Ces variations, aléatoires, d’une année sur l’autre confortent l’idée que nous devons renforcer les moyens de l’État et de ses établissements publics pour élaborer des méthodologies fiables de prévision des disponibilités futures de la ressource en eau. C’était déjà une des recommandations figurant dans le rapport d’information pour la délégation sénatoriale à la prospective Éviter la panne sèche - Huit questions sur lavenir de leau, que nous avions rédigé Jean Sol, Catherine Belrhiti, Alain Richard et moi-même.

Nous avons en tête les images de la catastrophe récente en Espagne. Les événements que nous avons connus dans notre pays sont bien évidemment sans commune mesure, mais rappelons que la pluie a pu tomber violemment en France également : certains orages ont, d’un côté, rempli les nappes phréatiques, de l’autre, causé des dégâts localement.

Sans vouloir évoquer toutes les crises, je mentionnerai les crues torrentielles en Isère à la fin du mois de juin dernier, les coulées de boue en Haute-Marne en juillet ou les pluies exceptionnelles dans le Morbihan au mois d’août. Je pense également aux fortes précipitations et aux inondations qui se sont ensuivies, le 17 octobre dernier, dans la vallée du Gier, dans les monts du Pilat et dans le nord-Ardèche.

Toutes nos actions auront des incidences lors des moments de catastrophe. Il faudra bien sûr encourager les aménagements favorisant l’infiltration des eaux de pluie. Cette recommandation de notre rapport d’information n’est toutefois pas le seul moyen de prévention. La question du stockage de l’eau, avec intelligence et en concertation avec les acteurs de la ressource, se posera également.

Madame la ministre, je vous rappelle les engagements pris par certains de vos prédécesseurs sur les retenues collinaires. Dans beaucoup de départements, ces dernières ne trouvent pas actuellement de débouchés, bien qu’il existe des plans départementaux en la matière, qui ont été élaborés, en prenant du temps, avec l’ensemble du monde agricole.

M. Laurent Burgoa. C’est exact.

Mme Cécile Cukierman. Une météo locale de l’eau, déclinée par bassin versant, pourrait avoir du sens. Nous devrons renforcer les moyens de nos services publics pour fonctionner à cette échelle et pour améliorer ainsi la prévention des risques.

Les défis sont devant nous. Il faut donc prévoir la surabondance de la ressource et les fortes pluies, mais nous devons aussi avoir en tête les risques de manque d’eau. Un « en même temps » de la gestion de l’eau, si j’ose dire, madame la ministre, reste à faire !

Nous devons mieux surveiller l’état de nos cours d’eau en renforçant les dispositifs existants et en les contrôlant au fil du temps, tout comme nous devons contrôler l’état de nos nappes phréatiques. Cette connaissance est nécessaire au bon fonctionnement de notre société de sorte que nous continuions à permettre tous les usages, dans le respect de chacun d’entre eux : eau potable domestique, usage agricole, industriel, touristique ou énergétique.

Au travers de la première recommandation de notre rapport, nous faisions le lien avec cet objectif : permettre pour toutes et pour tous un partage équitable de l’eau, dans un contexte de raréfaction hydrique et de sobriété.

Pour tout cela, il faudra des moyens. Nous avions proposé de supprimer d’ici à la fin de 2023 le « plafond mordant » de recettes et de relever les plafonds d’emplois et les plafonds de dépenses des agences de l’eau. Au lieu de cela, le Gouvernement les maintient au niveau de 2024 dans le projet de loi de finances à venir.

Si nous nous réjouissons que les communes qui le souhaitent puissent bientôt conserver, dans le cadre des communautés de communes, leurs compétences « eau » et « assainissement », celles-ci ne s’exerceront correctement qu’avec des moyens en cohérence avec nos objectifs.

Je fais partie de ceux qui affirment que nous avons besoin d’une nouvelle loi sur l’eau. Celle-ci est nécessaire, car nous ne pouvons pas additionner seulement des mesurettes ! Le Premier ministre lui-même l’a rappelé : il nous faut une grande conférence sur l’eau, nationale et territorialisée, pour répondre aux différents enjeux des usages.

Pour conclure, je veux préciser que, si nous améliorons nos connaissances sur l’eau, sa gestion et son partage, celle-ci peut aussi devenir une opportunité économique, notamment énergétique. Nous pouvons profiter de cet élément naturel pour soutenir les énergies renouvelables, avec la production hydroélectrique et les stations de transfert d’énergie par pompage (Step) et aboutir ainsi à une stratégie nationale ambitieuse, territorialisée, nous donnant la capacité de mieux réguler les effets des fluctuations de précipitations.

Je ne reviens pas, madame la ministre, sur l’enjeu à venir de la réutilisation des eaux usées, car vous venez de l’évoquer. Notre pays est très en retard.

Je tiens à remercier le groupe Les Républicains de nous avoir permis de débattre ce soir sur ce sujet. J’espère que nos échanges permettront de mieux nous saisir de l’enjeu de la gestion de l’eau. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Premièrement, madame la sénatrice Cukierman, il se trouve que, dans une vie professionnelle antérieure, je me suis penchée un certain nombre de fois sur la question des retenues collinaires : elles fonctionnent très bien, je peux vous l’assurer !

Mme Cécile Cukierman. Je partage !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Nous défendons le fait de procéder à leur réalisation dans le cadre de projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) pour que le partage de la ressource soit anticipé et clair entre les différents usagers.

Deuxièmement, je suis tout à fait d’accord avec vous sur la nécessité qu’il y a à mieux surveiller l’état de nos cours d’eau. Par ailleurs, cette surveillance est importante pour bien maîtriser le cycle de l’eau, ce d’autant que nos perspectives changeront peut-être avec le dérèglement climatique. En effet, les évolutions risquent d’être assez signifiantes dans les années qui viennent – nous en sommes conscients – et, faute de savoir exactement de quelle manière et dans quelle direction, nous ne pouvons pas nous prévaloir de nos connaissances.

Pour lutter contre les inondations, il faut placer tous nos cours d’eau sous la surveillance de Vigicrues. Notre ambition est d’atteindre cet objectif d’ici à 2030, mais les inondations récentes devraient nous amener à accélérer autant que possible.

Troisièmement, j’ai déjà évoqué l’enjeu de la réutilisation et j’ai répondu à la question du relèvement du « plafond mordant » de recettes, en parlant non pas d’une remise en question, mais d’un décalage à 2026.

Enfin, j’abonde dans votre sens sur les opportunités énergétiques. L’hydroélectricité et les Step ont de nombreux avantages : pilotables, décarbonés, compétitifs, etc. Toutefois, il ne faut pas considérer ces sources d’énergie comme un « plus » – c’est leur seul problème. Là aussi, en effet, le dérèglement climatique nous apprend à rester vigilants : protéger notre potentiel hydraulique, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, est déjà une bonne chose.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, je suis ravi que nous ayons ce débat ce soir. Je craignais un peu qu’il ne tourne autour de la question : pour ou contre les mégabassines ? Or Jean Sol, que j’ai écouté avec attention, exprime clairement par ses mots – « récupérer l’eau surabondante », savoir gérer « avec discernement » – un refus de ces installations !

D’ailleurs, le tribunal administratif de Poitiers vient de limiter fortement les capacités de pompage d’été dans les nappes phréatiques. Au vu de cette décision et du nombre de recours qui ont été engagés, je ne suis pas certain que, à la fin, nous compterons encore beaucoup de mégabassines !

Jean-François Longeot et Mireille Conte Jaubert mentionnaient l’enjeu central du réseau d’eau potable, qui connaît des pertes importantes. La remise en état de ce dernier coûte beaucoup d’argent, mais, puisque l’eau n’est pas chère en France – je vais tout à fait dans le sens de Jean-François Longeot –, nous disposons certainement de marges de manœuvre.

En préparant ce débat, j’ai d’ailleurs découvert avec intérêt que le nucléaire français paie l’eau 0,1 euro alors que l’agriculture la paie 1 euro. Le monde agricole ne peut que dénoncer cette inégalité. J’espère, madame la ministre, que vous serez capable de rétablir l’équilibre : il serait alors possible de dégager des moyens susceptibles d’améliorer les réseaux.

De plus, nous connaissons actuellement des problèmes aigus de qualité des eaux. Nous avons tous lu les derniers rapports sur les risques liés aux nouveaux perturbateurs endocriniens, comme le flufénacet. Face à cet enjeu majeur, il faut certainement imaginer à présent, madame la ministre, une taxe sur les entreprises à l’origine de ces polluants diffus. Elle créerait également de nouvelles ressources pour répondre à l’enjeu de la qualité des réseaux. Pour résumer les choses : l’eau ferrugineuse, oui, l’eau pleine de perturbateurs endocriniens permanents, non ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

En outre, je note, madame la ministre, que vous avez tenu un propos très clair sur la protection des points de captage d’eau. Je vous signale à ce sujet que, à l’Assemblée nationale, mon collègue Jean-Claude Raux vient de déposer une proposition de loi pour protéger durablement la qualité de l’eau potable. Je ne doute plus du soutien du Gouvernement à ce texte extrêmement important ! En effet, le défaut de protection des points de captage oblige ensuite les collectivités territoriales à engager beaucoup de dépenses pour garantir la qualité de l’eau distribuée.

Madame la ministre, je viens de vous donner deux exemples de recettes possibles sur la ressource en eau dans un moment où le budget de l’État est pour le moins contraint. Même si j’ai bien compris votre argument du simple décalage dans le temps pour les plafonds de recettes, vous n’êtes donc pas obligée d’essorer de nouveau la trésorerie des agences de l’eau pour rééquilibrer le budget de l’État, même s’il s’agit d’une tradition gouvernementale…

Nous avons besoin de diriger cet argent vers l’eau. Il est important pour le contribuable que ce qu’il paie pour l’eau aille à l’eau ! Nous pourrions élargir le propos : il est important que ce que le contribuable paie pour le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier, reste au fonds Barnier et donc à la prévention et à la lutte contre les catastrophes naturelles. En effet, 200 millions d’euros disparaîtront de ce fonds pour retourner au budget de l’État.

J’en viens à mon point principal, madame la ministre, que Jean-François Longeot et vous mentionniez : il a été peu question jusqu’à présent des projets de territoire pour la gestion de l’eau alors qu’ils constituent une des grandes conclusions du Varenne de l’eau.

Rien n’est plus anxiogène et susceptible de créer des tensions dans la société que la gestion de l’eau. Il suffit de revenir à Marcel Pagnol et à Manon des sources !

Les PTGE traduisent notre capacité collective à gérer au mieux la ressource et à créer du consensus sur le terrain, en réunissant l’ensemble des acteurs économiques et agricoles ainsi que les collectivités. C’est véritablement la direction que nous devons emprunter, sans quoi nous irons vers une société de plus en plus sous tension. Malheureusement, c’est un peu la tendance générale.

En 2022, un certain nombre de propositions ont été formulées dans un rapport de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable pour augmenter le nombre des PTGE, une cinquantaine de ces projets de territoire ayant été mis en place, cependant que l’objectif de l’État est d’atteindre en 2027 la centaine. Madame la ministre, êtes-vous prête à aller plus loin et à partir de ce rapport pour renforcer ces projets en leur donnant peut-être la même force que celle des programmes d’actions de prévention des inondations (Papi) ? Si nous ne créons pas le consensus sur l’eau, alors nous ne le créerons sur aucune des questions redoutables qui sont devant nous en matière d’adaptation au changement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Dantec, un comique de répétition prend forme autour du nucléaire… Ces installations rendent 90 % de l’eau prélevée au milieu, comme vous le savez.

M. Ronan Dantec. Légèrement réchauffée !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. C’est parfaitement exact : légèrement réchauffée, selon des valeurs limite qui font l’objet d’un suivi rapproché, y compris au regard des effets de ces rejets sur l’écosystème. D’autres prélèvements se font sans que l’eau soit restituée par la suite, ce qui explique la différence de tarification.

La feuille de route fixée à partir de la directive du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite directive Eau potable, comprend la protection des captages. Nous n’avons donc pas besoin d’un véhicule législatif pour défendre celle-ci et les enjeux qui lui sont liés : compréhension et suivi scientifiques, prise en compte du travail réalisé à l’échelle de la maille territoriale et du travail avec les agriculteurs. En revanche, il faut publier des arrêtés importants avant la date de mise en œuvre déterminée de cette feuille de route, notamment sur les points de prélèvements sensibles.

Les PTGE s’articulent avec les plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE). Notre objectif est que, dans l’idéal, ces projets de territoire couvrent tout le pays, dans une logique de concertation sur l’ensemble du territoire français. La conférence nationale sur l’eau est une illustration de ce que nous défendons puisqu’elle a vocation à se tenir à l’échelle de chaque bassin dans le cadre d’une gouvernance ouverte s’appuyant sur celle des agences de l’eau.

M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et GEST.)

M. Hervé Gillé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malheureusement, l’été 2024 ainsi que les dramatiques événements espagnols nous ont, une fois encore, démontré l’urgence d’une gestion raisonnée et équilibrée de notre ressource en eau. En Gironde, comme dans de nombreux territoires, nous avons vécu des épisodes contrastés : des périodes de sécheresse ont été suivies de précipitations parfois excessives. Cette situation nous impose de repenser en profondeur notre rapport à l’eau et d’adopter une approche globale et cohérente.

Premièrement, nous devons faciliter la pénétration naturelle de l’eau dans nos sols. C’est la clé de voûte d’une gestion durable de notre ressource, car les nappes phréatiques sont nos réserves naturelles et leur recharge doit être notre priorité. Concrètement, cela signifie repenser nos pratiques d’aménagement du territoire.

En Gironde, certaines collectivités ont déjà mis en place des projets pilotes prometteurs. À Bordeaux Bacalan dans le quartier des Bassins à flot, plusieurs hectares derrière la base sous-marine ont été désimperméabilisés. Le projet d’ampleur, de plus de 100 millions d’euros, du champ captant des Landes du Médoc, qui vise à alléger les prélèvements sur la nappe profonde, est également un projet de solidarité territoriale, accompagné par l’agence de l’eau Adour-Garonne dans son douzième programme.

Deuxièmement, ma position sur les retenues collinaires est claire : ces ouvrages peuvent être pertinents, mais uniquement lorsqu’ils s’inscrivent dans un véritable projet de territoire. Ils doivent être non pas une solution de facilité, mais un outil parmi d’autres dans une stratégie globale. Quand ils sont bien conçus et bien intégrés, ces ouvrages multi-usages permettent de stocker l’eau en période d’abondance pour la restituer lors des périodes de stress hydrique.

Outre les travaux de la délégation sénatoriale à la prospective qu’a mis en avant Jean Sol, la mission sénatoriale de 2023 sur la gestion durable de l’eau, dont j’ai été avec plaisir rapporteur, a formulé à ce titre des recommandations fortes, qui restent d’actualité.

Il est essentiel de garantir des procédures claires s’inscrivant dans des délais raisonnables d’autorisation et de déclaration des ouvrages de retenue. Il faut conditionner l’autorisation d’édification de ces derniers à des contrats d’engagements réciproques, portant notamment sur des changements de pratique, et mettre en place un suivi fin de leur fonctionnement et de leurs effets une fois bâtis. Cette contractualisation doit être développée quels que soient les usages pour engager l’ensemble des parties prenantes sur des objectifs communs.

Troisièmement, nous devons impérativement développer une stratégie de sobriété hydrique. Cela passe par plusieurs leviers : une meilleure gestion des eaux pluviales, notamment en milieu urbain, grâce à des systèmes de récupération et de réutilisation, la protection et la restauration de nos zones humides, véritables éponges naturelles qui jouent un rôle crucial dans la régulation du cycle de l’eau, et l’accompagnement de nos agriculteurs vers des pratiques plus économes, de manière à leur permettre de changer de modèle, sans doute avec l’appui des collectivités territoriales. Certaines régions jouent actuellement le jeu de cette politique par le biais des fonds européens.

Les zones humides sont essentielles. Leur préservation n’est pas qu’une question environnementale : elle est un enjeu de résilience territoriale.

Par ailleurs, il est particulièrement important, à cette fin, que la gestion des eaux pluviales soit intégrée dans les documents d’urbanisme. La planification urbaine doit impérativement inclure des solutions efficaces en la matière pour prévenir les pertes de cette ressource précieuse et éviter les risques d’inondation.

Une meilleure qualification des réseaux hydrologiques est donc essentielle pour assurer le ressuyage des sols, leur régénération naturelle et l’évacuation contenue des eaux pluviales. Cela permettrait de mieux gérer l’eau à l’échelle du territoire, de limiter l’imperméabilisation des sols et de garantir une évacuation contrôlée des eaux pluviales, notamment en période de fortes pluies.

Une telle approche doit être systématiquement intégrée dans les documents d’urbanisme afin de structurer une gestion durable et préventive à l’échelle de chaque commune.

Nous l’avons vu également dans le Pas-de-Calais : la qualité des réseaux hydrologiques est essentielle et doit nous intéresser prioritairement.

Mes chers collègues, la gestion de l’eau est une question non plus technique, mais politique, au sens général : c’est un défi de société qui nécessite une approche systémique. Les événements de l’été 2024 nous ont montré que nous devons agir vite, mais surtout intelligemment, et mobiliser tous les moyens nécessaires, notamment en matière de prévention. Nous en avons débattu avec vous, madame la ministre, au travers du fonds Barnier. Les moyens de ce dernier ont été rehaussés de 75 millions d’euros : il faudra peut-être essayer d’utiliser la totalité de ses 450 millions d’euros.

L’examen budgétaire sera l’occasion, au-delà des postures et des discours, de savoir qui, concrètement, souhaite agir pour protéger la ressource en eau, en renforçant les moyens alloués à sa protection. Il n’y aura pas de politique de l’eau ambitieuse sans moyens financiers ambitieux. Varenne de l’eau, plan Eau, etc. : la grande conférence sur l’eau est attendue, mais il ne faut pas en rester à l’incantation. Donnons-nous la capacité d’agir ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cécile Cukierman et M. Pierre Jean Rochette applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Gillé, dans votre propos, vous mettez en avant de nombreuses pistes : récupération, réutilisation, nécessité de désimperméabiliser certains territoires, etc. En effet, comme nous l’avons vu récemment, l’imperméabilisation des sols est un facteur aggravant des inondations auxquelles nous faisons face. Cela montre bien qu’il est vain d’opposer le « zéro artificialisation nette » (ZAN) à d’autres politiques de protection des territoires et des populations dans ce contexte de dérèglement climatique.

À cet égard, les zones humides ne sont pas des « distractions » ; ce sont des éléments essentiels de gestion du cycle de l’eau. Les événements récents à Valence et leur caractère dramatique nous placent face à nos responsabilités, y compris au cœur d’agglomérations importantes. Ils doivent nous inviter à être particulièrement humbles et à mettre réellement en œuvre toutes les politiques de préservation du cycle de l’eau.

Un plan d’intégration des eaux pluviales dans les documents d’urbanisme, au fur et à mesure de leur mise à jour, a été publié en 2022. Il constitue un point d’appui. Nous savons tous que ces mises à jour sont un parcours long et compliqué, qui suppose des ressources de la part des collectivités locales et donc un besoin d’accompagnement en ingénierie de ces dernières.

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (M. Jean-François Longeot applaudit. – Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face au caractère désormais irréversible des mutations entraînées par le changement climatique, nous sommes contraints d’accélérer nos transitions et d’adopter une stratégie d’atténuation et d’adaptation.

Les défis liés aux sécheresses répétées et aux tensions croissantes entre les différents usages de l’eau – agriculture, consommation domestique, industrie, loisirs – nous rappellent que l’eau est une ressource précieuse.

Il est indispensable que nous trouvions des solutions pour une gestion efficace de cette ressource : le bilan de l’été 2024 en est une nouvelle démonstration.

Certains territoires, notamment dans l’Ouest et dans le Sud-Est, ont dû faire face à des déficits de précipitations, suivis, par endroits, d’épisodes pluvio-orageux. À l’inverse, certaines zones, comme le Bassin parisien, la Champagne-Ardenne, les Hauts-de-France ou le Massif central, ont connu des pluies diluviennes et des orages violents, ces événements provoquant inondations et importants dégâts – nous en savons quelque chose, malheureusement, dans mon département de la Loire.

Au début du mois de septembre, tandis que vingt départements ont dû mettre en œuvre des mesures de crise en matière de restriction des usages de l’eau, huit autres étaient placés en vigilance pluie-inondation et orages par Météo-France. Voilà un paradoxe avec lequel, malheureusement, nous allons devoir apprendre à vivre…

Délocalisation des bassins de production, déplacements de populations, concurrence pour le foncier et pour l’accès à la ressource en eau : ces phénomènes créent des tensions et des arbitrages doivent être faits. La gestion de l’eau constitue un sujet crucial, à l’échelle des territoires.

Dès lors, plusieurs leviers peuvent être actionnés et différents aménagements sont possibles pour assurer une gestion plus efficiente de cette ressource, et notamment des excédents d’eau : zones tampons, enherbement, haies, lacs, retenues collinaires – je vais mettre l’accent sur ce dernier sujet, qui a déjà été évoqué par les orateurs précédents.

Technique chère aux agriculteurs, en particulier dans mon département, et utilisée depuis l’Antiquité, la retenue collinaire permet de stocker l’eau de surface quand celle-ci ruisselle – je vous épargne le raisonnement, vous le connaissez par cœur : Mme la ministre nous a même expliqué qu’elle avait eu l’occasion, dans une vie précédente, de mettre en service quelques-uns de ces ouvrages…

Cette solution présente de nombreux avantages : d’un côté, l’eau ainsi stockée permet de limiter le recours au pompage des nappes et rivières pour l’irrigation et pour de multiples autres usages, selon les besoins du territoire ; de l’autre, et au gré d’un travail qui associe villes, régions et comités de bassin, le positionnement de ces réserves devient un outil majeur dans la prévention des catastrophes naturelles, car il réduit les risques d’érosion et d’inondation auxquels sont exposées les communes se trouvant à proximité.

M. Philippe Folliot. C’est vrai !

M. Pierre Jean Rochette. Hélas ! les tensions autour des réserves d’eau se sont accentuées ces dernières années, entre besoins agricoles et préoccupations écologiques notamment – ne faisons pas l’erreur d’opposer les deux ! À cela s’ajoutent des obstacles économiques et des exigences environnementales, ainsi que la complexité et la lenteur des démarches administratives – en particulier pour nos agriculteurs.

M. Laurent Burgoa. C’est vrai aussi !

M. Pierre Jean Rochette. L’eau est un bien commun dont l’usage doit être équilibré ; mais il est indispensable de nous adapter vite et d’éviter les oppositions de principe. Les retenues collinaires sont des solutions efficaces et durables de gestion de l’eau.

À condition de privilégier une approche pragmatique et ancrée dans la réalité des besoins et des équilibres environnementaux, il est possible de mettre en œuvre une gestion de l’eau répondant aux enjeux climatiques tout en restant à l’écoute des différents acteurs concernés.

Dans les territoires ruraux, les agriculteurs souhaitent une simplification des procédures applicables à la création de retenues collinaires.

M. Philippe Folliot. C’est sûr !

M. Pierre Jean Rochette. Ma question est la suivante, madame la ministre : comment pouvons-nous travailler ensemble pour faciliter la mise en œuvre de ces projets vitaux pour l’avenir de notre agriculture, de notre monde agricole et, par conséquent, de notre souveraineté alimentaire ? (Applaudissements sur des travées des groupes UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Rochette, je ne reviendrai pas sur la situation que vous avez vécue, vous et tous les habitants de votre territoire. Nous étions ensemble il y a quelques jours pour mesurer, sur place, les conséquences des terribles inondations qu’a connues votre département. Si je les qualifie de « terribles », c’est qu’elles ont été plus brutales encore que celles qui ont touché le Pas-de-Calais voilà un an : la présence d’embâcles a causé d’amples destructions, des cours d’eau ont changé de lit, des maisons ont été ravagées. Il est quasi miraculeux que nos services de secours aient réussi à venir en aide à l’ensemble des habitants sans qu’il y ait eu à déplorer de décès ou de blessés graves.

J’en viens au sujet des retenues collinaires : on ne saurait dire que ces infrastructures sont sans impact environnemental. Comme pour tout projet, il faut une étude d’impact préalable, pour évaluer notamment les incidences de l’installation sur la biodiversité. C’est pourquoi il ne peut être envisagé de créer de telles retenues que dans le cadre d’un projet de territoire pour la gestion de l’eau, l’idée étant toujours de trouver le juste milieu.

L’un des enseignements des travaux menés ces douze derniers mois dans le Pas-de-Calais, où l’on a pris presque un an d’avance, par rapport à d’autres territoires exposés aux inondations, dans la réalisation de travaux d’urgence et de travaux structurants, c’est qu’il existe un certain nombre de hiatus dans nos réglementations : il arrive que les textes disent tantôt noir et tantôt blanc sur le même sujet. Voilà qui peut, assez paradoxalement, retarder la mise en œuvre de travaux qui sont pourtant des travaux de protection de la population et de la biodiversité.

En la matière, nous devons nous améliorer ; c’est dans cette direction, mesdames, messieurs les sénateurs, que je nous proposerai d’avancer.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la gestion de l’eau représente un défi qu’il faut relever pour garantir un partage équitable et raisonné de cette ressource, et ainsi assurer l’avenir des générations futures.