compte rendu intégral
Présidence de M. Alain Marc
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud,
Mme Catherine Conconne.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. Lors du scrutin public n° 135, nos collègues Vincent Delahaye et Claude Kern souhaitaient voter contre.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Loi de finances pour 2025
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale (projet n° 143, rapport général n° 144, avis nos 145 à 150).
Nous en sommes parvenus aux dispositions de la seconde partie du projet de loi de finances.
SECONDE PARTIE
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
M. le président. Nous allons à présent entamer l’examen des différentes missions.
Enseignement scolaire
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, la mission « Enseignement scolaire », dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur spécial, représente – heureusement – toujours la première mission du budget de l’État. Sans compter la contribution au compte d’affectation spéciale « Pensions », elle devrait atteindre 64,5 milliards d’euros en 2025.
Cher Alexandre Portier, comme je l’avais dit voilà quelques jours dans cet hémicycle : « […] si Marianne exerçait un métier, elle serait probablement professeur, tant République et école sont liées depuis 1880. » Et les fameux hussards noirs de la République, chers à Charles Péguy, incarnent parfaitement cette symbiose entre République et école. Aussi, dans notre pays, chaque fois que l’on parle d’école, les débats sont passionnels.
Contrairement aux deux années précédentes, les dépenses de la mission sont stables pour 2025. Mais, depuis 2022, les crédits avaient augmenté de 17 %, soit 9,2 milliards d’euros. Cette hausse était avant tout due aux revalorisations nécessaires, et pourtant encore insuffisantes, des rémunérations des personnels enseignants, qui représentent 74 % des 1,2 million d’emplois de la mission. En 2022, les enseignants français étaient, en moyenne, moins bien payés que leurs homologues de nombreux pays européens, notamment le Luxembourg, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore le Portugal. Une telle situation n’est ni acceptable ni souhaitable pour des personnels aux missions aussi indispensables.
Des efforts substantiels ont donc été faits pour revaloriser les salaires et tenter d’améliorer l’attractivité du métier, qui n’est plus très forte aujourd’hui. Les deux augmentations du point d’indice de la fonction publique, en 2022 et 2023, ainsi que la revalorisation de la rémunération-socle des enseignants, ont permis des améliorations substantielles, tout comme le pacte enseignant, même si tout le monde n’en bénéficie pas.
Au total, sans ces différentes revalorisations, les dépenses de personnel auraient été moins élevées de 4,5 milliards d’euros en 2025, ce qui montre l’effort budgétaire important de ces dernières années en faveur de la mission « Enseignement scolaire ». On peut toujours faire mieux, mais ce n’était déjà pas mal.
Au-delà de la stabilité de ces moyens, il ne vous aura pas échappé que le point le plus marquant de ce projet de budget, le récif tranchant de cette année, est la baisse du plafond d’emplois. Ainsi, 4 000 emplois de professeurs pourraient – je l’exprime au conditionnel – être supprimés, dont 3 815 dans le premier degré.
La baisse démographique, justification d’une telle proposition, est réelle et ne peut être niée : le nombre d’élèves scolarisés dans le premier degré a déjà baissé de 6 % entre 2011 et 2023. Malheureusement, cela va s’accentuer avec 350 000 élèves de moins entre 2023 et 2028. Toutefois, s’il ne faut ignorer ni la démographie ni les mathématiques, la politique ne saurait se résumer à un exercice purement comptable. L’art du politique est de rendre souhaitable ce qui est possible. Est-il souhaitable que la France soit l’un des États de l’OCDE avec l’un des pires taux d’encadrement ? Non.
D’ailleurs, les politiques volontaristes menées par votre ministère consistent toujours à baisser le taux d’encadrement, que ce soit pour les classes dédoublées ou pour les groupes de besoins. Soyons donc cohérents : 4 000 enseignants en moins, c’est aller trop loin.
Mme Marie-Pierre Monier. C’est sûr !
M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial. Cette diminution des effectifs, qui doit tout de même tenir compte de la baisse de la démographie, ne peut être appliquée mécaniquement sur tout le territoire. Elle doit être progressive et précautionneusement ciblée. Elle présente un risque essentiellement pour les écoles rurales, qui ont déjà perdu 8,5 % de leurs effectifs entre 2015 et 2023 et qui sont donc les plus susceptibles d’être encore touchées par cette baisse du plafond d’emplois.
Il ne s’agit pas d’opposer ville et campagne, mais une fermeture de classe dans une école rurale s’accompagne de risques forts du point de vue de ce que j’appelle le « désaménagement du territoire ».
Aussi, au nom de la commission des finances, je défendrai un amendement visant à limiter la baisse du nombre d’enseignants à 2 000 postes, ce qui aboutira à une diminution beaucoup plus équilibrée. In medio stat virtus.
Comme les années précédentes, l’école inclusive représente un investissement important. Entre 2013 et 2023, 240 000 élèves en situation de handicap supplémentaires ont été scolarisés. C’est évidemment une bonne chose, avec des conséquences budgétaires essentielles : concrètement, l’école inclusive, c’est 4,5 milliards d’euros en 2025.
Si tous les problèmes ne sont pas résolus – n’est-ce pas, cher Cédric Vial –, il faut savoir reconnaître ce qui va mieux, sans nier pour autant ce qui va mal. Il y a un problème que le budget ne peut malheureusement pas traiter et qu’il ne faut pas oublier, à savoir la scolarisation des élèves hautement perturbateurs.
Je souhaite maintenant attirer l’attention de mes collègues sur l’ampleur des réformes qui ont eu lieu dans l’éducation nationale ces dernières années et sur leur nombre, de la politique du dédoublement des classes de grande section CP-CE1 à celle du choc des savoirs, récemment instauré.
Toutes ces réformes, au coût certain, ont été mises en œuvre au prix d’un réel épuisement des personnels. Elles doivent d’ailleurs pouvoir être évaluées, dans le temps long. Concrètement, point trop n’en faut : il serait utile d’abandonner les réformes de trop grande ampleur pendant quelque temps.
Enfin, je note que, comme l’an dernier et comme désormais très souvent, les crédits consacrés à la formation dans l’ensemble des programmes de la mission « Enseignement scolaire » s’élèvent à plus de 2 milliards d’euros, alors qu’en 2023 seulement la moitié desdits crédits ont été consommés. Ce sera l’objet de l’un des premiers amendements que nous examinerons. La commission des finances ne comprend pas une telle sous-consommation.
Nous formulerons aussi des propositions d’économies sur certains opérateurs de la mission.
Malgré toutes ces remarques, la commission des finances vous invitera à adopter les crédits de la mission « Enseignement scolaire », avec quelques améliorations issues des 106 amendements que nous allons étudier dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, je voudrais tout d’abord vous remercier. La situation est tout de même très inédite, dans l’attente de je ne sais quoi, de je ne sais qui… C’est certainement inconfortable, raison pour laquelle je tiens à saluer le travail que vous effectuez – j’espère que vous pourrez le poursuivre dans les mois à venir…
Hors enseignement agricole, les crédits de la mission « Enseignement scolaire » sont en hausse de plus de 1,6 milliard d’euros. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, une telle augmentation est à souligner.
À quelques mois du vingtième anniversaire de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, notre commission se félicite des efforts constants du ministère en faveur de l’école inclusive. Entre 2017 et 2024, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés a progressé de 52,4 %.
En revanche, de nombreuses communes nous ont fait part de leurs difficultés dans la mise en œuvre de la loi du 27 mai 2024 visant la prise en charge par l’État de l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant le temps de pause méridienne, dite loi Vial. Madame, monsieur les ministres, ce texte répond à un enjeu de solidarité nationale et de continuité d’apprentissage pour les élèves concernés. Aussi, j’espère que tout sera fait pour débloquer rapidement les points de crispation.
J’en viens maintenant à la démographie scolaire. Celle-ci diminue. C’est pourquoi le Gouvernement, votre gouvernement, notre gouvernement propose la suppression de 4 035 postes d’enseignants, dont plus de 3 150 dans le premier degré. Certes, ces suppressions répondent à une logique mathématique, mais n’oublions pas les territoires, ainsi que les femmes et les hommes qui y vivent. Dans certains territoires ruraux, l’école est souvent le dernier service public.
Aussi, je proposerai tout à l’heure, à l’instar de mon collègue Olivier Paccaud, un amendement – adopté à l’unanimité par la commission de la culture la semaine dernière – visant à revenir partiellement sur ces suppressions de postes.
Je tiens à souligner l’urgence de penser le maillage territorial de la prochaine décennie. Faisons des contraintes démographiques un levier pour une meilleure mise en œuvre des établissements scolaires au service de la réussite des élèves.
Je suis un fervent défenseur de ce que l’on appelle l’« école du socle commun ». Je le dis à mes collègues, l’école du socle commun ne visera pas à supprimer les écoles rurales ; elle aura plutôt pour effet de leur permettre de s’installer et de se consolider. Et nous pourrons les garder autour du collège.
Le problème démographique est crucial. Le Sénat aura, me semble-t-il, un rôle à jouer dans la nécessaire réflexion à mener sur une réorganisation des établissements scolaires, pour la France et pour nos élèves. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Bernard Fialaire, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le programme 143 « Enseignement technique agricole », que je rapporte et que je soutiens, a reçu un avis favorable de la commission.
Il pourrait paraître paradoxal, dans le contexte actuel de réduction démographique des effectifs, que l’enseignement technique agricole connaisse une croissance de 1 % par an depuis cinq ans, avec un taux de réussite remarquable, une insertion professionnelle exceptionnelle, malgré des indices de position sociale (IPS) inférieurs aux filières générales.
Outre le fait que l’agriculture devra faire face à un renouvellement générationnel de 30 % d’ici à 2030, une telle réussite s’explique aussi par les faibles effectifs des classes. Cela doit sans doute permettre d’absorber la croissance de 1 % sans augmentation du nombre d’enseignants, mais il faudra rester vigilant.
L’augmentation de 35 millions d’euros est la bienvenue. Toutefois, nous sommes inquiets sur les mesures susceptibles de toucher l’aide à l’apprentissage, qui connaît dans le monde agricole une croissance de 49 % depuis 2019. Ce financement permet de faire face à l’apprentissage, mais surtout donne un équilibre financier et une rentabilité aux établissements, alors que les ateliers, les fermes et les exploitations pédagogiques sont très déficitaires, car ils doivent privilégier la pédagogie à la rentabilité.
Mme Genevard nous a annoncé un coup de rabot général sur l’ensemble de son budget, sans discernement pour l’enseignement agricole. Je crois que nous ne pouvons nous en satisfaire. Dans le monde agricole, tout le monde sait que pour pouvoir récolter, il faut avoir semé. Investir dans l’enseignement agricole, c’est permettre de faire face demain aux défis que doit relever ce milieu.
Il y a peut-être des pistes à chercher dans une meilleure gestion du pacte enseignant, qui – nous le voyons bien – n’est pas tout à fait adapté. Il y a de faibles effectifs, donc moins de remplacements. Les enseignants qui s’y engagent se trouvent parfois à ne pas consommer l’ensemble des heures sur lesquelles ils sont engagés, ce qui entraîne des problèmes de remboursement des financements. Nous pouvons donc sûrement faire des progrès, dans l’enseignement agricole comme dans l’enseignement général, pour accorder un peu plus d’autonomie de gestion aux chefs d’établissement.
En tout état de cause, notre commission se prononce en faveur de l’adoption de ces crédits, en hausse de 35 millions d’euros. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Samantha Cazebonne applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, après des années Blanquer qui continuent de laisser des traces au sein de la communauté éducative, l’année 2024 a été marquée par une instabilité ministérielle inédite.
Madame la ministre, vous êtes la troisième ministre de l’éducation nationale en 2024 et la sixième de ce quinquennat. Une telle instabilité nuit à la relation de confiance entre les enseignants et l’exécutif. Il semble que, depuis son arrivée au pouvoir, votre formation politique n’ait pas trouvé la formule pour s’adresser à la communauté éducative et instaurer une méthode de travail sereine au sein de l’éducation nationale.
Comment l’expliquer ? Il y a d’abord une différence de constat. Les enseignants insistent sur les enquêtes de l’OCDE, qui montrent le sous-investissement structurel dans l’éducation en France, tandis que le Gouvernement se réfère aux enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) pour justifier des réformes destinées à lutter contre un décrochage scolaire. Il en découle des différences de priorités.
Malgré les intentions que vous affichez, la part du PIB consacrée à l’éducation nationale ne cesse de baisser depuis 1996. En moyenne, la France dépense 11 % de moins par élève que les autres pays de l’OCDE. Le taux d’encadrement des élèves en France continue d’être inférieur à la moyenne de l’OCDE, avec 14,6 élèves en moyenne par enseignant, contre 11,8 au sein de l’Union européenne.
Nous le disons avec force, la baisse démographique est une occasion historique pour améliorer notre taux d’encadrement et permettre à la France de rattraper son retard.
Nous déplorons aussi l’absence de mesures de revalorisation salariale. Le niveau des rémunérations est plus faible chez nous que chez nos voisins européens, alors même que l’éducation nationale traverse une grave crise de recrutement : cette année encore, il manquait 3 000 enseignants à la rentrée 2024. Nous ne pourrons pas répondre à cette crise sans augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail.
Quoi qu’il en soit, notre politique en matière d’enseignement ne peut se limiter à l’amélioration des critères quantitatifs de réussite. Sur ce point, la vision de l’école que nous défendons au groupe écologiste dépasse l’obsession de la réussite des élèves au test Pisa et de leur mise en concurrence au niveau international.
Nous défendons au contraire une école publique placée au cœur du projet de société : un lieu de transmission des savoirs, de l’apprentissage, du vivre-ensemble. Nous sommes donc très attachés à ce que le développement des savoir-être, comme l’empathie, figure dans les critères d’évaluation des ministères.
Mais il y a aussi, me semble-t-il, un problème de méthode. Le ministère de l’éducation nationale est le premier ministère de l’État en termes de masse salariale. La réussite des réformes y dépend donc de l’adhésion de la communauté enseignante au projet, plus que dans tout autre ministère. Au-delà du fond de la réforme, beaucoup d’enseignants se sont opposés au choc des savoirs, du fait de la manière dont, une fois encore, une réforme leur a été imposée sans aucun débat parlementaire.
Alors qu’il a fallu sept ans à la communauté enseignante pour obtenir des moyens humains de soutien nécessaires à la mise en œuvre de l’école inclusive, votre prédécesseure a décidé seule d’inverser les principes qui définissent les conditions d’apprentissage des savoirs fondamentaux.
À ce titre, l’expression « choc des savoirs » est évocatrice. Je me félicite de la décision d’annulation du Conseil d’État, qui va vous obliger, je l’espère, à réfléchir sur cette manière de gouverner dans l’urgence et dans la brutalité, madame la ministre. Je m’inquiète toutefois de la réaction de sortie d’audience du ministère, qui déclarait en substance : « Puisque nous n’avons pas pu le faire par arrêté, faisons-le par décret ».
Il faut au contraire se demander pourquoi, après une opposition quasi unanime du Conseil supérieur de l’éducation et un passage en force, la réforme des groupes de moyens a tant de mal à se déployer sur le terrain. Depuis la rentrée, seuls 26 % des établissements l’auraient mise strictement en place. N’y a-t-il pas une contradiction à instaurer l’école inclusive jusqu’au primaire, puis à trier d’une autre façon les élèves à partir du collège ?
Pour faire face aux inégalités scolaires, un autre modèle est possible : celui de la loi de 1977, qui consiste à faire des classes hétérogènes et à offrir des cours de soutien particulier aux élèves en difficulté.
L’année 2024 a aussi été marquée par l’affaire Stanislas et par le rapport sur l’enseignement privé à l’Assemblée nationale. Ne l’oublions pas, dans cet hémicycle, certains, qui siègent désormais avec vous au Gouvernement, militent pour un renforcement de l’autonomie des établissements scolaires,…
M. Max Brisson. Absolument !
Mme Monique de Marco. … couplé à un renforcement de financement pour les parents d’élèves. Je vous mets en garde contre un tel changement du système, madame la ministre. C’est le chemin qu’ont emprunté les Suédois ; ils sont désormais prêts à faire machine arrière. Nous nous opposerons de toutes nos forces à de telles mesures. L’école que nous défendons est celle qui émancipe. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, Jules Ferry déclarait : « […], entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j’en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j’ai d’intelligence, tout ce que j’ai d’âme, de cœur, de puissance physique et morale, c’est le problème de l’éducation du peuple. » Il me semble que nous devrions toujours garder à l’esprit cette boussole : tout faire pour garantir une éducation de qualité à l’ensemble de nos élèves.
Le projet de budget que nous examinons aujourd’hui en est à 1 000 lieues, puisqu’il consiste, avec ses 4 000 suppressions de postes, à faire reposer sur les épaules de l’éducation nationale 90 % des coupes humaines prévues dans la fonction publique.
L’argument pour justifier ces suppressions, nous le connaissons : c’est celui de la baisse démographique. Or il n’est pas audible, pour deux raisons.
D’une part, entre 2018 et 2021, 7 500 postes ont été supprimés dans le second degré, alors que les effectifs ont enregistré une hausse de 68 000 élèves dans la même période. Ces coupes ont été faites au nom d’une priorité accordée au premier degré, qui s’est pourtant retrouvé par la suite également touché par des suppressions de postes.
D’autre part, en ce qui concerne le nombre d’élèves par classe, la France est l’une des mauvaises élèves de l’Union européenne. Dans le premier degré, on compte en moyenne 21,4 élèves par classe, contre 19 dans le reste de l’Union européenne. Plus d’un quart des classes de maternelle et d’élémentaire dépassent encore les 25 élèves. Au collège, ce sont presque 26 élèves par classe, contre 21 élèves ailleurs. Si les taux d’encadrement moyens sont meilleurs au lycée, c’est aussi dû aux spécificités des conditions d’apprentissage dans les lycées professionnels et technologiques, qu’il est essentiel de continuer de soutenir.
Je me réjouis de la possibilité que notre Haute Assemblée envoie un signal fort en adoptant les amendements des commissions des finances et de la culture visant à réduire la baisse du nombre de professeurs des écoles à 2 000 emplois. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain désire, pour sa part, aller plus loin. Nous défendrons tout à l’heure des amendements tendant à rétablir l’ensemble des postes supprimés dans le premier et le second degré.
J’anticipe la rhétorique consistant à dire que nous dépensons déjà énormément pour notre école. Je tiens à rappeler qu’au cours des dernières années, nous avons vu passer un tourbillon de réformes coûteuses, mises en œuvre dans la précipitation, au risque d’un épuisement des personnels, et sans réel bilan quant à leur efficacité. Démarche « Notre école, faisons-la ensemble ! », fonds d’innovation pédagogique, doté de quelque 500 millions d’euros, campagne d’évaluation des établissements scolaires, pacte enseignant, choc des savoirs… Il me semble qu’il y a là matière à réflexion pour être plus économe et, surtout, plus efficace.
L’ancienne professeure de mathématiques que je suis a été frappée lors des auditions préparatoires de ce budget par l’extrême lassitude exprimée par les personnels enseignants. Disons-le franchement, ils sont au bout du rouleau. Dans un contexte où des milliers de postes restent non pourvus à l’issue des concours et où les démissions explosent, il nous faut sérieusement entendre leurs préoccupations et travailler à l’attractivité de la profession.
Cela passe en premier lieu par une poursuite des efforts engagés en matière de revalorisation de leur rémunération, étendus à l’ensemble de leur carrière. Rappelons que les enseignants ont perdu en vingt ans 15 % à 20 % de leur pouvoir d’achat.
Cela passe aussi par une réelle amélioration de leurs conditions de travail, très loin de la logique du « travailler plus pour gagner plus » du pacte enseignant.
Cela suppose enfin que nous soyons à chaque fois au rendez-vous pour les protéger concrètement lorsqu’ils font l’objet de menaces ou d’attaques. Je le dis avec une émotion particulière à l’heure où le procès de l’assassinat de Samuel Paty est en cours.
Le budget que nous examinons aujourd’hui constitue également une occasion manquée en matière d’inclusion scolaire. La création de 2 000 postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) est à saluer, mais elle reste largement insuffisante pour accompagner l’ensemble des élèves en situation de handicap. Rien ne garantit par ailleurs que ces postes seront pourvus, au regard de la précarité institutionnalisée dans laquelle est maintenue la deuxième catégorie des personnels de l’éducation nationale.
Vingt ans après la naissance de l’école inclusive, il est temps d’avoir un projet politique global pour l’inclusion scolaire et de mettre fin au bricolage motivé par une illusoire rationalisation budgétaire.
La mise en œuvre expérimentale des pôles d’appui à la scolarité ou encore les difficultés à appliquer la loi votée sur l’initiative de notre collègue Cédric Vial pour assurer la prise en charge des AESH sur le temps méridien par l’État sont autant de signaux récents inquiétants.
Je terminerai en évoquant l’enseignement agricole. Si son budget est effectivement en hausse, l’absence de création de postes d’enseignants pose question. Pour mémoire, entre 2017 et 2022, ce sont 316 emplois qui ont été supprimés, soit l’équivalent de 10 000 dans l’éducation nationale !
Si nous souhaitons réellement que l’enseignement agricole puisse répondre aux défis du renouvellement des générations et de l’évolution des pratiques dans une perspective de transition écologique, il faut lui allouer les moyens suffisants pour ce faire. À défaut, tout projet de loi d’orientation ou objectif chiffré de hausse du nombre d’apprenants restera de l’ordre de l’incantation.
Pour toutes ces raisons, ainsi que pour d’autres, que ma collègue Colombe Brossel évoquera, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera contre l’adoption du budget alloué à l’enseignement scolaire, qui sera encore plus dégradé par l’amputation de 170 millions d’euros décidée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.
M. Aymeric Durox. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, « Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple. S’il ne l’est pas aujourd’hui, il le sera demain. » Ainsi parlait Jules Simon, ministre de l’instruction publique du gouvernement provisoire de la Défense nationale contre les Prussiens en 1870 et membre de notre Chambre haute pendant plus de vingt ans.
Si cet adage s’est révélé exact pour notre pays tout au long de la Troisième République et jusque dans les années 1960, force est de constater une dégringolade effrayante depuis, conduisant notre pays à une forme de déclassement général, dont on peut se demander si ce n’est pas le but recherché, comme peut l’écrire Jean-Claude Michéa dans son ouvrage L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes.
Le budget de la mission « Enseignement scolaire », dont nous débattons aujourd’hui, incarne parfaitement ce qui caractérise l’ère Macron : le « en même temps ». Bien que le budget augmente de 2 %, il manque d’ambition et ne tire aucun enseignement du choc Pisa 2023. Il se résume à une liste de mesures sans impact systémique : cours d’empathie, Conseil national de la refondation, éducation sexuelle, groupes de besoins, etc.
Vous affirmez, comme vos prédécesseurs, que la maîtrise des fondamentaux est prioritaire, mais « en même temps » le coût moyen d’un écolier reste nettement inférieur à celui d’un lycéen, à l’inverse des pays de l’OCDE obtenant les meilleurs résultats aux évaluations internationales.
De plus, vous supprimez de nouveau des classes dans la France périphérique.
Vous poursuivez les dédoublements en réseaux d’éducation prioritaire (REP) et expérimentez le créneau horaire de huit heures à dix-huit heures, mais, « en même temps », vous n’engagez nullement l’évaluation de l’éducation prioritaire qui permettrait de faire évoluer un modèle obsolète.
À l’instar de vos trop nombreux prédécesseurs dont l’histoire a déjà oublié les noms, vous multipliez les déclarations martiales sur la défense de la laïcité, mais, « en même temps », vous vous abstenez de mesurer par un indicateur l’évolution de la menace que l’islamisme radical fait peser sur nos enseignants, nos enseignements, la laïcité et donc la République elle-même.
Pour rappel, 328 atteintes à la laïcité à l’école ont été recensées en septembre dernier et les demandes de protection fonctionnelle de professeurs ont progressé de 29 % en un an.
Cette liste d’exemples illustrant le double discours qui définit la politique éducative du macronisme pourrait encore s’allonger. Bien que le budget de l’éducation soit le premier de l’État, il est impossible d’y déceler une politique éducative à la hauteur de l’état préoccupant de notre système éducatif et des défis considérables qui attendent notre nation dans les décennies à venir.
Contrairement à ce que prétend Bercy, le ministère de l’éducation nationale n’est pas un ministère dépensier. Il est par essence le ministère de l’avenir de la Nation.
Son budget est donc un budget d’investissement. Or un investissement sans vision stratégique, sans cap ni boussole, n’est qu’un tonneau des Danaïdes.
Pourquoi est-il possible de fixer des objectifs de développement durable à l’horizon 2050, mais impossible d’envisager des objectifs qualitatifs et éducatifs pour le milieu du siècle ?
Ce budget, préparé durant la période dite de gestion des affaires courantes, est un budget de routine, un budget d’administration générale, et non le budget ambitieux devenu indispensable pour sauver notre politique éducative du naufrage.
Le Rassemblement national est le seul mouvement politique à proposer une alternative au long déclin de notre système éducatif, une autre ambition pour l’école de la République.
Nous sommes convaincus que c’est dans et par l’école que se dessinent le destin et l’avenir de la Nation.