M. Jean-Claude Tissot. Dans le même ordre d’idées, je déplore la suppression des objectifs de surface agricole utile en agriculture biologique. Il s’agit d’un énième signal terriblement décevant.
Tout au long du texte sont introduits de grands concepts incantatoires qui, au mieux, seront simplement déclaratifs, au pire, constitueront des appuis législatifs pour déroger au respect d’engagements environnementaux.
Les articles 13 et 15 – le premier allège le régime de répression des atteintes à la biodiversité, le second accélère les contentieux contre les mégabassines et les fermes gigantesques – sont les deux exemples les plus marquants de ces reculs environnementaux. Je le dis sans concession : ils sont inacceptables.
Je suis également inquiet, à un niveau plus global, de la tournure des débats. Outre le fait que nous soutenons deux modèles qui s’opposent, je m’interroge sur le passage en force de certaines dispositions controversées.
Le Conseil d’État a par exemple relevé que les notions d’intérêt fondamental de la Nation, d’intérêt général majeur et de non-régression de la souveraineté alimentaire étaient juridiquement floues et donc potentiellement dangereuses. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie réclame de nouveau le silence.)
Il a également indiqué que l’article 15 présentait des risques d’inconstitutionnalité. Sur ce même article, la Défenseure des droits a considéré qu’il restreignait « de manière disproportionnée le droit au recours des opposants ».
Vous avez fait fi de ces avis, messieurs les rapporteurs, comme vous avez fait fi de la science et des avis de l’Anses et de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
Le texte visait initialement à assurer le renouvellement des générations et à engager l’agriculture sur le chemin des dix prochaines années.
En réalité, vous avez profité du contexte pour inclure dans ce projet de loi un panel de mesures érigeant l’agriculture productiviste comme seule et unique méthode, ainsi qu’une succession de reculs environnementaux.
De notre côté, à compétitivité et productivité, nous ajoutons revenu agricole juste et respect de l’environnement. Tout cela doit aller de pair ! Le seul modèle viable est celui d’une agriculture raisonnée et à taille humaine, respectueuse des agriculteurs, des consommateurs, de la faune, de la flore et des sols.
Pour cela, nous devons en premier lieu assurer aux agriculteurs un revenu juste et rémunérateur. Nous le répéterons jusqu’à ce que nous soyons entendus : nous souhaitons un revenu agricole digne et garanti !
Assurer un revenu juste passe également par une refonte de la PAC pour mettre fin aux inégalités qu’elle entretient de par son mode de distribution.
La question du foncier doit également être abordée au regard de la spéculation et du phénomène d’accaparement des terres. Nous devons réguler !
Sans de réelles avancées sur ces thématiques, nous ne redonnerons pas envie et espoir aux générations futures de s’investir dans ce beau métier de paysan.
Ces avancées doivent se faire sans renoncer à nos ambitions environnementales et de transition agroécologique. Car il ne faut pas oublier que, sans des sols vivants, nous n’avons pas de production.
M. le président. Il faut penser à conclure. (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Et tout à l’heure, alors ?
M. Jean-Claude Tissot. Mettre en place un tel modèle n’est évidemment pas simple, j’en conviens, mais c’est bien la seule direction viable pour notre avenir et celui de nos enfants. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Claude Tissot. Nous, sénateurs socialistes, nous ne pouvons pas faire autrement que de voter contre ce texte qui est à des années-lumière de proposer des solutions concrètes aux agriculteurs ! (Bravo ! Remarquable ! sur des travées du groupe SER. – Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Applaudissements sur des travées du groupe CRCE-K. – Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Harribey félicitent l’orateur quand celui-ci regagne sa place.)
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après des années d’inaction et d’indifférence face aux souffrances du monde agricole, nous nous réjouissons que cela bouge enfin. La version sénatoriale de ce projet de loi apporte des avancées que nous ne pouvons ignorer.
Tout d’abord, nous sommes ravis de voir que sont reprises certaines des propositions que nous portons depuis longtemps (C’est sûr ! sur des travées du groupe SER.), comme la priorité aux agriculteurs français, la protection contre la concurrence déloyale ou la lutte contre la surréglementation et l’inflation normative, ce qui marque, pour la première fois depuis bien trop longtemps, une prise de conscience.
Le Rassemblement national et Marine Le Pen l’ont toujours affirmé : la souveraineté alimentaire doit être une priorité nationale.
Mme Cécile Cukierman. On ne vous a pas attendus !
M. Joshua Hochart. Il était urgent que l’État cesse d’abandonner ceux qui nous nourrissent.
Nos agriculteurs n’en peuvent plus. Ils subissent depuis des décennies des politiques qui les étranglent : fiscalité accablante, normes absurdes, distorsions de concurrence insupportables avec des importations qui ne respectent pas nos standards.
Pendant que nos paysans se battaient pour survivre, l’État les a trop souvent laissés seuls, prisonniers d’un système qui ne les protège pas.
Ce texte apporte enfin une réponse, mais reconnaissons-le : ce n’est qu’un début.
Ce projet de loi contient des mesures positives.
Il amorce une simplification de certaines normes, un allégement partiel des charges et une meilleure prise en compte des contraintes de nos agriculteurs face à la concurrence étrangère.
Il prévoit aussi des dispositifs pour mieux structurer les filières et renforcer notre souveraineté alimentaire.
Ces avancées vont dans le bon sens, mais elles restent trop limitées pour répondre à l’urgence de la situation.
Car la réalité est que ce texte ne s’attaque toujours pas aux racines du problème. Les charges qui pèsent sur nos exploitants restent trop lourdes et les distorsions de concurrence persistent.
Nous aurions voulu voir des mécanismes plus contraignants pour interdire l’importation de produits qui ne respectent pas nos normes.
Nous aurions voulu une refonte plus ambitieuse de la fiscalité agricole afin de garantir un modèle économique viable à long terme.
Nous aurions voulu un cadre plus protecteur pour garantir une juste rémunération aux producteurs.
Mme Cécile Cukierman. Et vos amis de la Coordination rurale ?
M. Joshua Hochart. Sur tous ces points, ce projet reste encore en deçà des attentes.
Nous voterons ce texte, parce qu’il amorce un changement et qu’il serait irresponsable de rejeter ces avancées, aussi partielles soient-elles. Mais nous le faisons avec lucidité : ce vote n’est pas un aboutissement, c’est un point de départ.
Chers collègues de la majorité, vous avez retravaillé ce texte venu de l’Assemblée nationale qui, gangrenée par la gauche et l’extrême gauche (Exclamations amusées sur les travées des groupes CRCE-K et SER.), l’avait largement modifié, voire détruit. Vous l’avez rendu acceptable ; c’est pour cette raison que nous lui apporterons notre soutien.
Mais nous savons d’ores et déjà que nous allons vers la réunion d’une commission mixte paritaire et je veux m’adresser aux membres de cette commission : assumez vos responsabilités, faites en sorte que le texte issu de la CMP soit acceptable pour nos agriculteurs afin qu’ils se sentent enfin écoutés et que leur quotidien s’améliore réellement !
Nous serons là pour rappeler au Gouvernement ses engagements,…
Mme Cécile Cukierman. Nous aussi !
M. Joshua Hochart. … pour veiller à ce que cette première avancée soit non pas un simple effet d’annonce, mais le début d’un véritable renouveau pour notre agriculture.
La France ne peut pas être forte et souveraine sans ses paysans. Nous ne laisserons pas leur détresse être de nouveau ignorée ! (MM. Christopher Szczurek, Stéphane Ravier et Alain Duffourg ainsi que Mme Vivette Lopez applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal et à l’y laisser jusqu’au vote.
Si vous disposez d’une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s’affiche automatiquement sur le terminal en dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous et pour le délégant en sélectionnant le nom correspondant, puis en choisissant une position de vote.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 196 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 218 |
Contre | 107 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord remercier le Sénat d’avoir adopté ce texte, honorant ainsi un engagement pris auprès des agriculteurs il y a près d’un an.
Je voudrais remercier chacun d’entre vous d’avoir participé aux débats, particulièrement la présidente de la commission des affaires économiques, Dominique Estrosi Sassone, et les deux rapporteurs, Franck Menonville et Laurent Duplomb.
Nos débats ont été riches et intéressants ; chacun, où qu’il siège sur ces travées, a affirmé clairement ses positions, souvent au détriment de celles du Gouvernement… (Sourires.) Ainsi va la vie parlementaire ! Il nous faut respecter le Parlement et c’est ce que nous avons fait.
Je veux également avoir une pensée pour les députés qui ont travaillé sur ce texte – j’en faisais partie – et pour le ministre de l’agriculture qui en est à l’origine, Marc Fesneau.
Je crois que cette loi nous place sur le chemin du réarmement de notre puissance alimentaire, un sujet hautement régalien, et qu’elle est loin des caricatures que j’ai parfois entendues durant ces explications de vote. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Je voudrais en rappeler quelques points essentiels : notre agriculture élevée au rang d’intérêt général majeur et notre potentiel agricole au rang d’intérêt fondamental pour la Nation ; les conférences de la souveraineté alimentaire ; la place des femmes en agriculture ; la régénération de l’enseignement agricole ; le diagnostic modulaire pour l’installation ; le droit à l’essai ; le guichet unique pour accueillir tout projet d’activité agricole ; la dépénalisation des atteintes involontaires et non définitives à l’environnement (Vives protestations sur les travées du groupe GEST.),…
M. Thomas Dossus. Une honte !
Mme Annie Genevard, ministre. … un dispositif qui existait dans le texte issu de l’Assemblée nationale et que vous avez souhaité prolonger ; l’importance de la haie.
À ce propos, je voudrais d’ailleurs dire à M. Salmon que 20 millions d’euros supplémentaires seront affectés à la replantation de haies.
M. Daniel Salmon. Bravo !
Mme Annie Genevard, ministre. Vous le voyez, nous ne sommes évidemment pas indifférents à la cause de l’environnement et, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire pendant nos débats, opposer agriculture et environnement est une impasse ! Vous ne m’entendrez jamais exprimer un tel point de vue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
Il appartient maintenant aux rapporteurs et aux membres de la commission mixte paritaire de se mettre d’accord. Cette commission aura lieu ce soir et j’espère qu’elle aboutira avant minuit – pensons à Cendrillon ! Je ne voudrais pas, mesdames, messieurs les sénateurs, commencer le salon de l’agriculture en disant aux agriculteurs que les parlementaires ne les ont pas entendus.
M. Mickaël Vallet. On avait bien compris…
Mme Annie Genevard, ministre. Je compte sur les parlementaires et leur sagesse pour pouvoir dire aux agriculteurs que cette loi les prend en considération et qu’elle les reconnaît dans leur rôle, qui est fondamental. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Je veux à mon tour remercier la présidente de la commission des affaires économiques et les rapporteurs, qui ont écouté tout le monde et se sont engagés pleinement. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Mise au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Lors du scrutin public n° 191 sur l’article 13 du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, ma collègue Marie-Do Aeschlimann et moi-même aurions souhaité nous abstenir.
Lors du scrutin public n° 196 sur l’ensemble de ce projet de loi, Alain Chatillon souhaitait voter pour.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point. Elle figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.
5
Candidatures à une commission mixte paritaire et à une commission d’enquête
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture ainsi qu’à la commission d’enquête sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
6
Principe de laïcité dans le sport
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, présentée par M. Michel Savin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 376 [2023-2024], texte de la commission n° 668 [2023-2024], rapport n° 667 [2023-2024]). (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Savin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les membres du groupe Les Républicains et son président, Mathieu Darnaud, d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour. Je remercie également et félicite Stéphane Piednoir, notre rapporteur, de la qualité de son travail et de la bonne tenue des auditions qu’il a menées sur ce texte.
L’actualité ne nous le rappelle, hélas ! que trop régulièrement : la conception française de la laïcité doit être protégée sans relâche contre ceux qui voudraient faire vaciller les valeurs de la République. Après nos écoles, ce sont maintenant nos enceintes sportives qui assistent, impuissantes, aux tentations communautaristes.
Je fais ainsi miens les propos du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, qui déclarait récemment que, pour lutter contre l’islamisme des Frères musulmans et leur entrisme, il fallait étendre le champ de la laïcité à d’autres espaces publics, par exemple aux compétitions sportives.
Si la laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté religieuse de chacun, elle pose un cadre à l’exercice desdites libertés : ne pas troubler l’ordre public. Ce postulat fondamental n’étant pas toujours respecté, les acteurs du sport s’accordent sur la nécessité et l’urgence de renforcer certains dispositifs, afin d’assurer à tous une pratique sereine et pacifiée.
Concernant l’exercice du sport, depuis de nombreuses années, différents rapports et enquêtes se succèdent pour souligner la fragilité du sport face à la radicalisation et aux dérives contraires aux principes de la République. Pour ma part, j’ai la certitude que les valeurs de dépassement de soi, d’intégration et d’universalité inhérentes au sport permettront d’étendre son accès à tous, quelles que soient l’origine, la religion ou les convictions politiques.
Mme Mathilde Ollivier. C’est le contraire !
M. Michel Savin. Ces valeurs essentielles sont autant d’obstacles aux objectifs des architectes du séparatisme religieux et du prosélytisme. Il s’agit, pour ces derniers, de grignoter méticuleusement du terrain et d’éprouver en permanence les limites de nos principes républicains.
D’aucuns préfèrent se réfugier derrière l’idée selon laquelle ces faits demeurent marginaux. À ceux qui prônent la complaisance face à un phénomène apparemment secondaire, je répondrai d’abord qu’un peu, c’est déjà trop. Surtout, c’est la progression rampante de ce phénomène qui suscite l’inquiétude d’un nombre croissant d’acteurs des milieux sportifs.
Deux exemples parmi tant d’autres me viennent ainsi à l’esprit.
Le premier est celui d’une fédération française d’art martial, qui a fait remonter des situations préoccupantes de clubs où l’on demande que les filles soient voilées et pratiquent avec un entraîneur féminin, sans aucun contact visuel avec les garçons.
Le second est celui d’un match de basket féminin, dans le Tarn, annulé le 6 octobre 2024 en raison de la présence d’une joueuse voilée. Or, s’il est le plus médiatisé, l’exemple des « hijabeuses » n’est que le reflet de revendications qui prolifèrent.
Nous le constatons : une question se pose actuellement au sujet du port du voile, qui n’est pas explicitement interdit. Il ouvre cependant la porte à l’émergence de clubs sportifs communautaires promouvant ouvertement le port de signes religieux.
Dépassés par les pressions et les menaces dont ils sont l’objet, les dirigeants sportifs, les responsables associatifs et les élus locaux pâtissent d’un flou juridique. Celui-ci nourrit confusion et velléités séparatistes en laissant la place aux interprétations divergentes. Notre mobilisation doit être totale pour assurer leur protection.
Ainsi, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a permis d’apporter quelques réponses en la matière. Plusieurs propositions émanant du Sénat ont été adoptées et maintenues dans le texte définitif. Cependant, il est regrettable que tous les moyens n’aient pas été mis en œuvre afin d’assurer la neutralité dans la pratique sportive, ce qui provoque régulièrement des incidents ou des dérives.
Comme cela nous a été rappelé lors des auditions du rapporteur, certaines fédérations, confrontées à de telles problématiques, se retrouvent démunies face à l’absence de normes strictes et générales édictées par l’État.
Si chacun peut, au quotidien et dans le cadre de sa sphère privée, librement pratiquer sa religion, sur un terrain de sport et lors des compétitions, c’est la neutralité qui s’impose.
M. Thomas Dossus. C’est faux !
M. Michel Savin. Le Conseil d’État a reconnu aux fédérations sportives délégataires d’un service public la faculté d’interdire, au sein de leurs statuts, les signes religieux ostensibles sur le lieu et pendant la durée des matchs, afin de prévenir tout affrontement ou toute confrontation sans lien avec le sport. Force est de constater que cela ne suffit plus !
Il est donc temps de sanctuariser le domaine sportif, où la neutralité s’impose, et de réaffirmer haut et fort que la République prime la loi religieuse. Il faut donner un vrai soutien législatif aux fédérations.
À ceux qui prétendent que ce texte empêcherait certaines femmes de pratiquer une activité sportive, je réponds que les interdictions inscrites dans cette proposition de loi sont strictement limitées aux compétitions sportives organisées par une fédération sportive ayant une délégation de service public. Ces rencontres officielles sont également des moments de représentation pour un club, une ville, un territoire. Ce texte n’a donc pas de répercussions sur la pratique du quotidien.
Mme Mathilde Ollivier. Bien sûr que si ! (M. Thomas Dossus renchérit.)
M. Michel Savin. Cette proposition de loi vise également à donner des moyens législatifs aux élus locaux pour que les équipements sportifs ne soient pas détournés de leur destination.
Le service central de renseignement territorial surveille le monde sportif amateur français, où des événements inquiétants se produisent. Une note relève ainsi des prières sur des terrains de football à Perpignan, le rejet de la mixité dans certains clubs de sport, des pressions exercées sur les encadrants et des éducateurs fichés comme salafistes utilisant des tapis de prière dans les gymnases. Le phénomène découle, selon les auteurs de cette note, d’un repli communautaire observé dans plusieurs quartiers où les fondamentalistes religieux ciblent les jeunes, mêlant sport et pratique religieuse. En particulier, ils transforment les vestiaires et les gymnases en salle de prière.
Autre exemple : en novembre dernier, la préfecture de l’Hérault a demandé à la Fédération française de football d’adopter des mesures de suspension à titre conservatoire à l’encontre d’un club en raison de la tenue de rituels de prière accompagnés de musique religieuse, diffusée par les joueurs dans les vestiaires lors de l’avant-match. Il apparaît en effet anormal que ces équipements fassent l’objet d’une telle double utilisation.
Pratique religieuse ou pratique sportive : il faut choisir !
Mme Mathilde Ollivier. Mais non !
M. Michel Savin. Les prières au sein des équipements sportifs pendant les entraînements et les compétitions sont incompatibles avec la neutralité exigée par l’État dans le sport.
Enfin, il convient également de prévoir dans la loi l’application de la laïcité dans les règlements des piscines. En effet, le non-respect des règles communes rompt la promesse d’égalité entre les usagers et peut porter atteinte au bon fonctionnement du service public qu’est une piscine municipale.
Si certaines actions militantes appellent les femmes à exprimer leurs convictions religieuses au sein des piscines et des espaces de baignade publics, cette vision de la femme et de la liberté d’expression n’est pas celle que reconnaît et promeut la République française. Nous le voyons : ces actions sont délibérément provocatrices. Elles ne visent qu’à diviser, à polariser les opinions et à obliger chacun à prendre parti dans un conflit aux antipodes de la pratique sportive.
Mme Mathilde Ollivier. Cela, c’est vous qui le faites !
M. Michel Savin. Face à ces dérives, il est urgent de porter une réglementation claire et ambitieuse dans la loi. Il n’est en effet satisfaisant pour personne que ces questions liées à la pratique religieuse fassent l’objet d’interprétations juridiques différentes selon les lieux et les territoires. Ainsi, il est incompréhensible que le port du burkini soit interdit à Grenoble, mais autorisé à Rennes. L’absence de cadre législatif paralyse la prise de décision, expose les fédérations et limite les moyens de contrôle et les possibilités de sanction du non-respect de la neutralité dans le sport.
Ce texte traduit donc l’ambition de nous doter des instruments désormais nécessaires pour lutter contre le communautarisme et le prosélytisme, opérant un juste équilibre entre préservation des libertés individuelles et respect des principes qui unissent la République. Pour défendre les valeurs du sport au quotidien, il faut mener sans faiblesse et sans ambiguïté la lutte contre toute tentative de propagande religieuse ou politique, toute forme de radicalisation religieuse ou de repli communautaire.
Pour conclure, je le redis : ce texte n’a pas pour objet de combattre une religion (M. Thomas Dossus s’exclame.) ; elle entend combattre une idéologie politique qui défigure une religion, divise les individus et déchire une société. Tel est l’objet de ma proposition de loi, que je vous invite à adopter. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Daniel Chasseing et Stéphane Ravier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Stéphane Piednoir, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Michel Savin traite d’un sujet essentiel : la laïcité, l’un des fondements de notre République, inscrite à l’article premier de notre Constitution.
La laïcité repose sur un équilibre entre la liberté de conscience dans la sphère privée et la neutralité dans la sphère publique. C’est ce modèle, si singulier à la France, que nous devons préserver, en particulier dans le domaine du sport. En effet, ce dernier est un espace de socialisation et de transmission des valeurs républicaines, un vecteur de l’apprentissage de la citoyenneté au même titre que l’école.
Ouvrons les yeux ! Alors que 58 % des licenciés sont âgés de moins de 20 ans, 6,3 millions d’entre eux ayant entre 1 et 13 ans, le sport joue un rôle central dans l’éducation au respect des règles communes et à l’égalité. Les valeurs fondamentales du sport sont des valeurs citoyennes. Les seules règles et les seules différences admissibles sur le terrain sont ainsi celles qu’induit le sport lui-même.
Nulle stigmatisation ne doit être permise. En particulier, les revendications politiques ou religieuses n’ont pas leur place dans le sport, comme le rappelle le 2 de la règle 50 de la Charte olympique : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »
Les atteintes à la laïcité dans le sport ne sont pas un phénomène récent, mais elles ont trop longtemps été minimisées, occultées, voire encouragées. Nous ne devons plus renoncer à traiter ce sujet, sans quoi nous risquons le développement rampant d’un communautarisme contraire à nos valeurs.
Dès 2003, le rapport de Bernard Stasi sur l’application du principe de laïcité dans la République signalait l’émergence d’équipes qualifiées de « communautaires ». Son auteur regrettait, en outre, le recul de la pratique sportive féminine dans certains quartiers – déjà à l’époque ! Nous ne pouvons plus accepter cette seule alternative : se soumettre à la nouvelle règle érigée par quelques-uns ou s’exclure et laisser le champ libre au communautarisme.
L’émergence de cette problématique à l’école, à fin des années 1980, constitue un précédent. Or il aura fallu attendre quinze ans pour apporter une réponse claire, avec la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Qualifiée d’inopportune et d’inapplicable à l’époque, cette loi ne souffre plus, aujourd’hui, aucune contestation.
Pour paraphraser Jean Zay, selon qui « les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas », le sport doit rester la citadelle imprenable sur laquelle les attaques à la laïcité se fracassent. Ainsi, il est le nouveau terrain d’expression de ce que nous appelons aujourd’hui le « séparatisme ». Ce phénomène est désormais largement documenté par plusieurs rapports parlementaires récents, notamment celui de la commission d’enquête du Sénat de 2020 sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre.
Les atteintes à la laïcité prennent des formes variées et ne sont évidemment pas toutes de même nature. Cependant, elles font l’objet d’un constat partagé par de nombreux acteurs, témoins de la progression inquiétante de comportements remettant en cause le vivre-ensemble et l’universalité du sport.
Ces atteintes sont, certes, difficiles à quantifier au sein des 360 000 associations sportives, mais quelques chiffres permettent néanmoins d’illustrer le phénomène. Ainsi, en cinq ans, 592 alertes ont été rapportées aux cellules de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir).
Par ailleurs, en 2021, Roxana Maracineanu, alors ministre déléguée chargée des sports, déclarait que 127 associations sportives avaient été identifiées comme étant en relation avec une mouvance séparatiste. Parmi elles, 29 étaient tenues par l’islam radical. Pourtant, seulement cinq de ces clubs ont été fermés, ce qui en laisserait 122 ouverts, voire plus encore. Cela représente potentiellement 11 000 sportifs pratiquant dans des clubs en lien avec la mouvance séparatiste. Qui peut, aujourd’hui, s’accommoder d’un tel constat ?
Outre ces données, de nombreux témoignages de terrain font état d’évolutions préoccupantes : extension du port du voile, prières collectives dans les vestiaires et sur les terrains, demandes de modification de l’horaire des matchs, rejet de la mixité, ou encore refus de saluer l’adversaire. Les disciplines les plus touchées sont le football, les sports de combat, le tir à l’arc et la musculation.
Ces phénomènes sont difficilement quantifiables, mais les occulter serait désormais une faute. Nous ne pouvons pas, en tant qu’élus, rester indifférents aux multiples alertes qui nous sont adressées, lesquelles témoignent d’une érosion progressive du lien social.
Dans ce contexte, la proposition de loi de notre collègue Michel Savin est bienvenue. En effet, les outils existants sont insuffisants.
Tout d’abord, le contrat d’engagement républicain (CER), introduit par la loi du 24 août 2021, est intéressant, mais trop peu mobilisé. Loin d’être un véritable engagement, il est perçu dans les faits comme une simple formalité administrative, sans véritable portée contraignante, si bien qu’un seul retrait d’agrément a été effectué au titre du non-respect du CER.
Les services de l’État, notamment les préfectures et les services déconcentrés du ministère chargé des sports, manquent de moyens pour mettre en œuvre efficacement des contrôles, malgré une prise de conscience récente. Ainsi, en 2022-2023, seulement cent contrôles ont été effectués par le ministère sur la thématique de la laïcité, ayant permis d’identifier six cas de séparatisme. C’est peu, mais déjà trop !
Comme vous le savez, les services du ministère chargé des sports ont subi de fortes réductions d’effectifs au cours des dernières années. Ainsi, en son sein, 220 emplois sont aujourd’hui consacrés au contrôle des établissements d’activités physiques et sportives, toutes problématiques confondues – hygiène, sécurité, assurance, etc. Un faible nombre au regard de la quantité d’établissements à contrôler et de problématiques soulevées.
La jurisprudence a validé des extensions ciblées du principe de neutralité, désormais opposable dans certains cas aux usagers du service public pour permettre son bon fonctionnement, prévenir toute confrontation sans lien avec le sport et garantir l’égalité de traitement des usagers.
Ainsi, le Conseil d’État a validé cette approche en confirmant, dans sa décision du 29 juin 2023, l’interdiction par la Fédération française de football de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » lors des compétitions. Le Conseil d’État affirme en outre, dans cette même décision, que des limitations à la liberté des licenciés sont possibles « si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Il y rappelle enfin l’obligation de neutralité des personnes sélectionnées dans les équipes de France, obligation réaffirmée en 2023 par la nouvelle ministre des sports, Mme Oudéa-Castéra, dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.
Par ailleurs, dans une ordonnance du 21 juin 2022, le Conseil d’État a validé la suspension par le représentant de l’État du règlement intérieur des piscines de la ville de Grenoble, qui autorisait alors le port du burkini.
Ces décisions ont encouragé plusieurs fédérations à adopter des règlements interdisant le port ostensible de signes religieux ou politiques en compétition, notamment les fédérations françaises de football, de basketball et de volleyball. D’autres n’ont pas encore statué, mais des pressions s’exercent sur elles. Il est donc temps de fixer un cadre juridique commun qui protège l’ensemble des fédérations sportives. La cohérence globale du message que le législateur doit émettre est essentielle pour mettre fin à la confusion largement exploitée par ceux qui veulent détruire notre modèle républicain.
Ainsi, soixante-dix clubs franciliens de basket ont adressé l’an dernier une pétition à la Fédération française de basketball à la suite de l’interdiction, par celle-ci, du « port de tout équipement à connotation religieuse ou politique ». Des campagnes sont également relayées sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, en effet, si les fédérations sportives ont la faculté de mettre en place des limitations, elles n’en ont pas l’obligation, ce qui crée la confusion. Rien ne peut justifier qu’un principe aussi fondamental que celui de la laïcité s’applique différemment d’une discipline à l’autre.
Je vous propose donc d’adopter la proposition de loi de Michel Savin, telle que la commission l’a modifiée.
Il s’agit tout d’abord, avec l’article 1er, d’empêcher le port de signes religieux ou politiques ostensibles dans les compétitions sportives. Le Sénat a déjà adopté une telle disposition à deux reprises, en 2021 puis en 2022.
Ensuite, le texte prévoit l’interdiction de tout exercice d’un culte dans les locaux mis à disposition par les collectivités territoriales en vue d’une pratique sportive, afin de ne pas dévoyer leur usage.
Enfin, il a pour objet de faire respecter les mêmes principes de neutralité et de laïcité dans les piscines et les espaces de baignade artificiels publics.
En commission, nous avons complété le texte afin de permettre la réalisation d’enquêtes administratives préalables à la délivrance de la carte professionnelle d’éducateur sportif. Des procédures similaires existent déjà dans d’autres domaines.