constitue une avancée importante sur deux plans.
Il faut d’ailleurs se féliciter que, en quelques mois, l’Union européenne ait pu adopter deux directives de progrès : celle dont nous discutons, mais aussi la directive relative à la transparence des différences de rémunération entre hommes et femmes, deux textes dont nous devrons naturellement délibérer et qu’il nous faudra transposer d’ici au printemps 2026.
Face au développement de nouvelles formes économiques, le Gouvernement est attentif à tenir un double équilibre. D’un côté, nous devons permettre le développement des plateformes qui, en répondant à des besoins nouveaux, du côté tant des consommateurs que des travailleurs, participent à la création de valeur et d’emplois ; de l’autre, il importe de bâtir une régulation sociale protectrice pour les travailleurs, dans la mesure où leurs relations avec les plateformes peuvent être déséquilibrées.
Ce déséquilibre peut être particulièrement marqué en matière d’accès aux droits – je pense à la santé, aux accidents du travail, ou à la prévoyance –, d’autant que, comme cela a été souligné, ces travailleurs travaillent souvent de manière isolée et éprouvent par conséquent des difficultés à se rassembler pour défendre leurs droits.
La législation française s’est donc adaptée pour renforcer les obligations et les responsabilités sociales des plateformes vis-à-vis des travailleurs indépendants. Nous avons fait émerger un cadre de négociation collective spécifique, avec la création en 2021 de l’Autorité de régulation des plateformes électroniques.
Ce dialogue est parfois difficile, en particulier en raison de l’asymétrie qui existe entre les acteurs, mais il a produit des résultats qui sont déjà concrets ; ce n’est donc pas tout à fait un cache-misère, comme j’ai pu l’entendre dire ici et là. Au total, neuf accords ont été conclus ces dernières années.
Ces accords, ce ne sont pas les plateformes qui les édictent : ils sont conclus par les partenaires sociaux. Il y en a eu cinq dans le secteur des VTC, sur le prix de la course, la méthode, la transparence, les revenus et le libre choix, et quatre dans le secteur de la livraison, sur les ruptures de contrat, les revenus, la méthode et les discriminations.
Je me dois aussi de rappeler que le droit en vigueur permet déjà au juge de requalifier une relation commerciale en contrat de travail, comme cela a été rappelé par un certain nombre d’orateurs. Depuis mars 2020, la Cour de cassation a ainsi pu rendre une série de décisions très importantes en faveur de requalifications significatives. Parallèlement, en matière pénale, le juge a pu prononcer plusieurs condamnations pour travail dissimulé.
La directive dont nous débattons a été publiée, il faut tout de même le rappeler, le 11 novembre 2024, soit il y a trois mois seulement. Nous nous rejoindrons sur un point : ce texte est très ambitieux. Il mérite donc que nous prenions collectivement le temps, notamment avec les partenaires sociaux, d’en analyser la portée.
Des travaux techniques sont d’ailleurs toujours en cours à Bruxelles, où la Commission européenne anime des groupes de travail pour éclaircir certains points. Je pense notamment aux dispositions relatives à la gestion algorithmique, qui imposent aux plateformes des obligations pour l’usage qu’elles font des systèmes automatisés de surveillance et de prise de décision dans leurs relations commerciales avec les travailleurs.
Ces dispositions nouvelles constituent un ensemble de règles spéciales par rapport au règlement général sur la protection des données (RGPD), au code du travail, ou encore à la loi Informatique et Libertés. L’effet qu’aura leur transposition sur notre droit nécessite donc un travail approfondi. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’aucun pays de l’Union européenne n’ait encore transposé cette directive : tout cela mérite un peu de temps.
Les auteurs de la proposition de résolution demandent au Gouvernement de transposer rapidement, dès maintenant, mais ce travail va prendre quelques mois. Ce temps sera nécessaire et utile.
Le Gouvernement a mis en action un travail interministériel pour instruire l’ensemble des questions techniques, notamment celles qui portent sur le management algorithmique, question beaucoup plus complexe qu’on ne le croit. Nous souhaitons engager sur cette base des concertations approfondies avec les partenaires sociaux, pour évaluer l’impact de ces dispositions sur le secteur économique concerné et assurer une transposition aussi optimale qu’adaptée au modèle français, fondé sur le dialogue social.
Comme cela a été souligné par un certain nombre d’orateurs, la réalité économique des plateformes dépasse désormais les secteurs du transport de personnes et de la livraison. Nous devons donc identifier, ensemble, nos interlocuteurs dans l’ensemble des secteurs concernés.
Notre objectif est de commencer des consultations formelles à partir de mai ou juin 2025. Le Parlement sera évidemment saisi, bien en amont de l’échéance du 2 décembre 2026, car je connais l’engagement des parlementaires sur cette question.
Vous pouvez ainsi constater que, en tant que ministre du travail, je souhaite transposer cette directive européenne dans le temps imparti, en menant toutes les concertations nécessaires.
Quant à ce que vous nous proposez, mesdames, messieurs les sénateurs, à savoir une transposition express qui serait forcément une surtransposition, je ne saurais malheureusement vous suivre dans cette voie. Dès lors, pour toutes les raisons que j’ai exposées, j’invite votre assemblée à rejeter cette proposition de résolution.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution tendant à l’application en droit français de la directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), notamment son article 101,
Vu le traité sur l’Union européenne,
Vu l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 26 octobre 2012 (2012/C 326/02),
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme COM (2021) 762 final,
Vu la résolution 2019/2186 (INI) du Parlement européen du 16 septembre 2021 sur des conditions de travail, des droits et une protection sociale justes pour les travailleurs de plateformes – nouvelles formes d’emplois liés au développement numérique,
Vu le vote du Parlement européen du 2 février 2023 en faveur de la décision d’engager des négociations interinstitutionnelles sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme COM (2021) 762 final,
Vu le rapport (A9-0301/2022) adopté le 12 décembre 2022 par la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme COM (2021) 762 final,
Vu les discussions au sein du Conseil ou de ses instances préparatoires qui ont eu lieu entre le 10 décembre 2021 et le 12 juin 2023,
Vu le document intitulé « FR comments on the provisional agreement rejected at Coreper of 22 December 2023 »,
Vu le rapport de la Commission européenne sur le « Travail à la demande » du 24 mars 2021,
Vu le rapport du Parlement européen sur les « Travailleurs des plateformes : défi et opportunité pour le marché du travail » du 19 janvier 2017,
Vu l’avis du Comité économique et social européen sur « Le travail dans l’économie collaborative : aspects économiques et sociaux », émis le 25 janvier 2016,
Vu l’avis du Comité économique et social européen sur « Le rôle des plates-formes numériques dans la transformation du travail », émis le 25 septembre 2020,
Vu le rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT) intitulé « Travailler à l’ère de la plateforme : Rapport sur l’emploi dans l’économie des plateformes » publié en 2018,
Vu le rapport d’information du Sénat n° 867 (2020-2021) de M. Pascal Savoldelli, fait au nom de la mission d’information sur l’ubérisation de la société, intitulé « Plateformisation du travail : agir contre la dépendance économique et sociale » déposée le 29 septembre 2021,
Vu le rapport d’information du Sénat n° 27 (2022-2023) de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey, fait au nom de la commission des affaires européennes, intitulé « Travailleurs de plateformes : pour un cadre européen protecteur et adapté » déposé le 5 octobre 2022,
Vu le rapport de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files : l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences, de Mme Danielle Simonnet, n° 1521 (16e législature), adopté le 11 juillet 2023,
Vu l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendu le 20 décembre 2017 dans l’affaire C-434/15 affirmant que le service UberPop était un service de transport et non un service de la société de l’information,
Vu l’arrêt « Bardou » de la chambre civile de la Cour de cassation du 6 juillet 1931 posant le lien de subordination comme critère à la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail,
Vu les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation sur les pourvois n° 17-20.079 du 28 novembre 2018 (Take Eat Easy) et n° 19-13.316 du 4 mars 2020 (Uber),
Vu le jugement du tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire Deliveroo du 19 avril 2022 (n° 20/0714) infligeant à Deliveroo France une amende de 375 000 euros pour « travail dissimulé »,
Vu le jugement du conseil des prud’hommes de Lyon du 20 janvier 2023 condamnant la société Uber à requalifier les contrats de partenariat de 139 chauffeurs en contrats de travail et à leur verser 17 millions d’euros,
Vu les observations définitives de la Cour des comptes relatives aux conseils de prud’hommes en date de juin 2023,
Vu la décision du tribunal aux Pays-Bas dans l’affaire Rider X (Pays-Bas, 2018) statuant en faveur d’un livreur de repas à vélo et affirmant qu’il était un employé plutôt qu’un entrepreneur indépendant,
Vu la décision du tribunal espagnol dans l’affaire Glovo (Espagne, 2019) ayant requalifié le contrat d’un livreur de Glovo en contrat de travail et reconnu ainsi son statut d’employé,
Vu la décision du Parquet de Milan du 24 février 2021 enjoignant à plusieurs plateformes de procéder à la « requalification contractuelle » de leurs relations avec leurs 60 000 chauffeurs en « travailleurs »,
Vu la décision du tribunal du district d’Amsterdam du 13 septembre 2021 affirmant que « la relation juridique entre Uber et ces chauffeurs répond à toutes les caractéristiques d’un contrat de travail »,
Considérant que les 28,3 millions de travailleurs des plateformes européens représentent autant que les emplois du secteur de l’industrie manufacturière et qu’ils sont amenés à croître de façon exponentielle pour atteindre 43 millions en 2025 ;
Considérant que ce serait près de 5 millions d’indépendants européens (19 % du total) qui devraient être requalifiés ;
Considérant que le niveau de précarisation menace les systèmes de protection sociale des États-membres de l’Union européenne, si bien que 55 % gagnent moins que le salaire minimum horaire net du pays où ils ou elles travaillent et que 41 % du temps consacré au travail via une plateforme n’est pas rémunéré ;
Considérant les carences du modèle d’organisation et de représentation des travailleuses et travailleurs des plateformes numériques de travail du fait de l’hétérogénéité de leurs tâches et de leur isolement ;
Considérant les excès et le dévoiement du statut d’autoentrepreneur, notamment en période de crise économique ;
Considérant les situations de concurrence déloyale qui menacent des pans entiers de certains secteurs économiques traditionnels ;
Considérant l’évolution du cadre législatif espagnol supprimant la présomption d’indépendance au profit d’une présomption de salariat avec une reconnaissance de la place centrale de l’algorithme et de la responsabilité sociale des plateformes numériques de travail ;
Considérant que les décisions de justice convergent vers la requalification et la reconnaissance de la subordination ;
Considérant que la multiplication des contentieux de ces travailleurs et travailleuses engorge les tribunaux et allonge significativement les délais subis par les justiciables ;
Appelle le Gouvernement à transposer, au plus vite, sans attendre le délai de deux années et de la façon la plus ambitieuse, les dispositions de la directive sur les travailleurs des plateformes numériques, y compris quand ceux-ci sont dans une relation contractuelle avec des intermédiaires, au sens de l’article 3 de la directive ;
Invite le Gouvernement à prendre des mesures de contrôle importantes pour permettre une détermination correcte du statut professionnel, le cas échéant, via l’édiction dans la loi de critères de subordination adossés à la présomption légale de salariat pour toutes et tous les travailleurs de plateformes en proie à un contrôle et une direction ;
Encourage la mise en place de procédures simples et lisibles en faveur de la reconnaissance d’une présomption légale aux travailleuses et aux travailleurs afin de les requalifier, y compris pour satisfaire des enjeux fiscaux et sociaux ;
Estime impératif le renforcement des moyens de l’inspection du travail par le recrutement d’un nombre significatif d’agents de contrôle à même, notamment, d’engager les procédures appropriées à la suite d’un contrôle pour caractériser en droit la présomption de salariat afin de rendre effectifs les articles 4 et 5 de la directive ;
Salue la mise en place d’une véritable régulation applicable aux données personnelles des travailleuses et des travailleurs des plateformes ;
Encourage la mise à la disposition, prévue à l’article 9 de la directive, des systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés des travailleurs, de leurs représentants et des agences de contrôles, seule à même d’ouvrir la boîte noire que constitue la subordination algorithmique ;
S’inquiète qu’il appartienne aux plateformes numériques d’évaluer les risques des systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés et de prendre des mesures protectrices alors que des institutions publiques de contrôle paraissaient toutes indiquées pour le faire ;
Regrette la place qui est laissée aux représentants des travailleurs alors que le dialogue social est erratique, dysfonctionnel et que la représentativité de la diversité des métiers n’est pas garantie au sein de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) ;
Invite le gouvernement à prévoir des procédures de recours et des mesures de sanction en cas de rétention d’information de la part des plateformes numériques, prévues à l’article 17 de la directive ;
Souhaite que des dispositions contraignantes soient prises pour garantir la possibilité pour les travailleurs de se contacter, le cas échéant pour s’organiser et faire valoir leurs droits, de façon sécurisée et sans surveillance, conformément aux exigences de l’article 20 de la directive ;
Invite le Gouvernement à donner toute latitude aux juridictions nationales pour l’accès à des informations confidentielles lorsqu’elles font office de preuve ;
Encourage la mise en place d’une aide juridictionnelle pour les travailleuses et travailleurs de plateformes engagés dans un contentieux en faveur de la reconnaissance de leur statut de salarié ;
Appelle le Gouvernement à prévoir des dispositions fermes contre les représailles, sur fond de discrimination pouvant aller jusqu’au licenciement, qui pourraient être intentées contre les travailleurs des plateformes engagés dans une procédure, contentieuse ou non, visant au respect de leurs droits ;
Souhaite une coopération renforcée entre les autorités compétentes et les juridictions nationales des États membres pour faire respecter les dispositions de la directive ;
Insiste sur la possibilité conférée aux États membres, en vertu de l’article 26 de la directive, « d’appliquer ou d’instaurer des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs des plateformes, ou de favoriser ou de permettre l’application de conventions collectives qui sont plus favorables aux travailleurs des plateformes, conformément aux objectifs de la présente directive ».
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 205 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 115 |
Contre | 226 |
Le Sénat n’a pas adopté.
12
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.
Mme Ghislaine Senée. Lors du scrutin public n° 200 sur l’article 1er de la proposition de loi visant à indexer les salaires sur l’inflation, mon collègue Grégory Blanc souhaitait s’abstenir.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.
13
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport a émis un avis favorable, par vingt voix pour et aucune voix contre, à la nomination de Mme Coralie Chevallier à la présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.
14
Modifications de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour du mercredi 12 mars de trois conventions internationales, qui seraient examinées selon la procédure d’examen simplifiée.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions en conséquence fixer le délai limite de demande de retour à la procédure normale pour l’examen de ces conventions au lundi 10 mars à quinze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Par ailleurs, par lettre en date de ce jour, M. François Patriat, président du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, demande l’inscription à l’ordre du jour de l’espace réservé à ce groupe, le mercredi 9 avril, de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes du chlordécone, ainsi que de la proposition de loi visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l’aide d’aéronefs télépilotés.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions prévoir une discussion générale de quarante-cinq minutes pour chacun de ces textes et fixer le délai limite de dépôt d’amendements en séance publique respectivement au lundi 7 avril à douze heures, pour le premier, et au jeudi 3 avril à douze heures, pour le second.
Le délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes dans la discussion générale pourrait enfin être fixé, pour chacun de ces textes, au mardi 8 avril à quinze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
15
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 20 février 2025 :
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
Proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire, présentée par M. Stéphane Demilly et plusieurs de ses collègues (texte n° 190 rectifié, 2023-2024) ;
Proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, présentée par MM. Pierre-Antoine Levi, Bernard Fialaire et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 336, 2024-2025).
À l’issue de l’espace réservé au groupe UC et au plus tard à seize heures :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture (texte de la commission n° 356, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)
nomination de membres d’une commission d’enquête
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Commission d’enquête sur la libre administration des collectivités territoriales, privées progressivement de leurs recettes propres, et sur les leviers à mobiliser demain face aux défis de l’investissement dans la transition écologique et les services publics de proximité (dix-neuf membres)
MM. Pascal Allizard, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Bernard Buis, Rémi Cardon, Cédric Chevalier, Mme Brigitte Devésa, M. Thomas Dossus, Mme Corinne Féret, MM. Olivier Henno, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Brigitte Hybert, Corinne Imbert, MM. Ahmed Laouedj, Bernard Pillefer, Christian Redon-Sarrazy, Jean Sol, Laurent Somon et Mme Marie-Claude Varaillas.
nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : Mmes Muriel Jourda, Nadine Bellurot, Catherine Di Folco, Isabelle Florennes, M. Christophe Chaillou, Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Teva Rohfritsch ;
Suppléants : Mme Françoise Dumont, Lauriane Josende, MM. Hervé Marseille, Jérôme Durain, Mme Cécile Cukierman, MM. Pierre Jean Rochette, Michel Masset.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER