Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
Mises au point au sujet de votes
Sortir la France du piège du narcotrafic et statut du procureur national anti-stupéfiants
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
proposition de loi visant à sortir la france du piège du narcotrafic
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert
nomination d'un membre d'une commission
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Sonia de La Provôté,
M. Mickaël Vallet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d'honneur de Mme Małgorzata Kidawa-Błońska, maréchal du Sénat de la République de Pologne, et des trois sénateurs polonais qui l'accompagnent. À leurs côtés se trouve Valérie Boyer, présidente du groupe d'amitié France-Pologne. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.)
J'ai eu le plaisir de m'entretenir avec la présidente du Sénat polonais aujourd'hui, alors que vient de s'ouvrir la présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne. Nos échanges ont porté sur les priorités de la Pologne pour sa présidence, lesquelles sont articulées autour de la sécurité dans toutes ses dimensions, c'est-à-dire jusqu'à la souveraineté. Ce soir, nous prononcerons ensemble aux Invalides une allocution à l'occasion de la cérémonie de lancement de cette présidence à Paris.
Je me réjouis que la Pologne, dont l'engagement aux côtés de l'Ukraine est exemplaire, que ce soit au travers de l'aide directe apportée à ce pays meurtri par l'agression russe ou de l'accueil des réfugiés – plus de 1,2 million encore aujourd'hui –, occupe de nouveau une place centrale dans le dialogue politique européen.
Nos deux pays ont également en commun l'attachement au bicamérisme et au rôle stabilisateur de la Chambre haute. Je me félicite de notre détermination à soutenir ensemble la diplomatie parlementaire, notamment dans le cadre du triangle de Weimar des secondes chambres. Nous recevions d'ailleurs ici même, la semaine dernière, la présidente du Bundesrat.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, je souhaite à Mme le maréchal du Sénat de la République de Pologne et à nos homologues sénateurs, ainsi qu'à M. l'ambassadeur de Pologne, la plus cordiale bienvenue. Je forme le vœu que ce séjour soit fructueux et vienne consolider l'amitié franco-polonaise. (Applaudissements.)
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Mises au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Lors du scrutin public n° 177 sur l'article 1er de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, MM. Mikaele Kulimoetoke et Martin Lévrier ont été considérés comme n'ayant pas pris part au vote, alors qu'ils souhaitaient voter pour. Mme Salama Ramia souhaitait quant à elle voter contre.
Enfin, lors des scrutins publics nos 178 sur l'article 2, 179 sur l'article 3, 180 sur l'article 6 de ce même texte, ainsi que du scrutin public n° 181 sur l'ensemble de la proposition de loi, Mme Salama Ramia, enregistrée comme ayant voté pour, souhaitait voter contre.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Lors du scrutin n° 178, Mme Anne-Sophie Romagny souhaitait voter pour.
Lors des scrutins nos 179 et 180, Olivier Bitz et moi-même devons être enregistrés comme n'ayant pas pris part au vote.
Lors du scrutin n° 181, Mme Lana Tetuanui, M. Olivier Bitz et moi-même devons être considérés comme n'ayant pas pris part au vote. Par ailleurs, Mmes Isabelle Florennes et Olivia Richard, ainsi que MM. François Bonneau, Olivier Cadic, Loïc Hervé et Jean Hingray souhaitaient s'abstenir.
M. le président. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Lors des scrutins nos 177 à 181, M. Ahmed Laouedj souhaitait s'abstenir.
Lors du scrutin n° 178, Mme Sophie Briante Guillemont et M. André Guiol souhaitaient voter contre.
Lors du scrutin n° 178, Mme Mireille Jouve souhaitait voter contre ; lors du scrutin n° 181, elle souhaitait s'abstenir.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Lors du scrutin n° 178, j'ai été enregistré comme votant pour, alors que je souhaitais voter contre ; lors du scrutin n° 181, j'ai été enregistré comme votant pour, alors que je souhaitais m'abstenir.
M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles figureront dans l'analyse politique des scrutins concernés.
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Candidature à une commission
M. le président. J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a été publiée.
Je rappelle que cette candidature sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
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Sortir la France du piège du narcotrafic et statut du procureur national anti-stupéfiants
Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains et de la commission des lois, de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (proposition n° 735 rectifiée [2023-2024], texte de la commission n° 254, rapport n° 253) et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants (proposition n° 197, texte de la commission n° 255, rapport n° 253), présentées par MM. Étienne Blanc et Jérôme Durain.
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
Il a été décidé que ces deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Discussion générale commune
M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Étienne Blanc, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Étienne Blanc, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, avant d'évoquer les textes qui nous réunissent aujourd'hui, je tiens à rappeler que la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a eu à cœur d'écouter et de comprendre toutes celles et tous ceux qui, en France, sont confrontés à ce fléau.
Nous avons écouté et compris ceux dont l'engagement exemplaire – policiers, gendarmes, douaniers, magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires – permet à nos institutions de tenir debout. Leur travail constitue notre principal rempart contre les narcotrafics.
Nous avons écouté et compris ceux qui travaillent dans les secteurs les plus exposés de nos ports et de nos aéroports. Ils subissent au quotidien la pression des trafiquants.
Nous avons écouté et compris nos compatriotes qui vivent à proximité des points de deal, ceux qui vivent à portée d'une balle perdue, les habitants de ces quartiers gangrénés par le trafic.
Nous avons aussi écouté et entendu nos concitoyens d'outre-mer, dont les collectivités sont aujourd'hui exploitées par les trafiquants comme zones de rebond, et qui ont parfois le sentiment d'avoir été négligés, voire abandonnés au profit de l'Hexagone.
Nous avons aussi entendu le cri de nos élus locaux, notamment de nos maires. Dans toutes les communes de France, des métropoles jusqu'aux villages, ils sont en première ligne face aux trafics. Les travaux de la commission d'enquête ont montré leur remarquable implication.
Au cours de nos débats, pensons aux maires de ces petites communes qui se sentent si seuls et si démunis quand un point de deal apparaît, comme à ceux qui, dans les grandes villes, mais aussi dans les villes moyennes, jusqu'à présent épargnées par le trafic, se trouvent brutalement confrontés à des règlements de comptes et à des violences inégalées.
Après cette nécessaire introduction, j'en viens aux deux propositions de loi qu'il nous revient aujourd'hui d'examiner. Les travaux de la commission d'enquête nous ont permis d'aboutir à un diagnostic inquiétant : celui d'une France submergée par le narcotrafic, d'une France où cette activité criminelle représente chaque année un chiffre d'affaires de 6 milliards d'euros et fait vivre environ 240 000 personnes, où l'incarcération ne fait plus peur aux délinquants.
Nous avons dressé le portrait d'un pays où les trafiquants utilisent tous les interstices pour pénétrer les institutions et les infrastructures. On peut par exemple se permettre de payer 100 000 euros pour faire déplacer un conteneur dans une enceinte portuaire si les stupéfiants qu'il contient rapportent plusieurs dizaines de millions d'euros à la revente.
Nous devons aussi nous souvenir que les trafiquants sont ingénieux. À chaque porte qui se ferme, ils cherchent une fenêtre à ouvrir. Pendant la crise sanitaire de 2020, alors que le confinement limitait les déplacements et, par voie de conséquence, le chiffre d'affaires des trafics, des systèmes de commandes en ligne avec des livraisons à domicile ont été imaginés. Lorsque nous avons mis en place 100 % de contrôles à Cayenne pour éviter les acheminements par les mules, c'est sur les Antilles que le trafic s'est reporté. Lorsque les grands ports français, celui du Havre notamment, ont pris conscience de la menace, ce sont vers des ports secondaires, notamment des ports de plaisance, que les flux se sont redirigés.
La capacité d'adaptation des trafiquants est aussi remarquable en ce qui concerne le blanchiment. Les narcotrafiquants utilisent des moyens aussi nombreux que divers pour dissimuler les fruits de leurs crimes. Ils recourent aux cryptoactifs, à des commerces de façade qui font office de blanchisseuses, à des systèmes traditionnels de compensation appelés hawala. Ils s'appuient sur des prête-noms pour acquérir des biens immobiliers, des bijoux, des voitures de luxe et même des œuvres d'art qu'ils pourront revendre pour en tirer des liquidités. Parfois même, ils réinjectent leurs fonds dans l'économie légale sans blanchiment préalable, notamment dans les secteurs où les paiements en liquide sont fréquents.
Nous le savons, la loi ne pourra pas tout. Des efforts resteront nécessaires hors du périmètre de compétences du Parlement, en particulier sur deux sujets.
Le premier sujet, c'est la coopération internationale. Le nombre de délinquants arrêtés et extradés depuis l'étranger demeure trop limité eu égard aux dizaines de criminels du haut du spectre qui continuent à vivre dans le luxe et la tranquillité à Dubaï ou ailleurs, d'où ils poursuivent leurs activités criminelles.
Le second sujet, ce sont évidemment les moyens. Je pense aux moyens humains, mais aussi aux moyens techniques et informatiques. Je ne doute pas que le Gouvernement pourra, au cours de cette discussion, nous exposer ses projets pour doter nos services répressifs des outils dont ils ont besoin pour procéder à une lutte efficace.
Face à ce constat, que prévoient les deux textes que Jérôme Durain et moi-même avons déposés ?
Je rappelle qu'ils s'inscrivent dans le cadre d'une stratégie globale de lutte contre le narcotrafic. J'ai confiance dans la capacité du Sénat à préserver la cohérence de ces propositions de loi issues d'un rapport de commission d'enquête adopté à l'unanimité. C'est la première fois, d'ailleurs, qu'un rapport parlementaire présente une vision d'ensemble du problème.
Dans le délai qui m'est imparti, je me concentrerai sur trois mesures.
La première mesure, c'est la création du parquet national anti-criminalité organisée, le Pnaco. Sa mise en place est urgente au vu de l'état de la menace. Il est essentiel que ce nouvel acteur soit doté de toutes les prérogatives qui lui permettront d'être véritablement un chef de file. Je le dis avec force et en accord avec nos collègues rapporteurs, Muriel Jourda et Jérôme Durain : nous ne devons pas reculer sur les pouvoirs confiés au Pnaco, notamment en matière d'évocation et de coordination, sous peine de créer une immense déception et d'empêcher l'émergence d'un pilotage global à l'échelon judiciaire qui nous fait aujourd'hui défaut.
Prenons exemple sur la sagesse de nos prédécesseurs et rappelons-nous que le parquet national antiterroriste, dont le principe était pourtant si contesté, est aujourd'hui un éclatant succès.
La deuxième mesure concerne la lutte contre le blanchiment. J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt des échanges qui ont eu lieu au sein de la commission des lois. N'abaissons pas notre niveau d'exigence à cet égard. Demandons à chaque acteur, y compris privé, de prendre sa juste part dans le combat que nous devons mener contre le blanchiment. Alors que nous allons demander des efforts importants à nos concitoyens au vu de l'état dégradé de nos finances, comment comprendraient-ils que nous ne menions pas une lutte acharnée contre le blanchiment ? Repérer les fonds suspects dès qu'ils entrent dans le circuit légal, c'est se donner les moyens de les saisir, de les confisquer, donc d'apporter de nouvelles recettes au budget de l'État et au service de la répression de la criminalité. Je vous proposerai d'ailleurs, pour éviter les incertitudes sur l'épineuse question de la prescription, de considérer que ces délits sont toujours occultes, ce qui va permettre de les poursuivre, y compris lorsque des délais importants sont écoulés.
La troisième mesure a trait aux techniques spéciales d'enquête. Ces techniques suscitent d'intenses débats, ce qui est parfaitement légitime compte tenu de l'intrusion qu'elles entraînent dans la vie privée des personnes qui, à ce stade d'une enquête, sont présumées innocentes. C'est pourquoi nous avons limité leur usage à la criminalité organisée et que nous nous sommes attachés à toujours refuser qu'elles puissent être utilisées pour la délinquance de droit commun.
C'est également la raison pour laquelle nous avons, pour chacune de ces techniques, prévu des garanties proportionnées à l'atteinte portée à la vie privée : intervention du juge des libertés et de la détention, limitation de la durée de déploiement, exigences sur la motivation de l'usage de telle ou telle technique.
Je crois indispensable d'aller encore plus loin dans l'utilisation de ces techniques spéciales. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement afin d'autoriser, dans des conditions conformes à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une technique qui permettra d'activer à distance les appareils mobiles, notamment les téléphones. Je vous proposerai de la restreindre aux infractions les plus graves de la criminalité organisée et de prévoir qu'elle ne pourra être déployée que si l'utilisation d'une technique moins intrusive est impossible. J'espère que vous serez nombreux à apprécier l'équilibre que nous recherchons toujours entre l'exigence de la poursuite et la protection des libertés.
« L'enfer, c'est la vérité vue trop tard », selon Don Wislow, reprenant Hobbes. Mes chers collègues, je crois qu'il est encore temps de prendre la mesure des ravages que la drogue provoque dans notre société et, surtout, d'apporter une réponse forte et sans faiblesse. Faisons en sorte que le Sénat soit à l'origine de ce nécessaire sursaut. Les Français nous observent. Ils nous attendent. Il ne faut pas les décevoir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mmes Marie-Arlette Carlotti et Marie-Laure Phinera-Horth, ainsi que M. Vincent Louault, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, il est facile d'intervenir après Étienne Blanc, qui vous a éloquemment présenté l'état de la menace que fait peser le narcotrafic sur la France.
Bien sûr, toute délinquance est un trouble à l'ordre public, mais le narcotrafic menace véritablement les intérêts de la Nation. C'est pourquoi nous devons nous doter d'outils qui soient à la mesure de ce péril. J'ai coutume de dire, et vous m'avez déjà entendu le répéter à cette tribune, que le droit est une somme d'outils au service de nos projets. Nous devons nous servir de l'existant et en inventer de nouveaux, car, quelle que soit la qualité de ceux qui travaillent aujourd'hui à éradiquer le narcotrafic – services d'enquête, douanes, magistrats –, ils n'ont pas aujourd'hui entre les mains les outils juridiques suffisants pour ce que nous devons faire.
D'ailleurs, monsieur le garde des sceaux, je pense que vous êtes d'accord avec nous, puisque vous le dites aussi dans les médias. Nous avons en outre eu des échanges sur ce point. Aussi, je regrette que les amendements du Gouvernement soient un peu en retrait par rapport aux besoins, mais nous aurons l'occasion d'en reparler tout à l'heure.
Ces nouveaux outils, quels sont-ils ? Je n'en citerai que quelques-uns, laissant Jérôme Durain prendre ensuite le relais.
Il faut déjà se doter d'une architecture rassemblant services d'enquête et services judiciaires, de nature à permettre une coordination dans la lutte contre le narcotrafic. Cela passe par la création d'un parquet national, d'abord qualifié d'anti-stupéfiants par les auteurs de la proposition de loi, avant d'être requalifié en parquet national anti-criminalité organisée, le narcotrafic étant indissociable de nombre d'infractions commises autour de cette activité.
Nous voulons que ce parquet coordonne les parquets qui se trouvent dans les juridictions interrégionales, qui existent déjà, et les parquets locaux que vous connaissez tous.
Nous souhaitons qu'il puisse retenir des affaires. Il s'agit non pas de lui conférer un monopole, mais de lui permettre de juger les affaires les plus graves. Il doit à ce titre bénéficier d'informations pour exercer l'ensemble de ces compétences.
À côté de ce parquet, nous devons dessiner une nouvelle architecture avec les nombreux services qui ne doivent plus travailler en silos, mais véritablement en interministériel. Les auteurs de la proposition de loi souhaitaient que l'Office anti-stupéfiants, l'Ofast, soit chef de file. Comme il n'y a plus de parquet national anti-stupéfiants dans le texte de la commission, il aurait été incohérent de désigner l'Ofast comme chef de file. Aussi, M. le ministre de l'intérieur nous proposera tout à l'heure un dispositif qui nous permettra à la fois de désigner un chef de file et de mener un travail interministériel, ce qui est indispensable dans cette lutte.
Nous lutterons aussi contre le blanchiment. Des commerces ouverts sans avoir rien à vendre, mais qui ont pourtant des clients jusqu'au milieu de la nuit ; de très jeunes gens qui sont propriétaires de voitures qui coûtent 200 000 euros, alors que nous ne leur connaissons aucune source de revenus ; les crypto-actifs qui sont utilisés par les narcotrafiquants… : nous avons travaillé sur toutes les facettes du blanchiment et nous aurons l'occasion d'en parler tout à l'heure.
Par ailleurs, nous proposerons un certain nombre de mesures adaptées aux nouveaux comportements des trafiquants désormais rendus possibles grâce aux moyens numériques, comme l'offre et la cession de produits stupéfiants, ou le recrutement, parfois de mineurs, à qui ils font miroiter des revenus abondants à peu de frais, mais qui se retrouvent en fait esclaves de gens pour qui leur vie n'a pas de valeur. Il y a déjà eu suffisamment de morts pour l'attester…
Nous nous sommes également inspirés de procédures utilisées dans la lutte contre les mafias, comme la création d'une infraction autonome d'appartenance à une organisation criminelle. Je pense malheureusement que nous en sommes là !
Mes chers collègues, il est utile que nous nous dotions de ces outils. Ils vont parfois assez loin ; d'ailleurs, certains nous disent que nous attenterions à l'État de droit. Pourtant, l'État de droit a précisément pour première caractéristique de mettre fin à la loi du plus fort : en l'occurrence, il va nous aider à lutter contre les plus forts et les plus violents. C'est en tout cas ce que nous vous proposons, au nom de la commission des lois, au travers de ces deux textes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
(Mme Anne Chain-Larché remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, j'adresse d'emblée mes vifs remerciements aux forces engagées dans la lutte contre la criminalité et réaffirme mon plein soutien aux élus qui subissent les conséquences des trafics. En tant que président de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, conduite avec Étienne Blanc, et rapporteur avec Muriel Jourda des deux propositions de loi que nous examinons aujourd'hui, j'ai pu voir que la mobilisation de ces acteurs était inébranlable et qu'ils ne cédaient jamais au découragement face au manque de moyens ou au sentiment de danser parfois au bord du gouffre. Soyons à la hauteur de leurs efforts et travaillons, comme eux, avec rigueur et ambition.
Il m'appartient, à la suite de Muriel Jourda, d'évoquer deux thèmes majeurs : la procédure pénale et la lutte contre l'emprise du trafic sur notre pays.
Le titre V de la proposition de loi, relatif à la procédure pénale, est particulièrement dense et technique. Il comporte de nombreuses évolutions indispensables pour que les enquêteurs et les magistrats puissent faire leur travail dans de bonnes conditions, sans subir le dépassement technologique qui permet aujourd'hui aux réseaux d'échapper à la répression.
La proposition de loi prévoit un arsenal complet pour leur faciliter la tâche. Je pense au jugement des crimes commis en bande organisée par des cours d'assises spécialement composées ; à la mise en place de juges spécialisés de l'application des peines, dont nous vous proposerons d'ailleurs de recentrer le périmètre de compétences sur les profils réellement dangereux ; à la création d'un régime exceptionnel d'immunité de poursuites pour les repentis susceptibles de faire tomber un nombre considérable de leurs complices ou de fragiliser les réseaux les plus puissants. Je pense enfin à la création d'un statut d'infiltré civil et à la sécurisation des relations entre les policiers et leurs informateurs.
Toutes ces évolutions cumulées auront un impact déterminant sur la capacité des services d'enquête à comprendre les réseaux délinquants et à identifier les membres du crime organisé. Gageons que le Gouvernement nous aidera à aller encore plus loin sur ce chapitre en assurant la recevabilité financière de certains amendements utiles pour mettre fin à cette stratégie de la peur grâce à laquelle les trafiquants empêchent les victimes de porter plainte et les témoins de les dénoncer.
Le procès-verbal distinct prévu par l'article 16 fera, à n'en pas douter, l'objet de débats nourris. C'est tout à fait légitime, car il nous revient de trouver le juste équilibre entre deux impératifs apparemment opposés : la garantie des droits de la défense et de l'égalité des armes, qui doit se concilier avec la protection de l'identité des personnes menacées – témoins, infiltrés, informateurs – ou des méthodes d'action les plus sensibles des enquêteurs, lesquelles ne sauraient être révélées sans porter atteinte à la capacité de la police et de la gendarmerie à faire leur travail dans de bonnes conditions.
Nous avons constaté, pendant les travaux de la commission d'enquête, que certains outils dont le législateur avait entendu doter les enquêteurs ne pouvaient pas être utilisés, car la description de leur fonctionnement dans le dossier de la procédure viendrait « donner des billes à l'adversaire », comme on nous l'a expliqué : cette situation n'est pas tenable. Nous ne pouvons pas accepter que le contenu de la loi reste platonique. J'espère que nous pourrons nous mettre d'accord sur ce principe et trouver, ensemble, un juste équilibre.
Muriel Jourda et moi-même avons d'ores et déjà modifié la rédaction de l'article 16 pour y ajouter de nombreuses garanties, essentielles à nos yeux. Ainsi, nous avons prévu le versement au dossier de la procédure de l'ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, qui autorisera le recours au procès-verbal distinct. Nous avons également indiqué que le recours à ce procédé devait être nécessaire à la manifestation de la vérité, ce qui impliquera un effort particulier de motivation en amont de tout déploiement. Nous avons par ailleurs précisé les conditions du contrôle de la chambre de l'instruction, dont je rappelle qu'il sera systématique sur les éléments inscrits au procès-verbal distinct. Je pense que la solution à laquelle nous sommes parvenus est la bonne et j'espère que le Sénat la soutiendra largement.
Sur le sujet des nullités de procédure, les débats ont été nourris. Les notions de « manœuvre » et de « négligence » risquent de nous faire passer à côté de notre but, puisqu'elles peuvent elles-mêmes donner lieu à des contentieux. C'est pourquoi Muriel Jourda et moi-même proposerons une réécriture permettant de modifier des dispositions qui sont aujourd'hui le support des stratagèmes dénoncés par la commission d'enquête. Certes, c'est une solution plus modeste, mais elle est vraisemblablement plus efficace.
Enfin, le titre VI de la proposition de loi permet de lutter contre l'emprise de la criminalité organisée sur nos infrastructures, dans les prisons et dans certains quartiers.
La corruption est une gangrène, une arme de choix grâce à laquelle les trafiquants font progresser leur influence délétère dans tout le corps social. L'article 22 viendra garantir une meilleure prévention et une détection plus facile de la corruption, sans stigmatisation.
La commission vous proposera un amendement visant à étoffer notre dispositif de détection de la corruption dans les ports, infrastructures éminemment stratégiques pour les narcotrafiquants, via un recours renforcé à la vidéosurveillance des installations sensibles.
Ce qui nourrit la corruption, c'est parfois l'appât du gain, mais c'est surtout la peur des représailles en cas de refus. Il faut rétablir la confiance dans l'État, dans la protection qu'il peut apporter à ceux qui veulent dénoncer les promesses ou les pressions dont ils font l'objet.
De nombreux amendements ayant pour objet les enjeux pénitentiaires ont été déposés : c'est le signe d'une prise de conscience importante et bienvenue. Là encore, l'intervention du Gouvernement pour permettre l'examen d'amendements judicieux, mais qui créent de toute évidence de nouvelles charges financières, sera appréciée sur toutes les travées.
En conclusion, je rappelle que c'est le Sénat qui, le premier, s'est saisi du sujet du narcotrafic dans son ensemble, en ayant la volonté de trouver des solutions pour que nos institutions reprennent l'ascendant face aux trafiquants. L'exemple de nos voisins montre qu'il ne faut pas prendre le risque d'être dépassé par la menace. N'attendons pas qu'il soit trop tard avant de réagir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur certaines travées du groupe UC. – Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, s'il est un sujet sur lequel nous pouvons nous mettre d'accord, en ces temps politiques compliqués, complexes et parfois marqués par les divisions, c'est bien la lutte contre le narcotrafic.
À cet égard, je tiens à saluer le travail salutaire, efficace et lumineux, sans fausse flatterie, du président et du rapporteur de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, Jérôme Durain et Étienne Blanc.
La France consacre depuis longtemps des moyens importants à la lutte contre le narcotrafic, encore plus ces dernières années.
M. Laurent Duplomb. Cela n'a pas marché !
M. Guy Benarroche. Cela n'a pas été efficace !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Même si nous n'en sommes pas encore au point de nos voisins,...
Mme Catherine Belrhiti. On n'en est pas loin !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. ... force est de constater, si on est ouvert sur le monde, que tous les pays sont concernés (M. Laurent Duplomb s'exclame.), que ce soient les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne ou les États-Unis, où la première cause de mortalité est la prise de Fentanyl, et que tous font face à des menaces et à la corruption de leurs fonctionnaires.
Dans certains États autour de nous, des avocats, des magistrats, des policiers, des gendarmes, des hommes politiques sont victimes soit d'assassinats ou de tentatives d'assassinat, soit de séquestrations. Je pense à cet égard à mon homologue belge, ministre de la justice, menacé d'un enlèvement il y a un an et demi.
Ces dernières années, la France a fait preuve d'encore plus d'efficacité. En 2024, 42 tonnes de cocaïne ont été saisies, contre 27 tonnes au lendemain de la crise du covid. Par ailleurs, on note une augmentation très importante du nombre d'interpellations et de condamnations.
Toutefois, comme cela est indiqué dans le rapport de la commission d'enquête, face à la « submersion », pour reprendre le mot d'Étienne Blanc à l'instant, un changement de paradigme complet est nécessaire au sein de la puissance publique et de son organisation – il est possible.
Cette proposition de loi nous invite à réfléchir à un sujet particulier, la spécialisation, comme en matière de terrorisme et de délinquance financière. Si la comparaison avec le terrorisme a ses limites – le nombre d'affaires, les origines –, elle a évidemment un intérêt, face à la menace d'insécurité intérieure que représente le narcotrafic : elle permet de voir comment l'État s'est organisé pour se spécialiser et lutter contre le phénomène.
La spécialisation concerne l'intégralité de la chaîne pénale. Le parquet national anti-criminalité organisée, que nous allons collectivement créer, je l'espère, est évidemment un symbole, mais il ne saurait être le seul de ce texte. Le Pnaco n'a d'intérêt que s'il est spécialisé et intègre l'ensemble de la chaîne, des services enquêteurs jusqu'à la détention, selon des modalités particulières pour les narcotrafiquants les plus importants.
Je ne m'attarderai pas sur le chef-de-filât du ministère de l'intérieur, le ministre d'État y reviendra, mais je souligne l'intérêt, comme pour le parquet national antiterroriste (Pnat), de disposer d'un numéro de téléphone unique pour améliorer la collecte de renseignements. Le renseignement criminel est d'ailleurs encouragé dans la proposition de loi et son importance évoquée dans le rapport de la commission d'enquête. Cela signifie que l'ensemble des services de renseignement, notamment le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), placé sous mon autorité, doivent voir leurs moyens humains et de captation à distance augmentés.
La spécialisation de la chaîne judiciaire, pour me concentrer sur les compétences du ministre de la justice, est très importante et requiert un changement radical d'organisation.
Je me félicite, madame le rapporteur, de l'évolution du Sénat, qui s'est rangé à l'idée d'un parquet national anti-criminalité organisée, après avoir envisagé un parquet national anti-stupéfiants. Nous avons été entendus sur ce point, sachant que la lutte contre la criminalité organisée recouvre évidemment un spectre plus large que la lutte contre les stupéfiants : elle englobe également la traite d'êtres humains ou des produits illicites autres que les stupéfiants.
Les narcotrafiquants ne croient pas en leurs produits, pas plus qu'en leur qualité ; contrairement à des commerciaux pétris de convictions, ils ne considèrent pas que ceux-ci méritent d'être vendus. Ce sont des capitalistes sans règles : ils vendent des produits illicites, dangereux et extrêmement rémunérateurs. La criminalité organisée nous paraît donc recouvrer un spectre plus large, plus complet. Nous soutiendrons évidemment la modification voulue par la commission des lois.
Le Pnaco doit compter non seulement des magistrats nombreux et compétents, mais également, et c'est bien normal, des magistrats chargés de suivre les détentions. Le parquet national antiterroriste compte des procureurs qui suivent spécifiquement les personnes placées en détention provisoire ou en prison pour peine. Le Pnaco doit donc également comprendre une section de magistrats qui suivent la détention.
Globalement, on peut dire que la plupart des gros narcotrafiquants sont soit dans nos prisons, soit à l'extérieur de notre pays. Ils sont assez rarement en France dans les rues de nos villes – ils sont déjà poursuivis par la police, par les services enquêteurs, par les douaniers, par la justice française.
Je reviendrai sur la détention à la fin de mon propos, mais il est évidemment très important, je le répète, que le parquet spécialisé dont nous prévoyons la création comporte des magistrats chargés de suivre particulièrement les narcobandits.
Il nous faut aussi des juges de l'application des peines spécialisés, comme il en existe en matière de répression du terrorisme. L'une des difficultés de la situation dans laquelle nous nous trouvons est qu'il n'existe pas de tels juges spécialisés dans le narcobanditisme. Comme en matière de terrorisme – cela va de pair avec un régime de détention particulier –, nous devons également créer des magistrats du siège en lien avec le Pnaco.
Madame le rapporteur, vous avez évoqué la création de ce parquet national anti-criminalité organisée. Il présente quelques inconvénients, mais a aussi beaucoup d'avantages.
La spécialisation de chaque parquet pose évidemment des questions sur l'unité d'action de la magistrature, mais le mal a été fait, si j'ose dire, avec la création du parquet national antiterroriste (Pnat) et du parquet national financier (PNF). Par conséquent, on ne peut pas reconnaître que la menace est très forte sur la sécurité intérieure et ne pas créer de parquet spécialisé.
Les discussions ont été nombreuses parmi ceux qui ont réfléchi à cette question. Vous-même avez d'abord imaginé un parquet national anti-stupéfiants, d'autres ont songé à fusionner le Pnat et le Pnaco, certains ont pensé à des solutions encore différentes. Le choix a été fait, en lien avec M. le ministre de l'intérieur, de créer un parquet national spécialisé anti-criminalité organisée.
Je défendrai un sous-amendement tendant à prévoir que ce parquet siégera à Paris par défaut. En effet, je ne pense pas qu'il doive obligatoirement être installé à Paris. Nous devons encore en discuter afin d'accompagner la création de ce parquet. Je lancerai une mission de préfiguration dans les semaines qui suivront le vote du Sénat, afin que nous puissions connaître exactement les moyens nécessaires à la création de ce parquet.
Ce parquet ne sera pas chargé de suivre l'intégralité des affaires de narcobanditisme. Il ne le pourrait pas ! Les prisons françaises comptent aujourd'hui 17 000 détenus pour trafic de drogue. On n'imagine pas un parquet national s'occupant d'au moins 17 000 affaires, sans compter celles qui sont toujours dans le portefeuille des magistrats.
Il faut donc que notre travail, ici au Parlement, et celui de la mission de préfiguration permettent de cibler les affaires qui seront confiées à ce parquet, à savoir les plus importantes. Les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et les infra-Jirs prendront en charge d'autres affaires.
Si ce nouveau parquet prenait en charge l'intégralité des affaires de criminalité organisée, il accoucherait malheureusement d'une souris. Si nous ciblons au contraire les affaires qui lui seront confiées, en lui affectant le nombre de magistrats qui convient, alors nous ferons œuvre utile. Évidemment, ces cibles pourront, en fonction des gardes des sceaux et au gré de la politique pénale du Gouvernement, être augmentées ou réduites.
Je ne suis pas favorable au fait que le Pnaco soit le patron des Jirs et ait autorité sur elles. Je suis en revanche favorable au pouvoir d'évocation, ainsi qu'au renforcement des Jirs. Je vous indique d'ailleurs que je proposerai la création d'une nouvelle Jirs dans les mois qui viennent.
Je suis également en mesure de vous annoncer qu'avant même l'adoption de la proposition de loi, nous pourrons doubler les effectifs de magistrats des Jirs, de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et en infra-Jirs. Au total, quatre-vingt-quinze magistrats – cinq à partir du mois d'avril à la Junalco, quarante-cinq au mois de septembre dans les Jirs et en infra-Jirs, plus une cinquantaine d'autres magistrats l'année prochaine – seront affectés à la lutte contre le narcotrafic, soit un doublement des effectifs en deux ans. C'est plus que ce que la République a fait depuis la création des Jirs en 2004.
Évidemment, ces Jirs, les infra-Jirs et la Junalco aujourd'hui et le Pnaco demain doivent être bien préfigurés. C'est pour cela que nous devons disposer de moyens budgétaires – je remercie le Sénat d'avoir été à l'écoute de mon prédécesseur et de lui avoir accordé des moyens supplémentaires – et poursuivre un travail qui dépasse le parquet national.
Ce parquet national doit d'abord coordonner l'action de notre pays, notamment l'action publique en matière de lutte contre les stupéfiants et la criminalité organisée. Il doit permettre une meilleure information, en lien avec le ministère de l'intérieur, notamment pour qu'une affaire Amra ne puisse pas se reproduire sur le sol national.
L'affaire Amra, qui a provoqué la tuerie d'Incarville, est, je pense, révélatrice de nos difficultés profondes. Elle est d'abord, évidemment, le résultat d'une défaillance de l'État et le signe d'un affaiblissement de son autorité, mais aussi un manquement à la protection que nous devons aux agents de la pénitentiaire, pour qui j'ai évidemment une pensée émue aujourd'hui à cette tribune, à leurs familles et à l'ensemble de la société.
M. Amra n'était pas classé comme un détenu particulièrement dangereux par l'administration pénitentiaire, par la justice et la police judiciaire. Si un ministre avait dit à l'époque qu'il allait placer les cent premiers narcotrafiquants dans une prison dédiée, il n'aurait sans doute pas fait partie de ces détenus.
Le manque d'information et de coordination de notre police, de notre justice et de l'administration pénitentiaire n'a pas permis d'avoir une vision à 360 degrés des affaires dans lesquelles M. Amra était impliqué. Ce qu'il s'est passé à Lille, à Évreux, à Rouen ou à Marseille n'était pas connu de l'ensemble des magistrats et de l'administration pénitentiaire.
En revanche, dans un fichier comme celui que l'on appelle le fichier S, l'évaluation, même si elle n'est pas parfaite, a lieu grâce à l'utilisation d'un certain nombre de techniques de renseignement et de suivi, en ayant également connaissance des placements en détention.
Nous devons réfléchir, même si le moment n'est peut-être pas opportun aujourd'hui, à prendre en compte, lors de l'évaluation des narcotrafiquants, non pas seulement les faits qui leur sont reprochés lorsqu'ils sont présentés à un juge, mais aussi la dangerosité qu'ils représentent pour la société. Il conviendra ensuite de prévoir un régime de détention spécifique, comme l'ont fait nos amis italiens pour les mafieux afin d'éviter qu'ils puissent communiquer, corrompre, menacer et organiser des assassinats.
C'est la raison pour laquelle je travaille en ce moment à l'instauration par voie réglementaire, en parallèle de cette proposition de loi, qui, je l'espère, sera adoptée par les deux chambres le plus rapidement possible, d'un régime de détention particulier pour les narcobandits, à l'instar de ce qu'ont fait nos amis italiens. Leur régime a été validé par l'ensemble des institutions européennes. La France est donc évidemment elle aussi en mesure de faire la même chose.
Le blanchiment d'argent, les rapporteurs l'ont longuement évoqué dans leur rapport, stade ultime et le plus important, doit faire l'objet d'un travail complet de la part de nos services enquêteurs et de la justice. Nous sommes assez bons s'agissant du produit, mais assez mauvais s'agissant du produit du produit.
Les circuits du blanchiment, qui ont été évoqués par Étienne Blanc voilà quelques instants, sont complexes. Les narcotrafiquants ne passent pas par les canaux habituels. Ils s'apparentent à une organisation mafieuse et s'en prennent à des fonctionnaires, qu'ils conduisent à trahir leur déontologie, ou au marché légal de l'immobilier, aux loueurs de voitures et au secteur du tourisme, pour ne parler que d'eux. Pour les maires de France, c'est le commerce illicite ou licite qui est source de désordre public et un moyen de blanchir de l'argent.
En vertu de la circulaire de politique pénale que j'ai publiée hier, j'ai demandé aux procureurs de la République d'ouvrir désormais systématiquement des enquêtes pour blanchiment en cas d'enquête pour saisie ou détention de drogue, en lien avec les services de Bercy, la cellule de renseignement financier nationale Tracfin et tous les services qui s'occupent de la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d'argent.
Cette proposition de loi n'aurait pas été complète si elle n'avait pas prévu de simplification de procédures. Vous l'avez vous-même évoqué, monsieur Durain, monsieur Blanc, il faut préserver un équilibre entre les droits de la défense, légitimes, et l'action publique, l'intérêt de la société.
Il faut apporter des modifications aux demandes de remises en liberté pour ne pas emboliser le fonctionnement judiciaire, ainsi qu'aux demandes de nullités, au-delà de la criminalité organisée. Il faut prévoir des simplifications pour l'ensemble de la chaîne judiciaire et pour nos forces de l'ordre. Commençons avec ce texte.
Il faut également mettre en place des visioconférences. Je défendrai un amendement très important en ce sens. Il vise à privilégier les visioconférences depuis le centre carcéral, dans les seules affaires de criminalité organisée, pour l'ensemble des procédures qui ne relèvent pas du jugement et avec l'autorisation du magistrat. Il s'agit bien, malgré les décisions du Conseil constitutionnel, de protéger les agents de la pénitentiaire à la suite de la tuerie d'Incarville.
Aujourd'hui, le détenu peut refuser une visioconférence et demander une extraction judiciaire, ce qui revient à mettre en danger les policiers, les gendarmes et les agents pénitentiaires et, malheureusement, à rendre possible une tuerie comme celle d'Incarville.
Par ailleurs – je porte ici la voix d'Éric Dupond-Moretti, dont je salue le travail avant mon arrivée au ministère de la justice, qui est favorable à un statut du repenti –, nous vous proposerons un statut calqué sur le modèle italien, dont nous discuterons en même temps que des autres formes de statut.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, afin d'assurer la recevabilité financière des amendements nos 182 et 63 rectifié quater, je vous informe que le Gouvernement y est favorable. Cela nous permettra d'en débattre.
À l'instar d'Étienne Blanc, le Gouvernement a la volonté très forte, sachant que la Haute Assemblée est attachée aux libertés publiques, de donner les moyens de captation à nos services de renseignement et à nos services judiciaires. Par deux fois malheureusement, le Sénat et la majorité sénatoriale – pour le dire ainsi – me les avaient refusés lorsque j'étais ministre de l'intérieur. J'espère aujourd'hui qu'avec l'appui de la commission des lois le Sénat octroiera à ces services les moyens de disposer de ces techniques. Il s'agit de permettre à la voiture numérique de l'État d'aller au moins aussi vite, voire plus vite, que celle des trafiquants. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est un texte de combat. Elle l'est par son objet même, c'est une évidence, mais aussi par son origine.
Sans le Sénat, ce texte n'existerait pas. Il est le fruit d'un long travail, comme cela a été rappelé avant moi. Le groupe Les Républicains a fait usage de son droit de tirage en 2023 et conduit une commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Ses conclusions, je le souligne, ont été adoptées à l'unanimité et ont donné lieu à la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Je remercie la présidente de la commission, Muriel Jourda, le président de la commission d'enquête, Jérôme Durain, et son rapporteur Étienne Blanc, tous deux auteurs de la proposition de loi.
Ce texte a une origine singulière. Très peu de textes, dans le domaine régalien, parviennent à percer lorsqu'ils sont d'origine parlementaire.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. C'est vrai !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Ce texte est donc une excellente nouvelle. C'est rassurant au moment où l'on voit bien en France un retour de l'antiparlementarisme. Toutes celles et tous ceux qui, comme vous, comme moi, croient à la démocratie parlementaire et au bicaméralisme seront touchés par le fait qu'un texte de cette nature émane du Sénat.
Avec ce texte, nous menons un combat vital. C'est un combat que les forces de sécurité intérieure mènent trop souvent à armes inégales.
Ce combat est vital, car il s'agit de sauver des vies, les vies d'abord de ceux qui habitent dans des quartiers tenus par des trafiquants, les vies ensuite de ceux qui s'abîment dans la consommation et les addictions, les vies enfin de ceux, de plus en plus jeunes, qui succombent lors de règlements de compte liés aux narcotrafiquants et à la criminalité organisée. Ce sont des enfants-soldats, des enfants victimes : la seule perspective que leur offre la racaille est un chemin de larmes et un destin de sang.
Face à cela, nous devons réagir. Un sursaut national est nécessaire.
Ce combat vital, je l'ai dit, nous le menons à armes inégales, que ce soit sur le haut ou sur le bas du spectre. Sur le haut du spectre, l'armature de l'État est beaucoup trop éclatée face à des réseaux et des organisations qui sont parfaitement coordonnées et pilotées.
Pour gagner un combat, et plus encore une guerre, il faut des chefs de guerre. C'est pourquoi il faut spécialiser la chaîne judiciaire, M. le garde des sceaux vient de le dire, et placer à sa tête un Pnaco, c'est une évidence. En miroir de cette organisation juridictionnelle, il faut une organisation opérationnelle dans le périmètre qui est le mien, celui du renseignement, du judiciaire – je pense notamment aux enquêteurs.
C'est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous proposerai de créer, non pas par la voie législative, mais par la voie réglementaire, un état-major semblable à celui qui a été mis en œuvre pour lutter contre le terrorisme.
Cet état-major, qui a permis d'obtenir de très bons résultats en matière de terrorisme et qui associe des services judiciaires et des services de renseignement, a été créé non par une loi, mais par la voie réglementaire. Il devra, autour de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), qui traite déjà près de 85 % des affaires de criminalité organisée, associer l'ensemble des services de façon très interministérielle. J'y reviendrai lorsque nous débattrons de l'article 1er, sur lequel un certain nombre d'amendements ont été déposés. Ils sont importants, mais je suis très attaché à ce que nous dispositions d'une organisation opérationnelle et proportionnée à la menace à laquelle nous faisons face.
Si l'armature de l'État est trop éclatée sur le haut du spectre, nos armes, sur le bas du spectre, sont trop émoussées. Lorsque je vais sur le terrain au contact des préfets, des policiers, des gendarmes, de ceux qui sont confrontés à cette menace, tous me disent qu'ils ont besoin de nouveaux moyens, car ceux dont ils disposent aujourd'hui ne sont pas à la hauteur. Cette menace est quasiment existentielle.
C'est la raison pour laquelle je vous demanderai de doter nos services, nos préfets, de nouveaux moyens et de nouveaux pouvoirs pour pouvoir briser l'écosystème territorial, l'emprise du narcotrafic et de la criminalité organisée.
Cela signifie d'abord donner le pouvoir au préfet d'expulser un trafiquant de son logement social, afin qu'il ne pourrisse pas la vie de tout l'immeuble. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.) Cela signifie ensuite donner le pouvoir de fermer des commerces qui blanchissent de l'argent sale. Cela signifie enfin donner le pouvoir de saisir des biens financés par la criminalité organisée.
Ce sont ces nouveaux moyens que nous vous demanderons, ainsi qu'un certain nombre d'autres.
Les organisations criminogènes étant d'une exceptionnelle dangerosité, il faut protéger les enquêteurs par l'anonymisation, bien sûr, mais aussi en ayant recours à des techniques d'enquête spéciales, qu'il va falloir étendre, là encore pour être à la hauteur de la menace ; j'y insiste. Des opérations comme l'enquête sur le réseau EncroChat, qui a été un grand succès de la gendarmerie nationale, ont montré que ces organisations progressaient dans la maîtrise des outils numériques.
Un certain nombre d'autres mesures seront nécessaires afin de durcir notre arsenal.
J'en viens à présent à la corruption.
Ceux qui pensent que nous n'avons pas d'armes pour lutter contre la corruption, qu'elle est une fatalité, ceux-là sont des défaitistes. Si nous ne parvenons pas à freiner et à repousser ce phénomène, notre démocratie se trouvera ébranlée par cette menace existentielle. Il y va donc de l'intérêt fondamental de la Nation. Si on laisse une emprise territoriale à ces narco-enclaves toujours plus grandes, la souveraineté de la France sera menacée. Si on laisse libre cours à la corruption, dans le privé comme dans le public, dans tous les métiers, nos institutions en subiront les conséquences. Nous vous demanderons des moyens fermes et proportionnés à la menace.
J'ai évoqué il y a quelques instants le numérique. Il faut donner à la plateforme Pharos (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements), qui fonctionne bien et que vous connaissez bien – peut-être même l'avez-vous utilisée pour signaler un certain nombre de menaces – les mêmes pouvoirs contre la criminalité organisée que ceux dont elle dispose contre le terrorisme et la pédopornographie. C'est fondamental pour être à la hauteur de la menace.
Madame le rapporteur, afin d'assurer la recevabilité financière de l'amendement n° 258, qui a pour objet la surveillance portuaire, je vous indique que nous y sommes favorables. On sait que les ports sont de grandes portes d'entrée sur le territoire national, dans l'Hexagone ou dans nos outre-mer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je tenais à vous dire avant que nous n'abordions l'examen des articles de la proposition de loi et des amendements.
Pour terminer, il ne faut pas se faire d'illusions : ce combat sera long, je l'ai souvent dit, mais nous allons le gagner. Nous le gagnerons, parce que vous allez construire ici, au Sénat, avec cette proposition de loi d'origine sénatoriale, un nouvel arsenal législatif.
Mieux, nous gagnerons ce combat, parce que la volonté est là, et, en politique, la volonté, c'est ce qu'il y a de plus fort, ce qui anime l'action.
De plus, cette volonté est transversale, elle dépasse les clivages politiques. C'est une chance qu'il nous faut saisir.
Il nous faut la saisir d'abord pour montrer à nos compatriotes que, si, de nos jours, la politique désespère parfois, elle ne débouche pas nécessairement sur l'impuissance, l'impossibilisme, l'immobilisme : lorsqu'une nation est rassemblée, elle peut relever des défis ardus.
Il nous faut la saisir ensuite pour donner une première victoire, avec ce texte, à la République Française, cette République que nous représentons tous ici, que tous ici nous servons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée est une priorité du Gouvernement, qui ne se limite pas aux ministères régaliens, car la menace, dont l'intensité nous est rappelée chaque jour, ne relève pas que du ministère de la justice ou de celui de l'intérieur.
En tant que ministre chargée des comptes publics, je souligne que la criminalité organisée occasionne une perte considérable de recettes fiscales.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. C'est intolérable compte tenu de la situation budgétaire du pays.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Cette situation nous impose des efforts inédits, comme vous le savez, pour préserver les générations futures d'une dette massive. C'est aussi une question de crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens et internationaux que de mieux gérer nos ressources. Par conséquent, notre main ne doit pas trembler face à ces criminels et à leurs trafics.
Un travail considérable est accompli chaque jour par les services de Bercy dans la lutte contre les trafics de stupéfiants, la criminalité organisée, le blanchiment et les flux financiers illicites. Je tiens à saluer la très grande mobilisation et l'engagement sans relâche de la douane, notamment la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, et de Tracfin pour lutter contre ce fléau.
Grâce à son positionnement privilégié en matière de surveillance et de sécurisation des frontières extérieures de l'Union européenne, à l'instar des autres douanes européennes, la douane est à l'origine de 60 % à 75 % des saisies de stupéfiants, toutes administrations confondues. Elle collabore avec les services de police judiciaire et avec l'autorité judiciaire ; elle inscrit son action en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants dans le cadre interministériel du plan national de lutte contre les stupéfiants.
Tracfin, lui, est capable d'identifier les avoirs criminels des têtes de réseau du narcotrafic, que ces avoirs soient situés en France ou à l'étranger, et il peut organiser la saisie rapide de leurs comptes bancaires en France et révéler les activités économiques des groupes criminels.
Depuis le mois de septembre 2023, des avoirs financiers d'un montant de 40 millions d'euros ont été saisis sur les comptes de sociétés dites lessiveuses grâce à l'action de Tracfin et des parquets. En 2024, nos services ont permis de mettre au jour des réseaux structurés agissant bien au-delà des frontières françaises, ce qui a facilité le travail des magistrats.
La proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui est issue d'un travail transpartisan. Elle fait suite au rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, présidée par Jérôme Durain et dont le rapporteur était Étienne Blanc, dont je tiens à saluer les travaux. Elle nous rassemble autour de son ambition et de ses objectifs, car il s'agit bien d'une priorité nationale.
Ce texte constitue une étape majeure pour donner à nos services respectifs, chacun dans son champ de compétence, les outils et les moyens de leur action, dans un contexte où les criminels, eux, font preuve à tous égards d'une grande ingénierie, d'une grande agilité, et disposent de moyens matériels et financiers inédits. Je veux être claire, nous ne pouvons prendre aucun retard par rapport aux trafiquants. L'État doit pouvoir les traquer partout où ils sévissent.
Cette proposition de loi permet de renforcer significativement les pouvoirs de Bercy. Elle tend à créer un dispositif de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, à l'instar de ce qui existe déjà en matière de lutte contre le terrorisme, pour bloquer l'accès aux financements en complément de l'action judiciaire, dans les cas de fuite ou pour élargir les actions aux personnes de l'entourage et aux sociétés écrans.
Elle vise aussi à interdire aux fournisseurs de services sur actifs numériques de proposer des comptes anonymes ou des mixeurs de cryptoactifs, qui sont devenus des vecteurs majeurs de blanchiment des trafics de stupéfiants. Elle vise à donner à Tracfin accès au système d'immatriculation des véhicules (SIV), pour élargir ses enquêtes patrimoniales. Enfin, elle a pour objet d'élargir la présomption de blanchiment douanier aux évolutions technologiques, notamment aux cryptomonnaies lorsqu'elles sont volontairement opacifiées.
Ces avancées sont précieuses pour les services concernés, mais nous souhaitons aller encore plus loin.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Lors des débats, nous vous proposerons plusieurs amendements visant à renforcer la répression du blanchiment et à entraver davantage encore l'action des criminels. Le premier service d'investigation en matière de blanchiment est l'Office national antifraude (Onaf), qui est placé sous la double tutelle des douanes et de la direction générale des finances publiques (DGFiP), et que nous vous remercions, mesdames, messieurs les sénateurs, de vouloir renforcer, ainsi qu'en attestent vos propositions.
Pour aller plus loin, nous devons faciliter l'accès à l'information à des fins d'enquête et le partage des informations en question, qui changera véritablement la donne pour les services. C'est le sens des dispositions que nous vous présenterons, permettant notamment aux agents de la douane d'avoir accès aux données de certains opérateurs privés dans les secteurs des transports et de la logistique. C'est un enjeu majeur pour la maîtrise des flux et des échanges, notamment dans les ports – M. Retailleau s'est récemment rendu au Havre –, sur lequel nous avons beaucoup de retard, notamment par rapport aux Five Eyes anglo-saxons.
C'est pour cela aussi que la proposition de loi vise à donner à plusieurs services accès à certains fichiers. Nous proposons de donner également à l'Onaf accès au fichier informatisé des données juridiques immobilières (Fidji).
Il s'agit aussi de donner à nos services la possibilité d'appréhender les criminels, en autorisant les visites domiciliaires après vingt et une heures. Ainsi, les agents des douanes habilités, sur ordonnance du juge des libertés et de la détention, pourront accroître leur efficacité.
Il s'agit encore de permettre aux lanceurs d'alerte d'adresser des signalements à Tracfin. Cette extension permettra, pour la première fois, à ce service de traiter des informations émanant de personnes physiques. Elle permettra aux lanceurs d'alerte de signaler tout type de faits, notamment des faits de blanchiment de trafic de stupéfiants.
Les flux financiers sont également au cœur des enjeux de la lutte contre les trafics. L'extension de la présomption de blanchiment douanier, notamment aux cryptoactifs, permettra d'inverser la charge de la preuve de la provenance délictueuse des fonds : ce sera aux fraudeurs de se disculper.
En un mot, comme vous l'avez dit, monsieur le garde des sceaux, le but n'est pas seulement de saisir la drogue, mais bien de taper les criminels au portefeuille. Nous devons donc permettre aux douanes non seulement de saisir les stupéfiants ou le matériel issu des trafics, mais aussi d'entraver la circulation des flux financiers massifs générés par ces trafics.
La création de la procédure d'appréhension des comptes bancaires et des instruments financiers en cas de notification d'infractions douanières permettra ainsi que soient saisis les comptes et les avoirs financiers là où, aujourd'hui, les douaniers n'ont parfois le droit de saisir que les voitures ou les bateaux qui ont contribué aux infractions.
Enfin, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre la criminalité organisée et le narcotrafic repose sur des femmes et des hommes engagés, que nous devons protéger. Cela passe notamment par la protection des techniques douanières, qui ne doivent pas être divulguées aux criminels et aux trafiquants au moment des procès pour rester efficaces dans le temps. C'est le sens de la mesure permettant d'étendre aux services douaniers la possibilité de créer un dossier distinct.
Par ailleurs, l'ancienne ministre de la fonction publique que je suis note avec une grande satisfaction que les agents des douanes pourront se pseudonymiser. Ce faisant, il s'agit de les protéger pleinement face aux trafiquants qui, eux, ne connaissent pas de limites. Je salue aussi la possibilité que vous souhaitez offrir aux enquêteurs de l'Onaf de faciliter leur saisine en matière de blanchiment du produit des infractions à la législation des stupéfiants, qui lui permettra d'être encore pleinement effective.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, il est urgent d'agir. Le Gouvernement n'a pas qu'une vision régalienne des sujets et inclut pleinement les enjeux financiers. L'État sera fort, grâce à vous, et je vous en remercie. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, nous connaissons les conséquences humaines et sociales dramatiques du narcotrafic dans la quasi-totalité des territoires de la République. Nombreux sont les quartiers qui portent les stigmates d'un trafic à ciel ouvert. J'aurais pu, sur le modèle du rappel des titres d'un journal télévisé, dresser la liste des drames commis au nom de la drogue et de son commerce, en pointant les paroxysmes des violences exercées. Avec elles, c'est un quotidien d'insécurité et de précarité auquel sont confrontés un grand nombre de nos concitoyens.
À voir les villes concernées, on constate que l'on est bien loin de l'idée reçue selon laquelle seuls des départements hyper-urbanisés seraient touchés.
Ce que nous pouvions considérer il y a quelques années comme des faits divers, des épiphénomènes individuels, est devenu un fait social pour notre nation entière. Il s'agit de gestes qui sont devenus si fréquents et réguliers et qui se sont tellement étendus qu'il n'y a plus rien d'isolé dans chacun des récits.
Au printemps dernier, le Sénat a rendu un rapport de qualité intitulé Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic, qui mérite d'être salué. J'étais moi-même membre de la commission d'enquête à l'origine de ces travaux. Toutes les auditions qui ont été menées dans ce cadre ont dressé un constat préoccupant.
Les trafiquants ont développé des réseaux très organisés. Cette expansion s'accompagne d'une augmentation alarmante de la violence, ainsi que de faits de corruption très préoccupants. Certains territoires d'outre-mer sont particulièrement vulnérables. Leur géographie, stratégique, en fait des plaques tournantes du trafic de cocaïne et de cannabis.
Les rapporteurs l'ont souligné : nous observons également une véritable ubérisation du trafic, allant jusqu'à la création de centres d'appels pour assurer des livraisons à domicile. Les criminels rivalisent d'ingéniosité pour contourner la répression. Cette sophistication des méthodes conduit à ce que le trafic se structure comme une industrie, à l'échelon tant national qu'international.
Tout cela n'est pas inévitable et je me réjouis que le Sénat soit à l'initiative d'un sursaut. Le texte que nous examinons est d'une grande richesse. Évidemment, certains points ne sont pas abordés, comme la prévention. Celle-ci est nécessaire et nous ne pourrons pas faire l'impasse sur ce sujet. Toutefois, elle pourra faire l'objet d'un autre véhicule législatif.
Dans tous les cas, l'organisation d'une lutte efficace contre le trafic ne nous exemptera pas d'un débat de société sur les drogues, sur les explications sociales de l'addiction, pour comprendre comment des jeunes oubliés des politiques de la ville tombent aujourd'hui dans les mains des trafiquants. Face aux griffes des criminels, nous devons également tendre la main, solidaire, de la République.
Avec ce texte, nous allons discuter d'une question primordiale : la réponse sécuritaire et pénale. Le consensus sénatorial est attendu par nos concitoyens.
Je ne ferai pas l'inventaire des dispositifs proposés. J'évoquerai simplement une modification émanant de la commission des lois : préférer au parquet national anti-stupéfiants un parquet national anti-criminalité organisée. C'est une très bonne chose, car il y a une dimension tentaculaire dans le narcotrafic, qui s'accomplit suivant des procédés innombrables. Il ne faut pas nous restreindre !
Nous saluons également l'ensemble des dispositifs proposés en vue d'endiguer le blanchiment d'argent. D'autres outils d'ordre procédural pourraient également voir le jour. Je pense à la création de dossiers coffres ou au recours au procès-verbal distinct pour protéger les techniques d'enquête sensibles. Il s'agit indéniablement d'une atteinte au principe du contradictoire, constituant un pilier du procès équitable. C'est pourquoi, mes chez collègues, je vous invite à veiller à ne pas fragiliser les droits de la défense. La délibération parlementaire que nous nous apprêtons à avoir est importante pour trouver des solutions de compromis qui garantissent la protection des droits et des libertés tout en maintenant un exigeant niveau d'efficacité. À mon sens, la mesure est suffisamment encadrée, limitée et proportionnée à l'objectif qu'elle vise.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, tout en espérant que ce texte soit accompagné des moyens financiers nécessaires, le groupe RDSE votera en sa faveur à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic prolonge opportunément le travail accompli par la commission d'enquête sénatoriale, qui était présidée par Jérôme Durain et dont le rapporteur était Étienne Blanc : je les félicite tous les deux pour leur travail. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Avant tout, je veux saluer l'engagement de nos forces de l'ordre et de nos magistrats. Le taux moyen d'homicides en France a été divisé par deux depuis les années 1990. Il est de 1 pour 100 000 habitants, une proportion à peu près stable depuis dix ans. Nous sommes très loin de ce que l'on observe en Amérique latine, où ce taux est près de vingt fois supérieur.
La France reste un pays sûr. Nous avons un État qui fonctionne. Notre police et notre justice agissent. Nous devons leur permettre de s'adapter, car nous entrons dans une nouvelle ère.
L'Amérique latine, avec 8 % de la population mondiale, totalise 37 % des homicides. Plus des deux tiers de ces meurtres sont attribuables à des groupes criminels. Traditionnellement, les cartels contrôlaient des territoires limités et se spécialisaient dans un seul produit, généralement la cocaïne. Aujourd'hui, ils s'internationalisent et se diversifient rapidement. Ils s'impliquent de plus en plus dans le trafic d'êtres humains et de produits illégaux, dans les kidnappings et l'extorsion.
Nous voyons se développer chez nous les activités que les cartels laissent aux groupes locaux, car elles requièrent une main-d'œuvre nombreuse et génèrent un moindre profit. Nos outre-mer sont en première ligne sur la route de ce trafic.
Étienne Blanc l'a bien dit : nous pouvons voter toutes les lois du monde, si nous ne mettons pas les moyens en face, les résultats ne seront pas au rendez-vous.
Pays producteurs et pays consommateurs ne peuvent se renvoyer la balle. Ils sont les deux faces de la même pièce. L'ensemble des pays de la zone affectée par le narcotrafic réclament une coopération internationale plus poussée.
Pourtant, nous n'avons même pas dix attachés de sécurité intérieure pour toute l'Amérique latine ! Il n'y en a qu'un au Pérou ou en Bolivie, alors que ces pays sont respectivement les deuxième et troisième producteurs mondiaux de cocaïne. Qui plus est, notre attaché de sécurité intérieure au Venezuela a été expulsé ce week-end par M. Maduro…
Au mois de mai dernier, à l'invitation du ministre de l'intérieur bolivien, j'ai assisté dans la jungle amazonienne à une opération de destruction de laboratoires de cocaïne. Nous y avons découvert des sacs de précurseurs chimiques fabriqués en Chine, qui entrent à 60 % dans la composition de la cocaïne. Ces précurseurs chimiques peuvent être commandés sur internet. Ils composent également les drogues de synthèse comme le Fentanyl.
Un vendeur de Fentanyl dans les rues de New York gagne 30 000 dollars par semaine. Les États-Unis sont passés de quelques centaines de décès liés à ce produit au début des années 2010, à plus de 70 000 en 2021, pour franchir la barre des 120 000 décès en 2023. Cette année-là, le président Biden a ajouté la Chine à la liste américaine des principaux pays producteurs de drogues illicites au monde. Les mafias chinoises assurent le blanchiment de ces profits au travers de casinos, d'immobilier et de sociétés écrans diverses. Comme notre commission d'enquête l'a révélé, Hong Kong est devenu le trou noir du blanchiment.
Si louables que soient les avancées proposées dans ce texte, que le groupe Union Centriste soutiendra, nous sommes conscients que le volet répressif ne résoudra rien à lui seul.
Le premier décès officiel par overdose enregistré en France date de 1969. Nous en comptons actuellement plusieurs centaines par an. Sur les routes, un décès sur cinq implique un conducteur ayant consommé de la drogue.
Au-delà des mesures d'urgence proposées dans ce texte, sur lesquelles reviendra Pascal Martin, il nous faudra des politiques beaucoup plus élaborées sur le long terme, avec des efforts importants pour la prévention, en particulier en faveur de la jeunesse, pour enrayer la violence liée à la drogue tout en préservant nos libertés publiques.
La guerre contre le narcotrafic est mondiale. Pour la gagner, il faut adopter une approche européenne, en donnant de véritables moyens à la coopération internationale contre le crime organisé pour empêcher l'arrivée de la drogue sur notre territoire.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Cadic. Croyez-vous que nous aurions réussi dans notre lutte contre le terrorisme sans aller combattre Daech sur son terrain, en Syrie et en Irak ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, en 2023, avec 49 narchomicides, Marseille, ma ville, fut plus que jamais au centre d'une actualité dramatique. C'est d'ailleurs ce qui m'a poussé, avec mes collègues Marie-Arlette Carlotti et Guy Benarroche, à demander au président Larcher la mise en place d'une commission d'enquête sur le narcotrafic.
Enfant des quartiers nord de Marseille, je sais pourtant que ma ville, mes quartiers, ne se résument pas à cela – tant s'en faut. Pourtant, comment ne pas voir la progression continue des trafics, de plus en plus organisés, structurés et, j'ose le mot, de mafias structurant ces trafics ?
Au mois de janvier 2024, j'ai lancé un appel qui a rassemblé plusieurs milliers de signatures : acteurs de la place portuaire, responsables de l'éducation nationale, acteurs du monde culturel, tous, nous dénoncions avec force le poids de ces mafias dans ma ville, dans mon département, mais également dans le pays. Oui, cette problématique est bien une problématique nationale, et même internationale.
Je voudrais ici rendre hommage au député communiste italien Pio La Torre, assassiné par la mafia en 1982 après avoir mené une vie de combat contre ces organisations criminelles. Je souhaite rendre hommage aussi à François Billoux, député communiste de Marseille, ministre, qui, dès 1936, lançait une grande campagne intitulée « Marseille propre », pour lutter contre les mafias de l'époque.
Le communiste que je suis sera toujours pour la lutte acharnée contre ces réseaux et ces mafias. Certaines mauvaises langues mal intentionnées pourraient trouver contre-intuitif qu'un communiste appelle à l'ordre.
M. Jérémy Bacchi. Je réaffirme ici avec force que les premières victimes de ces mafias sont bel et bien les personnes les plus fragilisées, les plus vulnérables et les plus précaires. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) Ce sont leurs quartiers, leurs maisons, leurs familles qui sont exploités par les bandes mafieuses. Si l'État les a abandonnés, les trafiquants, eux, se montrent bien présents, gangrenant notre pays et profitant des failles de notre État social.
Si je salue ici le travail de mes collègues sur cette proposition de loi, il nous faudra aussi réinvestir tous les territoires de la République. Là où l'État est fort, le narcotrafic recule. Là où l'État est faible, les mafias prospèrent. Un État fort, cela signifie des services publics présents et de qualité, partout et pour tous.
L'État doit protéger. Il doit protéger les quelque 350 000 mineurs relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE) que ces mafias recrutent sans plus même se cacher, souvent sous la contrainte d'ailleurs. Il s'agit d'une main-d'œuvre bon marché et corvéable à merci, dès la sortie des foyers.
Ni les moyens humains ni les moyens financiers ne sont à la hauteur, malgré la mobilisation des professionnels, que je salue. Nombreux sont ceux qui tirent la sonnette d'alarme face à cet abandon.
Il faut protéger aussi tous les professionnels particulièrement exposés aux narcotrafiquants, plutôt que les présumer coupables ou complices. Je pense bien sûr aux avocats, au personnel des ports, aux dockers, aux agents pénitentiaires ou encore aux douaniers. C'est parce qu'ils sont en première ligne face aux réseaux de narcotrafiquants qu'il nous faut assurer leur protection. Nous avons déposé plusieurs amendements en ce sens.
Enfin, il nous faut agir avec cohérence et détermination à chaque étape de la lutte contre le narcotrafic. La réforme récente de la police judiciaire paraît, dans ce contexte, d'autant plus surprenante. L'excellent travail réalisé par nos collègues Jérôme Durain et Étienne Blanc dans le cadre de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a bien montré qu'une stratégie fondée sur un travail d'enquête de fond et à long terme est beaucoup plus efficace contre la criminalité organisée. Nous attendons donc le retour de la police judiciaire, seule apte à faire face à la criminalité organisée.
La cohérence et la détermination à chaque étape de la lutte contre le narcotrafic doivent aussi s'incarner dans nos relations diplomatiques. La France doit davantage hausser le ton contre les pays producteurs de drogues, que ce soit le cannabis, la cocaïne ou l'héroïne. S'attaquer aux mafias, c'est aussi s'attaquer aux lieux de production qui prospèrent à travers le monde, parfois même, malheureusement, avec la complicité de certains États.
Par conséquent, malgré les mises en garde émises et notre vigilance lors de l'examen du texte, notre groupe, convaincu que la lutte contre le narcotrafic s'intègre dans un projet de développement économique, social, démocratique et populaire, et dans un souci de responsabilité, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et Les Républicains. – Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Hussein Bourgi applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi fait suite aux travaux de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, demandée par les trois sénateurs écologistes et de gauche des Bouches-du-Rhône – Marie-Arlette Carlotti, Jérémy Bacchi et moi-même – et créée sous la houlette de Bruno Retailleau, alors président du groupe Les Républicains au Sénat, désormais ministre d'État, ministre de l'intérieur, présent aujourd'hui au banc du Gouvernement.
Je m'en félicite, car cela montre le sérieux des travaux de notre commission d'enquête, dont la création a découlé d'un constat commun, partagé, transpartisan. Ce constat portait sur l'échec des politiques de l'esbroufe, des places nettes, des opérations XXL : plus de saisies, davantage de personnes en prison, mais un trafic en augmentation constante.
Je regrette toutefois que le Gouvernement n'ait pas déposé un projet de loi reprenant dans les grandes lignes les conclusions de notre commission d'enquête, que M. Dupond-Moretti nous avait annoncé comme prêt. Nous aurions ainsi disposé d'une véritable étude d'impact du Conseil d'État et, au moins, d'une garantie d'engagement budgétaire reposant sur une évaluation réelle des besoins matériels et financiers.
Au lieu de cela, nous allons voter des dispositions qui coûtent de l'argent et requièrent de nouveaux moyens humains, alors qu'il semble que nous n'en ayons pas les moyens, vu l'état dans lequel vous avez mis nos finances publiques.
Cette proposition de loi comporte un ensemble d'éléments et de mesures indispensables. Pourtant, d'autres mesures, tout aussi essentielles, n'y figurent pas.
Nous regrettons que le texte ne prévoie rien sur le volet prévention, que ne soient pas envisagées et programmées deux grandes campagnes servant une cause nationale, à l'attention, d'une part, des consommateurs, d'autre part, des personnes en grande précarité, cibles privilégiées des trafiquants pour devenir les petites mains de ces réseaux, le Lumpenproletariat de cette industrie.
Nous regrettons l'absence de mesures d'information pour éviter l'entrée dans la consommation, sur les parcours de soins, sur la prise en charge des addictions, sur l'intérêt de légaliser ou de dépénaliser certains usages : aucune politique de santé publique, donc.
Rien non plus sur le volet économique et social, levier majeur de la lutte contre le narcotrafic. Rien sur la politique de la ville. Rien sur la lutte contre la précarité. Rien sur le logement, sur l'insertion par l'école et par le travail.
Rien, enfin, sur l'accompagnement et le traitement social des victimes du narcotrafic et de leurs familles. C'est pourtant l'une des demandes fortes des familles que nous avons auditionnées, à la demande des sénateurs de Bouches-du-Rhône. Nous avons déposé un amendement, qui s'est heurté à l'article 40 de la Constitution…
Pour affronter le narcotrafic, nous avons besoin d'équilibrer la dissymétrie qui existe entre les moyens de lutte et ceux des trafiquants.
« Je crains que nous ne soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants. » Cette phrase, prononcée par une magistrate marseillaise lors des auditions de la commission d'enquête il y a près d'un an, reflète bien la réalité. La magistrate de la cité phocéenne nous parlait du manque de « moyens humains et matériels » dans la lutte contre le trafic de drogue.
Ce texte contient des mesures attendues et des avancées certaines. Si elles ne sont pas accompagnées de moyens, celles-ci ne permettront pas de déjouer le piège du narcotrafic. Les nombreuses solutions avancées seront déterminantes dans les domaines judiciaire, policier, administratif et financier, sur le blanchiment et la corruption. La plupart des mesures proposées vont dans la bonne direction et sont, je le répète, indispensables.
Le narcotrafic est le nec plus ultra du capitalisme libéral mondialisé. Il ne se limite pas aux stupéfiants. C'est un système de criminalité organisée, qui a comme composante principale et native le trafic de drogues. Nous apprécions que le texte sorte de la focalisation sur le bas de la chaîne, les produits stupéfiants, le consommateur, pour enfin viser plus loin, frapper les trafiquants au porte-monnaie et s'attaquer à un système globalisé.
Les articles sur le blanchiment étaient attendus, ils sont bienvenus. Nous saluons la nécessaire prise en compte de la corruption, phénomène qui était très nettement sous-évalué par toutes les administrations au début de nos travaux. Nous resterons toutefois très vigilants quant à l'équilibre du texte.
Ainsi, nous examinerons comment sera améliorée la chaîne du traitement judiciaire et policier du narcotrafic. Notre combat acharné et déterminé contre ce fléau ne doit pas s'effectuer au détriment des droits de l'ensemble des justiciables et de la défense. Nous resterons particulièrement attentifs aux mesures dérogatoires, comme l'allongement des privations de liberté, que ce soit pour la détention provisoire ou la garde à vue.
Il est nécessaire que, comme l'a décidé la commission, le périmètre du parquet spécialisé contre la criminalité organisée dont la création est envisagée ne se limite pas à la lutte contre les stupéfiants. Je l'ai souvent rappelé, et les acteurs de terrain nous le répètent : le trafic de stupéfiants n'est qu'une facette partielle de l'activité du narcotrafic.
Chers collègues, la vision de notre groupe est, je le sais, souvent décriée, mais c'est une vision globale. Loin des caricatures, nous souhaitons mettre fin à la délinquance liée au trafic et à une criminalité qui blesse, tue, rackette, terrorise nos villes, essaye de corrompre les plus précaires et constitue un danger pour la sûreté et la tranquillité publiques !
Le narcotrafic atteint toutes les sphères et tous les domaines de notre société. Il est donc du devoir de l'État de mobiliser tous les moyens pour le combattre, et tout de suite ! Cela inclut ceux que j'ai évoqués et qui ne sont pas dans ce texte, et tous ceux qu'une démocratie peut utiliser dans le cadre d'une répression équilibrée, juste et efficace du haut du spectre, les gros actionnaires du narcotrafic. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Narassiguin. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour modifier notre arsenal juridique, afin de lutter contre un mal qui fait des ravages partout en France, dans nos moyennes et grandes villes, nos campagnes, sans oublier nos territoires ultramarins : le trafic de stupéfiants.
Je tiens à saluer l'excellent travail de Jérôme Durain et d'Étienne Blanc au sein de la commission d'enquête, puis dans la rédaction de ce texte. Celui-ci a vocation à poser les premiers jalons d'un État plus fort et mieux armé dans la lutte contre le narcotrafic, mais aussi, et surtout, contre la violence exacerbée que celui-ci induit, faisant de nombreuses victimes, souvent très jeunes.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain salue d'abord la réorganisation indispensable des acteurs de cette lutte, qui ont besoin d'une véritable spécialisation. Cela passe par le renforcement de l'Office anti-stupéfiants et par la création d'un parquet national anti-criminalité organisée, avec une meilleure coopération et une coordination avec les juridictions interrégionales spécialisées.
Nous nous félicitons également des nouveaux outils visant à lutter contre le blanchiment, comme la procédure d'injonction pour richesse inexpliquée ou le gel judiciaire des avoirs. En effet, « frapper au portefeuille » les trafiquants semble devenu parfois beaucoup plus dissuasif que la menace de l'incarcération.
Le volet relatif au renseignement permettra d'assurer une meilleure coordination entre nos services de renseignement et l'autorité judiciaire. Toutefois, des garde-fous sont nécessaires. Aussi, nous proposerons des contrôles renforcés de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), ainsi que de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Je l'ai souligné, ce texte pose les premiers jalons. Soyons clairs : si nous sommes désarmés face au narcotrafic, c'est parce que nous n'avons pas les moyens financiers de lutter contre. Notre pays fait partie des pays européens qui investissent le moins dans leur justice.
Nous devons investir massivement dans toute la chaîne pénale pour recruter des magistrats et des fonctionnaires de justice capables de faire face à une prolifération d'affaires.
D'ailleurs, ce n'est pas parce que notre justice manque cruellement de moyens qu'il faut désarmer les avocats en violant les droits de la défense. Nous refusons de remettre en cause la probité des avocats qui ne font qu'utiliser les voies de droit légales existantes, afin d'assurer la défense de leurs clients.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Bravo !
Mme Corinne Narassiguin. Le code de procédure pénale est un élément constitutif-clé notre État de droit. Les plus grandes précautions s'imposent quand il s'agit d'y toucher.
Aussi, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sera particulièrement vigilant pour trouver un juste équilibre entre, d'une part, la nécessaire lutte contre le narcotrafic et, d'autre part, le respect de nos principes les plus fondamentaux et de nos libertés individuelles. Nous vous proposerons des amendements en ce sens.
Enfin, nous saluons les dispositifs visant à lutter contre la pénétration du narcotrafic en prison. Au travers de nos amendements, nous restons fidèles à nos demandes constantes relatives au respect des conditions de détention dignes, élément primordial, notamment afin de lutter contre la récidive.
Vous l'aurez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain souscrit pleinement aux objectifs de cette proposition de loi et considère qu'il est urgent de réarmer notre justice et nos services de police, en commençant par leur donner plus de moyens. Tout au long du débat, nous resterons vigilants quant au respect de l'État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, le 11 septembre 2023, Socayna, 24 ans, était tuée chez elle par la balle perdue d'un narcoterroriste. Elle habitait non pas dans la banlieue de Bogota ou de Mexico, mais dans une résidence du dixième arrondissement de Marseille.
Cette tragédie a suscité émotion et colère à travers tout le pays, et puis... on est passé à autre chose !
Faut-il attendre que des policiers ou des magistrats soient tués ? Faudra-t-il que le ministre de la justice soit menacé d'enlèvement, comme c'est le cas en Belgique, pour que vous agissiez, afin d'éviter que la France ne devienne à son tour un narco-État ?
Ce terrorisme du quotidien entraîne l'incarcération d'habitants de résidences et de cités entières chez eux, soumis aux contrôles aux frontières des territoires conquis, où les agents des services publics, pompiers et médecins compris, sont, comme je l'ai été moi-même, arrêtés, contrôlés, et dont le véhicule est fouillé.
Les plus libres de nos compatriotes qui vivent ce terrorisme de moyenne ampleur ont honte d'inviter leurs proches chez eux, car il leur faudrait passer le contrôle des choufs. Oui, ils ont honte d'habiter dans certains quartiers de la deuxième ville de France !
Dans ce contexte, trouver un modus vivendi avec les dealers et légaliser le cannabis, comme le souhaite le maire gauchiste de Grenoble, reviendrait à officialiser la victoire de ce terrorisme. C'est sur les épaules de ces politiques gauchos-collabos que la honte devrait lourdement reposer ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Guy Benarroche. Parlons-en, des collabos !
M. Stéphane Ravier. De plus, 50 % des petites mains du trafic interpellées par la police à Marseille sont des clandestins. Eh oui, monsieur le ministre de la justice, cette submersion est non pas un « sentiment », mais une réalité !
D'ailleurs, les appellations, Wakanda et DZ Mafia – DZ pour Algérie –, évoquent des systèmes de valeurs explicitement étrangers.
Pourtant, pas une fois, vous n'avez prononcé le mot « immigration » lors de votre venue à Marseille, monsieur le ministre de l'intérieur. Pas une fois !
Pourtant, il n'y aura pas de lutte efficace contre le narcoterrorisme sans lutte déterminée contre l'immigration.
Vous avez ignoré mon témoignage d'élu de terrain, que je livre depuis dix ans dans cet hémicycle et depuis vingt ans à Marseille ! Entendez l'appel des victimes de ce trafic, en instaurant une prévention tous azimuts, car la drogue c'est aussi et d'abord une affaire de santé publique, et en rétablissant chaque maillon de la chaîne répressive contre le narcotrafic. Du producteur au consommateur, la lutte doit être impitoyable.
En amont, pour les pays producteurs, il faut une trumpisation de nos mesures ! Pas de coopération ? Plus de visas ! Plus d'aide au développement ! Plus d'étudiants ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
En aval, verbaliser lourdement les consommateurs avec saisies sur salaire ou prestations sociales, sortie de Schengen, expulsion de tous les clandestins et déclaration d'un état d'urgence avec l'appui de l'armée dans les territoires conquis !
Et que l'on ne vienne pas me bassiner avec la pseudo-raison sociale du trafic. Il n'y a pas de trafic de drogue en Corrèze ou dans la Creuse, les deux départements les plus pauvres de France (Si ! sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.),…
M. Guy Benarroche. N'importe quoi !
Mme Cécile Cukierman. Il faut sortir un peu de chez vous, monsieur Ravier !
M. Stéphane Ravier. … alors que les cités du stup bénéficient de la politique de la ville et de son torrent d'argent public depuis des décennies ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Guy Benarroche. C'est fini !
M. Stéphane Ravier. Alors que les magistrats marseillais craignent le financement des campagnes électorales par des organisations narcoterroristes,…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Stéphane Ravier. … tout en constatant la corruption qui touche jusqu'à des fonctionnaires des douanes, des greffes et de l'administration pénitentiaire, tout nous démontre que les narcoterroristes sont déterminés à nous faire la guerre.
M. Guy Benarroche. Fini !
M. Stéphane Ravier. Non seulement il faut faire la guerre aux narcoterroristes, mais il faut avant tout se doter des moyens de la gagner !
M. Guy Benarroche. Au revoir !
M. Stéphane Ravier. « Au revoir », cela veut dire qu'on va se revoir ! Et très bientôt ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Cécile Cukierman. N'utilisez pas ces méthodes !
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, je tiens d'abord à saluer le travail remarquable de nos rapporteurs.
Trop longtemps, trop souvent, les stupéfiants ont été considérés sous le seul angle de l'usage récréatif ou des drogues douces.
Force est de constater que ni notre arsenal législatif ni notre politique pénale n'ont permis de faire reculer la consommation ou d'endiguer les trafics. À l'heure actuelle, les stupéfiants sont en France un marché juteux, qui pèse entre 3 milliards d'euros et 6 milliards d'euros.
En 2024, les quantités de drogue saisies par les autorités progressent : 47 tonnes de cocaïne, 88 tonnes de cannabis. Ce sont des chiffres qui donnent le vertige ! Ils sont le reflet, mes chers collègues, des névroses de notre société. Ville, banlieue, campagne – ne vous en déplaise, mon cher collègue –, la drogue est désormais partout dans notre pays.
M. Guy Benarroche. Dans la Creuse aussi !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Plus d'un million de nos concitoyens ont ainsi consommé de la cocaïne en 2023. Derrière les récréations de certains, derrière la consommation personnelle, il y a aussi les victimes abattues par les trafiquants de drogue et les tenants d'autres trafics.
Les consommateurs de notre pays détournent sans doute les yeux des crimes atroces commis par les cartels latino-américains. Pourtant, comme l'a si bien décrit le si courageux Roberto Saviano, la violence est consubstantielle au trafic de drogue.
À mesure que les stupéfiants affluent sur le territoire, le nombre de morts augmente. Sans compter les décès liés à la consommation de drogue, quatre-vingts personnes ont ainsi été tuées par les réseaux mafieux en 2023.
La drogue ne tue pas seulement les trafiquants ou les usagers. Elle menace parfois la vie de Français qui n'ont aucun lien avec ce commerce. Ce fut le cas encore une fois à Grenoble d'une adolescente de 16 ans blessée par balle le 4 janvier dernier.
Beaucoup n'ont pas la chance d'en réchapper. Un conducteur de VTC qui refusait d'acheminer un petit tueur à gages de 14 ans vers sa cible a été abattu par son jeune client. Une jeune femme de 24 ans, atteinte par une balle perdue d'une arme de guerre, est morte dans sa chambre à Marseille.
Ces victimes doivent peser sur la conscience des consommateurs de drogue. Ce sont eux qui financent et arment les trafiquants. Si nous entendons mettre un réel coup d'arrêt au développement des trafics, si nous entendons protéger nos concitoyens de ces réseaux, il nous faudra aborder ce sujet.
Hélas, la consommation de drogue ne fait pas partie du périmètre de ce texte. C'est sans doute pour ne pas disperser les efforts du Sénat, sans doute aussi parce que nous n'avons pas les mêmes opinions en la matière.
Nous sommes assez navrés d'entendre certains nous expliquer que le trafic de stupéfiants est seulement une conséquence du capitalisme et du libéralisme, surtout lorsque ce sont précisément ceux qui prônent la légalisation – celle-ci ne semble pas vraiment avoir fait ses preuves dans les pays où elle est en vigueur – et qui imaginent que l'on lutte contre la criminalité à coups d'aides sociales. Ce n'est pas notre vision.
Il est affligeant d'entendre dire que la pauvreté conduit automatiquement à la délinquance. En plus d'être clairement faux, cela revient à bafouer ceux de nos concitoyens qui gagnent leur vie en travaillant honnêtement !
À l'heure où tous nos territoires sont affectés par les trafics, le vent tourne. Je ne doute pas que nous serons nombreux à voter finalement en faveur de cette proposition de loi.
La commission d'enquête sénatoriale, à l'origine de ce texte, a démontré la nécessité de spécialiser la chaîne pénale chargée de traiter les affaires de criminalités organisées. Cette matière, comme les affaires de terrorisme ou encore les affaires financières, présente une particulière complexité et menace gravement notre société.
La proposition de loi modernise et améliore également la procédure applicable à la poursuite des trafics dans le cyberespace. Les trafics prolifèrent de manière exponentielle grâce aux nouvelles technologies, qui deviennent le premier vecteur du crime organisé et des trafics en tous genres. Il faut que cela cesse.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient les objectifs associés à ce texte, mais sera attentif à ce que l'amélioration de notre arsenal législatif ne fragilise pas les droits de la défense, qui se trouvent – faut-il le rappeler ? – au cœur de notre État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Lauriane Josende. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Lauriane Josende. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi nécessaire pour sortir notre pays du piège du narcotrafic. Son corollaire est une proposition organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants.
Face à la progression incontrôlée du phénomène en question, nous, parlementaires, devons apporter une réponse claire, sans compromissions ni ambiguïtés. Ces textes ambitieux sont le fruit du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France, créée sur l'initiative du groupe LR.
Ce rapport transpartisan, adopté à l'unanimité le 14 mai dernier, fait le constat froid et sans appel de la situation critique que connaît notre pays. Les textes déposés par nos collègues les sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain transposent et mettent en œuvre à l'échelon législatif les recommandations de la commission d'enquête.
Le narcotrafic se développe aujourd'hui largement sur le sol national, notamment dans les villes moyennes, mais aussi dans les zones rurales, autrefois épargnées. Il est très fortement présent dans mon département, les Pyrénées-Orientales, notamment en raison de la position frontalière de celui-ci avec l'Espagne. En effet, les axes routiers structurants, comme l'autoroute A9, sont très empruntés par les trafiquants, acheminant les stupéfiants provenant du Maroc, d'Afrique et des Antilles.
Ainsi, en 2024, les forces de l'ordre ont saisi 18 tonnes de résine et d'herbes de cannabis, 495 kilogrammes de cocaïne et 215 grammes d'héroïne. Par rapport à 2023, les saisies de drogues dures ont explosé. À titre d'exemple, le point de deal le plus important situé à Perpignan produit à lui seul entre 35 000 euros et 50 000 euros par jour de chiffre d'affaires. Ces revenus sont aujourd'hui gérés depuis l'étranger ; nous y reviendrons dans la discussion des articles.
Par ailleurs, si les convois de type go fast sont toujours d'actualité, l'activité des trafiquants s'inscrit désormais dans un schéma de type « rouleurs-stockeurs » spécialisé dans le convoyage de stupéfiants entre l'Espagne et la France. Le département des Pyrénées-Orientales est aujourd'hui une place logistique de premier ordre pour le narcotrafic. C'est devenu une véritable problématique du quotidien pour l'État et les collectivités territoriales.
Je souhaite d'ailleurs insister sur quelques préoccupations majeures de nos acteurs de terrain, les élus locaux, les magistrats et les policiers, trop souvent confrontés à ce fléau.
Tout d'abord, les établissements de type épiceries de nuit posent un véritable problème. En effet, ils servent très souvent de façade au trafic de stupéfiants, causant ainsi de graves troubles à l'ordre public. Les élus sont confrontés quotidiennement à la difficulté de freiner l'implantation de ces commerces ou de les fermer.
Désormais, de nombreux maires sont la cible d'agressions par ces pseudo-commerçants. C'est pourquoi je n'ai pas manqué de soutenir l'amendement des rapporteurs tendant à prolonger le délai de fermeture administrative des commerces prononcée par le préfet. Cette mesure est fortement attendue dans nos territoires.
Mme Valérie Boyer. Oui !
Mme Lauriane Josende. Le parc locatif public est une cible privilégiée pour les narcotrafiquants. Un certain nombre de dispositions portent sur le sujet. Les bailleurs sociaux sont aujourd'hui totalement dépourvus de moyens légaux efficaces face à l'ampleur des trafics. C'est dans cet esprit que j'ai demandé, en accord avec le Gouvernement, la rédaction à terme d'un rapport. C'est essentiel et urgent.
Enfin, l'assassinat des deux agents à Incarville – cela a été évoqué tout à l'heure, notamment par M. le garde des sceaux –, lors de l'évasion de Mohamed Amra, dit La Mouche, a rappelé que la sécurisation des convois pénitentiaires circulant sur la voie publique était un sujet majeur.
En effet, les équipages de ces convois sont exposés à de graves dangers du fait de réseaux de criminalité organisée ne reculant désormais devant aucun moyen pour permettre l'évasion ou atteindre une personne détenue au cours de son transport. Les agents de l'administration pénitentiaire m'ont fait part de leurs craintes, pour ne pas dire de leurs peurs, désormais d'assurer ces convois. Ils demandent notamment la mise en place de tribunaux délocalisés et la tenue d'audience en visioconférence.
Il est de la responsabilité de l'État de mettre en œuvre tous les moyens pour protéger ces hommes et ces femmes de tous les risques d'actions violentes. C'est dans cet esprit que j'ai déposé un amendement visant à doter l'administration pénitentiaire d'outils efficaces de surveillance et de protection. Ainsi, les caméras embarquées à bord des véhicules permettront de procéder à la captation d'images pendant les opérations de transport des personnes détenues, facilitant notamment le recueil de preuves aux fins de judiciarisation des incidents survenus sur la voie publique et la poursuite de leurs auteurs.
Aujourd'hui, nous sommes à un véritable point de bascule. Le piège du narcotrafic se referme lentement sur notre pays. Nous devons agir de toute urgence.
Bien que nos ministres aient pris désormais leurs responsabilités face à la gravité de la situation, nous avons besoin d'outils opérationnels et adaptés dans le cadre de cette lutte. Nous avons déjà pris beaucoup trop de retard face à l'inadaptation de nos droits et les failles de notre système juridique.
Nos concitoyens, les forces de sécurité, les acteurs de justice et les élus attendent de la discussion parlementaire que nous menons aujourd'hui des réponses fortes pour sortir de ce piège. Je suis convaincue que nous saurons les leur donner.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera en faveur de ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, enfin ! Enfin, la France se donne les moyens de lutter efficacement contre le narcotrafic ! Le texte dont nous commençons l'examen entend donner aux autorités françaises les moyens de sortir la France du piège du narcotrafic.
Cependant, cette problématique n'est pas nouvelle. À ce jour, le Sénat a publié plusieurs rapports d'informations qui s'évertuaient à chercher des pistes pour lutter efficacement contre le narcotrafic. Le phénomène a pourtant explosé au cours de ces dernières années. J'en veux pour preuve l'augmentation des saisies de cocaïne : de 27 tonnes en 2022, nous sommes passés à 47 tonnes l'an passé. Loin de moi l'envie de juger le travail de mes prédécesseurs, mais nous devons avoir la maturité nécessaire pour admettre qu'à chaque fois la problématique avait été appréhendée via des thématiques spécifiques. Je pense notamment, pour ne citer que ces deux exemples, aux rapports d'information intitulés respectivement Donner à la Douane les moyens d'accomplir sa mission dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, en 2022, et Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l'urgence d'une réponse plus ambitieuse, en 2020.
Permettez-moi de saluer le travail accompli par la commission d'enquête dont j'ai été vice-présidente. Le texte dont nous débattons aujourd'hui est le fruit de nombreuses auditions et visites de terrain réalisées pendant plus de six mois. Je ne peux que féliciter mes collègues Jérôme Durain et Étienne Blanc, respectivement président et rapporteur. Je suis d'ailleurs extrêmement flattée d'avoir contribué à cette entreprise.
Jamais nous n'avons eu une vision aussi globale du narcotrafic sur l'ensemble du territoire français. Jamais les outils et les armes nécessaires pour mener à bien cette lutte n'avaient été aussi clairement répertoriés. Ce texte renforce à la fois le volet pénal, consolide les moyens pour lutter contre le blanchiment de capitaux et crée un parquet national spécialisé, afin d'incarner la figure unique de la poursuite et de la répression de la criminalité organisée.
En tant que Guyanaise, je tiens à rappeler que nos territoires ultramarins subissent de plein fouet ce trafic de stupéfiants à cause de leur proximité avec les pays producteurs. C'est en 2010 que ce trafic a été mis en lumière de manière significative en Guyane. Ce fléau n'a épargné aucune famille guyanaise, s'enracinant dans les quartiers dans lesquels se mêlent pauvreté et manque d'opportunités professionnelles.
Par la suite, le phénomène s'est amplifié en Martinique et en Guadeloupe quand le passage à l'aéroport de Guyane est devenu plus complexe. Par conséquent, je me félicite qu'une partie du texte y soit consacrée. Il est proposé de prolonger la garde à vue médicale et de renforcer les peines d'interdiction d'embarquer dans nos territoires ultramarins pour enrayer le phénomène des « mules ». Nous devons à tout prix protéger notre jeunesse.
Justement, c'est là que le bât blesse. Le texte, aussi riche soit-il, fait peu de cas de notre jeunesse. La mère de famille et ancienne maire que je suis ne peut pas accepter que la lutte contre le trafic de stupéfiants ne soit qu'une question de répression. Elle doit aussi être une question de prévention, de solidarité et d'accompagnement. Il ne s'agit pas uniquement de démanteler les têtes de réseau, il faut aussi offrir des alternatives aux jeunes, qui, faute de choix, se laissent entraîner dans cette spirale infernale.
Le rapport sénatorial d'information de 2020 sur le trafic de stupéfiants en provenance de la Guyane suggère avec force le développement de l'offre de formation pour les jeunes. Il a aussi été question du renforcement de la prévention auprès des jeunes, les cibles privilégiées des commanditaires. Ces recommandations n'ont jamais été suivies d'effets ; je le regrette amèrement. Nous devons plus que jamais privilégier une approche humaine et globale.
Par ailleurs, je constate avec satisfaction la mise en œuvre de la compétence universelle en matière de trafic de stupéfiants. La Marine nationale, surtout dans les Antilles, pourra plus facilement intervenir en haute mer pour contrôler les navires soupçonnés de participer à un trafic sur notre sol. Je note toutefois que la commission, par volonté de respecter le droit international, a encadré ces opérations.
Enfin, je regrette que l'idée de renforcer la coopération avec les pays producteurs de cocaïne n'ait pas pu être transposée dans ce texte, alors qu'elle figure clairement dans le rapport de la commission d'enquête.
Avant de conclure, je tiens une nouvelle fois à saluer le travail de la commission d'enquête et de nos rapporteurs ici présents. Cette proposition de loi demeure très ambitieuse et va dans le bon sens. La France se dote enfin de moyens pour importuner les réseaux qui gangrènent nos villes et favorisent l'insécurité.
Pour ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pascal Martin. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, la commission d'enquête du Sénat a terminé ses travaux par un constat sans appel : aujourd'hui, le narcotrafic constitue une menace pour les intérêts fondamentaux de notre Nation.
Nous sommes face à un point de rupture. Nous pouvons peut-être encore redresser la barre sans basculer, comme certains de nos voisins européens, dans une véritable mexicanisation de notre pays. L'offre et la demande de stupéfiants explosent simultanément, mettant en péril nos territoires, la santé de nos compatriotes. Qui plus est, ce trafic gangrène déjà nos institutions.
En tant que sénateur de la Seine-Maritime, je suis particulièrement bien placé pour mesurer l'ampleur de ce « tsunami blanc », qui submerge fortement le port du Havre et inonde ensuite tout le territoire national. Ce mois-ci, on y a encore enregistré une saisie record de plus de 2 tonnes de cocaïne, évaluée à 130 millions d'euros.
Au-delà de ces chiffres impressionnants, ce sont nos forces de l'ordre, douaniers, magistrats, mais aussi élus locaux, qui luttent à armes inégales contre des organisations violentes et déterminées. Nos dockers, et pas seulement eux, se retrouvent pris dans d'infernales spirales d'intimidation, de corruption, de chantage et d'omerta, face à des trafiquants qui rivalisent d'ingéniosité et s'appuient sur une logistique transnationale de plus en plus sophistiquée. De Bogota au Havre, ces routes d'acheminement ont fait du premier port à conteneurs de France une cible privilégiée des narcotrafiquants.
Alors que la consommation de cocaïne a presque doublé en un an, cette proposition de loi est une réponse forte et nécessaire à ce fléau. Je tiens à saluer à mon tour la qualité des travaux de nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain, que ce soit dans le cadre de la commission d'enquête du printemps dernier, à laquelle j'ai pu participer, ou dans l'élaboration des textes que nous examinons aujourd'hui.
Ce texte contient plusieurs mesures attendues. D'abord, le renforcement de l'Office anti-stupéfiants et la création du parquet national anti-criminalité organisée permettront, je l'espère, une meilleure coordination de la lutte contre ces réseaux. Cependant, tel ne pourra être le cas qu'à condition d'y consacrer les moyens nécessaires, humains et matériels, et de veiller à ne pas fragiliser les acquis des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) ou de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), dont les équipes ont déjà une expertise précieuse. L'audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Paris a permis aux plus hauts magistrats parisiens de rappeler cette nécessité.
Ensuite, dans nos communes, nous savons à quel point certains commerces suspects peuvent être des relais pour le trafic via le blanchiment d'argent. Il est indispensable de permettre aux maires de les signaler rapidement et efficacement sur le terrain. Pour autant, il ne s'agit pas non plus de mettre une cible sur le dos de ces derniers ! C'est donc avec sagesse que la commission des lois a supprimé les dispositions conférant aux maires le monopole de l'activation de la mesure. Ils auraient été exposés à un fort risque de représailles, et ce alors même qu'un signalement à l'autorité administrative peut s'effectuer par d'autres moyens.
La proposition de loi cible également les recruteurs de jeunes adolescents sur les réseaux sociaux. Ici, nous envoyons un message clair : aucune tolérance pour ceux qui exploitent la jeunesse et compromettent son avenir.
Enfin, je salue les dispositions visant à lutter spécifiquement contre la corruption dans les ports et aéroports. Ces infrastructures sont les poumons économiques de notre pays. Il nous faut protéger leurs agents et vaincre l'influence insidieuse des narcotrafiquants sans pour autant – j'insiste sur ce point – risquer de trop ralentir les flux de marchandises.
Lors de l'examen de cette proposition de loi en commission, nos deux rapporteurs, Muriel Jourda et Jérôme Durain, ont réalisé un minutieux travail d'adaptation et de sécurisation juridique du texte, qui s'inscrit dans la droite ligne des recommandations formulées par la commission d'enquête.
Nous espérons que l'examen en séance de ce texte, si attendu, permettra d'améliorer encore le dispositif. Nous espérons aussi qu'il sera rapidement examiné par l'Assemblée nationale.
Mes chers collègues, en adoptant ce texte, nous cherchons à entraver avec détermination ce trafic tentaculaire. Nous protégeons notre jeunesse, défendons nos territoires et réaffirmons que l'État de droit est plus fort que les mafias.
Les sénateurs du groupe Union Centriste voteront évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Arlette Carlotti. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, lorsqu'en 2023 Guy Benarroche, Jérémy Bacchi et moi-même avons demandé la création d'une commission d'enquête sur le narcotrafic, nous n'étions que les porte-voix de ces nombreuses familles endeuillées, qui désespéraient du manque de réponse de la part de l'État.
Personne ne parlait d'elles ni de ces mères qui avaient perdu leur enfant, dealer ou victime innocente, peu importe. Personne ne parlait de ces quartiers populaires, où les habitants vivent sous la coupe de trafiquants qui tentent d'imposer leur loi, celle de la violence et de la terreur, à coups de fusillades à l'aveugle, de séquestrations ou de lynchages mortels diffusés sur les réseaux sociaux.
Cette année-là, la guerre des gangs allait faire 49 narchomicides à Marseille. Nous pensions alors que Marseille était une ville maudite, que nous étions les seuls à vivre ces drames.
Dès les premiers travaux de la commission d'enquête, nous avons toutefois mesuré l'ampleur du problème : la France était submergée par le trafic, la menace était générale.
Les trafiquants veulent contrôler nos territoires grâce à des moyens financiers toujours plus importants. Comme l'a montré le rapport du Sénat, nous sommes sur une ligne de crête.
En portant le débat sur la place publique, en déclenchant la prise de conscience des pouvoirs publics, Étienne Blanc et Jérôme Durain nous ont mis en situation de bâtir une réponse commune. Qu'ils en soient remerciés !
Le rapport de la commission d'enquête a mis l'accent sur la nécessité de viser non pas seulement ceux qui sévissent sur les points de deal, mais aussi le haut du spectre : il faut viser ceux qui vivent heureux à Dubaï ou au Maroc, ou qui, depuis nos prisons françaises, commanditent leurs meurtres.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez commencé à vous attaquer aux conditions de détention des narcotrafiquants. C'est une très bonne chose ; nous attendons de connaître précisément les modalités de votre action.
Toutefois, la mère de toutes les batailles reste la lutte contre le blanchiment. Il s'agit d'aller chercher les gros bonnets, de suivre l'argent et de toucher leur patrimoine.
Comme vous le savez, messieurs les ministres d'État, rien ne pourra se faire sans une meilleure coordination de vos services, sans le renforcement du rôle de l'Ofast.
Il nous faudra mettre en place au plus vite le parquet national anti-criminalité organisée, qui sera la référence en matière de narcotrafic dans la sphère judiciaire.
Il est urgent par ailleurs de répondre au besoin de sécurité qu'expriment les citoyens comme les élus, et de soutenir les maires, qui sont réellement démunis face à ce fléau.
Il faut mieux protéger les mineurs, bien sûr, les mettre à l'abri des menaces, des violences ou des tortures que leur font subir les trafiquants.
J'aurais voulu vous parler également de ces mères célibataires meurtries, stigmatisées, démunies. Monsieur le ministre de l'intérieur, vous les avez rencontrées à Marseille et je sais qu'elles vous ont ému. (M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, acquiesce)
J'aurais voulu vous dire plus longuement que l'accompagnement, la prévention, les questions sanitaires ou encore éducatives seront nos prochains chantiers.
Rien ne serait pire, une fois ce texte adopté, que de voir les choses traîner par manque de moyens. Rien ne serait pire que de ne pas pouvoir donner aux magistrats, aux policiers, aux douaniers et aux agents pénitentiaires les outils juridiques, matériels et humains pour lutter à armes égales avec les narcotrafiquants. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K, GEST et UC. – M. Michel Savin applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, nous sommes réunis pour examiner deux propositions de loi nées de l'initiative du groupe Les Républicains, qui a souhaité mettre en place, en 2023, une commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.
Je tiens tout d'abord à saluer le travail remarquable réalisé par Étienne Blanc et Jérôme Durain ; ils ont abouti à deux textes nécessaires et prioritaires pour notre pays.
En effet, le narcotrafic est l'un des principaux fléaux qui mettent la France en péril. Aussi, on ne peut que souscrire aux propos du ministre de l'intérieur, qui souhaite lutter contre cette menace existentielle en dotant notre pays des mêmes outils que ceux qui sont utilisés pour combattre le terrorisme islamiste.
Le narcotrafic menace au quotidien la sécurité de tous les Français, sur l'ensemble du territoire, en métropole comme en outre-mer, dans nos villes comme dans nos campagnes. L'explosion des chiffres ces dernières années en atteste.
Le narcotrafic pose aussi fondamentalement atteinte aux libertés individuelles de certains Français, ceux qui ne peuvent plus quitter leur domicile après dix-sept heures, dont les enfants ne peuvent plus jouer en bas de chez eux ou qui doivent décliner leur identité pour entrer dans leur immeuble.
Cette situation concerne surtout nos concitoyens qui n'ont pas d'autre choix que de subir, faute de pouvoir aller vivre ailleurs.
Quant aux élus locaux, ils se trouvent en première ligne face aux trafiquants et sont de plus en plus menacés lorsqu'ils leur résistent.
L'exemple récent de Mâcon en est la parfaite illustration et je peux comprendre – j'ai vécu de telles situations lorsque j'étais maire – que, pour certains, ce combat devienne trop lourd à mener.
Par ailleurs, ces narcotrafiquants sans état d'âme recrutent aisément des jeunes, des très jeunes, qui sont de plus en plus jeunes. Ces derniers passent des heures, assis sur une chaise, à chouffer et à siffler, et trouvent dans ce trafic l'argent facile qui les conduit systématiquement au décrochage scolaire, à la marginalisation et, parfois, à la mort. Quel gâchis !
Ayons la lucidité et le courage, par ce texte, de dénoncer et de combattre l'économie parallèle qui s'est installée dans nos villes et dans nos quartiers, et qui les gangrène.
Les rapporteurs Muriel Jourda et Jérôme Durain ont souligné l'implication sans faille des services publics chargés de lutter contre ce trafic, mais également l'insuffisance de moyens organisationnels, juridiques et humains dont disposent les acteurs publics.
À l'opposé, les narcotrafiquants ont recours à des moyens colossaux qui leur permettent de corrompre des agents publics jusqu'au sein même de nos prisons. Le narcobanditisme continue ainsi son œuvre dans nos établissements pénitentiaires.
S'il faut évidemment mener un combat international avec les pays producteurs, il nous appartient de nous doter des outils pour lutter à l'intérieur de nos frontières.
Bien que ce texte n'y fasse pas référence – on le comprend tout à fait –, n'oublions pas que le narcotrafic pose un véritable problème de santé publique dans notre pays.
Il est assez étonnant, d'ailleurs, qu'aucune campagne de communication de grande ampleur n'ait jamais dénoncé ses conséquences dramatiques sur la santé mentale de nombreux consommateurs.
La consommation de drogues de plus en plus dures – les taux de tétrahydrocannabinol (THC) sont effrayants – fait pourtant des ravages. Elle a pour conséquence des addictions de plus en plus immédiates et nocives menant à des prises en charge précoces pour des problèmes psychiatriques.
Les plus anciens d'entre nous se souviendront probablement d'un livre qui a fait beaucoup de bruit à sa parution, en 1977, et qui, longtemps, a été la référence dans de nombreux centres d'accueil de toxicomanes.
Je veux parler du livre du docteur Claude Olievenstein intitulé Il n'y a pas de drogués heureux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, comme l'ont dit les rapporteurs – en particulier Jérôme Durain – et mes collègues socialistes, chacun a bien conscience de la menace liée au narcotrafic qui pèse sur notre pays.
Les maires sont en première ligne. Ils sont les premiers à être interpellés par les habitants qui subissent les conséquences, les nuisances, voire les violences du narcotrafic.
Ils sont les premiers à constater sur le terrain, en ville comme à la campagne, dans nos quartiers comme dans nos villages, le manque de moyens publics face à la criminalité organisée autour de la drogue.
Les maires sont aussi les premiers à constater à quel point le trafic de drogue crée une véritable économie parallèle, attirant dans ses filets jusqu'aux plus jeunes.
Ils sont encore les premiers à constater comment le narcotrafic déborde sur l'économie de proximité classique : ils voient leurs commerces de quartier ou de village disparaître peu à peu au profit d'autres enseignes, épiceries de nuit comme activités au grand jour, dont chacun sait qu'elles servent en fait de couverture au blanchiment d'argent. C'est ainsi que des rues entières deviennent la propriété et la proie des narcotrafiquants.
Enfin, les maires sont en première ligne face aux conséquences sociales et sanitaires du trafic de drogue.
Ils éprouvent impuissance et désarroi face à l'asymétrie entre la capacité d'action de notre République et la criminalité organisée autour du narcotrafic. C'est ce même sentiment qui les étreint quand, jour après jour, mois après mois, dans leurs rues, dans leurs gares et sur leurs places publiques, ils en retrouvent les toutes premières victimes, à savoir les consommateurs eux-mêmes.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain considère indispensable, dans l'intérêt de nos territoires, d'aborder la question de l'accompagnement de toutes les victimes du narcotrafic, donc les consommateurs.
Je veux parler non pas nécessairement de la légalisation ou de la dépénalisation de certaines drogues – encore que, à titre personnel, ce questionnement ne me heurte pas –, mais de l'accompagnement de celles et ceux sur lesquels le piège du narcotrafic s'est depuis longtemps refermé et qui, désaffiliés, errent dans nos villes et nos villages, le plus souvent dans une très grande précarité, à la recherche de cette dose nécessaire, mais jamais suffisante.
Ce n'est pas être hors sujet que de déposer, comme nous l'avons fait, des amendements visant à renforcer le pilotage de la prévention ou à déployer les haltes soins addictions (HSA).
Pour nous, socialistes, il va de soi qu'une prévention plus efficace et une meilleure organisation des soins comme de la mise à l'abri des victimes, hors de la rue, sur l'ensemble du territoire national, viendraient en aide aux consommateurs qui sont tombés dans le piège social et économique du narcotrafic.
C'est ainsi que nous entendons contribuer à l'apaisement, au retour à la tranquillité et à la sécurité publique, qui sont très attendus des maires et de nos concitoyens et que le narcotrafic a gravement entamés en plusieurs endroits de notre République. Cette proposition de loi a pour objectif de les rétablir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. « Nous n'avons pas gagné notre combat contre le terrorisme, qui est toujours à recommencer, mais nous avons porté des coups décisifs. Nous nous sommes totalement réorganisés. Ce que nous avons fait contre le terrorisme, il va falloir que nous le fassions contre le narcotrafic, avec, bien entendu, la même détermination dans l'action, la même concentration dans la durée, mais aussi avec un nouvel éventail de mesures, notamment législatives. »
Monsieur le ministre d'État, ministre de l'intérieur, par ces mots, vous avez donné un cap. Oui, la lutte contre le narcotrafic doit devenir une grande cause nationale, à l'instar de la lutte contre le terrorisme que nous avons su ériger comme telle.
Je vous remercie de votre action, qui donnera prochainement, je l'espère, des résultats concrets.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
Mme Valérie Boyer. La ville de Marseille a été le théâtre, en 2023, de 49 narchomicides. Je pense bien entendu à Socayna, assassinée dans sa chambre pendant qu'elle révisait.
Au mois de mars 2024, le chef de l'État a lancé la première opération « place nette XXL » dans la cité de la Castellane, à Marseille, cette deuxième ville de France qui, à l'image de trop nombreuses villes, est toujours gangrenée par la drogue et la violence.
Nous le savons désormais, dans les zones urbaines comme dans les zones rurales, en métropole comme outre-mer, le narcotrafic marque son territoire partout en France.
Nous voyons se former non pas des zones de non-droit, mais des zones d'un autre droit, où la voyoucratie, la pègre et les mafias alimentées par le trafic d'êtres humains, l'immigration de masse et l'islamisme, décident des personnes qui sont autorisées à entrer en France, de celles qui ont vocation à y rester ou encore de ce qu'elles y font. Bref, elles édictent leurs propres règles.
Chaque jour, l'actualité nous montre que des assassinats, des règlements de compte avec victimes collatérales ou des guets-apens contre la police sont organisés en tous points du territoire.
C'est la raison pour laquelle, au mois d'avril 2023, j'ai demandé à Bruno Retailleau, alors président du groupe Les Républicains du Sénat, la création d'une commission d'enquête à ce sujet.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Valérie Boyer. Je le remercie de nouveau d'avoir répondu favorablement à ma requête et d'avoir ainsi permis à cette commission d'enquête de produire un travail de fond pendant six mois.
Je tiens d'ailleurs à en remercier et à en féliciter le président Jérôme Durain, ainsi que le rapporteur Étienne Blanc, qui ont permis l'élaboration des deux textes que nous discutons aujourd'hui.
J'adresse également mes remerciements à Mme le rapporteur, Muriel Jourda, pour son engagement et sa méticulosité dans l'examen des textes.
Si ces derniers prospèrent aujourd'hui, c'est parce que nous sommes des élus de terrain, hélas confrontés aux ravages de la drogue, mais aussi des parents, des enseignants, des professionnels de santé ou encore des policiers.
Tous les jours, nous voyons ce que la drogue produit : ces vies gâchées, perdues, mutilées ; ces familles otages des mafias, ravagées par ceux qui n'ont aucune pitié pour les enfants, obsédés qu'ils sont par l'appât du gain ; ces quartiers gangrenés malgré tout l'argent public englouti, ces pieds d'immeubles, ces épiceries de nuit, ces commerces bidon.
Toutes ces vies volées, toutes ces vies gâchées, ça suffit ! Ce trafic de drogue doit cesser.
La proposition de loi ordinaire traduit les recommandations de cette commission d'enquête transpartisane.
La gravité et l'urgence de la situation nous ont en effet conduits, sur toutes les travées de cette assemblée, à travailler ensemble sur ce problème et à nous accorder de façon unanime sur une partie des solutions à y apporter.
La nature transpartisane de cette commission d'enquête révèle également l'esprit du Sénat. C'est ainsi que nous travaillons et c'est pour cela que ce texte sera bénéfique à l'ensemble des Français.
La proposition de loi organique fixe le statut du procureur national anti-stupéfiants.
Je ne reviendrai pas sur les vingt-quatre articles de la proposition de loi ordinaire, qui prévoit notamment la création d'une DEA (Drug Enforcement Administration) à la française. Cette dernière nous permettra d'être plus efficaces.
Bien sûr, nous devons faire preuve de prudence dès lors que sont en jeu les droits des justiciables et les libertés publiques, mais n'oublions jamais, au cours de nos débats, que plus nous tardons, plus le narcotrafic gangrène notre pays.
Mes chers collègues, après l'examen de ces textes, nous devrons élargir la réflexion.
Crise sociale, éducation, santé, insécurité, immigration, mineurs non accompagnés, familles, narcoquartiers, séparatisme, relations internationales, financement du terrorisme, corruption, blanchiment : les trafics soulèvent des enjeux multiples et menacent notre démocratie.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Boyer. Nous devons gagner cette bataille contre les narcotrafics pour préserver notre démocratie et notre État de droit, et pour protéger les plus faibles.
La drogue, c'est du malheur et du sang. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale commune est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
proposition de loi visant à sortir la france du piège du narcotrafic
TITRE Ier
ORGANISATION DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC
Avant l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 179, présenté par Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mmes Harribey, Narassiguin et Linkenheld, MM. Chaillou, Kerrouche et Roiron, Mmes Carlotti, Conconne et Daniel, MM. Kanner et Mérillou, Mme Monier, M. Montaugé, Mme S. Robert, MM. Ros, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente proposition de loi, un rapport sur les moyens alloués à la justice en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et contre la criminalité organisée au regard des missions et objectifs qui lui sont assignés.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'ai écouté attentivement les ministres, notamment le ministre de l'intérieur, qui appelait à donner plus de moyens à la lutte contre le narcotrafic.
Contrairement à ce que je pensais, il faisait allusion non pas à des moyens financiers, mais – je ne voudrais pas déformer son propos – à des moyens juridiques.
Pourtant, les moyens financiers sont au cœur du problème.
Lors de son audition par la commission d'enquête, la procureure de Paris a ainsi indiqué qu'elle avait dû renforcer la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), qui est compétente en matière de stupéfiants, au détriment d'autres sections.
De son côté, le procureur général près la Cour de cassation estime que la situation actuelle « fait peser un risque grave et insidieux : celui de remises en liberté d'accusés dangereux et, partant, de récidives ».
Il en va de même à Marseille, où le procureur de la République et le président du tribunal judiciaire appellent à un plan Marshall contre le narcotrafic.
Par ailleurs, il suffit de considérer la situation aux Antilles ou celle de l'Ofast pour constater le manque chronique d'effectifs et les problèmes d'équipement.
Soyons clairs : sans renfort en personnel ni équipements supplémentaires, nos débats, mais également notre vote, resteront lettre morte.
L'objet de cet amendement est simple : demander au Gouvernement de nous indiquer par un rapport remis au Parlement les moyens qu'il entend allouer à la justice pour lutter contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée.
Le ministre de l'intérieur, pardon le garde des sceaux – lapsus ! (Sourires.) – indiquait hier soir que cent cinquante magistrats seraient recrutés d'ici à 2027, parmi lesquels cent seraient chargés de la criminalité organisée.
Dans la mesure où le Sénat a, dans le même temps, supprimé 924 postes dans le domaine de la justice, vous comprendrez mon inquiétude.
Monsieur le ministre Bruno Retailleau – je m'adresse à vous puisque vous êtes seul au banc désormais –, pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Je suis convaincue que vous le pourrez. (Bien sûr ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je laisserai M. le ministre s'exprimer sur le fond, bien que je ne sois pas certaine que la question relève de son portefeuille. (Sourires.)
Si les moyens sont bien sûr toujours importants dans la conduite d'une politique, en matière de lutte contre le narcotrafic, l'organisation l'est au moins autant.
Sur la demande de rapport, l'avis de la commission sera conforme à ses habitudes : nous disposons d'un pouvoir de contrôle qui nous permet d'obtenir si nécessaire des éléments, sans avoir à les demander.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Parfait !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous ne pouvons pas, d'ailleurs, demander un rapport au Gouvernement.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Madame la sénatrice, vous vous adressez, me semble-t-il, au garde des sceaux ; en tant que membre du Gouvernement, je vous répondrai tout de même.
Voilà quelques jours, j'ai reçu mon homologue brésilien. Il est à la fois ministre de la justice et ministre de l'intérieur… (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Formidable…
M. Michel Savin. Très bien !
M. Olivier Paccaud. Voilà une idée à creuser !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Cela n'est pas mon cas ! Et cela n'est pas non plus un rêve ! (Exclamations amusées.)
Gérald Darmanin a annoncé, y compris à cette tribune, des effectifs supplémentaires.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et vous ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. En ce qui concerne mon domaine de compétences, nous consacrerons des moyens notamment à la création de l'état-major – j'y reviendrai – qui doit nous permettre de lutter contre la criminalité organisée.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 179.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
I. – L'Office anti-stupéfiants est placé sous la tutelle conjointe des ministères de l'intérieur et chargé de l'économie et des finances. À ce titre, il a autorité sur l'ensemble des services de police judiciaire, de douane judiciaire et de renseignement dans l'exercice de leurs missions de lutte contre le trafic de stupéfiants.
L'office exerce ses missions en liaison étroite et constante avec les services du Premier ministre, du ministère de la justice, du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, du ministère des armées, du ministère chargé des solidarités et de la santé et du ministère chargé des outre-mer.
Ses missions sont précisées par décret en Conseil d'État.
II. – Sur instruction du procureur de la République national anti-criminalité organisée, l'Office anti-stupéfiants procède aux enquêtes mentionnées au sixième alinéa de l'article 706-74-1 du code de procédure pénale.
Sur instruction du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction, il procède également, le cas échéant concurremment avec d'autres services ou unités de police judiciaire, aux enquêtes judiciaires ou à l'exécution d'actes d'instruction relatifs à des faits de trafic de stupéfiants d'importance nationale et internationale ou qui présentent une sensibilité, une gravité ou une complexité particulières.
L'office est également informé des enquêtes judiciaires de grande envergure diligentées par des services de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des douanes et droits indirects, en particulier les enquêtes qui présentent une dimension internationale marquée et visent des filières d'importation complexes, et peut demander à être saisi concurremment avec d'autres services enquêteurs s'il le juge opportun.
Il centralise les informations concernant les demandes adressées aux fonctionnaires ou agents publics visant à permettre la mise en œuvre des opérations de surveillance mentionnées à l'article 706-80-1 du code de procédure pénale et à l'article 67 bis-3 du code des douanes. Il assure, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, la centralisation des informations recueillies par les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants prévues à l'article L. 856-1 du code de la sécurité intérieure. Dans les conditions prévues au II de l'article L. 822-3 du même code, il est rendu destinataire des renseignements collectés par les services de renseignement lorsque ceux-ci concernent la lutte contre le trafic de stupéfiants ; par dérogation au 1° du II du même article L. 822-3, la transmission de ces renseignements n'est pas subordonnée à une autorisation préalable du Premier ministre au seul motif que celle-ci poursuit une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil.
L'office coordonne la mise en œuvre des mesures de prévention, de recherche et de constatation des infractions constitutives de trafic de stupéfiants dont les modalités sont fixées par la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative à l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer pour la lutte contre certaines infractions relevant de conventions internationales.
III (nouveau). – Le II de l'article L. 822-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Les deuxième et troisième alinéas sont supprimés ;
2° Le quatrième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, la mention : « 2° » est supprimée ;
b) Sont ajoutés les mots : « sont subordonnées à une autorisation préalable du Premier ministre, délivrée dans les conditions prévues aux articles L. 821-1 à L. 821-4 après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ».
IV (nouveau). – Le présent article entre en vigueur dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l'article.
M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, que jamais la loi du crime ne puisse remplacer celle de la République !
Depuis la nuit des temps, dans la mythologie ou même dans la Bible, le banditisme existe. Des cours des miracles à la French Connection en passant par les Apaches de la Belle Époque, le crime en bande organisée n'a cessé de se renouveler, toujours guidé par l'appât du gain, sans scrupule ni pitié.
Depuis toujours aussi, l'homme tente d'œuvrer pour empêcher que ne s'impose la loi du plus fort, du plus cruel, du plus craint.
Pensez aux Tables de la loi : « Tu ne tueras point », « Tu ne voleras point ». Cette morale judéo-chrétienne fonde notre droit. Le pacte républicain, le contrat social et l'acceptation d'une autorité étatique reposent ainsi sur la capacité de l'État à protéger ses concitoyens.
L'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est clair : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »
Avec le narcotrafic, la réalité dépasse maintenant les fictions les plus brutales. Scarface est devenu un conte pour enfants.
Devant cette ultraviolence, devant cet ensauvagement, devant la démonisation de la voyoucratie, qui ose désormais s'attaquer aux États, il est indispensable de faire face.
Il s'agit non plus d'un simple trafic de drogue, mais d'une véritable guerre, déclarée par un ennemi sans aucune limite.
Il est donc nécessaire, indispensable et vital de s'armer humainement, techniquement, matériellement et législativement pour doter notre État de droit, notre justice et nos forces de l'ordre des moyens d'éradiquer ce trafic, qui décime notre jeunesse – et pas seulement – et ronge des pans entiers de notre société.
Décrétons la tolérance zéro pour les narcos, pour que jamais la loi du crime ne remplace celle de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l'article.
Mme Catherine Conconne. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, je salue les courageux président et rapporteur de la commission d'enquête sur le narcotrafic.
L'excellent rapport auquel ils ont abouti fera date. Il recueille de plus une forme de consensus, tant nous sommes conscients, plus que jamais, de la révolution perverse et négative que représente ce trafic, minant nos relations quotidiennes, notre lien social et notre vivre ensemble. Au-delà des meurtres et des crimes que nous connaissons, c'est en effet toute la société qui s'en trouve bouleversée.
L'article 1er du texte prévoit des moyens supplémentaires au bénéfice de l'Ofast. Frappé au coin du bon sens, il fait suite aux nombreux auditions et déplacements qu'a organisés la commission d'enquête, sous la conduite de Jérôme Durain, y compris en Martinique.
Sur place, les fonctionnaires et responsables de l'Ofast ont tous fait état d'un besoin de coordination et de renforcement non seulement des moyens, mais aussi de l'autorité de cet office.
L'Ofast doit devenir le pôle central de la lutte contre le narcotrafic. Pour ce faire, il doit être doté des moyens matériels et humains nécessaires, mais aussi s'appuyer sur une réglementation qui sache adapter : à situation exceptionnelle, moyens et règlements exceptionnels.
Il faut aussi que la loi soit appliquée beaucoup plus rapidement. Évitons d'être pris de court par ceux qui courent plus vite que nous.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, sur l'article.
M. Marc-Philippe Daubresse. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous sommes tous très heureux de constater qu'une commission d'enquête transpartisane aboutit à des résultats consensuels.
Je me félicite également que l'idée selon laquelle nous avons besoin non pas seulement d'un parquet anti-drogue, mais d'un parquet anti-criminalité ait fini par s'imposer. Comme vient de le dire Mme Jourda, l'essentiel réside dans son organisation.
J'ai participé activement à la création du parquet antiterroriste qui, à ses débuts, suscitait quelque inquiétude. Il a pourtant été – le ministre Retailleau l'a souligné avec raison – d'une efficacité redoutable.
Nous devons donc trouver le même type d'organisation pour le parquet anti-criminalité.
L'amendement de Bruno Retailleau tend à créer par voie réglementaire un chef-de-filât, afin de mettre en synergie l'ensemble des services chargés de la lutte contre la criminalité organisée.
Mes chers collègues, vous en conviendrez sans doute, il faut oser prononcer le terme de « police judiciaire ». Or j'ai attendu trente-cinq minutes avant qu'il n'y soit fait mention !
Tous les services de la police judiciaire, tous les offices centraux qui y sont rattachés et tous les organes relevant de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) concourent pourtant à la lutte contre le blanchiment, contre le narcotrafic et contre toutes les pratiques qui ont été citées à juste titre.
Dans la mesure où les liens entre les différents services de police judiciaire se sont distendus, à l'échelon tant central que territorial – disons-le, puisque nous avons enquêté sur le sujet –, il faudrait, monsieur le ministre, que vous apportiez des précisions à l'amendement par ailleurs très pertinent que vous nous soumettez.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Marc-Philippe Daubresse. Je lis avec intérêt l'exposé des motifs. Il est parfait : le ministre indique vouloir créer un « état-major » qui sera animé par la direction nationale de la police judiciaire, avec le concours d'autres services. Pourquoi ne pas l'écrire dans la loi ?
Soyons précis. Autrement, c'est flou et, quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup ! (Mme Marie-Pierre de La Gontrie rit.)
Mme Audrey Linkenheld. Expression lilloise !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et labellisée ! (Sourires.)
M. Olivier Paccaud. Il y a des droits d'auteur ! (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l'article.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, j'interviens sur l'article 1er, mais j'aurais pu le faire sur de nombreux autres articles.
Je veux en effet soulever un problème de méthode dont nous nous sommes émus ce matin en commission des lois.
Nombre de nos collègues ici présents partagent sans doute mon sentiment. Aussi voudrais-je regretter profondément la façon de faire du Gouvernement et m'en étonner une nouvelle fois.
En effet, vous le savez peut-être, nous avons reçu très tardivement dans les heures précédant la réunion de la commission, pas moins de 41 amendements gouvernementaux.
Certains d'entre eux sont très techniques, ce qui est logique et normal. Ce qui l'est moins, c'est que la plupart, voire la totalité des sénateurs – à l'exception peut-être des rapporteurs – n'ont pas eu la possibilité d'étudier sereinement et dans le détail ces amendements déposés tardivement. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)
Cette façon de travailler nuit à la clarté comme à la sincérité du débat parlementaire. Elle ne nous aide pas à confectionner la loi dans de bonnes conditions.
La commission d'enquête a travaillé longuement et consciencieusement pour permettre à son président et à son rapporteur de rédiger un texte issu de ses conclusions. Les rapporteurs de la commission des lois ont également travaillé sérieusement.
Il est navrant de voir le Gouvernement agir avec autant de légèreté, de non-professionnalisme, voire de cynisme.
Monsieur le ministre, si vos idées sont à ce point nombreuses et abouties, modifiez-les en amont dans la proposition de loi ou, mieux, reprenez-les dans un projet de loi, ce qui nous aurait au moins permis de connaître l'avis du Conseil d'État.
La commission d'enquête s'est très longuement penchée sur la question de l'Ofast. Elle a auditionné ses membres. Nous avons échangé avec de nombreux parlementaires, magistrats et représentants des forces de sécurité dans le but de réarmer son action.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Guy Benarroche. Je le répète, nous regrettons la méthode, mais nous regrettons aussi – je rejoins sur ce point Marc-Philippe Daubresse – le renvoi au décret pour ce qui est des mesures principales contenues dans cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, sur l'article.
M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, depuis le début de l'après-midi, nous nous accordons tous à saluer le travail transpartisan qui a été réalisé. Nous nous accordons tous à constater le fléau et la gangrène que représente le narcotrafic en France.
L'état d'esprit constructif et consensuel qui nous réunit est aussi celui que nous relevons dans la société, auprès des élus locaux – des maires en particulier –, auprès des gendarmes et des policiers, auprès de la population.
J'aimerais que cet esprit irrigue également certaines organisations corporatistes – un peu trop corporatistes –, qui considèrent qu'il n'y a absolument rien à faire et qui, cet après-midi encore, publient des articles et des tribunes affirmant que cette proposition de loi remet en cause les droits de la défense, telle ou telle liberté publique, tel ou tel droit fondamental.
Je m'inscris totalement en faux contre de telles prises de position. Nous ne pouvons pas à la fois faire le constat que le narcotrafic est un fléau pour la France et considérer que l'arsenal législatif et judiciaire actuel suffit. Non, il ne suffit pas ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Catherine Conconne et M. Denis Bouad applaudissent également.)
Cet arsenal, il faut l'améliorer, il faut le parfaire ; c'est ce à quoi nous nous employons, toutes et tous, au fil de l'examen de ce texte, n'en déplaise à certains !
Il importe aussi – c'est le vœu que je formule – que les outils nouveaux que nous créons soient accompagnés des moyens indispensables à leur mise en œuvre. Si tel n'était pas le cas, malgré toute la bonne volonté dont nous pouvons faire preuve sur toutes nos travées, ainsi qu'au banc du Gouvernement, je crains fort que nous ne décevions celles et ceux qui attendent que nous prenions notre part de ce combat contre le narcotrafic. Je pense naturellement aux policiers, aux gendarmes, aux magistrats, aux élus locaux, aux bailleurs sociaux et à la population.
Aussi, je souhaite que nous soyons tous à la hauteur des attentes qui s'expriment dans la société. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, sur l'article.
Mme Corinne Narassiguin. Dans le prolongement des propos de notre collègue Guy Benarroche, je regrette également que les amendements du Gouvernement aient été déposés si tardivement, hier, alors qu'il s'agit d'un sujet particulièrement technique et d'une proposition de loi transpartisane, par laquelle nous essayons tous de travailler dans le sens de l'intérêt général.
Je pense en particulier à l'article 1er, qui a pour objet l'Ofast. On peut bien comprendre qu'il faille modifier son dispositif au vu de la transformation, décidée par la commission des lois à l'article 2, du parquet national anti-stupéfiants (Pnast) en parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Nous aurons l'occasion d'en débattre lorsque nous examinerons l'amendement n° 155 rectifié du Gouvernement, qui tend à réserver au pouvoir réglementaire la définition du dispositif.
Cela étant dit, on peut aussi se demander si cet amendement ne traduit pas une certaine mésentente sur ce point entre le ministère de l'intérieur et celui de la justice – peut-être cela explique-t-il, d'ailleurs, que le garde des sceaux ne soit plus assis au banc du Gouvernement… Il est pourtant indispensable de renforcer la coopération interministérielle sur ce sujet. Dès lors, le renvoi des détails du dispositif à des dispositions réglementaires nous inquiète quant à la volonté réelle du Gouvernement d'impulser un pilotage politique fort dans ce domaine.
L'Ofast peut être renforcé, transformé, mais il doit garder sa centralité en matière de lutte contre les stupéfiants et les narcotrafics, en lien, bien sûr, avec la lutte contre tous les aspects du phénomène tentaculaire qu'est la criminalité organisée.
Mme la présidente. Je suis saisie de huit amendements et deux sous-amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 155 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 1 à 8
Rédiger ainsi ces alinéas :
I. – Au chapitre 1er du titre II du livre Ier du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. 121-1. – Il est institué par voie réglementaire un service chef de file en matière de lutte contre la criminalité organisée.
« Un décret en Conseil d'État précise les conditions dans lesquelles :
« - il impulse, anime, pilote et coordonne l'action des services de l'État qui y concourent, dans le respect de leurs missions, de leurs pouvoirs et de leur autorité de rattachement ;
« - il organise les échanges d'informations utiles à l'accomplissement de leurs missions, y compris par l'accès à des traitements informatisés de données, dans des conditions garantissant notamment la confidentialité de leurs échanges. »
II. – Alinéa 14
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Cet amendement est très important : son adoption sera un moment fondateur dans la définition du dispositif de lutte contre la criminalité organisée pour ce qui concerne le ministère de l'intérieur.
Dans le texte initial de la proposition de loi, cette mission était confiée à l'Ofast et l'organisation de cet office devait être inscrite dans la loi, alors qu'elle relève du domaine réglementaire.
Pour notre part, nous cherchons, au travers de l'organisation que je vais vous détailler, à parvenir à un double alignement.
Il s'agit, d'une part, d'aligner l'organisation opérationnelle du ministère de l'intérieur sur l'organisation juridictionnelle, c'est-à-dire le Pnaco. En effet, dans le texte de la commission, celui-ci ne se réduit pas à un simple parquet national anti-stupéfiants, comme c'était le cas dans la rédaction initiale : ses compétences sont désormais bien plus larges et incluent la criminalité organisée. L'organisation du ministère de l'intérieur devra donc, en miroir, permettre de mener ensemble la lutte contre le narcotrafic et la lutte contre la criminalité organisée.
Nous voulons, d'autre part, nous aligner sur ce qui a été fait en matière de combat contre le terrorisme. Permettez-moi de rappeler nos résultats : l'an dernier, neuf attentats ont été commis, qui n'ont fait aucune victime. En la matière, il existe un état-major permanent, l'EMaP, qui réunit, autour d'une même table, les treize services de l'État – services de renseignement et services judiciaires d'enquête – qui participent à cette lutte et qui peuvent avoir des informations en la matière. C'est ce qui a fait la force du dispositif. Or l'EMaP n'a été créé ni par la loi ni même par un décret en Conseil d'État.
Nous proposons donc que le chef de filat en matière de criminalité organisée soit confié à la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), parce que celle-ci s'occupe déjà de 85 % des affaires de criminalité organisée. Ainsi, seront réunis en permanence, sur un même plateau à Nanterre, les services compétents sur ces sujets de quatre ministères : le ministère des armées, avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le ministère de l'intérieur, le ministère de l'économie et des finances, avec notamment les douanes et Tracfin, et enfin le ministère de la justice et son service de renseignement. Telle est notre proposition, qui nous semble très robuste.
Un décret en Conseil d'État précisera l'ensemble de l'organisation. Le chef de file sera, quant à lui, désigné par un décret simple. À l'instar de ce que nous avons fait pour la lutte contre le terrorisme, ne figeons pas dans la loi une organisation qui doit, au contraire, être agile.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 261, présenté par M. Daubresse, est ainsi libellé :
Amendement n° 155 rectifié, alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, animé par la Direction nationale de la police judiciaire, qui s'appuie sur les services d'enquête généralistes, l'Office anti-stupéfiants, l'Office central de lutte contre la criminalité organisée, la Police judiciaire de la préfecture de police de Paris, les unités spécialisées de la Gendarmerie nationale, avec le concours des services de renseignement et des services des autres ministères : douanes, services fiscaux, transports, Marine nationale concourant à l'action de l'État en mer
La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse.
M. Marc-Philippe Daubresse. Si vous le permettez, madame la présidente, je présenterai en même temps le sous-amendement n° 262.
Mme la présidente. Volontiers, mon cher collègue.
Le sous-amendement n° 262, présenté par M. Daubresse, est ainsi libellé :
Amendement n° 155 rectifié, alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, animé par la Direction nationale de la police judiciaire
Veuillez poursuivre, monsieur Daubresse.
M. Marc-Philippe Daubresse. J'avais déposé ces deux sous-amendements visant à compléter l'amendement du Gouvernement, mais le ministre d'État vient de répondre précisément à mes interrogations. Je l'en remercie.
J'attendais qu'il dise clairement que l'état-major en question, qui sera le bras armé de la lutte contre le crime organisé, sera animé par la DNPJ. Il l'a fait ; j'en suis satisfait.
Mon sous-amendement n° 261 vise en outre, en reprenant l'exposé des motifs de l'amendement du Gouvernement, à détailler l'ensemble des services avec lesquels la DNPJ devrait travailler. Le ministre vient de les citer ; je n'y reviens donc pas. L'objet du sous-amendement n°° 262 est plus limité : sans énumérer les services concernés, il vise simplement à préciser que le service chef de file sera « animé par la direction nationale de la police judiciaire ».
Dans la mesure où le ministre vient de prendre, publiquement, un engagement qui me semble essentiel, je retire ces deux sous-amendements.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je les reprends, madame la présidente !
Mme la présidente. Je suis donc saisie d'un sous-amendement n° 261 rectifié et d'un sous-amendement n° 262 rectifié, présentés par Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sous-amendements dont les libellés sont strictement identiques, respectivement, à ceux des sous-amendements nos 261 et 262.
Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 5 rectifié est présenté par M. Daubresse, Mme Dumas, M. Rapin, Mme Estrosi Sassone, M. Panunzi, Mmes Garnier et L. Darcos, MM. Brisson, Chatillon, Reichardt et Chaize, Mme Gosselin, M. Bouchet, Mme M. Mercier, MM. Saury et J.P. Vogel, Mmes P. Martin et Lopez et MM. Milon et Paumier.
L'amendement n° 196 est présenté par M. Bourgi.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 1
Après les mots :
L'Office anti-stupéfiants
Insérer les mots :
de la direction nationale de la police judiciaire
II. – Alinéa 4
Remplacer les mots :
l'Office anti-stupéfiants procède aux enquêtes mentionnées au sixième alinéa de
par les mots :
la direction nationale de la police judiciaire, par l'intermédiaire de ses offices centraux, de leurs antennes zonales et leurs détachements départementaux, procède aux enquêtes mentionnées à
III. – Alinéa 5
Remplacer les mots :
il procède également, le cas échéant concurremment avec d'autres services ou unités de police judiciaire
par les mots :
elle procède, le cas échéant avec d'autres services ou unités de police judiciaire dont elle assure la coordination opérationnelle
et les mots :
de trafic de stupéfiants
par les mots :
relevant de la criminalité organisée
IV. – Alinéa 6
Remplacer les mots :
L'office est également informé
par les mots :
La direction nationale est également informée
et les mots :
en particulier les enquêtes qui présentent une dimension internationale marquée et visent des filières d'importation complexes
par les mots :
qui concernent la lutte contre le crime organisé
et le mot :
il
par le mot :
elle
V. – Alinéa 7
1° Première et deuxième phrases
Remplacer le mot :
Il
par le mot :
Elle
2° Troisième phrase
Remplacer les mots :
il est rendu
par les mots :
elle est rendue
et les mots :
le trafic de stupéfiants
par les mots :
la criminalité organisée
VI. – Alinéa 8
Remplacer les mots :
L'office
par les mots :
La direction nationale, par l'intermédiaire de l'Office anti-stupéfiants
La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour présenter l'amendement n° 5 rectifié.
M. Marc-Philippe Daubresse. Je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié est retiré.
La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l'amendement n° 196.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, les hommes et les femmes qui travaillent dans la police judiciaire disposent d'une expertise et d'un savoir-faire reconnus.
L'année dernière, vous le savez, une réforme de la police judiciaire est entrée en vigueur. Or on constate aujourd'hui que la nouvelle organisation n'est pas à la hauteur des enjeux. En tout cas, elle n'a pas fait la preuve de son efficience sur le terrain.
C'est la raison pour laquelle nous vous proposons, par cet amendement, de mettre la police judiciaire au cœur du réacteur.
Je voudrais faire une comparaison avec un autre service qui a été démantelé : les renseignements généraux. Quelques années après cette décision, la France a subi les émeutes dans les banlieues, ainsi que les attentats terroristes islamistes. Lorsqu'ils analysent ces deux phénomènes, beaucoup de sociologues et de criminologues s'accordent pour reconnaître que, si les renseignements généraux « à l'ancienne », tels que nous les avons connus, avaient été maintenus, ils auraient peut-être pu détecter ces menaces en amont.
Nous devons nous instruire du passé et tirer les leçons de l'erreur que fut la suppression des renseignements généraux, avant leur recréation sous d'autres formes.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je vous invite ardemment, avec insistance et beaucoup de gravité, à mettre la police judiciaire au cœur du dispositif : je ne voudrais pas que nous éprouvions, dans quelques années, les mêmes regrets que ceux qui ont supprimé les renseignements généraux.
Mme la présidente. L'amendement n° 158, présenté par Mmes Narassiguin, de La Gontrie et Linkenheld, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne, Carlotti et Daniel, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1, première phrase
Remplacer les mots :
conjointe des ministres de l'intérieur et chargée de l'économie et des finances
par les mots :
du Premier ministre
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement vise à placer l'Ofast sous la tutelle du Premier ministre.
Comme je l'expliquais tout à l'heure, notre intention est de renforcer le pilotage politique de cet office et le caractère interministériel des enquêtes de police et de gendarmerie qu'il sera amené à coordonner. Il nous semble très important de garantir que ces enjeux seront appréhendés de manière transversale, cohérente et globale.
Un positionnement interministériel renforcerait non seulement la visibilité politique de cet office, mais aussi sa capacité à acquérir les moyens nécessaires pour accomplir ses missions. On sait très bien que le manque de moyens est le premier obstacle à la lutte contre le narcotrafic.
Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet et M. Canévet, est ainsi libellé :
Alinéa 1, seconde phrase
Supprimer les mots :
et de renseignement
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement tombera si celui du Gouvernement est adopté, mais je le défends, monsieur le ministre, afin d'obtenir des explications.
Le texte de la commission dispose que l'Ofast aura autorité sur l'ensemble des services du renseignement. Voilà qui soulève de nombreux problèmes.
Quoi qu'il en soit, je suis très favorable à l'amendement du Gouvernement. Mon collègue Olivier Bitz avait déjà souligné, lors de la réunion de la commission des lois, que les dispositions relatives à la création de l'office relevaient du domaine réglementaire. La rédaction proposée par le Gouvernement permet d'éclaircir les choses de façon tout à fait cohérente et prospective.
Mme la présidente. L'amendement n° 132, présenté par Mme Souyris, M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Senée, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
Premier ministre,
insérer les mots :
et notamment la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives,
La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. « Dans aucun pays, la répression n'a réglé le problème des toxicomanies. » Ces mots ne sont pas les miens ; c'est Pierre Mazeaud, alors député gaulliste et rapporteur de la loi pénalisant l'usage de drogue, qui les a prononcés en 1970 devant l'Assemblée nationale. J'adhère entièrement à ce propos : sans approche sanitaire et sociale, l'action publique dans ce domaine ne pourra être qu'inefficace.
Regardons les chiffres : en 2020, 81 % des 162 204 interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants concernaient uniquement l'usage simple. Autant dire, puisque l'on évoque beaucoup, depuis tout à l'heure, la question des moyens, ou plutôt celle du manque de moyens, que la plupart, pour ne pas dire la quasi-exclusivité, des ressources consacrées à la lutte contre les infractions à la législation sur les stupéfiants sont concentrées sur l'usage.
À quoi bon faire une loi pour lutter contre le narcotrafic si celle-ci ne comporte absolument rien sur le volet sanitaire et social ? Tous nos voisins européens commencent pourtant à envisager cette perspective comme une part de la solution. La question est de savoir comment on peut articuler la répression et la prévention.
Nous proposons donc, par cet amendement, que l'Ofast travaille en lien avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), le seul organisme qui, actuellement, aborde à la fois les enjeux de santé et de sécurité.
Mme la présidente. L'amendement n° 173, présenté par M. Montaugé, Mmes Narassiguin, de La Gontrie et Linkenheld, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, M. Kanner, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Il coordonne également l'action des services locaux et des effectifs territoriaux affectés à la lutte contre les trafics de stupéfiants et relevant de la police judiciaire, de la douane judiciaire, des services de renseignement et de la gendarmerie nationale, notamment au travers de ses antennes et détachements.
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Cet amendement vise à répondre à la nécessité, identifiée par la Cour des comptes dans son rapport de 2024 sur le sujet, d'améliorer la coordination des actions menées sur le terrain par les forces de sécurité intérieure engagées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Aujourd'hui, comme l'ont très bien souligné nos collègues Jérôme Durain et Étienne Blanc dans leur rapport, le trafic de stupéfiants ne concerne plus uniquement les villes. Les zones rurales, outre qu'elles constituent de potentiels lieux de consommation, deviennent des bases arrière pour les réseaux de trafiquants. Nos forces de l'ordre ne disposent souvent pas de moyens à la hauteur des besoins pour intervenir dans la durée. Même lorsque ces moyens existent, une coordination renforcée entre les différents services permettrait une action plus efficace.
À ce titre, l'Ofast, tant par la localisation de son siège que par ses antennes locales, est l'acteur le mieux placé pour orchestrer cette lutte de terrain. Lui confier la coordination des forces de sécurité intérieure sur l'ensemble du territoire garantira un maillage plus efficace et une meilleure collecte de renseignements sur ces zones de trafic, qui sont certes éloignées des grandes villes, mais qui – j'y insiste – n'en sont pas moins étroitement liées à elles, du moins pour les trafiquants.
Cette synergie renforcée permettra aux forces de l'ordre d'agir avec la vision d'ensemble indispensable pour lutter efficacement contre ce fléau.
Par cet amendement, nous proposons donc, à la lumière de l'expérience vécue des élus locaux ruraux, dont je fais partie, d'apporter une réponse pragmatique et opérationnelle à un défi majeur. Mes chers collègues, je vous invite à le soutenir pour mieux protéger nos territoires ruraux et les citoyens qui y vivent.
Je me permets d'ajouter, monsieur le ministre, que je ne trouve pas dans l'amendement n° 155 rectifié du Gouvernement cette dimension territoriale rurale. Elle est pourtant fondamentale. On ne peut pas l'omettre. Sans doute me demanderez-vous de retirer mon amendement, mais je préfère le maintenir dans l'espoir que vous pourrez me répondre sur ce point.
Mme la présidente. L'amendement n° 120, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
II. – Le procureur de la République national anti-criminalité organisée, le pôle de l'instruction, le tribunal correctionnel ou la cour d'assises de Paris composée selon les règles fixées à l'article 242-1 du code de procédure pénale peuvent saisir l'un des offices centraux rattachés à la direction nationale de la police judiciaire afin qu'il procède aux enquêtes mentionnées au sixième alinéa de l'article 706-74-1 du même code.
II. – Alinéa 5
Remplacer le mot :
il
par les mots :
l'Office anti-stupéfiants
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement a été rédigé dans le même souci que celui qu'a exprimé le ministre Bruno Retailleau : il importe d'établir une correspondance entre les missions du Pnaco, d'une part, et l'organisation des services de renseignement et de l'Ofast, d'autre part.
Cet amendement vise à donner au procureur de la République du parquet national anti-criminalité organisée, au pôle de l'instruction, au tribunal correctionnel et à la cour d'assises de Paris, si telle est bien la juridiction concernée, la possibilité de choisir, parmi les services d'enquête qui relèvent de la DNPJ, le plus adéquat pour l'affaire en question.
Il pourra s'agir de l'Ofast, pour toutes les enquêtes concentrées sur le trafic de stupéfiants, même si elles relèvent aussi, par leurs dimensions criminelles ou financières, du grand banditisme, mais également, quand il n'y a pas de lien avec le narcotrafic, de l'Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO), qui est spécialisé dans la lutte contre le banditisme armé et les groupes criminels, ou encore de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), qui traite des affaires importantes de blanchiment, lesquelles ne sont pas toutes liées au narcotrafic.
(Mme Sylvie Vermeillet remplace Mme Anne Chain-Larché au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Je vais m'efforcer de fournir une réponse groupée sur l'ensemble des amendements, en soulignant d'abord nos trois objectifs principaux, dont chacun a un double aspect.
Tout d'abord, le défi que nous devons relever consiste à rétablir la symétrie entre les forces de l'ordre et les narcotrafiquants, ainsi qu'à assurer la protection de nos concitoyens.
Ensuite, le texte fournit à cette fin une boîte à outils ; ceux-ci sont très nombreux, dans des domaines très variés. Il définit aussi – c'est essentiel – une nouvelle organisation. Celle-ci ne vise pas seulement à compenser un manque de moyens ; elle est nécessaire pour que notre action soit plus efficace et mieux coordonnée.
Enfin, nous devons adopter une organisation miroir entre le Pnast et l'Ofast. La commission des lois a choisi de faire monter en gamme le Pnast, en le transformant en Pnaco. Que doit-on mettre en regard ? L'analogie a été faite avec le rapport qui s'est construit entre le parquet national antiterroriste (Pnat) et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Mais, contrairement au terrorisme, le narcotrafic est un contentieux de masse. (M. le ministre de l'intérieur acquiesce.)
Voilà une différence majeure, qui illustre l'importance de toutes les caractéristiques de l'Ofast que nous avons souhaité inscrire dans la loi : son caractère interministériel – nous avions proposé qu'il soit placé sous la tutelle conjointe du ministère de l'intérieur et de Bercy ; son monopole criminel ; son régime dérogatoire en matière de partage de renseignements. Il s'agit, je le répète, de constituer une structure miroir du Pnaco.
Le nombre important d'amendements faisant l'objet de cette discussion commune témoigne, mes chers collègues, d'une forme d'adhésion impatiente à l'organisation que nous cherchons à définir : adhésion, parce que nous sommes alignés sur les principes ; impatience, parce que vous voulez, comme nous tous, être sûrs que le dispositif proposé par le Gouvernement atteigne ses objectifs.
Ces amendements traduisent une préoccupation partagée quant à la gouvernance de la politique publique de lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée. Notre commission d'enquête avait mis cet enjeu au premier plan.
Nous devons trouver l'organisation la plus efficace possible : cela implique, d'une part, de donner un rôle clair à chaque acteur, en dotant le chef de file de l'autorité requise pour exercer pleinement sa mission – c'est le sens du débat que nous avons eu sur l'autorité –, et, d'autre part, d'assurer un partage efficace de l'information.
Nous avions initialement souhaité placer l'Ofast hors du giron de la DNPJ, pour en faire un service ad hoc, sous la double tutelle du ministre de l'intérieur et de celui de l'économie et des finances. Mais nos débats, notamment en commission, ont montré que ce dispositif était largement perfectible.
L'amendement n° 4 rectifié bis de Mme Goulet vise à répondre à un souci légitime : préserver les modalités de fonctionnement des services de renseignement, qui ne sauraient être placés – vous avez raison, ma chère collègue – sous la tutelle d'un Ofast renforcé. Nous partageons cette préoccupation.
L'amendement n° 196 de M. Bourgi vise à élargir le champ du dispositif de pilotage à l'ensemble de la criminalité organisée. Une telle initiative est tout à fait bienvenue également. Elle est cohérente avec les travaux de notre commission, puisque celle-ci a élargi le champ de compétence du parquet national créé à l'article 2, en le transformant en Pnaco. Il est important, pour que cette nouvelle architecture fonctionne, que sa jambe judiciaire et sa jambe répressive aient bien la même longueur !
L'amendement n° 120 de M. Benarroche vise pour sa part à préserver le libre choix des magistrats quant au service d'enquête à saisir. Là encore, cette précision est utile. Nous avons ainsi intégré cette préoccupation, comme en témoigne l'amendement que nous avons déposé en ce sens à l'article 2.
J'en viens à l'amendement n° 155 rectifié du Gouvernement ; son ampleur est telle que nos débats vont nécessairement se concentrer sur lui. Le ministre a exposé une proposition d'organisation interministérielle qui nous paraît répondre aux objectifs définis par la commission d'enquête et aux différentes préoccupations qui ont été exprimées par nos collègues.
Nous avons été sensibles à l'argument selon lequel il est nécessaire de préserver une certaine souplesse et une certaine agilité pour faire face à une menace qui est évolutive. À cet égard, il convient de ne pas chercher à trop formaliser ni à trop cristalliser dans la loi les dispositifs, car ce serait une source de rigidité. Il nous paraît légitime de laisser le soin au pouvoir réglementaire d'organiser son action, si c'est bien dans le cadre et selon les objectifs fixés par le législateur.
Les deux sous-amendements qui ont été déposés par M. Daubresse, avant d'être repris par Mme de La Gontrie, ce qui illustre que la démarche est transpartisane, visent à inscrire dans la loi que le pilotage de la politique interministérielle de lutte contre la criminalité est confié à la DNPJ. La commission s'en remettra à l'avis du Gouvernement sur ces deux sous-amendements. Je note cependant, dans le prolongement des propos du ministre, qu'un service aussi important que la DGSI n'est mentionné nulle part dans notre législation relative au terrorisme : il existe donc une forme d'homothétie entre les deux constructions.
Dans les premiers échanges que nous avions eus avec le Gouvernement sur le texte, il nous avait indiqué que ces dispositions relevaient exclusivement du domaine réglementaire. Nous observons cependant que le ministre a accepté le maintien d'un ancrage législatif sur ce point. C'est un vrai acquis pour nous. Création d'un service unique, partage systématique d'informations imposé par la loi : nous prenons !
Les amendements nos 158, 132 et 173, défendus respectivement par Corinne Narassiguin, Anne Souyris et Franck Montaugé, ont pour objet le fonctionnement opérationnel de cette gouvernance.
Madame Souyris, nous avons collectivement décidé de ne pas traiter la question de la consommation de drogues. Certes, on voit bien que ce sujet est central et qu'il reviendra dans le débat, mais la commission d'enquête a fait le choix, que nous avons tous soutenu, de se concentrer sur la question de la répression. Ce choix nous conduit aujourd'hui à écarter certaines mesures que vous proposez.
Au bénéfice de ces réflexions, la commission a émis un avis favorable sur l'amendement n° 155 rectifié du Gouvernement. Elle demande par conséquent le retrait des autres amendements, qui deviendraient d'ailleurs sans objet si celui-ci était adopté. Enfin, la commission souhaite connaître l'avis du Gouvernement sur les sous-amendements nos 261 rectifié et 262 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Je demande le retrait de tous les amendements et sous-amendements en discussion commune, au profit de l'amendement n° 155 rectifié du Gouvernement.
Je voudrais répondre rapidement aux différents orateurs. Madame de La Gontrie, messieurs Daubresse et Bourgi, j'ai bien compris que vous souhaitiez que le chef de filat soit assuré, au sein de l'état-major à créer, par la DNPJ. J'ai rappelé tout à l'heure pourquoi une telle organisation est absolument nécessaire : la DNPJ traite déjà de 85 % des affaires de criminalité organisée. Les compétences de l'Ofast sont d'ailleurs limitées aux affaires de narcotrafic. On aurait pu aussi envisager de désigner comme chef de file l'Office central de lutte contre le crime organisé. Il était toutefois nécessaire, me semble-t-il, de monter d'un cran en la matière ; d'où le choix de la DNPJ.
Madame Narassiguin, l'organisation que nous proposons est similaire à la vôtre, mais elle nous semble bien plus robuste.
Mme Goulet a raison : il fallait détacher les services de renseignement de l'Ofast ; cependant, là encore, je pense que le dispositif que nous proposons est plus solide.
Madame Souyris, la question de la lutte contre le narcotrafic soulève évidemment des enjeux de santé publique et de prévention autant que de répression. C'est ce dernier volet qui concentre notre attention aujourd'hui. Le ministère de l'intérieur est un ministère régalien. En outre, la Mildeca ne peut pas appartenir à l'état-major de lutte contre la criminalité organisée : leurs missions ne sont pas du tout les mêmes.
Monsieur Montaugé, l'approche territoriale est évidemment importante. Les 104 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants, les Cross, qui vont devenir les Crossco, pour tenir compte de leur nouvelle mission au titre de la lutte contre la criminalité organisée, maillent tout le territoire. Elles sont plus nombreuses que les quinze antennes et les neuf détachements dont dispose l'Ofast. Cela répond parfaitement à votre souhait de territorialiser la lutte, souhait bien justifié dans la mesure où, hélas ! les drogues dures sont désormais disponibles partout, dans nos villages comme dans nos quartiers.
Mme la présidente. Madame de La Gontrie, les sous-amendements nos 261 rectifié et 262 rectifié sont-ils maintenus ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Absolument, madame la présidente, et je voudrais en expliquer les raisons.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces précisions, mais la rédaction que vous proposez ne tourne pas, si je puis m'exprimer ainsi : on ne voit pas très clairement ce que vous voulez faire.
Notre crainte est que, finalement, il ne se passe rien, alors que nous souhaitons tous, à l'issue des travaux de la commission d'enquête, que soit désigné un chef de file. Vous avez raison : l'Ofast s'occupe de la lutte contre les stupéfiants, il ne peut donc pas piloter l'ensemble de la lutte contre la criminalité organisée.
Si j'ai repris les sous-amendements de M. Daubresse, ce n'est pas par facétie : c'est parce qu'il a eu raison de mettre l'accent sur ce point. Il m'a d'ailleurs semblé comprendre, monsieur le ministre, que votre analyse de la situation rejoignait la sienne. Il serait donc pertinent d'apporter des clarifications, car, en l'état, le dispositif proposé apparaît bien flou – on pourrait à cet égard employer à nouveau le proverbe lillois déjà cité par Marc-Philippe Daubresse, selon lequel, « quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup ».
Je vous invite donc à détailler les différents services concernés. Pour le reste, je crois que votre vision d'ensemble est partagée sur l'ensemble des travées de cet hémicycle.
C'est pourquoi je maintiens ces sous-amendements, madame la présidente. Si l'un ou l'autre est adopté, nous pourrons peut-être envisager de voter l'amendement du Gouvernement, dans un esprit transpartisan !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour explication de vote.
M. Marc-Philippe Daubresse. En fait, nous sommes tous d'accord. Dans l'exposé des motifs de son amendement, le Gouvernement détaille la composition de l'état-major envisagé et précise que le chef de file en sera la DNPJ. Le ministre l'a confirmé devant nous. Mon sous-amendement n° 261 n'avait dès lors plus d'objet. Son dispositif était d'ailleurs sans doute trop détaillé, dans la mesure où ces précisions relèvent du domaine réglementaire.
L'essentiel, ce sont les mots : « animé par la DNPJ ». Le ministre vient de nous dire que c'était une évidence, puisque cette direction traite déjà 85 % des affaires de criminalité organisée. Dont acte, mais s'il acceptait le sous-amendement n° 262 rectifié, qui a précisément cela pour objet, ce serait encore mieux.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On est d'accord !
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Dans le prolongement des propos de Marie-Pierre de La Gontrie, je voudrais attirer l'attention de notre assemblée sur un autre aspect de la transformation proposée de l'article 1er.
À l'origine, la commission d'enquête souhaitait que soit créé non pas un parquet national anti-criminalité organisée, mais un parquet national anti-stupéfiants, non pas parce que ses membres n'avaient pas identifié la problématique des liens du narcotrafic avec la criminalité organisée, mais parce que celle-ci est tellement large que l'on pouvait craindre alors, comme le déplorent déjà l'Ofast et la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), que soit perdue de vue la spécificité du narcotrafic. Or il est important de s'attaquer à ce sujet de manière prioritaire. Tel est bien l'objet de cette proposition de loi.
Nous souhaitons que la lutte contre le trafic de stupéfiants soit bien au cœur de l'organisation qui sera mise en place, tant dans la rédaction des décrets afférents que dans la manière dont ses missions seront définies. Certes, il faut traiter le problème du narcotrafic sous tous ses aspects, sans oublier les liens avec la criminalité organisée, mais il ne faut pas perdre de vue notre priorité, qui est de lutter contre ces trafics.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Les auteurs de cette proposition de loi voulaient, dès l'origine, instaurer une forme d'interministérialité. À cela je réponds qu'il faut associer dans cette organisation non pas deux ministères, mais quatre. Ils avaient prévu une double tutelle, par le ministère de l'intérieur et celui de l'économie et des finances ; je propose de leur adjoindre le ministère de la justice et celui des armées, au travers de la DGSE.
Concrètement, l'ensemble des services – les services de renseignement, les services judiciaires, les services d'enquête, etc. – seront regroupés à Nanterre dans un espace ouvert. Le patron sera désigné par la DNPJ et il sera épaulé par deux adjoints, l'un pour la gendarmerie et l'autre pour Bercy et les douanes.
Vous demandez que le chef de filat de la DNPJ soit inscrit dans la loi. À cela je dois répondre négativement. Cela ne me paraît pas souhaitable, car j'estime qu'il convient de préserver de la souplesse, d'autant qu'une telle disposition est d'ordre réglementaire. Si demain la DNPJ changeait de nom, il faudrait changer la loi ! Nous ne l'avons pas fait pour l'état-major permanent de l'anti-terrorisme. Je rappelle du reste que le seul décret qui avait dû être pris en la matière – ce n'était pas même un décret en Conseil d'État – visait la DGSI.
Je propose toutefois de doter cet état-major d'un ancrage législatif, comme l'a relevé Jérôme Durain, en renvoyant à un décret simple la nomination du chef de file et à un décret en Conseil d'État, c'est-à-dire la forme plus solennelle de la matière réglementaire, les modalités d'action et d'organisation de cet état-major. Je ne puis aller au-delà, d'autant qu'il faut être vigilant à respecter les domaines respectifs de la loi et du règlement.
J'ai par-devers moi l'organigramme de l'état-major prévu (M. le ministre d'État brandit un document.). Il est robuste, interministériel, et il nous donnera les moyens de coller au terrain. Il a du reste été élaboré, non pas par le ministre de l'intérieur, mais par les forces qui luttent au quotidien contre la criminalité organisée, afin de nous doter des outils les plus puissants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Il y a exactement dix ans, je présidais une commission d'enquête de notre assemblée sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Dans le cadre de ses travaux – les premiers sur ce sujet –, nous avions constaté l'éparpillement des services, ainsi que les difficultés de coordination et de communication entre eux.
J'estime que, dans le présent texte, toutes les leçons de nos travaux sur le terrorisme ont été tirées pour le narcotrafic comme pour la criminalité organisée, à laquelle le Sénat consacre d'ailleurs une commission d'enquête dont les travaux, qui commenceront dans quelques jours, pourront utilement compléter nos conclusions sur le narcotrafic, les deux sujets étant interconnectés.
Par l'amendement n° 155 rectifié, M. le ministre Retailleau nous propose une organisation qui me paraît tout à fait satisfaisante et, comme il l'a très bien fait valoir, dotée de la souplesse nécessaire.
Je retire donc l'amendement n° 4 rectifié bis, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 261 rectifié.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 262 rectifié.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, les amendements nos 196, 158, 132, 173 et 120 n'ont plus d'objet.
L'amendement n° 121, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 9 à 13
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Lors de l'élaboration du texte qui nous est soumis, la commission a adopté, par voie d'amendement, une disposition supprimant une règle instaurée par la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, règle qui conditionnait les échanges de renseignements collectés par les services à l'autorisation préalable du Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), dès lors que ces échanges ont un autre objectif que celui qui avait justifié le recueil desdits renseignements.
Une telle disposition revient à supprimer tout contrôle sur les échanges d'informations entre services de renseignement, ce qui me paraît porter lourdement atteinte au principe de finalisation posé par le législateur en 2015, principe selon lequel les renseignements ne peuvent être collectés, transcrits ou extraits pour d'autres finalités que celles qui sont prévues à l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.
En l'état, le texte opère donc une modification d'ampleur des règles de transmission des renseignements, qui dépasse largement le seul cadre de la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée. Estimant qu'une telle disposition n'a pas sa place dans le présent texte, j'en demande la suppression.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Cet amendement vise à revenir sur une mesure adoptée en commission, qui permet la simplification du partage de renseignements entre les services du premier et du second cercle.
En l'état du droit, un tel partage est soumis à une procédure d'autorisation par le Premier ministre, après avis de la CNCTR. Cette procédure se révèle particulièrement lourde au regard des exigences de réactivité requises par la prévention de la criminalité organisée.
Telle est la raison pour laquelle le dispositif initial de la proposition de loi prévoyait la simplification des règles relatives à la transmission à l'Ofast de renseignements par l'ensemble des services de renseignement.
La commission des lois a adopté un élargissement du dispositif, qui est le fruit d'un travail mené en commun avec le Gouvernement et nos collègues de la délégation parlementaire au renseignement. L'ensemble des services de renseignement du second cercle seront ainsi concernés par cette simplification.
L'argument selon lequel la disposition en question ne serait pas liée à l'objet de la proposition de loi n'est pas fondé. Le second cercle est en effet constitué, pour l'essentiel, des services internes de la police, de la gendarmerie et de l'administration pénitentiaire, qui ont tout à fait vocation à mettre en œuvre des techniques de renseignement pour lutter contre la criminalité organisée.
Cette simplification s'inscrit de plus pleinement dans l'esprit des recommandations de notre commission d'enquête. Elle contribuera en effet à faciliter la coopération entre les différents services impliqués dans la lutte contre le narcotrafic, par une fluidification de l'échange de renseignements.
Je précise enfin que cette mesure ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, l'état du droit antérieur à la loi du 30 juillet 2021, qui a instauré cette procédure, ayant été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Pour l'ensemble de ces raisons, l'avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, que cette assemblée avait adoptée après les attentats du début de cette année, le Gouvernement, par prudence et souci d'encadrer le durcissement de certaines dispositions, avait monté une usine à gaz.
Dans deux décisions, dont l'une rendue en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a par la suite estimé que tout cela était superfétatoire. Il a ainsi confirmé que la rédaction retenue par la commission est parfaitement conforme à notre loi fondamentale.
Pour cette raison, l'avis du Gouvernement est également défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je sollicite une suspension de séance d'une dizaine de minutes, madame la présidente.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-huit heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Article 2
I. – (Supprimé)
II (nouveau). – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l'article 19 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque le crime ou le délit constitue l'une des infractions mentionnées au premier alinéa de l'article 706-75, l'officier de police judiciaire informe simultanément le procureur de la République territorialement compétent, et la section spécialisée du parquet du tribunal judiciaire mentionnée au même article 706-75 dont la compétence est étendue au ressort d'une ou plusieurs cours d'appel. » ;
2° Au dernier alinéa de l'article 52-1, la référence : « 706-75-1 » est remplacée par la référence : « 706-78-1 » ;
3° Au premier alinéa de l'article 704-1, les mots : « , s'il s'agit de délits, » sont supprimés ;
4° Au premier alinéa de l'article 705, après la référence : « 704 », le mot : « et » est supprimé et, après la référence : « 706-42 », sont insérés les mots : « et 706-74-1 » ;
5° Au dernier alinéa de l'article 706-42, après la référence : « 705 », le mot : « et » est supprimé et, après la référence : « 706-17 », la fin de l'alinéa est ainsi rédigée : « et 706-74-1 relatifs aux infractions économiques et financières, aux actes de terrorisme et à la lutte contre la criminalité organisée. » ;
6° Au début du titre XXV du livre IV, il est ajouté un chapitre Ier A ainsi rédigé :
« CHAPITRE IER A
« Du procureur de la République national anti-criminalité organisée
« Art. 706-74-1. – I. – Sans préjudice des articles 705 et 706-16, le procureur de la République national anti-criminalité organisée, le pôle de l'instruction, le tribunal correctionnel et la cour d'assises de Paris composée selon les règles fixées à l'article 242-1 exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application des articles 43, 52, 704 et 706-42 pour la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions suivantes, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d'une très grande complexité, en raison notamment de la gravité ou de la diversité des infractions commises, du grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s'étendent :
« 1° Crimes et délits mentionnés à l'article 706-73, à l'exclusion des 1°, 2°, 11°, 11° bis et 18° ;
« 2° Crimes et délits mentionnés aux articles 706-73-1, à l'exclusion du 11°, et 706-74 ;
« 3° Infractions mentionnées à l'article 450-1 du code pénal lorsqu'elles ont pour but la préparation d'une ou plusieurs infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent I.
« Cette compétence s'étend aux infractions connexes.
« Le procureur de la République national anti-criminalité organisée est seul compétent pour la poursuite des crimes mentionnés à l'article 222-34 du code pénal et aux 1° et 2° de l'article 706-73 du présent code. Il donne instruction à l'Office anti-stupéfiants, le cas échéant concurremment avec d'autres services ou unités de police judiciaire, de procéder aux enquêtes qu'il dirige en vue de la poursuite des crimes précités lorsqu'ils sont commis en lien avec le trafic de stupéfiants.
« En ce qui concerne les mineurs, le procureur de la République national anti-criminalité organisée, le juge des enfants, le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs de Paris composée selon les règles fixées à l'article 242-1 exercent, dans les conditions définies au présent article, une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application du code de la justice pénale des mineurs.
« Lorsqu'il est compétent pour la poursuite des infractions entrant dans le champ d'application du présent article, le procureur de la République national anti-criminalité organisée exerce ses attributions sur l'ensemble du territoire national. Il en va de même lorsque le tribunal correctionnel du tribunal judiciaire de Paris, la cour d'assises de Paris ou la cour d'assises des mineurs de Paris exerce la compétence qui lui est confiée en application du premier alinéa du présent I.
« Lorsqu'une personne fait l'objet de poursuites en application du présent article et qu'elle se trouve hors du ressort du tribunal judiciaire de Paris, les débats relatifs à son placement ou à son maintien en détention provisoire peuvent être réalisés par un moyen de télécommunication audiovisuelle, selon les modalités prévues aux premier et sixième alinéas de l'article 706-71.
« II. – Sans préjudice du troisième alinéa de l'article 41, le procureur de la République national anti-criminalité organisée peut requérir, par délégation judiciaire, tout procureur de la République de procéder ou de faire procéder aux actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions mentionnées au I du présent article dans les lieux où celui-ci est territorialement compétent.
« La délégation judiciaire mentionne les actes d'enquête confiés au procureur de la République ainsi requis. Elle ne peut prescrire que des actes se rattachant directement à l'enquête pour laquelle elle a été délivrée. Elle indique la nature de l'infraction objet de l'enquête. Elle est datée et signée par le procureur de la République national anti-criminalité organisée.
« Le procureur de la République national anti-criminalité organisée fixe le délai dans lequel la délégation lui est retournée, accompagnée des procès-verbaux relatant son exécution. La délégation judiciaire et les procès-verbaux lui sont transmis dans les huit jours suivant la fin des opérations exécutées dans le cadre de cette délégation, à défaut de délai fixé par cette dernière.
« Les magistrats commis pour l'exécution de la délégation judiciaire exercent, dans les limites de la délégation judiciaire, tous les pouvoirs du procureur de la République national anti-criminalité organisée mentionnés au I du présent article.
« III. – Les procureurs de la République près les tribunaux judiciaires mentionnés à l'article 706-75 avisent sans délai le procureur de la République national anti-criminalité organisée des affaires dont sont saisies la section spécialisée du parquet et la formation spécialisée de l'instruction.
« IV. – Au sein du tribunal judiciaire de Paris, le premier président, après avis du président du tribunal judiciaire donné après consultation de la commission restreinte de l'assemblée des magistrats du siège, désigne un ou plusieurs juges d'instruction, magistrats du siège et juges de l'application des peines chargés spécialement de l'instruction et du jugement des infractions entrant dans le champ d'application du présent article ainsi que de l'application des peines prononcées en cas de condamnation.
« Au sein de la cour d'appel de Paris, le premier président, après consultation de la commission restreinte de l'assemblée des magistrats du siège, et le procureur général désignent, respectivement, des magistrats du siège et du parquet général chargés spécialement du jugement des infractions et du traitement des affaires entrant dans le champ d'application du présent article.
« Art. 706-74-2. – I. – Sans préjudice de l'article 43-1, la compétence du procureur de la République national anti-criminalité organisée s'exerce de façon prioritaire sur celle des autres juridictions tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement. Les procureurs de la République près ces juridictions se dessaisissent alors sans délai à son profit.
« Dans les autres cas, le procureur de la République national anti-criminalité organisée peut, pour les infractions mentionnées au I de l'article 706-74-1, requérir tout procureur de la République, toute formation d'instruction ou tout juge d'instruction initialement saisi de se dessaisir à son profit. Les parties sont préalablement avisées et invitées à faire connaître leurs observations. La décision du juge d'instruction, de la formation d'instruction ou du procureur de la République initialement saisi est rendue huit jours au plus tôt et un mois au plus tard à compter de cet avis.
« Lorsque le juge d'instruction ou le procureur de la République décide de se dessaisir, cette décision ne prend effet qu'à l'expiration du délai de cinq jours prévu au II du présent article.
« II. – En cas de refus du juge d'instruction, de la formation d'instruction ou du procureur de la République de se dessaisir, lorsque la décision prévue au premier alinéa du I n'a pas été rendue dans le délai d'un mois ou en cas de contestation du dessaisissement par les parties, la décision rendue en application du I peut, à l'exclusion de toute autre voie de recours, être déférée au plus tard cinq jours après sa notification, à la requête du procureur de la République national anti-criminalité organisée ou des parties, à la chambre criminelle de la Cour de cassation.
« La chambre criminelle désigne, dans les huit jours suivant la date de réception du dossier, le magistrat chargé de poursuivre l'enquête ou l'information. Son arrêt est porté à la connaissance des magistrats concernés et est notifié aux parties.
« Dès que l'ordonnance est passée en force de chose jugée, et en cas de dessaisissement, le procureur de la République territorialement compétent adresse le dossier de la procédure au procureur de la République national anti-criminalité organisée.
« Dans le cas prévu au présent II, le mandat de dépôt ou d'arrêt conserve sa force exécutoire ; les actes de poursuite ou d'instruction et les formalités intervenus avant que la décision de dessaisissement soit devenue définitive n'ont pas à être renouvelés.
« Art. 706-74-3. – Par dérogation à l'article 712-10, sont seuls compétents les juges de l'application des peines du tribunal judiciaire de Paris désignés en application de l'article 712-2, le tribunal de l'application des peines de Paris et la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris pour prendre les décisions concernant les personnes condamnées par le tribunal correctionnel, la cour d'assises, le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs de Paris statuant en application du I de l'article 706-74-1, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné.
« Pour l'exercice de leurs attributions, les magistrats mentionnés au premier alinéa du présent article peuvent se déplacer sur l'ensemble du territoire national, sans préjudice de l'article 706-71.
« Le ministère public auprès des juridictions du premier degré de Paris compétentes en application du présent article est représenté par le procureur de la République national anti-criminalité organisée en personne ou par ses substituts.
« Art. 706-74-4. – Le procureur de la République national anti-criminalité organisée anime et coordonne, en concertation avec les procureurs généraux, la conduite de la politique d'action publique en matière de répression pénale de la délinquance et la criminalité organisées.
« Les procureurs de la République compétents des juridictions mentionnées à l'article 706-75 transmettent au procureur de la République national anti-criminalité organisée l'ensemble des informations nécessaires à l'exercice de cette compétence prioritaire sur l'ensemble du territoire national.
« Les procureurs de la République informent sans délai le procureur de la République national anti-criminalité organisée de la délivrance d'une autorisation d'infiltration délivrée en application de l'article 706-81, de la transmission d'informations en application de l'article 706-105-1 ou de la réception d'une décision d'enquête européenne émanant d'un État qui sollicite la mise en place d'une mesure d'infiltration sur le territoire national en application de l'article 694-30. Ils l'informent également sans délai d'éléments laissant penser qu'une personne est susceptible de bénéficier d'une exemption ou d'une réduction de peine en application de l'article 132-78 du code pénal, lorsque cette personne est mise en cause dans le cadre d'une affaire concernant une infraction mentionnée au premier alinéa du I de l'article 706-74-1 du présent code.
« Le procureur de la République national anti-criminalité organisée peut requérir, de la part de tout procureur de la République, la transmission de toute information concernant les infractions mentionnées au même I ; il fixe dans sa réquisition le délai dans lequel ces informations sont transmises.
« Le procureur de la République national anti-criminalité organisée est également habilité à recevoir, de la part des services mentionnés à l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure et sur l'initiative de ces derniers, toute information utile à l'exercice de ses compétences en matière de poursuites et de coordination de l'action publique.
« Art. 706-74-5. – La juridiction saisie en application des articles 706-74-1 à 706-74-3 reste compétente quelles que soient les incriminations retenues lors du règlement ou du jugement de l'affaire, sous réserve des articles 181 et 469. Si les faits constituent une contravention, le renvoi de l'affaire devant le tribunal de police compétent est prononcé en application de l'article 522.
« Art. 706-74-6. – Par dérogation au second alinéa de l'article 380-1, en cas d'appel d'une décision d'une cour d'assises dont la compétence territoriale est étendue à l'ensemble du territoire national pour le jugement des crimes entrant dans le champ d'application de l'article 706-74-1, la chambre criminelle de la Cour de cassation peut désigner la même cour d'assises, autrement composée, pour connaître de l'appel. » ;
7° Le deuxième alinéa de l'article 706-75 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans les conditions prévues à l'article 19, ces juridictions sont avisées de la constatation par un officier ou un agent de police judiciaire de toute infraction mentionnée au premier alinéa. » ;
8° Le dernier alinéa du même article 706-75 est supprimé ;
9° Les articles 706-75-1 et 706-75-2 sont abrogés ;
10° L'article 706-77 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
– la première phrase est ainsi rédigée : « Informé dans les conditions prévues par l'article 19, le procureur de la République près un tribunal judiciaire mentionné à l'article 706-75 peut, pour les infractions mentionnées au premier alinéa du même article, requérir le juge d'instruction de se dessaisir au profit de la juridiction d'instruction compétente en application du même article 706-75. » ;
b) Au deuxième alinéa, après les mots : « prévu par », sont insérés les mots : « le I de » et les mots : « de cet article » sont remplacés par les mots : « du même I » ;
c) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Le procureur de la République près un tribunal judiciaire mentionné à l'article 706-75 peut, pour les infractions mentionnées au premier alinéa du même article 707-75, requérir le procureur de la République initialement saisi de se dessaisir au profit de la section spécialisée du parquet compétente en application dudit article 706-75. Les parties sont préalablement avisées et invitées à faire connaître leurs observations par le procureur de la République initialement saisi ; la décision par laquelle ce dernier accepte ou refuse de se dessaisir est rendue huit jours au plus tôt et un mois au plus tard à compter de cet avis.
« Lorsque le procureur de la République décide de se dessaisir, sa décision ne prend effet qu'à compter du délai de cinq jours prévu au II de l'article 706-78 ; lorsqu'un recours est exercé en application du même II, le procureur précité demeure compétent jusqu'à ce que soit portée à sa connaissance la décision du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
« Dès réception de la décision prévoyant la saisine de la section spécialisée du parquet d'un tribunal judiciaire mentionné à l'article 706-75, le procureur de la République initialement saisi adresse le dossier de la procédure au procureur de la République du tribunal judiciaire désormais compétent. » ;
11° L'article 706-78 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
– à la première phrase, après le mot : « application », sont insérés les mots : « du I » ;
– à la dernière phrase, après le mot : « alinéa », sont insérés les mots : « du I » ;
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – La décision rendue en application du II de l'article 706-77 peut, à l'exclusion de toute autre voie de recours, être déférée dans les cinq jours de sa notification, à la requête du procureur de la République près l'un des tribunaux judiciaires mentionnés à l'article 706-75, du procureur de la République territorialement compétent ou des parties, au procureur de la République national anti-criminalité organisée. Ce dernier peut également être saisi lorsque le procureur de la République initialement saisi n'a pas rendu sa décision dans le délai d'un mois prévu au premier alinéa du II de l'article 706-77.
« La décision du procureur de la République national anti-criminalité organisée est notifiée aux procureurs de la République concernés et aux parties. Elle constitue une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas susceptible de recours. » ;
12° Après le même article 706-78, sont insérés des articles 706-78-1 et 706-78-2 ainsi rédigés :
« Art. 706-78-1. – Au sein du tribunal judiciaire de Paris lorsqu'il a une compétence nationale en application de l'article 706-74-1 et de chaque tribunal judiciaire dont la compétence territoriale est étendue au ressort d'une ou plusieurs cours d'appel, le procureur général et le premier président, après avis du procureur de la République et du président du tribunal judiciaire et, pour le tribunal judiciaire de Paris, du procureur de la République national anti-criminalité organisée, désignent respectivement un ou plusieurs magistrats du parquet, juges d'instruction et magistrats du siège chargés spécialement de l'enquête, de la poursuite, de l'instruction et du jugement des infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception des 11°, 11° bis et 18°, 706-73-1, à l'exception du 11°, ou 706-74. Pour siéger au sein du tribunal correctionnel, peuvent être désignés des magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles dans les conditions prévues à la section II du chapitre V bis de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
« Au sein de la cour d'assises de Paris lorsqu'elle a une compétence nationale en application de l'article 706-74-1 et de chaque cour d'assises dont la compétence territoriale est étendue au ressort d'une ou plusieurs cours d'appel, le premier président désigne des magistrats du siège, conformément aux articles 244 à 253, chargés spécialement du jugement des crimes entrant dans le champ d'application de ces infractions. Peuvent être désignés des magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 249.
« Au sein de la cour d'appel de Paris lorsqu'elle a une compétence nationale en application de l'article 706-74-1 et de chaque cour d'appel dont la compétence territoriale est étendue au ressort d'une ou plusieurs cours d'appel, le premier président et le procureur général désignent des magistrats respectivement du siège et du parquet général chargés spécialement du jugement des délits et du traitement des affaires entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception des 11°, 11° bis et du 18°, 706-73-1, à l'exception du 11°, ou 706-74. La désignation effectuée par le procureur général intervient après avis du procureur de la République national anti-criminalité organisée. Pour siéger au sein de la chambre des appels correctionnels, peuvent être désignés des magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles dans les conditions prévues à la section II du chapitre V bis de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée.
« Art. 706-78-2. – Les magistrats mentionnés aux articles 706-74-1 et 706-76 ainsi que le procureur général près la cour d'appel compétente peuvent demander à des assistants spécialisés, désignés dans les conditions prévues à l'article 706, de participer, selon les modalités prévues au même article 706, aux procédures concernant les crimes et délits entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception des 11°, 11° bis et 18°, 706-73-1, à l'exception du 11°, du 706-74. » ;
13° Au premier alinéa de l'article 706-106, le mot : « parquet » est remplacé par les mots : « procureur de la République national anti-criminalité organisée ».
III (nouveau). – Le sixième alinéa du I de l'article 706-74-1, dans sa rédaction résultant du présent article, et le 8° du présent article entrent en vigueur trois mois après la promulgation de la présente loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l'article.
M. Guy Benarroche. Les rapporteurs et les ministres ayant eu une discussion en aparté durant la suspension de séance, j'espère que cette prise de parole sur l'article 2 n'est pas déjà obsolète !
La création d'un parquet national anti-criminalité organisée, ou Pnaco, répond à une attente de longue date du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, qui a toujours mis l'accent sur la nécessité de viser le haut du spectre plutôt que de concentrer les efforts sur les produits stupéfiants, ou même sur les consommateurs.
Je tiens toutefois à lancer l'alerte sur un écueil qui a déjà été relevé par plusieurs collègues : rien ne pourra se faire à moyens constants ! Sans moyens supplémentaires, aucune des avancées de ce texte, y compris la création du Pnaco, n'aura d'effet. Si la lutte contre le narcotrafic est une priorité, et elle doit l'être, il faudra absolument que les moyens humains et financiers suivent.
Les policiers et les magistrats sont à bout, et ce n'est pas une modification de l'organisation du système répressif qui résoudra leurs difficultés. En dépit de nos travaux, ils seront toujours à bout, si les moyens ne suivent pas.
Les enquêtes sur le haut du spectre ont déjà été mises à mal par la réforme de la police judiciaire. La juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée, dont la suppression nous est proposée, n'a été soutenue ni politiquement ni financièrement.
Les gouvernements successifs, ainsi que certains membres de notre assemblée, ne tarissent pas d'annonces sur les mesures à venir et sur les modifications qu'il convient d'apporter à l'organisation des services de renseignement et de justice pour lutter contre le narcotrafic. Mais les dispositions proposées sont-elles réellement financées ?
Nous serons attentifs aux annonces des ministres à ce sujet, mais aussi vigilants quant à la centralisation qu'emporte la création du Pnaco.
Mme la présidente. Merci de conclure, mon cher collègue !
M. Guy Benarroche. En effet, il ne faudrait pas que celui-ci soit, dans ce cas, privé des compétences et de l'expérience des juridictions interrégionales spécialisées, dont nous demandons par ailleurs une augmentation des budgets et une extension des périmètres.
Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements et d'un sous-amendement faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 220, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 50
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Mme la présidente. L'amendement n° 220 est retiré.
L'amendement n° 221, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. − Alinéa 4
Remplacer la référence :
706-78-1
par la référence :
706-77-1
II. − Alinéa 5
Supprimer cet alinéa
III. − Alinéas 6 et 7
Remplacer les mots :
et 706-74-1
par les mots :
706-75 et 706-76-1
IV. – Alinéas 8 à 69
Remplacer ces alinéas par soixante-dix alinéas ainsi rédigés :
6° Le chapitre Ier du titre XXV du livre IV est ainsi modifié :
a) Au début, est ajoutée une section 1 ainsi rédigée :
« Section 1
« Compétence de la juridiction nationale anticriminalité organisée
« Art. 706-75. – Pour la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception du 11°, du 11° bis et du 18°, 706-73-1, à l'exception du 11°, et 706-74, le procureur de la République anticriminalité organisée, le pôle de l'instruction, le tribunal correctionnel et la cour d'assises de Paris exercent, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité, une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application des articles 43, 52, 382, 706-42 et 706-76.
« En ce qui concerne les mineurs, le procureur de la République anticriminalité organisée, le juge d'instruction, le juge des enfants, le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs de Paris exercent, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité, une compétence concurrente à celle qui résulte de l'article 706-76 et de l'article L. 231-1 du code de la justice pénale des mineurs.
« Cette compétence s'étend aux infractions connexes.
« Lorsqu'ils sont compétents pour la poursuite et l'instruction des infractions mentionnées au premier alinéa, le procureur de la République anticriminalité organisée et le pôle de l'instruction de Paris exercent leurs attributions sur toute l'étendue du territoire national.
« Art. 706-75-1. – Sans préjudice des dispositions de l'article 43-1, la compétence du procureur de la République anticriminalité organisée en application de l'article 706-75 s'exerce de façon prioritaire sur celle des juridictions mentionnées à l'article 706-76 tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement. Les parquets près ces juridictions se dessaisissent alors sans délai à son profit.
« Art. 706-75-2. – Sans préjudice des dispositions du troisième alinéa de l'article 41, lorsqu'il exerce sa compétence de façon prioritaire en application de l'article 706-75-1, le procureur de la République anticriminalité organisée peut requérir par délégation judiciaire tout procureur de la République près une juridiction mentionnée à l'article 706-76 de procéder ou faire procéder aux actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception du 11°, du 11° bis et du 18°, 706-73-1, à l'exception du 11°, et 706-74 dans les lieux où ce dernier est territorialement compétent.
« La délégation judiciaire mentionne les actes d'enquête confiés au procureur de la République ainsi délégué. Elle ne peut prescrire que des actes se rattachant directement à l'enquête pour laquelle elle a été délivrée.
« Elle indique la nature de l'infraction objet de l'enquête. Elle est datée et signée par le procureur de la République anticriminalité organisée et revêtue de son sceau.
« Le procureur de la République anticriminalité organisée fixe le délai dans lequel la délégation doit lui être retournée accompagnée des procès-verbaux relatant son exécution. À défaut, la délégation judiciaire et les procès-verbaux doivent lui être transmis dans le mois de la fin des opérations exécutées en vertu de cette délégation.
« Le magistrat délégué exerce, dans les limites de la délégation, tous les pouvoirs du procureur de la République anticriminalité organisée prévus par la présente section.
« Art. 706-75-3. – Pour le jugement des délits et des crimes entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception du 11°, du 11° bis et du 18°, 706-73-1, à l'exception du 11°, et 706-74, le premier président de la cour d'appel de Paris peut, sur les réquisitions du procureur général, après avis des chefs des tribunaux judiciaires intéressés, du bâtonnier de Paris et, le cas échéant, du président de la cour d'assises de Paris, décider que l'audience du tribunal correctionnel, de la chambre des appels correctionnels de Paris ou de la cour d'assises de Paris se tiendra, à titre exceptionnel et pour des motifs de sécurité, dans tout autre lieu du ressort de la cour d'appel que celui où ces juridictions tiennent habituellement leurs audiences.
« L'ordonnance prise en application du précédent alinéa est portée à la connaissance des tribunaux intéressés par les soins du procureur général. Elle constitue une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas susceptible de recours.
« Art. 706-75-4. – Le procureur de la République près un tribunal judiciaire autre que celui de Paris peut, pour les infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception du 11°, du 11° bis et du 18°, 706-73-1, à l'exception du 11°, et 706-74, requérir le juge d'instruction de se dessaisir au profit de la juridiction d'instruction de Paris. Les parties sont préalablement avisées et invitées à faire connaître leurs observations par le juge d'instruction ; l'ordonnance est rendue huit jours au plus tôt et un mois au plus tard à compter de cet avis.
« L'ordonnance par laquelle le juge d'instruction se dessaisit ne prend effet qu'à compter du délai de cinq jours prévu par l'article 706-75-6 ; lorsqu'un recours est exercé en application de cet article, le juge d'instruction demeure saisi jusqu'à ce que l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation soit porté à sa connaissance.
« Dès que l'ordonnance est devenue définitive, le procureur de la République anticriminalité organisée adresse le dossier de la procédure au procureur de la République de Paris.
« Les dispositions du présent article sont applicables devant la chambre de l'instruction.
« Art. 706-75-5. – Dans les cas prévus à l'article 706-75-4, le mandat de dépôt ou d'arrêt conserve sa force exécutoire ; les actes de poursuite ou d'instruction et les formalités intervenus avant que la décision de dessaisissement ou d'incompétence soit devenue définitive n'ont pas à être renouvelés.
« Art. 706-75-6. – Toute ordonnance rendue sur le fondement de l'article 706-75-4, par laquelle un juge d'instruction statue sur son dessaisissement peut, à l'exception de toute autre voie de recours, être déférée dans les cinq jours de sa notification, à la requête du ministère public, des parties, à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui désigne, dans les huit jours suivant la date de réception du dossier, le juge d'instruction chargé de poursuivre l'information. Le ministère public peut également saisir directement la chambre criminelle de la Cour de cassation lorsque le juge d'instruction n'a pas rendu son ordonnance dans le délai d'un mois prévu au premier alinéa de l'article 706-75-4.
« L'arrêt de la chambre criminelle est porté à la connaissance du juge d'instruction ainsi qu'au ministère public et signifié aux parties. » ;
b) Avant l'article 706-75, est ajoutée une section 2 intitulée : « Compétence des juridictions interrégionales spécialisées » ;
c) Le dernier alinéa de l'article 706-75, qui devient l'article 706-76, est supprimé ;
d) L'article 706-76, qui devient l'article 706-76-1, est ainsi modifié :
- au premier alinéa, les mots : « visés à l'article 706-75 » sont remplacés par les mots : « mentionnés à l'article 706-76 » ;
- le deuxième alinéa est supprimé ;
e) L'article 706-77, qui devient l'article 706-76-2, est ainsi modifié :
- à la première phrase du premier alinéa, après le mot : « peut, », sont insérés les mots : « à la demande du procureur de la République compétent en application de l'article 706-76-1, » ;
- à la même première phrase du premier alinéa, après la référence : « 11° », sont insérés les mots : « , du 11° bis » et après la référence : « 706-73-1 », sont insérés les mots : « , à l'exception du 11, » ;
- à la fin de ladite première phrase du premier alinéa ; la référence : « 706-75 » est remplacée par la référence : « 706-76 » ;
- les deuxième et dernière phrases du premier alinéa sont supprimées ;
- les deuxième à dernier alinéas sont supprimés ;
- est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions des articles 706-75-4 à 706-75-6 sont applicables. » ;
f) À l'article 706-79-1, qui devient l'article 706-76-3, la référence : « 706-75 » est remplacée par la référence : « 706-76 » ;
g) Après l'article 706-79-1 devenu l'article 706-76-3, est insérée une section 3 intitulée : « Dispositions communes » ;
h) L'article 706-75-1, qui devient l'article 706-77-1, est ainsi modifié :
- à la première phrase du premier alinéa, après le mot : « sein », sont insérés les mots : « du tribunal judiciaire de Paris lorsqu'il a une compétence nationale en application de l'article 706-75 et » ;
- à la première phrase des premier et dernier alinéas, après la référence : « 11° », sont insérés les mots : « , du 11° bis » et, après la référence : « 706-73-1 » sont insérés les mots : « , à l'exception du 11°, » ;
- à la première phrase du deuxième alinéa, après le mot : « sein », sont insérés les mots : « de la cour d'assises de Paris lorsqu'elle a une compétence nationale en application de l'article 706-75 et » ;
- à la première phrase du troisième alinéa, après le mot : « sein », sont insérés les mots : « de la cour d'appel de Paris lorsqu'elle a une compétence nationale en application de l'article 706-75 et » ;
i) Après l'article 706-75-1 devenu l'article 706-77-1, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. 706-77-2. – La juridiction saisie en application du présent chapitre reste compétente quelles que soient les incriminations retenues lors du règlement ou du jugement de l'affaire, sous réserve de l'application des articles 181 et 469. Si les faits constituent une contravention, le juge d'instruction prononce le renvoi de l'affaire devant le tribunal de police compétent en application de l'article 522. » ;
j) L'article 706-75-2, qui devient l'article 706-77-3, est ainsi modifié :
- après le mot : « étendue », sont insérés les mots : « à l'ensemble du territoire national ou » ;
- après la référence : « 11°, » sont insérés les mots : « 11° bis et 18°, » ;
- après la référence : « 706-73-1, », sont insérés les mots : « , à l'exception du 11°, » ;
k) L'article 706-78 est abrogé ;
l) L'article 706-79, qui devient l'article 706-77-4, est ainsi modifié :
- les mots : « à l'article 706-76 » sont remplacés par les mots : « aux articles 706-75 et 706-76-1 » ;
- après la référence : « 706-73, », sont insérés les mots : « à l'exception du 11°, 11° bis et 18°, » ;
- après la référence : « 706-73-1, », sont insérés les mots : « , à l'exception du 11°, » ;
m) L'article 706-79-2 devient l'article 706-77-5 ;
7° Le chapitre II du titre XXV du livre IV est ainsi modifié :
a) À la seconde phrase du dernier alinéa de l'article 706-80-1, les mots : « près le tribunal judiciaire de Paris » sont remplacés par les mots : « anticriminalité organisée » ;
b) Le premier alinéa de l'article 706-81 est ainsi modifié :
- après le mot : « République », sont insérés les mots : « , après avis du procureur de la République anticriminalité organisée, » ;
- les mots : « , après avis de ce magistrat, » sont supprimés ;
- après le mot : « saisi », sont insérés les mots : « , après avis du procureur de la République et, s'il est différent, du procureur de la République anticriminalité organisée, » ;
- le mot : « peuvent » est remplacé par le mot : « peut ».
c) Le II de l'article 706-105-1 est ainsi modifié :
- à la première phrase du premier alinéa et à la fin du second alinéa, les mots : « de Paris » sont remplacés par les mots : « anticriminalité organisée ou le procureur de la République territorialement compétent en application de l'article 706-76-1 » ;
- à la première phrase du premier alinéa, les mots : « au dernier alinéa de l'article 706-75 » sont remplacés par les mots : « aux articles 706-75 et 706-76 » ;
8° Le dernier alinéa de l'article 706-42 est ainsi modifié :
a) La première occurrence du mot : « et » est remplacée par le signe : « , » ;
b) Après la référence : « 706-17 », sont insérés les mots : « , 706-75 et 706-76 » ;
c) La dernière occurrence du mot : « et » est remplacée par le signe : « , » ;
d) Sont ajoutés les mots : « et aux infractions en matière de délinquance et de criminalité organisée ».
V. – Alinéa 70
Remplacer cet alinéa par quatre alinéas ainsi rédigés :
III. – Le code de l'organisation judiciaire est ainsi modifié :
1° À l'article L. 217-1, les mots : « et un procureur de la République antiterroriste » sont remplacés par les mots : « , un procureur de la République antiterroriste et un procureur de la République anti-criminalité organisée » ;
2° Aux articles L. 217-2 et L. 217-3, les mots : « et le procureur de la République antiterroriste » sont remplacés par les mots : « , le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République anti-criminalité organisée » ;
3° À l'article L. 217-4, les mots : « ou au procureur de la République antiterroriste » sont remplacés par les mots : « , au procureur de la République antiterroriste ou au procureur de la République anti-criminalité organisée ».
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je retire également cet amendement, au bénéfice de notre sous-amendement n° 266 à l'amendement n° 248 de Mme la rapporteure. Tel était l'objet de la discussion qui s'est tenue durant la suspension de séance.
Je tiens par ailleurs à vous répondre, monsieur Benarroche. Vous avez raison : la Junalco, mais aussi certains des Jirs, créés il y a plus longtemps, n'ont pas eu les moyens de travailler – je me concentre pour ma part sur les magistrats et laisse le ministre de l'intérieur vous répondre au sujet des enquêteurs.
Aux reproches que l'on adresse à la Junalco, je réponds que cette juridiction n'a été créée qu'en 2019 et qu'elle est dotée d'un nombre de magistrats insuffisant pour faire face une criminalité considérable.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure à la tribune, dès le mois d'avril, cinq magistrats supplémentaires rejoindront la Junalco – c'est au-dessus de ce que demandait Mme la procureure de la République de Paris – et, dès le mois de septembre, une quarantaine de magistrats renforceront à leur tour les Jirs et la Junalco.
Je suis parfaitement conscient des difficultés que vous évoquez, monsieur le sénateur. Le déploiement du Pnaco prendra un peu de temps ; c'est pourquoi j'ai décidé, sans attendre, de doubler le nombre de magistrats qui, au sein de la Junalco et des Jirs, instruisent les dossiers relatifs au trafic de stupéfiants et à la criminalité organisée. Cela me paraît de nature à répondre à votre préoccupation légitime.
Il faut toutefois reconnaître que la Junalco rencontre quelques difficultés de coordination et d'échanges d'informations sur l'intégralité des dossiers relevant des Jirs et des infra-Jirs. Le Pnaco rencontrera sans doute, lui aussi, quelques difficultés : sa création emportera le démembrement du parquet de Paris – ou d'un autre s'il est implanté ailleurs –, ainsi que des problématiques de spécialisation. Comme le PNF ou le Pnat, il sera toutefois doté de précieux pouvoirs d'évocation, de coordination et d'incarnation.
En tout état de cause, je ne puis laisser dire que la Junalco aurait mal fait son travail. Je veux au contraire rendre hommage à cette juridiction, qui a agi avec des moyens limités. Le présent texte et la création du Pnaco ne doivent pas servir de prétexte à une absence de renforcement des moyens de la Junalco : dès le mois d'avril, nous réparerons cette erreur de l'histoire.
Mme la présidente. L'amendement n° 221 est retiré.
L'amendement n° 247, présenté par Mme M. Jourda et M. Durain, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Remplacer les mots :
mentionnées à l'article 450-1 du code pénal lorsqu'elles ont
par les mots :
de participation à une association de malfaiteurs prévue à l'article 450-1 du code pénal et délit d'appartenance à une organisation criminelle prévu à l'article 450-1-1 du même code, lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de coordination.
Mme la présidente. L'amendement n° 248, présenté par Mme M. Jourda et M. Durain, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Par le présent amendement, nous proposons de supprimer du présent article, pour les raisons que nous avons longuement exposées au cours de l'examen de l'article 1er, la référence à l'Ofast. Nous visons en effet, non plus seulement la lutte contre le trafic de stupéfiants, mais plus généralement la lutte contre la criminalité organisée.
Cet amendement tend par ailleurs à supprimer le monopole du parquet national anti-criminalité organisée. Nous avions fixé un monopole assez précis et sans doute trop rigide. Après nos échanges avec le Gouvernement, nous avons décidé de vous proposer de supprimer ce monopole, qui ne fonctionnerait pas.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 266, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 248
Compléter ainsi l'amendement :
Alinéas 11, 17, 18, 19 et 34 remplacer les mots : « de Paris » par les mots : « qui sont, à défaut, ceux de Paris » ;
Alinéas 19, 25, 26, 36, 65, 66 et 67 supprimer les mots : « de Paris » ;
Alinéa 28 :
Supprimer les mots : « tout procureur de la République, » ainsi que les mots : « à son profit » et les mots : « ou du procureur de la République » ;
Alinéa 29 :
Supprimer les mots : « ou le procureur de la République » ;
Alinéa 30 :
Supprimer les mots : « ou du procureur de la République » ;
Alinéa 31 :
Supprimer les mots : « l'enquête ou » ;
Alinéa 37 :
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 706-74-4. – Le procureur général compétent anime et coordonne, en accord avec le procureur de la République national anti-criminalité organisée, la conduite de la politique d'action publique en matière de répression pénale de la délinquance et de la criminalité organisées. »
Alinéa 40 :
Supprimer l'alinéa ;
Alinéa 50 :
Supprimer les mots : « Informé dans les conditions prévues par l'article 19, » ;
Après l'alinéa 70, insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« IV. – Le code de l'organisation judiciaire est ainsi modifié :
« 1° À l'article L. 217-1, les mots : « et un procureur de la République antiterroriste » sont remplacés par les mots : « , un procureur de la République antiterroriste et un procureur de la République anti-criminalité organisée » ;
« 2° Aux articles L. 217-2 et L. 217-3, les mots : « et le procureur de la République antiterroriste » sont remplacés par les mots : « , le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République anti-criminalité organisée ».
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je tiens tout d'abord à rendre une nouvelle fois hommage à la commission des lois, à Mme la rapporteure et aux auteurs de la présente proposition de loi pour le travail accompli sur ce texte.
Lors de la discussion générale, Mme le rapporteur m'a interpellé au sujet des amendement nos 220 et 221 ; elle estimait que les propositions du Gouvernement étaient quelque peu en deçà des attentes de la commission au regard du parquet national anti-criminalité organisée.
Le Gouvernement ne souhaite pas être en deçà des attentes du Parlement. Il désire simplement que ce parquet national soit créé dans les meilleures conditions possible et que soient prises en compte un certain nombre de contraintes. Je remercie Mme la rapporteure de nous avoir entendus sur ce point.
Par le présent sous-amendement, je propose donc d'apporter un certain nombre de modifications à la rédaction de la commission. Elles portent notamment sur le pouvoir d'évocation conféré au Pnaco, qui ne doit pas faire bénéficier celui-ci d'une quelconque exclusivité sur l'ensemble des dossiers.
Comme je l'ai fait dans le cadre de précédents textes, j'associerai le Parlement, s'il le veut bien, à la mission de préfiguration chargée de définir les cibles et les critères de prise en charge des dossiers par le Pnaco et, partant, le nombre de magistrats dont il convient de doter ce parquet.
Comme le PNF, le Pnat ou tout autre parquet à la française, ce parquet national anti-criminalité organisée sera placé sous l'autorité d'un parquet général, en l'occurrence sans doute celui de Paris.
La rédaction que je propose précise en effet, à ce stade, que le Pnaco se situera « à défaut » à Paris. J'admets toutefois bien volontiers devant la Haute Assemblée que cette rédaction n'est sans doute pas parfaite. Si « à défaut » signifie bien que ce parquet national peut se trouver ailleurs qu'à Paris, nous pourrons corriger la rédaction de la proposition de loi et de la proposition de loi organique qui lui est associée pour préciser ce point lors de la première lecture de ces textes par l'Assemblée nationale.
Je souhaite en effet que la mission de préfiguration étudie toutes les pistes d'implantation de ce parquet national. Il pourrait par exemple être installé à Marseille, sous réserve que nous y disposions du nombre de magistrats et de salles d'audience requis, mais aussi de la possibilité de protéger le bâtiment adéquatement et, enfin, d'établir des liens étroits avec les services de M. le ministre de l'intérieur, qui seront pour leur part vraisemblablement à Nanterre.
Comme on le dit en bon français, je souhaite « challenger » sur ce point les équipes du ministère de la justice dans le cadre de la mission de préfiguration du Pnaco. En tout état de cause, dans le cadre de la navette parlementaire, je m'engage à faire évoluer cette rédaction, les mots « à défaut » ayant été ajoutés à la suite des discussions que nous avons eues avec mes équipes.
Ce n'est pas à la Haute Assemblée que je vais expliquer que Paris n'est pas la seule commune de France qui puisse accueillir de grands services juridictionnels ou que, pour agir à l'échelle du pays, un parquet national ne doit pas nécessairement se situer à Paris. C'est pourquoi je souhaite que, dans le cadre de la mission de préfiguration, nous étudions ensemble diverses pistes d'implantation.
Mme la présidente. L'amendement n° 197, présenté par M. Bourgi, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Remplacer les mots :
l'Office anti-stupéfiants, le cas échéant concurremment avec d'autres services ou unités de police judiciaire
par les mots :
la Direction nationale de la police judiciaire, par l'intermédiaire de ses offices centraux, de leurs antennes zonales et de leurs détachements départementaux, le cas échéant avec d'autres services ou unités de police judiciaire dont elle assure la coordination opérationnelle
et les mots :
en lien avec le trafic de stupéfiants
par les mots :
dans un contexte de criminalité organisée
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 71 rectifié, présenté par MM. Perrin et Rietmann, est ainsi libellé :
Alinéa 41
Remplacer les mots :
à l'article
par les mots :
aux articles L. 811-2 et
La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. La commission des lois ayant adopté, sur mon initiative, le sous-amendement n° COM-18 rectifié bis, le présent article permet des échanges d'informations entre les services de renseignement du second cercle et le procureur de la République national anti-criminalité organisée.
Une telle disposition permettra d'améliorer la conduite des poursuites, ainsi que la coordination de l'action publique, mais elle ne concerne que les services du second cercle, au risque d'exclure les services du premier cercle de ces échanges d'informations, alors même qu'il serait utile que le Pnaco bénéficie de leurs compétences en matière de criminalités financière et cyber, celles-ci allant de pair avec le narcotrafic.
Cet amendement vise donc à compléter le texte de la commission en incluant expressément dans le périmètre de cette disposition les services du premier cercle.
Mme la présidente. L'amendement n° 87, présenté par M. Szpiner, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 68
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… ° Au dernier alinéa de l'article 706-80-1 du code de procédure pénale, les mots : « le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris » sont remplacés par les mots : « le procureur de la République national anti-criminalité organisée » ;
La parole est à M. Francis Szpiner.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Le sous-amendement n° 266 du Gouvernement résulte des discussions menées entre la commission et le garde des sceaux pendant la suspension de séance. Sa rédaction est certainement perfectible, car nous avons manqué de temps, mais elle matérialise notre accord sur la création d'un Pnaco fort, qui serait placé, comme le Pnat et le PNF, sous la tutelle du procureur général de Paris. Cette rédaction pourra sans doute être améliorée lors de la navette.
L'amendement n° 197 étant satisfait par l'amendement n° 248 de la commission, j'invite M. Bourgi à le retirer au bénéfice de celui-ci.
La commission avait émis un avis défavorable sur l'amendement n° 71, mais celui-ci ayant été profondément retravaillé, je suis favorable, à titre personnel – la commission n'a pu se réunir depuis cette rectification –, à l'amendement n° 71 rectifié, qui vise à permettre aux services du premier cercle de transmettre des renseignements au Pnaco, comme le texte de la commission le permet d'ores et déjà pour les services du second cercle.
Par l'amendement n° 87, enfin, M. Szpiner propose que le Pnaco soit informé des opérations de surveillance de livraisons de drogue. Cette précision nous paraissant pertinente, l'avis est favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. J'émets un avis favorable sur l'ensemble des amendements restant en discussion, à l'exception de l'amendement n° 197. En effet, monsieur Bourgi, il me semble que vous pourriez retirer votre amendement compte tenu de la discussion que nous avons eue sur l'article 1er. À défaut, j'y serai défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Hussein Bourgi, l'amendement n° 197 est-il maintenu ?
M. Hussein Bourgi. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 197 est retiré.
La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.
M. Francis Szpiner. Je souhaite simplement demander une précision à Mme la rapporteuse. (Exclamations.) Elle nous dit que le procureur général de Paris aura autorité sur le Pnaco, alors que le ministre a précisé que celui-ci pourra être délocalisé. S'il est finalement implanté à Marseille, est-ce le procureur général d'Aix-en-Provence qui aura autorité sur lui, ou bien sera-t-il de toute façon inscrit dans la loi que ce sera le procureur général de Paris ?
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Monsieur Szpiner, je rappelle que le mot de « rapporteur » désigne une fonction, quand celui de « rapporteuse » désigne un défaut. (Sourires.) Je préfère donc l'appellation de « rapporteur », si vous n'y voyez pas d'inconvénient…
Il me semble que le dispositif du sous-amendement, même s'il a été rapidement rédigé, mentionne simplement « le procureur général compétent ». En réalité, les choses suivront leur cours, car il y aura un choix à faire assez rapidement. Mais je vous concède que, si le sous-amendement avait été rédigé de manière à faire référence au procureur général de Paris, cela aurait en effet suscité une difficulté.
Mme la présidente. L'amendement n° 61 rectifié, présenté par M. Menonville, Mme Florennes, M. P. Martin et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le deuxième alinéa de l'article 39-2, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République désigne l'un de ses substituts aux fins d'assurer la bonne coordination entre le ministère public et la section spécialisée du parquet du tribunal judiciaire dont la compétence a été étendue au ressort d'une ou plusieurs cours d'appel en application de l'article 706-75. » ;
La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a mis en évidence les difficultés de coordination entre les parquets locaux et les parquets des Jirs.
Afin de donner toute la fluidité requise au fonctionnement de l'autorité judiciaire et de favoriser des échanges sereins entre les différentes juridictions, le présent amendement vise à prévoir la désignation par le procureur de la République, parmi ses substituts, d'un magistrat du parquet faisant office de « référent Jirs ».
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. C'est une excellente idée. L'avis est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 51, présenté par Mme Conconne et M. Lurel, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le chapitre Ier du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale est complété par un article 706-79-… ainsi rédigé :
« Art. 706-79-…. – Lorsque la compétence d'une juridiction spécialisée relevant du présent chapitre s'exerce sur le ressort de plusieurs cours d'appel ou tribunaux supérieurs d'appel situés dans un département, une collectivité d'outre-mer ou en Nouvelle-Calédonie, les interrogatoires de première comparution ou les débats relatifs au placement ou au maintien en détention provisoire d'une personne se trouvant dans le ressort d'une cour d'appel ou d'un tribunal supérieur d'appel situé dans une département ou une collectivité autre que celui où siège la juridiction spécialisée peuvent être réalisés par un moyen de télécommunication audiovisuelle, selon les modalités prévues aux premier et sixième alinéas de l'article 706-71. »
La parole est à Mme Catherine Conconne.
Mme Catherine Conconne. J'avais déjà défendu un amendement identique lorsque M. Dupond-Moretti était garde des sceaux. On pourrait le qualifier d'amendement d'adaptation, au vu de son objet, qui correspond d'ailleurs à la philosophie centrale de cette proposition de loi : face au mouvement, inexorablement rapide et réactif, des narcotrafiquants, la justice et la police doivent adapter leurs moyens.
Ainsi, la Jirs de Fort-de-France couvre plusieurs territoires. Or, pour aller à Fort-de-France depuis la Guyane, il faut faire deux heures d'avion et débourser au bas mot mille euros, et ce parfois simplement pour une première comparution ou pour une audience du juge des libertés et de la détention (JLD) sur des conditions de détention ou de libération.
Les magistrats du siège comme du parquet demandent depuis fort longtemps que, au vu de cette situation et de ce contexte géographique, l'on puisse s'adapter, en permettant que les interrogatoires de première comparution et les débats relatifs au placement ou au maintien en détention provisoire puissent se faire par visioconférence. Cela coûtera moins cher aux finances de l'État, tout en favorisant la réactivité dans les prises de décision.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Par une telle mesure, certes dérogatoire, on répondrait à une demande assez forte qui a été adressée à M. Durain et moi-même lors des travaux de la commission d'enquête, puis de nos auditions. Le périmètre visé est limité et la mesure me paraît proportionnée aux besoins matériels de la juridiction.
La commission a par conséquent émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il est également favorable.
En effet, si ce que vous proposez, madame la sénatrice, figure déjà en partie dans le code de procédure pénale, votre amendement tend tout de même à clarifier les choses. Vous avez raison de rappeler que l'usage de la visioconférence peut être intéressant. À ce propos, même si certains membres du groupe socialiste ont quelques doutes sur ce sujet, ce qui vaut pour les outre-mer vaudra aussi sans doute dans d'autres parties du territoire national. Je constate en tout cas que vous soutenez avec force l'usage de la visioconférence et je vous en remercie. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Il s'agit surtout de soutenir avec force l'outre-mer !
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Cette explication de vote se justifie d'autant plus après les propos que vient de tenir M. le garde des sceaux.
Bien entendu, nous soutenons cet amendement de Catherine Conconne et Victorin Lurel, mais nous le faisons précisément parce qu'il vise, comme l'a relevé Mme la rapporteure, à adapter notre législation à la situation spécifique des outre-mer, autrement dit aux conditions très particulières qui caractérisent ces territoires.
Nous considérons en revanche que, de manière générale, l'usage de la visioconférence pose problème. Il ne s'agit donc pas d'ouvrir une porte pour étendre cette pratique à tous les territoires. Elle doit au contraire rester circonscrite à la situation très particulière des outre-mer.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
TITRE II
LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
Article 3
I. – (Supprimé)
I bis (nouveau). – Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° La section 1 du chapitre II du titre III du livre Ier est ainsi modifiée :
a) Après l'article L. 132-3, il est inséré un article L. 132-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 132-3-1. – Le maire est systématiquement informé par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent des infractions liées au trafic de stupéfiants prévues aux articles 222-34 à 222-43-1 du code pénal.
« Le maire est systématiquement informé par le représentant de l'État dans le département des mesures de fermetures administratives prises en vertu de l'article 324-6-2 du même code. » ;
b) La dernière phrase du troisième alinéa de l'article L. 132-5 est complétée par les mots : « ainsi que sur les possibilités pour le maire de participer à la lutte contre le trafic de stupéfiants sur le territoire de sa commune en opérant des signalements à TRACFIN » ;
2° Après le chapitre III du titre III du livre III, il est inséré un chapitre III bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE III BIS
« Prévention des troubles à l'ordre public dans les commerces et établissements ouverts au public
« Art. L. 333-2. – Aux fins de prévenir la commission d'agissements en lien avec les infractions prévues aux articles 222-34 à 222-43-1, 321-1, 321-2, 324-1 à 324-6-1 et 450-1 du code pénal rendus possibles en raison de sa fréquentation ou des conditions de son exploitation, tout local commercial, établissement ou lieu ouvert au public peut faire l'objet d'un arrêté de fermeture administrative d'une durée n'excédant pas six mois pris par le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, par le préfet de police.
« Lorsque la fermeture est prononcée pour une durée de six mois, elle emporte, le cas échéant, abrogation de toute autorisation ou permis permettant l'exploitation d'une activité commerciale, consentie par l'autorité administrative ou un organisme agréé, ou résultant de la non-opposition à une déclaration.
« Le ministre de l'intérieur peut décider de prolonger la fermeture prononcée en application du deuxième alinéa du présent article pour une durée n'excédant pas six mois.
« La mesure de fermeture prévue au présent article peut être mise en œuvre sans préjudice des autres régimes juridiques de fermeture applicables.
« Art. L. 333-3. – Le fait, pour le propriétaire ou l'exploitant, de ne pas respecter un arrêté de fermeture pris sur le fondement de l'article L. 333-2 est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende, de la peine complémentaire de confiscation des revenus générés pendant la période d'ouverture postérieure à la notification de la mesure et de la peine complémentaire d'interdiction de gérer un commerce pendant cinq ans.
« En cas de récidive, l'auteur encourt la peine de confiscation de tous les biens ayant permis la commission de l'infraction. »
II. – Le titre III du livre III du code de la route est ainsi modifié :
1° Le I de l'article L. 330-2 est ainsi modifié :
a) Le 3° est complété par les mots : « , ainsi qu'aux agents des douanes et aux agents des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application, respectivement, des articles 28-1 et 28-2 du même code » ;
b) Au 7° bis, après le mot : « publiques », sont insérés les mots : « et de l'administration des douanes et droits indirects » ;
c) (nouveau) Après le même 7° bis, il est inséré un 7° ter ainsi rédigé :
« 7° ter Aux agents du service à compétence nationale mentionné à l'article L. 561-23 du code monétaire et financier, pour l'exercice de leurs missions ; »
2° (Supprimé)
3° (nouveau) Le I de l'article L. 330-3 est ainsi modifié :
a) Le 3° est complété par les mots : « , ainsi qu'aux agents des douanes et aux agents des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application, respectivement, des articles 28-1 et 28-2 du même code » ;
b) Il est ajouté un 7° ainsi rédigé :
« 7° Aux agents du service à compétence nationale mentionné à l'article L. 561-23 du code monétaire et financier, pour l'exercice de leurs missions prévues par ce même code. »
III. – Le titre VI du livre V du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après le 10° de l'article L. 561-2, il est inséré un 10° bis ainsi rédigé :
« 10° bis Les personnes se livrant à titre habituel et principal à la vente ou à la location de véhicules, lorsque la transaction porte sur un véhicule dont la valeur est supérieure à un seuil déterminé par décret ; »
1° bis (nouveau) Après le II quater de l'article L. 561-25, sont insérés des II quinquies à II septies ainsi rédigés :
« II quinquies. – Le service mentionné à l'article L. 561-23 peut demander toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission à tout conseiller en gestion stratégique, financière ou de projets.
« II sexies. – Le service mentionné à l'article L. 561-23 peut demander toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission aux opérateurs de plateforme de dématérialisation titulaires de l'immatriculation mentionnée à l'article 290 B du code général des impôts.
« II septies. – Le service mentionné à l'article L. 561-23 peut demander toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission aux plateformes d'intermédiation pour la domiciliation d'entreprises. » ;
2° L'article L. 561-35 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes énumérées à l'article L. 561-2 sont soumises à une certification professionnelle de connaissances minimales quant à leurs obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Un décret définit les conditions dans lesquelles cette certification professionnelle est mise en œuvre. » ;
3° L'article L. 561-47 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le greffier qui a procédé à l'immatriculation principale d'une société ou d'une entité mentionnée au 1° de l'article L. 561-45-1 du présent code constate, au terme d'un délai de six mois, que cette société ou cette entité n'a pas déclaré au registre du commerce et des sociétés les informations relatives aux bénéficiaires effectifs, il peut procéder, après en avoir informé la société ou l'entité par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à son siège social, à sa radiation d'office. Toute radiation d'office effectuée en application du présent article est portée à la connaissance du ministère public. » ;
4° Le second alinéa de l'article L. 561-47-1 est ainsi rédigé :
« Le greffier procède, après en avoir informé la société ou l'entité par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à son siège social, à la radiation d'office de ladite société ou entité. Toute radiation d'office effectuée en application du présent article est portée à la connaissance du ministère public. »
IV. – La section 2 du chapitre III du titre II de la première partie du livre des procédures fiscales est ainsi modifiée :
1° L'article L. 135 ZC est ainsi modifié :
a) La sixième occurrence du mot : « et » et les mots : « ainsi qu' » sont remplacés par le signe : « , » ;
b) Sont ajoutés les mots : « ainsi qu'aux données juridiques immobilières » ;
2° (Supprimé)
3° (nouveau) À l'article L. 135 ZJ, les mots : « détachés ou mis à disposition par l'administration fiscale en application de » sont remplacés par les mots : « mentionnés à » ;
4° (nouveau) Après l'article L. 151 B, il est inséré un article L. 151 C ainsi rédigé :
« Art. L. 151 C. – Le greffier du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire statuant en matière commerciale peut obtenir de l'administration fiscale communication des informations détenues en application de l'article 1649 A du code général des impôts nécessaires aux validation et contrôle prévus aux articles L. 123-41 et R. 123-95 du code de commerce. »
V. – L'article 323 du code des douanes est complété par un 3 ainsi rédigé :
« 3. Les officiers de douane judiciaire peuvent également, dans les conditions prévues à l'article 706-154 du code de procédure pénale, saisir une somme d'argent versée sur un compte ouvert auprès d'un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts, de paiement ou d'actifs numériques mentionnés à l'article L. 54-10-1 du code monétaire et financier. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l'article.
Mme Nathalie Goulet. Cet article, relatif au blanchiment d'argent, est extrêmement important. Au risque d'être un peu iconoclaste, madame la présidente-rapporteure de la commission des lois, je trouve que le dispositif aurait mérité d'être examiné dans le cadre d'une commission spéciale, qui aurait associé à ses travaux des membres de la commission des affaires économiques, compétents sur le sujet des entreprises éphémères, et de la commission des finances, pour celui du blanchiment d'argent.
Celui-ci, madame, messieurs les ministres, représente 3 % du PIB mondial, soit plus de deux mille milliards de dollars. Il concerne absolument tous les domaines de la criminalité, depuis la contrefaçon jusqu'au trafic de migrants. C'est donc un sujet extrêmement important ; c'est même la pierre angulaire de la lutte contre le financement du terrorisme ou du narcotrafic et contre la criminalité organisée.
Monsieur le garde des sceaux, vous vous êtes récemment rendus aux Émirats arabes unis pour trouver les moyens de mieux lutter contre ces trafics et de réprimer davantage les trafiquants. Je trouve néanmoins dommage que, à ce stade de l'examen du texte, Mme la ministre chargée des comptes publics ne soit pas au banc du Gouvernement : en effet, l'on ne pourra pas combattre efficacement le blanchiment tant que l'on n'aura pas lutté contre les paradis fiscaux, contre les ports francs et contre l'évasion fiscale. La tuyauterie utilisée par la criminalité organisée est la même que celle de la délinquance financière.
Lorsque nous avons défendu, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, quelques modestes amendements visant à lutter contre les paradis fiscaux et contre l'évasion fiscale, c'était aussi pour contribuer au combat contre la criminalité organisée. Les deux sujets sont étroitement liés ; il est indispensable que nous luttions en même temps contre l'évasion fiscale, les paradis fiscaux et la criminalité organisée. Tant que les ports francs et les paradis fiscaux continueront d'exister, notamment aux portes de l'Europe, il sera très difficile de lutter contre la criminalité organisée.
Je le redis, la lutte contre le blanchiment d'argent est la pierre angulaire de ce combat et le point majeur de cette proposition de loi, avec ses dispositions d'ordre pénal, bien évidemment.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l'article.
Mme Catherine Conconne. Comme vient de le dire notre collègue Nathalie Goulet, c'est sur le blanchiment d'argent qu'il faut taper. Mais cela suppose que nous nous en donnions les moyens, que certaines règles soient assouplies et que les forces de l'ordre puissent intervenir avec facilité et fluidité, en s'unissant dans cette task force qui est souhaitée par tous.
Le blanchiment d'argent, ça se voit et ça se sent. Souvent, des choses pas très catholiques, si je puis dire, se déroulent à la barbe et sous le nez des policiers, ce qui peut décourager les forces de l'ordre dans leur action.
Donc oui, il faut taper sur le blanchiment d'argent ! Il est inacceptable de voir des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) rouler dans des véhicules très coûteux, aussi bien à l'achat qu'à l'entretien, et vivre dans des maisons qui sont loin d'être des HLM. Il faut sévir, le plus rapidement possible !
Les moyens qui sont alloués à cette lutte par le présent article 3 me semblent cohérents et expriment l'objet même de cette proposition de loi, qui est de dire : « Agissons et levons les tabous ! » Je considère pour ma part qu'être de gauche, ce n'est pas être contre la répression.
Mme Catherine Conconne. Je n'en fais pas un tabou. En effet, la société a changé, elle a évolué de telle sorte que les méthodes à employer vont désormais au-delà de la discussion, de l'échange et de la prévention. Il faut avoir le courage de l'affirmer, le courage de taper fort et de dire : « Ça suffit ! »
M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel, sur l'article.
Mme Karine Daniel. Nous saluons le travail qui a été réalisé par la commission d'enquête pour ce qui concerne le blanchiment d'argent, même si le sujet est inépuisable. Ses limites sont celles de l'imagination et des outils technologiques déployés, qui évoluent de manière exponentielle.
Oui, il faut dégager des moyens pour mener cette lutte. Oui, il faut coordonner les actions des douanes et des autres services. L'entreprise est telle qu'elle impose de traiter le blanchiment de certains flux de capitaux non seulement à l'échelle internationale, mais aussi jusque dans l'action locale, puisque les points de blanchiment peuvent être très territorialisés. Il faut donc que les élus locaux, en coordination avec les services de l'État, aient les moyens de lutter et de proposer des réponses aux citoyens qui les interrogent, légitimement, sur les différents points de blanchiment qui maillent le territoire.
Nous espérons tous que cette proposition de loi nous permettra de lutter concrètement contre le narcotrafic, mais nous devons garder à l'esprit que la lutte contre le blanchiment d'argent va bien au-delà des seules activités de narcotrafic et s'inscrit dans un périmètre beaucoup plus large.
Je salue de nouveau le travail réalisé dans le cadre de la commission d'enquête. Il faudra le compléter en dégageant des moyens suffisants et en facilitant la coordination des services des douanes, du ministère des finances et des acteurs locaux pour pouvoir lutter concrètement contre les actions de blanchiment.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l'article.
M. Guy Benarroche. Nous savons sur toutes nos travées – c'est particulièrement vrai des membres de la commission d'enquête, qui l'ont constaté, démontré et expliqué – qu'il faut taper les narcotrafiquants au portefeuille.
C'est la seule façon de les atteindre, ou du moins la façon la plus efficace de désorganiser leur réseau et leur trafic. En effet, ce n'est pas en arrêtant les petites mains que nous pourrons atteindre les trafiquants – certains de mes collègues l'ont déjà dit –, parce que cela ne représente aucun risque pour les chefs de réseaux, ni même une punition. Il y a belle lurette que le narcotrafic a adopté tous les procédés du capitalisme : division du travail, sous-traitance, délocalisation, en plus d'une manière agile et souple d'agir qui ne se soumet évidemment à aucune norme sociale ou environnementale.
Pour le blanchiment des revenus, un vaste éventail de procédés a été mis en place : la réutilisation directe des fonds criminels, grâce à la réinjection immédiate des espèces dans des secteurs où se pratique le travail dissimulé ; le blanchiment de proximité dans des commerces locaux, souvent ouverts sous le nom d'un proche ; le transfert de fonds selon la méthode dite « hawala », qui permet d'éviter les circuits bancaires ; enfin, le blanchiment financier international qu'a mentionné Nathalie Goulet, avec les opérations-écrans, les détentions de cryptoactifs, les paradis fiscaux, ainsi que tous les moyens utilisés dans le cadre d'autres formes de délinquance financière qui ne sont pas forcément liées au narcotrafic.
Notre groupe salue donc l'inscription dans ce texte de plusieurs mesures issues des travaux de la commission d'enquête. Nous nous félicitons en particulier de la possibilité offerte aux élus locaux qui le souhaitent – ils en ont fort besoin – d'être associés à certains échanges de renseignements, afin de mieux lutter contre le blanchiment.
M. le président. L'amendement n° 69 rectifié, présenté par MM. Buval, Théophile et Fouassin, Mme Havet, M. Patient et Mme Phinera-Horth, est ainsi libellé :
Alinéas 5, 6 et 7
Après chaque occurrence du mot :
maire
insérer les mots :
ou le président du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement, auquel j'associe mon collègue élu de la Guadeloupe, M. Dominique Théophile, vise à reprendre une préconisation de la commission d'enquête sénatoriale sur la lutte contre le narcotrafic.
Il s'agit, par l'intermédiaire du conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD ou CISPD), d'associer davantage les élus locaux et l'ensemble des autres acteurs territoriaux dans la lutte contre le narcotrafic, tout en les protégeant individuellement des risques de représailles.
Devenus obligatoires dans les communes de plus de 5 000 habitants, ainsi que dans les communes comprenant une zone urbaine sensible, les CLSPD ou CISPD sont des instances collégiales qui définissent les priorités et les moyens d'action de la commune ou de l'intercommunalité en matière de lutte contre l'insécurité et la délinquance.
Or le narcotrafic touche désormais tous les territoires de l'Hexagone comme les outre-mer, avec pour corollaire le développement du trafic d'armes et une forte augmentation du narcobanditisme. Face à ce fléau, il faut une réponse forte, coordonnée et partenariale entre la police, la gendarmerie, la justice et les élus.
Les maires et les élus des territoires sont d'ailleurs les maillons essentiels du dernier kilomètre du trafic. Ils connaissent la population et les quartiers. Notre commission d'enquête avait à juste titre pointé dans son rapport de nombreux exemples de problèmes de coordination. Elle avait également relevé l'association trop faible de certains partenaires pourtant essentiels sur le terrain, à commencer par les maires et les policiers municipaux, mais aussi les bailleurs sociaux, à la fois victimes et témoins du petit trafic.
Les CLSPD et CISPD peuvent donc se révéler les structures idoines pour mieux coordonner et mieux faire appliquer les mesures de lutte contre le narcotrafic qui figurent dans le présent texte, en les adaptant à la réalité de chaque territoire tout en incluant la dimension de prévention et de sensibilisation qui leur est propre.
Tel est l'objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Nous comprenons l'intention des auteurs de cet amendement, mais leur demande nous paraît satisfaite, puisque le maire est de facto le président du CLSPD.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, son avis serait défavorable.
En exergue de l'examen de plusieurs amendements sur ce thème, j'aimerais avoir une réflexion de fond sur le sujet de l'information donnée aux maires. Nous avons eu des débats assez vifs en commission la semaine dernière autour de ces questions : qu'est-ce qui est utile à l'action que mènent les maires, au quotidien, contre le blanchiment ? à partir de quel moment ces informations les exposent-elles, à l'inverse, à des représailles ?
Nous verrons, au fil de l'examen des amendements sur cet article, que sont faites des propositions complètement antithétiques. Certains d'entre vous, mes chers collègues, demandent que les maires aient plus d'informations, alors que d'autres regrettent qu'ils soient trop exposés et souhaitent qu'ils bénéficient d'une protection.
Nous devrons donc trouver un point d'équilibre. Il faut développer l'information, la fluidité et le renseignement ; les maires doivent aussi prendre leur part au partage des informations dont ils disposent avec les autorités judiciaires et policières. En revanche, quand nous exigeons qu'ils soient dépositaires d'une information importante sur des sujets sensibles, nous devons veiller à ne pas les exposer en première ligne ; c'est parfois, malheureusement, déjà le cas.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Buval, l'amendement n° 69 rectifié est-il maintenu ?
M. Frédéric Buval. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 69 rectifié est retiré.
L'amendement n° 107, présenté par M. Bacchi, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Un arrêté détermine les modalités simplifiées de la protection du maire par le service de la protection en cas de danger grave.
La parole est à M. Jérémy Bacchi.
M. Jérémy Bacchi. Monsieur le rapporteur, comme vous le releviez très justement, certains des auteurs des amendements déposés sur cet article considèrent qu'il faut donner plus d'informations aux élus locaux, tandis que d'autres estiment qu'il vaudrait mieux les protéger, en regrettant leur surexposition.
Sur les travées du groupe CRCE-K, nous sommes dans l'entre-deux. En effet, il est logique que les maires puissent avoir des informations, parce qu'ils ont un rôle à jouer et que leur action est utile sur le territoire, a fortiori dans des communes de taille moyenne ou de petites communes. Néanmoins, il ne faut pas minimiser le risque auquel s'exposent ainsi ces élus.
Au travers de cet amendement, nous invitons le Gouvernement à publier un texte réglementaire facilitant la mise en place de la protection des maires par le service de la protection. Celui-ci assure notamment la protection rapprochée ou l'accompagnement de sécurité des personnes. Il nous semble que cela contribuerait non seulement à renforcer l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic, mais aussi à mieux protéger les maires de tous nos territoires, alors que nous traversons une période où les élus locaux sont souvent la cible de menaces.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Notre collègue Jérémy Bacchi vient d'illustrer concrètement ce que je disais il y a cinq minutes à peine : l'information donnée aux maires peut leur être utile, mais elle les expose aussi à des dangers.
Nous débattrons plus tard, à la faveur de l'examen d'autres articles, du sujet de la protection. Notre commission d'enquête – je parle sous le contrôle de son rapporteur Étienne Blanc – a démontré à quel point tout le monde était menacé ou susceptible de l'être : les magistrats, les douaniers, les agents pénitentiaires, les procureurs, les directeurs de prison – cela a été le cas au centre pénitentiaire des Baumettes – et a fortiori les élus qui sont au contact des narcotrafiquants et essaient d'entraver leur action.
La commission souscrit au constat qu'a exposé M. Bacchi. Elle s'en remet à la sagesse de notre assemblée sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Pour rassurer M. Bacchi, je veux lui indiquer que, voilà quelque temps déjà, le dispositif de protection des personnes a été élargi par le ministère de l'intérieur. Il est donc clair que, si demain un élu, quel qu'il soit, y compris un maire, est menacé, il bénéficiera de ce dispositif. Un service spécialisé évaluera la menace et, si celle-ci est telle que l'élu doit bénéficier d'une protection, cette protection lui sera alors accordée par le ministre de l'intérieur.
Votre amendement, monsieur le sénateur, est donc satisfait par ce dispositif, qui existe déjà pour protéger n'importe quelle personne, qu'elle soit élue ou non, dès lors que le service spécialisé conclut que cette personne fait l'objet d'une menace qui le justifie. J'en demande donc le retrait.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 107.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
Mme la présidente. L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet et M. Canévet, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer les mots :
en opérant des signalements à TRACFIN
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement vise à modifier la disposition permettant au maire de participer à la lutte contre le trafic de stupéfiants sur le territoire de sa commune, en y supprimant la précision selon laquelle il devrait le faire « en opérant des signalements à Tracfin ».
Tracfin est un service très performant du renseignement financier, qui fait partie de la communauté du renseignement. Il reçoit les déclarations de soupçon d'un certain nombre d'organismes dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d'argent et de la lutte contre le financement du terrorisme.
S'il doit aussi recevoir des déclarations de soupçon dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants, ce service risque d'être embouteillé et saturé par des remontées qui ne seront pas forcément de bonne qualité.
Un maire qui observerait des faits liés au trafic de stupéfiants pourra toujours intervenir au titre de l'article 40 du code de procédure pénale et s'en ouvrir au parquet. Il a déjà des possibilités d'agir.
Ce serait faire un contresens sur le rôle de Tracfin que de permettre de telles déclarations de soupçon pour trafic de stupéfiants auprès de ce service extrêmement performant. Il risquerait d'être embouteillé sans que l'objectif visé soit atteint.
C'est la raison pour laquelle je propose de retirer cette mention de cet alinéa.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, corapporteur. Cette disposition est directement issue des travaux de la commission d'enquête. Ce sont précisément les représentants de Tracfin qui, lors de leur audition, nous ont indiqué que le service était peu sollicité par les maires, qui ont déjà la faculté de signaler un certain nombre de faits, et qu'il était sans doute nécessaire de renforcer l'information des maires pour qu'ils puissent davantage procéder à ce type de signalement. Nous avons donc formulé cette recommandation dans le rapport de la commission d'enquête, recommandation qui trouve sa traduction à cet alinéa.
L'avis de la commission est donc défavorable sur cet amendement, dont l'objet est contraire à ses travaux.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Mesdames, messieurs les sénateurs, je remplace ici ma collègue ministre chargée des comptes publics.
Madame la sénatrice, vous souhaitez supprimer la référence à Tracfin au sein de l'article 3 de cette proposition de loi. Celui-ci prévoit qu'un groupe thématique local pourra être mis en place afin de traiter des possibilités, pour le maire, de participer à la lutte contre le trafic de stupéfiants en opérant des signalements à Tracfin.
M. le rapporteur a apporté deux éléments de réponse.
Je relève cependant que les maires peuvent déjà adresser des signalements à Tracfin en application du code monétaire et financier ; ces signalements sont appelés des « informations de soupçon ». L'adoption de cet amendement aurait donc l'avantage de supprimer cette redondance.
Toutefois, Tracfin, en tant que service de renseignement financier placé sous l'autorité de Bercy, est un acteur essentiel en matière de lutte contre la criminalité organisée et le narcotrafic. Aussi, pour des raisons de cohérence, le Gouvernement émet comme la commission un avis défavorable sur cet amendement.
Mme Nathalie Goulet. Je retire l'amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 3 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 249, présenté par Mme M. Jourda et M. Durain, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer les mots :
et 450-1
par les mots :
, 450-1 et 450-1-1
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Durain, rapporteur. C'est un amendement de coordination, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 242, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 11
Remplacer les mots :
ou lieu ouvert au public
par les mots :
, lieu ouvert au public ou utilisé par le public, ainsi que leurs annexes
II. – Alinéa 13
1° Au début, insérer les mots :
Avant l'échéance de la fermeture de six mois décidée par le représentant de l'État dans le département,
III. – Alinéa 14
Supprimer cet alinéa.
IV. – Après l'alinéa 16
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Les articles L. 3422-1 et L. 3422-2 du code de la santé publique sont abrogés.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Cet amendement, important, vise à préciser le dispositif de fermeture des commerces impliqués dans le trafic de stupéfiants.
Nous disposons d'une police spéciale, dont vous savez qu'elle œuvre surtout auprès des débitants de boissons. Cependant, comme l'ont indiqué un certain nombre d'intervenants dans la discussion générale, de nombreux autres commerces sont désormais concernés, notamment les épiceries de nuit.
Le texte de la commission définit un périmètre bien proportionné. Il subsiste néanmoins des « trous dans la raquette » : je relève en particulier que les locaux associatifs ne sont pas pris en compte. Pour faire référence à une actualité très récente, l'ancien sénateur Jean-Patrick Courtois, maire de Mâcon, que nous connaissons bien, s'est opposé à ce que des trafiquants puissent louer un local qui n'était pas à usage commercial au sens commun du terme. Ces trafiquants se sont vengés en déclenchant des incendies dans la ville.
Voilà le genre de faille que nous devons combler. Je vous propose de le faire en votant cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Je m'associe évidemment aux propos de M. le ministre sur la réalité mâconnaise, chef-lieu du département dont je suis l'élu.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, merci beaucoup : ces dispositions sont utiles et attendues sur le terrain.
Vous avez évoqué la situation du maire de Mâcon ; je pourrais en citer beaucoup d'autres. Je pourrais surtout citer des exemples de commerçants, ayant fait l'objet d'une fermeture administrative parce qu'ils sont suspectés, à très juste titre, d'être liés au trafic de stupéfiants, qui font appel à un avocat afin de porter plainte pour harcèlement soit contre le maire, soit contre le préfet.
Les nouveaux outils qui sont proposés et la durée maximale de six mois qui a été fixée pour ces fermetures administratives vont dans le bon sens, et ce d'autant plus que le dispositif est élargi à une série de lieux qui, jusqu'à présent, ne pouvaient être fermés de la sorte.
Merci encore, monsieur le ministre : nous voterons cet amendement avec beaucoup d'entrain !
Mme la présidente. L'amendement n° 148, présenté par Mmes Phinera-Horth et Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Patient, Rambaud, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Après les mots :
établissement ou lieu ouvert au public peut
insérer les mots :
, sur proposition du maire de la commune concernée,
La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Cet amendement vise à impliquer les maires dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, car chacun sait qu'ils sont bien placés pour alerter les autorités sur ce type d'activités.
Cela étant, son dispositif est proche de celui de l'amendement n° 69 rectifié de mon collègue Frédéric Buval. Aussi, dans le même esprit que celui qui a présidé au retrait dudit amendement, je retire également celui-ci.
Mme la présidente. L'amendement n° 148 est retiré.
L'amendement n° 85 rectifié, présenté par MM. Hochart, Szczurek et Durox, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer les mots :
le représentant
par les mots :
les maires des communes en concertation avec les représentants
La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Cet amendement vise à renforcer les pouvoirs des maires en matière de sécurité et d'ordre public, en leur permettant, en concertation avec les représentants de l'État, de prononcer des arrêtés de fermeture administrative d'une durée allant jusqu'à six mois.
Aujourd'hui, quand un commerçant, dans une commune, est soupçonné de blanchiment, la fermeture administrative doit se faire en concertation avec les autorités du département. La mesure que nous proposons vise à mieux prendre en compte les spécificités locales et à répondre rapidement aux situations urgentes, comme l'existence de lieux favorisant le narcotrafic ou troublant gravement l'ordre public ; elle vient donc en complément de l'amendement n° 242 du Gouvernement.
Actuellement, les maires disposent de compétences limitées face à cette problématique, alors qu'ils sont en première ligne pour assurer la sécurité de leurs administrés.
Adopter cet amendement, qui a pour objet de renforcer leur capacité d'action, tout en maintenant la nécessaire coordination de leurs décisions avec celles de l'État, garantirait à la fois réactivité et efficacité pour rétablir l'ordre dans nos territoires.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Notre collègue dit lui-même que les maires sont « en première ligne ». Évitons qu'ils ne le soient trop !
Cet amendement a pour objet de transférer aux maires, en concertation avec les représentants de l'État, la faculté d'édicter des fermetures administratives de commerces en lien avec le trafic de stupéfiants. Un tel dispositif me semble exposer excessivement les maires à des risques de représailles, étant entendu qu'ils pourront toujours signaler les commerces problématiques aux préfets. En outre, sur un plan opérationnel, il pourrait se révéler difficile pour les élus concernés de rassembler les indices permettant de fonder légalement la mesure de fermeture.
L'avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Prenons garde de ne pas impliquer les maires au-delà de ce qu'ils souhaitent eux-mêmes en matière de lutte contre la criminalité organisée, parce que, en retour, ils seront exposés à d'importantes menaces.
Je pense que le lien entre les élus et l'État doit en effet être maintenu et que les maires doivent être informés. Mais, très franchement, afin de justifier la fermeture administrative de commerces, il faudra beaucoup plus que des troubles à l'ordre public pour apporter la preuve d'un trafic de stupéfiants. Les preuves seront plutôt fournies par les services de renseignement.
En tout état de cause, un tel dispositif irait au-delà des compétences du maire. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Dans sa version initiale, la présente proposition de loi prévoyait de confier aux maires un certain nombre de pouvoirs dans ce domaine. La commission des lois a, de façon tout à fait légitime et fondée, raboté ces dispositifs au motif qu'ils plaçaient le maire aux premières loges en la matière.
Nous avons voté ici même plusieurs textes visant à mieux combattre les violences subies par les maires, à la suite de faits divers dans lesquels des élus avaient subi des violences liées notamment à des décharges sauvages ou à des incivilités. Imaginez alors que l'on place les maires aux premières loges dans des affaires criminelles ! Il est évident qu'on les exposerait à un certain nombre de risques pour lesquels ils ne sont ni élus ni protégés.
La commission des lois a eu parfaitement raison de supprimer ces dispositions, même si l'on en comprend bien l'intérêt. Le rôle du Sénat est d'assurer la protection des élus et de la population, en renforçant les recours possibles contre les trafics, en facilitant les fermetures administratives, mais sans mettre en danger les maires, ce qui risquerait d'être le cas si cet amendement était adopté.
Mme la présidente. Monsieur Hochart, l'amendement n° 85 rectifié est-il maintenu ?
M. Joshua Hochart. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 85 rectifié est retiré.
L'amendement n° 122, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 11
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« La décision de fermeture est précédée d'une procédure contradictoire prévue au chapitre II du titre II du livre Ier du code des relations entre le public et l'administration.
« L'arrêté de fermeture est transmis sans délai à l'exploitant du local commercial, de l'établissement ou du lieu ouvert au public concerné, accompagné d'une information relative à la nature et des délais de recours contentieux ouverts contre ledit arrêté.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Notre groupe soutient l'intégralité des amendements qui ont été adoptés par la commission en la matière, ainsi, naturellement, que le texte issu de ses travaux, mais nous tenons malgré tout à souligner les difficultés que pose la procédure de fermeture administrative de locaux ou de lieux liés au trafic de stupéfiants.
À l'évidence, cette procédure est utile, et même très utile pour lutter contre le narcotrafic, mais il faut savoir qu'elle a forcément un certain nombre de conséquences qui, quand elles sont justifiées, semblent logiques, mais qui affectent parfois des personnes tout autres que celles qui étaient visées.
Ainsi, il arrive que certains commerces concernés par une fermeture administrative emploient de vrais salariés. Dans ce cas, la mesure prise est à l'origine de licenciements ou de la mise au chômage partiel de salariés qui ne sont pas impliqués dans les trafics.
Nous pensons qu'une procédure contradictoire, conforme aux dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, devrait permettre à l'intéressé, dans un délai bien défini, de présenter des observations écrites et orales et de produire des documents démontrant que son commerce ne permet pas de blanchir le produit d'un crime ou d'un délit.
Nous plaidons pour la mise en place d'un tel recours.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Il me semble que les garanties que vous demandez, mon cher collègue, sont satisfaites par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration, lesquelles s'appliqueront, comme il se doit, au dispositif figurant dans le texte de la commission.
D'une manière générale, je précise que, dans le cadre de nos travaux successifs – ce texte résulte en effet d'une succession de travaux et de réflexions, depuis la commission d'enquête et la première version de la proposition de loi, rédigée par Étienne Blanc et moi-même, jusqu'aux premiers échanges avec le Gouvernement et au récent travail de la commission des lois –, nous avons toujours veillé à apporter le plus possible de garanties, à sécuriser l'ensemble des mesures, à faire en sorte que nos libertés soient protégées.
Dans le cas d'espèce, mon cher collègue, c'est bien le cas : l'avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. M. Benarroche a raison de dire que la procédure contradictoire est un grand principe du droit français.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Quel tact ! (Sourires.)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. La preuve en est que son amendement est satisfait par l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui dispose que toute mesure de police administrative doit faire l'objet au préalable d'une procédure contradictoire. L'avis du Gouvernement est donc également défavorable.
M. Guy Benarroche. Je retire mon amendement !
Mme la présidente. L'amendement n° 122 est retiré.
L'amendement n° 205, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 28
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Après le II bis de l'article L. 112-6, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« .... – Nonobstant le I, le paiement des opérations afférentes à la location de véhicules terrestres motorisés ne peut être effectué en espèces. » ;
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement est important.
Dans le cadre de notre lutte contre le narcotrafic, la location de voitures est une plaie. Elle peut en effet contribuer considérablement à aider les narcotrafiquants. Et croyez-moi, tous ceux d'entre vous qui se sont impliqués dans les travaux de la commission d'enquête le savent parfaitement !
Il existe une mesure, qui est certes radicale, mais que je vous demande solennellement de soutenir, celle qui consiste à interdire les paiements en espèces d'opérations afférentes à la location de voitures.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. On améliorera ainsi la traçabilité de ces opérations et on en renforcera la transparence.
Par ailleurs, nous savons bien que ce mode de paiement favorise la location de go fast, ces voitures de grosse cylindrée qui permettent de rouler très vite sur autoroute pour transporter de la drogue d'un point A à un point B. Ce phénomène n'est pas acceptable !
Cette disposition facilitera en outre le travail de l'autorité judiciaire, dans la mesure où la location du véhicule sera désormais traçable.
Je sais qu'il existe des réticences sur certaines travées de cet hémicycle, mais, sincèrement, je ne me les explique pas. Il s'agit d'une mesure dont nous avons réellement besoin ! Encore une fois, pour celles et ceux qui ont étudié la question, le dispositif que je propose sonne comme une évidence.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. J'ai noté toute la solennité que le ministre a donnée à la présentation de son amendement. Pour autant, la position de la commission est un peu différente sur ce point.
D'après nous, les mailles du filet sont un peu trop étroites, dans la mesure où l'amendement du Gouvernement vise à interdire le paiement en espèces de toute location de véhicules terrestres, et non spécifiquement de véhicules se prêtant au go fast. Il faut savoir que beaucoup de Français, dans tous nos territoires, continuent d'utiliser du liquide pour louer un véhicule, que ce soit afin de déménager, d'aider un proche à le faire, ou de réaliser des travaux. Le périmètre du dispositif proposé nous semble trop large, car il affecterait inutilement nombre de nos concitoyens.
Du reste, je remarque qu'il y a quelques semaines une proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces n'a pas recueilli les faveurs de notre assemblée.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Je ne suivrai pas l'avis de la commission, car je pense que M. le ministre a entièrement raison.
Je peux en effet constater en région parisienne, et plus précisément dans la banlieue où je réside, que les voitures qui sont louées ainsi ne le sont pas pour 100 euros, mais pour 1 000 ou 1 500 euros ! Idem sur la Côte d'Azur : les individus qui louent de gros bateaux le font en piochant dans des sacs plastiques remplis de billets… Voilà la réalité !
Pour moi, cet amendement est essentiel. En banlieue, nous subissons les conséquences de ces locations de voitures de luxe, notamment lors de mariages au cours desquels ces véhicules terrorisent les villes alentour. Je le redis, il ne s'agit pas d'empêcher les gens de louer des voitures pour 100 ou même 150 euros, mais de stopper les locations de voitures de luxe payées très cher et en espèces.
J'invite vraiment tous mes collègues à voter cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.
M. Francis Szpiner. Je suis très étonné de l'avis rendu par la commission, parce que, je le rappelle, il est interdit à tout citoyen de l'Union européenne et, partant, de la République française de régler en espèces un achat de plus de 800 euros hors taxe, soit environ 960 euros TVA comprise.
Si un individu cherche à louer un véhicule en réglant en espèces plus de 960 euros, il est par conséquent déjà en infraction aujourd'hui. Et, compte tenu de la nature des véhicules loués, cette somme est très vite atteinte. La règle existe d'ores et déjà, et je suis évidemment favorable à son maintien.
Pour autant, je sais pertinemment que nous vivons dans un pays où certaines personnes continuent de louer de petites voitures en utilisant leurs petites économies. Mais, redisons-le, ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici : toute personne qui veut louer un véhicule avec des espèces pour une durée supérieure à quelques jours aura à régler une somme qui excède a priori le montant prévu par la loi.
Je le dis parce que les trafiquants le savent aussi : le problème se pose vraiment quand l'individu qui loue un véhicule n'est pas ressortissant de l'Union européenne ; dans ce cas, il peut payer jusqu'à 10 000 euros en espèces, mais il est alors tenu de laisser son passeport en garantie.
Personnellement, je considère que la mesure proposée par le Gouvernement est efficace et je ne comprends pas pourquoi on s'y opposerait.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Il s'agit d'un amendement de bon sens.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
M. Hussein Bourgi. C'est la raison pour laquelle j'invite tous les collègues qui veulent vraiment lutter efficacement contre le narcotrafic à le voter.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. Je profite de la discussion de cet amendement pour exprimer mon regret que l'un des amendements que notre groupe a déposés sur ce texte ait été déclaré irrecevable.
Nous venons de voir qu'il existait un lien entre narcotrafic et voitures de luxe. En outre, comme cela vient d'être rappelé, ces véhicules surpuissants provoquent de nombreux dégâts dans nos villes – chacun a encore en mémoire les trop nombreux accidents dus à ce type de véhicules.
Or nous proposions justement, par notre amendement, d'interdire aux conducteurs dits inexpérimentés, en somme aux jeunes conducteurs, d'acheter ou de louer de telles voitures, ce qu'ils sont aujourd'hui en droit de faire.
Sachant qu'une partie des jeunes conducteurs qui sont au volant de ces voitures sont aussi les proies du narcotrafic, il nous semblait opportun de déposer notre amendement à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi – il existe selon nous un lien direct entre celui-ci et le texte dont nous discutons.
Hélas, je le redis, notre amendement a été jugé irrecevable, ce que je déplore profondément.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le ministre, je soutiendrai votre amendement, mais je souhaite également proposer une mesure complémentaire.
J'ai moi-même déposé un amendement, portant article additionnel après l'article 10, qui va un peu plus loin que le vôtre, puisque je propose la saisie et la confiscation des véhicules de location utilisés par les narcotrafiquants.
Ceux-ci ont souvent recours à des véhicules loués à l'étranger pour leur trafic. La plupart du temps, qu'on le veuille ou non, ces véhicules sont loués dans des agences de location qui elles-mêmes savent pertinemment à qui elles les louent et qui sont parfois dirigées par des personnes issues elles-mêmes du narcotrafic, notamment dans des pays tels que l'Allemagne et la Pologne.
Il suffit de se balader dans les villes de France pour constater que dans nos quartiers, malheureusement, les plaques étrangères pullulent !
M. Pierre Jean Rochette. J'ai élaboré mon amendement en concertation avec les services des douanes, qui sont conscients des difficultés posées par ce phénomène.
Monsieur le ministre, vous avez parfaitement raison de faire remarquer que le recours à l'argent liquide pour louer une voiture relève d'une pratique d'un autre temps, qui cache souvent quelque chose.
Mais allons plus loin : la saisie et la confiscation des véhicules nous permettraient de donner un coup de pied dans la fourmilière du narcotrafic (M. le ministre acquiesce.) Après tout, c'est tout un écosystème qu'il s'agit de combattre. Et bien souvent, ceux qui louent les voitures à l'étranger sont eux-mêmes des narcotrafiquants ou sont passés par l'économie du narcotrafic. Pour moi, il existe un vrai lien de cause à effet entre ces phénomènes. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je suis très favorable à cet excellent amendement pour les raisons qui viennent d'être exposées. Je tiens aussi à rappeler que divers attentats particulièrement graves ont eu lieu dans notre pays au moyen de véhicules loués dans des conditions tout à fait douteuses.
Francis Szpiner a en outre raison d'évoquer l'existence de seuils à respecter en matière de paiement en espèces. J'ajoute qu'un certain nombre de garanties en matière d'assurance automobile sont exigées par les loueurs et qu'Interpol souligne que ces véhicules eux-mêmes sont souvent issus de trafics.
Il s'agit à mon sens d'un très bon amendement, qui nous permet de nous inscrire dans la réalité : je le voterai.
Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Blanc, pour explication de vote.
M. Étienne Blanc. Cet amendement du Gouvernement est parfaitement utile. Comme cela nous a été indiqué à plusieurs reprises dans le cadre de nos auditions, le problème des locations de voitures en espèces est absolument exaspérant.
Je comprends néanmoins l'avis émis par le rapporteur. La solution ne consisterait-elle pas à fixer un seuil par décret ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Exactement !
M. Étienne Blanc. Au-delà de 200 ou de 250 euros, par exemple, le paiement en espèces serait interdit ; en deçà de ce seuil, il resterait autorisé. Un tel dispositif permettrait de trouver un juste équilibre et de réconcilier la position de la commission, qui a eu le souci de protéger une catégorie de la population qui le mérite, et la volonté du Gouvernement de lutter efficacement contre le narcotrafic. (Mme Valérie Boyer applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Nous soutenons cet amendement pour deux raisons.
D'une part, c'est une question de cohérence : dans le cadre d'une niche du groupe du RDSE, nous avions effectivement défendu une proposition de loi, déjà citée, qui visait à limiter le paiement en espèces, en l'interdisant au-dessus d'un seuil de 1 000 euros. Cet amendement du Gouvernement me semble parfaitement conforme au souhait que nous exprimions alors. D'après nous, tous les paiements en espèces de plus de 1 000 euros sont par nature suspects, d'autant qu'aujourd'hui ce n'est plus la norme.
D'autre part, c'est un vote de conviction, parce que je pense qu'il s'agit d'un dispositif intéressant, qui permettra, au moins en partie, de réguler certains excès.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Soit je ne comprends rien à ce débat, soit on ne parle pas de la même chose ! J'ai bien écouté Francis Szpiner et lu attentivement l'objet de l'amendement du Gouvernement : les paiements supérieurs à 1 000 euros sont d'ores et déjà interdits. Par conséquent, nous débattons ici des locations de voitures dont le montant ne dépasse pas ce seuil.
M. Francis Szpiner. Non, je vais vous expliquer ! Certains les acceptent quand même !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je n'ai pas terminé, mon cher collègue.
De deux choses l'une : soit une telle pratique est d'ores et déjà interdite, mais on considère que le seuil est trop élevé et, dans ce cas, on retient la proposition d'Étienne Blanc de fixer un seuil plus bas – 200 euros, ce n'est peut-être pas assez, mais il est clair qu'il ne faudrait pas que ce seuil excède 500 euros ; soit je n'ai rien compris et votre point de vue m'échappe… Interdire totalement le paiement en espèces, même pour louer une voiture à 60 euros la journée, reviendrait en définitive à interdire toutes les transactions en espèces pour toute une série de paiements. Je pense qu'il s'agit là d'une mesure trop radicale et que l'on passe ainsi à côté du sujet.
Mme la présidente. L'amendement n° 185, présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 28
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… Après le 8° de l'article L. 561-2, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les marchands de biens et les promoteurs immobiliers ; »
La parole est à Mme Karine Daniel.
Mme Karine Daniel. Cet amendement vise à inclure les marchands de biens et les promoteurs immobiliers dans la liste des professionnels assujettis aux obligations de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
Aujourd'hui, si les agents et les mandataires immobiliers sont bien soumis à ces obligations, ce n'est pas le cas des marchands de biens et des promoteurs immobiliers.
Cette situation a clairement été pointée du doigt dans le rapport d'évaluation des mesures mises en place par la France pour la lutte contre le blanchiment publié par le Groupe d'action financière (Gafi) en 2022. Ce rapport souligne en effet que le recours à des structures comme les sociétés civiles immobilières (SCI) pour dissimuler la propriété effective des biens, couplé à la présence de professionnels non soumis au dispositif LCB-FT, constitue une vulnérabilité majeure. Le Gafi regrette également que ce risque soit insuffisamment pris en compte dans l'analyse nationale des risques, alors même que certaines autorités rencontrées sur place ont exprimé leur vive préoccupation à ce sujet.
L'exclusion des marchands de biens et des promoteurs immobiliers du cadre LCB-FT crée une brèche dans notre dispositif de protection contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Elle affaiblit la traçabilité des flux financiers dans le secteur immobilier, pourtant particulièrement exposé à ces pratiques illicites.
Par le présent amendement, nous proposons de combler cette faille en soumettant lesdits professionnels aux mêmes obligations que les autres acteurs du secteur. Cette mesure permettra de renforcer la transparence des transactions immobilières, de prévenir les abus et de mieux aligner notre législation sur les recommandations internationales en matière de lutte contre la criminalité financière.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Cet amendement est intéressant. Si certaines professions, comme les agents et les mandataires immobiliers, sont déjà soumises à ces règles, il est vrai que les narcotrafiquants s'appuient de plus en plus sur les biens immobiliers pour blanchir les revenus tirés de leurs activités criminelles.
Nous demandons donc instamment l'avis du Gouvernement pour nous aider à juger de l'opportunité d'une telle disposition.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.
Nous prenons toute la mesure de l'exposition du secteur immobilier au risque de blanchiment de capitaux. L'analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme consacre d'ailleurs tout un chapitre à cette problématique. Un groupe de travail du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme spécifiquement consacré au secteur immobilier se réunit aussi régulièrement sur ce thème ; il a eu l'occasion de restituer les travaux que vous avez mentionnés le 8 novembre 2024.
Le nouveau règlement européen anti-blanchiment, qui entrera en application au mois de juillet 2027 et sera d'application directe, étendra, à l'échelle européenne, les nouvelles dispositions applicables à ce secteur à l'ensemble des opérateurs intervenant comme intermédiaires dans une acquisition ou une vente immobilière.
Un groupe de travail consacré à la transposition des nouvelles dispositions européennes a déjà commencé à se réunir, pour réfléchir notamment au périmètre de ces dispositions. Les sujets relatifs à l'immobilier y sont évoqués, notamment l'extension du périmètre aux marchands de biens et aux promoteurs.
C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable sur votre amendement, tout en rappelant la nécessité de prévoir un délai pour l'entrée en vigueur de cette mesure, à l'instar des dispositions qui s'appliqueront aux autres professions assujetties à des obligations nouvelles dans le cadre de ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Ce que je viens d'entendre constitue une très bonne nouvelle, d'autant que l'idée d'un assujettissement à ce dispositif de ces professionnels et des sociétés civiles immobilières, qui avait été défendue par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio dans le cadre de l'examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République, avait été rejetée à l'époque.
Ayant longuement travaillé sur la question du financement d'un certain nombre d'associations, nous avions proposé d'inclure dans le périmètre des contrôles à effectuer les parts de SCI. Or on n'avait pu le faire dans ce texte-là, et il semblait que l'on devrait attendre le texte européen évoqué pour régler ce problème, qui subsiste aujourd'hui. Nous en avons reparlé à plusieurs reprises sans plus de succès. Je suis par conséquent extrêmement favorable à cet amendement.
Je regrette néanmoins que le Gouvernement fasse mention d'un nécessaire délai d'application, car j'estime au contraire qu'il faudrait mettre cette mesure en œuvre au plus vite : les transactions de parts de SCI doivent être tout particulièrement contrôlées, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui – ce n'est pourtant pas faute d'avoir plaidé cette cause dans cet hémicycle !
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet et M. Canévet, est ainsi libellé :
Alinéas 29 et 30
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement procède du même esprit que l'amendement n° 3 rectifié bis que j'ai défendu tout à l'heure – j'espère qu'il connaîtra un meilleur sort !
Compte tenu des nombreuses auditions auxquelles j'ai participé sur le sujet et du travail déjà réalisé par Tracfin autour des trafics de véhicules, la mesure qui consiste à soumettre les loueurs et vendeurs de voitures, dès lors qu'il s'agit d'une activité habituelle, à une obligation de déclaration systématique des opérations suspectes à Tracfin me semble excessive. Elle risque en effet de provoquer un encombrement des services de cette agence, d'autant plus inutile que l'on vient de voter un amendement visant à interdire les paiements en espèces en la matière, en sus du plafond existant de 1 000 euros.
Cela étant, si la ministre me répond que je me trompe, je retirerai volontiers mon amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 142, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 30
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
« 10° bis Les personnes se livrant à titre habituel et principal à :
« a) La vente de véhicules lorsque la valeur de la transaction est d'un montant égal ou supérieur à 50 000 euros ;
« b) La location de véhicules lorsque la valeur de la transaction est d'un montant égal ou supérieur à 1 000 euros journalier ; »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Dans le cadre du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, nous souhaitons inscrire dans le texte les montants minimaux imposant une déclaration en cas de vente ou de location d'un véhicule. Pour ce qui est de la vente, nous proposons que soient assujetties les transactions dont la valeur est d'un montant égal ou supérieur à 50 000 euros ; s'agissant de la location d'un véhicule, seraient assujetties les transactions dont la valeur serait égale ou supérieure à 1 000 euros par jour.
Mme la présidente. L'amendement n° 192, présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 30
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
« 10° bis Les personnes se livrant à titre habituel et principal à :
« a) La vente de véhicules lorsque la valeur de la transaction est d'un montant égal ou supérieur à 30 000 euros ;
« b) La location de véhicules lorsque la valeur de la transaction est d'un montant égal ou supérieur à 1 000 euros journalier ; »
La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Le dispositif de cet amendement est très proche de celui que vient de défendre M. Benarroche. Il s'agit dans les deux cas de cibler les activités et les secteurs qui sont les plus exposés au risque de blanchiment. Il nous semble nécessaire d'inclure dans les périmètres de contrôle les personnes qui exercent à titre habituel et principal une activité de vente ou de location de véhicules.
Nous proposons un seuil moins élevé que celui qu'a retenu M. Benarroche en ce qui concerne la vente de véhicules, puisque nous souhaitons que ce seuil soit fixé à 30 000 euros, une valeur déjà élevée pour une transaction, et qui est souvent retenue dans le cadre d'opérations de lutte contre le blanchiment. S'agissant des locations de véhicules, indépendamment de ce que nous venons de voter sur les paiements en espèces, nous proposons également un seuil de 1 000 euros par jour.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. S'agissant tout d'abord de l'amendement n° 2 rectifié bis de Mme Goulet, nous nous interrogeons sur la suppression demandée de la disposition soumettant les vendeurs de voitures de luxe aux obligations de vigilance en matière de blanchiment.
Nous venons d'adopter l'amendement n° 205 du Gouvernement, ce qui aura bientôt pour effet d'interdire à chacun de nos compatriotes de régler 80 euros en espèces pour la location d'une simple Renault Clio ; et voici que, dans le même temps, on nous propose de dispenser les loueurs ou les vendeurs de gros véhicules achetés à l'étranger de toute obligation en matière de blanchiment de capitaux ! Je trouve que tout cela n'est pas cohérent ; c'est pourquoi la commission est défavorable à cet amendement.
Par ailleurs, mes chers collègues, je vous informe qu'à compter de 2027 un seuil de 250 000 euros sera valable à l'échelle de toute l'Europe : par conséquent, il nous semble inutile de fixer un seuil différent dans la loi, comme le proposent les auteurs des amendements nos 142 et 192. L'avis est donc également défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Nous comprenons le souhait des auteurs des amendements nos 142 et 192 de fixer la valeur des seuils d'assujettissement des vendeurs et loueurs professionnels de véhicules, mais le choix a été fait par votre commission de laisser au pouvoir réglementaire le soin de déterminer ces seuils, afin de nous laisser le temps de mener une consultation auprès du secteur. On pourra ainsi fixer un seuil susceptible de priver les narcotrafiquants d'un accès facile à des véhicules haut de gamme, sans imposer de contraintes trop lourdes aux professionnels comme aux consommateurs.
Par ailleurs, comme vient de le rappeler le rapporteur, un seuil européen d'assujettissement de 250 000 euros doit entrer en application en juillet 2027 en ce qui concerne la vente de véhicules.
Aussi, la voie réglementaire nous paraît la plus adaptée, car elle nous laisse la souplesse d'ajuster et de modifier les seuils en fonction de l'évolution des pratiques des trafiquants.
Le Gouvernement demande donc le retrait de ces amendements en discussion commune ; à défaut, l'avis serait défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Le texte de l'article mentionne « les personnes se livrant à titre habituel et principal » à la vente ou à la location de véhicules. Pour ce qui concerne la location, nous avons réglé la question en adoptant l'amendement n° 205 du Gouvernement.
Ensuite, il dispose que, « lorsque la transaction porte sur un véhicule dont la valeur est supérieure à un seuil déterminé par décret », cela donnera lieu à une déclaration Tracfin. Or, en France, les particuliers ne peuvent déjà pas régler en espèces une transaction supérieure à 1 000 euros. Le problème me semble donc déjà réglé.
Si quelqu'un entre chez un concessionnaire avec un sac rempli de billets et propose d'acheter une voiture en espèces, le vendeur effectuera une déclaration de soupçon. Mais faisons attention à ne pas déclencher des déclarations Tracfin dès qu'un client franchit les portes d'un concessionnaire. Voilà ce que nous nous apprêtons à voter, à moins que j'aie mal compris.
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 2 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Non, je le retire, madame la présidente, car j'ai bien compris qu'il ne serait pas adopté. Toutefois, je considère que de nombreux dispositifs couvrent déjà la question ; je ne vois donc pas l'intérêt de cette disposition. Nous verrons à l'usage ce que cela implique pour les professionnels du secteur.
Mme la présidente. L'amendement n° 2 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 142.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques et d'un sous-amendement.
L'amendement n° 143 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L'amendement n° 184 est présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'alinéa 30
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« … ° Les personnes se livrant à titre habituel et principal à :
« a) La vente de navires de plaisance lorsque la valeur de la transaction est d'un montant égal ou supérieur à 300 000 euros ;
« b) La location de navires de plaisance lorsque la valeur de la transaction est d'un montant égal ou supérieur à 10 000 euros journalier ; » ;
La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l'amendement n° 143.
M. Guy Benarroche. À l'heure actuelle, les personnes se livrant à titre habituel et principal à la vente ou à la location de navires de plaisance ne sont pas assujetties aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, contrairement aux vendeurs ou loueurs de véhicules automobiles. Or les nombreuses enquêtes ouvertes pour blanchiment ou contournement des sanctions économiques montrent que les yachts constituent des vecteurs de blanchiment privilégiés.
Il nous semble donc nécessaire de favoriser la vigilance des professionnels concernés par ces transactions en les inscrivant dans la liste des professions assujetties à la LCB-FT.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Guy Benarroche. Cet amendement a été suggéré par l'association Transparency International France.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour présenter l'amendement n° 184.
Mme Gisèle Jourda. M. Benarroche en a déjà exposé l'objet, mais j'insiste sur l'importance d'intégrer le secteur de la vente et de la location de bateaux de plaisance dans le champ des obligations du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Je pense à un exemple concret : en 2021, le Stefania, un yacht de luxe appartenant à un milliardaire biélorusse a été saisi à Monaco dans le cadre d'une enquête pour blanchiment d'argent. D'une valeur estimée entre 8 millions et 10 millions d'euros, ce navire a ensuite été vendu aux enchères par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Il est impératif de renforcer notre vigilance face à de telles situations, en soumettant les loueurs ou vendeurs de navires de plaisance au dispositif LCB-FT. Cela améliorera la traçabilité des transactions et limitera les risques d'utilisation des navires de plaisance à des fins illégales.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 263, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 143
I. – Alinéa 3
Après les mots :
principal à
insérer les mots :
la vente ou à la location de navires de plaisance, lorsque la transaction porte sur un navire de plaisance dont la valeur est supérieure à un seuil déterminé par décret.
II. – Alinéas 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Ce sous-amendement vise à renvoyer à un décret la détermination du seuil à partir duquel les vendeurs et loueurs de navires de plaisance seraient assujettis au dispositif LCB-FT, à l'image de ce qui a été retenu par votre assemblée pour les vendeurs et loueurs de véhicules terrestres.
Cette disposition garantit la proportionnalité de la mesure d'assujettissement en fonction des typologies de blanchiment observées, tout en limitant la surtransposition du droit européen. En effet, le règlement européen qui doit s'appliquer à compter du 10 juillet 2027 prévoit un tel assujettissement des vendeurs de véhicules nautiques pour les seules transactions portant sur un véhicule dont la valeur dépasse 7,5 millions d'euros.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Nous comptions demander l'avis du Gouvernement sur ce dispositif. Aussi, la commission émet un avis favorable sur le sous-amendement n° 263, ainsi que sur les deux amendements identiques, sous réserve de l'adoption de ce sous-amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur les deux amendements identiques ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Avis favorable, sous réserve de l'adoption de notre sous-amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je ne sais pas en quoi consiste ce sous-amendement, puisque je n'ai pas eu l'occasion de le lire. S'il s'agit de dire que le Gouvernement consent à intégrer cette profession au dispositif LCB-FT, mais que, pour le seuil, on doit s'en remettre à ce qui entrera en vigueur en Europe en 2027, je ne peux pas m'en satisfaire. En revanche, s'il vise simplement à préciser dans le dispositif de nos amendements que le seuil sera fixé par décret, j'y suis favorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 143 et 184, modifiés.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 207, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Après l'alinéa 30
Insérer sept alinéas ainsi rédigés :
…° L'article L. 561-23 est ainsi modifié :
a) Au II, avant la référence : « L. 561-27 », est insérée la référence : « L. 561-27-1, » ;
b) Le III est ainsi modifié :
– après le mot : « articles », est insérée la référence : « L. 561-15-1, » ;
– après la référence : « L. 561-27 », est insérée la référence : « L. 561-27-1, » ;
… ° À la première phrase du premier alinéa du I de l'article L. 561-24, après la référence : « L. 561-27, », est insérée la référence : « L. 561-27-1, » ;
… ° À la seconde phrase du I de l'article L. 561-25, après la référence : « L. 561-27, », est insérée la référence : « L. 561-27-1, ».
II. – Après l'alinéa 34
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après l'article L. 561-27, il est inséré un article L. 561-27-… ainsi rédigé :
« Art. L. 561-27-.... – Le service mentionné à l'article L. 561-23 reçoit toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de ses missions à l'initiative des lanceurs d'alerte, dans les conditions prévues au 1° du II de l'article 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. » ;
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Cet amendement vise à permettre aux lanceurs d'alertes d'effectuer des signalements à Tracfin.
Sans pouvoir d'autosaisine, Tracfin ne peut à l'heure actuelle ni recueillir ni exploiter les informations signalées par les lanceurs d'alerte. Or ces derniers sont en mesure de porter à son attention des suspicions d'intérêt concernant un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général dans le cadre d'une relation professionnelle, que ce soit en tant que salarié, qu'ancien salarié, que membre d'une organisation syndicale représentative du personnel ou encore en tant qu'actionnaire.
Une telle mesure accroîtrait utilement les capacités de collecte du renseignement de Tracfin. Sur le fondement de ces signalements, la cellule de renseignement financier pourra exercer pleinement ses prérogatives – droit de communication, appel à vigilance, droit d'opposition, accès à des bases de données – et transmettre les informations qu'elle détient à la justice ou à des administrations partenaires.
Cela représenterait une véritable innovation pour ce service qui est, à ce jour, uniquement saisi par des professionnels déclarants, des administrations et des cellules de renseignement financier étrangères.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Ce dispositif extrêmement important est particulièrement bienvenu. Toutefois, il nous faudra veiller – c'était l'objet de plusieurs de mes amendements précédents – à ce que Tracfin ait les moyens humains de traiter l'ensemble des déclarations de soupçon. Encore une fois, c'est la qualité des déclarations qui importe et non leur quantité.
Je suis très favorable à cet amendement.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet et M. Canévet, est ainsi libellé :
Alinéas 35 et 36
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Les alinéas 35 et 36 de l'article disposent que les personnes énumérées à l'article L. 561-2 du code monétaire et financier seront soumises à une certification professionnelle des connaissances minimales à leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Pour rappel, seraient visés les institutions et services bancaires, les établissements de paiement, les établissements de monnaie électronique, les établissements de crédit, les mutuelles, ou encore les fonds de retraite…
Or ces institutions me semblent d'ores et déjà très bien informées sur leurs obligations, qu'elles remplissent de manière satisfaisante. En outre, elles sont contrôlées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Aussi, cette disposition me semble superfétatoire et je propose par conséquent de la supprimer. Évitons d'alourdir la tâche d'institutions qui sont déjà très bien formées et impliquées dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En tout état de cause, les sanctions sont à la hauteur des infractions qu'elles pourraient commettre.
Mme la présidente. L'amendement n° 264, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 35
Remplacer la référence :
L. 561-35
par la référence
L. 561-34
II. – Alinéa 36
1° Première phrase
Remplacer les mots :
certification professionnelle de connaissances minimales quant à
par les mots :
formation obligatoire sur
2° Après la première phrase
insérer une phrase ainsi rédigée :
L'évaluation du respect de ces obligations est assurée par les autorités de contrôle mentionnées à l'article L. 561-36.
3° Seconde phrase
Remplacer les mots :
certification professionnelle
par les mots :
formation obligatoire
III. – Après l'alinéa 40
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le tableau du second alinéa de l'article L. 775-36 du code monétaire et financier est ainsi modifié :
a) La troisième ligne est ainsi rédigée :
L. 561-2 à l'exception de ses 1° quater, 6° bis, 9° bis uniquement pour les opérateurs de jeux ou de paris autorisés sur le fondement de l'article 21 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 et 17° |
la loi n° 2025- du 2025 |
» ;
b) La vingt-sixième ligne est ainsi modifié :
«
L. 561-25 |
la loi n° 2025- du 2025 |
» ;
c) La trente-neuvième ligne est ainsi rédigée :
L. 561-34 |
la loi n° 2025- du 2025 |
».
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Cet amendement vise à renforcer les obligations de formation, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, des personnes soumises aux dispositions de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier, conformément aux objectifs de l'article 3 de la proposition de loi.
Il est proposé de substituer à l'obligation de certification une obligation de formation professionnelle, soumise au contrôle des autorités de supervision sectorielles mentionnées à l'article L. 561-36 du code monétaire et financier.
En effet, ces autorités sectorielles seront les plus à même de s'assurer de la cohérence des dispositifs de formation qui seront déployés, en fonction des spécificités de chaque profession assujettie : on pense aux risques auxquelles elles sont exposées, ou encore à la maturité des dispositifs internes de lutte contre le blanchiment.
En outre, ces autorités sectorielles seraient chargées du contrôle de la bonne mise en œuvre des obligations préventives des professionnels assujettis, y compris de l'obligation de formation. Une telle mesure renforcerait cette obligation de manière plus rapide et plus efficace, sans que l'on ait à développer un cadre formel de certification applicable à tous les professionnels assujettis aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Par ailleurs, cet amendement tend à assurer l'application de l'obligation de formation outre-mer. En effet, si les dispositions du code monétaire et financier relatives au blanchiment s'appliquent de plein droit dans les collectivités d'outre-mer régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, conformément à leur loi organique, elles doivent être rendues applicables par mention expresse à la collectivité de Wallis-et-Futuna, régie par une loi ordinaire.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je rappelle que la commission avait entendu faire certifier la maîtrise par plusieurs professions des règles anti-blanchiment.
Les deux amendements sont quelque peu antithétiques. D'un côté, l'amendement n° 1 rectifié bis vise à supprimer la nouvelle procédure de certification professionnelle des entités soumises aux règles anti-blanchiment. De l'autre, l'amendement n° 264 – si j'en ai bien compris l'objet, madame la ministre, car l'amendement a été déposé durant la discussion générale, ce qui fait que nous n'avons pas pu en étudier l'impact pour les entreprises – vise à renforcer les obligations des entreprises en les assujettissant à des formations qui existaient déjà pour certaines d'entre elles, mais pas pour les autres.
Je propose que nous en restions au texte élaboré par la commission. La navette parlementaire fera son œuvre, mais, en l'état, il m'est difficile de trancher dans le sens du Gouvernement sans avoir pu expertiser ce qu'il propose.
Pour le reste, la proposition de la commission me semble raisonnable : les entreprises doivent connaître les règles de lutte contre le blanchiment.
L'avis est donc défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 1 rectifié bis ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Nous en demandons le retrait au profit de l'amendement n° 264 du Gouvernement.
Comme vous l'avez mentionné, madame la sénatrice, le volet préventif du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux repose en grande partie sur la vigilance des professionnels. Les plus exposés aux risques de blanchiment sont à ce titre assujettis à un régime d'obligation spécifique prévu dans le code monétaire et financier.
La bonne compréhension par ces professionnels des risques auxquels ils sont confrontés dans leurs secteurs respectifs et leur connaissance des obligations qui leur incombent sont des enjeux fondamentaux de la prévention de la criminalité financière. C'est pourquoi nous avons déposé l'amendement que je vous ai présenté à l'instant.
Il nous faut tenir compte du fait que les situations varient grandement d'un secteur à l'autre. Certains prévoient des formations obligatoires à l'entrée de la profession ; d'autres appliquent des systèmes de formation continue, ce qui rend la certification difficile. De même, certains prévoient l'internalisation des formations au sein des entités ; d'autres, une externalisation.
Il convient donc de ne pas défaire ce qui fonctionne actuellement en créant un nouveau dispositif plus complexe, qui échouerait à tenir compte des spécificités de chaque profession.
C'est pourquoi nous vous inviter à privilégier l'adoption de l'amendement n° 264, qui renforcerait les exigences de formation déjà inscrites dans le code monétaire et financier, tout en laissant les autorités sectorielles de supervision préventive continuer de contrôler la mise en place effective de cette obligation de formation.
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 1 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je vais retirer mon amendement au profit de celui du Gouvernement, et ce pour une raison très simple.
Est-il souhaitable de certifier, par exemple, les greffiers des tribunaux de commerce, qui ont réalisé un travail remarquable en publiant l'année dernière un livre blanc pour renforcer la lutte contre la criminalité financière où figurent quinze mesures très importantes, notamment contre les entreprises éphémères ? Faut-il faire de même pour les agents d'assurances, qui sont déjà très bien formés ?
Compte tenu de la diversité des entreprises visées par cet article, l'amendement du Gouvernement me semble plus adapté à la situation que le mien. Il n'est pas question d'entreprises lambda : nous parlons là d'entreprises du secteur financier, où la formation doit être assurée en fonction des spécificités de chaque profession.
Je retire donc mon amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 264.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme Nathalie Goulet. Dommage !
Mme la présidente. L'amendement n° 190, présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 36
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Après l'article L. 561-46-1 , il est inséré un article L. 561-46-… ainsi rédigé :
« Art. L. 561-46-.... – Les informations relatives au nom, au nom d'usage, au pseudonyme, aux prénoms, aux mois et année de naissance, à l'État de résidence, à la chaîne de propriété, aux données historiques et à la nationalité des bénéficiaires effectifs ainsi qu'à la nature et à l'étendue des intérêts effectifs qu'ils détiennent dans la société ou l'entité sont accessibles à toute personne justifiant d'un intérêt légitime pour la prévention ou la lutte contre le blanchiment de capitaux, ses infractions sous-jacentes ou le financement du terrorisme. » ;
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Cet amendement vise à renforcer la pertinence et l'efficacité des données collectées au sein du registre des bénéficiaires effectifs (RBE), qui constitue, comme chacun sait, un outil central dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et l'évasion fiscale.
Aussi, nous souhaitons rétablir l'obligation de déclarer les chaînes de détention dans le RBE. Je rappelle que cette disposition a été supprimée lors de la transposition de la cinquième directive anti-blanchiment. À l'heure actuelle, lorsqu'une société française est détenue par une société étrangère, elle n'a aucune obligation de déclarer les bénéficiaires effectifs de sa société mère. Cette lacune prive les administrations françaises et européennes d'une information importante pour identifier les bénéficiaires effectifs réels.
Pourtant, ces données sont indispensables pour détecter et démanteler les chaînes de société, notamment extra-européennes, mises en place afin d'échapper à l'impôt ou de blanchir des fonds issus d'activités illicites.
Cet amendement tend donc à rendre obligatoire la collecte des données historiques sur les bénéficiaires effectifs, dans un objectif de traçabilité et de meilleure lutte contre le blanchiment. Cette mesure pragmatique nous semble indispensable pour doter les autorités d'outils adaptés à leurs missions.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous abordons des questions particulièrement techniques, mais l'amendement nous semble satisfait par le II de l'article L. 167 du livre des procédures fiscales. Nous en demandons donc le retrait.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. C'est également une demande de retrait : les informations que vous proposez de rendre accessibles ne sont, à ce jour, pas disponibles auprès des teneurs de registres. Toutefois, aux termes de la directive européenne du 31 mai 2024, elles devront l'être d'ici à juillet 2026. La mise à disposition de ces informations fait actuellement l'objet de travaux en vue de la transposition de cette directive. Laissons-leur le temps d'aboutir et renvoyons cette question au texte de transposition.
Mme la présidente. Madame Harribey, l'amendement n° 190 est-il maintenu ?
Mme Laurence Harribey. Dans la mesure où nous sommes assurés que notre demande sera satisfaite d'ici à juillet 2026, je retire cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 190 est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 208, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa38
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsque le greffier constate qu'une société ou une entité mentionnée au 1° de l'article L. 561-45-1 n'a pas déclaré ou mis en conformité les informations relatives aux bénéficiaires effectifs, au terme d'un délai de trois mois à compter d'une mise en demeure de la société ou de l'entité par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à son siège social, il peut procéder à sa radiation d'office dudit registre. Toute radiation d'office effectuée en vertu du présent article est portée à la connaissance du teneur du Registre national des entreprises et du ministère public. Elle est susceptible de rapport dans des conditions fixées par décret. ».
II. – Alinéa 39 et 40
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
4° L'article L. 561-47-1 est ainsi modifié :
- Au premier alinéa, les mots : « inscrites dans le registre », sont remplacés par les mots : « relatives aux » ; et le mot : « mentionné » est remplacé par le mot : « mentionnées » ;
- Le second alinéa est ainsi rédigé :
« Dans ces cas, le greffier met en demeure la société ou l'entité immatriculée de régulariser leur dossier par l'intermédiaire de l'organisme unique mentionné à l'article L. 123-33 du code de commerce. Faute pour la société ou l'entité de déférer à cette mise en demeure dans le délai de trois mois à compter de sa réception, le greffier procède, à la radiation d'office de l'intéressée du registre du commerce et des sociétés. Toute radiation d'office effectuée en vertu du présent article est portée à la connaissance du teneur du Registre national des entreprises et du ministère public. »
5° Le premier alinéa de l'article L. 561-48 du code monétaire et financier est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Il peut procéder à la radiation d'office du registre du commerce et des sociétés de la société ou de l'entité, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision. Il en informe le teneur du Registre national des entreprises en application de l'article R 123-312 du code de commerce et en avise le ministère public. »
III. – Après l'alinéa 40
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
III …. – Le titre VII du livre VII du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Les quarante-septième et quarante-huitième lignes du tableau du deuxième alinéa de l'article L. 775-36 sont remplacées par une ligne ainsi rédigées :
«
L. 561-47 à L. 561-48 |
la loi n° 2025-XX du XX 2025 |
».
2° Les III des articles L. 773-42 et L. 774-42 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« 14° Aux articles L. 561-47 et L. 561-47-1, les références au registre national des entreprises sont remplacées par les références aux dispositions applicables localement, ayant le même objet. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Cet amendement ne vise nullement à revenir sur l'objectif du 3° du III de l'article 3 de la proposition de loi, qui permet au greffier du tribunal de commerce de radier des sociétés n'ayant jamais déclaré ou mis en conformité les informations relatives aux bénéficiaires effectifs.
Cette disposition constitue un outil essentiel de lutte contre les sociétés sans activité réelle, qui interviennent dans les schémas de blanchiment du produit du narcotrafic. Elle doit notamment permettre de radier les sociétés créées avant 2017, c'est-à-dire avant que soit instaurée l'obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs lors des formalités de création d'une entreprise.
Tout d'abord, cet amendement tend à ramener à trois mois le délai de régularisation avant l'inscription de la radiation, dans la mesure où les sociétés déjà immatriculées ont été invitées à partir de 2017 à déclarer leurs bénéficiaires effectifs. En outre, il s'agit du délai prévu à l'article R. 123-136 du code de commerce pour les radiations liées à une cessation d'activité. L'amendement tend également à préciser la date à prendre en considération pour le calcul du délai.
Ensuite, pour ce qui concerne les sociétés n'ayant pas mis en conformité les informations des bénéficiaires effectifs après le signalement d'une divergence, conformément à l'article L. 561-47-1 du code monétaire et financier, nous proposons d'ajouter une demande de régularisation par le greffier, ainsi qu'un délai avant qu'une demande de régularisation restée sans réponse n'aboutisse à la radiation.
Par ailleurs, nous proposons d'inscrire dans le texte une disposition de radiation similaire pour les cas où une société ne donnerait pas suite à une injonction du président du tribunal de commerce de déclarer des informations relatives aux bénéficiaires effectifs, ou de les rectifier lorsqu'elles sont inexactes ou incomplètes.
Enfin, aux termes de cet amendement, toute mesure de radiation prononcée par le greffier du tribunal de commerce serait portée à la connaissance du guichet unique des formalités d'entreprises.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. L'amendement n° 189, présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 40
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
4° Le même article L. 561-47-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si la mention de divergence inscrite par le greffier n'a pas donné lieu à régularisation de la part de l'entité au terme d'un délai de six mois, le greffier peut procéder, après en avoir informé la société ou l'entité par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à son siège social, à sa radiation d'office. Toute radiation d'office effectuée en vertu du présent article est portée à la connaissance du ministère public. »
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement vise également à renforcer l'efficacité du mécanisme de régulation des divergences d'information dans le registre des bénéficiaires effectifs.
Actuellement, les professions assujetties doivent signaler au greffier du tribunal de commerce toute divergence constatée entre les informations inscrites dans le registre et celles dont elles disposent sur les bénéficiaires effectifs, y compris en l'absence d'enregistrement. Lorsqu'un signalement est effectué, le greffier inscrit cette divergence au registre et invite la société ou l'entité immatriculée à régulariser son dossier.
Nous proposons que, dans le cas où une divergence signalée resterait sans réponse de la part de l'entité dans un délai de six mois, le greffier puisse procéder à sa radiation d'office. Ce mécanisme renforcerait l'efficacité des signalements en incitant les sociétés à se mettre en conformité dans les délais, tout en maintenant un registre fiable, actualisé et exempt d'entités inactives.
Ainsi, cet amendement tend à transformer le signalement de divergences en un véritable levier de régularisation pour les sociétés en activité, tout en contribuant à la fiabilisation du registre pour les entités qui ont cessé leurs activités.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. L'amendement n° 189 me semble satisfait par une disposition que nous avons adoptée en commission au même article : j'invite donc ses auteurs à le retirer ; à défaut, l'avis serait défavorable.
Pour ce qui est de l'amendement n° 208 du Gouvernement, il ne nous est parvenu, comme plusieurs autres, que pendant la discussion générale. Or la longue présentation qu'a bien voulu nous en faire Mme la ministre démontre que son degré de complexité est tel qu'un minimum de temps est nécessaire pour se prononcer. Il m'est difficile d'émettre un avis favorable sans l'avoir examiné plus avant.
Je propose donc qu'il poursuive son chemin législatif au cours de la navette parlementaire : l'avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 189 ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Nous en demandons le retrait au profit de l'amendement n° 208, qui tend également à permettre aux greffiers de radier d'office les sociétés n'ayant pas régularisé leur situation à la suite d'un signalement de divergences quant à la déclaration de leurs bénéficiaires effectifs.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je tiens simplement à apporter tout mon soutien à la commission des lois et à ses rapporteurs.
Madame la ministre, je vous le dis tout simplement : nous ne pouvons pas travailler dans ces conditions ! Marie-Pierre de La Gontrie l'a déjà souligné en commission ce matin. Nous ne pouvons pas examiner des amendements que nous recevons quelques heures, voire une demi-heure seulement avant l'examen des articles d'une proposition de loi. C'est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit d'amendements techniques, qui demandent à être lus dans le détail et étudiés.
Même si le président du tribunal de commerce de Marseille, avec qui je suis souvent en discussion, mais aussi plusieurs de ses homologues souhaitent aller de l'avant sur ces sujets, nous ne pouvons pas voter un amendement que nous n'avons pas eu le temps de lire avant la séance.
M. Hussein Bourgi. Je retire l'amendement n° 189, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 189 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 208.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 188, présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 40
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« … ° L'article L. 561-48 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si la procédure d'injonction prévue au premier alinéa du présent article n'a pu aboutir à la transmission des informations relatives au bénéficiaire effectif ou à la rectification de ces informations lorsqu'elles sont inexactes ou incomplètes, le greffier peut procéder, après en avoir informé la société ou l'entité par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à son siège social, à sa radiation d'office. Toute radiation d'office effectuée en vertu du présent article est portée à la connaissance du ministère public. »
La parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Cet amendement vise à renforcer l'efficacité du suivi des entités inscrites dans le registre des bénéficiaires effectifs.
Actuellement, les greffiers des tribunaux de commerce vérifient régulièrement leur registre pour repérer les entités qui n'ont pas rempli leurs obligations de déclaration. Ils envoient alors un courrier, en concertation avec le président du tribunal et le ministère public, pour inviter ces entités à régulariser leur situation dans les plus brefs délais.
De nombreuses entités réagissent positivement à cette relance. En revanche, lorsque l'entité ne régularise pas sa situation dans un délai raisonnable alors que le courrier est bien parvenu, le tribunal peut mettre en place la procédure d'injonction prévue par le code monétaire et financier. Néanmoins, un problème demeure : certaines injonctions reviennent à l'expéditeur avec une mention indiquant que l'entité ne se trouve plus à l'adresse indiquée.
Aussi, cet amendement vise à doter le RBE d'un mécanisme similaire à celui qui existe pour le registre du commerce et des sociétés : une entité ne pouvant pas être atteinte par les injonctions serait radiée d'office du registre. Cela entraînerait la fermeture des comptes bancaires associés à l'entité, assurant ainsi que seules les entités réellement actives et en conformité figurent dans le registre.
Cette mesure renforcerait la fiabilité du RBE et agirait de manière préventive contre les sociétés fantômes, souvent utilisées à des fins frauduleuses.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ce dispositif paraît intéressant. J'avoue ne pas avoir totalement compris s'il était bien compatible avec la procédure de radiation d'office que nous avons adoptée en commission.
Je souhaite donc entendre l'avis éclairé du Gouvernement, que je suivrai bien volontiers.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. C'est une demande de retrait. En effet, un mécanisme de radiation d'office pour non-renseignement des données relatives aux bénéficiaires effectifs ou données erronées est déjà prévu dans cette proposition de loi. Une nouvelle rédaction, corrigée à la marge, a été proposée après concertation entre la direction générale du Trésor, la direction générale des entreprises, la direction des affaires civiles et du sceau et les greffiers du tribunal de commerce.
M. Hussein Bourgi. Je retire l'amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 188 est retiré.
L'amendement n° 210, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 42
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Après la référence : « 28-1 » est insérée la référence : « , 28-1-1 ».
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. L'article L. 135 ZC du livre des procédures fiscales dispose que « pour les besoins de l'accomplissement de leur mission, les officiers de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale, ainsi que les agents des douanes et les agents des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application, respectivement, des articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale, individuellement désignés et dûment habilités […] disposent d'un droit d'accès direct » au fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) et au fichier des contrats de capitalisation et d'assurance vie (Ficovie).
Cet amendement vise à permettre aux agents de la police des finances – c'est-à-dire les agents des douanes et des services fiscaux qui exercent leur mission sous la responsabilité des officiers de douane judiciaire et des officiers fiscaux judiciaires – de disposer d'un accès direct à ces fichiers. En effet, la consultation du Ficoba et du Ficovie est essentielle aux enquêtes financières dont l'Office national antifraude est saisi par l'autorité judiciaire.
En outre, cette mesure dégagerait du temps pour que les agents se concentrent sur les actes d'investigation nécessitant une technicité particulière au regard de la complexité des affaires.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cette disposition nous semble s'inscrire dans la droite ligne du travail de la commission : notre avis est donc favorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 40 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et MM. Canévet et Parigi, est ainsi libellé :
Alinéa 48
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
À ce titre, il peut aussi interroger la base Ficoba dans des conditions fixées par décret.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Peut-on espérer que les mêmes causes produisent les mêmes effets ? Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, dans un document très intéressant relatif à la lutte contre le blanchiment, la fraude et l'évasion fiscale, demande que ces greffiers puissent accéder au Ficoba dans des conditions prévues par décret.
Par cet amendement, nous proposons donc de compléter l'alinéa 48 de l'article 3 afin que le greffier du tribunal de commerce puisse utiliser le Ficoba et, sur la base d'un échange informatisé, s'assurer de l'existence des comptes bancaires. Il me semble que cette mesure s'articule de manière harmonieuse avec l'amendement du Gouvernement que nous venons d'adopter.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous sommes d'accord avec votre proposition, ma chère collègue, mais elle est déjà satisfaite. En effet, la commission a introduit dans le texte l'habilitation des services de greffe à accéder au Ficoba.
En conséquence, je sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, l'avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 40 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je constate en effet que cette mesure figure déjà dans le texte, cela avait dû m'échapper… Je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 40 rectifié est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 209, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 49 et 50
Remplacer ces alinéas par un paragraphe ainsi rédigé :
V. – Après l'article 323-11 du code des douanes, il est inséré un article 323-… ainsi rédigé :
« Art. 323-… – Au cours de l'enquête douanière, les agents des douanes peuvent être autorisés par le procureur de la République à procéder à la saisie, aux frais avancés du Trésor, d'une somme d'argent versée sur un compte ouvert auprès d'un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts, de paiement ou d'actifs numériques mentionnés à l'article L. 54-10-1 du code monétaire et financier, dont la confiscation est prévue par le code des douanes. Le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur de la République, se prononce par ordonnance motivée sur le maintien ou la mainlevée de la saisie dans un délai de dix jours à compter de sa réalisation, y compris si la juridiction de jugement est saisie.
« L'ordonnance précitée est notifiée au ministère public, au titulaire du compte ou au propriétaire de l'actif numérique et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce compte ou cet actif, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance. Cet appel n'est pas suspensif. L'appelant ne peut prétendre dans ce cadre qu'à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste. S'ils ne sont pas appelants, le titulaire du compte et les tiers peuvent néanmoins être entendus par la chambre de l'instruction, sans toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la procédure.
« Lorsque la saisie porte sur une somme d'argent versée sur un compte ouvert auprès d'un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts, de paiement ou sur des actifs numériques mentionnés au même article L. 54-10-1, elle s'applique indifféremment à l'ensemble des sommes inscrites au crédit de ce compte ou à l'ensemble des actifs numériques détenus au moment de la saisie et à concurrence, le cas échéant, du montant indiqué dans la décision de saisie. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. L'objet de cet amendement est d'inscrire dans le code des douanes un dispositif qui habilite les agents des douanes – et non les officiers de douane judiciaire, dont l'action relève du code de procédure pénale – à procéder à la saisie d'une somme portée au crédit d'un compte bancaire.
En lieu et place d'un renvoi à l'article 706-154 du code de procédure pénale, nous préférons insérer dans le code des douanes une disposition autonome, d'ailleurs largement inspirée de l'article précité, pour garantir l'exécution de la peine de confiscation des instruments destinés à commettre un délit douanier, ou des produits directs ou indirects d'un tel délit.
Mme la présidente. L'amendement n° 53 rectifié bis, présenté par Mme Ciuntu, M. Cambon, Mmes Gosselin et Joseph, M. Panunzi, Mme Dumont, M. P. Vidal, Mme Borchio Fontimp, MM. Karoutchi, Bouchet et Burgoa, Mmes Belrhiti et Puissat, M. Allizard, Mme Aeschlimann, M. C. Vial, Mmes Bellurot et Gruny, MM. Bruyen et Rapin, Mme Josende et M. Meignen, est ainsi libellé :
Alinéa 50
Après le mot :
judiciaire
insérer les mots :
et les agents des douanes spécialement habilités à cet effet
La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu.
Mme Marie-Carole Ciuntu. L'objet de cet amendement est pratiquement identique à celui que vient de présenter Mme la ministre. En sus des officiers de douane judiciaire, nous proposons que des agents douaniers spécialement habilités puissent saisir sur un compte bancaire les sommes pouvant faire l'objet d'une confiscation, selon les conditions prévues à l'article 706-154 du code de procédure pénale.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il sera quasiment affectif… (Sourires.) Ces amendements ont exactement le même objet. Sur le fond, la commission est favorable aux deux, mais la rédaction proposée par Mme Ciuntu est meilleure et plus légère que celle qui a été retenue par le Gouvernement.
En outre – c'est là que l'avis prend une tournure affective –, notre collègue a déposé son amendement avant le Gouvernement. Si ce dernier voulait bien avoir l'élégance de retirer le sien, nous lui en serions très reconnaissants !
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 53 rectifié bis ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Nous acceptons de retirer notre amendement (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), même si son dispositif contenait une petite précision supplémentaire qui nous semblait importante. Peu importe : nous pourrons toujours retravailler la rédaction de cette disposition ultérieurement. L'avis est donc favorable sur l'amendement n° 53 rectifié bis.
Mme la présidente. L'amendement n° 209 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 53 rectifié bis.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 39 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et MM. Canévet et Parigi, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – L'article 123-2 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le greffier peut vérifier par tout moyen la cohérence et la validité des pièces d'identité étrangères fournies. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. À l'heure actuelle, les greffiers des tribunaux de commerce ne sont pas en mesure de vérifier la cohérence et la validité des pièces d'identité étrangères, ce qui favorise la multiplication d'entreprises douteuses.
Il est temps de leur donner la faculté de mener ces contrôles, dans le cadre du renforcement de la lutte contre les sociétés fictives et éphémères, dont nous avons déjà beaucoup parlé lors de l'examen des amendements précédents. Les détails de cette vérification pourraient être fixés par décret, mais, sans inscription dans la loi, elle restera impossible. Cette demande a été formulée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cette vérification des documents d'identité par les greffiers des tribunaux de commerce semble assez difficile à mettre en œuvre. Comment, en pratique, un greffier peut-il s'assurer à lui seul de la validité d'un titre, en l'absence d'instruments appropriés ?
Si le titre en question paraît grossièrement trafiqué, le greffier peut toujours faire un signalement au procureur de la République aux termes de l'article 40 du code de procédure pénale.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Vous avez raison, madame la sénatrice : il faut aller plus loin en facilitant le contrôle par les greffiers des titres d'identité des dirigeants de société étrangers. Toutefois, cela ne requiert pas l'adoption d'une mesure législative : il convient simplement de rendre opérationnels les échanges d'information avec les États tiers.
La France continue de travailler dans cette voie pour identifier les meilleures pratiques qui permettent rapidement aux acteurs de vérifier l'authenticité d'une pièce d'identité.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Je regrette que la commission et le Gouvernement aient émis des avis défavorables. Pour ma part, je soutiendrai l'amendement de notre collègue Nathalie Goulet. Le contrôle des pièces d'identité étrangères est une demande régulièrement formulée par les présidents et les greffiers des tribunaux de commerce avec qui j'ai pu m'entretenir.
En effet, il est préférable de procéder à des vérifications en amont, malgré les difficultés que cela comporte, plutôt que de s'en tenir à une procédure purement déclarative sur laquelle il est très difficile de revenir une fois qu'elle est accomplie.
Oui, ce contrôle prend du temps et se révèle plus fastidieux. Cependant, il vaut mieux prendre cette précaution que subir des déclarations parfois erronées et mensongères, d'autant qu'elles aboutissent à des situations troubles qui peuvent durer longtemps.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. Je confirme ce que vient de dire Hussein Bourgi. Dans les tribunaux de commerce, la vérification de l'authenticité des titres d'identité étrangers pose un véritable problème. Les greffiers du tribunal de commerce de Quimper m'en ont fait part de façon très explicite : ils passent beaucoup de temps à faire le tri entre les titres usurpés et les titres authentiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche, rapporteur. Les greffiers du tribunal de commerce de Marseille rencontrent eux aussi ces difficultés. Je soutiendrai donc également cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 39 rectifié.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Après l'article 3
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 250, présenté par Mme M. Jourda et M. Durain, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 67 sexies du code des douanes est ainsi rédigé :
« Art. 67 sexies. – I. – Pour la recherche et la constatation des infractions mentionnées aux articles 414, 414-2, 415 et 459 du présent code lorsqu'elles sont commises en bande organisée, les agents des douanes individuellement désignés et spécialement habilités par le ministre chargé des douanes accèdent aux données relatives à l'identification et à la traçabilité des trafics internationaux de la logistique et du transport qui sont contenues dans les traitements automatisés des opérateurs de services essentiels des secteurs du transport et de la logistique aérien et par voie d'eau ainsi que des prestataires de service postaux repris respectivement aux a à c du 2 de l'annexe I, ainsi qu'au 1 de l'annexe II de la directive (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l'ensemble de l'Union, modifiant le règlement (UE) n° 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148.
« Sont exclues de l'accès prévu au premier alinéa, les données mentionnées au I de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
« Cette transmission ne peut, en aucun cas, porter atteinte au secret des correspondances.
« II. – Le ministre chargé des douanes est autorisé à exploiter les données obtenues en application du I du présent article au moyen de traitements automatisés de données respectant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée.
« Ces traitements ne peuvent procéder à aucun rapprochement, aucune interconnexion ni aucune mise en relation automatisée avec d'autres traitements de données à caractère personnel.
« Ils ne produisent aucun autre résultat et ne peuvent fonder, par eux-mêmes, aucune décision individuelle ni aucun acte de poursuite.
« Les prestataires et entreprises mentionnés au I du présent article informent les personnes concernées par les traitements mis en œuvre par la direction générale des douanes et droits indirects.
« III. – Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, fixe les modalités d'application du présent article. Ce décret détermine notamment :
« 1° Les catégories de données mentionnées au I et concernées par les traitements mentionnés au II ;
« 2° Les modalités d'accès et d'utilisation à ces données par les agents mentionnés au I ;
« 3° Les modalités du contrôle du respect de l'obligation mentionnée au dernier alinéa du II ;
« 4° Les modalités de destruction des données à l'issue de la durée mentionnée au IV ;
« 5° Les modalités d'exercice par les personnes concernées de leur droit d'accès et de rectification des données.
« IV. – Les données faisant l'objet des traitements mentionnés au II sont conservées pendant un délai maximal de six mois à compter de leur enregistrement. »
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cet amendement vise à autoriser les douanes à accéder directement aux données pertinentes contenues dans les traitements des opérateurs de la logistique et du transport portuaire et aéroportuaire. En l'état, elles ne disposent que d'un droit de communication, dont l'application est assez dysfonctionnelle.
Sur le principe, le Gouvernement et nous sommes d'accord : ces données constituent un outil-clé non seulement pour tracer les conteneurs et les marchandises, mais aussi pour remonter le fil des réseaux.
En revanche, contrairement au Gouvernement, nous estimons que cette technique a un caractère particulièrement intrusif : en effet, il s'agit de permettre la consultation directe par les douanes des données des opérateurs logistiques.
Voilà pourquoi nous nous sommes employés à encadrer le dispositif : le périmètre que nous avons retenu est un peu plus circonscrit que celui proposé par le Gouvernement dans son amendement n° 212 rectifié ; nous souhaitons en outre conserver les garanties qui figurent à l'article 67 sexies du code des douanes : limitation de la durée de conservation des données, restriction du champ des opérateurs concernés et définition des catégories de données accessibles.
Si la commission a choisi de conserver ce cadre légal, c'est parce qu'il nous apparaît plus protecteur, tout en permettant d'assurer ce droit de consultation.
Nous n'avons cessé de formuler le souhait d'apporter des garanties tout au long de l'examen de ce texte. Bien entendu, les dispositifs qui seront votés seront amenés à évoluer au cours de la navette.
Néanmoins, dans l'immédiat, mes chers collègues, je vous demande d'adopter l'amendement de la commission plutôt que celui du Gouvernement.
Mme la présidente. L'amendement n° 212 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 67 sexies du code des douanes est ainsi rédigé :
« Art. 67 sexies. –I. – Pour la recherche et la constatation des infractions mentionnées aux articles 414, 414-2, 415 et 459 du présent code, les agents des douanes individuellement désignés et spécialement habilités par le ministre chargé des douanes accèdent aux données relatives à l'identification et à la traçabilité des trafics internationaux de la logistique et du transport qui sont contenues dans les traitements automatisés des entités des secteurs du transport, de la logistique et des services postaux repris aux annexes I et II de la directive (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l'ensemble de l'Union, modifiant le règlement (UE) n° 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148, ainsi que de leurs sous-traitants.
« Sont exclues de l'accès prévu au premier alinéa, les données mentionnées au I de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
« Cet accès ne peut, en aucun cas, porter atteinte au secret des correspondances.
« II. – L'administration des douanes et droits indirects est autorisée à exploiter les données obtenues en application du I du présent article au moyen de traitements automatisés de données.
« Ces traitements ne peuvent procéder à aucun rapprochement, aucune interconnexion ni aucune mise en relation automatisée avec d'autres traitements de données à caractère personnel.
« Ils ne produisent aucun autre résultat et ne peuvent fonder, par eux-mêmes, aucune décision individuelle ni aucun acte de poursuite.
« III. – Les données faisant l'objet des traitements mentionnés au II sont conservées pendant un délai maximal de deux ans à compter de leur enregistrement.
« IV. – Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, fixe les modalités d'application du présent article. Ce décret détermine les modalités de l'accès aux traitements mentionnés au I et précise les conditions de la mise en œuvre des traitements mentionnés au II du présent article.
« La demande d'avis adressée à la Commission nationale de l'informatique et des libertés est accompagnée d'une analyse d'impact relative à la protection des données à caractère personnel, conformément à l'article 90 de la même loi. »
La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter cet amendement et donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 250.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Comme Mme la rapporteure vient de le rappeler, le Gouvernement a le même objectif que la commission. Je tiens à la remercier d'avoir, elle aussi, déposé un amendement sur ce point très important, ce qui reflète l'attention qu'elle porte aux services des douanes.
La menace criminelle pèse sur les plateformes logistiques portuaires et aéroportuaires, ainsi que sur les centres de fret postal et express, et atteint un niveau d'intensité inédit.
Dans ces conditions, le présent amendement vise à autoriser les agents des douanes à accéder aux données contenues dans les traitements automatisés des entités des secteurs du transport et de la logistique, ainsi qu'à les exploiter, notamment au travers d'analyses de risques, afin de renforcer la capacité de détection.
Il convient de donner aux douanes les moyens de faire face aux nouvelles formes de criminalité et aux mutations des circuits de fraude, qui empruntent désormais majoritairement les circuits commerciaux et logistiques légaux.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3, et l'amendement n° 212 rectifié n'a plus d'objet.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures,
est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'article 4.
Article 4
I. – L'article 324-1-1 du code pénal est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Peuvent également être présumés tels les biens ou les revenus ayant fait l'objet d'une réquisition dans les conditions prévues à l'article 60-1-1 A du code de procédure pénale et pour lesquels la personne requise s'est abstenue de répondre, n'a pas répondu selon les formes exigées ou a apporté une réponse insuffisante.
« La présomption mentionnée au premier alinéa du présent article s'applique à toute opération effectuée au moyen d'un crypto-actif à anonymat renforcé ou de fonds acheminés par l'intermédiaire d'un mixeur ou d'un mélangeur de crypto-actifs. Elle est également applicable lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières des opérations d'exportation, d'importation, de transfert ou de compensation ainsi que de placement ou de conversion des actifs numériques mentionnés à l'article L. 54-10-1 du code monétaire et financier ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler le bénéficiaire effectif du fonds ou de ces actifs numériques. »
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° Après l'article 60-1, il est inséré un article 60-1-1 A ainsi rédigé :
« Art. 60-1-1 A. – Dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction concernant l'un des crimes ou délits entrant dans le champ d'application des articles 222-34 à 222-43-1 du code pénal ou des articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale, le procureur de la République, le juge d'instruction, les officiers de police judiciaire ainsi que les agents des douanes et les agents des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application, respectivement, des articles 28-1 et 28-2, peuvent requérir d'une personne qu'elle justifie de ressources correspondant à son train de vie ou de l'origine d'un bien détenu.
« Le fait de s'abstenir de répondre à cette réquisition dans les meilleurs délais et, s'il y a lieu, selon les normes exigées, est puni d'une amende de 10 000 euros.
« En l'absence de réponse ou en cas de réponse insuffisante, le juge des libertés et de la détention peut, sur requête du procureur de la République, ordonner par décision motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor, des biens dont la confiscation est prévue en application des sixième et septième alinéas de l'article 131-21 du code pénal lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit ou lorsque l'origine de ces biens ne peut être établie. »
III (nouveau). – Le B du paragraphe 3 de la section 1 du chapitre VI du titre XII du code des douanes est ainsi modifié :
1° Après le 2° de l'article 415, il est inséré un 3° ainsi rédigé :
« 3° Aux opérations de placement ou de conversion portant sur des actifs numériques mentionnés au 2°. » ;
2° L'article 415-1 est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Le présent article est également applicable :
« 1° À toute opération effectuée au moyen d'un crypto-actif à anonymat renforcé ou de fonds acheminés par l'intermédiaire d'un mixeur ou d'un mélangeur de crypto-actifs ;
« 2° Lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières des opérations d'exportation, d'importation, de transfert ou de compensation ainsi que de placement ou de conversion des actifs numériques mentionnés à l'article L. 54-10-1 du code monétaire et financier ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler le bénéficiaire effectif du fonds ou de ces actifs numériques. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l'article.
Mme Catherine Conconne. Nous entrons enfin dans le dur, mes chers collègues ! Il est question à cet article de cryptomonnaies, de ressources inexpliquées, de phénomènes auxquels il faut s'adapter et face auxquels les magistrats – ils nous le répètent régulièrement – ont peu de moyens d'agir.
Cet article est donc important, en ce qu'il allège des procédures trop longues et complexes à mettre en place. Les magistrats pourront faire des tirs groupés en demandant aux personnes sur lesquelles ils enquêtent de justifier de leurs ressources et de leur patrimoine. Ainsi, ils pourront prendre les décisions qui s'imposent. Bref, cet article va dans le bon sens !
Mme la présidente. L'amendement n° 213, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Cette présomption s'applique à toute opération effectuée, dans les conditions prévues au premier alinéa, au moyen d'un crypto-actif comportant une fonction d'anonymisation intégrée ainsi qu'au moyen de tout type de compte ou technique permettant l'anonymisation ou l'opacification des opérations en crypto-actifs. »
II. – Alinéas 13 à 16
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
2° L'article 415-1 est ainsi modifié :
a) Après le mot : « dissimuler » la fin de la phrase est ainsi rédigée « l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces fonds ou actifs numériques. » ;
b) il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Cette présomption s'applique à toute opération effectuée, dans les conditions prévues au premier alinéa, au moyen d'un crypto-actif comportant une fonction d'anonymisation intégrée ainsi qu'au moyen de tout type de compte ou technique permettant l'anonymisation ou l'opacification des opérations en crypto-actifs. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Cet amendement vise à étendre le champ d'application de la présomption d'origine illicite, dans les cas de blanchiment pénal ou douanier, aux cryptoactifs anonymisés par des mixeurs, ce qui permettra d'enclencher les procédures, les enquêtes et les contrôles.
Ainsi, nous nous assurons que les nouvelles technologies ne sont pas l'apanage des trafiquants.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il est favorable, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 123, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rétablir le 1° dans la rédaction suivante :
1° La deuxième phrase du premier alinéa de l'article 17 est complétée par les mots : « ; de telles enquêtes sont systématiquement conduites lorsque les investigations portent sur les infractions prévues à l'article 222-34 et au deuxième alinéa des articles 222-35 et 222-36 du code pénal » ;
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Je l'ai dit tout à l'heure et je le répète : frapper les criminels au portefeuille, voilà ce qu'il faut faire, encore et toujours !
Le présent article est le fruit des divers entretiens que nous avons eus avec les acteurs de la lutte contre le narcotrafic dans le cadre de notre commission d'enquête. Dans sa rédaction actuelle, la solution proposée nous paraît néanmoins imparfaite, car il n'est pas remédié au manque de moyens et de formation dans les services d'enquête.
Les compétences nécessaires en la matière relèvent aussi du ministère de l'économie, dont les représentants sont trop souvent absents de nos débats.
Nous avons entendu les professionnels de la justice nous faire part de ces difficultés lors de nos déplacements. C'est la raison pour laquelle nous proposons de rédiger cet article d'une manière un peu plus équilibrée.
Force est de constater qu'un manque de moyens chronique a été organisé par les différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années. Tout en tenant compte de cette réalité, le présent amendement vise à garantir la systématicité des enquêtes patrimoniales pour les trois infractions les plus graves : direction ou organisation de trafic de stupéfiants ; production illicite de stupéfiants en bande organisée ; importation et exportation illicite de stupéfiants en bande organisée.
La lutte contre le blanchiment doit se fonder sur la diffusion et la mise en œuvre des compétences de l'État via des enquêtes patrimoniales. Le manque actuel de formation et le nombre insuffisant d'agents ne sauraient justifier que l'on compromette cette étape essentielle du processus d'enquête.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Comme son nom l'indique, une enquête patrimoniale porte sur le patrimoine et les actifs d'une personne dont la justice a des raisons de penser qu'elle a commis une infraction.
Le présent texte, dans sa version initiale, prévoyait de rendre systématique la réalisation d'enquêtes patrimoniales par les services concernés. C'est ce qu'on appelle une fausse bonne idée ; Jérôme Durain et moi-même nous en sommes rendu compte au fil des auditions que nous avons menées.
Les services d'enquête nous l'ont tous dit, ces enquêtes ne sont pas utiles tout le temps. En les rendant obligatoires dans tous les cas, même lorsqu'elles ne sont pas réellement opportunes, on obligerait ces services à accomplir un travail important même quand il ne peut aboutir à rien. (M. le garde des sceaux opine.)
Est-ce faute de moyens que ces enquêtes ne sont pas réalisées ? Pas nécessairement, du moins pas tout le temps. L'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), qui dispose désormais d'antennes régionales, est très à l'écoute des services d'enquête et les aide à mener leurs investigations en matière patrimoniale.
Il n'empêche qu'on déplore encore un manque de culture au sein des services d'enquête sur ces aspects patrimoniaux. Toutefois, c'est un problème que nous devons traiter à part.
En attendant, nous ne sommes pas favorables au fait d'encombrer divers services d'enquête ou d'instruction en leur demandant de réaliser des enquêtes systématiques, alors qu'elles ne sont pas toujours nécessaires. Je propose donc de nous en tenir au texte de la commission.
L'avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je veux rassurer M. Benarroche : nous ne mettons pas de côté les questions patrimoniales. Je tiens à respecter l'indépendance des magistrats du parquet ; c'est pourquoi je ne suis pas favorable au caractère systématique des enquêtes. Toutefois, j'ai adressé hier une circulaire aux procureurs de la République afin de les inciter fortement à ouvrir des enquêtes pour blanchiment en parallèle des enquêtes qui suivent des saisies ou des interpellations.
Compte tenu de mon expérience comme ministre des comptes publics, puis ministre de l'intérieur, je sais que c'est aux préfets et aux procureurs qu'il revient de communiquer avec les directeurs départementaux des finances publiques, non pas pour ordonner un contrôle fiscal sur telle ou telle personne, mais pour définir une politique de contrôle fiscal.
Ainsi, en se référant à plusieurs critères, on peut parfois douter de la légalité des certains patrimoines. Dans ce cas, il n'est pas toujours nécessaire de mener une enquête de police proprement dite, qui suppose de mobiliser beaucoup d'officiers de police judiciaire (OPJ), déjà peu nombreux à être compétents en matière fiscale et financière. Il est possible, dans ce genre de situations, de mener de simples contrôles administratifs ; certes, ce ne sont pas des contrôles patrimoniaux à proprement parler, mais cela s'en approche beaucoup.
Les responsables d'administration que nous sommes ont bien compris votre intention, monsieur le sénateur. Toutefois, notre avis sera le même que celui de la commission : défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Sur ce sujet, il y a un débat entre ambition et résignation :…
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Absolument pas !
M. Hussein Bourgi. … ambition, parce que nous voulons ordonner des enquêtes systématiques ; résignation, car nous savons, en l'état, que les moyens humains n'y suffiront pas. (M. le garde des sceaux proteste.)
C'est la raison pour laquelle nous nous replions sur ce qu'on appelle pudiquement le « haut du spectre », à savoir les infractions les plus graves.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Quel est le rapport ?
M. Hussein Bourgi. Or les échanges que j'ai eus avec plusieurs professionnels et les auditions que nous avons menées ont révélé que ce sont parfois les infractions de moindre gravité qui permettent de découvrir des infractions beaucoup plus graves.
Nous nous apprêtons, dans quelques instants, à choisir la résignation : c'est bien dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Ce qui est dommage, monsieur Bourgi, c'est que vous abordiez les choses d'une façon aussi politicienne : cela ne vous ressemble pas ! Pour notre part, nous avons tenu à ce que ce débat soit constructif.
Imposer ces enquêtes de manière systématique ne respecterait pas l'indépendance des magistrats. Aussi, il est bizarre que ce soit le groupe socialiste qui formule une telle demande.
Encore une fois, je comprends l'intention qui est la vôtre, mais j'invite M. Benarroche à retirer son amendement et M. Bourgi à retirer ses propos.
M. Hussein Bourgi. Je ne retirerai rien ! Je ne fais que soutenir l'amendement de mon collègue…
Mme la présidente. L'amendement n° 154 rectifié bis, présenté par Mme Aeschlimann, MM. Bouchet, Burgoa, Milon, Saury, Khalifé, Reichardt et Laugier, Mmes Lavarde et Estrosi Sassone, M. H. Leroy, Mme Bellurot, MM. Cambier et Naturel, Mmes Josende, Belrhiti, Guidez et Gosselin, MM. Panunzi, Cadec, Dhersin et C. Vial, Mme Micouleau, M. Gueret, Mmes Bonfanti-Dossat et Borchio Fontimp, M. J.M. Boyer et Mmes Malet, Hybert, P. Martin, Evren et Ciuntu, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 7
Après le mot :
personne
insérer les mots :
suspectée, lorsqu'un écart manifeste entre ses ressources et son train de vie est constaté,
II. – Alinéa 8
Remplacer les mots :
les meilleurs délais
par les mots :
un délai d'un mois à compter de la notification de celle-ci
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Toujours dans le registre des enquêtes patrimoniales, cet amendement vise à lutter contre le crime organisé. Cela nécessite de frapper les narcotrafiquants au portefeuille et de s'attaquer à leur enrichissement illicite, qui alimente toutes sortes d'activités délictuelles et criminelles.
À cet effet, le présent article crée une procédure d'injonction pour richesses inexpliquées, qui figurera dans un nouvel article 60-1-1 A du code de procédure pénale. Cette injonction permettra de requérir de toute personne suspectée qu'elle justifie des ressources qui correspondent à son train de vie et de l'origine d'un bien détenu.
Permettez-moi, à ce stade, de saluer la qualité du travail accompli par les auteurs de cette proposition de loi pour renforcer l'arsenal des moyens juridiques et opérationnels mis au service de la lutte contre le narcotrafic.
Ce texte outille les services d'enquête, les magistrats et les auxiliaires de justice, ainsi que les maires, qui se trouvent en première ligne. Ces moyens doivent être efficaces, puissants et coordonnés, mais ils doivent également respecter de manière irréprochable les droits de la défense, afin de ne pas fragiliser les procédures judiciaires.
C'est bien ce souci qui nous invite à préciser le champ d'application matérielle de l'injonction pour richesses inexpliquées et à créer une obligation de notification en bonne et due forme. En outre, il conviendrait de respecter un délai d'un mois afin de laisser le temps à la personne suspectée de répondre à la réquisition.
On le sait, les narcotrafiquants font feu de tout bois pour échapper aux poursuites et aux sanctions. Voilà pourquoi nous avons déposé cet amendement, dont l'objet est de conforter l'efficacité procédurale et juridique du dispositif proposé.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous avions, dans un premier temps, réservé cette injonction pour ressources inexpliquées à des infractions en lien avec le narcotrafic ; je vous en épargnerai la description matérielle. La précision suggérée par notre collègue me semble tout à fait préserver ce lien avec l'infraction, sans l'encadrer trop strictement : il est simplement prévu de prendre en considération l'écart entre le train de vie et le revenu.
En conséquence, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Après l'article 4
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 13 rectifié quinquies est présenté par M. Parigi, Mme Florennes, M. J.M. Arnaud, Mmes Patru et O. Richard, MM. Canévet et Longeot, Mme Saint-Pé, MM. Henno, Cambier et Bleunven, Mme Billon, MM. Pillefer, Laugier et Courtial, Mme N. Goulet, MM. Maurey et Kern, Mmes Romagny et Guidez et MM. Dhersin et Fargeot.
L'amendement n° 110 rectifié bis est présenté par M. Bacchi, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste-Kanaky.
L'amendement n° 146 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L'amendement n° 181 est présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l'article 222-49 est ainsi rédigé :
« Dans les cas prévus aux articles 222-34 à 222-40 et sous réserve du treizième alinéa de l'article 131-21, est obligatoire la confiscation des installations, matériels et de tout bien ayant servi, directement ou indirectement, à la commission de l'infraction, ainsi que tout produit provenant de celle-ci, à quelque personne qu'ils appartiennent et en quelque lieu qu'ils se trouvent, dès lors que leur propriétaire ne pouvait en ignorer l'origine ou l'utilisation frauduleuse. Cette confiscation n'a pas à être motivée. Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la confiscation de tout ou partie des biens mentionnés au présent alinéa, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. » ;
2° L'article 321-6 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sous réserve du treizième alinéa de l'article 131-21 et des droits du propriétaire de bonne foi, la confiscation des biens dont le propriétaire ne peut justifier de l'origine et qui, pour ce motif, a été condamné en application du présent article, est obligatoire. Cette confiscation n'a pas à être motivée. Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la confiscation de tout ou partie des biens mentionnés au présent alinéa, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. »
La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour présenter l'amendement n° 13 rectifié quinquies.
Mme Isabelle Florennes. Je tiens à associer à cette défense de notre amendement mon collègue Paul Toussaint Parigi, qui ne peut être présent ce soir dans notre hémicycle, mais tient beaucoup à cet amendement visant à rendre obligatoire, sauf décision spécialement motivée, la confiscation des biens dont l'origine n'est pas justifiée.
Cette mesure est essentielle pour lutter contre le blanchiment d'argent et la pénétration de l'économie légale par des activités criminelles organisées.
C'est en privant de manière systématique les organisations mafieuses de leurs profits illicites que nous parviendrons à frapper au cœur leur modèle économique. La confiscation est un outil puissant qui a fait ses preuves en Italie et continue, à ce titre, d'y être utilisé.
La confiscation proposée aurait pour corollaire de renforcer considérablement l'effectivité de l'enquête patrimoniale. À ce jour, enquêteurs et magistrats peinent trop souvent à s'engager dans de telles investigations, car la confiscation a in fine un caractère trop facultatif.
Enfin, l'adoption du présent amendement permettrait de mieux protéger la propriété privée légitime contre l'infiltration des biens d'origine défectueuse.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour présenter l'amendement n° 110 rectifié bis.
M. Jérémy Bacchi. Par cet amendement, nous souhaitons introduire dans le texte des dispositions rendant obligatoire la confiscation des biens appartenant à une personne condamnée pour un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et lui ayant procuré un profit direct ou indirect.
Nous avions défendu, avec plusieurs de nos collègues, un amendement similaire lors de l'examen de la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
Nous sommes convaincus que la saisie et la confiscation des produits d'infractions figurent parmi les moyens les plus efficaces pour lutter contre la délinquance.
Outre son caractère dissuasif, la peine de confiscation a une visée réparatrice. En effet, elle permet de garantir que le crime ne paie pas et de réparer le préjudice subi par les éventuelles victimes.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l'amendement n° 146.
M. Guy Benarroche. Cet amendement est véritablement important, car il vise un outil primordial dans la lutte contre le narcotrafic. Il a pour objet de rendre obligatoire, sauf décision spécialement motivée, la confiscation des biens dont le propriétaire ne peut justifier de l'origine et qui, pour ce motif, a été condamné sur le fondement de l'article 131-21 du code pénal.
Un dispositif analogue est prévu à l'article 222-49 du même code, qui prévoit la confiscation obligatoire des biens des personnes condamnées pour des faits de trafic de stupéfiants ayant servi, directement ou indirectement, à la commission d'infractions.
Prévoir une telle obligation, sauf décision spécialement motivée, modifie la charge de travail des magistrats et élargit un outil particulièrement efficace dans la lutte contre le narcotrafic. Comme chacun sur ces travées l'a rappelé, c'est en touchant aux biens et au porte-monnaie que l'on obtient des résultats.
La procédure a fait ses preuves dans d'autres domaines.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l'amendement n° 181.
M. Hussein Bourgi. Cet amendement tend à rendre systématique la confiscation des biens. En effet, l'arsenal répressif et la peine de prison ne sont plus suffisamment dissuasifs aujourd'hui.
Tout le monde s'accorde sur la nécessité d'agir sur les moyens financiers acquis de manière immorale. C'est pourquoi nous proposons de parfaire l'arsenal répressif actuel.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. La première version de ces amendements, proposée en commission, présentait une difficulté de rédaction. Ces amendements identiques sont le fruit d'un travail transpartisan accompli depuis lors.
Rendre obligatoire la confiscation des biens d'une personne condamnée pour non-justification de ressources ou pour des infractions en matière de stupéfiants lorsque lesdits biens sont en rapport avec l'objet de l'infraction prolonge utilement la réforme entamée par la loi du 24 juin 2024 améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, dite loi Warsmann.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je formulerai plusieurs remarques.
Premièrement, messieurs les sénateurs, vous parlez de confiscation. Mais pour confisquer, il faut d'abord saisir ! Je propose donc que nous complétions le dispositif en ce sens au cours de la navette.
Deuxièmement, l'identification précède la saisie et la confiscation. Elle est parfois oubliée, de même que le tri. Le sénateur Durain a eu raison de mentionner Jean-Luc Warsmann : nous devons appliquer la loi qui porte son nom dans son intégralité. J'ai mentionné, dans ma circulaire sur la politique pénale, l'importance des saisies et des confiscations pour les services enquêteurs et les magistrats.
En vue de la réunion de la commission mixte paritaire, je rappelle que le juge d'instruction n'est pas obligé de communiquer le sort réservé aux biens saisis et confisqués. Des oublis peuvent se produire en raison de la charge de travail. Je l'ai rappelé aux procureurs de la République, même si je ne suis pas fondé à donner des consignes aux magistrats du siège.
Par ailleurs, il est intéressant d'observer un changement de pratique au sein des services enquêteurs et chez les magistrats. Le produit pour l'État des biens confisqués n'est pas nécessairement très important : ainsi, la vente de biens à faible valeur économique, comme des voitures valant quelques milliers d'euros à l'argus, n'en vaudrait pas le coût.
Or l'objectif est non pas simplement de récupérer de l'argent, mais bien de faire passer un message aux délinquants potentiels. En effet, la loi Warsmann mentionne que, sans qu'il soit besoin d'attendre la condamnation, il suffit qu'une personne soit prévenue dans une affaire pour que l'on vende les biens saisis et confisqués.
Troisièmement, le ministère de la justice souffre d'une difficulté structurelle : dans un souci de bien faire, dans le cadre de la recherche de preuves, nous conservons des biens confisqués.
Ainsi, nous dépensons 36 millions d'euros par an rien que pour conserver des voitures que nous ne vendons pas. Mais toutes ne sont pas la voiture de Jacques Mesrine, dont on aurait besoin pour une démonstration devant la cour d'assises… Souvent, ce sont des véhicules dont nous gérons mal la conservation. Or plus le véhicule reste longtemps à la fourrière, plus il coûte et moins il a de valeur à la revente.
Les dispositions de vos amendements méritent donc une modification. Par ailleurs, du côté des enquêteurs et des magistrats, nous devons changer de modèle pour appliquer les volontés du Parlement, qui sont aussi celles du bon sens.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 rectifié quinquies, 110 rectifié bis, 146 et 181.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 4.
Article 4 bis (nouveau)
Après l'article L. 561-14 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 561-14-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 561-14-1 A. – Les personnes mentionnées au 7° bis de l'article L. 561-2 ne sont pas autorisées à tenir tout type de compte ou à offrir tout type de service permettant l'anonymisation ou une opacification accrue des opérations. » – (Adopté.)
Article 5
Le titre XVI du livre IV du code de procédure pénale est complété par un article 706-33-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-33-1. – I. – Le juge d'instruction ou, saisi par le procureur de la République, le juge des libertés et de la détention est compétent pour prendre, pour une durée de six mois renouvelable, des décisions de gel des fonds et des ressources économiques, respectivement mentionnés aux 5° et 6° de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier :
« 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes relevant des infractions prévues aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal ainsi qu'aux articles 706-73 et 706-73-1 du présent code ;
« 2° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par les personnes mentionnées au 1° du présent I ou agissant sciemment pour le compte ou sur instructions de celles-ci ;
« 3° (nouveau) Qui appartiennent à ou qui sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques mentionnées à l'article 321-6 du code pénal.
« Saisi d'une demande de gel des fonds et des ressources économiques par le procureur de la République en charge de l'instruction ou de l'enquête, le juge des libertés et de la détention statue sur cette demande dans un délai qui ne peut excéder quarante-huit heures.
« Celui qui détient le bien objet de la décision de gel ou toute autre personne qui prétend avoir un droit sur ledit bien peut, par voie de requête remise au greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel territorialement compétente dans les dix jours à compter de la date de mise à exécution de la décision considérée, former un recours à l'encontre de cette dernière. Ce recours n'est pas suspensif.
« II. – Les personnes mentionnées à l'article L. 562-4 du code monétaire et financier sont tenues d'appliquer sans délai les mesures de gel et de se conformer aux obligations prévues aux articles L. 562-4-1 à L. 562-7, L. 562-10 et L. 562-13 du même code.
« Le secret bancaire et professionnel ne peut être opposé au magistrat ayant ordonné la mesure, et ne fait pas obstacle à l'échange d'informations entre ces personnes et les services judiciaires de l'État chargés de mettre en œuvre la mesure de gel prise au titre du présent article lorsque ces informations permettent de vérifier l'identité des personnes concernées directement ou indirectement par cette mesure ou de surveiller les opérations portant sur les fonds et les ressources économiques gelés. Les informations fournies ou échangées ne peuvent être utilisées qu'aux fins mentionnées au I du présent article.
« Pour l'exécution de la mesure de gel, le magistrat en charge de l'enquête ou de l'instruction ou tout officier de police judiciaire commis par lui échange avec les services de l'État et les autorités d'agrément et de contrôle mentionnées à l'article L. 561-36 du code monétaire et financier les informations nécessaires à l'exercice de leurs missions respectives. Lorsqu'elles identifient des informations susceptibles de se rapporter à une infraction prévue à l'article L. 574-3 du même code ou à l'article 459 du code des douanes, les autorités d'agrément et de contrôle mentionnées à l'article L. 561-36 du code monétaire et financier communiquent ces informations au magistrat en charge de l'enquête ou de l'instruction.
« III. – Le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention peut autoriser le déblocage et la mise à disposition d'une partie des fonds ou des ressources économiques faisant l'objet d'une mesure de gel si la personne faisant l'objet de cette mesure de gel justifie :
« 1° De besoins matériels particuliers intéressant sa vie personnelle ou familiale pour une personne physique ou d'une activité compatible avec la sauvegarde de l'ordre public pour une personne morale ;
« 2° Ou de décisions de nature à assurer la conservation de son patrimoine. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l'article.
Mme Catherine Conconne. Ce que j'aime, avec cette proposition de loi, c'est qu'elle est concrète et pragmatique. Les auditions ont été extrêmement bénéfiques, et le travail de collaboration transpartisan a permis d'aller au cœur des problèmes, de trouver des solutions et d'épouser une certaine réalité, avec laquelle deux chambres du Parlement semblent parfois déconnectées.
Il faut alléger et faciliter les procédures. Or, grâce à l'action de nos rapporteurs, l'arsenal que nous proposons ici va dans le bon sens.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l'article.
M. Guy Benarroche. Le dispositif de cet article est inspiré de la lutte contre le terrorisme. Il s'agit d'agir vite, via une procédure d'urgence, pour éviter la dissolution ou le transfert d'avoirs liés au narcotrafic à l'international. À la différence de la saisie ou de la confiscation, le gel ne signifie pas la prise de possession du bien par l'autorité judiciaire, mais seulement la possibilité d'en disposer.
Bien entendu, nous avons cet objectif en commun. Notre groupe défendra deux amendements pour améliorer l'opérationnalité et l'adéquation avec les délais trop lents d'audiencement en matière de narcotrafic – comme dans le reste du système judiciaire, d'ailleurs.
Je rappelle que ces nouveaux outils ne seront efficaces qu'avec de nouveaux moyens et la mise à disposition d'assistants spécialisés en matière économique et financière. S'agissant des premiers, le ministre m'a déjà partiellement répondu.
Mme la présidente. L'amendement n° 28 rectifié quater, présenté par MM. Rochette, Longeot et A. Marc, Mmes Vermeillet, Paoli-Gagin et L. Darcos, M. V. Louault, Mme Bourcier, MM. Verzelen et Chasseing, Mme Lermytte, MM. Wattebled et Médevielle, Mme Aeschlimann, M. Meignen, Mmes Pluchet et Doineau, MM. Dhersin et Henno et Mmes Romagny, Billon, Perrot et Herzog, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Le mieux est l'ennemi du bien !
Le présent amendement a pour objet de conserver l'élargissement du dispositif de gel des avoirs utilisé contre les terroristes, afin de l'appliquer également aux narcotrafiquants, comme le prévoit l'article 5 bis.
Le gel administratif des avoirs se distingue ainsi clairement de la confiscation judiciaire, qui relève, quant à elle, d'une décision de justice entraînant la perte définitive de propriété.
Cependant, la proposition de loi crée un nouveau régime hybride, qui mêle des éléments du gel administratif et de la confiscation judiciaire. Cela soulève plusieurs difficultés pratiques susceptibles de compliquer sa mise en œuvre par les organismes financiers, ce qui risque d'obérer la lutte contre le narcotrafic.
Or il est impératif que la décision de gel soit rapidement et facilement accessible aux organismes financiers, afin qu'elle soit appliquée sans délai.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Nous ne sommes pas favorables à la suppression du dispositif de gel judiciaire des avoirs. En effet, nous partageons l'analyse exposée, en audition, par les services du ministère de l'intérieur : gel judiciaire et gel administratif sont complémentaires.
En outre, la commission d'enquête a lourdement insisté sur la nécessité d'un outil judiciaire propre aux personnes ayant vocation à être traduites devant les tribunaux. En l'occurrence, abondance de biens ne nuit pas !
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 28 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 124, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
de six mois
par les mots :
d'un an
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Avec cet amendement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires propose de porter de six mois renouvelables à un an renouvelable la durée maximale d'application d'une décision de gel judiciaire des fonds et ressources économiques. En effet, il importe de donner à la mesure sa pleine effectivité, la commission d'enquête ayant mis en lumière l'engorgement des prétoires et les longs délais d'audiencement.
Il convient par conséquent d'outiller les magistrats, afin d'éviter la dissolution ou le transfert des avoirs à l'international durant des périodes susceptibles de s'étirer.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. La commission souhaite entendre l'avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Quel est donc l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. C'est le même avis de sagesse.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. En pratique, un travail d'enquête est accompli pour geler les avoirs. Or les audiences n'ont parfois pas eu lieu au bout de six mois, car la procédure dure.
Il est vraiment dommage que la mesure de gel prononcée par le juge ne soit plus valable en raison d'un retard d'un mois, alors que les éléments sont constitués. Cela soulagerait les magistrats et permettrait d'être plus efficace.
Cela dit, je vous remercie de votre avis de sagesse, monsieur le ministre.
Mme la présidente. L'amendement n° 41 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et MM. Canévet et Parigi, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
ressources économiques
Insérer les mots :
dont les parts de sociétés civiles immobilières
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. L'amendement visant les parts de SCI ayant été voté précédemment, je retire celui-ci, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 41 rectifié est retiré.
L'amendement n° 125 rectifié, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
« La décision est notifiée à celui qui détient le bien objet de la décision de gel le jour de sa mise à exécution. Celui qui détient le bien objet de la décision de gel ou toute autre personne qui prétend avoir un droit sur ledit bien peut, par voie de requête remise au greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel territorialement compétente ou par déclaration au greffe du tribunal territorialement compétent dans les dix jours à compter de la date de notification de la décision, former un recours à l'encontre de cette dernière. Ce recours n'est pas suspensif. L'appelant ne peut prétendre dans ce cadre qu'à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la décision de gel qu'il conteste
II. – Alinéa 13
Supprimer le mot :
Ou
III. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
...° Ou de frais afférents à sa défense. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement, travaillé avec le barreau de Paris, vise à garantir le droit au recours effectif contre les décisions de gel judiciaire des avoirs. En effet, il convient de toujours rechercher l'équilibre : nous devons nous donner tous les moyens d'être efficaces, tout en permettant à la défense de s'exprimer.
Le présent amendement tend donc à prévoir la notification de la décision de gel des avoirs, sans laquelle les personnes visées par une décision n'ont pas un droit au recours effectif. Le délai de recours de dix jours courrait à partir de la notification de la décision, et non de son exécution, afin de couvrir l'hypothèse où un justiciable verrait ses biens saisis sans que cela lui ait été notifié, comme cela arrive parfois.
En outre, le recours direct au greffe de la chambre de l'instruction est peu courant, de sorte qu'un appel classique au greffe du tribunal judiciaire concerné apparaît plus approprié.
Enfin, l'amendement a pour objet la possibilité pour le justiciable faisant l'objet de la saisie ou du gel des avoirs de solliciter du magistrat le déblocage d'une partie des fonds pour ses frais de défense, afin d'assurer le respect du principe d'égalité des armes.7
Il s'agit d'écarter les risques de censure du Conseil constitutionnel contre une mesure que notre groupe estime nécessaire pour lutter contre le narcotrafic.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Notre collègue Guy Benarroche pousse son avantage ! (Sourires.)
Cet amendement tend à préciser les modalités de recours contre la décision de gel des avoirs judiciaires. Puisque son auteur l'a rectifié pour s'aligner sur les rédactions usuelles relatives à l'accès des intéressés au dossier, nous ne pouvons qu'y être favorables.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 42 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet et M. Canévet, est ainsi libellé :
Compléter cet article un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures prises, quand elles concernent des biens de personnes morales peuvent faire l'objet d'une publication au Registre du Commerce et des Sociétés dans des conditions fixées par décret. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Je propose que les mesures qui concernent les biens de personnes morales fassent l'objet d'une publication au registre du commerce et des sociétés, dans des conditions fixées par décret.
Il s'agit de renforcer la visibilité et l'efficacité des mesures de gel des avoirs.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Nous comprenons l'intention de l'auteure de l'amendement, mais il nous semble étonnant qu'une mesure judiciaire soit publiée à ce registre, pour des raisons de compatibilité avec le secret de l'enquête et de l'instruction. En effet, nous parlons de personnes qui demeurent, à ce stade, présumées innocentes.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° 42 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je précise que cette proposition fait partie des mesures proposées par le Conseil national des greffes. Selon ce dernier, la circulation de cette information éviterait des mouvements de biens qui font l'objet d'une procédure de gel…
Quoi qu'il en soit, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 42 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Article 5 bis (nouveau)
I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après le 1° bis de l'article L. 562-1, il est inséré un 1° ter ainsi rédigé :
« 1° ter “Trafic de stupéfiants” : les faits prévus et réprimés par les articles 222-34 à 222-38 et 222-40 du code pénal ; »
2° Après l'article L. 562-2-1, il est inséré un article L. 562-2-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 562-2-2. – Le ministre chargé de l'économie et le ministre de l'intérieur peuvent décider conjointement, après information du procureur de la République national anti-criminalité organisée, pour une durée de six mois, renouvelable trois fois, le gel des fonds et ressources économiques :
« 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent un trafic de stupéfiants ou y participent, et qui présentent une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics en raison de leur rôle dans ce trafic et de son ampleur ;
« 2° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par les personnes mentionnées au 1° ou agissant sciemment pour le compte ou sur instructions de celles-ci. » ;
3° Aux articles L. 562-5 et L. 562-7 et au premier alinéa de l'article L. 562-8, après la référence : « L. 562-2-1, », est insérée la référence : « L. 562-2-2, » ;
4° Au premier alinéa de l'article L. 562-9, après la référence : « L. 562-2-1 », est insérée la référence : « , L. 562-2-2 » ;
5° Au premier alinéa de l'article L. 562-11, les mots : « et L. 562-2-1 » sont remplacés par les mots : « , L. 562-2-1 et L. 562-2-2 ».
II. – Au deuxième alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, après le mot : « terrorisme », sont insérés les mots : « ou du trafic de stupéfiants ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 214, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 1° ter “Trafic de stupéfiants” : les faits prévus et réprimés par les articles 222-34 à 222-38 du code pénal ainsi que ceux prévus et réprimés au troisième alinéa de l'article 414 et à l'article 415 du même code, lorsqu'ils portent sur les stupéfiants ».
II – Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 562-2-2. – Le ministre chargé de l'économie et le ministre de l'intérieur peuvent décider, conjointement, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques ».
III – Après l'alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes physiques ou morales ou toute autre entité faisant l'objet d'une mesure de gel prévue au présent article déclarent au ministre chargé de l'économie dans un délai de six semaines à compter de la publication prévue à l'article L. 562-9, les fonds et ressources économiques d'une valeur supérieure à un montant fixé par décret en Conseil d'État. »
IV – Alinéa 10
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
5° Le premier alinéa de l'article L. 562-11 est ainsi modifié :
a) Les mots : « de l'article » sont remplacés par les mots : « des articles » ;
b) Après les mots : « L. 562-2-1 », sont insérés les mots : « et L. 562-2-2 ».
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Cet amendement, très important, vise à créer une procédure de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, en miroir de ce qui existe en matière d'antiterrorisme.
L'objectif est de priver les narcotrafiquants de leurs avoirs et ressources économiques, en restreignant de manière proactive et dynamique – c'est-à-dire en s'ajustant à leur comportement – les transactions, la circulation de fonds, l'ouverture de comptes bancaires et la détention de cryptoactifs.
Surtout, dès lors qu'une partie des avoirs est gelée, ces personnes ont l'obligation de déclarer l'ensemble de leur patrimoine.
Or l'omission de la déclaration d'un bien est une infraction, mais une déclaration complète facilitera la constatation d'une non-justification de ressources si l'on observe une disproportion par rapport aux revenus. Le juge pourra alors considérer qu'existent des sources de revenus qui ne sont pas connues ou officielles.
Concrètement, à l'issue d'un arrêté conjoint de placement sous sanction par les ministres chargés de l'économie et de l'intérieur, sous copilotage de la direction nationale du renseignement douanier et de l'Ofast avec le juge, est interdite toute mise à disposition de ressources économiques et de fonds envers ces personnes.
Une liste est ainsi publiée au Journal officiel, et les acteurs financiers, notamment les banques, ne peuvent contourner le gel des avoirs. Ce mécanisme très puissant fonctionne très bien pour l'antiterrorisme. C'est pourquoi nous voulons l'élargir aux narcotrafiquants.
La rédaction de notre amendement diffère toutefois de celui de la commission. En effet, des éléments de droit ont permis de déconflictualiser, si j'ose dire, avec l'autorité judiciaire tout ce qui ne relève pas du champ de la loi, à l'instar de ce qui est fait pour l'antiterrorisme, pour lequel l'information du procureur n'est pas prévue dans la loi. Autrement dit, il s'agit de ne pas mettre en conflit le droit administratif et le droit judiciaire.
Je suis venue présenter cet amendement, car un tel outil judiciaire manquait aux douaniers.
Mme la présidente. L'amendement n° 251, présenté par Mme M. Jourda et M. Durain, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après la référence :
222-38
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
du code pénal ainsi que par le troisième alinéa de l'article 414 et l'article 415 du code des douanes ; »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 214.
M. Jérôme Durain, rapporteur. Le Gouvernement propose plusieurs ajustements significatifs au gel administratif des avoirs prévu à l'article 5 bis. Dans la mesure où c'est bien notre commission qui a proposé ce gel, nous y sommes très attachés.
Madame la ministre, nous vous suivons donc bien volontiers sur la nécessité d'élargir le champ de cette mesure aux infractions douanières. Cependant, il est peu opportun que la mesure puisse se renouveler indéfiniment dans le temps dès lors qu'elle vise des individus qui ont, in fine, vocation à être traduits devant les tribunaux. L'autorité judiciaire doit, à terme, reprendre la main via les mécanismes du code de procédure pénale.
En outre, l'obligation de transmission du patrimoine dans les six semaines nous laisse perplexes : l'exhaustivité de la mesure de gel dépendrait-elle de la coopération de l'intéressé ?
Nous sommes donc défavorables à l'amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 251 ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Avec son amendement, la commission va dans le même sens que nous.
Toutefois, un point nous pose difficulté dans votre rédaction, monsieur le rapporteur : vous restreignez ces mécanismes aux affaires passant devant le Pnaco. Or bien d'autres instances, dont les Jirs, sont concernées par des affaires similaires. Il serait dommage de limiter ainsi la procédure de gel administratif.
Je propose donc, monsieur le rapporteur, que votre assemblée, dans sa sagesse, vote l'amendement du Gouvernement. Dans la suite de la navette, nous pourrions reprendre certaines dispositions.
M. Dominique de Legge. Mais oui, bien sûr !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On va plutôt faire l'inverse ! (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5 bis, modifié.
(L'article 5 bis est adopté.)
Après l'article 5 bis
Mme la présidente. L'amendement n° 55 rectifié bis, présenté par MM. Chevalier, Wattebled et Brault, Mmes Paoli-Gagin et Bourcier et MM. Grand et Chasseing, est ainsi libellé :
Après l'article 5 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les douze mois de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente un rapport au Parlement sur le bilan de l'action de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) et de l'affectation des biens saisis et confisqués.
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Cet amendement tend à demander, dans les douze mois de la promulgation de la loi, un rapport dressant le bilan de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc).
Ses dispositions vont certes contre la doctrine de notre assemblée, mais elles garantiraient un fonctionnement transparent de l'agence, permettraient d'évaluer l'efficacité des mesures prises et renforceraient la confiance du public envers les institutions chargées de lutter contre ces infractions.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Par principe, nous sommes hostiles aux rapports. En outre, l'Agrasc publie déjà un rapport annuel. Je vous invite d'ailleurs à consulter le catalogue des biens confisqués et mis en vente au bénéfice des finances de la nation qui figure dans ce document.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je confirme que l'Agrasc publie un rapport tous les ans.
Par ailleurs, je préfère que l'on consacre les moyens de l'agence à saisir, non à écrire des rapports.
Enfin, l'information du Parlement doit aussi passer par la venue des hauts fonctionnaires et des ministres. Vous pouvez nous auditionner, ainsi que la directrice générale de l'Agrasc, aussi souvent que nécessaire.
Je signale d'ailleurs la tenue d'une grande vente, jeudi prochain, de biens saisis par l'Agrasc. J'aurai l'honneur de m'y rendre, afin de vérifier que, lorsque les juges l'ont ordonné, nous collectons l'argent et l'utilisons pour poursuivre nos politiques régaliennes, sécuritaires ou de tout autre type.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Madame Paoli-Gagin, l'amendement n° 55 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 55 rectifié bis est retiré.
TITRE III
RENFORCEMENT DU RENSEIGNEMENT ADMINISTRATIF EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC
Article 6
Le II de l'article 706-105-1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) La première phrase est ainsi modifiée :
– les mots : « de Paris » sont remplacés par le mot : « compétent » ;
– les mots : « au dernier alinéa de l'article 706-75 » sont remplacés par les mots : « aux articles 706-74-1 et 706-75 » ;
– les mots : « 3° , 5° , 12° et 13° de l'article 706-73 ainsi que sur le blanchiment de ces infractions » sont remplacés par les mots : « 1° , 2° , 3° , 4° , 5° , 7° , 8° , 9° , 12° , 13° , 21° de l'article 706-73 ainsi que le blanchiment et l'association de malfaiteurs en rapport avec ces infractions » ;
b) (Supprimé)
2° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République avise les services ayant bénéficié de cette communication des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de la mise en œuvre de la procédure. » ;
3° À la fin du second alinéa, les mots : « de Paris » sont remplacés par le mot : « compétent ».
Mme la présidente. L'amendement n° 47 rectifié bis, présenté par MM. Burgoa, Karoutchi et Pointereau, Mmes Josende, Dumont et Belrhiti, MM. Bouchet, Reynaud, Anglars, D. Laurent, Chaize et Khalifé, Mme Micouleau, MM. Panunzi, J.-P. Vogel et Cambon, Mmes Lassarade et Borchio Fontimp, MM. Mandelli et P. Vidal, Mmes Hybert et V. Boyer, M. Bacci, Mme Malet, MM. Hingray et Milon, Mme Saint-Pé, MM. H. Leroy et Brisson, Mmes Perrot et Eustache-Brinio, M. Piednoir, Mmes Guidez et Ventalon, MM. Rapin et Bruyen, Mmes Gruny et Romagny, M. Saury, Mme Garnier, M. C. Vial, Mme Imbert, MM. Bleunven, Michallet, Maurey, Genet, Cadec, Meignen, Belin et Gueret et Mme Bonfanti-Dossat, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après la seconde occurrence des mots :
article 706-73
insérer les mots :
et au dernier alinéa de l'article 434-30 du code pénal
La parole est à M. Laurent Burgoa.
M. Laurent Burgoa. Le présent amendement a pour objet de permettre aux procureurs de la République du parquet national anticriminalité organisée et à ceux des juridictions interrégionales spécialisées de transmettre des informations aux services de renseignement concernant les procédures portant sur des faits d'évasion en bande organisée.
L'attaque d'Incarville a rappelé de manière dramatique les capacités dont disposent les délinquants particulièrement chevronnés pour s'extraire des mains de la justice.
Par voie de conséquence, les services judiciaires et de renseignement doivent agir de concert en échangeant le maximum d'informations, afin d'éviter toute tentative d'évasion et d'atteinte à l'intégrité des agents et des bâtiments de l'administration pénitentiaire.
L'extension du champ des procédures judiciaires dont les éléments peuvent faire l'objet d'une transmission aux services de renseignement, proposée opportunément par la commission des lois du Sénat, serait donc utilement complétée par cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. L'amendement tend à permettre au Pnaco et aux Jirs de transmettre aux services de renseignement des informations sur les dossiers portant sur des faits d'évasion en bande organisée. Nous avons tous à l'esprit le drame d'Incarville, qui montre, malheureusement, à quel point ce dispositif est pertinent.
La commission émet donc un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je vous remercie de cet amendement, qui fait écho aux événements que nous avons connus à Incarville, monsieur le sénateur. Cet élargissement est particulièrement bienvenu.
Nous sommes favorables, avec conviction, à cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
I. – Après le titre V bis du livre VIII du code de la sécurité intérieure, il est inséré un titre V ter ainsi rédigé :
« TITRE V TER
« DES CELLULES DE RENSEIGNEMENT OPÉRATIONNEL SUR LES STUPÉFIANTS
« Art. L. 856-1. – Il est créé, dans chaque département, une cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants.
« La cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants a pour missions de :
« 1° Centraliser et analyser les informations relatives aux trafics de stupéfiants dans le département et assurer leur transmission au représentant de l'État dans le département ou, à Paris, au préfet de police, ainsi qu'au procureur de la République ;
« 2° Faciliter la coordination des acteurs compétents en matière de prévention et de répression de ces trafics ainsi que des infractions connexes dans le département ;
« 3° Proposer au représentant de l'État dans le département ou, à Paris, au préfet de police ainsi qu'au procureur de la République une stratégie de lutte contre les trafics de stupéfiants dans le département ;
« 4° Concourir à la politique nationale de lutte contre les trafics de stupéfiants en transmettant les informations qu'elle recueille à l'Office anti-stupéfiants mentionné à l'article 1er de la loi n° … du … visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
« Art. L. 856-2. – I. – Participent à titre permanent à la cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants :
« 1° Le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, le préfet de police ou son représentant ;
« 2° Le directeur départemental de la police nationale ou son représentant ;
« 3° Le directeur départemental de la gendarmerie nationale ou son représentant ;
« 4° Le procureur de la République ou son représentant ;
« 5° (nouveau) Un magistrat membre de la juridiction interrégionale spécialisée compétente.
« II. – La cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants peut constituer en son sein un ou plusieurs groupes de travail et d'échange d'informations à vocation territoriale ou thématique.
« Peuvent être associés à ces groupes de travail :
« 1° Des représentants des services de l'État dans le département ;
« 2° Les maires des communes du département ;
« 3° Des représentants d'associations, d'établissements ou d'organismes œuvrant notamment dans les domaines de la prévention, de la sécurité, de l'aide aux victimes, du logement, des transports collectifs, de l'action sociale ou des activités économiques désignés par le président du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, après accord des responsables des associations, des établissements ou des organismes dont ils relèvent.
« Des informations confidentielles peuvent être échangées dans le cadre de ces groupes. Leur communication à des tiers est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. »
II. – Un décret fixe les modalités d'application du I. Il précise notamment les règles relatives à la composition et au fonctionnement des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants et détermine les conditions dans lesquelles sont organisés les échanges d'informations mentionnés aux 1° et 4° de l'article L. 856-1 du code de la sécurité intérieure.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, sur l'article.
Mme Corinne Narassiguin. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain regrette que le Gouvernement ait déposé un amendement, qui a de fortes chances d'être adopté, visant la suppression de cet article.
Le Gouvernement estime que les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) relèvent non pas de la loi, mais du règlement. Pour notre part, nous sommes favorables à la consécration dans la loi de ces cellules. Certes, ce dispositif est tout à fait opérationnel, mais il fonctionne bien. Il est donc important de le sécuriser. Nous avons déposé des amendements, afin de préciser sa composition.
J'attire l'attention de nos collègues et du Gouvernement sur la nécessité d'un contrôle plus précis des informations et d'un échange avec la Cnil. Il conviendrait donc de prévoir une saisine de celle-ci dans les conditions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, afin d'assurer la protection des données personnelles et leur bon traitement par les Cross.
Mme la présidente. L'amendement n° 156, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Comme je le soulignais lors de l'examen de l'article 1er, il n'est pas souhaitable de figer le dispositif des Cross dans la loi, parce qu'il est de nature réglementaire. En effet, ces cellules ont été définies, en 2019, non pas par une loi ou un décret, mais, tout simplement, dans un plan antistupéfiants.
Nous avons besoin de cette organisation territoriale des 104 Cross. Elles seront d'ailleurs reliées à l'état-major de lutte contre le crime organisé.
Cela ne relève pas du domaine de la loi. Je vous renvoie à mes propos sur l'article 1er au sujet de l'état-major, chargé, avec le chef-de-filat de la police judiciaire, d'organiser la lutte contre la criminalité organisée, le renseignement et les enquêtes.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Inscrire dans la loi les cellules de renseignement opérationnel était l'une des recommandations de la commission d'enquête, en raison de l'importance de ces cellules. Par ailleurs, les auteurs du rapport considéraient que celles-ci n'étaient pas toujours suffisamment liées à la justice.
Cependant, au cours de nos auditions, il nous a été presque unanimement dit qu'il s'agissait d'un outil purement opérationnel. Nous parlons de réunions de service, qui n'en sont pas moins nécessaires dans le cadre des enquêtes.
À l'issue de ces multiples auditions, Jérôme Durain et moi-même avons été convaincus qu'il n'était pas opportun de figer ces Cross dans le texte. Nous les y avons pourtant laissées, car nous souhaitions que leur existence soit évoquée en séance, dans la mesure où elles constituent un pivot important dans la lutte contre le narcotrafic.
Pour autant, leur caractère opérationnel et la souplesse qu'elles requièrent ne sont pas compatibles avec l'inscription législative.
J'appelle tout de même l'attention du Gouvernement sur la nécessité de prendre au sérieux ces Cross sur tout le territoire, car elles y sont inégalement efficaces. Monsieur le ministre, c'est la raison pour laquelle nous avions maintenu cet article dans le texte : il est important de veiller au bon fonctionnement des Cross sur l'ensemble du territoire national.
La commission émet donc un avis favorable sur l'amendement de suppression du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est opposé à la suppression de cet article. Nous souhaitons que soit maintenue dans cette proposition de loi la référence aux Cross, car nous partageons l'intuition initiale de la commission d'enquête.
Nous pouvons comprendre que la définition précise de l'organisation de ces cellules de renseignement opérationnel ne soit pas de niveau législatif. Pour autant, celles-ci sont plus que de simples réunions de service, car elles rassemblent des représentants d'institutions très différentes : la police, le préfet, la gendarmerie, le procureur de la République. Cela dépasse assez largement le cadre que vous décrivez, madame le rapporteur.
Par ailleurs, il était initialement proposé dans ce texte que des groupes de travail associent également les maires et les associations. Nous sommes bien au-delà de la réunion de service ; il s'agit vraiment d'une organisation opérationnelle.
À ma connaissance, de nombreux autres textes de loi définissent l'intérêt de telles structures, puis renvoient à un décret la tâche de décliner son organisation. C'est d'ailleurs ce que le Gouvernement lui-même nous a proposé à l'article 1er, lorsqu'il a indiqué que la définition du service chef de file relevait du décret, tout en inscrivant son principe dans la loi.
De la même manière, nous souhaitons que le principe de la couverture du territoire national par les 104 Cross soit maintenu dans la loi, ainsi que la précision selon laquelle y sont associés non seulement la police, la gendarmerie, la justice et le parquet, mais aussi les douanes, comme nous le proposons au travers de nos amendements.
Mme la ministre chargée des comptes publics nous a indiqué à plusieurs reprises combien la présence des douanes était indispensable. Nous souhaitons qu'elles puissent y être associées à titre permanent, ainsi que les maires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Nous sommes également défavorables à cet amendement du Gouvernement, car rien ne s'oppose à ce que le principe des Cross soit inscrit dans la loi, même s'il revient évidemment au pouvoir réglementaire de décliner l'organisation de ces dernières.
La suppression de cet article nous prive d'un débat tout à fait légitime sur la nature et les attributions des Cross, ainsi que sur les acteurs qu'elles doivent associer. Les maires, par exemple, viennent d'être évoqués. J'y insiste : les douanes réalisant 75 % des saisies de stupéfiants, il serait difficilement concevable qu'elles en soient exclues.
J'ajoute qu'il serait utile d'y associer les acteurs économiques. Dans nos grands ports maritimes, notamment, toute la chaîne logistique devrait être intégrée, au moins de manière ponctuelle, dans les groupes de travail envisagés. L'ensemble de ces acteurs peut contribuer à la lutte contre le narcotrafic.
Je déplore donc que cette suppression nous prive de ce débat, à moins que vous nous donniez dès à présent, messieurs les ministres, un aperçu de la philosophie que devraient revêtir, selon vous, ces Cross, pour renforcer l'exercice actuel de leur mission et s'inscrire dans une logique d'association plus large des partenaires.
J'insiste une nouvelle fois sur la nécessité d'y intégrer pleinement les douanes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Je fais partie de ceux qui déplorent la suppression de cet article. Au début de la discussion, nous avons clairement mis en exergue l'importance de l'échelon local, et j'estime que cet article était rédigé avec une clarté suffisante et offrait un cadre d'action particulièrement pertinent.
D'une part, il définissait la mission des Cross selon quatre axes. Certes, cela relève du domaine réglementaire, mais on ne saurait soutenir que la manière dont ces axes sont décrits dans l'article – analyse des informations, coordination des acteurs, participation à la stratégie et concours à la politique nationale – fige quoi que ce soit. Bien au contraire, cette rédaction fournit un cadre qui peut être décliné à l'échelon départemental !
D'autre part, s'agissant de la composition de ces cellules, cet article est le seul passage de la proposition de loi qui permet d'appréhender l'écosystème des acteurs engagés dans la lutte contre le narcotrafic. Au regard de la préoccupation de ces acteurs sur les territoires, il s'agissait d'un signal fort quant à leur participation à cette stratégie.
Par conséquent, même si je prends acte des arguments juridiques selon lesquels il s'agit du domaine réglementaire et qu'il convient de ne pas figer les choses, je trouve quelque peu regrettable de ne pas disposer, au minimum, d'une référence à cet échelon et à la déclinaison territoriale de cette politique.
Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Blanc, pour explication de vote.
M. Étienne Blanc. Il convient de dire les choses telles qu'elles sont : lorsque nous avons procédé aux différentes auditions, le dysfonctionnement des Cross ne nous est pas apparu comme un élément crucial.
Il nous a été rapporté qu'il arrivait qu'un acteur fasse défaut dans les réunions de ces cellules et que son absence relevait parfois de mésententes entre services.
Mme Audrey Linkenheld. Eh oui !
M. Étienne Blanc. J'ai alors estimé, comme Jérôme Durain, que l'autorité de la loi pourrait remédier à ces problèmes interpersonnels.
Pour autant, nous le savons bien, lorsque deux services ne s'entendent pas pour des raisons diverses, c'est non pas la loi qui résout le problème, mais la bienséance et la compréhension mutuelle.
Mme Audrey Linkenheld. La loi peut aider !
M. Étienne Blanc. Je me range donc à la position que vient d'adopter la commission des lois. Nous avons peut-être péché par excès en voulant nous montrer directifs.
J'apporte mon soutien à la position du Gouvernement : revenons-en au décret et laissons le terrain s'organiser, car c'est là que l'on appréhende le mieux les sujets concrets et pratiques et que l'on sait s'organiser de la manière la plus efficace pour échanger les renseignements.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Sauf que cela ne se marche pas !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Mais si !
M. Étienne Blanc. Je souscris donc à cette proposition de suppression de l'article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel, pour explication de vote.
Mme Karine Daniel. Quand nous laissons le terrain s'organiser, on voit bien quelles forces prennent le dessus… L'objet de cette proposition de loi est justement de remettre de l'ordre et de créer plus de coordination entre services, comme nous l'avons bien perçu tout au long des auditions.
Nous ne prétendons pas que développer et maintenir ces Cross réglera tous les problèmes, mais inscrire leur rôle clairement dans la loi impose tout de même à chacun de se mettre autour de la table. J'y insiste, élus et citoyens demandent une telle coordination sur le terrain.
Par ailleurs, cette proposition de suppression risque d'emporter un effet collatéral : l'absence de continuité territoriale dans leur organisation, puisque les Cross seraient plus développées dans certaines zones que dans d'autres.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Notre groupe votera également contre la suppression de l'article 7, je souhaite évoquer deux points.
Le premier, à titre tout à fait amical, concerne Étienne Blanc et à Jérôme Durain. Je comprends leur argumentation ; pour autant, durant les travaux de la commission d'enquête, il nous avait semblé important de légiférer sur les Cross et de préconiser leur inscription dans la loi.
Mes chers collègues, même si vous étiez le président et le rapporteur de cette commission d'enquête, le rapport de cette dernière a été signé par la totalité de ses membres ; dans une certaine mesure, tous les groupes y étaient représentés et tous les participants se sont accordés sur la nécessité de légiférer sur le sujet, ou au moins de définir dans la loi ce que devaient être les Cross.
Le second point est qu'il existe sûrement beaucoup de cellules ou d'organes inopérants mis en place par la loi. En l'occurrence, le dispositif en discussion fonctionne déjà plutôt bien ; il est opérationnel, et nous pourrions encore l'améliorer et lui conférer une continuité territoriale.
Dès lors, il serait tout de même regrettable de nous priver de l'inscrire dans la loi.
Mme la présidente. En conséquence, l'article 7 est supprimé, et les amendements nos 103, 178, 165, 174, 149, 191, 145, 161 et 159 n'ont plus d'objet.
Après l'article 7
Mme la présidente. L'amendement n° 104, présenté par Mme Brulin, M. Bacchi, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Après l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'administration des douanes répond à l'objectif prioritaire de contrôle des marchandises, en accordant une attention prééminente aux taux de contrôle des marchandises (ouverture des containers, scanners, documentaire) par rapport aux indicateurs de fluidité des trafics, tout en valorisant la coopération entre les administrations impliquées dans la lutte contre les narcotrafics.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Cet amendement a pour objet d'appeler l'attention sur un point : si ce texte déploie un certain nombre de dispositifs et tout un arsenal pénal face au narcotrafic, il ne résout pas une contradiction profonde, notamment dans nos ports.
La concurrence internationale à laquelle sont soumis nos ports implique qu'il faille dépoter, pour reprendre un terme propre aux dockers, c'est-à-dire décharger la marchandise, le plus rapidement possible, et que les douaniers doivent la contrôler tout aussi vite.
Ce faisant, toutefois, les contrôles ne sont pas aussi poussés qu'ils devraient l'être. À titre d'exemple, sur le port du Havre, 93,5 % des déclarations sont dédouanées en moins de cinq minutes, alors que ce port enregistre 80 % des saisies de cocaïne en France. Il y a donc là un véritable paradoxe.
Nous n'entendons pas freiner l'activité économique, mais nous appelons à réfléchir à un équilibre entre la fluidité indispensable au transport commercial et la sécurité.
Certains pays, confrontés à de graves problèmes de sécurité, dus au terrorisme ou au narcotrafic, ont un peu plus mis l'accent sur la sécurité, parfois au détriment de la rapidité, et cela peut contribuer de manière décisive à la lutte contre le narcotrafic. Tel est donc l'objet de cet amendement.
Nous avons été alertés sur ce sujet par l'ensemble des professions portuaires, confrontées de manière quotidienne et souvent douloureuse au narcotrafic.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Nous avons bien compris qu'il s'agissait d'un amendement d'appel à faible portée normative.
Par conséquent, bien que nous ayons de la considération pour les arguments qui ont été développés, nous émettons un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Madame la sénatrice, vous semblez considérer que les douanes seraient contraintes d'opérer un choix entre, d'un côté, la fluidité du trafic et la compétitivité économique, et, de l'autre, l'intensité des contrôles. Or nous estimons que les douanes ne sont pas confrontées à un tel dilemme : elles ont la capacité de concilier l'efficacité des contrôles et la fluidité des échanges.
Au demeurant, cette question ne relève pas dans le champ de la loi.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 104.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 8
I. – À titre expérimental et pour une durée de deux ans à compter de l'émission de l'avis mentionné au II du présent article, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du livre VIII du code de la sécurité intérieure et pour la seule finalité prévue au 6° de l'article L. 811-3 du même code, à la demande des services spécialisés de renseignement mentionnés à l'article L. 811-2 dudit code, peuvent être autorisés des traitements automatisés sur les données transitant par les réseaux des opérateurs et des personnes mentionnées à l'article L. 851-1 du même code destinés, en fonction de paramètres précisés dans l'autorisation, à détecter des connexions susceptibles de révéler des actes de délinquance ou de criminalité organisée.
Ces traitements automatisés utilisent exclusivement les informations ou documents mentionnés au même article L. 851-1 ainsi que les adresses complètes de ressources utilisées sur internet, sans recueillir d'autres données que celles qui répondent à leurs paramètres de conception et sans permettre l'identification des personnes auxquelles les informations, documents ou adresses se rapportent. Ils ne peuvent procéder à aucune interconnexion ou mise en relation automatisée avec d'autres traitements de données à caractère personnel.
Dans le respect du principe de proportionnalité, l'autorisation du Premier ministre précise le champ technique de la mise en œuvre de ces traitements.
II. – La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement émet un avis sur la demande d'autorisation relative aux traitements automatisés et les paramètres de détection retenus. Elle dispose d'un accès permanent, complet et direct à ces traitements ainsi qu'aux informations et données recueillies. Elle est informée de toute modification apportée aux traitements et paramètres et peut émettre des recommandations.
La première autorisation de mise en œuvre des traitements automatisés prévue au I du présent article est délivrée pour une durée de deux mois. L'autorisation est renouvelable dans les conditions de durée prévues au chapitre Ier du titre II du livre VIII du code de la sécurité intérieure. La demande de renouvellement comporte un relevé du nombre d'identifiants signalés par le traitement automatisé et une analyse de la pertinence de ces signalements.
III. – L'article L. 871-6 du code de la sécurité intérieure est applicable aux opérations matérielles effectuées par les opérateurs et les personnes mentionnés à l'article L. 851-1 du même code.
IV. – Lorsque les traitements mentionnés au I du présent article détectent des données susceptibles de caractériser l'existence d'une menace résultant d'actes de délinquance ou de criminalité organisée, le Premier ministre ou l'une des personnes déléguées par lui peut autoriser, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du livre VIII du code de la sécurité intérieure, l'identification de la ou des personnes concernées et le recueil des données y afférentes. Les données sont exploitées dans un délai de soixante jours à compter de leur recueil et sont détruites à l'expiration de ce délai.
Avant l'expiration du même délai de soixante jours, dès lors qu'elles sont de nature à caractériser la commission d'une infraction mentionnée à l'article 706-73 du code de procédure pénale, les données sont transmises au procureur général territorialement compétent ou, si les caractéristiques de l'infraction entrent dans le champ d'application de l'article 706-74-1 du même code, au procureur de la République national anti-criminalité organisée. Dans un tel cas, les données recueillies ne peuvent fonder aucune décision individuelle ni aucun acte de poursuite.
Les données qui n'ont pas été détectées par les traitements comme étant susceptibles de révéler une menace sont détruites immédiatement.
V. – Un service du Premier ministre est seul habilité à exécuter les traitements et opérations mis en œuvre sur le fondement des I et IV du présent article, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
VI. – L'expérimentation fait l'objet de rapports d'évaluation transmis par le Gouvernement au Parlement dans les délais suivants :
1° Douze mois à compter de l'émission de l'avis mentionné au II ;
2° Trois mois avant le terme de l'expérimentation.
Ces rapports évaluent la pertinence des paramètres de conception utilisés dans le cadre des traitements prévus au I ; ils analysent leur efficacité pour détecter des menaces ou des infractions liées à la délinquance et à la criminalité organisées et donnent le sens des avis rendus par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Des versions transmises à la délégation parlementaire au renseignement font état du volume de données traitées et du nombre d'identifiants signalés par les traitements automatisés ainsi que du nombre de transmissions à l'autorité judiciaire dans les conditions prévues par le deuxième alinéa du IV et du détail des infractions pénales ayant justifié ces transmissions.
Les rapports d'évaluation comprennent une partie, établie par les services du ministère de la justice, sur l'utilité du dispositif en matière de réponse pénale apportée aux infractions mentionnées au même deuxième alinéa.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, sur l'article.
Mme Corinne Narassiguin. Je souhaite intervenir dès à présent, car l'adoption probable du premier amendement du Gouvernement à cet article va largement en modifier la rédaction, au risque de rendre sans objet les amendements suivants.
Cet article vise à expérimenter pendant deux ans le recours à la technique du renseignement algorithmique pour la détection des menaces liées à la délinquance et à la criminalité organisées.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain tient à exprimer plusieurs réserves, eu égard à l'atteinte significative à la vie privée qu'implique la prolongation de cette expérimentation et, surtout, à l'opacité qui entoure ce dispositif.
L'amendement du Gouvernement tend à supprimer les garde-fous qui avaient été mis en place par les rapporteurs, en particulier l'obligation de transmission de l'avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Ses dispositions nous posent donc problème.
S'agissant de la philosophie qui sous-tend la technique des algorithmes, nous regrettons l'absence d'étude d'impact, qui s'explique par la nature du texte, une proposition de loi.
Surtout, nous déplorons l'absence totale d'information sur le rapport du Gouvernement relatif aux algorithmes, qui a été remis au Parlement en 2024 et dont seuls les huit parlementaires membres de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) ont pu prendre connaissance.
Mme la présidente. L'amendement n° 219, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le premier alinéa du I de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Les références : « 2° et 4° » sont remplacées par les références : « 2°, 4° et 6° » ;
2° Les mots : « ou des menaces terroristes » sont remplacés par les mots « , terroristes ou relatives à la criminalité et à la délinquance organisées ».
II. – Le II de l'article 6 de la loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, la date : « 1er juillet 2028 » est remplacée par la date : « 31 décembre 2028 » ;
2° Le 1° est ainsi modifié :
a) Au a, les références : « 2° et 4° » sont remplacées par les références : « 2°, 4° et 6° » ;
b) Au b, les mots : « ou des menaces terroristes » sont remplacés par les mots : « , terroristes ou relatives à la criminalité et la délinquance organisées ».
III. – Le Gouvernement remet dans les conditions prévues au III de l'article 6 de la loi du 25 juillet 2024 susmentionnée au Parlement un rapport sur l'application du présent article s'agissant de la finalité relative à la criminalité et à la délinquance organisées prévue aux I et II au plus tard deux ans avant la date mentionnée au II.
Au plus tard six mois avant la date mentionnée au même II, dans les mêmes conditions susmentionnées, un rapport présentant le bilan de l'application du présent article s'agissant de la finalité relative à la criminalité et à la délinquance organisées prévue aux I et II est transmis au Parlement.
Ces rapports évaluent notamment la pertinence des paramètres de conception utilisés dans le cadre des traitements et analysent leur efficacité pour détecter des menaces ou des infractions liées à la délinquance et à la criminalité organisées. Ils donnent le sens des avis rendus par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Des versions transmises à la délégation parlementaire au renseignement comportent des exemples de mise en œuvre des algorithmes et font état du volume de données traitées, du nombre d'identifiants signalés par les traitements automatisés ainsi que du nombre de transmissions à l'autorité judiciaire.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Vous avez raison, madame Narassiguin, les dispositions de cet amendement revêtent une importance capitale. N'oublions pas que nous luttons contre un phénomène planétaire d'ultraviolence qui est en train de gangrener notre pays, notre jeunesse et même au-delà.
Nos forces de sécurité intérieure ont besoin d'avoir recours à cette technique algorithmique, à l'instar de la plupart des pays occidentaux.
Il ne s'agit pas d'une nouveauté : nous avons déjà autorisé ce dispositif à titre expérimental au moment des attentats de 2015. Quelques années plus tard, nous l'avons pérennisé, toujours dans le cadre de la lutte antiterroriste. Très récemment, en juillet dernier, nous l'avons étendu à d'autres finalités que le seul terrorisme : la lutte contre les ingérences étrangères et la défense nationale.
Nous vous demandons aujourd'hui de franchir une nouvelle étape en permettant l'utilisation de cette technique dans un autre but que la lutte contre le terrorisme, les ingérences étrangères ou la défense nationale : la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées. C'est fondamental !
Par ailleurs, l'inscription de la mesure dans le livre VIII du code de la sécurité intérieure, comme le prévoit la rédaction initiale de cet article, nous pose problème, car nous souhaitons non pas créer un corpus spécifique, mais bien inscrire cette nouvelle technique et les règles qui président à son usage dans le cadre général que nous avons façonné au fil de la longue évolution que je viens de retracer devant vous.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Nous avons entendu le plaidoyer de M. Retailleau sur cette expérimentation du renseignement algorithmique.
Il est vrai que le sujet est très lourd, car cette technique est potentiellement très intrusive. Cependant, rattacher le dispositif que nous avions proposé au cadre plus global de l'expérimentation en cours nous paraît assez sage, du point de vue tant de la lisibilité pour les juristes que de l'opérationnalité pour les services.
L'esprit de la mesure est préservé et les prérogatives de contrôle du Parlement respectées : deux rapports exhaustifs seront remis au Parlement, ainsi qu'à la DPR, avant la date butoir de l'expérimentation, fixée à la fin de l'année 2028.
Ce dispositif, qui était d'ailleurs demandé par la commission d'enquête dans ses recommandations, nous paraît équilibré.
La commission émet donc un avis favorable.
Mme la présidente. En conséquence, l'article 8 est ainsi rédigé, et les amendements nos 160, 133 et 72 rectifié n'ont plus d'objet.
Après l'article 8
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 70 rectifié ter est présenté par M. Perrin, Mme Dumas, MM. Allizard, Karoutchi et Gremillet, Mmes Estrosi Sassone et Canayer, MM. Mouiller, Paul, Rapin, Cambon, Bouchet, Genet, Rietmann et Brisson, Mme Evren, MM. Khalifé et Sautarel, Mmes N. Goulet, V. Boyer et Belrhiti, MM. J.P. Vogel, Burgoa, Laugier et Levi, Mme Dumont, MM. H. Leroy, Grosperrin, Longeot, Chaize et P. Vidal, Mmes Lavarde, Micouleau et M. Mercier, MM. Naturel et Reynaud, Mme Gosselin, M. Panunzi, Mmes Saint-Pé et Billon, MM. Milon, Courtial et Henno, Mmes Malet et Aeschlimann, MM. D. Laurent, Piednoir et Maurey, Mme Eustache-Brinio, M. C. Vial, Mme Lassarade, MM. Pernot, Reichardt, Saury, Kern et Haye, Mme Romagny, M. Cambier, Mmes Bellurot et Gruny, MM. Bruyen et Dhersin, Mmes Ventalon, Berthet, Josende, Guidez et Bellamy, MM. Mandelli et Sido, Mme Imbert, MM. Michallet, Bleunven, Chauvet et Meignen, Mmes Pluchet et Perrot, M. Dumoulin, Mme Joseph, MM. Belin, L. Hervé et Gueret et Mmes Bonfanti-Dossat et Borchio Fontimp.
L'amendement n° 241 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Au II de l'article 13 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, la date : « 31 juillet 2025 » est remplacée par la date : « 31 décembre 2028 ».
II. – Au premier alinéa du III de l'article L. 852-3 du code de la sécurité intérieure, les mots : « et des informations ou documents recueillis » sont supprimés.
La parole est à M. Cédric Perrin, pour présenter l'amendement n° 70 rectifié ter.
M. Cédric Perrin. Le texte de la commission prévoit un mécanisme et un délai de judiciarisation dès lors que le renseignement recueilli par la technique de l'algorithme est de nature à caractériser la commission d'une infraction.
Si la judiciarisation peut constituer un objectif, le caractère obligatoire de la transmission au parquet risque d'interrompre l'action préalable des services de renseignement.
Aussi cet amendement vise-t-il à supprimer ce caractère obligatoire, dans le respect du principe de séparation des moyens des services de renseignement et des services judiciaires.
Une telle modification ne remettrait aucunement en cause la transmission au parquet des renseignements en fin d'enquête administrative.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État, pour présenter l'amendement n° 241.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ces amendements visent à prolonger de trois ans une expérimentation déjà existante, relative aux interceptions satellitaires, qui, à vrai dire, n'a pu être tout à fait mise en œuvre, mais qui semble assez prometteuse. J'en dis autant que je le peux à propos d'éléments qui ne sont pas tous publics – ceux que je viens d'évoquer le sont néanmoins.
L'expérimentation est déjà en cours ; il s'agit d'une prolongation et non d'une pérennisation. Le dossier est suivi de très près par la DPR, et je propose que nous acceptions cette proposition, car les interceptions satellitaires sont utiles dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic.
En outre, nous connaissons déjà ce régime expérimental. Il me semble donc que nous pouvons suivre le Gouvernement.
La commission émet donc un avis favorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Il est tout de même difficile d'approuver une telle mesure sans disposer d'aucune information sur l'expérimentation en cours, ses résultats et les contrôles qui seraient éventuellement nécessaires !
Il est pour le moins étrange de nous proposer de prolonger une expérimentation en nous demandant de faire confiance à son fonctionnement, sans nous fournir le moindre élément. Une telle démarche ne témoigne pas d'un grand respect envers notre assemblée.
C'est pourquoi nous voterons contre cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Une certaine expérience m'a appris qu'il existe des expérimentations dont le résultat doit être évalué, mais qui sont pérennisées avant même qu'une telle évaluation ne soit mise en œuvre…
Représentant le Sénat, j'avais mené avec Mme Agnès Canayer un travail de cet ordre, qui avait démontré que les objectifs d'une expérimentation n'avaient pas été atteints ; entre-temps, pourtant, celle-ci avait été pérennisée.
L'expérimentation dont nous parlons aujourd'hui n'est pas terminée : elle est toujours en cours. Par ailleurs, si elle semble prometteuse, de quels éléments concrets disposons-nous aujourd'hui pour en connaître précisément les résultats ?
Nous ne souhaitons pas la faire cesser. Nous soutenons simplement qu'il convient d'attendre qu'elle parvienne à son terme pour l'évaluer objectivement, avant de décider soit de la prolonger soit de la pérenniser.
Je ne distingue pas aujourd'hui d'argumentaire qui permettrait de justifier sa prolongation, alors même qu'elle n'est pas terminée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous sommes ici en présence d'une attitude classique des services de renseignement, relayée, de toute évidence, par le Gouvernement : dès lors qu'une technique est mise à leur disposition, à titre expérimental ou pour quelque autre raison, ces services souhaitent en profiter et la conserver, alors même que nous ne disposons d'aucune visibilité sur son utilisation.
Lorsque nous avions décidé de valider l'idée d'une expérimentation, nous avions été rassurés par les propos de Mme le rapporteur, qui nous avait affirmé alors qu'il ne s'agissait pas d'une pérennisation. C'était en 2021 ! Nous avons donc tout de même un certain recul. Pour autant, je n'ai pas entendu Mme le rapporteur nous dire ce soir quoi que ce soit quant à la pertinence du dispositif mis en œuvre.
Autoriser à l'aveugle la prolongation de cette expérimentation pour trois années supplémentaires ne me semble pas raisonnable. Il serait pertinent que le Gouvernement fournisse des éléments d'évaluation de son utilité durant les trois années écoulées lorsque le texte sera examiné à l'Assemblée nationale, afin de convaincre les députés de soutenir cette prolongation.
À défaut, il est inutile de nous bercer d'illusions : lorsque nous votons des expérimentations, il ne s'agit pas réellement de cela, mais bien de l'installation d'une technique de renseignement à laquelle les services n'accepteront jamais de renoncer.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin, pour explication de vote.
M. Cédric Perrin. Mes chers collègues, je vous appelle à faire confiance aux huit sénateurs et députés que vous avez désignés ou qui siègent au sein de la DPR.
Mme Gisèle Jourda, qui n'est pas présente aujourd'hui, connaît parfaitement ce sujet. Sans entrer davantage dans les détails, je tiens à souligner qu'il s'agit d'un élément absolument capital. Il est important que nous puissions poursuivre cette expérimentation, laquelle n'a pas encore donné suffisamment de résultats.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela fait quatre ans !
M. Cédric Perrin. La DPR a reçu samedi dernier, de la part du Gouvernement et de la CNCTR, un rapport sur la première phase de l'expérimentation.
J'insiste donc lourdement sur le fait qu'il est impératif de poursuivre cette expérimentation, et je vous appelle à faire confiance aux membres de la DPR à cet égard.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 70 rectifié ter et 241.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 8.
L'amendement n° 73 rectifié ter, présenté par M. Perrin, Mme Dumas, MM. Allizard, Karoutchi et Gremillet, Mme Estrosi Sassone, MM. Rapin, Mouiller, Cambon, Rietmann, Brisson et Courtial, Mme Billon, M. Henno, Mme Malet, M. D. Laurent, Mme Evren, MM. Khalifé et Sautarel, Mmes N. Goulet et Belrhiti, MM. J.M. Boyer, J.-P. Vogel, Burgoa, Laugier, Levi et Paul, Mme Dumont, MM. H. Leroy, Grosperrin, Longeot, Chaize et P. Vidal, Mmes Lavarde, Micouleau et M. Mercier, MM. Naturel et Reynaud, Mme Gosselin, M. Panunzi, Mme Aeschlimann, MM. Piednoir et Maurey, Mme Eustache-Brinio, M. C. Vial, Mme Lassarade, MM. Pernot, Reichardt, Saury, Kern, Haye et Dhersin, Mmes Garnier, Berthet, Josende, Guidez et Bellamy, MM. Mandelli et Sido, Mme Imbert, MM. Michallet, Bouchet et Genet, Mme Romagny, M. Cambier, Mmes Bellurot et Gruny, MM. Bruyen, Bleunven, Chauvet et Meignen, Mmes Pluchet et Perrot, M. Dumoulin, Mmes Joseph et Bonfanti-Dossat, M. Gueret, Mme Borchio Fontimp, M. Belin et Mme Canayer, est ainsi libellé :
Après l'article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié
1° L'article L. 871-1 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
i) La première phrase est ainsi modifiée :
– Le mot : « remettre » est remplacé par le mot : « prendre » ;
– La quatrième occurrence du mot : « de » est remplacée par les mots : « n'excédant pas » ;
– Après les mots : « soixante-douze heures », sont insérés les mots : « les mesures techniques nécessaires afin de permettre » ;
– Les mots : « dans les conditions prévues à l'article L. 821-4, sur leur demande, les conventions permettant le déchiffrement des données transformées au moyen des prestations qu'elles ont fournies. » sont remplacés par les mots : « d'accéder au contenu intelligible des seules informations, documents, données ou renseignements dont la collecte a fait l'objet d'une autorisation préalable de mise en œuvre de techniques de recueil de renseignement mentionnées aux articles L. 851-1 à L. 851-4, L. 851-6, L. 852-1, L. 852-3 et L. 853-2. » ;
ii) La seconde phrase est supprimée ;
b) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Elles ne peuvent exciper d'arguments contractuels ou techniques qui y feraient obstacle. » ;
2° L'article L. 871-3 est abrogé ;
3° L'article L. 871-4 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « de communications électroniques mentionnés à l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi que les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique » sont remplacés par les mots : « et personnes mentionnées à l'article L. 851-1 » ;
b) Au second alinéa, les mots : « ces opérations » sont remplacés par les mots : « cette mise en œuvre ».
4° L'article L. 871-5 est abrogé.
5° L'article L. 871-6 est ainsi modifié :
a) Après la première occurrence du mot : « Les », sont insérés les mots : « opérateurs et personnes mentionnés à l'article L. 851-1 procèdent aux » ;
b) Les mots : « dans les locaux et installations des services ou organismes placés sous l'autorité ou la tutelle du ministre chargé des communications électroniques ou des exploitants de réseaux ou fournisseurs de services de communications électroniques ne peuvent être effectuées que sur » sont remplacés par le mot : « . Sur » ;
c) La seconde occurrence du mot : « par » est remplacée par les mots : « , les opérateurs et personnes mentionnés à l'article L. 851-1 fournissent dans les meilleurs délais les informations, documents, données ou renseignements requis. Si l'ordre le prévoit, son exécution est confiée à » ;
d) Les mots : « services, organismes, exploitants ou fournisseurs » sont remplacés par les mots : « opérateurs ou personnes » ;
e) Sont ajoutés les mots : « et dans le respect du secret de la défense nationale » ;
6° À l'article L. 871-7, les mots : « à la mise en œuvre des techniques de recueil de renseignement mentionnées aux articles L. 851-1, L. 851-2 à L. 851-4, L. 851-6, L. 852-1 et L. 853-2 » sont remplacés par les mots : « aux obligations prévues par l'article L. 871-6 » ;
7° À l'article L. 881-1, les mots : « , 226-14 » sont supprimés ;
8° L'article L. 881-2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « au premier alinéa de l'article L. 871-1 et à l'article L. 871-4 » sont remplacés par les mots : « aux articles L. 871-1, L. 871-2, L. 871-4 et L. 871-6 » ;
b) Le second alinéa est ainsi rédigé :
« Lorsque ces infractions sont commises à titre habituel, elles sont punies d'une amende de 1 500 000 euros. Pour les personnes morales, cette amende peut être portée à 2 % du chiffre d'affaires mondial moyen annuel hors taxes, calculé sur les trois derniers exercices annuels connus à la date des faits. ».
II. – Le code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° L'article L. 33-1 est ainsi modifié :
a) Le e du I est ainsi modifié :
i) La première occurrence du mot : « et » est remplacée par le mot : « , » ;
ii) Après la première occurrence des mots : « la sécurité publique », sont insérés les mots : « et la protection des intérêts fondamentaux de la Nation » ;
iii) Après la seconde occurrence des mots : « la sécurité publique », sont insérés les mots : « ou de la protection des intérêts fondamentaux de la Nation » ;
b) Au 1° du VII :
i) Après les mots : « Wallis et Futuna », sont insérés les mots : « , dans les Terres australes et antarctiques françaises » ;
ii) Sont ajoutés les mots : « et de la loi n° XXXX du xxx » ;
2° Après l'article L. 34-17, est ajoutée une section ... ainsi rédigée :
« Section ...
« Des prescriptions exigées par l'ordre public, la défense nationale, la sécurité publique ou la protection des intérêts fondamentaux de la Nation
« Art. L. 34-18. – I. - Aux fins de respecter les prescriptions mentionnées au e) du I de l'article L. 33-1, les opérateurs et les personnes mentionnées au 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique mettent en place ou assurent la mise en œuvre des moyens nécessaires pour exécuter, s'il y a lieu, dans le respect du secret de la défense nationale, les techniques d'enquête numérique judiciaires autorisées en application des dispositions de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale et des sections 5 et 6 du chapitre II du titre XXV du livre IV du même code, ainsi que les techniques de recueil de renseignement et demandes formulées en application du livre VIII du code de la sécurité intérieure.
« Ils se mettent à même de répondre aux réquisitions des agents autorisés et des autorités judiciaires compétentes, sans pouvoir exciper d'arguments contractuels ou techniques qui y feraient obstacle.
« II. - Ces moyens sont mis en place et mis en œuvre dans les conditions suivantes :
« – Ils sont mis en place et mis en œuvre depuis le territoire national ;
« – Les données produites par les systèmes utilisés sont chiffrées par un moyen validé par l'État lorsque ces données doivent transiter par voie électronique en dehors du territoire national ;
« – Seuls des agents spécialement désignés et qualifiés des personnes mentionnées au I du présent article ou des agents désignés par l'autorité administrative peuvent mettre en place et assurer la mise en œuvre de ces moyens et accéder aux données qu'ils traitent.
« III. - Les garanties de la juste rémunération prévue au e) du I de l'article L. 33-1, sont définies par décret en Conseil d'État.
« IV. - À titre exceptionnel, le ministre chargé des communications électroniques peut, après avoir recueilli l'avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, autoriser un opérateur ou une personne mentionnée au 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique à déroger aux obligations prévues au II du présent article lorsque les coûts à exposer pour satisfaire à ces conditions sont disproportionnés au regard du nombre de demandes adressées à cet opérateur ou à la personne mentionnée au 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.
« Art. L. 34-19. – Dans le cadre des attributions qui lui sont conférées par le présent livre, le ministre chargé des communications électroniques veille notamment à ce que les opérateurs prennent les mesures nécessaires pour assurer l'application, s'il y a lieu, dans le respect du secret de la défense nationale, des dispositions du livre VIII du code de la sécurité intérieure, de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale relatives aux interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications ordonnées par l'autorité judiciaire et des sections 5 et 6 du chapitre II du titre XXV du livre IV du même code.
« Art. L. 34-20. – En cas de méconnaissance des dispositions prévues à l'article L. 34-18, le Premier ministre peut mettre en demeure les personnes morales défaillantes mentionnées audit article de se mettre en conformité avec leurs obligations dans un délai qu'il fixe et qui ne peut être inférieur à quinze jours.
« En cas de méconnaissance des termes de cette mise en demeure, le Premier ministre peut fixer un nouveau délai en l'assortissant d'une astreinte dont le montant ne peut excéder 50 000 euros par jour de retard.
« S'il constate que la procédure mentionnée au précédent aliéna n'a pas abouti à la mise en conformité exigée, le Premier ministre peut :
« 1° lorsque la personne en cause est un opérateur de communications électroniques, prendre une décision à effet immédiat de suspension totale ou partielle du droit d'établir un réseau de communications électroniques ou de fournir un service de communications électroniques sur le territoire national pour une durée d'un mois au plus ;
« 2° lorsque la personne en cause est l'une des personnes mentionnées au 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, prendre une décision à effet immédiat de suspension totale ou partielle de son activité sur le territoire national, pour une durée d'un mois au plus.
« La décision du Premier ministre est prise après que l'opérateur ou la personne mentionnée au 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique a été mis en capacité de présenter des observations dans un délai minimal de quinze jours.
« Le Premier ministre peut renouveler les décisions mentionnées aux quatrième et cinquième alinéas si, au terme du délai d'un mois, la personne concernée refuse de se mettre en conformité avec les dispositions prévues à l'article L. 34-18. Il peut l'assortir d'une astreinte dont le montant ne peut excéder 50 000 euros par jour de retard.
« En cas d'urgence, de circonstances exceptionnelles ou d'atteinte imminente à la sécurité nationale, le Premier ministre peut prendre les décisions mentionnées aux quatrième et cinquième alinéas sans qu'aient été préalablement prononcées les mises en demeure mentionnées aux premier et deuxième alinéas. Les conditions d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'État.
« Art. L. 34-21. – Les exigences essentielles définies au 12° de l'article L. 32 et le secret des correspondances mentionné à l'article L. 32-3 ne sont opposables ni aux juridictions compétentes pour ordonner des interceptions en application de l'article 100 du code de procédure pénale, ni au ministre chargé des communications électroniques dans l'exercice des prérogatives qui leur sont dévolues par le présent livre VIII du code de la sécurité intérieure.
« Art. L. 34-22. – Les dispositions de la présente section sont applicables en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, dans les Terres australes et antarctiques françaises et en Nouvelle-Calédonie. »
La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Les dispositions de cet amendement revêtent, de mon point de vue, une importance capitale. Je n'ignore pas qu'elles sont contestées, mais il faut avoir à l'esprit que les réseaux de narcotrafiquants, les groupes terroristes et, au-delà, toutes les organisations criminelles tirent profit de la généralisation des messageries chiffrées et des difficultés qu'éprouvent les services de renseignement à accéder aux informations échangées sur ces plateformes.
Cet amendement tend à instaurer pour ces dernières une obligation de mettre en œuvre les mesures techniques nécessaires, afin de permettre aux services de renseignement d'accéder au contenu intelligible des correspondances et des données qui y transitent.
Cet accès serait limité aux seules correspondances et données ayant fait l'objet d'une autorisation spécifique de mise en œuvre des techniques de recueil de renseignements, après avis de la CNCTR.
Afin de garantir le respect de ces exigences de coopération, il est proposé de renforcer les sanctions pénales applicables aux personnes physiques et morales qui refuseraient de s'acquitter de leur obligation.
Les personnes physiques commettant ces infractions de manière habituelle encourraient ainsi une amende de 1,5 million d'euros ; quant aux personnes morales se trouvant dans la même situation, elles s'exposeraient à une amende pouvant atteindre 2 % de leur chiffre d'affaires mondial annuel hors taxes. Je rappelle que, en Grande-Bretagne, le montant de l'amende prévu dans les mêmes circonstances atteint 10 % du chiffre d'affaires.
Par ailleurs, je ne vois pas en quoi on pourrait établir une différence entre ce qui est fait aujourd'hui avec les SMS et les mails et ce qui serait fait demain avec WhatsApp, Signal, Telegram ou d'autres applications.
Actuellement, une grande partie, voire la totalité, des délinquants utilisent WhatsApp, Signal et Telegram, précisément pour se soustraire à la possibilité, pour la justice et la police, de contrôler leurs échanges.
Cette mesure constituerait donc, à mon sens, un élément essentiel de ce qui pourrait être mis en œuvre pour renforcer notre arsenal et un atout considérable pour lutter à armes égales. Ne pas l'adopter reviendrait à laisser les policiers se battre avec un pistolet à billes contre des individus équipés de bazookas !
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Notre collègue Cédric Perrin a raison : les technologies ont permis aux narcotrafiquants d'utiliser d'autres outils que leur simple téléphone.
Partant de là, il faut effectivement aller sur le terrain des interceptions satellitaires. Nous avons procédé à des auditions et une expérimentation est menée.
Se pose ensuite la question des messageries cryptées. La force de notre commission d'enquête résidait dans son caractère transpartisan et dans la recherche permanente d'un équilibre entre le besoin de sécurité et les garanties apportées aux libertés publiques.
Il est par ailleurs surprenant qu'un amendement d'une telle portée soit proposé par la voie parlementaire et non par le Gouvernement. Ses conséquences sont si lourdes, qu'il eût été assez naturel que le Gouvernement le présente lui-même.
Or aucune audition n'a été menée ; aucune étude d'impact n'a été réalisée. Il s'agit d'une technique extrêmement invasive, d'une porte dérobée que l'on nous propose d'ouvrir, sans savoir qui, finalement, l'empruntera à terme. Les risques nous semblent tout de même très importants.
La commission n'a pas mégoté son soutien à de nouvelles techniques spéciales d'enquête, aux interceptions satellitaires, à tout ce qui a été peu ou prou validé, à tout ce qui a été plus ou moins testé, à tout ce qui nous est apparu raisonnable.
En revanche, je trouve, mon cher collègue, votre amendement très ambitieux, sans doute même gourmand, et ses dispositions me semblent soulever des questions quant à l'équilibre du texte. Nous avons intérêt à donner de l'élan à notre démarche et à réaffirmer que le Sénat a travaillé dans l'esprit de la chambre des libertés qu'il est.
J'ai examiné la liste des signataires de l'amendement et je comprends bien leur position. Mais, pour les raisons que j'ai évoquées, la commission demande son retrait ; à défaut, son avis serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. J'ai écouté tant le président Perrin que le rapporteur.
Chaque fois que nous sommes confrontés à des menaces – souvenez-vous de ce qu'il en fut pour le terrorisme ou pour la covid –, la beauté du travail parlementaire réside dans la capacité à trouver le juste équilibre entre, d'un côté, la défense des libertés publiques, et, de l'autre, la lutte contre la menace qui pèse sur nous. Il convient de respecter une proportionnalité et d'apporter une forme de réponse ajustée.
Or, actuellement, le code de la sécurité intérieure exige des opérateurs qu'ils fournissent les moyens du décryptage, mais pas les résultats.
Vous souvenez-vous de ce que la gendarmerie nationale a pu réaliser avec EncroChat ? Elle a réussi, ce qui a été salué et utilisé par le monde entier, à casser le chiffrement d'une messagerie cryptée qui permettait aux criminels et aux trafiquants de communiquer dans le monde entier tout en se cachant. C'est à cette occasion que nous avons découvert des crimes extraordinairement violents, des salles de torture et des pratiques barbares que nous imaginions à peine.
Aujourd'hui, nous n'avons plus affaire à des enfants de chœur ! Ces gens-là se cachent derrière le chiffrement et la technique, et il faut que les opérateurs puissent, en cas de réquisition, donner les clés qui nous permettent de comprendre.
Pensez-vous un seul instant que les policiers et les gendarmes s'amusent à décrypter des conversations privées pour le plaisir ? Ils le font pour des enquêtes, c'est-à-dire dans un cadre très déterminé, avec des moyens proportionnés à la finalité.
N'oublions pas que la lutte contre la criminalité planétaire est un enjeu fondamental pour nos sociétés.
Je résume l'idée qui sous-tend cet amendement : les opérateurs doivent pouvoir donner aux services d'enquête les clés de chiffrement sans opposer de clauses contractuelles. C'est ce qu'ils font aujourd'hui, paralysant l'action des forces de sécurité intérieure.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. J'aimerais bien pouvoir vous expliquer mon vote, mes chers collègues, mais, même si nous savons tous ici que le droit est parfois complexe, le débat auquel nous sommes en train d'assister sur cet amendement, comme sur le précédent d'ailleurs, est pour moi quelque peu crypté, si vous me permettez ce jeu de mots osé. (Sourires.)
J'ai l'impression que le président Perrin, le rapporteur Durain et le ministre Retailleau se comprennent tous à mots couverts, mais ce n'est pas tout à fait notre cas…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vraiment ?
Mme Audrey Linkenheld. Disons que je parle pour moi. Madame de La Gontrie, si vous comprenez mieux, je vous laisserai m'expliquer tout à l'heure ! (Sourires.)
J'ai essayé de lire les quatre pages de l'amendement, mais je dois reconnaître que, malgré mes efforts, je n'ai pas compris grand-chose.
Avant de décider de mon vote, je vais donc m'en tenir à une question portant sur l'exposé des motifs, qui sert finalement à dire de manière quelque peu vulgarisée ce que les amendements présentent de manière plus juridique : qui est la personne physique ou morale donnant l'autorisation spécifique, après avis de la CNCTR, de mise en œuvre des techniques de renseignement dont il est question dans cet amendement ? En d'autres termes, est-ce une autorité politique, technique, judiciaire ou administrative ?
La représentation nationale doit être éclairée pour pouvoir s'exprimer en toute conscience.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin, pour explication de vote.
M. Cédric Perrin. De mon point de vue, il n'y a aucune différence entre ce dispositif et celui qui s'applique aujourd'hui pour les SMS ou les mails,…
M. Cédric Perrin. … sauf que ceux-ci ne sont ni cryptés ni chiffrés. Pour contrôler WhatsApp, Signal, Telegram ou d'autres applications chiffrées, il faut avoir les clés.
Aujourd'hui, ma chère collègue, la surveillance est assurée par le groupement interministériel de contrôle (GIC), l'autorisation étant délivrée par le Premier ministre après avis de la CNCTR, qui opère un contrôle ferme et clair sur la demande initiale. Aucun contrôle ne peut être réalisé sans l'intervention du Premier ministre, du GIC et de la CNCT.
Je ne vois pas pourquoi il y aurait une différence de traitement entre les opérateurs de téléphonie, les fournisseurs d'accès à des emails et les opérateurs de messageries cryptées.
La question est de savoir si nous voulons réellement lutter de manière efficace contre le narcotrafic et les bandes organisées, qui ont bien compris que, si elles veulent éviter d'être mises en échec, elles n'ont qu'à utiliser ces messageries cryptées.
Pour moi, je le répète, il n'y a pas de différence majeure du point de vue des libertés publiques avec ce que nous faisons déjà aujourd'hui. Je veux bien entendre les arguments du rapporteur, qui met en avant le besoin d'équilibre et de mesure dans nos décisions, mais, très objectivement, pour avoir présidé la délégation parlementaire au renseignement (DPR) pendant un an, je puis vous assurer que la procédure, qui fait intervenir le Premier ministre, le GIC et la CNCTR, permet d'assurer un contrôle efficace.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Pour répondre à Mme la sénatrice Linkenheld, qui a besoin d'éclaircissements sur les parties judiciaire et administrative, je comprends, à la lecture de l'amendement du sénateur Perrin, qu'il vise les deux aspects.
Permettez-moi de faire le parallèle avec la lutte contre le terrorisme. Aujourd'hui, pour récupérer des informations sur des messageries cryptées – Telegram, WhatsApp, Signal ou autres –, que ce soit en administratif ou en judiciaire, les services judiciaires ou de renseignement – direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), service national de renseignement pénitentiaire (SNRP) –, sont obligés de faire de la captation à distance, c'est-à-dire qu'ils prennent possession du téléphone à distance.
Il y a des officines privées qui le font. Je vous rappelle à cet égard les problèmes rencontrés avec des sociétés israéliennes.
Cependant, pour avoir été au conseil de défense et de sécurité nationale pendant plusieurs années, je puis témoigner que le Président de la République a toujours refusé les solutions étrangères, notamment israéliennes, et a préféré développer des solutions françaises, internes à l'État. J'y insiste, nous ne sous-traitons pas ces espionnages administratifs ou judiciaires, et nous sommes parmi les seuls pays dans ce cas.
Ce que dit le sénateur Perrin me paraît extrêmement intéressant, même si j'entends les préoccupations de la commission. Nous pourrions peut-être profiter de la navette pour saisir le Conseil d'État de ces questions, avant de reprendre le débat devant l'Assemblée nationale.
Personne ne conteste que nous sommes devant un problème de libertés publiques, mais pour réaliser des écoutes téléphoniques classiques, si j'ose dire, nous devons pouvoir profiter de portes dérobées nous permettant d'entrer dans les messageries cryptées. Il faut donc forcer les opérateurs à ces plateformes de nous en ouvrir l'accès.
C'est très compliqué pour ces plateformes, car leur raison d'être repose justement sur la confidentialité, mais le parallèle avec la lutte contre le terrorisme, que le ministre de l'intérieur et moi-même faisons, est évident. Il s'agit d'adopter les mêmes techniques, qui ont fait leurs preuves.
Aussi, comme Bruno Retailleau, je soutiens la proposition du sénateur Perrin, tout en étant attentif, évidemment, aux effets de bord éventuels.
En conclusion, madame la sénatrice, pour avoir pendant longtemps eu à connaître d'écoutes administratives, je puis vous assurer que tout est extrêmement encadré. La CNCTR en refuse même beaucoup.
Mme Audrey Linkenheld. Qui les autorise in fine ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Si c'est administratif, l'autorité ministérielle – ministre de la justice pour le SNRP, ministre de l'intérieur pour la DGSI ou la direction nationale du renseignement territorial, le ministre des armées pour la DGSE – fait une demande. Ensuite, le cabinet du Premier ministre, après avis de la CNCTR, donne ou refuse l'autorisation.
Si c'est une écoute judiciaire, c'est le magistrat du siège. Par parenthèse, vous savez qu'il existe un débat sur les données de connexion entre les juges européens et le Conseil d'État. En tout état de cause, ces écoutes judiciaires sont subordonnées au respect des libertés publiques protégées par le bloc de constitutionnalité.
Objectivement, il y a peu de risques. Ces textes ont pour objet de lutter contre la criminalité organisée : il s'agit non pas d'écouter tout le monde, tout le temps, sur tous les sujets, mais de s'intéresser aux narcotrafiquants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous souhaitons pousser le parallèle avec le terrorisme jusqu'au bout – parquet spécialisé, chef de file, modalités de détention –, mais n'oublions pas que le terrorisme, cet ennemi terrible, tue moins en France que le narcotrafic, qui constitue aujourd'hui une menace concurrente. Nous devons donc avoir les mêmes moyens pour le combattre que pour lutter contre le terrorisme.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Je vais illustrer notre position de façon encore plus nette.
Nous sommes à l'aéroport du Bourget, en août 2024. Un ressortissant franco-russe, Pavel Durov, est arrêté. C'est le fondateur de la messagerie Telegram, à laquelle les autorités judiciaires françaises reprochent un manque de coopération dans une affaire de pédopornographie qu'elles instruisent. Par la suite, les enquêteurs ont disposé d'un certain nombre d'informations qui leur ont permis de démanteler un réseau de pédopornographie gigantesque.
Voilà ce à quoi ce dispositif va servir ! Il ne s'agit pas d'écouter des sénateurs ou des députés.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est toujours ce que l'on dit ! (Sourires.)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Comme l'a expliqué très clairement le garde des sceaux, il s'agit de disposer d'armes à la hauteur de la menace.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je m'en remets à vous pour décider du sort de cet amendement du président Perrin, dont l'adoption me semble essentielle pour donner de la puissance à nos forces de sécurité et à nos enquêteurs.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 8.
TITRE IV
RENFORCEMENT DE LA RÉPRESSION PÉNALE DU NARCOTRAFIC
Chapitre Ier
Mesures de droit pénal
Article 9
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° Le 14° du II de l'article 131-26-2 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
a bis) (nouveau) Après le mot : « code », sont insérés les mots : « ainsi que le délit d'appartenance à une organisation criminelle prévu à l'article 450-1-1 » ;
b) Les mots : « lorsqu'il a pour objet » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a pour objet la préparation d' » ;
2° Le titre V du livre IV est ainsi modifié :
aa) (nouveau) L'intitulé est complété par les mots : « et de l'appartenance à une organisation criminelle » ;
a) (Supprimé)
b) L'article 450-1 est ainsi modifié :
– après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'infraction préparée est un crime pour lequel la loi prévoit une peine de réclusion criminelle à perpétuité ou une répression aggravée en cas de commission en bande organisée, la participation à une association de malfaiteurs est punie de quinze ans de réclusion criminelle et de 225 000 euros d'amende. » ;
– au deuxième alinéa, après le mot : « crimes », sont insérés les mots : « autres que ceux mentionnés au deuxième alinéa » ;
c) (Supprimé)
d) (nouveau) Après l'article 450-1, il est inséré un article 450-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 450-1-1. – Constitue une organisation criminelle tout groupement ou toute entente prenant la forme d'une structure existant depuis un certain temps et formée en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, un ou plusieurs crimes et, le cas échéant, un ou plusieurs délits.
« Le fait pour toute personne de concourir sciemment et de façon fréquente ou importante au fonctionnement d'une organisation criminelle, indépendamment de la préparation d'une infraction particulière, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Ce concours est caractérisé par un ou plusieurs faits matériels démontrant que, directement ou indirectement, cette personne tient un rôle dans l'organisation de cette structure, fournit des prestations de toute nature au profit de ses membres, ou verse ou perçoit une rémunération à ou de ses membres. » ;
e) (nouveau) À l'article 450-2, après les mots : « l'article 450-1 », sont insérés les mots : « ou ayant commis l'infraction prévue à l'article 450-1-1 » ;
f) (nouveau) À l'article 450-3, les mots : « de l'infraction prévue par l'article 450-1 » sont remplacés par les mots : « des infractions prévues par les articles 450-1 et 450-1-1 » ;
g) (nouveau) À l'article 450-4, les mots : « de l'infraction définie à l'article 450-1 » sont remplacés par les mots : « des infractions définies aux articles 450-1 et 450-1-1 » ;
h) (nouveau) À l'article 450-5, les mots : « au deuxième alinéa » sont remplacés par les mots : « aux deuxième et troisième alinéas ».
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le 5° bis du I de l'article 28-1 est ainsi modifié :
a) Avant le mot : « délits », sont insérés les mots : « crimes ou » ;
b) (nouveau) Après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ainsi que l'infraction prévue à l'article 450-1-1 du même code » ;
c) (nouveau) Les mots : « lorsqu'ils ont » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a » ;
2° Le 4° de l'article 689-5 est ainsi modifié :
a) Au début, le mot : « Délit » est remplacé par les mots : « Crime ou délit » ;
b) (nouveau) Le mot : « prévu » est remplacé par le mot : « prévus » ;
c) (nouveau) Après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ou d'appartenance à une organisation criminelle prévu à l'article 450-1-1 du même code » ;
d) (nouveau) Les mots : « lorsqu'il a » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a » ;
3° L'article 706-34 est ainsi modifié :
a) Les mots : « le délit » sont remplacés par les mots : « les crimes ou délits » ;
b) (nouveau) Le mot : « prévu » est remplacé par le mot : « prévus » ;
c) (nouveau) Après les mots : « même code », sont insérés les mots : « et le délit d'appartenance à une organisation criminelle prévu par l'article 450-1-1 dudit code » ;
d) (nouveau) Les mots : « lorsqu'il a » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a » ;
4° Le 15° de l'article 706-73 et le 4° de l'article 706-73-1 sont ainsi modifiés :
a) Au début, le mot : « Délits » est remplacé par les mots : « Crimes ou délits » ;
b) (nouveau) Après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ou d'appartenance à une organisation criminelle prévu à l'article 450-1-1 du même code » ;
c) (nouveau) Les mots : « lorsqu'il a » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a » ;
4° bis (nouveau) Le 2° de l'article 706-74 est ainsi modifié :
a) Au début, après le mot : « Aux », sont insérés les mots : « crimes ou » ;
b) Les mots : « le deuxième alinéa » sont remplacés par les mots : « les deuxième et troisième alinéas » ;
5° Le 7° de l'article 706-167 est ainsi modifié :
a) Au début, les mots : « Le délit » sont remplacés par les mots : « Les crimes ou délits » ;
b) Le mot : « prévu » est remplacé par le mot : « prévus » ;
b bis) (nouveau) Après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ainsi que le délit d'appartenance à une organisation criminelle prévu par l'article 450-1-1 du même code » ;
c) Les mots : « lorsqu'il a » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a ».
Mme la présidente. L'amendement n° 222, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 5, 7, 14 à 19, 24, 25, 29, 30, 34, 35, 38, 39 et 46
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Nous venons de vivre un moment important, et je vous propose d'en vivre un autre, mesdames, messieurs les sénateurs. Il est peut-être un peu moins essentiel, mais ce sujet animera tout de même nos discussions tout au long de la navette, me semble-t-il.
Nous aimerions voir supprimée la nouvelle infraction, issue du rapport Durain-Blanc, qui figure à cet article. En effet, il s'agit d'incriminer la seule appartenance à une organisation criminelle, indépendamment de toute participation à l'organisation d'une activité délictueuse.
Aujourd'hui, d'après le rapport et l'exposé des motifs de la proposition de loi, les magistrats n'auraient pas les moyens de le faire. Les auteurs de la proposition de loi présentent cette mesure comme étant de bon sens.
Je vois là trois difficultés.
La première est d'ordre constitutionnel. Je pense à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Certes, nous pouvons attendre une décision du juge constitutionnel, mais je me dois de le rappeler dans l'intérêt de nos débats.
La deuxième tient à la difficulté que l'on éprouve, aux termes de votre texte, à définir ce que serait l'appartenance à une organisation criminelle. J'ai constaté, durant mes quatre ans et demi au ministère de l'intérieur et mes trente-six jours au ministère de la justice,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Seulement ? (Sourires.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Vous savez, madame de La Gontrie, c'est plus l'intensité d'une relation que sa longueur qui compte. (Nouveaux sourires.)
J'ai constaté, donc, que les organisations criminelles comme la DZ Mafia n'avaient pas de bulletins d'adhésion et de fichiers ! Seuls les groupes d'ultra-droite sont très organisés, et nous avons d'ailleurs pu récolter des informations très intéressantes lors de perquisitions. Le souci de l'ordre prévaut dans ces structures, ce qui aide bien les services. Cependant, les autres organisations criminelles n'organisent pas les choses de manière aussi évidente.
Il y a même des personnes qui se revendiquent, par exemple, de la DZ Mafia, dans les prisons ou ailleurs, soit pour faire les malins, soit pour bénéficier d'une protection, réelle ou supposée, soit pour faire peur.
Ce qui nous inquiète beaucoup avec cette infraction nouvelle, c'est qu'elle n'est pas du tout précise. Le garde des sceaux que je suis ne peut accepter ici, devant la Haute Assemblée et d'éminents parlementaires qui exercent ou ont exercé le noble métier d'avocat, la création d'une infraction avec aussi peu de précisions. Cela me paraît être en contradiction avec ce que nous souhaitons faire.
La troisième difficulté, enfin, tient à l'existence de l'association de malfaiteurs. Cette infraction implique, certes, que des délinquants se réunissent en vue de faire quelque chose de mal, ce qui la distingue de votre proposition. Cependant, tout ce qui relève de l'association de malfaiteurs – recel, blanchiment, organisation – correspond à ce que vise la nouvelle infraction que vous appelez de vos vœux.
Aussi, je vous propose, en bonne intelligence, de retirer ce dispositif du texte.
Je comprends votre intention novatrice, mais votre amendement n'est pas assez clair. Ses dispositions posent un problème d'ordre constitutionnel et pourraient brouiller l'application des règles relatives à l'association de malfaiteurs.
En effet, le magistrat ouvrant une information de ce chef demanderait aux enquêteurs de police ou de gendarmerie de prouver l'existence de l'organisation et un avocat suffisamment expérimenté aurait tôt fait d'obtenir l'annulation de la procédure, ce qui n'arriverait certainement pas si l'on poursuivait d'emblée pour association de malfaiteurs, une infraction bien plus solide pour les enquêteurs.
Je le répète, l'intention est bonne, mais ce dispositif n'a pas sa place dans ce texte. D'où cet amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, lorsque les auditions nous ont démontré qu'une de nos propositions n'était pas judicieuse, nous avons accepté de la voir supprimée, comme ce fut le cas tout à l'heure avec les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross).
Pour autant, en l'occurrence, je comprends mal votre position. Bien sûr, c'est une innovation que nous proposons, mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, si nous nous en tenons au statu quo, nous n'arriverons pas à vaincre les narcotrafiquants et la criminalité organisée.
C'est pourquoi nous tentons de mettre en œuvre de nouvelles dispositions. Sont-elles perfectibles ? Probablement, et c'est tout l'intérêt de la navette parlementaire, mais je ne suis pas totalement convaincue par les arguments que vous nous opposez.
Tout d'abord, c'est vrai, il existe déjà la participation à une association de malfaiteurs, qui, elle, sera caractérisée lorsque celui qui sera incriminé sur cette base aura préparé une infraction particulière. C'est la préparation du délit qui va permettre de caractériser la participation à une association de malfaiteurs.
Pour notre part, nous nous sommes librement inspirés de ce qui a été mis en œuvre pour lutter contre la mafia. Avec ce délit d'appartenance à une organisation criminelle, nous souhaitons pouvoir sanctionner quelqu'un qui a conscience de faire partie d'une organisation criminelle, quand bien même il ne préparerait aucune infraction déterminée.
C'est ce critère qui distingue les deux infractions, qui ne se confondent pas, et j'imagine qu'un magistrat saura parfaitement faire la différence entre l'existence d'une préparation à une infraction et le fait de faire sciemment partie d'une organisation criminelle.
Dès lors, comment définir une organisation criminelle ? De la même manière que l'on définit une bande organisée, une notion retenue dans un certain nombre d'articles du code pénal. Cela ne me paraît pas beaucoup plus complexe.
Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, nous avons tenu compte de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Je crois qu'il faut essayer d'aller plus loin que ce que notre droit permet, pour poursuivre des personnes qui ne participent pas clairement à la préparation d'une infraction, mais qui participent très clairement à une organisation criminelle, et qui le savent.
Soyons innovants si nous voulons gagner la lutte contre le narcotrafic. Je le répète, nous pourrons encore travailler à une amélioration de la rédaction, mais nous devons aller de l'avant à partir de notre proposition.
La commission demande donc le retrait de cet amendement de suppression, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je partage totalement les arguments de Muriel Jourda et de la commission des lois.
Cet article reprend le modèle italien, qui a donné des résultats et dont nous avons souvent parlé depuis le début de la discussion. Il permet notamment d'étendre la caractérisation de la participation à l'association de malfaiteurs à toute personne ayant commis une infraction connexe à une infraction préparée dans ce cadre.
Plusieurs acteurs de la chaîne pénale auditionnés par la commission d'enquête, notamment l'Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust), ont indiqué que l'infraction française d'association de malfaiteurs apparaissait insuffisante pour appréhender pleinement les agissements des narcotrafiquants, en particulier de ceux qui agissent en haut du spectre, compte tenu de leur capacité à s'impliquer dans le trafic de stupéfiants tout en en restant suffisamment éloignés pour éviter une mise en cause judiciaire.
Notre groupe salue et accompagne toute initiative susceptible de mettre en cause le haut du spectre du narcotrafic.
Il nous faut innover pour avancer. Si le cadre actuel était satisfaisant, nous aurions plus de résultats. La création de cette infraction est, à notre sens, de nature à améliorer les choses.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Je crois que nous allons suivre l'avis de la commission. En effet, les auditions nous ont fait comprendre en quoi cette innovation rendrait plus efficace notre lutte contre les narcotrafiquants du haut du spectre, comme l'a dit M. Benarroche.
Je m'interroge sur le sens de cet amendement du Gouvernement. Pourquoi ne serions-nous pas capables en France de mettre en œuvre ce qui a réussi en Italie ? Est-ce que les dispositions de cet amendement ne cachent pas plutôt un manque de moyens ?
Nous ne devrions pas nous interdire de faire évoluer notre droit dans le bon sens et de nous doter législativement des bons outils, simplement parce que le ministère de la justice ne dispose pas des moyens nécessaires aujourd'hui.
Si nous voulons être efficaces dans la lutte contre le narcotrafic, il faut aller au-delà des déclarations d'intention et mettre les moyens là où ils sont nécessaires.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Pour ce qui est des moyens, vous avez raison, il faut les augmenter. C'est la raison pour laquelle j'espère que nous aurons un budget bientôt.
Sachez que cela fait deux mois que nous ne pouvons pas recruter de magistrats ni d'auxiliaires de justice. Je pense que vous avez entendu des magistrats les réclamer lors des audiences solennelles de rentrée des cours d'appel. Chaque mois qui passe est un mois perdu pour la magistrature française ! (Mme Marie-Pierre de La Gontrie manifeste son ironie.)
Madame Narassiguin, monsieur Benarroche, nous pouvons certes nous inspirer de l'Italie, mais l'organisation de la mafia n'a rien à voir avec le narcotrafic sur notre territoire.
Les violences sont les mêmes et les circuits de blanchiment sont parallèles, mais comparer les organisations mafieuses comme Cosa Nostra en Sicile ou la mafia sarde, qui, au passage, ont été pratiquement éradiqués par nos amis italiens dans les années 2000, avec celles qui dirigent le narcotrafic en France n'a pas de sens. Le dispositif que vous proposez pourrait éventuellement nous aider pour ce que j'appellerais l'organisation criminelle corse, mais, encore une fois, cela ne concerne pas le narcotrafic que nous visons.
Les membres de la DZ Mafia, du clan Yoda ou des gangs des métropoles lyonnaises ou lilloises ne sont pas tatoués ni organisés hiérarchiquement avec un parrain, comme le sont les mafias italiennes.
Vous me dites : « Créons une infraction et nous verrons si elle est utile. » Je vous réponds qu'elle est susceptible de gêner fortement l'application des mesures relatives à l'association de malfaiteurs. Ce n'est pas une question de moyens – de toute façon, on ne va pas ouvrir deux enquêtes distinctes ! –, mais la qualification des faits sera difficile.
Je m'étonne tout de même que le groupe socialiste et le groupe écologiste s'apprêtent à voter la création d'une infraction d'appartenance supposée à une organisation, alors qu'aucun délit ou crime n'est en préparation, et cela sans définition précise.
La loi pénale doit pourtant être un minimum explicite, pour que tout prévenu sache de quoi on l'accuse. Avec votre proposition, l'épouse, la compagne ou le fils qui vivent dans une habitation sous écoute où a eu lieu une réunion de malfaiteurs seront considérés comme faisant partie d'une organisation criminelle. Cela ne me paraît pas très raisonnable.
Tout à l'heure, Mme le rapporteur a regretté l'absence d'étude d'impact préalablement à l'amendement du sénateur Perrin, mais votre texte n'a pas non plus fait l'objet d'un avis du Conseil d'État. Il faut donc faire très attention. Le Parlement votera ce qu'il voudra, mais je vous mets en garde contre les effets de bord qui pourraient remettre en cause l'application des dispositions relatives à l'association de malfaiteurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.
M. Francis Szpiner. De tout ce que j'ai entendu, monsieur le ministre, j'ai retenu un argument tout à fait valable, sur lequel je terminerai, mais vous ne pouvez pas dire que l'appartenance à une organisation criminelle mine l'association de malfaiteurs. En l'occurrence, je précise qu'il y a même une différence de degré entre l'association de malfaiteurs normale et celle qui est constituée en vue de commettre des actes terroristes.
Vous savez aussi que le débat sur le côté très vague de l'association de malfaiteurs a été dénoncé, souvent d'ailleurs par des gens idéologiquement très éloignés de moi, qui lui reprochent son côté fourre-tout.
En tout état de cause, vous ne pouvez pas dire que la création de l'appartenance à une organisation criminelle diminue la portée de l'association de malfaiteurs. C'est un degré en dessous. Sur ce point-là, vous ne m'avez pas convaincu.
En revanche, je pense que la rédaction devra être améliorée à la faveur de la navette. J'ai moi aussi un problème avec la définition des éléments constitutifs. C'est le point le plus pertinent de votre intervention : vous avez raison, la loi pénale doit pouvoir être objectivée.
Je suis d'accord aussi pour considérer que, actuellement, et heureusement, les bandes de narcotrafic n'ont rien à voir avec les mafias italiennes, où le sentiment d'appartenance, très fort, est de nature à justifier ce type de mesures.
Néanmoins, la proposition des rapporteurs est intéressante dans une approche graduée de la lutte contre le crime organisé. Certaines petites mains, dont nous savons pertinemment qu'elles font partie d'une organisation, seraient plus facilement sanctionnables avec cette incrimination qu'avec l'association de malfaiteurs. Je le répète, c'est l'échelon en dessous.
Je ne voterai pas la suppression de ces alinéas, mais je milite pour un effort de précision dans la rédaction à la faveur de la navette.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Si les rapporteurs s'engagent à retravailler leur rédaction dans la perspective de la CMP pour bien définir ce que serait cette infraction – je pense notamment à l'expression « depuis un certain temps », qui me paraît bien vague –, j'accepterai de retirer l'amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je précise tout de même, monsieur le ministre, que la locution « un certain temps » est retenue par la Cour de cassation.
Par ailleurs, je suis d'accord avec Francis Szpiner : l'association de malfaiteurs suppose une infraction connexe. Celle-ci est qualifiée formellement, ce qui entraîne la qualification de l'association de malfaiteurs, par exemple en vue de commettre des actes de terrorisme. L'intérêt de cette nouvelle infraction, c'est justement de la dispenser de toute autre infraction identifiée. Ces deux dispositifs se complètent, mais ne se chevauchent pas.
Pour autant, si les services de la Chancellerie nous permettent d'améliorer le texte, nous serons preneurs.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. M. le ministre a proposé très élégamment de retirer son amendement si nous étions disposés à améliorer la rédaction. J'ai déclaré en préambule que notre dispositif était certainement perfectible. Nous nous engageons donc bien volontiers à le retravailler.
Mme la présidente. L'amendement n° 222 est retiré.
Je mets aux voix l'article 9.
(L'article 9 est adopté.)
Article 10
Après l'article 227-18-1 du code pénal, il est inséré un article 227-18-2 ainsi rédigé :
« Art. 227-18-2. – Le fait de publier, sur une plateforme en ligne définie au 4 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, un contenu accessible aux mineurs proposant aux utilisateurs de transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants est puni de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, sur l'article.
Mme Laurence Harribey. Mes chers collègues, vous voudrez bien m'excuser si mon intervention vous paraît un peu décalée par rapport à la discussion passionnante que nous venons d'avoir.
Nous adhérons totalement à l'esprit de cet article 10, qui vise à créer une infraction spécifique pour l'incitation des mineurs au trafic de stupéfiants via les plateformes numériques.
Si je prends la parole sur cet article, c'est pour relever qu'il est le seul dans ce texte à concerner les mineurs. On sait pourtant que ces derniers jouent un rôle essentiel dans les affaires de stupéfiants et qu'il faut les prendre en compte dans la lutte contre le narcotrafic.
Il est donc positif qu'il figure dans le texte. Il est évidemment positif de pénaliser la publication de tels contenus, mais cela ne suffira pas pour résoudre le problème de l'utilisation des mineurs par les narcotrafiquants.
Les mineurs sont des cibles faciles, d'une part, parce qu'ils peuvent être aisément convaincus, d'autre part, parce que, du fait de leur âge, ils peuvent échapper aux poursuites pénales. Il est donc facile de les utiliser dans les circuits de narcotrafic.
Je tenais à mettre l'accent sur ce point. Il nous faudra ensuite travailler sur les questions de prévention et d'accompagnement des mineurs, dont il n'est pas question dans la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l'article.
M. Guy Benarroche. Comme Mme Harribey, je souligne que cet article est le seul qui concerne, de trop loin sûrement, les mineurs, sur lesquels se referme le piège du narcotrafic.
Nous avons souvent et longuement discuté de ce sujet. Lorsque nous avons auditionné des familles des quartiers de Marseille gangrénés par le trafic de drogue – M. le ministre était présent –, nous avons mesuré l'importance du problème que posent les mineurs. La question du recrutement des enfants – souvent, pour ne pas dire toujours, sur les réseaux sociaux – nous a été posée.
Les narcotrafiquants sont des entrepreneurs capitalistes assumés. Ils sous-traitent et utilisent la main-d'œuvre la moins chère possible, désœuvrée et si possible précaire.
Si cet article va dans le bon sens, nous espérons que Pharos aura les moyens de traiter tous les signalements.
Nous saluons l'ouverture de la réflexion sur la précarité des jeunes. Issus parfois de l'aide sociale à l'enfance (ASE), ils sont incités à répondre à de telles annonces. Nous regrettons que cette proposition de loi ne comporte pas un volet économique et social plus complet et qu'elle ne prévoie pas de mesures de prévention et d'information des jeunes, afin de les accompagner et de tarir la source de recrutement qu'ils constituent pour les narcotrafiquants. Cela permettrait de lutter plus efficacement contre le narcotrafic.
Nous pensons néanmoins que cet article est souhaitable et qu'il présente un intérêt, car il s'agit du seul, nous l'avons dit, qui concerne les mineurs.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 49 rectifié est présenté par Mme V. Boyer, M. Rapin, Mme Dumas, MM. Naturel, Reynaud et Panunzi, Mme Belrhiti, MM. Piednoir, Khalifé et C. Vial, Mmes Garnier, Goy-Chavent et Micouleau, M. Meignen, Mme Pluchet, MM. Pellevat, Genet, Bouchet et Sido, Mmes Josende et Berthet, M. Daubresse, Mmes Gruny et Bellurot, MM. Saury et Reichardt et Mme Borchio Fontimp.
L'amendement n° 54 rectifié ter est présenté par Mme Ciuntu, M. Cambon, Mmes Gosselin et Dumont, MM. P. Vidal, Karoutchi et Burgoa, Mme Puissat, M. Allizard et Mme Aeschlimann.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Au premier alinéa de l'article 227-18-1 du code pénal, après le mot : « stupéfiants », sont insérés les mots : « ou à se livrer à une activité ayant pour objet de faciliter le transport, la détention, l'offre ou la cession de stupéfiants » ;
II. – Alinéa 2
Après le mot :
stupéfiants
insérer les mots :
ou de se livrer à une activité ayant pour objet de faciliter le transport, la détention, l'offre ou la cession de stupéfiants
La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l'amendement n° 49 rectifié.
Mme Valérie Boyer. Cet amendement vise à étendre le champ des délits relatifs à la provocation de mineurs à se livrer à un trafic de stupéfiants à toute provocation à mener toute activité ayant pour objet de faciliter le trafic. Cet amendement tend à protéger les mineurs.
La commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, a mis en évidence, dans son rapport, un phénomène, particulièrement préoccupant, de rajeunissement du trafic. Il s'agit des mineurs les plus vulnérables, les mineurs non accompagnés, mais également les mineurs relevant de l'aide sociale à l'enfance. S'ils ne sont pas en difficulté au départ, ces mineurs le deviennent très vite quand ils sont à la main de réseaux.
Le phénomène s'est considérablement développé sous l'effet de l'ubérisation du trafic et du recrutement massif de jeunes via les réseaux sociaux, pour effectuer des missions de petites mains au profit des narcotrafiquants. C'est particulièrement poignant.
Cela a été dit lors de la discussion générale, nous avons rencontré, notamment à Marseille, des associations qui nous ont décrit – mais nous le savions pour être confrontés à ce phénomène en tant qu'élus marseillais –, le recrutement de mineurs pour trafiquer, hurler, prévenir, en bref pour exécuter toutes les basses besognes liées au trafic de stupéfiants.
L'article 10 de la proposition de loi, en prévoyant une pénalisation renforcée de ces opérations de recrutement, constitue un élément de réponse nécessaire et bienvenu face à ce fléau abominable qui touche les mineurs.
Tout autant que les autres petites mains, les guetteurs sont exposés aux dangers du trafic, notamment à la violence des règlements de compte. Il est par conséquent légitime que le fait de les démarcher pour les recruter soit puni des mêmes peines.
Les dispositifs relatifs à la provocation à détenir, à transporter, à céder ou à offrir des stupéfiants excluent par exemple l'activité de certains guetteurs.
C'est pourquoi il faut protéger les mineurs, quelles que soient les tâches qu'ils accomplissent dans ce trafic de la mort.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, pour présenter l'amendement n° 54 rectifié ter.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Mmes Boyer et Ciuntu ont été deux membres éminentes et assidues de la commission d'enquête,...
M. Jérôme Durain, rapporteur. C'est vrai !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. ... de sorte que je ne suis pas étonnée par les amendements qu'elles ont déposés, lesquels visent à protéger les mineurs, qui ne sont pas visés par toutes les infractions existantes aujourd'hui.
La commission émet donc un avis favorable sur ces amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 49 rectifié et 54 rectifié ter.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 10, modifié.
(L'article 10 est adopté.)
Après l'article 10
Mme la présidente. L'amendement n° 94 n'est pas soutenu.
L'amendement n° 112 rectifié, présenté par MM. Khalifé et Panunzi, Mme Gruny, MM. Karoutchi et L. Vogel, Mme Imbert, MM. Sautarel, Belin, H. Leroy et Burgoa, Mme Belrhiti, M. Maurey, Mme Dumont, MM. Bruyen et Paul, Mme Borchio Fontimp, M. P. Vidal, Mmes Micouleau et Petrus, MM. Courtial et Nougein, Mme Malet, MM. Chasseing, D. Laurent, Saury, Kern, C. Vial, Wattebled et Bleunven, Mmes Herzog, Paoli-Gagin et Romagny, M. Sido et Mmes Guidez, Josende et Ventalon, est ainsi libellé :
Après l'article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 132-6 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. 132-6-... – Par dérogation aux articles 132-2 à 132-5, les peines prononcées pour les crimes ou délits mentionnés aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale commis en concours se cumulent entre elles, sans possibilité de confusion, dans la limite d'un maximum légal fixé à trente ans de réclusion criminelle. Ce maximum légal ne s'applique pas lorsque la réclusion criminelle à perpétuité, encourue pour l'une ou plusieurs de ces infractions en concours, a été prononcée.
« Pour l'application du présent article, les peines privatives de liberté sont de même nature et toute peine privative de liberté est confondue avec une peine perpétuelle.
« La dernière juridiction appelée à statuer sur l'une des infractions commises en concours peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas faire application du présent article. »
La parole est à M. Laurent Burgoa.
M. Laurent Burgoa. Cet amendement de notre collègue Khalifé Khalifé vise à créer un cas de dérogation aux règles de plafonnement des peines applicables aux infractions commises en concours et liées à la criminalité organisée.
En l'état du droit, l'article 132-4 du code pénal prévoit que, lorsque de telles infractions sont commises en concours, c'est-à-dire quand la seconde infraction a été commise avant qu'une condamnation n'ait été prononcée pour la première, les peines prononcées se cumulent entre elles, dans la limite du maximum légal le plus élevé.
Il en résulte un effet d'aubaine pour les narcotrafiquants, qui peuvent dans bien des cas poursuivre leur activité en détention provisoire, sans craindre, de fait, d'aggravation de la peine qu'ils encourent.
Les dispositions du présent amendement constituent ainsi un élément de réponse face à la nécessité, soulignée avec force par la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France, de renforcer la lutte contre la poursuite des trafics en prison.
De tels comportements, en effet, portent une atteinte grave à l'administration publique comme à l'autorité de la justice, atteinte dont la nature justifie déjà, en l'état du droit, une dérogation aux règles de droit commun en matière de concours d'infraction pour les délits d'évasion ou de rébellion commise par un détenu.
Afin de garantir la proportionnalité de la mesure, cet amendement tend à cibler celle-ci sur les infractions relevant de la criminalité organisée. Le cumul des peines encourues ne pourrait excéder un maximum légal fixé à trente ans de réclusion criminelle. Au surplus, la juridiction conserverait la possibilité, par décision spécialement motivée, de ne pas déroger aux règles de droit commun en matière de concours d'infraction.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Cet amendement de notre collègue Khalifé Khalifé, défendu par Laurent Burgoa, tous deux membres assidus de la commission d'enquête, vise à déroger aux règles de plafonnement des peines en cas de concours d'infractions liées à la criminalité organisée.
Les auteurs de l'amendement partent du constat que ces règles créent un effet d'aubaine pour les trafiquants, qui peuvent poursuivre leur trafic en prison sans risque de voir leur peine maximale aggravée. Ce constat est corroboré par des magistrats que nous avons auditionnés au cours de nos travaux et qui ont même plaidé pour la suppression pure et simple de ces règles de plafonnement des peines.
Le ciblage proposé par les auteurs de l'amendement sur les infractions liées à la criminalité organisée nous paraît davantage proportionné et pertinent.
Au demeurant, comme l'a rappelé notre collègue Burgoa, de telles dérogations existent déjà dans notre droit pénal, pour mieux réprimer des infractions qui défient l'autorité de la justice.
Le passage par la prison est perçu par les narcotrafiquants comme une case à cocher dans leur cursus. Ils sont pleinement au fait des peines qu'ils encourent et du fonctionnement de notre justice pénale. Cette case prison, il nous appartient de la rendre plus dissuasive. Je sais que le garde des sceaux est déterminé à agir dans ce sens.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 10.
L'amendement n° 46 rectifié septies, présenté par MM. Rochette, Malhuret, Longeot, A. Marc, Capus, Chevalier et L. Vogel, Mme Paoli-Gagin, M. Chasseing, Mme L. Darcos, M. V. Louault, Mme Bourcier, M. Verzelen, Mme Lermytte, MM. Médevielle, Brault, Wattebled, Khalifé, Maurey et Meignen, Mmes Pluchet et Doineau, MM. Dhersin, Henno et Courtial, Mme Romagny, M. Bonneau, Mme Saint-Pé, M. Bleunven, Mmes Billon et Sollogoub, M. Hingray et Mmes Perrot et Phinera-Horth, est ainsi libellé :
Après l'article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I.- L'article 222-37 du code pénal est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« …. – Toute personne coupable de ces infractions, lorsqu'elles ont été constatées à bord d'un véhicule à moteur, encourt également les peines complémentaires suivantes :
« 1° La suspension, pour une durée de trois ans ou plus, du permis de conduire.
« 2° La confiscation du véhicule. »
II. – Le code de la route est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l'article L. 325-1-1 est complété par les mots :« immatriculé en France ou à l'étranger » ;
2° Le troisième alinéa du II de l'article L. 325-1-2 est ainsi rédigé :
« Les frais d'enlèvement et de garde en fourrière sont à la charge du propriétaire. Toutefois, en cas de vol du véhicule ayant servi à commettre l'infraction ou lorsque le véhicule était loué à titre onéreux à un tiers prouvant sa bonne foi, l'immobilisation ou la mise en fourrière est levée dès qu'un conducteur qualifié proposé par le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule peut en assurer la conduite. »
La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Ce texte, nous l'avons vu, prévoit des sanctions pénales et financières pour les narcotrafiquants.
Par cet amendement, nous proposons de nous en prendre également à la logistique et à l'organisation des transports des narcotrafiquants, plus communément appelés go fast.
Cet amendement vise ainsi à faciliter la saisie et la confiscation des véhicules utilisés par les narcotrafiquants, y compris ceux qui sont immatriculés à l'étranger. En effet, si nous ne précisons pas ce point, les narcotrafiquants vont rapidement exploiter cette faille législative et se réorganiser pour rouler avec des plaques d'immatriculation étrangères.
Nous proposons également, en peine complémentaire, d'alourdir les sanctions pour les conducteurs. Nous prévoyons enfin une porte de sortie pour les loueurs qui parviendraient à prouver leur bonne foi et pourraient ainsi récupérer leur matériel facilement.
Les narcotrafiquants, nous l'avons déjà dit, travaillent en galaxie ou en autarcie. Nombre de véhicules loués à l'étranger font ainsi partie de la galaxie du narcotrafic. Les loueurs sont souvent engagés dans le même trafic.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Notre collègue souhaite créer une peine complémentaire de suspension du permis de conduire et de confiscation du véhicule des narcotrafiquants. Il s'agit d'une intuition puissante.
Cependant, cette mesure nous semble satisfaite par le droit existant. En effet, l'article 222-44 du code pénal permet déjà de condamner les personnes coupables des infractions liées au trafic de stupéfiants à la suspension de leur permis pour une durée de cinq ans, à l'annulation du permis avec une interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis pendant cinq ans et à la confiscation d'un ou plusieurs véhicules.
Pour cette raison, nous demandons le retrait de cet amendement ; à défaut, nous émettrions un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.
M. Pierre Jean Rochette. J'entends bien vos arguments, monsieur le rapporteur.
Toutefois, cette proposition ne sort pas de notre chapeau. Nous l'avons travaillée avec les services des douanes, qui ont accepté de nous répondre. Aujourd'hui, on ne saisit pas une voiture immatriculée à l'étranger ! L'administration hésite souvent à le faire en raison de la complexité administrative que suppose une saisie.
Nous proposons ici une saisie automatique, systématique. Si nous ne précisons pas que sont saisis les véhicules immatriculés à l'étranger, nous ne confisquerons que les véhicules français utilisés pour des go fast, et pas les autres. Ainsi, nous ne réglerions pas totalement le problème.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. M. le ministre et moi venons d'échanger brièvement d'un banc à l'autre. Il est possible que les immatriculations à l'étranger soient un problème, en effet.
Nous avions demandé le retrait de l'amendement, mais nous allons à présent émettre un avis favorable. Dans le doute, il vaut mieux adopter cet amendement, afin de pouvoir y revenir au cours de la navette, plutôt que le rejeter alors qu'il serait nécessaire.
La commission émet donc un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est là présent l'avis du Gouvernement ?
M. Pierre Jean Rochette. C'est formidable, je vais dormir tranquille ! (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 46 rectifié septies.
(L'amendement est adopté.) – (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 10.
Chapitre II
Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer
Article 11
I. – L'article 706-88-2 du code de procédure pénale est ainsi rétabli :
« Art. 706-88-2. – Lorsque la présence de substances stupéfiantes dans le corps de la personne gardée à vue pour une infraction mentionnée au 3° de l'article 706-73 est établie dans les conditions prévues au présent article, le juge des libertés et de la détention peut, à titre exceptionnel et selon les modalités prévues au deuxième alinéa de l'article 706-88, décider que la garde à vue en cours de cette personne fera l'objet d'une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures.
« Avant l'expiration du délai de garde à vue prévu au même article 706-88, la personne pour laquelle la prolongation exceptionnelle de la garde à vue est envisagée est examinée par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin délivre un certificat médical par lequel il établit la présence ou l'absence de substances stupéfiantes dans le corps de la personne et se prononce sur l'aptitude au maintien en garde à vue. Ce certificat est versé au dossier.
« À l'expiration de la quatre-vingt-seizième heure, la personne dont la prolongation de la garde à vue est ainsi décidée peut demander à s'entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues à l'article 63-4. La personne gardée à vue est avisée de ce droit dès la notification de la prolongation prévue au présent article.
« Elle est également avisée de son droit de demander un nouvel examen médical au cours de la prolongation.
« S'il n'a pas été fait droit à la demande de la personne gardée à vue de faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et sœurs ou son employeur, de la mesure dont elle fait l'objet, dans les conditions prévues aux articles 63-1 et 63-2, elle peut réitérer cette demande à compter de la quatre-vingt-seizième heure. »
II. – Après l'article 222-44-1 du code pénal, il est inséré un article 222-44-2 ainsi rédigé :
« Art. 222-44-2. – Les personnes physiques coupables des infractions prévues aux articles 222-34 à 222-40 encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° L'interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de prendre place dans tout aéronef réalisant un vol commercial au départ et à destination d'aéroports dont la liste est fixée par la juridiction eu égard aux risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise ;
« 2° L'interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de paraître dans les aéroports dont la liste est fixée par la juridiction eu égard aux risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 134, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Nous demandons la suppression des alinéas 1 à 6 de l'article 11, car nous jugeons qu'ils risquent de créer un déséquilibre entre les justiciables. En outre, l'adoption de dérogations exceptionnelles au droit commun ne donne pas les résultats attendus en matière de lutte contre le narcotrafic.
L'article 11 étend une mesure de privation de liberté au nom de l'efficacité. Nous avons alerté plusieurs fois, lors de l'examen d'autres projets de loi, sur les dérogations ponctuelles, qui finissent soit par être prolongées indéfiniment, soit par être généralisées. Nous connaissons beaucoup d'exemples, sur lesquels je ne reviendrai pas.
La durée de la garde à vue en cas de soupçon de trafic de stupéfiants est fixée à quarante-huit heures. Elle peut être prolongée de quarante-huit heures et portée à quatre-vingt-seize heures, soit quatre jours.
Cet article prévoit une prolongation supplémentaire pour les mules, ces personnes qui acheminent de la drogue dans leur corps, au-delà de quatre jours si elles n'ont pas expulsé auparavant toute la drogue qu'elles ont ingérée. Je pense que peu de personnes sont dans ce cas au bout de quatre jours, mais admettons que celui puisse arriver.
Cet article donne au médecin le rôle non pas de mettre fin à une mesure de privation de liberté – un médecin peut mettre fin à une telle mesure en raison de l'état de santé de la personne concernée –, mais au contraire de la prolonger.
On demande ainsi au médecin de recommander une mesure de privation de liberté dont l'objectif est judiciaire et non médical. Si l'objectif était purement médical, une hospitalisation d'office pourrait être prévue, mais en aucun cas une prolongation de la garde à vue.
Selon le Syndicat de la magistrature, « il est paradoxal d'envisager la prolongation d'une mesure de garde à vue pour répondre à une situation de danger imminent, alors que cette situation pourrait motiver la levée de la mesure pour incompatibilité médicale. » Il y a là une contradiction !
Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons de supprimer ces alinéas.
Mme la présidente. L'amendement n° 140, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
En cas de renouvellement de la durée de la garde à vue, la personne placée en garde à vue bénéficie des droits qui lui sont garantis par l'article 63-1 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement vise à préciser que, en cas de prolongation de la garde à vue, comme le prévoit l'article 11 de la présente proposition de loi, la personne placée en garde à vue continue de bénéficier des droits garantis par l'article 63-1 du code de procédure pénale, notamment celui d'être examinée par un médecin et assistée par un avocat, et ce chaque fois que la garde à vue sera prolongée.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Cet article est le fruit des travaux de la commission, comme les enquêtes patrimoniales systématiques et les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross).
Les auditions auxquelles nous avons procédé nous ont vraiment convaincus de conserver l'hyperprolongation médicale de la garde à vue. Ce que proposent notre collègue Guy Benarroche et ses collègues est donc contraire à ce que nous avons voté en commission.
Il nous semble tout de même que, entre la rédaction initiale de l'article et le dispositif que nous examinons ce soir, nous avons sensiblement renforcé l'encadrement de la mesure. Ainsi, nous en limitons la durée à cent vingt heures.
Nous précisons les conditions dans lesquelles la prolongation exceptionnelle de la garde à vue peut être décidée, en prévoyant qu'un certificat médical, versé au dossier, établisse la présence de substances stupéfiantes dans le corps de la personne et se prononce sur son aptitude au maintien en garde à vue.
Nous prévoyons des garanties pour la personne concernée à l'expiration de la quatre-vingt-seizième heure de garde à vue : la possibilité de s'entretenir avec un avocat ; le droit de demander un nouvel examen médical ; la possibilité de réitérer une demande tendant à faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un membre de sa famille.
Dans ces conditions sécurisées, la proportionnalité du diapositif nous paraît garantie.
Nous émettons donc un avis défavorable sur l'amendement n° 134 et demandons le retrait de l'amendement n° 140.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. L'interrogation de M. Benarroche sur les quatre jours de garde à vue peut s'entendre.
Je rappelle que, parmi les mules, il y a des femmes enceintes et des enfants. Ces réseaux d'exploitation des êtres humains, en Guyane, mais pas seulement, mettent les mules en danger.
En tant que ministre de l'intérieur, j'ai vu en Guyane à plusieurs reprises des gens qui ingéraient à la fois de la cocaïne sous forme de ballots et des produits constipants. Les élus de la Guyane pourraient mieux en parler que nous. La classique mécanique des fluides, monsieur Benarroche, ne fonctionne manifestement pas ici, hélas !
De plus en plus d'organisations s'appuient même parfois sur des médecins, plus ou moins agréés par la faculté, pour que ces personnes puissent passer des contrôles. Je pense donc que, s'agissant de cette durée, vous faites une erreur d'appréciation, monsieur Benarroche.
Par ailleurs, le dispositif proposé par la commission aidera beaucoup les services enquêteurs, car il allégera considérablement les procédures. Aujourd'hui, le parquet doit ouvrir une enquête avant de placer les gens en garde à vue, puis une information judiciaire. Ce que propose la commission est beaucoup plus simple, face à l'exploitation d'êtres humains par des organisations de mules.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Que des personnes soient en danger, pour les raisons que vous avez expliquées, monsieur le ministre, j'en conviens. C'est certain.
Toutefois, est-il justifié de prolonger une garde à vue, qui est une mesure judiciaire destinée à obtenir un certain nombre de renseignements, pour des raisons médicales ? C'est paradoxal…
Quand les magistrats mettent en cause cette prolongation dérogatoire de la garde à vue, c'est ce point qu'ils soulèvent. Est-ce qu'un médecin peut prolonger une garde à vue au motif que la personne est en danger ? N'existe-t-il pas d'autres solutions pour que cette personne ne soit pas en danger ?
Mme la présidente. L'amendement n° 147, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 9
1° Au début, insérer les mots :
Lorsque l'infraction a été commise dans un aéronef réalisant un vol commercial,
2° Supprimer les mots :
en égard aux risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise
II. – Alinéa 10
1° Au début, insérer les mots :
Lorsque l'infraction a été commise dans un aéroport,
2° Supprimer les mots :
en égard aux risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise
III. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les interdictions prévues aux 1° et 2° du présent article peuvent être modifiées par le juge de l'application des peines, dans les conditions fixées par le code de procédure pénale. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement vise à consolider juridiquement les dispositions de l'article 11, qui prévoit des peines complémentaires applicables aux mules, en renforçant l'opérationnalité de la mesure et les garanties pour les personnes condamnées.
La création de peines complémentaires d'interdiction de paraître dans des aéroports et d'interdiction de vol a été recommandée par la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France. Elle vise, pour protéger ces personnes, à les rendre inemployables de fait par les narcotrafiquants.
Le dispositif de la proposition de loi paraît cependant devoir être ajusté sur deux points.
En premier lieu, et à titre principal, il est indispensable de prévoir certaines garanties pour les personnes condamnées en ouvrant la voie, notamment pour faire face à une urgence médicale ou familiale, à une modification de l'application des interdictions de vol ou de paraître. Une telle décision de modification relèverait du juge de l'application des peines, dans les conditions de droit commun.
En second lieu, si l'on ne peut que partager le souci de garantir la proportionnalité de la peine ayant justifié l'introduction par la commission des lois d'une obligation de motivation spéciale des décisions, le même objectif paraît pouvoir être atteint de manière plus efficace par l'ajout d'un simple critère de conditionnalité, prévoyant que la peine complémentaire d'interdiction de vol ou de paraître ne puisse être encourue que si l'infraction pour laquelle la personne est condamnée a été commise dans un aéroport ou un aéronef.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Cet amendement vise à apporter des garanties et des précisions utiles pour la mise en œuvre des nouvelles peines complémentaires d'interdiction de vol et de paraître prévues par l'article 11 pour lutter contre le phénomène des mules.
Le dispositif permettant au juge de l'application des peines de décider d'une modification de la peine vise à répondre à la préoccupation que vous aviez formulée, cher collègue, en commission. Des situations d'urgence médicale ou familiale, qu'il reviendra au juge d'apprécier, pourraient bien être prises en compte dans ces conditions.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.
M. Francis Szpiner. Je suis tout à fait étonné de la position du rapporteur. À tout moment, une personne faisant l'objet d'une condamnation peut demander à son juge de l'application des peines une modification des contrôles, pour une urgence médicale ou familiale – un décès par exemple. Il revient ensuite au juge de statuer.
Cet amendement étant satisfait, inscrire ce dispositif dans la loi serait superfétatoire.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il semblerait que la loi doive prévoir expressément une telle possibilité. Telle est la raison pour laquelle nous avons émis un avis favorable sur cet amendement. (M. Francis Szpiner s'exclame.)
Mme la présidente. L'amendement n° 172, présenté par Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mmes Harribey, Narassiguin et Linkenheld, MM. Chaillou, Kerrouche et Roiron, Mmes Carlotti, Conconne et Daniel, MM. Kanner et Mérillou, Mme Monier, M. Montaugé, Mme S. Robert, MM. Ros, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 9
Après le mot :
aéroports
insérer les mots :
et dans toute embarcation maritime au départ et à destination de ports
II. – Alinéa 10
Après le mot :
aéroports
insérer les mots :
et dans les ports
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cet amendement tend à renforcer les peines complémentaires possibles, à savoir l'interdiction pour une durée de trois ans ou plus de paraître dans les aéroports dont la liste est fixée par la juridiction, eu égard aux risques de récidive ou de réitération de l'infraction commise.
Nous avons été quelque peu surpris de constater que les ports n'étaient pas visés dans cet article. Si l'on considère qu'il faut empêcher les narcotrafiquants condamnés d'accéder à un certain nombre de lieux leur permettant d'emprunter certains moyens de transport, de quitter le pays ou de poursuivre leurs trafics, il ne faut pas se limiter aux aéroports.
Nous proposons donc d'ajouter les ports dans ce dispositif.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Nous avons pensé que les mules empruntaient des transports aériens et nous avons omis les transports maritimes. Il s'agit là d'un impensé de la commission.
Vous proposez d'inclure dans la liste des peines complémentaires l'interdiction de paraître dans les ports et de monter à bord d'embarcations maritimes. Le dispositif n'ayant pas été préconisé par la commission d'enquête et cette dernière n'ayant pas expertisé cette piste, nous souhaitons connaître l'avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Quel est donc l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 166, présenté par Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mmes Harribey, Narassiguin et Linkenheld, MM. Chaillou, Kerrouche, Roiron et Kanner, Mmes Daniel, Conconne et Carlotti, M. Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, la juridiction peut, à titre exceptionnel, suspendre les interdictions mentionnées au présent article pour motifs impérieux d'ordre médical ou familial. L'autorisation exceptionnelle est accordée en fonction de la durée nécessaire aux motifs évoqués, et peut-être interrompue à tout moment au cours de la période d'autorisation. »
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'ai la vague impression que cet amendement a déjà été évoqué et je pense connaître l'avis de la commission, de même que celui de Francis Szpiner…
Le texte – nous en avons parlé en commission – ne prévoit pas précisément la possibilité pour la juridiction de suspendre les interdictions mentionnées, notamment pour raison médicale ou familiale.
Francis Szpiner a souligné précédemment qu'il était toujours possible de s'adresser au juge de l'application des peines. Dont acte. Muriel Jourda a indiqué qu'il fallait toutefois que cela soit prévu dans la loi. J'en conclus que cette proposition fait l'objet d'un accord, mais que l'on ne sait pas exactement s'il est nécessaire de l'inscrire dans la loi. Je pense pour ma part que ce serait positif.
Tel est l'objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. En réalité, madame de La Gontrie, c'est sur l'amendement n° 147, lequel a été adopté, que M. Szpiner et moi avons échangé.
Votre amendement est en réalité satisfait. J'en demande le retrait, faute de quoi j'émettrais un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame de La Gontrie, l'amendement n° 166 est-il maintenu ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Si je dis que je ne comprends rien, je passe pour une idiote…
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Mais si vous dites que vous comprenez, vous mentez ! (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Bien que je ne voie pas en quoi l'amendement n° 147 de Guy Benarroche tend à proposer la même disposition que le nôtre, pour ne pas me ridiculiser, je vais dire d'un air assuré que je retire mon amendement, bien sûr, madame la présidente ! (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 166 est retiré.
L'amendement n° 252, présenté par Mme M. Jourda et M. Durain, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende la violation, par le condamné, des interdictions résultant de ces mêmes peines. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Durain, rapporteur. Nous avons oublié un élément important. Nous avons bien prévu la création d'une peine complémentaire d'interdiction de vol ou de paraître dans les aéroports, mais nous ne l'avons pas assortie de sanctions pénales dans le cas où elle ne serait pas respectée.
Cet amendement vise donc à corriger cet oubli et à prévoir deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende en cas de violation, par le condamné, des interdictions résultant de cette peine.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 11, modifié.
(L'article 11 est adopté.)
Après l'article 11
Mme la présidente. L'amendement n° 150, présenté par Mmes Phinera-Horth et Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Patient, Rambaud, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Après l'article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants dans les territoires ultramarins touchés par le phénomène de mules, l'État s'engage à mettre en place, dès la promulgation de la présente loi, une véritable politique de prévention et de coordination des acteurs publics et privés afin d'assurer une action cohérente et efficace.
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Cet amendement vise à prévoir un engagement de l'État à mettre en place, dès la promulgation de la présente loi, une véritable politique de prévention et de coordination des acteurs publics et privés, afin d'assurer une action cohérente et efficace.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous comprenons la position de notre collègue et de tous les signataires de cet amendement. Celui-ci, néanmoins, n'est pas normatif. Il s'agit d'un amendement d'appel, destiné à permettre au Gouvernement de donner son opinion sur la question.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Le Gouvernement a une opinion, mais comme c'est sans doute moins celle du garde des sceaux que celle du ministre de l'intérieur que vous souhaitez entendre, mesdames, messieurs les sénateurs, je me ferai le porte-parole de mon collègue.
Il ne s'agit pas d'inscrire dans la loi que nos collègues ultramarins ont un travail particulier de coordination à réaliser dans la lutte contre les stupéfiants sur leurs territoires. En Guyane, notamment, on n'a pas attendu la loi pour réaliser des plans de lutte contre les mules, avec des ramifications en Martinique, en Guadeloupe et ailleurs. Je puis vous assurer que le ministre de l'intérieur et le ministre chargé des douanes n'ont pas besoin de la loi pour coordonner leurs actions.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame Schillinger, l'amendement n° 150 est-il maintenu ?
Mme Patricia Schillinger. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 150 est retiré.
Chapitre III
Lutte contre le trafic en ligne
Article 12
I. – La section 2 du chapitre II du titre Ier de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique est ainsi modifiée :
A. – L'article 6-1 est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
aa) (nouveau) Au début, est insérée la mention : « I. – » ;
a) La deuxième occurrence du mot : « ou » est remplacée par le signe : « , » ;
b) Après les mots : « du même code », sont insérés les mots : « ou contre la cession ou l'offre de stupéfiants dans les conditions prévues à l'article 222-39 dudit code » ;
2° Au premier alinéa et à la première phrase des deuxième et quatrième alinéas, les mots : « 421-2-5 et 227-23 » sont remplacés par les mots : « 421-2-5, 227-23 et 222-39 » ;
3° (nouveau) À la fin, il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Sans préjudice des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, les fournisseurs de services d'hébergement et les fournisseurs de contenus concernés par une demande de retrait faite en application du I du présent article ainsi que la personnalité qualifiée susmentionnée peuvent demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par celui-ci l'annulation de cette demande, dans un délai de quarante-huit heures à compter soit de sa réception, soit, s'agissant du fournisseur de contenus, du moment où il est informé par le fournisseur de services d'hébergement du retrait du contenu.
« Il est statué sur la légalité de l'injonction de retrait dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine. L'audience est publique.
« Les jugements rendus en application du premier alinéa du présent II sur la légalité de la décision sont susceptibles d'appel dans un délai de dix jours à compter de leur notification. Dans ce cas, la juridiction d'appel statue dans un délai d'un mois à compter de sa saisine.
« Les modalités d'application du présent II sont précisées par décret en Conseil d'État. » ;
B (nouveau). – L'article 6-2 est ainsi modifié :
a) Aux I et III, après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ou un contenu relatif à la cession ou l'offre de stupéfiants relevant de l'article 222-39 du même code » ;
b) Au troisième alinéa du même III, les mots : « de l'infraction prévue à l'article 227-23 » sont remplacés par les mots : « des infractions prévues aux articles 227-23 et 222-39 » ;
C (nouveau). – Au premier alinéa du I de l'article 6-2-1, après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ou un contenu relatif à la cession ou l'offre de stupéfiants relevant de l'article 222-39 du même code » ;
D (nouveau). – L'article 6-2-2 est abrogé.
II. – L'article 323-3-2 du code pénal est ainsi modifié :
1° À la fin du I, les mots : « cinq d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende » sont remplacés par les mots : « sept ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amende » ;
2° Au III, le montant : « 500 000 euros » est remplacé par le montant : « 1 000 000 d'euros ».
Mme la présidente. L'amendement n° 203, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
Remplacer les mots :
la cession ou l'offre de stupéfiants dans les conditions prévues à l'article 222-39 dudit code
par les mots :
le trafic de stupéfiants relevant des articles 222-34 à 222-39 à l'exception de l'article 222-38 dudit code ou la provocation au trafic de stupéfiants ou à l'usage de ces derniers relevant de l'article L. 3421-4 du code de la santé publique
II. – Alinéa 7
Remplacer les mots :
des deuxième et quatrième alinéas
par les mots :
du deuxième alinéa
et les mots :
et 222-39
par les mots :
, 222-34 à 222-39 à l'exception de l'article 222-38 du code pénal et L. 3421-4 du code de la santé publique
III. – Après l'alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° À la première phrase du quatrième alinéa, les mots : « 421-2-5 et 227-23 du code pénal » sont remplacés par les mots : « 421-2-5, 227-23, 222-34 à 222-39 à l'exception de l'article 222-38 du code pénal et L. 3421-4 du code de la santé publique ».
IV. – Alinéa 14
Remplacer les mots :
à la cession ou l'offre de stupéfiants relevant de l'article 222-39 du même code
par les mots :
au trafic de stupéfiants relevant des articles 222-34 à 222-39 à l'exception de l'article 222-38 du même code ou la provocation au trafic de stupéfiants ou à l'usage de ces derniers relevant de l'article L. 3421-4 du code de la santé publique
V. – Alinéa 15
Remplacer les mots :
aux articles 227-23 et 222-39
par les mots :
à l'article 227-23 du code pénal, aux articles 222-34 à 222-39 à l'exception de l'article 222-38 du même code, et à l'article L. 3421-4 du code de la santé publique
VI. – Alinéa 16
Remplacer les mots :
à la cession ou l'offre de stupéfiants relevant de l'article 222-39 du même code
par les mots :
au trafic de stupéfiants relevant des articles 222-34 à 222-39 à l'exception de l'article 222-38 du même code ou la provocation au trafic de stupéfiants ou à l'usage de ces derniers relevant de l'article L. 3421-4 du code de la santé publique
VII. – Après l'alinéa 20
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
.... – Au deuxième alinéa du I de l'article 5 de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, les mots : « d'hébergement » sont remplacés par les mots : « d'accès à internet ».
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. La commission d'enquête a très bien montré que, désormais, les drogues les plus dures sont disponibles partout, dans les quartiers, dans les villages, et tout le temps, notamment depuis le développement de l'Ubershit pendant la covid.
Pour tenir compte de cette dimension numérique du trafic, cet amendement vise à conférer à Pharos les mêmes pouvoirs qu'en matière de lutte contre le terrorisme ou en cas d'actes de barbarie. Ce service pourra ainsi, pour lutter contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée, procéder à des suppressions de contenus et au blocage de certains sites.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas limiter ces actions à la lutte contre la promotion et la vente de la drogue. Il faut inclure tous les contenus relatifs au trafic de stupéfiants en général. Je pense par exemple à la provocation au trafic de stupéfiants et à l'usage illicite d'une substance ou d'une plante classée comme stupéfiante – autant d'infractions déjà répertoriées par le code pénal.
Tel est l'objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Cet amendement vise deux objectifs, qui soulèvent à notre sens des problèmes distincts.
En premier lieu, il a pour objet d'étendre significativement le champ des contenus liés aux stupéfiants qui pourraient donner lieu à une demande de retrait, de déréférencement ou de blocage d'accès à internet par Pharos.
Pour mémoire, l'article 12 vise précisément à étendre ce type de prérogatives aux contenus liés à l'offre et à la cession de stupéfiants, afin d'entraver l'ubérisation rampante du trafic – évoquée à l'instant par le ministre – dont les dangers ont été soulignés avec force par la commission d'enquête.
En l'état du droit, ces prérogatives sont réservées à la lutte contre le narcotrafic et la pédocriminalité. Le dispositif retenu montre bien à quel niveau de gravité nous élevons le narcotrafic.
Cette nécessité d'agir justifie bien à nos yeux une telle mesure, qui reste une atteinte importante au principe de liberté d'expression, puisque Pharos n'agirait ici que dans un cadre préventif de police administrative. Cela doit nous inviter à la prudence, si nous ne voulons pas fragiliser juridiquement ce dispositif utile et attendu et risquer une censure constitutionnelle.
Dans le cadre de nos travaux, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) nous a incités à une grande vigilance quant au champ du dispositif. À cet égard, les dispositions de l'amendement paraissent aller trop loin, puisqu'elles étendraient ce champ à tout contenu lié aux stupéfiants, y compris ceux qui sont liés à la promotion de la consommation. Attention à ne pas faire disparaître d'internet la moitié du rap français, par inadvertance, au détour d'un amendement !
Nous n'ignorons évidemment pas que la lutte contre le narcotrafic est, aussi, un combat culturel et passe par un changement des mentalités vis-à-vis de la consommation. Cependant, la commission d'enquête ne s'est volontairement pas concentrée sur ces enjeux, qui appellent une analyse spécifique. Je n'écoute pas que Bob Marley (Sourires.), mais Pharos, qui accomplit par ailleurs un travail remarquable et essentiel, ne paraît pas l'outil le plus adapté pour mener ce combat.
Par ailleurs, l'amendement tend à intégrer une mesure liée à la lutte contre les actes de torture et de barbarie en ligne, sans lien avec l'objet de cette proposition de loi.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Loin de moi l'idée de faire disparaître une partie du rap français ! (Sourires.)
C'est la plateforme Pharos, sous l'autorité de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), qui choisira de supprimer, ou non, un contenu, une vidéo ou de bloquer un site. Il n'y a donc aucun souci à se faire pour la protection des œuvres artistiques : Pharos ne se lancera pas dans de telles menées, monsieur le rapporteur.
Par ailleurs, nous essayons de lutter contre l'ubérisation. La commission souhaite s'en tenir à la promotion de la vente. Pour moi, ce n'est pas suffisant.
Il faut inclure tous les contenus relatifs au trafic de stupéfiants en général – c'est bien l'objet du texte –, à la provocation au trafic de stupéfiants et à l'usage illicite d'une substance ou d'une plante classée comme stupéfiante. Le dispositif reste donc cadré. Et là encore, ce n'est pas le ministre de l'intérieur qui ordonnera à Pharos de supprimer tel ou tel contenu…
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)
Après l'article 12
Mme la présidente. L'amendement n° 92 n'est pas soutenu.
L'amendement n° 194, présenté par Mmes Narassiguin, de La Gontrie et Linkenheld, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° L'article L. 34-1-1 est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. L. 34-1-1. – Les opérateurs de communication électronique ou leurs sous-traitants offrant un service de communications interpersonnelles à prépaiement sont tenus d'identifier toute personne faisant l'acquisition de ce service et de vérifier ces éléments d'identification sur présentation de tout document écrit à caractère probant.
« Pour les besoins des procédures pénales et de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, ils sont tenus de conserver les informations relatives à l'identification de l'acquéreur pour une durée de cinq ans.
« Les conditions d'application du présent article sont précisées par un décret en Conseil d'État » ;
2° Après l'article L. 39-8, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. 39-8-... – Est puni de 15 000 euros d'amende le fait de ne pas respecter les obligations prévues à l'article L. 34-1-1 du présent code. »
II. – Le 2° du I du présent article entre en vigueur à compter de la publication du décret prévu au dernier alinéa de l'article L. 34-1-1 du code des postes et des communications électroniques dans la rédaction résultant de la présente loi.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement vise à instaurer, pour les opérateurs de télécommunication, une obligation de vérifier l'identité des personnes acquérant des cartes SIM prépayées et de conserver ces informations pendant cinq ans pour les besoins de la lutte contre la criminalité organisée.
Cette mesure correspond à la recommandation n° 19 de la commission d'enquête du Sénat. Les narcotrafiquants utilisent massivement des cartes SIM prépayées pour éviter toute identification et poursuivre leurs activités illégales de manière anonyme.
Cet amendement vise donc à renforcer la traçabilité et l'efficacité des enquêtes pénales, tout en respectant le cadre juridique européen.
La Belgique et le Luxembourg ont déjà adopté des mesures similaires sans qu'elles entrent en conflit avec les normes européennes. De plus, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ont confirmé que de telles mesures étaient compatibles avec le respect des droits fondamentaux, notamment en matière de protection de la vie privée.
L'obligation de vérifier l'identité des acheteurs et de conserver ces informations pendant cinq ans constituera un outil précieux dans la lutte contre les trafics, sans pour autant violer les principes européens en matière de protection des données personnelles.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Cet amendement a pour objet de renforcer les obligations des vendeurs de cartes SIM prépayées. Ses dispositions correspondent à une recommandation de la commission d'enquête.
La commission émet donc un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Même avis : toutes les mesures favorisant la transparence et la traçabilité sont les bienvenues !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 12.
TITRE V
MESURES DE PROCÉDURE PÉNALE ET FACILITATION DE L'UTILISATION DES TECHNIQUES SPÉCIALES D'ENQUÊTE
Article 13
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° A (nouveau) Après l'article 242, il est inséré un article 242-1 ainsi rédigé :
« Art. 242-1. – Sans préjudice du titre XVI du livre IV, pour le jugement des crimes commis en bande organisée et du crime d'association de malfaiteurs en vue de commettre de tels crimes, les règles relatives à la composition et au fonctionnement de la cour d'assises sont fixées par l'article 698-6.
« Pour le jugement des accusés mineurs âgés de seize ans au moins, et hors le cas prévu à l'article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs, les règles relatives à la composition et au fonctionnement de la cour d'assises des mineurs sont également fixées par ces dispositions, deux des assesseurs étant désignés parmi les juges des enfants du ressort de la cour d'appel, conformément à l'article L. 231-10 du même code. Les articles L. 513-2, L. 513-4 et L. 522-1 dudit code sont également applicables. » ;
1° L'article 706-26 est ainsi modifié :
a) Les mots : « le délit » sont remplacés par les mots : « les crimes et délits » ;
b) Le mot : « prévu » est remplacé par le mot : « prévus » ;
c) Les mots : « il a » sont remplacés par les mots : « ils ont » ;
d) (Supprimé)
2° (Supprimé)
3° L'article 712-2 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Parmi ces magistrats, certains sont spécialement désignés pour être en charge de l'application des peines prononcées en cas d'une condamnation pour une infraction mentionnée à l'article 706-73 ; ils sont les seuls autorisés à statuer sur la situation des personnes concernées. » ;
b) Au début du deuxième alinéa, les mots : « Ces magistrats » sont remplacés par les mots : « Les juges de l'application des peines ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 223, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 11 à 13
Remplacer ces alinéas par quatorze alinéas ainsi rédigés :
3° Après l'article 706-75-6, il est inséré un article 706-75-7 ainsi rédigé :
« Art. 706-75-7. – Par dérogation aux dispositions de l'article 712-10, les décisions concernant les personnes condamnées pour une infraction entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception du 11° , du 11° bis et du 18° , 706-73-1, à l'exception du 11° , et 706-74, relèvent de la compétence du juge de l'application des peines du tribunal judiciaire de Paris, du tribunal de l'application des peines de Paris et de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris :
« 1° de manière exclusive, lorsque ces personnes ont été condamnées par les juridictions de jugement de Paris statuant en application de l'article 706-75, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné ;
« 2° de manière concurrente, lorsque ces personnes ont été condamnées dans des procédures pour lesquelles n'a pas été exercée la compétence prévue par l'article 706-75.
« Ces décisions sont prises après avis du juge de l'application des peines compétent en application de l'article 712-10.
« Pour l'exercice de leurs attributions, les magistrats des juridictions mentionnées au premier alinéa peuvent se déplacer sur l'ensemble du territoire national, sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 706-71 sur l'utilisation de moyens de télécommunication.
« Le ministère public auprès des juridictions du premier degré de Paris compétentes en application du présent article est représenté par le procureur de la République anticriminalité organisée en personne ou par ses substituts. » ;
4° Après l'article 706-76-4, il est inséré un article 706-76-5 ainsi rédigé :
« Art. 706-76-5. – Par dérogation aux dispositions de l'article 712-10, les décisions concernant les personnes condamnées pour une infraction entrant dans le champ d'application des articles 706-73, à l'exception du 11° , du 11° bis et du 18° , 706-73-1, à l'exception du 11° , et 706-74, relèvent de la compétence du juge de l'application des peines du tribunal judiciaire mentionné à l'article 706-76 dans le ressort duquel est situé soit l'établissement pénitentiaire dans lequel le condamné est écroué, soit, si le condamné est libre, la résidence habituelle de celui-ci, ou, s'il n'a pas en France de résidence habituelle, du tribunal judiciaire ayant prononcé la condamnation :
« 1° de manière exclusive, lorsque ces personnes ont été condamnées par les juridictions de jugement statuant en application de l'article 706-76 ;
« 2° de manière concurrente, lorsque ces personnes ont été condamnées dans des procédures pour lesquelles n'a pas été exercée la compétence prévue par l'article 706-76.
« Il en va de même pour la détermination du tribunal de l'application des peines et de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel territorialement compétent.
« Ces décisions sont prises après avis du juge de l'application des peines compétent en application de l'article 712-10.
« Pour l'exercice de leurs attributions, les magistrats des juridictions mentionnées au premier alinéa peuvent se déplacer sur l'ensemble du territoire interrégional, sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 706-71 sur l'utilisation de moyens de télécommunication. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure à la tribune, le parquet est spécialisé, mais il ne doit pas être le seul à l'être : le ministère de l'intérieur, le chef de file et les juges d'application des peines (JAP) doivent l'être également. Nous souhaitons prévoir des JAP spécialisés par région, afin qu'ils travaillent à 360 degrés, et non selon le statut des prévenus.
Une telle spécialisation serait très utile pour lutter contre le narcotrafic comme nous luttons contre le terrorisme.
Mme la présidente. L'amendement n° 253, présenté par Mme M. Jourda et M. Durain, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Remplacer la première occurrence du mot :
à
par les mots :
aux 1° à 6° et 12° à 15° de
La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 223.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous sommes d'accord pour spécialiser une chaîne pénale. Mais nous ne sommes pas d'accord sur les critères à retenir.
Nous estimons que la spécialisation ne peut exister pour l'ensemble du champ des infractions à la législation sur les stupéfiants, qui n'ont pas toutes le même degré de gravité. Nous souhaitons spécialiser les JAP sur les infractions qui présentent un certain degré de gravité. Tel est l'objet de cet amendement.
Le Gouvernement veut lier cette spécialisation au fait que les dossiers soient traités par les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs). Mais celles-ci ne sont pas saisies parce que les infractions sont les plus graves ; elles le sont en fonction d'un critère de complexité de l'infraction. Les parquets locaux peuvent parfaitement traiter des dossiers plus graves que les Jirs.
Le critère de gravité est donc le plus pertinent pour apprécier la nécessité de la spécialisation, me semble-t-il. Par conséquent, il faut se référer à l'infraction elle-même et non à la juridiction saisie.
La commission émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 223.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 253 ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il s'agit là d'un point très important.
Avant tout, nous sommes d'accord avec la commission pour spécialiser les JAP, ce qui est positif.
Toutefois, si l'amendement de la commission est adopté, nous aurons un problème. En effet, ce qui compte, ce n'est pas l'infraction. C'est de disposer d'une juridiction spécialisée, avec un parquet spécialisé, qui puisse procéder à une application des peines spécialisée et, en même temps, de prévoir un régime de détention spécial pour les narcotrafiquants.
Si l'on ne prend en compte que l'infraction, il y aura partout en France, dans toutes les juridictions, dans tous les parquets, des JAP spécialisés, avec des cibles trop nombreuses, alors que l'objectif est bien de cibler les affaires les plus importantes. Nous voulons des JAP spécialisés selon la juridiction : il ne s'agit pas de les multiplier dans toutes les juridictions de France, car ce serait une énorme déperdition de moyens.
Nous évoquions la révolution carcérale. Ce que j'essaie de proposer est nouveau en France. Dans les processus d'isolement à l'italienne que nous construisons dans les prisons de haute sécurité, il s'agit de juger les personnes détenues non pas selon le type d'infraction qu'on leur reproche, mais selon leur dangerosité pour la Nation.
Il y a dans les prisons une forme de mixité. Certes, on distingue les personnes en détention provisoire, en attente de jugement, des détenus condamnés. Mais on trouve en détention provisoire des personnes plus dangereuses que certains détenus déjà condamnés.
Il suffit de penser à l'âge : un détenu octogénaire ou nonagénaire peut avoir été un grand criminel, mais il est aujourd'hui moins dangereux. Carlos, par exemple, à la centrale de Poissy, est moins dangereux pour la société que certains jeunes qui ont simplement fait des tentatives d'homicide et qui sont en détention provisoire dans nos maisons d'arrêt.
Nous souhaitons donc une spécialisation tout au long du parcours pénal. L'amendement de la commission, lui, tend à instaurer une spécialisation par infraction dans chacune des juridictions. C'est impossible, évidemment, et ce serait tout à fait inefficace.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous appelle donc à respecter un parallélisme avec la lutte contre le terrorisme. Du chef de filat à la détention, en passant par le parquet et par les JAP spécialisés, tout doit être organisé par juridiction, non par infraction.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous sommes au moins d'accord sur la spécialisation de toute la chaîne pénale, y compris des JAP, et sur le fait que c'est la gravité de l'infraction qui doit déclencher la saisine du juge spécialisé.
Toutefois, je persiste, ce n'est pas dans les Jirs que l'on trouve les infractions les plus graves. Mohamed Amra n'a pas été jugé par une Jirs, parce que l'infraction commise était grave, mais non complexe, alors que tel est le critère de saisie des Jirs.
J'ai conscience que ce débat est quelque peu technique, mais je persiste à dire que notre amendement est plus réaliste. Mes chers collègues, pour une fois, donnez raison à votre commission ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Pardonnez-moi de reprendre la parole, mais l'application des peines pour les narcotrafiquants mérite quelques minutes de débat.
L'exemple pris par Mme Jourda est révélateur. M. Amra n'était pas suivi par une Jirs, parce que l'infraction n'était pas complexe, dit-elle. Or, si notre disposition avait été en vigueur, M. Amra aurait été considéré comme quelqu'un de dangereux ayant commis des délits complexes ; en effet, il était impliqué dans une affaire à Lille, une à Marseille et une à Évreux, mais les services concernés ne se parlaient pas.
Avec un parquet spécialisé et avec de la coordination, comme il y aura un travail centralisé avec la police judiciaire, les futurs MM. Amra seront mieux suivis. D'ailleurs, ce détenu a pu se libérer dans des conditions très professionnelles. Ce n'était donc pas un petit délinquant, et nous l'avons très mal évalué.
J'y insiste, prévoir des JAP selon l'infraction ne serait pas conforme au parallélisme que nous essayons de respecter avec la lutte contre le terrorisme.
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.
M. Francis Szpiner. Je suis désolé de faire de la peine à mes collègues de la commission, mais, dès lors qu'il est question de JAP, nous parlons de personnes qui ont été condamnées.
Nous ne devons donc pas nous intéresser aux poursuites, mais à l'exécution de la peine. Et celle-ci sera détachée de la juridiction qui aura prononcé la condamnation, d'après les projets de la Chancellerie.
Carlos, que je connais bien, a changé régulièrement de prison pour des raisons de sécurité. Après la condamnation, la personne concernée est donc trimballée de juridiction en juridiction. Ce n'est pas le JAP de la maison de Clairvaux, par exemple, qui pourra prendre des décisions utiles, simplement parce qu'il aura eu le condamné pendant six mois dans sa juridiction.
Nous devons donc conserver des JAP spécialisés. La nature même de l'exécution de la peine fait que, d'habitude, on s'en tient au lieu d'exécution, mais que l'on ne conserve jamais longtemps les gens dangereux dans la même prison, pour éviter qu'ils n'acquièrent des complicités ou de mauvaises habitudes. Si ce n'est pas le juge d'application locale, ce qui serait dû au hasard des affectations, il faut bien un JAP centralisé à Paris.
Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 253 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 13, modifié.
(L'article 13 est adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, il est minuit. Si vous en êtes d'accord, je vous propose de prolonger la séance jusqu'à une heure du matin. (Murmures.)
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Article 14
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° A (nouveau) L'article 132-78 est ainsi modifié :
a) Les deux premiers alinéas sont ainsi rédigés :
« La personne qui a tenté de commettre un crime ou un délit est, dans les cas prévus par la loi, exempte de peine si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d'éviter la réalisation de l'infraction ou de mettre fin à sa préparation.
« Dans les cas prévus par la loi, la durée de la peine privative de liberté encourue par une personne ayant commis un crime ou un délit est réduite si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis de faire cesser la réalisation de l'infraction, d'éviter ou de limiter les dommages qu'elle a produits ou d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices. » ;
b) Au troisième alinéa, les mots : « de l'alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « du deuxième alinéa » ;
1° Après le même article 132-78, il est inséré un article 132-78-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-78-1. – Le bénéfice d'une exemption ou d'une réduction de peine prévue au présent code est subordonné à la présence dans le dossier de la procédure du rapport mentionné à l'article 706-63-1 A du code de procédure pénale et de la convention prévue au cinquième alinéa de l'article 706-63-1 du même code, sauf si la personne a effectué des déclarations au cours de l'audience de jugement.
« Les modalités par lesquelles la juridiction se prononce sur la peine et fixe la durée maximale de l'emprisonnement encouru par le condamné pendant le délai de prescription de la peine sont définies au même article 706-63-1.
« Les personnes ayant bénéficié d'une réduction de peine en application du présent article peuvent bénéficier d'une libération conditionnelle lorsque la durée de la peine accomplie est au moins égale au tiers de la peine prononcée par la juridiction de jugement.
« La procédure prévue aux quatrième à septième alinéas est également applicable aux personnes ayant averti les autorités administratives ou judiciaires dans les conditions mentionnées aux articles 222-43 et 222-43-1. » ;
2° L'article 221-5-3 est ainsi rédigé :
« Art. 221-5-3. – Toute personne qui a tenté de commettre les crimes d'assassinat ou d'empoisonnement est exempte de peine si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d'éviter la mort de la victime.
« La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis d'éviter la répétition de l'infraction ou d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices. » ;
3° Après les mots : « faire cesser les agissements incriminés et d'identifier, le cas échéant, les autres coupables », la fin de la première phrase de l'article 222-43 est ainsi rédigée : « faire cesser la réalisation de l'infraction, d'éviter ou de limiter les dommages qu'elle a produits ou d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices. » ;
4° L'article 222-43-1 est ainsi modifié :
a) (nouveau) Après les mots : « l'infraction », la fin est ainsi rédigée : « ou de mettre fin à sa préparation. » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice de l'une des infractions prévues par la présente section est réduite de moitié si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser la réalisation de l'infraction, de mettre fin à sa préparation, d'éviter ou de limiter les dommages qu'elle a produits ou d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices. » ;
4° bis (nouveau) Après l'article 222-67, il est inséré un article 222-67-1 ainsi rédigé :
« Art. 222-67-1. – Toute personne qui a tenté de commettre les infractions prévues par la présente section est exempte de peine si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d'éviter leur réalisation ou de mettre fin à leur préparation.
« La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice de l'une des infractions prévues par la présente section est réduite de moitié si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser la réalisation de l'infraction, d'éviter ou de limiter les dommages qu'elle a produits ou d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices. » ;
5° L'article 450-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La peine privative de liberté encourue par une personne ayant participé au groupement ou à l'entente définis au même article 450-1 est réduite de moitié si elle a, après l'engagement de poursuites, permis l'identification des autres participants. »
II. – Le titre XXI bis du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° A (nouveau) L'intitulé est ainsi rédigé : « Des collaborateurs de justice » ;
1° Au début, sont ajoutés des articles 706-63-1 A à 706-63-1 D ainsi rédigés :
« Art. 706-63-1 A. – I. – Les personnes susceptibles de bénéficier d'une exemption ou d'une réduction de peine en application du code pénal et qui expriment, au cours de l'enquête ou de l'instruction, la volonté de collaborer avec la justice aux fins d'éviter la réalisation d'une infraction, de mettre fin à sa commission ou à sa préparation, d'éviter ou de limiter les dommages qu'elle a produits ou d'en identifier les auteurs ou complices peuvent se voir octroyer le statut de collaborateur de justice dans les conditions prévues au présent article.
« II. – Lorsqu'une personne mentionnée au I exprime sa volonté de collaborer avec la justice, le procureur de la République ou le juge d'instruction, après avis du procureur de la République, requiert un service figurant sur une liste fixée par décret en Conseil d'État, aux fins d'évaluer la personnalité et l'environnement de cette personne. Après réception de cette évaluation, le procureur de la République ou le juge d'instruction après avis du procureur de la République recueille les déclarations ou fait procéder à ce recueil par procès-verbal séparé lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'elles sont déterminantes pour la manifestation de la vérité.
« Le procureur de la République ou le juge d'instruction procède à l'évaluation du caractère sincère, complet et déterminant des déclarations recueillies sur procès-verbal.
« Après avoir recueilli l'avis de la commission mentionnée à l'article 706-63-1, si le procureur de la République ou le juge d'instruction l'estime opportun au regard de la complexité ou de la gravité de l'affaire, il octroie à la personne concernée le statut de collaborateur de justice. Les procès-verbaux de déclaration et l'avis de la commission sont joints à la décision. Lorsque la commission a rendu un avis défavorable, le magistrat indique les éléments qui lui semblent justifier de passer outre cet avis.
« Les procès-verbaux de déclaration ne peuvent être versés en procédure.
« III. – Les personnes mentionnées au I du présent article disposent d'un délai de cent quatre-vingts jours pour communiquer toutes les informations utiles en leur possession.
« Leurs déclarations sont consignées dans un rapport établi par les officiers de police judiciaire sous le contrôle du juge d'instruction ou du procureur de la République. Les mesures de protection mentionnées à l'article 706-63-1 ne peuvent être accordées aux personnes qui n'ont pas communiqué toutes les informations dans le délai prescrit ; elles peuvent également être révoquées en cas de violation des engagements contenus dans la convention conclue en application de l'article 706-63-1 C.
« Lorsque la collaboration d'une personne avec la justice concerne l'une des infractions mentionnées à l'article 706-74-1, le recueil et la consignation des informations sont assurés par le procureur de la République national anti-criminalité organisée.
« Art. 706-63-1 B (nouveau). – I. – À titre exceptionnel et dans l'intérêt de la justice, lorsque les déclarations de la personne concernée sont d'une importance déterminante pour la manifestation de la vérité, notamment lorsqu'elles permettent l'identification d'un grand nombre d'autres auteurs ou de complices ou lorsqu'elles permettent de faire cesser ou d'éviter la commission ou la répétition d'une infraction d'une particulière gravité, le procureur de la République national anti-criminalité organisée, le procureur de la République près d'un des tribunaux judiciaires dont la compétence territoriale a été étendue au ressort d'une ou plusieurs cours d'appel en application de l'article 706-75 ou le juge d'instruction appartenant à la formation spécialisée de l'instruction des tribunaux judiciaires précités peut octroyer à une personne ayant collaboré avec la justice une immunité de poursuites dans les conditions prévues au présent article.
« II. – Dans le cas où, après avoir recueilli les déclarations d'une personne entrant dans les prévisions du I de l'article 706-63-1 A et après avoir accompli les formalités prévues aux II et III du même article 706-63-1 A, le magistrat compétent envisage de lui proposer une immunité de poursuites, totale ou partielle, il requiert, au moins trente jours avant la conclusion de la convention mentionnée au III du présent article, l'avis de la commission mentionnée à l'article 706-63-1. Celle-ci se prononce dans un délai maximal de quatorze jours ; seules peuvent se voir accorder l'immunité de poursuites, les personnes dont le dossier a fait l'objet d'un avis favorable de la commission. Cette dernière peut, pour former son avis, saisir à nouveau le service mentionné au premier alinéa du II de l'article 706-63-1 A, qui se prononce alors dans le délai qu'elle fixe.
« III. – Lorsque la commission mentionnée à l'article 706-63-1 a donné un avis favorable à l'octroi d'une immunité de poursuites, le magistrat compétent rédige une convention qui comporte, outre les éléments mentionnés à l'article 706-63-1 C :
« 1° La liste précise des infractions commises pour lesquelles l'immunité est applicable ;
« 2° Les mesures de protection et de réinsertion accordées à la personne concernée et à ses proches ;
« 3° La liste des engagements auxquels la personne concernée est tenue et la durée de chacun de ces engagements ;
« 4° Le cas échéant, les conditions dans lesquelles l'immunité prend fin.
« IV. – Le délai de prescription de la peine encourue pour les infractions pour lesquelles une immunité a été accordée est réputé commencer à courir à la date de la conclusion de la convention mentionnée au III du présent article.
« Pendant la durée de prescription, s'il survient des éléments nouveaux faisant apparaître que la personne concernée a effectué des déclarations volontairement inexactes ou incomplètes, ou si elle commet une nouvelle infraction ou viole l'un des engagements pris dans le cadre de la convention qu'elle a conclue avec l'autorité judiciaire, l'immunité accordée prend fin de plein droit. La constatation de la fin de l'immunité est faite, sur réquisition du procureur de la République, par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.
« V. – Lorsqu'une immunité de poursuites a été accordée en application du présent article, les déclarations du collaborateur de justice sur l'infraction concernée ne peuvent en aucun cas être invoquées contre lui dans une procédure juridictionnelle, de quelque nature qu'elle soit. L'immunité accordée en application du présent article est valable devant toutes les juridictions françaises sans limitation de durée, sauf lorsque le statut de collaborateur de justice est révoqué dans les conditions prévues au IV du présent article.
« Aucune immunité ne peut être accordée pour des infractions dont la commission n'aurait pas cessé ou débuté à la date de conclusion de la convention mentionnée au III du présent article.
« Art. 706-63-1 C (nouveau). – La personne bénéficiant d'une immunité de poursuites, d'une exemption ou d'une réduction de peine ou de mesures de protection et de réinsertion en application des articles 706-63-1 A, 706-63-1 B ou 706-63-1 s'engage par le biais d'une convention conclue avec le juge d'instruction ou avec le procureur de la République à respecter les règles de sécurité prescrites, à collaborer au bon déroulement de l'enquête, à garder secrètes les informations transmises à la justice, à s'abstenir de tout contact avec les autres auteurs ou complices de l'infraction et à indemniser les victimes, ainsi qu'à respecter toute autre mesure prévue par la convention.
« Lorsqu'elle est conclue en application de l'article 706-63-1 A, la convention comporte également la mention de l'exemption ou de la réduction de peine demandée par le juge d'instruction ou par le procureur de la République.
« Lorsqu'elle est saisie, et sauf décision spécialement motivée, la juridiction de jugement est tenue d'octroyer au collaborateur de justice le bénéfice des exemptions ou réductions de peine prévues par la convention. Elle fixe également la durée maximale de l'emprisonnement encouru par le condamné s'il survient, pendant le délai de prescription de la peine, des éléments nouveaux faisant apparaître qu'il a effectué des déclarations volontairement inexactes ou incomplètes, s'il commet une nouvelle infraction ou s'il viole l'un des engagements pris dans le cadre de la convention qu'elle a conclue avec l'autorité judiciaire. Dans l'une de ces hypothèses, le tribunal de l'application des peines peut, sur réquisitions du procureur de la République et par décision motivée rendue après un débat contradictoire, ordonner la mise à exécution, en tout ou partie, de l'emprisonnement prévu par la juridiction de jugement.
« Art. 706-63-1 D (nouveau). – Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations recueillies dans les conditions prévues aux articles 706-63-1 A et 706-63-1 B. » ;
2° L'article 706-63-1 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est supprimé ;
a bis) (nouveau) Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait de révéler qu'une personne a sollicité des mesures de protection ou de réinsertion en application du présent article ou que cette personne et, le cas échéant, ses proches bénéficient de telles mesures est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. » ;
b) Avant le dernier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les décisions octroyant, refusant ou révoquant des mesures de protection ou de réinsertion sont motivées et notifiées aux personnes faisant l'objet de telles mesures, au procureur de la République et, le cas échéant, au juge d'instruction. Le président de la chambre de l'instruction connaît des recours formés par le procureur de la République, la personne concernée ou, le cas échéant, le juge d'instruction contre ces décisions ; le débat a lieu et ce magistrat statue en audience de cabinet. Sa décision n'est pas publiée.
« En cas de nécessité, la commission nationale peut autoriser le collaborateur de justice à faire usage d'une identité d'emprunt ou à modifier son état civil à titre définitif lorsque cette dernière mesure apparaît indispensable au regard de la gravité de la menace encourue. Cette faculté s'applique également aux proches de la personne concernée. » ;
3° (nouveau) L'article 706-63-2 est ainsi rédigé :
« Art. 706-63-2. – Sur la requête du juge d'instruction ou du procureur de la République, la chambre de l'instruction peut ordonner, à tous les stades de la procédure, l'audition ou la comparution des collaborateurs de justice ou des personnes mentionnées au premier alinéa de l'article 706-63-1 dans des conditions de nature à préserver leur anonymat, y compris en bénéficiant du dispositif technique mentionné à l'article 706-61 ou de tout dispositif permettant d'altérer ou de transformer leur voix ou leur apparence physique. »
Mme la présidente. L'amendement n° 224, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après l'article 132-78, il est inséré un article 132-78-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-78-1. – Lorsque la personne a bénéficié de la réduction de peine mentionnée à l'article 132-78 pour avoir fait des déclarations permettant de faire cesser l'infraction, d'éviter que l'infraction ne produise un dommage ou d'identifier les autres auteurs ou complices, la décision de condamnation fixe également la durée maximale de l'emprisonnement encouru par le condamné s'il survient, pendant une durée de dix ans en cas de condamnation pour délit ou vingt ans en cas de condamnation pour crime, des éléments nouveaux faisant apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations ou s'il commet un nouveau crime ou délit. La durée de l'emprisonnement encouru, cumulée à la peine d'emprisonnement prononcée, ne peut excéder le maximum légal en l'absence de la réduction de peine mentionnée à l'article 132-78.
« Les conditions dans lesquelles le tribunal de l'application des peines peut décider, en tout ou partie, l'exécution de l'emprisonnement sont fixées par le code de procédure pénale. » ;
2° L'article 221-5-3 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice d'un assassinat est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis d'identifier les autres auteurs ou complices.
« La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice du crime de meurtre est réduite de moitié si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis d'identifier les autres auteurs ou complices. Lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, celle-ci est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle. » ;
b) Le second alinéa est ainsi modifié :
- Les mots : « ramenée à vingt ans de réclusion criminelle » sont remplacés par les mots : « réduite de moitié » et le mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
- Il est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, celle-ci est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle. » ;
3° À la première phrase du deuxième alinéa des articles 222-6-2, 224-5-1, 224-8-1, 225-4-9, 225-11-1, 311-9-1, 312-6-1, le mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
4° À la première phrase des articles 222-43, 422-2 et 442-10, le mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
5° Au premier alinéa de l'article 414-4, la deuxième occurrence du mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
6° L'article 450-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice des infractions prévues par l'article 450-1 est réduite de moitié si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser l'infraction, d'éviter la commission d'une infraction préparée par le groupement ou l'entente ou d'identifier les autres auteurs ou complices de l'infraction préparée. »
II. – Le code de la défense est ainsi modifié :
1° À la première phrase des articles L. 1333-13-10 et L. 2339-13, la deuxième occurrence du mot : « et » est remplacé par le mot : « ou » ;
2° À la première phrase des articles L. 2341-6, L. 2353-9 et L. 2342-76, le mot : « et » est remplacé par le mot : « ou ».
III. – À l'avant-dernier alinéa de l'article 1741 du code général des impôts, après les mots : « il a permis », sont insérés les mots : « de faire cesser l'infraction ou » et après les mots : « d'identifier », sont insérés les mots : « , le cas échéant, ».
IV. - Le titre XXI bis du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° A L'intitulé est ainsi rédigé : "Des collaborateurs de justice" ;
1° Après le titre XXI bis du livre IV, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre Ier
« De l'octroi du statut de collaborateur de justice
« Art. 706-63-1-A. – Les personnes éligibles aux réductions de peine prévues à l'article 132-78 du code pénal peuvent bénéficier, au cours de l'enquête ou de l'instruction, du statut de collaborateur de justice dans les conditions prévues au présent chapitre.
« Art. 706-63-1-B. – Au cours de l'enquête ou de l'instruction, lorsqu'une personne mise en cause manifeste sa volonté de faire des déclarations permettant de faire cesser l'infraction, d'éviter que l'infraction ne produise un dommage ou d'identifier les autres auteurs ou complices, le procureur de la République ou le juge d'instruction, après avis du procureur de la République, peut requérir un service placé sous l'autorité ou la tutelle du ministre de l'intérieur figurant sur une liste fixée par décret, aux fins d'évaluer la personnalité et l'environnement de cette personne.
« Après réception de cette évaluation, le procureur de la République procède ou fait procéder au recueil des déclarations de cette personne par procès-verbal distinct lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'elles sont déterminantes pour la manifestation de la vérité. Dans le cadre d'une information judiciaire, le juge d'instruction procède lui-même à un tel recueil, ou peut y faire procéder, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article 152. Dans tous les cas, ce recueil est effectué dans les formes prescrites par le code de procédure pénale.
« Art. 706-63-1-C. – Le procureur de la République ou le juge d'instruction vérifie le caractère sincère, complet et déterminant des déclarations recueillies sur procès-verbal. Il recueille l'avis de la commission mentionnée à l'article 706-63-1.
« Si le procureur de la République ou le juge d'instruction, après avis conforme du procureur de la République, l'estime opportun au regard de la complexité de l'affaire, il saisit par requête la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris aux fins d'octroi du statut de collaborateur de justice. Les procès-verbaux de déclaration et d'évaluation et l'avis de la commission sont joints à la requête.
« Art. 706-63-1-D. – Si la chambre de l'instruction estime, au vu du dossier de la procédure, que les conditions mentionnées à l'article 132-78 du code pénal sont réunies, elle octroie par ordonnance motivée le statut de collaborateur de justice. Elle statue après avoir recueilli, par écrit, les réquisitions du procureur général ainsi que les observations éventuelles de la personne concernée ou de son avocat. La chambre de l'instruction peut, si elle l'estime nécessaire, procéder à l'audition de la personne concernée, si besoin en recourant à un moyen de télécommunication audiovisuelle selon les modalités prévues à l'article 706-71.
« La personne qui se voit octroyer le statut de collaborateur de justice est informée par tout moyen qu'elle a l'obligation, jusqu'à sa comparution devant la juridiction de jugement, de répondre aux convocations délivrées dans le cadre de la procédure et l'interdiction de commettre un nouveau crime ou délit.
« La décision de la chambre de l'instruction est notifiée à la personne concernée ou à son avocat ainsi qu'au parquet général. Elle peut faire l'objet d'un appel, dans les dix jours de sa notification, devant la même chambre de l'instruction autrement composée, dont la décision n'est pas susceptible de recours. L'ordonnance de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris est également communiquée au requérant, à la commission mentionnée à l'article 706-63-1 et, en cas d'octroi du statut, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris.
« En cas d'octroi du statut de collaborateur de justice, et une fois la décision devenue définitive, l'ordonnance, la requête, les procès-verbaux de déclaration, l'avis de la commission mentionnée à l'article 706-63-1 ainsi que tous les actes s'y rapportant sont alors versés au dossier de la procédure.
« En l'absence de saisine de la chambre de l'instruction ou lorsque celle-ci ne fait pas droit à la requête, les procès-verbaux de déclarations et d'évaluation, l'avis de la commission mentionnée à l'article 706-63-1 ainsi que tous les actes s'y rapportant ne sont pas versés en procédure, mais conservés dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également le cas échéant la requête et l'ordonnance de la chambre de l'instruction.
« Art. 706-63-1-E. – Le statut de collaborateur de justice peut être révoqué par la chambre de l'instruction près la cour d'appel de Paris, saisie à cette fin par le procureur de la République ou le juge d'instruction, si des éléments nouveaux font apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations ou en cas de commission d'un nouveau crime ou délit.
« Art. 706-63-1-F. – Lorsqu'elle est saisie, la juridiction de jugement est tenue d'octroyer au collaborateur de justice le bénéfice des réductions de la peine encourue prévues à l'article 132-78 du code pénal.
« Toutefois, la juridiction de jugement peut décider par décision motivée de ne pas octroyer ces réductions de peine en cas de révocation du statut ou de survenance après sa saisine d'un élément nouveau faisant apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations ou de commission d'un nouveau crime ou délit.
« Art. 706-63-1-G. – Pendant une durée de dix ans en cas de condamnation pour délit ou vingt ans en cas de condamnation pour crime à compter du jour où cette décision est devenue définitive, s'il survient des éléments nouveaux faisant apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations ou si la personne concernée commet un nouveau crime ou délit, le tribunal de l'application des peines du siège de la juridiction ayant prononcé la condamnation peut, sur réquisitions du procureur de la République, ordonner par décision motivée rendue après un débat contradictoire tenu en chambre du conseil la mise à exécution de l'emprisonnement fixé en application de l'article 132-78-1 du code pénal.
« Art. 706-63-1-H. – Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application des dispositions du présent chapitre. »
2° Les articles 706-63-1 et 706-63-2 forment un nouveau chapitre II intitulé : « De la protection des collaborateurs de justice » qui est ainsi modifié :
a) L'article 706-63-1 est ainsi modifié :
- Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures de protection et de réinsertion sont définies, sur réquisitions du procureur de la République, par une commission nationale dont la composition et les modalités de fonctionnement sont définies par décret en Conseil d'État. Au titre des mesures de protection, la personne peut, en cas de nécessité, être autorisée à faire usage d'une identité d'emprunt. Cette commission fixe les obligations que doit respecter la personne et assure le suivi des mesures de protection et de réinsertion, qu'elle peut modifier ou auxquelles elle peut mettre fin à tout moment. En cas d'urgence, les services compétents prennent les mesures nécessaires et en informent sans délai la commission nationale. »
- Les deuxième et quatrième alinéas sont supprimés ;
b) Après l'article 706-63-1 sont insérés deux articles 706-63-1-1 et 706-63-1-2 ainsi rédigés :
« Art. 706-63-1-1. – Est puni des peines prévues au troisième alinéa de l'article 706-63-1 le fait de révéler :
« 1° Qu'une personne a manifesté sa volonté de faire des déclarations permettant de faire cesser l'infraction, d'éviter que l'infraction ne produise un dommage ou d'identifier les autres auteurs ou complices ;
« 2° Le contenu des déclarations de cette personne.
« Art. 706-63-1-2. – Le collaborateur de justice peut déclarer comme domicile l'adresse de son avocat ou du service placé sous l'autorité ou la tutelle du ministre de l'intérieur mentionné à l'article 706-63-1-B avec leur accord. »
c) L'article 706-63-2 est ainsi modifié :
- Après les mots : « leurs proches », la fin de la première phrase est ainsi rédigée : « la chambre de l'instruction peut, d'office ou à la demande des collaborateurs de justice, ordonner leur comparution à tous les stades de la procédure dans des conditions de nature à préserver l'anonymat de leur apparence physique, y compris en bénéficiant d'un dispositif technique mentionné à l'article 706-61. Dans ce cas, cette décision est valable pour toute procédure dans laquelle ils sont témoins ou partie. » ;
- La dernière phrase est ainsi rédigée : « La chambre de l'instruction statue après avoir recueilli les observations écrites du procureur général et des parties concernées. » ;
- Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La juridiction de jugement peut également ordonner le huis clos ou la comparution des collaborateurs de justice dans des conditions de nature à préserver l'anonymat de leur apparence physique. La juridiction de jugement statue à huis clos sur cette demande. »
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il s'agit d'un moment très important de nos débats, puisque cet article porte sur le statut du repenti.
La législation italienne, chacun le sait grâce aux médias ou au cinéma, prévoit le cas de repentis qui, ayant participé à des crimes, même de sang – des homicides –, sortent de l'organisation criminelle et collaborent avec la justice. En échange, ils reçoivent une protection et peuvent signer avec l'autorité judiciaire une convention liant cette dernière dans la réponse pénale apportée aux infractions commises.
Il s'agit d'un débat à la fois moral et pratique. Devons-nous prévoir un tel statut ? Comment organiser la protection correspondante ? Le ministère de la justice a beaucoup travaillé sur le sujet. Et votre commission d'enquête, dont je salue de nouveau les travaux, nous pousse à créer franchement un tel statut.
De fait, cela devient une condition pour obtenir des aveux et des preuves, dans un monde où l'on ne parle pas ou très peu, qu'il s'agisse du narcotrafic ou de certaines organisations criminelles. En Corse, par exemple, la culture de l'aveu n'existe absolument pas et le silence est généralisé.
Puisque la prison ne fait plus peur à une partie des narcotrafiquants, puisque les règlements de compte entre eux sont extrêmement violents, la prise de risque de quelqu'un qui se repentirait est énorme, pour lui et pour sa famille.
C'est pourquoi l'amendement que nous vous proposons – peut-être des modifications pourront encore lui être apportées lors de la navette parlementaire – vise à élargir aux crimes de sang le statut de repenti. Sinon, ce dernier aurait peu d'intérêt. Qui viendrait parler devant la justice pour dénoncer son organisation criminelle et en décrire le fonctionnement général s'il ne peut espérer une remise de peine importante ? Je pense à des personnes qui encourraient la réclusion à perpétuité et n'effectueraient qu'une peine de quinze à vingt ans d'emprisonnement, ce qui reste une sanction assez importante.
Ce statut du repenti collaborateur de justice, nos amis italiens l'ont mis en place avec succès.
L'article 14 de ce texte a fait du bruit. Il apporterait un changement profond à notre droit. Il va de pair avec un certain nombre de dispositifs d'infiltrés, de collaborateurs, de « tontons », comme disent les policiers et les gendarmes, qui n'ont rien à voir avec le statut du repenti tel que je vous le présente aujourd'hui.
Ce statut concernerait, vous l'avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, des auteurs de crimes graves, appartenant à des organisations criminelles très importantes, ayant eux-mêmes un riche palmarès de délinquant et de criminel, ayant parfois été les auteurs de crimes de sang, qui conventionneraient avec la justice en échange d'aveux et d'un arrêt de leur activité criminelle.
Le juge serait lié par cet accord, évidemment, et les personnes concernées ne seraient pas condamnées à la totalité de la peine encourue. En revanche, leur organisation et leurs complices seraient soumis à toutes les rigueurs de la loi.
Il s'agit d'un moment important pour notre droit et pour la justice française. Le rapport de votre commission d'enquête a montré qu'il fallait avancer plus avant, afin que la justice recueille davantage d'aveux et de preuves pour lutter plus efficacement contre les organisations criminelles.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. « De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ! » disait Danton, dont la statue trône à deux pas d'ici, place de l'Odéon.
La commission a fait preuve d'audace, en inventant un certain nombre de procédures : l'injonction pour richesse inexpliquée, le dispositif contre l'incitation en ligne dirigée vers des mineurs...
Avec le statut de repenti, nous poussons encore un peu plus loin. Le dispositif des repentis ne marche pas. Il a été créé en 2004 par la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite Perben, et mis en œuvre en 2014. Il y a des milliers de repentis en Italie, quelques poignées chez nous. Le sujet est l'efficacité, plus que la morale : il y a un sujet technique et un sujet philosophique.
Le Gouvernement pratique l'économie de mots en défendant en une seule phrase, dans l'objet de l'amendement, une rédaction de plusieurs pages que nous avions proposée. En effet, les divergences entre nous sont de taille.
Monsieur le ministre, vous rejetez l'immunité de poursuite – c'est là que réside l'audace – que le Sénat entend créer pour les repentis et qui peut faire tomber des réseaux entiers ou mettre fin à la commission d'infractions particulièrement graves.
Vous restez en fait dans l'idée de gentils repentis. Les gentils repentis, c'est bien, les enfants de chœur aussi… Certes, il n'y a pas d'indexation de la qualité des informations fournies sur le niveau de dangerosité des individus ou sur les actes perpétrés. Mais quelqu'un qui se trouve au cœur des réseaux et qui a peut-être commis des crimes de sang en sait long sur ce qui s'est passé dans son réseau criminel…
Les Britanniques expérimentent la chose depuis une vingtaine d'années. Il n'y a aucun risque à faire preuve d'ambition. Dans le pire des cas, ce dispositif ne sera pas utilisé. Dans le meilleur, il nous permettra, comme en Italie, d'être bien plus efficaces.
Par ailleurs, vous créez aussi un nouveau verrou technique en confiant à la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Paris le soin de décider qui doit se voir accorder ce statut.
Nous avons beaucoup travaillé avec l'ancien président de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), M. Sturlèse, et avec son actuel président, M. Sommerer. Il apparaît que ceux qui connaissent le mieux les potentiels repentis sont les magistrats en charge de l'enquête ou de l'instruction. Qui aura envie d'être repenti si le magistrat et les policiers qu'il rencontre ne sont pas en capacité de lui garantir une protection, comme c'est le cas aujourd'hui ?
Le dispositif que nous avions imaginé était le bon, je crois, et nous devons faire preuve d'audace, pousser notre chance et donner enfin l'élan nécessaire à cet outil particulièrement utile.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. M. le rapporteur nous invite à l'audace. Le Gouvernement y est prêt. C'est dans cet esprit que nous nous présentons devant vous.
Toutefois, je pense que la mise en place d'un tel statut mérite une discussion plus approfondie. Que les enfants de chœur qui viennent se confesser aient moins fauté que d'autres auteurs de péchés est une chose. Mais le débat revêt une dimension morale : faut-il renoncer à toute poursuite et accorder une immunité ? Si oui, pendant combien de temps ? Et cette immunité inclurait-elle les auteurs de crimes de sang ? J'imagine que, dans votre esprit, cela ne doit pas être le cas.
Par ailleurs, l'argument des enfants de chœur est réversible. La personne qui, même sans avoir commis de crimes de sang, vient parler à la justice n'est pas exactement un enfant de chœur. Elle se situerait plutôt à mi-chemin entre le diablotin et le chérubin ! (Sourires.)
Et quid d'un auteur de crimes de sang ou d'un individu ayant participé à une organisation criminelle ? Les organisations criminelles qui feraient du trafic de drogue « sans arme, ni haine, ni violence », pour reprendre la formule de Spaggiari, sont tout de même assez rares ! Aujourd'hui, la violence est consubstantielle aux trafics.
Peut-être notre dispositif n'est-il pas suffisamment audacieux, mais le vôtre, lui, n'est sans doute pas assez précis.
Par ailleurs, nous avons une autre question à trancher : qui accorde un tel statut ? Pour notre part, nous considérons que celui-ci doit relever de la juridiction compétente au regard du lieu de la demande. Vous envisagez d'autres possibilités. Pourquoi pas ? L'essentiel est d'avoir un dispositif opérationnel.
Je veux bien retirer l'amendement du Gouvernement, afin que nous puissions retravailler collectivement sur la question de l'immunité – que faire dans le cas de crimes de sang, par exemple ? –, dans la perspective de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, puis de la réunion de la commission mixte paritaire.
Je souhaite que nous puissions échanger avec les rapporteurs sur la rédaction de cet article, afin de parvenir à un compromis sur la mise en place d'un tel statut.
Certes, nous devons viser davantage l'efficacité que la morale. Mais l'idée d'abandonner toute poursuite à l'encontre d'un individu du seul fait de son choix de parler n'est pas toujours audible par nos concitoyens, notamment par les victimes.
Or le garde des sceaux est aussi le ministre des victimes. Il ne peut donc accorder un blanc-seing à n'importe qui, fût-ce pour faire tomber toute une organisation.
La question est complexe et très importante. Je souhaite que nous puissions continuer à travailler dans l'esprit collectif et constructif qui nous anime en ce moment, monsieur le rapporteur.
Je retire donc mon amendement, madame la présidente.
M. Jérôme Durain, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de ce geste.
J'effectue actuellement le week-end un « narcotour », afin de diffuser les bonnes informations dans tous nos territoires. Je rencontre de nombreuses personnes en réunion, et je teste l'idée dont nous sommes en train de débattre. Il me paraît intéressant de les écouter et de recueillir leurs réactions. En l'occurrence, sur la dimension morale, je n'ai jamais entendu – cela m'a d'ailleurs plutôt surpris – quelqu'un s'écrier : « Ce que vous proposez est inadmissible ! »
M. Jérôme Durain, rapporteur. Certes, nous devons, me semble-t-il, continuer à travailler sur l'acceptabilité du dispositif qui est envisagé. Il s'agit effectivement d'une mesure forte, susceptible d'entrer en collision avec certains sentiments. Mais il me paraît intéressant d'aller dans ce sens.
Nous avons beaucoup échangé avec la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) sur l'efficacité du dispositif. C'est vraiment, je le crois, la préoccupation qui nous anime.
Je pense que nous sommes parvenus à un équilibre. Mais travaillons à des améliorations pour que les nouveaux entrants dans le dispositif bénéficient de garanties dont ils sont aujourd'hui privés. Un nouvel entrant, c'est quelqu'un qui est sur le point – pardonnez-moi l'expression – de se faire « liquider ». Or, aujourd'hui, il n'est pas certain d'être mieux traité que certains des complices avec lesquels il a commis des crimes… Nous devons régler ce problème.
Monsieur le garde des sceaux, je souhaite que nous puissions échanger, comme vous l'avez suggéré. Je pense que nous parviendrons à un accord. Mais soyons ambitieux !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 163, présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Avant le premier alinéa, est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui bénéficient des mesures de protection et réduction de peine au titre du présent article sont dénommées « coopérateurs de justice. »
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Faisons un peu de sémantique. Un grand écrivain français, Albert Camus, déclarait : « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. »
Vous le savez, dans une instruction judiciaire, il arrive que des mis en cause décident à un moment donné d'apporter leur concours à l'établissement de la vérité et de coopérer.
Il y a des mots pour désigner ces personnes. Chez les criminels, on les appelle des « mules », des « traîtres », des « balances », etc. Dans la loi, on les appelle des « repentis » – convenons que ce terme est connoté moralement. À d'autres occasions, on les appelle des « collaborateurs » – convenons aussi que ce mot est connoté historiquement.
C'est la raison pour laquelle nous proposons, via cet amendement, de les désigner par le terme, qui est moins connoté moralement et historiquement, de « coopérateurs de justice ».
Cela peut paraître anecdotique, mais cela ne l'est pas. Un grand académicien français déclarait : « La forme, c'est le fond qui remonte à la surface ». Prenons acte du fait que ces personnes ont fauté, puis décidé à un moment donné de rentrer dans le droit chemin et d'apporter leur concours à l'établissement de la vérité. Il ne nous appartient pas de les stigmatiser moralement ou historiquement.
Tel est l'objet de cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 15 rectifié ter, présenté par MM. Parigi et J.M. Arnaud, Mmes Florennes, Patru et O. Richard, M. Kern, Mme Guidez, MM. Canévet et Longeot, Mme Romagny, M. Cambier, Mme N. Goulet, MM. Laugier et Henno, Mme Billon et MM. Bleunven, Pillefer, Dhersin et Fargeot, est ainsi libellé :
Alinéa 4, au début
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Les personnes qui bénéficient des mesures de protection et réduction de peine au titre du présent article sont dénommées “coopérateurs de justice”.
La parole est à Mme Anne-Sophie Patru.
Mme Anne-Sophie Patru. Cet amendement, déposé sur l'initiative de notre collègue Paul Toussaint Parigi, est similaire à celui qui vient d'être présenté par M. Bourgi.
Nous proposons une modification terminologique tendant à remplacer le terme de « repentis » par celui de « coopérateurs de justice » pour désigner les personnes bénéficiant des mesures de protection et de réduction de peine. Cette formulation nous paraît plus neutre et objective. En effet, la démarche de ces personnes s'inscrit dans une dimension collaborative et vise l'intérêt collectif.
De notre point de vue, cela permettrait de rendre le dispositif un peu plus attractif aux yeux de ceux qui sont susceptibles d'y avoir recours.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. J'entends les arguments de nos collègues, mais voilà dix ans que les repentis – nous utilisons ce terme, même s'il ne figure dans aucune écriture procédurale – s'appellent des « collaborateurs de justice ». Et je ne crois pas que cela ait jamais posé de problème particulier…
Vos citations étaient très jolies, monsieur Bourgi. Je rappellerai pour ma part un adage américain plus prosaïque : « Si ce n'est pas cassé, tu ne répares pas ! »
Aujourd'hui, personne ne se plaint du terme de « collaborateurs de justice », qui ne nuit en rien au dispositif ; ce qui nuit au dispositif, c'est autre chose… Je ne vois pas l'intérêt de modifier ce qui donne satisfaction depuis dix ans.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je trouve ce débat sémantique intéressant, et je profite de l'occasion pour adresser mes amitiés au sénateur Parigi.
Toutefois, étant à la tête du ministère de la justice, ce qui me choque le plus, c'est que les mots ne correspondent pas à la réalité : des individus sont condamnés à des peines de prison, mais ils ne sont pas incarcérés ; d'autres sont placés à l'isolement, mais ils ont toujours un téléphone.
Les gens qui parlent, ce sont des repentis. De Renan Luce au cinéma italien, tout le monde comprend ce terme. Commencer à parler de « coopérateurs de justice », c'est, me semble-t-il, se lancer dans des circonvolutions que nous serions les seuls à comprendre…
Pour ma part – c'est la pierre que je souhaite apporter à l'édifice –, j'aimerais bien que, au ministère de la justice, les mots puissent correspondre aux choses. (Mme Audrey Linkenheld s'exclame.) Songeons à ce qui se fait dans d'excellents titres de la presse régionale, comme La Voix du Nord : cela pourrait parfaitement se décliner.
Tout le monde comprend le terme de « repentis », qui n'a rien de négatif !
Mme Audrey Linkenheld. Mais il ne figure pas dans la loi !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Le terme de « séparatisme » non plus n'était pas dans la loi. Il y a été introduit. C'est le travail du législateur.
Les gens dont nous parlons ont commis des crimes. Ce ne sont pas des « collaborateurs », encore moins des « collaborateurs occasionnels du service public », pour reprendre un débat qui intéresse M. le ministre de l'intérieur et moi-même. Ce sont des gens qui, certes, auront un statut du fait des décisions prises par le Sénat, mais qui demeurent des auteurs de crimes.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 15 rectifié ter.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 254, présenté par Mme M. Jourda et M. Durain, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 11
Remplacer les mots :
aux quatrième à septième alinéas
par les mots :
au présent article
II. – Alinéa 13
Remplacer les mots :
ou d'empoisonnement
par les mots :
, d'empoisonnement, de meurtre ou de meurtre en bande organisée
III. – Après l'alinéa 14
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…° L'article 222-6-2 est ainsi modifié :
a) Après le mot : « infraction », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « ou de mettre fin à sa préparation. » ;
b) Après le mot : « cesser », la fin de la première phrase du second alinéa est ainsi rédigée : « la réalisation de l'infraction, d'éviter qu'elle n'entraîne la mort ou une infirmité permanente, de limiter les dommages qu'elle a produits ou d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices. » ;
IV. – Après l'alinéa 16
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) À l'article 222-43, la référence : « 222-35 » est remplacée par la référence : « 222-34 » ;
V. – Alinéa 24
Après la référence :
450-1
insérer les mots :
et à l'article 450-1-1
VI. – Alinéa 28
Remplacer le mot :
article
par le mot :
titre
VII. – Alinéa 32
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque la commission mentionnée à l'article 706-63-1 autorise le collaborateur de justice à faire usage d'une identité d'emprunt, les procès-verbaux de déclaration font mention de cette seule identité ; les éléments de nature à divulguer l'identité réelle de la personne et, le cas échéant, de ses proches sont inscrits dans un procès-verbal distinct dans les conditions prévues par l'article 706-104.
« En cas d'octroi du statut de collaborateur de justice, les procès-verbaux de déclaration, les décisions rendues par le magistrat compétent en application du présent II, l'avis de la commission mentionnée à l'article 706-63-1 ainsi que tous les actes s'y rapportant sont versés au dossier de la procédure. Lorsque le statut n'est pas accordé, l'ensemble des procès-verbaux, actes, pièces et documents se rapportant à la procédure prévue au même II sont soumis à la procédure prévue par l'article 706-104. »
VIII. – Alinéa 35
Remplacer les mots :
par le
par les mots :
sous le contrôle du
IX. – Alinéa 57, première phrase
Supprimer les mots :
ou à modifier son état civil à titre définitif lorsque cette dernière mesure apparaît indispensable au regard de la gravité de la menace encourue
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cet amendement vise à apporter diverses harmonisations, coordinations et clarifications rédactionnelles, ainsi qu'à préciser le sort réservé aux procès-verbaux des prétendants au repentir lorsque le statut leur a été accordé ou, au contraire, refusé.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 135, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 28
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les procès-verbaux d'audition établis avant que la personne ne manifeste sa volonté de coopérer sont également pris en compte dans l'octroi du statut de coopérateur de justice.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Actuellement, les procès-verbaux d'audition, s'ils ont été établis avant que la personne ne manifeste sa volonté de coopérer avant la justice, ne sont pas pris en compte pour évaluer la possibilité de la faire bénéficier des mesures de réduction ou d'exemption de peine prévues à l'article 132-78 du code pénal. Cela l'oblige à produire des éléments nouveaux pour pouvoir bénéficier du statut de coopérateur de justice.
Une telle situation constitue un lourd handicap pour cette personne, qui est ainsi pénalisée d'avoir révélé trop tôt des faits pourtant indispensables pour connaître l'étendue de sa responsabilité et le fonctionnement du groupe criminel dont elle faisait partie.
Or, pour que le dispositif de collaboration avec la justice soit pleinement effectif, il est primordial que le coopérateur puisse avoir une visibilité et une garantie sur les conséquences de son engagement. Cela conditionne largement son adhésion au processus et la qualité des informations qu'il acceptera de divulguer.
Cet abandonnement vise donc à corriger la situation en annexant au rapport établi par la personne les procès-verbaux d'audition, afin que ceux-ci puissent servir à évaluer sa capacité à bénéficier des mesures de réduction ou d'exemption de peine.
Mme la présidente. L'amendement n° 162, présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mmes Conconne et Carlotti, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mme Daniel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 34, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Les procès-verbaux d'audition établis avant que la personne ne manifeste sa volonté de coopérer sont annexés à ce rapport et pris en compte pour évaluer si elle peut bénéficier du statut de coopérateur de justice.
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Les auteurs de ces amendements souhaitent apporter une précision bienvenue.
Certes, la prise en compte des déclarations antérieures du repentir semble garantie par la compétence confiée au magistrat chargé de l'enquête ou de l'instruction, mais il est sûrement plus clair de prévoir expressément que la décision du magistrat compétent peut se fonder sur les déclarations du prétendant au repentir antérieures à l'expression par celui-ci de sa volonté de collaborer avec la justice.
Toutefois, les amendements identiques nos 115, 195 rectifié et 204 rectifié ter, que nous examinerons dans quelques instants, nous paraissent préférables sur la forme. Je sollicite donc le retrait des amendements nos 135 et 162 à leur profit.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Hussein Bourgi. Je retire l'amendement n° 162 !
Mme la présidente. L'amendement n° 162 est retiré.
Qu'en est-il de l'amendement n° 135, monsieur Benarroche ?
M. Guy Benarroche. Je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 115 est présenté par Mme Carlotti et M. Benarroche.
L'amendement n° 195 rectifié est présenté par M. Bourgi, Mmes Narassiguin, de La Gontrie, Linkenheld et Harribey, MM. Roiron, Chaillou et Kerrouche, Mme Conconne, MM. Kanner et Montaugé, Mme Monier, MM. Ros et M. Weber, Mme S. Robert, M. Mérillou, Mmes Daniel, Artigalas, Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bouad, Mmes Briquet, Brossel et Canalès, MM. Cardon et Chantrel, Mme Conway-Mouret, MM. Cozic, Darras, Devinaz et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet, Gillé, Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mmes G. Jourda et Le Houerou, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Marie, Michau, Omar Oili, Ouizille et Pla, Mme Poumirol, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme Rossignol et MM. Stanzione, Temal, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure et Ziane.
L'amendement n° 204 rectifié ter est présenté par MM. Parigi et J.M. Arnaud, Mmes Florennes, Patru, O. Richard et Billon, MM. Bleunven, Longeot, Henno, Kern et Cambier, Mmes Guidez et Romagny, MM. Laugier, Canévet et Dhersin, Mme N. Goulet et M. Fargeot.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 29, seconde phrase
Après les mots :
cette évaluation
insérer les mots :
et s'il l'estime opportun au regard des déclarations faites par la personne avant qu'elle ait exprimé la volonté de collaborer avec la justice
La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour présenter l'amendement n° 115.
Mme Marie-Arlette Carlotti. Cet amendement vise à renforcer le statut des repentis en précisant que l'octroi du statut de collaborateur de justice s'effectuera en tenant compte des déclarations faites par la personne concernée avant que celle-ci n'ait exprimé sa volonté de coopérer avec la justice.
Il s'agit de compléter le dispositif que la commission a proposé, afin d'assurer une protection intégrale aux collaborateurs de justice.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l'amendement n° 195 rectifié.
M. Hussein Bourgi. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Patru, pour présenter l'amendement n° 204 rectifié ter.
Mme Anne-Sophie Patru. Il est également défendu.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 115, 195 rectifié et 204 rectifié ter.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 14, modifié.
(L'article 14 est adopté.)
Après l'article 14
Mme la présidente. L'amendement n° 65 rectifié bis, présenté par MM. Benarroche, Bacchi, Cozic et M. Weber, Mmes Canalès et Bonnefoy, M. Devinaz, Mme G. Jourda, MM. Pla et Fichet, Mmes Apourceau-Poly et Narassiguin, M. Mérillou, Mme Espagnac, MM. Chantrel, Redon-Sarrazy, Vayssouze-Faure et Ros, Mme Briquet et M. Ouzoulias, est ainsi libellé :
Après l'article 14
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le titre XXI du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le second alinéa de l'article 706-59 et le dernier alinéa de l'article 706-62-1 sont ainsi rédigés :
« Le fait de révéler qu'un témoin fait usage d'une identité d'emprunt en application du présent titre ou de révéler tout élément permettant son identification ou sa localisation, ainsi que celle de ses proches, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Lorsque cette révélation a eu pour conséquence, directe ou indirecte, des violences à l'encontre de cette personne ou de l'un de ses proches, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende. Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende lorsque cette révélation a eu pour conséquence, directe ou indirecte, la mort de cette personne ou de l'un de ses proches. » ;
2° La seconde phrase du premier alinéa de l'article 706-61 est ainsi rédigée : « L'anonymat du témoin est préservé par tout moyen, y compris par l'utilisation d'un dispositif technique permettant d'altérer ou de transformer sa voix ou son apparence physique. » ;
3° Le premier alinéa de l'article 706-62-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il peut décider que soit utilisé, à cette fin et à tous les stades de la procédure, un dispositif permettant d'altérer ou de transformer la voix ou l'apparence physique du témoin. » ;
4° Les quatrième et cinquième alinéas de l'article 706-62-2 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : « Le fait de révéler qu'une personne fait usage d'une identité d'emprunt en application du présent titre ou de révéler tout élément permettant son identification ou sa localisation, ainsi que celle de ses proches, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Lorsque cette révélation a eu pour conséquence, directe ou indirecte, des violences à l'encontre de cette personne ou de l'un de ses proches, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende. Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende lorsque cette révélation a eu pour conséquence, directe ou indirecte, la mort de cette personne ou de l'un de ses proches. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Les travaux de la commission d'enquête ont mis en évidence les limites à la révélation du trafic par d'éventuels témoins, notamment en raison de l'ultraviolence des réseaux, qui suscite la peur des représailles envers les témoins et leurs proches.
Afin de favoriser la protection des témoins menacés, le présent amendement vise, d'une part, à leur ouvrir la possibilité de bénéficier, comme les policiers infiltrés et les repentis, de dispositifs dissimulant leur voix ou leur apparence physique, et, d'autre part, à alourdir les peines encourues dans le cas où la révélation, directe ou indirecte, de l'identité d'un témoin protégé bénéficiant d'une identité d'emprunt s'est traduite par des violences à l'encontre de celui-ci ou de ses proches, voire par la mort de l'une de ces personnes.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Mes chers collègues, vous l'aurez compris, cet amendement vise à renforcer la protection des témoins menacés.
La commission émet un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 14.
L'amendement n° 84 rectifié n'est pas soutenu.
Article 15
I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° (nouveau) Après le premier alinéa de l'article 230-10, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa, les agents affectés dans les services spécialement chargés des enquêtes en matière de délinquance et de criminalité organisées mentionnés à l'article 706-80 A du code de procédure pénale sont réputés être habilités à accéder à toute information figurant dans les mêmes traitements de données. » ;
2° Au début de la section 1 du chapitre II du titre XXV du livre IV, il est ajouté un article 706-80 A ainsi rédigé :
« Art. 706-80 A. – I. – Sans préjudice de l'article 15-4, dans l'exercice de ses fonctions, tout agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale affecté dans un service spécialement chargé des enquêtes en matière de délinquance et de criminalité organisées peut être identifié, à défaut de ses nom et prénom, par un numéro d'immatriculation administrative, complété par sa qualité et son service ou son unité d'affectation, dans les actes de procédure qu'il établit ou dans lesquels il intervient.
« L'agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale peut également déposer ou comparaître, comme témoin au cours de l'enquête ou devant les juridictions d'instruction ou de jugement et se constituer partie civile en utilisant ces mêmes éléments d'identification dans les cas suivants :
« 1° Lorsqu'il a rédigé des actes de procédure ou participé à des actes d'enquête ;
« 2° Lorsqu'il est entendu en qualité de témoin ou de partie civile à raison de faits commis dans ou en rapport avec l'exercice de ses fonctions.
« Ces éléments d'identification sont seuls mentionnés dans les procès-verbaux, citations, convocations, ordonnances, jugements ou arrêts.
« Le présent I n'est pas applicable lorsque, en raison d'un acte commis dans l'exercice de ses fonctions, le bénéficiaire de l'autorisation est entendu en application des articles 61-1 ou 62-2 ou qu'il fait l'objet de poursuites pénales. Par ailleurs, l'agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale ne peut se prévaloir de ces modalités d'identification lorsque les faits pour lesquels il est amené à déposer ou comparaître en qualité de témoin ou de partie civile sont sans rapport avec l'exercice de ses fonctions.
« II. – Saisi par une partie à la procédure d'une requête écrite et motivée en vue de l'exercice des droits de la défense ou des droits de la partie civile et tendant à la communication des nom et prénom d'un agent identifié en application du I du présent article, le juge d'instruction ou le président de la juridiction de jugement ou, lorsqu'il est fait application de l'article 77-2, le procureur de la République, en informe l'agent qui fait valoir le cas échéant ses observations tendant à s'y opposer.
« Le juge d'instruction, le président de la juridiction de jugement ou, lorsqu'il est fait application du même article 77-2, le procureur de la République, communique l'identité de l'agent, sauf s'il estime, au regard des observations de l'agent, que la révélation de son identité fait peser une menace sur sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches.
« Lorsque le juge d'instruction, le président de la juridiction de jugement ou, lorsqu'il est fait application dudit article 77-2, le procureur de la République, envisage de communiquer l'identité de l'agent malgré son opposition, l'agent dispose d'un recours suspensif devant la chambre de l'instruction ou le procureur général compétent. Lorsque la procédure est menée par le juge d'instruction ou qu'une juridiction est saisie, le procureur de la République doit interjeter appel devant la chambre de l'instruction dans les conditions prévues aux articles 185 et suivants. Lorsque la décision de communication de l'identité de l'agent relève du procureur de la République, le recours de l'agent dont l'identité est en cause est traité dans les conditions de l'article 40-3.
« III. – Hors les cas prévus au dernier alinéa du I du présent article, la révélation des nom et prénom du bénéficiaire d'une autorisation délivrée en application du I ou de tout élément permettant son identification personnelle ou sa localisation est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Lorsque cette révélation a entraîné des violences à l'encontre du bénéficiaire de l'autorisation ou de ses proches, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende. Lorsque cette révélation a entraîné la mort de l'agent ou de l'un de ses proches, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende, sans préjudice, le cas échéant, du chapitre Ier du titre II du livre II du code pénal.
« IV. – Un arrêté conjoint du ministre chargé de l'intérieur et du ministre de la justice établit la liste des services spécifiquement chargés des enquêtes en matière de délinquance et de criminalité organisées mentionnés au premier alinéa du présent article. »
II (nouveau). – Après l'article 3 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative à l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer pour la lutte contre certaines infractions relevant de conventions internationales, il est inséré un article 3 bis ainsi rédigé :
« Art. 3 bis. – Dans le cadre de la mise en œuvre de la présente loi, les agents mentionnés à l'article 3 peuvent être autorisés, dans les conditions et selon les procédures définies à l'article 706-80 A du code de procédure pénale, à ne pas être identifiés par leurs noms et prénoms dans les actes de procédure qu'ils établissent ou dans lesquels ils interviennent. »
III (nouveau). – La dernière phrase du premier alinéa de l'article 55 bis du code des douanes est complétée par les mots : « et, pour les agents affectés dans un service figurant sur la liste mentionnée au IV de l'article 706-80 A du même code, selon les procédures prévues au même article ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 44 rectifié est présenté par MM. Frassa, Le Gleut et Allizard, Mmes Bellurot, Belrhiti et Borchio Fontimp, M. Bouchet, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Bruyen, Burgoa, Chaize, Darnaud et Daubresse, Mmes Dumas, Dumont et Eustache-Brinio, M. Genet, Mmes Gruny, Imbert et Josende, M. Khalifé, Mme Lavarde, MM. Lefèvre et H. Leroy, Mme Malet, MM. Mandelli, Milon, Naturel, Nougein, Piednoir, Pointereau, Rapin, Saury et Sido, Mme Valente Le Hir et MM. C. Vial et P. Vidal.
L'amendement n° 193 est présenté par Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mmes Harribey, Narassiguin et Linkenheld, MM. Chaillou, Kerrouche et Roiron, Mmes Carlotti, Conconne et Daniel, MM. Kanner et Mérillou, Mme Monier, M. Montaugé, Mme S. Robert, MM. Ros, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après l'article 706-74, il est inséré un article 706-74-… ainsi rédigé :
« Art. 706-74-…. – En cas de procédure portant sur un crime ou sur un délit mentionné aux articles 706-73, 706-73-1 ou 706-74, lorsque la révélation de l'identité d'un magistrat du siège ou du parquet, d'une personne habilitée chargée de l'assister, d'un greffier ou d'un expert judiciaire est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches, le président du tribunal judiciaire peut ordonner soit d'office, soit à la demande du procureur de la République, que cette identité ne figure pas dans les ordonnances, jugements ou arrêts de la juridiction d'instruction ou de jugement qui sont susceptibles d'être rendus publics. » ;
La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour présenter l'amendement n° 44 rectifié.
M. Christophe-André Frassa. Les dispositions de cet amendement et de celui que Mme de La Gontrie présentera dans quelques instants découlent d'une œuvre commune : l'excellent rapport d'information L'Intelligence artificielle générative et les métiers du droit : agir plutôt que subir, que je vous invite à lire attentivement.
Les auditions que nous avons alors menées l'ont mis en lumière, les magistrats, les greffiers et autres professionnels prenant part à une enquête ou à une procédure pénale dans le cadre d'une procédure pénale sont parfois menacés ou intimidés. La possibilité d'anonymiser ces personnes dans les documents mis en ligne via l'open data des décisions de justice fait partie des vingt propositions que nous avons formulées avec Marie-Pierre de La Gontrie.
Tel est l'objet de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour présenter l'amendement n° 193.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je n'aurais pu mieux dire que mon collègue Christophe-André Frassa. (Sourires.) Cet amendement est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. La proposition que M. Frassa et Mme de La Gontrie défendent avec tant de pertinence répond à une préoccupation forte des magistrats.
Ceux que nous avons auditionnés dans le cadre de nos travaux ont également beaucoup insisté sur le risque pour les professionnels ayant siégé au cours d'audiences relatives à la criminalité organisée de voir leur identité révélée par l'open data. La commission des lois a donc conclu à la nécessité de l'anonymisation des magistrats et des greffiers dans les décisions de justice publiées en données ouvertes.
Par conséquent, ces deux amendements identiques, qui tendent à apporter une réponse mesurée à une difficulté réelle pour les magistrats, recueillent notre approbation.
La commission émet donc un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je précise que les agents pénitentiaires peuvent également être concernés, par exemple pour des raisons disciplinaires ou parce qu'ils rédigent des procès-verbaux. Je prendrai donc des dispositions similaires à leur égard par voie réglementaire.
Par ailleurs, les enquêteurs de la police nationale et de la gendarmerie peuvent également solliciter l'anonymisation par leur numéro de matricule auprès du procureur de la République.
Toute la chaîne pourra ainsi être anonymisée. J'ai bien compris que les amendements visent spécifiquement les affaires de criminalité organisée et qu'il ne s'agit pas d'instituer une mesure générale.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 44 rectifié et 193.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 15, modifié.
(L'article 15 est adopté.)
Après l'article 15
Mme la présidente. L'amendement n° 111 rectifié quinquies, présenté par M. L. Vogel, Mme Paoli-Gagin, MM. Malhuret, A. Marc et Wattebled, Mme L. Darcos, MM. Brault et Grand, Mme Lermytte, MM. Médevielle, Chasseing et Chevalier, Mme Bourcier et MM. Rochette et Capus, est ainsi libellé :
Après l'article 15
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 706-105-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 706-105-.... ainsi rédigé :
« Art. 706-105-…. – Les interprètes requis à l'occasion d'une procédure pénale relative aux infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73, 706-73-1 et 706-74 peuvent être autorisés par le procureur général compétent à ne pas être identifiés par leurs nom et prénom, lorsque la révélation de leur identité est susceptible, compte tenu des conditions d'exercice de leur mission ou de la nature des procédures pour lesquelles ils sont requis, de mettre en danger leur vie ou leur intégrité physique ou celles de leurs proches.
« Cette autorisation permet à l'interprète qui en bénéficie d'être identifié par un numéro anonymisé. « L'identité des interprètes mentionnés au premier alinéa ne peut être communiquée que sur décision du procureur général compétent. Elle est également communiquée, à sa demande, au président de la juridiction de jugement saisie des faits.
« Les modalités d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'État. »
La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Par cet amendement tout à fait intéressant, notre collègue Louis Vogel met en lumière les difficultés que les services de police rencontrent pour mobiliser des interprètes en raison des risques pour l'intégrité physique de ces derniers ou de leurs proches que la révélation de leur identité est susceptible de faire courir. En effet, rien aujourd'hui ne permet de protéger leur anonymat.
Il est donc proposé d'appliquer aux interprètes intervenant en matière de crime organisé des dispositions analogues à celles qui permettent de garantir leur anonymat dans les affaires de terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 111 rectifié quinquies.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 15.
Article 15 bis (nouveau)
I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l'article 230-46, après le mot : « pseudonyme », sont insérés les mots : « , y compris en faisant usage d'un dispositif permettant d'altérer ou de transformer leur voix ou leur apparence physique, » ;
2° À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 706-81, après le mot : « emprunt », sont insérés les mots : « , y compris en faisant usage d'un dispositif permettant d'altérer ou de transformer leur voix ou leur apparence physique, » ;
3° Après la deuxième occurrence du mot : « agent », la fin de la première phrase du deuxième alinéa de l'article 706-86 est ainsi rédigée : « en faisant usage du dispositif technique prévu à l'article 706-61 ou de tout dispositif permettant d'altérer ou de transformer sa voix ou son apparence physique ».
II. – La section 7 du chapitre IV du titre II du code des douanes est ainsi modifiée :
1° À la seconde phrase du huitième alinéa du II de l'article 67 bis, après le mot : « emprunt », sont insérés les mots : « , y compris en faisant usage d'un dispositif permettant d'altérer ou de transformer leur voix ou leur apparence physique, » ;
2° Les 1° de l'article 67 bis-1 A et a du 3° de l'article 67 bis-1 sont complétés par les mots : « , y compris en faisant usage d'un dispositif permettant d'altérer ou de transformer leur voix ou leur apparence physique, » – (Adopté.)
Après l'article 15 bis
Mme la présidente. L'amendement n° 95, présenté par M. E. Blanc, est ainsi libellé :
Après l'article 15 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le paragraphe 3 de la section 6 du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« Paragraphe …
« De l'activation à distance des appareils électroniques mobiles
« Art. 706-99. – Dans le cadre d'une enquête ou d'une information judiciaire relative à l'une des infractions prévues aux 1° à 6° et 11° à 12° de l'article 706-73 ou au blanchiment des mêmes infractions, ainsi qu'à l'association de malfaiteurs lorsqu'elle a pour l'objet la préparation de l'une desdites infractions, lorsque les circonstances de l'enquête ne permettent pas la mise en place de la technique mentionnée à l'article 706-96 au regard soit de l'impossibilité à identifier les lieux où le dispositif technique pourrait être utilement mis en place, soit des risques d'atteinte à la vie et à l'intégrité physique des agents chargés de la mise en œuvre de ces dispositifs, le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d'instruction, après avis du procureur de la République, peut autoriser l'activation à distance d'un appareil électronique mobile, à l'insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, aux seules fins de procéder à la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement des paroles prononcées par des personnes ou de l'image de ces dernières pour une durée strictement proportionnée à l'objectif recherché.
« L'autorisation est délivrée pour une durée de quinze jours, renouvelable une fois, dans le cas visé au 1° de l'article 706-95-12, et pour une durée de deux mois, renouvelable deux fois, dans le cas visé au 2° du même article.
« La décision autorisant le recours au dispositif mentionné au premier alinéa du présent article précise l'infraction qui motive le recours à ces opérations, la durée de celles-ci ainsi que tous les éléments permettant d'identifier l'appareil ; elle est motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que cette opération est nécessaire et fait état des motifs attestant de l'impossibilité de recourir au dispositif technique mentionné à l'article 706-96.
« Le procureur de la République ou le juge d'instruction peut désigner toute personne physique ou morale habilitée et inscrite sur l'une des listes prévues à l'article 157 en vue d'effectuer les opérations techniques permettant la réalisation du dispositif mentionné au présent alinéa ; il peut également prescrire le recours aux moyens de l'État soumis au secret de la défense nationale, selon les formes prévues au chapitre Ier du titre IV du livre Ier.
« Art. 706-99-1. – À peine de nullité, l'activation à distance d'un appareil électronique mobile mentionnée à l'article 706-99 ne peut concerner les appareils utilisés par un député, un sénateur, un magistrat, un avocat, un journaliste ou un médecin.
« À peine de nullité, et hors les cas prévus à l'article 56-1-2, ne peuvent être transcrites les données relatives aux échanges avec un avocat qui relèvent de l'exercice des droits de la défense et qui sont couvertes par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
« À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les données relatives aux échanges avec un journaliste permettant d'identifier une source en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
« À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les données collectées grâce à l'activation à distance d'un appareil électronique mobile s'il apparaît que ce dernier se trouvait dans l'un des lieux mentionnés aux articles 56-1, 56-2, 56-3 et 56-5.
« Le magistrat ayant autorisé le recours au dispositif ordonne, dans les meilleurs délais et dans les conditions prévues à l'article 706-95-14, la destruction des données qui ne peuvent être transcrites. Il ordonne également la destruction des procès-verbaux et des données collectées lorsque les opérations n'ont pas été réalisées conformément à son autorisation ou lorsque les formalités prévues par le présent code n'ont pas été respectées. »
La parole est à M. Étienne Blanc.
M. Étienne Blanc. Cet amendement a pour objet d'autoriser les enquêteurs et les magistrats, dans le cadre d'une instruction, à utiliser des techniques spéciales d'enquête qui permettent de recueillir des sons ou de prendre des images à distance.
Aujourd'hui, les criminels savent protéger les lieux où ils exercent leurs activités. Ils en interdisent l'accès. Surtout, ils peuvent tendre des pièges aux policiers, et ceux-ci, en voulant pénétrer dans ces lieux, se trouvent exposés à des risques majeurs. En tout cas, les criminels se protègent.
Pour lutter contre un tel phénomène, il n'y a pas d'autre solution que de procéder à distance, avec des techniques spéciales, pour pénétrer des systèmes qui sont soit fixes, soit mobiles. Le Conseil constitutionnel avait considéré que donner trop de latitude pour pénétrer les systèmes mobiles, par exemple le téléphone portable, n'était pas suffisamment protecteur des libertés individuelles.
Par cet amendement, nous ouvrons le champ de l'utilisation de ces techniques d'enquête.
Pour les appareils fixes, nous mettons en place des dispositifs assez simples, à distance. Nous pouvons pénétrer un ordinateur. La procédure est relativement simple et légère.
En revanche, pour les appareils mobiles, afin de répondre aux prescriptions du Conseil constitutionnel, nous instituons un dispositif extrêmement protecteur des libertés.
Tout d'abord, ce sont des décisions motivées, qui peuvent être soumises à recours.
Ensuite, le champ d'intervention concerne les infractions les plus lourdes et les plus graves, du crime organisé, de la prostitution, des violences, des meurtres ou de la barbarie.
Enfin, pour assurer ces protections, nous faisons en sorte qu'un certain nombre de lieux et de personnes soient protégés. Les lieux, ce sont des cabinets d'avocats, des cabinets de médecins, ainsi qu'un certain nombre de cénacles où il ne faut pas entrer trop facilement. Les personnes, ce sont des avocats, des médecins, des magistrats, des greffiers ou des huissiers de justice.
Il est aujourd'hui extrêmement important que ces techniques spéciales d'enquête soient à disposition de nos services, car elles permettent d'intercepter des images et des sons particulièrement utiles à la manifestation de la vérité.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jérôme Durain, rapporteur. La question, complexe, tient à la constitutionnalité du dispositif.
Comme Étienne Blanc l'a souligné avec éloquence, ce que le Conseil constitutionnel avait mis en cause, c'est le recours à des techniques particulièrement intrusives pour des infractions mineures ou peu importantes.
À mon sens, mon cher collègue, votre amendement, tel que vous l'avez rédigé, vise bel et bien une limitation : le dispositif toucherait non pas toutes les infractions de la criminalité organisée, mais seulement les plus graves d'entre elles. Dès lors, et contrairement à ce que l'on pourrait craindre sur un sujet aussi grave, il est conforme à la Constitution.
La commission émet par conséquent un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. J'observe que, dans son amendement, Étienne Blanc a pris en compte l'analyse du Conseil constitutionnel, qui était alors saisi sur un texte du garde des sceaux Éric Dupond-Moretti, quant à la dangerosité pour les enquêteurs de déposer physiquement un certain nombre d'équipements d'écoute ou de moyens de captation. Aujourd'hui, il est techniquement possible de le faire à distance.
Toutefois, je souhaite apporter une précision pour éclairer la représentation nationale et, sans doute, les membres du Conseil constitutionnel, qui vont lire nos débats.
Aujourd'hui, dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic, lorsque nous procédons à des écoutes ou à des captations dans un appartement conspiratif, dans une voiture, voire via les vêtements, y compris ceux d'enfants accompagnant une personne incriminée, il arrive que les malfrats n'échangent pas un seul mot pendant des heures.
Comprenons bien ce que cela implique : les services d'enquête et les magistrats ont affaire à des gens très professionnels, qui changent de téléphone, de véhicule, d'appartement, de lieu de rencontre, etc. S'il faut à chaque fois faire des poses d'activation de systèmes d'enregistrement, c'est coûteux, risqué pour les enquêteurs et peu efficace.
Le dispositif envisagé par Étienne Blanc, fondé sur un certain nombre de conditionnalités, répond à une nécessité forte, respecte le principe de proportionnalité, me semble-t-il, et prend en compte la décision du Conseil constitutionnel.
Je souhaite donc que cet amendement soit adopté et que le dispositif ne soit pas censuré par le Conseil constitutionnel.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 15 bis.
L'amendement n° 201, présenté par Mmes Phinera-Horth et Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille et MM. Patient, Rambaud et Théophile, est ainsi libellé :
Après l'article 15 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 706-96 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il peut également être recouru, pour les finalités mentionnées au premier alinéa, à un dispositif permettant l'activation à distance d'un appareil électronique. Cette opération est autorisée par le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou par le juge d'instruction, après avis du procureur de la République. Le procureur de la République ou le juge d'instruction peut désigner toute personne physique ou morale habilitée et inscrite sur l'une des listes prévues à l'article 157 en vue d'effectuer les opérations techniques permettant la réalisation du dispositif mentionné au présent alinéa ; il peut également prescrire le recours aux moyens de l'État soumis au secret de la défense nationale, selon les formes prévues au chapitre Ier du titre IV du livre Ier. »
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Cet amendement est défendu.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il s'agit du même procédé d'activation à distance, mais pour les appareils fixes.
Nous considérons, là aussi, que le dispositif envisagé garantit le respect de la vie privée et des libertés – il y a un contrôle judiciaire – et qu'il est proportionné.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Pour notre part, nous nous sommes opposés, lors de l'examen d'autres textes législatifs, à une telle extension de la surveillance à distance.
Il n'y a aucune garantie que des personnes dépourvues de tout lien avec le trafic ne seront pas, elles aussi, écoutées, notamment via les appareils domestiques à domicile. Certes, il faut une autorisation du juge, mais cela reste une intrusion considérable. Je ne vois pas où sont les protections contre les atteintes à la vie privée, madame le rapporteur.
Nous voterons donc résolument contre cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 15 bis.
Mes chers collègues, je vais lever la séance.
Nous avons examiné 119 amendements au cours de la journée ; il en reste 75 à examiner sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 29 janvier 2025 :
À quinze heures :
Questions d'actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Suite de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, présentée par MM. Étienne Blanc et Jérôme Durain (procédure accélérée ; texte de la commission n° 254, 2024-2025) et proposition de loi organique fixant le statut du procureur national antistupéfiants, présentée par MM. Étienne Blanc et Jérôme Durain (procédure accélérée ; texte de la commission n° 255, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 29 janvier 2025, à zéro heure quarante-cinq.)
nomination d'un membre d'une commission
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.
Aucune opposition ne s'étant manifestée dans le délai d'une heure prévu par l'article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Agnès Canayer est proclamée membre de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER