M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année 2025 est la deuxième année d’exécution de la loi de programmation militaire promulguée en août 2023.
Les autorisations d’engagement demandées au titre de la mission « Défense » dans le présent projet de loi de finances pour 2025 s’élèvent à 93,6 milliards d’euros, soit une hausse de 37,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Les crédits de paiement s’élèvent, quant à eux, à 60 milliards d’euros, soit une augmentation d’un peu plus de 5 %. En neutralisant l’inflation, en euros constants, la hausse serait de 35,5 % en autorisations d’engagement et de 3,9 % en crédits de paiement.
Cet effort important doit être salué, a fortiori dans un contexte général d’économies significatives pour le redressement des finances publiques. La mission « Défense » est celle qui connaît la plus forte hausse de crédits en 2025.
À la suite du rapporteur spécial, Dominique de Legge, et du président de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin, je souhaite cependant attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la forte hausse du report de charges depuis 2022.
En effet, alors que ce report s’élevait à 3,88 milliards d’euros à la fin de l’année 2022, il devrait s’établir à 6,8 milliards d’euros à la fin de l’année 2024, augmentant ainsi de plus de 75 % en deux ans, dans des proportions quasiment équivalentes à celles de la marche – autrement dit l’effort – prévue chaque année dans le cadre de la LPM.
Cette évolution concerne surtout les dettes contractées auprès des fournisseurs et représenterait, en 2024, 20,3 % des crédits. Nous veillerons à ce que ce report reste raisonnable et ne remette pas en cause la programmation votée à l’été 2023.
Pour la première fois depuis près de quarante-cinq ans, la France débute l’année sans budget. Cette situation a de nombreuses conséquences pour les Français.
Monsieur le ministre, vous avez vous-même déclaré que l’absence de réel budget pour 2025 menaçait le réarmement de notre pays. Mais elle menace également nos exportations, alors même que l’année 2024 a été la deuxième meilleure année pour nos ventes à l’étranger et que les perspectives pour 2025 étaient tout à fait encourageantes.
Il est essentiel de doter la France d’un budget, sauf à condamner les hausses de crédits prévues sur l’ensemble des opérations stratégiques de la mission. C’est en effet grâce à ces hausses de crédits que pourront être relancées ou relocalisées les productions d’armement, nécessaires pour garantir notre souveraineté et incontournables pour préserver la vie économique de nombre de nos territoires. Sans budget pour la France, la hausse de 3,3 milliards d’euros de crédits prévue dans la LPM serait effacée.
Par ailleurs, le contexte mondial n’a jamais été aussi tendu. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine persiste dans sa logique d’escalade, la Russie ayant menacé dernièrement de frapper Kiev avec son missile Orechnik. Quant à la situation au Moyen-Orient, elle reste extrêmement fragile.
L’immobilisation des crédits complique également la tâche du Gouvernement, qui s’est fixé pour objectif de préparer la France à entrer dans une économie de guerre. Chaque semaine sans budget qui passe menace d’accentuer le retard que prennent les programmes en cours. Or, dans ces conditions, comment notre base industrielle et technologique de défense pourrait-elle remonter en puissance ? Comment pourrions-nous assurer sereinement la poursuite des grands programmes européens, comme le Scaf ou le système principal de combat terrestre (MGCS) ?
La poursuite des programmes de coopération à l’échelle européenne, comme à l’échelle internationale, est pourtant primordiale. Dans un contexte d’instabilité géopolitique mondiale, il est indispensable que l’Union européenne puisse réellement jouer son rôle en matière militaire.
Après l’élection de Donald Trump, toutes les hypothèses peuvent et doivent être envisagées, notamment en ce qui concerne l’Otan. Il faut conserver la présence américaine au sein de cette instance car, qu’elle soit forte ou faible, celle-ci est indispensable au maintien de l’architecture de l’organisation, qu’il convient de préserver, même si la dissuasion reste un sujet de première importance pour l’avenir. Or cela ne pourra se faire que si nous envoyons un message clair à nos alliés : nous devons leur assurer que nous sommes en mesure de fournir les moyens financiers nécessaires à notre défense. La défense européenne en dépend également.
Au moment où notre Haute Assemblée s’engage dans l’examen des crédits de la mission « Défense » et alors que le risque d’un rejet du budget perdure, une remise en cause de la LPM est à craindre sérieusement.
En effet, tous ceux qui soutiennent une nouvelle censure du Gouvernement seront les artisans d’un retard technologique et stratégique que la France sera seule à subir, puisque les autres pays, conscients de la gravité du contexte, continuent d’avancer. Notre débat a donc aussi pour enjeux le maintien de la paix et la préservation de notre souveraineté. Ne l’oublions pas et faisons-en sorte que les engagements pris envers nos armées soient tenus.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe Union Centriste voteront unanimement les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, je tiens à vous remercier de votre mobilisation, en ce samedi matin, en faveur de la défense de nos forces armées. Je me joins aux propos que vous leur avez adressés.
En effet, la valeur d’une armée d’emploi ne se mesure pas seulement à l’aune du budget qu’on lui consacre – et c’est heureux, parce que les crédits ont considérablement diminué ces dernières années –, mais aussi par le courage de ses soldats et leur capacité à accepter des missions au cours desquelles ils sont susceptibles d’être blessés ou tués, et de devoir tuer sur ordre.
Aussi, je ne peux commencer mon intervention sans avoir une pensée particulière pour les soldats qui sont tombés l’année dernière, en 2024, notamment la maréchal des logis Claudin, engagée au sein de la Finul, qui a perdu la vie à l’automne dernier lors d’une mission impliquant une patrouille importante. Je salue également la mémoire des deux pilotes de Rafale qui, lors d’un entraînement au mois d’août dernier, sont décédés dans un terrible accident.
Les questions budgétaires ne doivent pas faire oublier la force d’âme et la force morale de nos soldats qui sont le fruit de l’héritage du passé et dont nous voulons prendre soin.
Plutôt que lire un discours, permettez-moi de reprendre un certain nombre d’éléments qui me semblent importants dans le cadre de la présentation de ces crédits.
Premièrement, comme l’ont rappelé Olivier Cigolotti et le président Perrin, avant de nous prononcer sur les reports de charge ou d’envisager les critères techniques du contenu de la LPM, il faudrait savoir si les crédits de la mission « Défense » pour 2025 seront votés ou non, alors que l’année a déjà débuté. Autrement dit, la loi de programmation militaire, qui prévoit une marche de plus de 3,3 milliards d’euros, sera-t-elle adoptée ? Ou bien encore, la programmation militaire que nous avons votée devant le monde entier – nos compétiteurs d’une part, nos alliés d’autre part – sera-t-elle respectée ? En effet, le charme des programmations militaires, si je puis le dire ainsi, réside dans leur caractère pluriannuel, notamment en ce qui concerne les équipements majeurs ; or tout décalage ou dérapage en la matière peut conduire à anéantir les efforts de réarmement que le Gouvernement et le Parlement ont collectivement prévus depuis 2017.
Par conséquent, il est faux de dire que la censure du précédent gouvernement n’a pas eu d’impact sur les crédits de cette mission au moment où nous en débattons. Bien évidemment, il ne s’agit pas de pointer du doigt ceux qui l’ont votée, car ils n’ont fait qu’exercer ainsi l’un des droits les plus fondamentaux de tout parlementaire. Mais affirmer que cette décision a été neutre ou indolore serait un mensonge. La réalité est celle d’un choc de confiance vis-à-vis des industries de défense et de nos soldats. Cette question devra être traitée politiquement, comme il se doit, devant le peuple français.
Deuxièmement, qu’on le veuille ou non, le budget de la mission « Défense », dans le cadre de ce projet de loi de finances pour 2025, est conforme à la programmation militaire. Le sénateur Gontard a d’ailleurs lui-même souligné que le Gouvernement n’avait pas déposé d’amendement en vue de donner un coup de rabot aux crédits de cette mission. Certains d’entre vous défendront peut-être l’idée, à travers leurs propres amendements, qu’il faut réduire ces crédits, mais croyez bien que cette programmation militaire reste protégée au regard des risques qui pèsent sur notre pays, comme le prouvent les chiffres, que je rappelle même s’ils sont connus : 50,5 milliards d’euros de crédits seront consacrés à la mission « Défense » pour 2025, soit une augmentation de 7 % par rapport à l’année dernière, ou encore 9,5 milliards d’euros supplémentaires depuis 2022, l’année de ma prise de fonction, et 18 milliards d’euros supplémentaires depuis 2017.
Par conséquent, il est clair que nos discussions politiques, stratégiques et budgétaires ne s’inscrivent plus du tout dans une logique de raréfaction des moyens, mais bel et bien dans un cadre où le ministère doit gérer une crise de croissance.
Ces crédits seront-ils suffisants ? Telle est la question sous-jacente qu’ont posée plusieurs orateurs. Comme je vous l’ai toujours dit, en l’assumant parfaitement, je considère qu’il s’agit là d’un plancher et non pas d’un plafond. Mais, dès lors que les moyens augmentent, il importe surtout de savoir si l’argent va au bon endroit : ces crédits nous permettront-ils de gagner la guerre de demain ou bien ne serviront-ils qu’à gagner celle d’hier en finançant des réparations ? Tel devrait être, me semble-t-il, l’enjeu des discussions que nous aurons.
Troisièmement, le montant des crédits consacrés à notre réarmement est supérieur aux objectifs qui avaient été définis – et je remercie le président Perrin de l’avoir souligné. En effet, quand on examine un budget militaire, il faut toujours prendre en compte la réalité de la gestion.
Or, pendant des années, alors que les programmations militaires étaient généreuses sur le papier, on a procédé à des annulations de crédits : en somme, des milliards d’euros étaient inscrits en autorisations d’engagement, mais les crédits de paiement ne suivaient pas. La programmation paraissait cohérente en théorie, mais son exécution budgétaire manquait de rigueur. Bref, on était loin d’une gestion à l’euro près.
Que l’on soutienne ou non le Gouvernement, personne ne peut nier que, dans les copies que je propose depuis 2022, les budgets de la défense, tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement, sont supérieurs à ceux que prévoient la loi de programmation militaire : preuve en est l’ouverture d’un milliard d’euros de crédits supplémentaires l’année dernière.
Par conséquent, à défaut de partager ses convictions, je comprends que le sénateur Gontard puisse dire que nous continuons de nous réarmer dans un contexte politique et budgétaire déliquescent, et je l’assume devant vous. Ainsi, l’année dernière, alors que la loi de finances initiale pour 2024 prévoyait 47,2 milliards d’euros en autorisations d’engagement, le budget de la mission a atteint 48,3 milliards d’euros en exécution, soit un milliard d’euros de plus que prévu. Cela nous a permis de répondre aux préoccupations légitimes de la commission des affaires étrangères du Sénat, notamment en ce qui concerne le surcoût des opérations extérieures (Opex), comme l’a mentionné le président Perrin.
Le rapporteur spécial, Dominique de Legge, appelle à davantage de transparence entre le Parlement et le Gouvernement. J’y suis favorable, du moins sur les sujets qui ne touchent pas à nos intérêts. Ainsi, sur la disponibilité du matériel, je reste à la disposition du Sénat pour faire la démonstration que ce serait un non-sens que de livrer quel que secret que ce soit.
Pour autant, il est clair que, dans le cadre de l’aide que nous apportons à l’Ukraine, ce milliard d’euros supplémentaire en autorisations d’engagement et en crédits de paiement nous a permis d’absorber un certain nombre de surcoûts. À ce titre, monsieur le président Cambon, nous avons tenu parole : nous étions en effet convenus que la programmation militaire ne financerait pas à elle seule l’aide à l’Ukraine.
Quatrièmement, mesdames, messieurs les sénateurs, je note que vous ne parlez plus d’inflation dans vos interventions. C’est l’avantage d’être maintenu dans ses fonctions que de voir les saisons passer et les choses changer : lorsque nous avons construit ensemble la programmation militaire, nous avons passé plusieurs heures à débattre de sa soutenabilité au regard de l’inflation, certains d’entre vous reprochant au Gouvernement de ne pas prendre suffisamment en compte ce critère. Ce matin, personne n’en a soufflé mot, ce qui prouve bien qu’il n’y a aucun problème en la matière.
Et pour cause : l’évolution du contexte macroéconomique nous a redonné des marges de manœuvre dans l’exécution de la programmation militaire. On ne peut pas ignorer cette réalité, surtout quand on cherche à traiter le problème des reports de charges. Avec la même honnêteté et dans un même souci de transparence, il me faut préciser, bien évidemment, que si ce critère macroéconomique venait à évoluer dans le mauvais sens, cela aurait aussi un impact négatif sur la programmation militaire.
Cinquièmement, si j’avais pu moins recourir aux reports de charges, je l’aurais fait. Je l’ai toujours dit.
Pour autant, ces reports doivent-ils nous inquiéter au point de considérer qu’ils remettent en cause la structure de la programmation militaire ? Pour un ministre des armées, l’alternative est simple : soit il passe commande aux fournisseurs, ce qui augmente le report de charges, soit il refuse de commander. En ce qui me concerne, je préfère passer commande à nos industriels pour respecter la programmation militaire.
Une autre question se pose : faut-il envisager les reports de charges aujourd’hui de la même manière qu’il y a vingt ans, ou même qu’en 2017, année où Florence Parly a été nommée ministre des armées ? Non ! Car la situation n’est pas la même selon que les crédits militaires augmentent ou diminuent… Sachons distinguer le bon cholestérol du mauvais. (Sourires.)
Aujourd’hui, les reports de charges sont élevés, car les commandes sont nombreuses, comme c’était le cas entre les années 1960 et 1980. Dans les années 1990 et 2000, les reports de charges résultaient des efforts de trésorerie que l’on faisait porter aux industries de défense, ce qui n’est plus le cas. À cet égard, je m’inscris en faux contre les propos qu’ont pu tenir certains d’entre vous ce matin : non, la trésorerie des industries de défense n’est pas mise à mal par les reports de charges.
Au contraire, nous veillons à ce que l’effort considérable que les contribuables sont appelés à fournir ne donne pas lieu à des effets d’aubaine indus au profit de nos industries de défense – que je soutiens pourtant de tout mon cœur en tant que ministre de la défense. Notre réarmement n’est plus comme jadis l’œuvre d’arsenaux de l’État. C’est une différence notable avec la grande période des années 1960, 1970 et 1980. Il nous faut donc trouver un juste milieu.
Certes, nous devons débattre des reports de charges et le sénateur de Legge a raison de nous y inciter au nom de la commission des finances. Mais nous devons aussi prendre de la distance en veillant à considérer que ces reports ne viennent pas forcément fragiliser les industries de défense, lesquelles d’ailleurs – vous auriez pu me le reprocher – touchent des intérêts moratoires sur lesdits reports…
Par conséquent, comme l’ont suggéré la sénatrice Jourda et le sénateur Temal, au moment où le monde se réarme, nous devrions concentrer notre réflexion sur la meilleure manière d’aider ces industries à capter des financements privés, notamment des financements bancaires et des levées de fonds. De toute évidence, il reste à définir un modèle économique pour soutenir notre renforcement capacitaire.
Sixièmement, certains d’entre vous ont abordé la question de la fidélisation des personnels.
Madame la sénatrice Carlotti, oui, l’échéance de la revalorisation de la grille indiciaire des officiers sera respectée, comme elle l’a été, malgré un léger décalage, pour les sous-officiers. À ce propos, il ne se passe pas une seule visite sur une base aérienne ou sur une base navale sans que des sous-officiers viennent me dire qu’ils se réjouissent de voir leur situation enfin évoluer. En outre, les chiffres parlent d’eux-mêmes : la cible des 700 équivalents temps plein (ETP) sera atteinte en 2025, comme la loi de programmation militaire le prévoit.
Je vous remercie, madame Gréaume, pour vos propos sur le service de santé des armées (SSA). Je sais que c’est un sujet auquel vous tenez infiniment, et nous veillerons à ce que les choses continuent d’avancer.
Septièmement, j’assume quelques décalages par rapport à ce qui a été voté dans la LPM : cela ne concerne que quelques cas, sur lesquels je vais m’expliquer.
Ainsi, il va sans dire qu’il nous faut accélérer le déploiement de l’intelligence artificielle, selon des modalités encore à imaginer, et ce afin de créer un véritable arsenal technologique. L’Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de défense y travaille. C’est pourquoi j’ai proposé que celle-ci bénéficie de crédits supplémentaires, une initiative que j’ai pris soin de détailler lors de ma dernière audition devant votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Les munitions sont un autre point sensible de notre réarmement. Le président Perrin a évoqué le « pivot vers la haute intensité » : il s’agit moins d’engager une évolution du format de notre armée que de renforcer nos stocks de munitions, simples et complexes. À cet effet, j’ai proposé l’ouverture de 1,9 milliard d’euros de crédits supplémentaires, ce qui nous permettra de nous doter de torpilles lourdes, de missiles Mistral, Aster ou Scalp, etc.
À l’évidence, il est essentiel que nous organisions prochainement un débat sur les nombreuses bascules auxquelles nous sommes en train d’assister. M. Temal a parlé de l’Afrique. Parmi ceux qui ont évoqué l’Union européenne, certains à droite de l’hémicycle ont soutenu que les questions de défense relevaient d’une souveraineté qu’il n’était nullement question d’abandonner, quand le sénateur Gontard considère – je ne suis pas d’accord avec lui sur ce point – que la France n’a plus les moyens de ses ambitions et que les Français doivent se mettre au diapason de ce que veulent les Européens. Monsieur Gontard, je résume sans doute un peu rapidement les propos forts que vous avez tenus et auxquels je suis loin de souscrire.
En effet, j’estime que la clé du débat consiste à définir ce que nous souhaitons partager au sein de l’Union européenne. Par conséquent, le Gouvernement et le Parlement – car la diplomatie parlementaire joue un rôle important – doivent prendre l’initiative d’ouvrir la réflexion en ces termes : quels projets de défense pourrions-nous partager avec d’autres États membres sans abîmer notre souveraineté ni subir une standardisation qui ne nous correspondrait pas, car elle serait trop influencée par les États-Unis ?
Je souhaite que le Sénat s’empare de ce débat dont l’enjeu n’est rien moins que la coordination entre l’Union européenne et l’Otan, autrement dit la création du fameux « pilier européen » au sein de l’Otan. Le sujet court depuis de nombreuses années : il est temps de faire évoluer notre réflexion. Les conséquences sur des projets comme le Scaf ou le MGCS risquent d’être redoutables, mais il est temps de distinguer ce qui peut être mutualisé de ce qui ne peut absolument pas l’être, et de placer le curseur en matière de souveraineté au bon endroit.
C’est un débat noble, qui devra associer le Parlement. Toutes les contributions seront les bienvenues, les vôtres, bien sûr, celles des think tanks également. Nous devrons définir précisément, devant le peuple français et au regard de notre histoire, le niveau de mutualisation que nous sommes prêts à consentir.
Nous devrons également reparler de la place que la France doit occuper au sein de l’Otan. Nous avons commencé à en débattre dans le cadre du projet de loi de programmation militaire, mais il faudra aller plus loin.
Les grandes bascules géographiques, en Afrique, dans l’Indo-Pacifique et sur le plateau continental européen, méritent notre attention. Nous devrons plus particulièrement réfléchir à la situation en Ukraine : quid du jour d’après ?
Autre enjeu, l’articulation entre la dissuasion nucléaire et ce qui relève du conventionnel, non seulement militaire, mais aussi civil. Certains d’entre vous ont en effet très justement rappelé l’essor des menaces hybrides, de la guerre informationnelle ou cyber ou bien encore de la militarisation de l’espace. L’arrivée de M. Musk au sein de l’administration américaine n’ira pas sans créer un grand bouleversement de ce que les Européens croyaient acquis en matière spatiale.
Monsieur le sénateur Temal, la revue nationale stratégique sera-t-elle révisée ? Je ne le sais pas, car la décision relève du Président de la République et du Premier ministre. Toutefois, comme ministre des armées – je m’adresse en particulier au président de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin, et au rapporteur du dernier projet de loi relatif à la programmation militaire, Christian Cambon –, je suis à la disposition du Sénat pour que nous menions ces débats en profondeur.
Encore une fois, en matière de finances publiques, les questions techniques sont importantes pour garantir la sincérité des textes, mais elles ne doivent pas oblitérer une question plus redoutable : l’argent que nous continuerons de mettre sur la table, au point de doubler le budget des armées d’ici 2030, comme l’a rappelé Jean-Baptiste Lemoyne, nous permettra-t-il de nous prémunir contre les menaces de demain et de pourvoir à la sécurité des autres ?
Nous avons commencé à en discuter dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation militaire. Sur l’initiative du groupe socialiste, un débat relatif à la politique étrangère de la France en Afrique s’est également tenu au Sénat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, dans le cadre duquel nous avions pu faire avancer notre réflexion sur tous ces sujets. Si d’autres initiatives de ce type étaient lancées par votre commission des affaires étrangères, je me rendrais évidemment disponible, tout comme Jean-Noël Barrot. Dans le contexte actuel, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une certaine lucidité stratégique, qui appellera une forme de lucidité budgétaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, LR, UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, pour cette mission, la conférence des présidents a fixé la durée maximale de la discussion à deux heures trente.
Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Défense », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission / Programme |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Défense |
93 579 690 162 |
60 003 543 448 |
Environnement et prospective de la politique de défense |
2 173 138 952 |
2 076 223 248 |
Préparation et emploi des forces |
15 265 976 430 |
14 318 070 053 |
Soutien de la politique de la défense |
24 766 940 323 |
24 919 730 428 |
dont titre 2 |
23 226 544 707 |
23 226 544 707 |
Équipement des forces |
51 373 634 457 |
18 689 519 719 |
M. le président. L’amendement n° II-1173 rectifié n’est pas soutenu.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Tant mieux !
M. le président. Les amendements nos II-625 et II-1315 rectifié sont identiques.
L’amendement n° II-625 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° II-1315 rectifié est présenté par MM. Canévet et Delahaye et Mmes O. Richard et Jacquemet.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Environnement et prospective de la politique de défense |
|
672 560 |
|
672 560 |
Préparation et emploi des forces |
|
142 940 |
|
142 940 |
Soutien de la politique de la défense |
|
56 389 375 |
|
56 389 375 |
dont titre 2 |
56 093 430 |
56 093 430 |
||
Équipement des forces |
|
|
|
|
TOTAL |
|
57 204 875 |
|
57 204 875 |
SOLDE |
- 57 204 875 |
- 57 204 875 |
La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° II-625.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Cet amendement, issu d’une réflexion interministérielle, vise à traduire les différentes mesures catégorielles pour l’État. En effet, les crédits dits « T2 », autrement dit les dépenses de personnel au sein de l’administration de l’État, peuvent connaître des augmentations ou des diminutions sans rapport avec les mesures votées dans le cadre de la programmation militaire. Pour ne citer que cet exemple, l’augmentation du point d’indice a rehaussé ces crédits sans que cela relève de cette programmation.
Le gouvernement de Michel Barnier proposait un certain nombre de mesures d’économies – je pense en particulier au jour de carence dans la fonction publique. Le Premier ministre François Bayrou en a présenté d’autres, cette semaine, dans le cadre du dialogue qu’il entretient avec les différents groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Cet amendement vise à couvrir la non-dépense de certains crédits en prévoyant des mesures d’économies dans les champs concernés. Il faudra sans doute – je dois vous le dire –réévaluer le montant inscrit dans cet amendement du Gouvernement, compte tenu des engagements très récents que le Premier ministre a pris, notamment auprès du groupe socialiste, si j’ai bien compris.
Nous le ferons dans le cadre des discussions budgétaires et parlementaires à venir, mais je me devais, au nom de la solidarité gouvernementale, de vous présenter cet amendement, et ce d’autant plus que c’est grâce à cette solidarité gouvernementale que nous avons pu préserver la programmation militaire.
M. le président. L’amendement n° II-1315 rectifié n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Monsieur le ministre, je tiens à saluer l’habileté dont vous faites preuve pour défendre un amendement qui s’inscrit dans un contexte pour le moins incertain et difficile à comprendre.
Je peine à faire le lien entre les propos qu’a tenus le Premier ministre, ici, il y a quelques jours, sur la nécessité de réduire la dette et la dépense publique, et les arbitrages qu’il semble vouloir rendre.
Je nourris aussi de l’incompréhension quant à la méthode. En effet, j’avais cru comprendre que le Parlement était là pour voter le budget. Or il semble que les décisions se prennent dans des cénacles particuliers, en présence sans doute de quelques parlementaires, mais pas en séance plénière.
Néanmoins, comme je n’ai pas envie de vous être désagréable, monsieur le ministre, (Sourires) j’émettrai un avis favorable sur cet amendement, conformément à ce qu’a décidé la commission des finances, en espérant que le chiffre que vous avez annoncé ne sera pas revu à la baisse, mais respecté.