Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport publié par la Ciivise le 17 novembre 2023 nous a tous révoltés. Il révèle en effet une réalité insoutenable : plus de 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année dans notre pays. Ce sont là 160 000 vies brisées ; 160 000 enfances détruites tous les ans. Ce sont, aujourd'hui, 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes qui ont vu leur innocence s'envoler dès le plus jeune âge, victimes de traumatismes indélébiles.

Face à ce constat insupportable, nous, législateurs, devons faire preuve d'une vigilance et d'une mobilisation sans faille. C'est pourquoi, malgré les réserves que m'inspire le dispositif juridique proposé – j'y reviendrai –, je tiens à remercier notre collègue Maryse Carrère d'avoir déposé le présent texte.

Je le dis et je le répète, la protection de l'enfance ne saurait être un concept abstrait. Elle ne doit pas être la variable d'ajustement de nos politiques sociales.

Des dispositifs existent, qu'il s'agisse des ordonnances de protection, de l'autorité parentale adaptée ou encore des placements d'urgence. Aujourd'hui, la priorité n'est pas d'en créer d'autres encore, mais d'assurer la mise en œuvre rapide et efficace des textes en vigueur.

L'ordonnance de sûreté proposée par nos collègues du RDSE est conçue comme un outil supplémentaire destiné à renforcer la protection des enfants victimes de violences : je l'entends bien. L'utilité de ces dispositions m'inspire toutefois des réserves. En procédant ainsi, l'on risque de rendre les textes existants moins lisibles, et donc moins efficaces.

J'y insiste, en la matière, nous disposons déjà d'un arsenal juridique, comprenant l'ordonnance de protection prévue par les articles 515-9 à 515-13-1 du code civil.

À l'ordonnance de placement provisoire s'ajoute l'ordonnance provisoire de protection immédiate, un dispositif que nous avons adopté en juin dernier.

Face à un danger grave et imminent, cette ordonnance permet au juge aux affaires familiales de prononcer en 24 heures des mesures de protection, comme l'interdiction de contact pour l'auteur présumé, la suspension du droit de visite et d'hébergement et des restrictions de déplacement. Or nous attendons encore la parution du décret d'application. Madame la ministre, tel est, selon nous, le véritable problème. Il est urgent d'assurer la pleine application de la loi.

Mes chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, nous risquons de complexifier notre droit. Le danger est de rendre les dispositifs existants, comme l'OPPI et l'ordonnance de protection, moins lisibles et plus difficiles à mettre en œuvre pour les victimes comme pour les acteurs judiciaires.

C'est pour cette raison que j'ai déposé un amendement de réécriture. Je propose d'adapter l'ordonnance de protection pour y inclure les violences envers les enfants, qu'il s'agisse d'inceste ou d'autres violences intrafamiliales. En outre, cette ordonnance ne serait plus limitée aux seuls conflits au sein du couple. De tels objectifs me semblent de nature à susciter un large consensus.

Je suggère, plus précisément, d'étendre le champ d'application de l'ordonnance de protection aux situations vraisemblables de violences commises dans le cercle familial proche. Ce faisant, on pourra cibler les violences contre les enfants, et ne pas limiter le dispositif aux violences au sein du couple, sans avoir à créer une nouvelle ordonnance de sûreté. Mme Carrère a d'ailleurs retenu cette formule dans son propre amendement de réécriture.

En parallèle, notre amendement tend à supprimer certaines dispositions de la proposition de loi. Je pense notamment au bracelet antirapprochement, qui me semble inadapté pour des enfants, même sous la forme d'un boîtier de signalement. Pourquoi serait-ce à l'enfant de porter le fardeau du viol qu'il a subi ?

La Ciivise nous le rappelle : l'urgence est non pas de voter de nouvelles lois, mais d'assurer l'application effective des textes existants. Ce que nous devons garantir, ce sont des moyens concrets pour que nos magistrats, nos éducateurs et tous les professionnels engagés dans la protection de l'enfance puissent agir.

Avançons collectivement pour revoir les règles de prescription applicables à l'inceste et au viol. À cette fin, j'ai moi-même déposé une proposition de loi le 19 mai 2023. Le délai en vigueur est une seconde violence infligée aux victimes qui parviennent enfin à parler.

Avançons pour imposer la présence d'un avocat auprès de tous les bénéficiaires de la protection de l'enfance : ainsi, nous respecterons l'article 12 de la Convention internationale des droits de l'enfant, que la France a ratifiée. Nous prendrons enfin en compte la parole de l'enfant, comme nous nous y sommes engagés au niveau international.

Enfin, avançons vers la création d'une délégation sénatoriale aux droits des enfants : une telle instance nous permettrait de mener des travaux transversaux sur ces sujets majeurs.

Face à l'horreur des violences faites aux enfants, nous ne saurions nous contenter d'un empilement, d'un enchevêtrement de dispositifs.

Je tiens à remercier de nouveau Maryse Carrère, ainsi que tous nos collègues du RDSE, d'avoir déposé cette proposition de loi et de l'avoir inscrite à l'ordre du jour. Nous avons tous la volonté de mieux protéger nos enfants. C'est pourquoi nous voterons le présent texte, dans une rédaction – nous l'espérons – améliorée par les amendements de réécriture.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, déposée par Maryse Carrère, présidente de notre groupe du RDSE, et inscrite par ce dernier à l'ordre du jour du Sénat, résonne terriblement avec les chiffres des violences sexuelles faites aux enfants. En France, 160 000 victimes sont déplorées à ce titre chaque année : autant d'enfants envers qui la République ne tient pas sa promesse et qui voient leur vie bouleversée.

En 2023, la Ciivise déclinait, à l'aune de ce chiffre, quatre-vingt-deux préconisations pour lutter contre ces crimes abjects. Elle indiquait clairement que la première étape devait être la prise de conscience. Or le chemin à parcourir est encore long, tant le tabou sociétal entourant le sujet est puissant.

Seul un travail commun des élus, des magistrats et des associations nous permettra de faire réellement la lumière sur ces faits.

Au préalable, il faut accomplir un effort d'information et de prévention, car la loi et les juges qui l'appliquent ne peuvent pas tout. Parce que les enfants ne sont souvent pas en capacité de témoigner sur le moment des violences qu'ils subissent, il est indispensable que la société tout entière se mobilise pour détecter ces agissements le plus tôt possible.

Néanmoins, si le législateur ne peut pas tout, force est de constater que certaines réalités sont mal couvertes par le droit positif, voire ignorées de ce dernier : c'est le constat dressé par l'auteure du présent texte, puis confirmé par les membres de notre commission des lois.

Le législateur s'est déjà saisi à deux reprises de ce sujet, traité par les lois des 18 mars 2024 et 13 juin 2024. Mais – j'y insiste – plusieurs questions persistent, qu'il s'agisse du nombre de dispositifs existants, de l'articulation entre ces derniers ou des délais de mise en œuvre.

Je tiens à remercier notre rapporteure, Mme Marie Mercier, du travail qu'elle a accompli sur cette proposition de loi et de sa volonté d'aller de l'avant.

Les auditions conduites ont permis à notre commission d'identifier les difficultés que pourrait engendrer ce dispositif. Proposée par la Ciivise en 2023, l'ordonnance de sûreté viendrait tout compte fait se superposer de manière inopportune aux mécanismes en vigueur.

Notre présidente, Maryse Carrère, a travaillé au cours des derniers jours pour surmonter ces difficultés techniques. Elle propose aujourd'hui une solution de compromis permettant d'engager la navette parlementaire. Il s'agirait d'étendre le champ de l'ordonnance de protection déjà placée entre les mains du juge aux affaires familiales, magistrat dont les récentes lois ont renforcé l'office.

S'il est voté, ce nouveau dispositif sera soumis à la délibération de l'Assemblée nationale et pourra, si nécessaire, faire l'objet d'autres ajustements. Je pense par exemple à la question du dépôt de plainte préalable.

Mes chers collègues, cette modification de l'article unique ne réduit en rien la portée du présent texte. En adoptant cette proposition de loi, nous confirmerons le volontarisme dont le Parlement fait preuve face aux violences commises contre les enfants. Le Sénat se doit d'être au rendez-vous.

C'est pourquoi, quel que soit le groupe auquel vous appartenez, je vous invite à voter cette proposition de loi, qui recevra bien sûr toutes les voix du RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la protection des enfants victimes de violences est une priorité absolue pour notre société. Ce sujet, qui engage notre responsabilité collective, exige des réponses adaptées, rigoureuses et efficaces.

La proposition de loi déposée par Maryse Carrère traduit cette ambition, et je tiens à saluer la volonté qui anime notre collègue : renforcer les dispositifs en vigueur pour mieux protéger les plus vulnérables d'entre nous.

Toutefois, il est indispensable d'évaluer cette initiative à l'aune des outils existants et des réformes récentes.

Ces dernières années, nous avons considérablement renforcé le cadre juridique de la protection des enfants. La loi du 18 mars 2024, dite loi Santiago, a ainsi élargi les motifs de suspension et de retrait de l'autorité parentale, permettant d'intervenir plus efficacement en cas de danger pour l'enfant.

Ces réformes témoignent d'une volonté constante de mieux protéger les mineurs grâce à des outils éprouvés, comme l'ordonnance de protection ou les mesures d'assistance éducative prises par le juge des enfants. Ces dispositifs, bien qu'imparfaits, constituent aujourd'hui le socle de notre action.

L'ordonnance de sûreté, dont la création était initialement proposée, soulevait plusieurs difficultés.

Tout d'abord, nonobstant des conditions de mise en œuvre inédites, cette ordonnance semblait moins protectrice que les outils dont nous disposons déjà. Contrairement à l'ordonnance de protection, elle ne prévoyait aucune sanction en cas de non-respect des mesures décidées par le juge, ce qui aurait pu limiter son effectivité. De plus, elle introduisait un certain nombre de redondances. L'articulation des différents textes aurait été plus complexe et ces derniers seraient dès lors devenus moins lisibles pour les acteurs concernés.

Lors des auditions menées par Mme la rapporteure, les principaux acteurs de la protection de l'enfance – juges des enfants, juges aux affaires familiales, avocats, procureurs et représentants des associations – ont manifesté de grandes réserves. À la quasi-unanimité, ils ont souligné que, sous sa forme initiale, le présent texte risquait d'entraîner plus de problèmes qu'il n'en résoudrait. Ces marques de circonspection doivent nous inviter à la prudence.

C'est pourquoi je tiens à saluer le travail de réécriture accompli par Mme Carrère : par son amendement n° 1 rectifié, elle a corrigé un dispositif perfectible pour en faire un outil plus cohérent et mieux adapté aux réalités du terrain.

Notre collègue suggère désormais d'élargir le champ de l'ordonnance de protection afin de mieux répondre aux cas de violences intrafamiliales touchant les enfants. Il ne s'agit donc plus de créer un dispositif spécifique. Mme Carrère privilégie ainsi une logique de simplification, en adaptant et en renforçant les outils juridiques existants.

À l'heure actuelle, l'ordonnance de protection s'applique principalement aux violences commises au sein du couple. Si cet amendement est adopté, elle pourra également être utilisée dans les cas vraisemblables de violences commises à l'encontre d'un enfant, notamment des viols, des agressions sexuelles incestueuses, des violences exercées par un parent, son conjoint ou son concubin.

L'amendement de Mme Carrère vise à faire de l'ordonnance de protection un outil central de protection judiciaire d'urgence, pour répondre efficacement aux cas de danger manifeste.

Pour garantir une mise en œuvre adaptée à la protection des enfants, plusieurs ajustements sont proposés.

Premièrement, le dépôt d'une plainte pénale devient obligatoire, car un enfant ne peut agir seul en justice. Cette procédure permet de garantir que des démarches judiciaires soient engagées pour protéger la victime.

Deuxièmement, le port d'un bracelet antirapprochement est écarté dans les cas impliquant des enfants, ce dispositif n'étant pas considéré comme adapté. Pour ces derniers, les situations d'urgence peuvent être traitées par d'autres moyens existants, comme la garde à vue d'un parent violent ou l'ordonnance de placement provisoire, délivrée par le procureur.

Mes chers collègues, j'ignore quel sera le devenir de ce texte. J'en suis néanmoins convaincue : plutôt que d'adopter un énième dispositif, mieux vaut simplifier et renforcer l'arsenal existant. Ce faisant, nous pourrons mieux répondre aux besoins spécifiques des enfants victimes de violences intrafamiliales tout en garantissant une meilleure cohérence de l'action publique.

Il est crucial d'assurer une fluidité optimale entre les différentes autorités judiciaires impliquées, à commencer par les juges aux affaires familiales et les procureurs, et les autres acteurs de la protection de l'enfance. Le but ultime doit rester la sécurité de l'enfant, garantie par un système fiable, efficace et capable de répondre rapidement à toutes les situations de danger. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l'article unique de la proposition de loi initiale.

proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales
Article unique (début)

Avant l'article unique

Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la première phrase du premier alinéa de l'article 515-10 du code civil, après les mots : « la personne en danger, », sont insérés les mots : « y compris par l'enfant capable de discernement ».

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à permettre à l'enfant victime de saisir lui-même le juge aux affaires familiales afin d'obtenir une ordonnance de sûreté.

Je rappelle qu'aujourd'hui seul un des parents ou le procureur de la République peuvent saisir le juge aux affaires familiales à cette fin. Or, dans bien des circonstances, l'enfant ne peut pas compter sur un tiers de confiance, un adulte protecteur, pour saisir le juge. C'est la raison pour laquelle il doit pouvoir agir par ses propres moyens.

Je sais qu'un principe du droit empêche les enfants de saisir la justice pour eux-mêmes, mais tous les principes connaissent leurs exceptions. D'ailleurs, dans certains cas, les enfants peuvent déjà être acteurs ou actrices en justice.

En donnant ce pouvoir de saisine à l'enfant victime de violences, on lui confirmerait qu'on le croit. En outre, on gagnerait dans certains cas un temps précieux : à l'heure actuelle, l'enfant ne pouvant rien faire par lui-même, il est parfois tenu de trouver un adulte protecteur acceptant de saisir la justice en son nom, ce qui allonge les procédures inutilement.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, vous l'avez relevé vous-même, cet amendement tend à revenir sur un principe essentiel du droit français, à savoir l'incapacité d'un mineur à agir en justice pour lui-même.

Hormis la demande d'assistance éducative, qui peut prendre la forme d'une requête, et non d'une plainte, émise par le mineur en danger, tous les dispositifs de protection judiciaire de l'enfance respectent ce principe.

Il revient soit au parent protecteur, soit, en l'absence de ce dernier, au procureur de la République ou à un administrateur ad hoc, de saisir, selon les cas de figure, le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants.

En matière pénale, les associations de défense des droits des enfants peuvent également porter plainte pour des faits de violences commis sur un enfant, conformément à l'article 2-3 du code de procédure pénale.

L'article 1191 du code de procédure civile, que vous mentionnez dans l'objet de votre amendement, porte sur une mesure d'assistance éducative. On ne peut donc pas en déduire un droit général pour l'enfant à interjeter appel.

Évidemment, cette incapacité à agir ne signifie pas pour autant que l'enfant victime de violences ne peut rien faire. Il peut, sans formalisme particulier, se signaler à la justice, notamment au parquet, et être entendu dans le cadre des procédures le concernant.

Quand bien même on jugerait opportun d'ouvrir aux mineurs la capacité d'agir en justice – je précise que ce n'est pas mon avis personnel ; en effet, je ne pense pas que cette mesure soit réellement de nature à protéger les enfants, compte tenu de la vulnérabilité inhérente à leur âge –, il ne me semble pas pertinent de revenir sur un principe aussi fort du droit français par le biais d'une mesure sectorielle, limitée aux ordonnances de protection. Un tel sujet mériterait un débat plus large.

Enfin, telles qu'elles sont rédigées, ces dispositions permettraient à l'enfant de porter plainte pour des cas de violences uniquement à l'encontre d'un de ses parents. Cela ne me semble pas souhaitable, l'enfant ne devant pas être seul à porter la responsabilité d'une immixtion de la justice dans la vie de ses parents.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Pour les raisons que Mme la rapporteure a très bien exposées, le Gouvernement émet à son tour un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 8, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 1° bis de l'article 515-11 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« …° Suspendre ou interdire les visites en centres médiatisés telles que définies par le quatrième alinéa de l'article 373-2-1 du code civil ; »

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Par cet amendement, nous souhaitons permettre au juge de suspendre les visites médiatisées.

Les modalités du droit de visite et d'hébergement peuvent être très difficiles à définir, que ce soit à long terme ou à titre provisoire, pour un enfant victime de violences.

Entre l'hébergement libre au domicile parental et la suspension des droits de visite et d'hébergement, l'organisation de visites libres dans un espace médiatisé peut apparaître comme une solution intermédiaire : dans ce cadre neutre, l'enfant peut garder un contact avec son parent tout en bénéficiant de l'accompagnement offert par des travailleurs sociaux ou des psychologues.

Ce choix traduit la volonté d'agir au mieux des intérêts de l'enfant. Mais, dans bien des cas, il peut provoquer des situations horribles à vivre pour les victimes. Ces enfants ont parfois le sentiment de subir des confrontations régulières avec leur agresseur : on comprend, dès lors, que de telles visites puissent avoir un effet psychologique dévastateur, malgré tous les efforts des professionnels présents.

Ces visites peuvent devenir un véritable cauchemar, conduisant à l'enfant à revivre, encore et encore, les traumatismes qu'il a déjà subis et dont on cherche précisément à le protéger. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, dans le cadre de la procédure judiciaire, l'on a multiplié les efforts pour que les enfants n'aient pas à répéter leurs témoignages.

Aussi, nous souhaitons simplement que ces visites puissent être suspendues lorsque le ou la juge se prononce sur les modalités provisoires de protection de l'enfant en danger.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, votre amendement est pleinement satisfait par le droit en vigueur.

Tout d'abord, le 1° de l'article 515-11 du code civil permet déjà au juge de prononcer des interdictions de contact, lesquelles s'étendent évidemment aux visites en centre médiatisé.

Ensuite, comme vous l'écrivez dans l'objet de votre amendement, le 5° du même article permet au juge de se prononcer sur le droit de visite du parent présumé violent. Les visites en centre médiatisé entrent nécessairement dans le champ de ces dispositions. Ces dispositions vont même plus loin que celles que vous proposez : lorsqu'une interdiction de contact est prononcée, « la décision de ne pas ordonner l'exercice du droit de visite dans un espace de rencontre désigné ou en présence d'un tiers de confiance est spécialement motivée ».

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Madame Vogel, vous avez tout à fait raison d'insister sur la douleur que ces visites médiatisées peuvent provoquer, dans des contextes familiaux dégradés et violents. C'est la raison pour laquelle il est parfois nécessaire de faire cesser ces rencontres.

Toutefois, je vous le confirme, votre amendement est satisfait : le juge aux affaires familiales peut à tout moment interrompre ou suspendre les visites médiatisées, voire les supprimer.

À son tour, le Gouvernement émet un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.

M. Xavier Iacovelli. Mme Vogel a tout à fait raison d'insister sur ce point. Son amendement est certes satisfait – je suivrai l'avis de la rapporteure et de la ministre –, mais elle appelle notre attention sur un enjeu majeur : la nécessité absolue de prendre en compte la parole de l'enfant.

La présence d'un avocat auprès de l'enfant n'est toujours pas obligatoire : dès lors, la prise en compte de la parole de l'enfant n'est pas systématiquement garantie. Les visites médiatisées peuvent de fait s'imposer à lui, en attendant une éventuelle intervention du juge. C'est un véritable problème de fond qu'il nous faudra traiter à l'avenir, à la faveur d'un autre texte.

Mme la présidente. Madame Vogel, l'amendement n° 8 est-il maintenu ?

Mme Mélanie Vogel. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 8 est retiré.

Avant l'article unique
Dossier législatif : proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales
Article unique (fin)

Article unique

Le livre Ier du code civil est complété par un titre XV ainsi rédigé :

« TITRE XV

« DES MESURES DE SÛRETÉ DES ENFANTS VICTIMES DE VIOLENCES

« Art. 515-13-2. – Lorsqu'il apparaît vraisemblable qu'un enfant a subi un viol incestueux, une agression sexuelle incestueuse ou des faits de violence susceptible de le mettre en danger, commis par une personne titulaire sur celui-ci d'une autorité de droit ou de fait, et lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence une ordonnance de sûreté de l'enfant.

« Art. 515-13-3. – L'ordonnance de sûreté est délivrée par le juge, saisi par l'un des parents ou le ministère public. Sa délivrance n'est pas conditionnée à l'existence d'une plainte pénale préalable.

« Dès la réception de la demande d'ordonnance de sûreté, le juge convoque pour une audience, par tous moyens adaptés, la partie demanderesse et la partie défenderesse, assistées, le cas échéant, d'un avocat, ainsi que le ministère public à fin d'avis. Ces auditions peuvent avoir lieu séparément. L'audience se tient en chambre du conseil. À la demande de la partie demanderesse, les auditions se tiennent séparément.

« Avant de délivrer l'ordonnance de sûreté, le juge peut donner mission en urgence à toute personne qualifiée d'effectuer une enquête sociale. Celle-ci a pour but de recueillir des renseignements sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles vivent et sont élevés les enfants.

« Art. 515-13-4. – L'ordonnance de sûreté est délivrée, par le juge aux affaires familiales, dans un délai maximal de quinze jours à compter de la fixation de la date de l'audience, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission des faits de viol incestueux, d'agression sexuelle incestueuse sur l'enfant ou de violence susceptible de le mettre en danger par une personne titulaire sur celui-ci d'une autorité de droit ou de fait. À l'occasion de sa délivrance, après avoir recueilli les observations des parties sur chacune des mesures suivantes, le juge aux affaires familiales est compétent pour :

« 1° Se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité ou sur le retrait de l'exercice de cette autorité sur l'enfant victime, ainsi que sur les frères et sœurs mineurs de la victime. Il se prononce également sur les modalités du droit de visite et d'hébergement ;

« 2° Interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer l'enfant victime, les frères et sœurs mineurs de la victime ou toute autre personne spécialement désignée par le juge aux affaires familiales, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;

« 3° Interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse ;

« 4° Proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique. En cas de refus de la partie défenderesse, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République.

« Le cas échéant, le juge présente à l'enfant et à son représentant une liste des personnes morales qualifiées susceptibles de l'accompagner pendant toute la durée de l'ordonnance de sûreté. Il peut, avec leur accord, transmettre à la personne morale qualifiée leurs coordonnées afin qu'elle les contacte.

« Lorsque le juge délivre une ordonnance de sûreté, il en informe sans délai le procureur de la République.

« Art. 515-13-5. – I. – Lorsque l'interdiction prévue au 2° de l'article 515-13-4 a été prononcée, le juge aux affaires familiales peut prononcer une interdiction de se rapprocher de l'enfant victime à moins d'une certaine distance qu'il fixe et ordonner, après avoir recueilli le consentement des deux parties, le port par chacune d'elles d'un dispositif électronique mobile anti-rapprochement permettant à tout moment de signaler que la partie défenderesse ne respecte pas cette distance. En cas de refus de la partie défenderesse faisant obstacle au prononcé de cette mesure, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République.

« II. – Ce dispositif fait l'objet d'un traitement de données à caractère personnel, dont les conditions et les modalités de mise en œuvre sont définies par décret en Conseil d'État.

« Art. 515-13-6. – Les mesures mentionnées à l'article 515-13-4 sont prises pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de l'ordonnance.

« Le juge aux affaires familiales peut, à tout moment, à la demande du ministère public ou de l'une ou l'autre des parties, ou après avoir fait procéder à toute mesure d'instruction utile, et après avoir invité chacune d'entre elles à s'exprimer, supprimer ou modifier tout ou partie des mesures énoncées dans l'ordonnance de sûreté, en décider de nouvelles, accorder à la personne défenderesse une dispense temporaire d'observer certaines des obligations qui lui ont été imposées ou rapporter l'ordonnance de sûreté. »