Mme la présidente. L'amendement n° 224, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après l'article 132-78, il est inséré un article 132-78-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-78-1. – Lorsque la personne a bénéficié de la réduction de peine mentionnée à l'article 132-78 pour avoir fait des déclarations permettant de faire cesser l'infraction, d'éviter que l'infraction ne produise un dommage ou d'identifier les autres auteurs ou complices, la décision de condamnation fixe également la durée maximale de l'emprisonnement encouru par le condamné s'il survient, pendant une durée de dix ans en cas de condamnation pour délit ou vingt ans en cas de condamnation pour crime, des éléments nouveaux faisant apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations ou s'il commet un nouveau crime ou délit. La durée de l'emprisonnement encouru, cumulée à la peine d'emprisonnement prononcée, ne peut excéder le maximum légal en l'absence de la réduction de peine mentionnée à l'article 132-78.
« Les conditions dans lesquelles le tribunal de l'application des peines peut décider, en tout ou partie, l'exécution de l'emprisonnement sont fixées par le code de procédure pénale. » ;
2° L'article 221-5-3 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice d'un assassinat est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis d'identifier les autres auteurs ou complices.
« La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice du crime de meurtre est réduite de moitié si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis d'identifier les autres auteurs ou complices. Lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, celle-ci est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle. » ;
b) Le second alinéa est ainsi modifié :
- Les mots : « ramenée à vingt ans de réclusion criminelle » sont remplacés par les mots : « réduite de moitié » et le mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
- Il est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, celle-ci est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle. » ;
3° À la première phrase du deuxième alinéa des articles 222-6-2, 224-5-1, 224-8-1, 225-4-9, 225-11-1, 311-9-1, 312-6-1, le mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
4° À la première phrase des articles 222-43, 422-2 et 442-10, le mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
5° Au premier alinéa de l'article 414-4, la deuxième occurrence du mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
6° L'article 450-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice des infractions prévues par l'article 450-1 est réduite de moitié si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser l'infraction, d'éviter la commission d'une infraction préparée par le groupement ou l'entente ou d'identifier les autres auteurs ou complices de l'infraction préparée. »
II. – Le code de la défense est ainsi modifié :
1° À la première phrase des articles L. 1333-13-10 et L. 2339-13, la deuxième occurrence du mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
2° À la première phrase des articles L. 2341-6, L. 2353-9 et L. 2342-76, le mot : « et » est remplacé par le mot : « ou ».
III. – À l'avant-dernier alinéa de l'article 1741 du code général des impôts, après les mots : « il a permis », sont insérés les mots : « de faire cesser l'infraction ou » et après les mots : « d'identifier », sont insérés les mots : « , le cas échéant, ».
IV. - Le titre XXI bis du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° A L'intitulé est ainsi rédigé : "Des collaborateurs de justice" ;
1° Après le titre XXI bis du livre IV, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre Ier
« De l'octroi du statut de collaborateur de justice
« Art. 706-63-1-A. – Les personnes éligibles aux réductions de peine prévues à l'article 132-78 du code pénal peuvent bénéficier, au cours de l'enquête ou de l'instruction, du statut de collaborateur de justice dans les conditions prévues au présent chapitre.
« Art. 706-63-1-B. – Au cours de l'enquête ou de l'instruction, lorsqu'une personne mise en cause manifeste sa volonté de faire des déclarations permettant de faire cesser l'infraction, d'éviter que l'infraction ne produise un dommage ou d'identifier les autres auteurs ou complices, le procureur de la République ou le juge d'instruction, après avis du procureur de la République, peut requérir un service placé sous l'autorité ou la tutelle du ministre de l'intérieur figurant sur une liste fixée par décret, aux fins d'évaluer la personnalité et l'environnement de cette personne.
« Après réception de cette évaluation, le procureur de la République procède ou fait procéder au recueil des déclarations de cette personne par procès-verbal distinct lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'elles sont déterminantes pour la manifestation de la vérité. Dans le cadre d'une information judiciaire, le juge d'instruction procède lui-même à un tel recueil, ou peut y faire procéder, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article 152. Dans tous les cas, ce recueil est effectué dans les formes prescrites par le code de procédure pénale.
« Art. 706-63-1-C. – Le procureur de la République ou le juge d'instruction vérifie le caractère sincère, complet et déterminant des déclarations recueillies sur procès-verbal. Il recueille l'avis de la commission mentionnée à l'article 706-63-1.
« Si le procureur de la République ou le juge d'instruction, après avis conforme du procureur de la République, l'estime opportun au regard de la complexité de l'affaire, il saisit par requête la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris aux fins d'octroi du statut de collaborateur de justice. Les procès-verbaux de déclaration et d'évaluation et l'avis de la commission sont joints à la requête.
« Art. 706-63-1-D. – Si la chambre de l'instruction estime, au vu du dossier de la procédure, que les conditions mentionnées à l'article 132-78 du code pénal sont réunies, elle octroie par ordonnance motivée le statut de collaborateur de justice. Elle statue après avoir recueilli, par écrit, les réquisitions du procureur général ainsi que les observations éventuelles de la personne concernée ou de son avocat. La chambre de l'instruction peut, si elle l'estime nécessaire, procéder à l'audition de la personne concernée, si besoin en recourant à un moyen de télécommunication audiovisuelle selon les modalités prévues à l'article 706-71.
« La personne qui se voit octroyer le statut de collaborateur de justice est informée par tout moyen qu'elle a l'obligation, jusqu'à sa comparution devant la juridiction de jugement, de répondre aux convocations délivrées dans le cadre de la procédure et l'interdiction de commettre un nouveau crime ou délit.
« La décision de la chambre de l'instruction est notifiée à la personne concernée ou à son avocat ainsi qu'au parquet général. Elle peut faire l'objet d'un appel, dans les dix jours de sa notification, devant la même chambre de l'instruction autrement composée, dont la décision n'est pas susceptible de recours. L'ordonnance de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris est également communiquée au requérant, à la commission mentionnée à l'article 706-63-1 et, en cas d'octroi du statut, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris.
« En cas d'octroi du statut de collaborateur de justice, et une fois la décision devenue définitive, l'ordonnance, la requête, les procès-verbaux de déclaration, l'avis de la commission mentionnée à l'article 706-63-1 ainsi que tous les actes s'y rapportant sont alors versés au dossier de la procédure.
« En l'absence de saisine de la chambre de l'instruction ou lorsque celle-ci ne fait pas droit à la requête, les procès-verbaux de déclarations et d'évaluation, l'avis de la commission mentionnée à l'article 706-63-1 ainsi que tous les actes s'y rapportant ne sont pas versés en procédure, mais conservés dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également le cas échéant la requête et l'ordonnance de la chambre de l'instruction.
« Art. 706-63-1-E. – Le statut de collaborateur de justice peut être révoqué par la chambre de l'instruction près la cour d'appel de Paris, saisie à cette fin par le procureur de la République ou le juge d'instruction, si des éléments nouveaux font apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations ou en cas de commission d'un nouveau crime ou délit.
« Art. 706-63-1-F. – Lorsqu'elle est saisie, la juridiction de jugement est tenue d'octroyer au collaborateur de justice le bénéfice des réductions de la peine encourue prévues à l'article 132-78 du code pénal.
« Toutefois, la juridiction de jugement peut décider par décision motivée de ne pas octroyer ces réductions de peine en cas de révocation du statut ou de survenance après sa saisine d'un élément nouveau faisant apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations ou de commission d'un nouveau crime ou délit.
« Art. 706-63-1-G. – Pendant une durée de dix ans en cas de condamnation pour délit ou vingt ans en cas de condamnation pour crime à compter du jour où cette décision est devenue définitive, s'il survient des éléments nouveaux faisant apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations ou si la personne concernée commet un nouveau crime ou délit, le tribunal de l'application des peines du siège de la juridiction ayant prononcé la condamnation peut, sur réquisitions du procureur de la République, ordonner par décision motivée rendue après un débat contradictoire tenu en chambre du conseil la mise à exécution de l'emprisonnement fixé en application de l'article 132-78-1 du code pénal.
« Art. 706-63-1-H. – Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application des dispositions du présent chapitre. »
2° Les articles 706-63-1 et 706-63-2 forment un nouveau chapitre II intitulé : « De la protection des collaborateurs de justice » qui est ainsi modifié :
a) L'article 706-63-1 est ainsi modifié :
- Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures de protection et de réinsertion sont définies, sur réquisitions du procureur de la République, par une commission nationale dont la composition et les modalités de fonctionnement sont définies par décret en Conseil d'État. Au titre des mesures de protection, la personne peut, en cas de nécessité, être autorisée à faire usage d'une identité d'emprunt. Cette commission fixe les obligations que doit respecter la personne et assure le suivi des mesures de protection et de réinsertion, qu'elle peut modifier ou auxquelles elle peut mettre fin à tout moment. En cas d'urgence, les services compétents prennent les mesures nécessaires et en informent sans délai la commission nationale. »
- Les deuxième et quatrième alinéas sont supprimés ;
b) Après l'article 706-63-1 sont insérés deux articles 706-63-1-1 et 706-63-1-2 ainsi rédigés :
« Art. 706-63-1-1. – Est puni des peines prévues au troisième alinéa de l'article 706-63-1 le fait de révéler :
« 1° Qu'une personne a manifesté sa volonté de faire des déclarations permettant de faire cesser l'infraction, d'éviter que l'infraction ne produise un dommage ou d'identifier les autres auteurs ou complices ;
« 2° Le contenu des déclarations de cette personne.
« Art. 706-63-1-2. – Le collaborateur de justice peut déclarer comme domicile l'adresse de son avocat ou du service placé sous l'autorité ou la tutelle du ministre de l'intérieur mentionné à l'article 706-63-1-B avec leur accord. »
c) L'article 706-63-2 est ainsi modifié :
- Après les mots : « leurs proches », la fin de la première phrase est ainsi rédigée : « la chambre de l'instruction peut, d'office ou à la demande des collaborateurs de justice, ordonner leur comparution à tous les stades de la procédure dans des conditions de nature à préserver l'anonymat de leur apparence physique, y compris en bénéficiant d'un dispositif technique mentionné à l'article 706-61. Dans ce cas, cette décision est valable pour toute procédure dans laquelle ils sont témoins ou partie. » ;
- La dernière phrase est ainsi rédigée : « La chambre de l'instruction statue après avoir recueilli les observations écrites du procureur général et des parties concernées. » ;
- Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La juridiction de jugement peut également ordonner le huis clos ou la comparution des collaborateurs de justice dans des conditions de nature à préserver l'anonymat de leur apparence physique. La juridiction de jugement statue à huis clos sur cette demande. »
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il s'agit d'un moment très important de nos débats, puisque cet article porte sur le statut du repenti.
La législation italienne, chacun le sait grâce aux médias ou au cinéma, prévoit le cas de repentis qui, ayant participé à des crimes, même de sang – des homicides –, sortent de l'organisation criminelle et collaborent avec la justice. En échange, ils reçoivent une protection et peuvent signer avec l'autorité judiciaire une convention liant cette dernière dans la réponse pénale apportée aux infractions commises.
Il s'agit d'un débat à la fois moral et pratique. Devons-nous prévoir un tel statut ? Comment organiser la protection correspondante ? Le ministère de la justice a beaucoup travaillé sur le sujet. Et votre commission d'enquête, dont je salue de nouveau les travaux, nous pousse à créer franchement un tel statut.
De fait, cela devient une condition pour obtenir des aveux et des preuves, dans un monde où l'on ne parle pas ou très peu, qu'il s'agisse du narcotrafic ou de certaines organisations criminelles. En Corse, par exemple, la culture de l'aveu n'existe absolument pas et le silence est généralisé.
Puisque la prison ne fait plus peur à une partie des narcotrafiquants, puisque les règlements de compte entre eux sont extrêmement violents, la prise de risque de quelqu'un qui se repentirait est énorme, pour lui et pour sa famille.
C'est pourquoi l'amendement que nous vous proposons – peut-être des modifications pourront encore lui être apportées lors de la navette parlementaire – vise à élargir aux crimes de sang le statut de repenti. Sinon, ce dernier aurait peu d'intérêt. Qui viendrait parler devant la justice pour dénoncer son organisation criminelle et en décrire le fonctionnement général s'il ne peut espérer une remise de peine importante ? Je pense à des personnes qui encourraient la réclusion à perpétuité et n'effectueraient qu'une peine de quinze à vingt ans d'emprisonnement, ce qui reste une sanction assez importante.
Ce statut du repenti collaborateur de justice, nos amis italiens l'ont mis en place avec succès.
L'article 14 de ce texte a fait du bruit. Il apporterait un changement profond à notre droit. Il va de pair avec un certain nombre de dispositifs d'infiltrés, de collaborateurs, de « tontons », comme disent les policiers et les gendarmes, qui n'ont rien à voir avec le statut du repenti tel que je vous le présente aujourd'hui.
Ce statut concernerait, vous l'avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, des auteurs de crimes graves, appartenant à des organisations criminelles très importantes, ayant eux-mêmes un riche palmarès de délinquant et de criminel, ayant parfois été les auteurs de crimes de sang, qui conventionneraient avec la justice en échange d'aveux et d'un arrêt de leur activité criminelle.
Le juge serait lié par cet accord, évidemment, et les personnes concernées ne seraient pas condamnées à la totalité de la peine encourue. En revanche, leur organisation et leurs complices seraient soumis à toutes les rigueurs de la loi.
Il s'agit d'un moment important pour notre droit et pour la justice française. Le rapport de votre commission d'enquête a montré qu'il fallait avancer plus avant, afin que la justice recueille davantage d'aveux et de preuves pour lutter plus efficacement contre les organisations criminelles.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. « De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ! » disait Danton, dont la statue trône à deux pas d'ici, place de l'Odéon.
La commission a fait preuve d'audace, en inventant un certain nombre de procédures : l'injonction pour richesse inexpliquée, le dispositif contre l'incitation en ligne dirigée vers des mineurs...
Avec le statut de repenti, nous poussons encore un peu plus loin. Le dispositif des repentis ne marche pas. Il a été créé en 2004 par la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite Perben, et mis en œuvre en 2014. Il y a des milliers de repentis en Italie, quelques poignées chez nous. Le sujet est l'efficacité, plus que la morale : il y a un sujet technique et un sujet philosophique.
Le Gouvernement pratique l'économie de mots en défendant en une seule phrase, dans l'objet de l'amendement, une rédaction de plusieurs pages que nous avions proposée. En effet, les divergences entre nous sont de taille.
Monsieur le ministre, vous rejetez l'immunité de poursuite – c'est là que réside l'audace – que le Sénat entend créer pour les repentis et qui peut faire tomber des réseaux entiers ou mettre fin à la commission d'infractions particulièrement graves.
Vous restez en fait dans l'idée de gentils repentis. Les gentils repentis, c'est bien, les enfants de chœur aussi… Certes, il n'y a pas d'indexation de la qualité des informations fournies sur le niveau de dangerosité des individus ou sur les actes perpétrés. Mais quelqu'un qui se trouve au cœur des réseaux et qui a peut-être commis des crimes de sang en sait long sur ce qui s'est passé dans son réseau criminel…
Les Britanniques expérimentent la chose depuis une vingtaine d'années. Il n'y a aucun risque à faire preuve d'ambition. Dans le pire des cas, ce dispositif ne sera pas utilisé. Dans le meilleur, il nous permettra, comme en Italie, d'être bien plus efficaces.
Par ailleurs, vous créez aussi un nouveau verrou technique en confiant à la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Paris le soin de décider qui doit se voir accorder ce statut.
Nous avons beaucoup travaillé avec l'ancien président de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), M. Sturlèse, et avec son actuel président, M. Sommerer. Il apparaît que ceux qui connaissent le mieux les potentiels repentis sont les magistrats en charge de l'enquête ou de l'instruction. Qui aura envie d'être repenti si le magistrat et les policiers qu'il rencontre ne sont pas en capacité de lui garantir une protection, comme c'est le cas aujourd'hui ?
Le dispositif que nous avions imaginé était le bon, je crois, et nous devons faire preuve d'audace, pousser notre chance et donner enfin l'élan nécessaire à cet outil particulièrement utile.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. M. le rapporteur nous invite à l'audace. Le Gouvernement y est prêt. C'est dans cet esprit que nous nous présentons devant vous.
Toutefois, je pense que la mise en place d'un tel statut mérite une discussion plus approfondie. Que les enfants de chœur qui viennent se confesser aient moins fauté que d'autres auteurs de péchés est une chose. Mais le débat revêt une dimension morale : faut-il renoncer à toute poursuite et accorder une immunité ? Si oui, pendant combien de temps ? Et cette immunité inclurait-elle les auteurs de crimes de sang ? J'imagine que, dans votre esprit, cela ne doit pas être le cas.
Par ailleurs, l'argument des enfants de chœur est réversible. La personne qui, même sans avoir commis de crimes de sang, vient parler à la justice n'est pas exactement un enfant de chœur. Elle se situerait plutôt à mi-chemin entre le diablotin et le chérubin ! (Sourires.)
Et quid d'un auteur de crimes de sang ou d'un individu ayant participé à une organisation criminelle ? Les organisations criminelles qui feraient du trafic de drogue « sans arme, ni haine, ni violence », pour reprendre la formule de Spaggiari, sont tout de même assez rares ! Aujourd'hui, la violence est consubstantielle aux trafics.
Peut-être notre dispositif n'est-il pas suffisamment audacieux, mais le vôtre, lui, n'est sans doute pas assez précis.
Par ailleurs, nous avons une autre question à trancher : qui accorde un tel statut ? Pour notre part, nous considérons que celui-ci doit relever de la juridiction compétente au regard du lieu de la demande. Vous envisagez d'autres possibilités. Pourquoi pas ? L'essentiel est d'avoir un dispositif opérationnel.
Je veux bien retirer l'amendement du Gouvernement, afin que nous puissions retravailler collectivement sur la question de l'immunité – que faire dans le cas de crimes de sang, par exemple ? –, dans la perspective de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, puis de la réunion de la commission mixte paritaire.
Je souhaite que nous puissions échanger avec les rapporteurs sur la rédaction de cet article, afin de parvenir à un compromis sur la mise en place d'un tel statut.
Certes, nous devons viser davantage l'efficacité que la morale. Mais l'idée d'abandonner toute poursuite à l'encontre d'un individu du seul fait de son choix de parler n'est pas toujours audible par nos concitoyens, notamment par les victimes.
Or le garde des sceaux est aussi le ministre des victimes. Il ne peut donc accorder un blanc-seing à n'importe qui, fût-ce pour faire tomber toute une organisation.
La question est complexe et très importante. Je souhaite que nous puissions continuer à travailler dans l'esprit collectif et constructif qui nous anime en ce moment, monsieur le rapporteur.
Je retire donc mon amendement, madame la présidente.
M. Jérôme Durain, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de ce geste.
J'effectue actuellement le week-end un « narcotour », afin de diffuser les bonnes informations dans tous nos territoires. Je rencontre de nombreuses personnes en réunion, et je teste l'idée dont nous sommes en train de débattre. Il me paraît intéressant de les écouter et de recueillir leurs réactions. En l'occurrence, sur la dimension morale, je n'ai jamais entendu – cela m'a d'ailleurs plutôt surpris – quelqu'un s'écrier : « Ce que vous proposez est inadmissible ! »
M. Jérôme Durain, rapporteur. Certes, nous devons, me semble-t-il, continuer à travailler sur l'acceptabilité du dispositif qui est envisagé. Il s'agit effectivement d'une mesure forte, susceptible d'entrer en collision avec certains sentiments. Mais il me paraît intéressant d'aller dans ce sens.
Nous avons beaucoup échangé avec la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) sur l'efficacité du dispositif. C'est vraiment, je le crois, la préoccupation qui nous anime.
Je pense que nous sommes parvenus à un équilibre. Mais travaillons à des améliorations pour que les nouveaux entrants dans le dispositif bénéficient de garanties dont ils sont aujourd'hui privés. Un nouvel entrant, c'est quelqu'un qui est sur le point – pardonnez-moi l'expression – de se faire « liquider ». Or, aujourd'hui, il n'est pas certain d'être mieux traité que certains des complices avec lesquels il a commis des crimes… Nous devons régler ce problème.
Monsieur le garde des sceaux, je souhaite que nous puissions échanger, comme vous l'avez suggéré. Je pense que nous parviendrons à un accord. Mais soyons ambitieux !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 163, présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Avant le premier alinéa, est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui bénéficient des mesures de protection et réduction de peine au titre du présent article sont dénommées « coopérateurs de justice. »
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Faisons un peu de sémantique. Un grand écrivain français, Albert Camus, déclarait : « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. »
Vous le savez, dans une instruction judiciaire, il arrive que des mis en cause décident à un moment donné d'apporter leur concours à l'établissement de la vérité et de coopérer.
Il y a des mots pour désigner ces personnes. Chez les criminels, on les appelle des « mules », des « traîtres », des « balances », etc. Dans la loi, on les appelle des « repentis » – convenons que ce terme est connoté moralement. À d'autres occasions, on les appelle des « collaborateurs » – convenons aussi que ce mot est connoté historiquement.
C'est la raison pour laquelle nous proposons, via cet amendement, de les désigner par le terme, qui est moins connoté moralement et historiquement, de « coopérateurs de justice ».
Cela peut paraître anecdotique, mais cela ne l'est pas. Un grand académicien français déclarait : « La forme, c'est le fond qui remonte à la surface ». Prenons acte du fait que ces personnes ont fauté, puis décidé à un moment donné de rentrer dans le droit chemin et d'apporter leur concours à l'établissement de la vérité. Il ne nous appartient pas de les stigmatiser moralement ou historiquement.
Tel est l'objet de cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 15 rectifié ter, présenté par MM. Parigi et J.M. Arnaud, Mmes Florennes, Patru et O. Richard, M. Kern, Mme Guidez, MM. Canévet et Longeot, Mme Romagny, M. Cambier, Mme N. Goulet, MM. Laugier et Henno, Mme Billon et MM. Bleunven, Pillefer, Dhersin et Fargeot, est ainsi libellé :
Alinéa 4, au début
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Les personnes qui bénéficient des mesures de protection et réduction de peine au titre du présent article sont dénommées “coopérateurs de justice”.
La parole est à Mme Anne-Sophie Patru.
Mme Anne-Sophie Patru. Cet amendement, déposé sur l'initiative de notre collègue Paul Toussaint Parigi, est similaire à celui qui vient d'être présenté par M. Bourgi.
Nous proposons une modification terminologique tendant à remplacer le terme de « repentis » par celui de « coopérateurs de justice » pour désigner les personnes bénéficiant des mesures de protection et de réduction de peine. Cette formulation nous paraît plus neutre et objective. En effet, la démarche de ces personnes s'inscrit dans une dimension collaborative et vise l'intérêt collectif.
De notre point de vue, cela permettrait de rendre le dispositif un peu plus attractif aux yeux de ceux qui sont susceptibles d'y avoir recours.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. J'entends les arguments de nos collègues, mais voilà dix ans que les repentis – nous utilisons ce terme, même s'il ne figure dans aucune écriture procédurale – s'appellent des « collaborateurs de justice ». Et je ne crois pas que cela ait jamais posé de problème particulier…
Vos citations étaient très jolies, monsieur Bourgi. Je rappellerai pour ma part un adage américain plus prosaïque : « Si ce n'est pas cassé, tu ne répares pas ! »
Aujourd'hui, personne ne se plaint du terme de « collaborateurs de justice », qui ne nuit en rien au dispositif ; ce qui nuit au dispositif, c'est autre chose… Je ne vois pas l'intérêt de modifier ce qui donne satisfaction depuis dix ans.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.