Sommaire
Présidence de M. Pierre Ouzoulias
Secrétaires :
M. Guy Benarroche, M. Philippe Tabarot.
2. Modification de l’ordre du jour
3. Nouvelle commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
Mme Nadège Havet ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Ahmed Laouedj ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
M. François Bonneau ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
Mme Silvana Silvani ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
Mme Mathilde Ollivier ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Bernard Jomier ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Pierre Médevielle ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
Mme Marta de Cidrac ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Olivier Henno ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Michaël Weber ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Ronan Le Gleut ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
Mme Else Joseph ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
4. Gestion de l’eau : bilan de l’été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
Mme Mireille Conte Jaubert ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
M. Jean-François Longeot ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
Mme Cécile Cukierman ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
M. Ronan Dantec ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
M. Hervé Gillé ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
M. Pierre Jean Rochette ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
M. Jean-Marc Boyer ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
M. Simon Uzenat ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques ; M. Simon Uzenat.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
Mme Catherine Belrhiti ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains
compte rendu intégral
Présidence de M. Pierre Ouzoulias
vice-président
Secrétaires :
M. Guy Benarroche,
M. Philippe Tabarot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 6 novembre 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 6 novembre, M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, demande l’inscription à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe du jeudi 19 décembre de la proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie.
Acte est donné de cette demande.
Pour l’examen de ce texte, nous pourrions prévoir une discussion générale de quarante-cinq minutes.
En outre, nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance au jeudi 12 décembre à douze heures, et pour les inscriptions des orateurs des groupes au mercredi 18 décembre à quinze heures.
Par ailleurs, les jeudis 14 novembre et 19 décembre, nous pourrions débuter l’examen des textes dans le deuxième espace réservé dès la fin du premier, si celui-ci se terminait avant seize heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
3
Nouvelle commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ?
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Nouvelle Commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ? »
Dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répartie pendant une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Pierre Médevielle applaudit également.)
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un nouveau cycle institutionnel s’amorce pour l’Union européenne. Le moment est propice pour réfléchir ensemble à la politique européenne qu’il faut engager pour les cinq prochaines années et sur l’influence que la France peut exercer en la matière.
Certes, Ursula von der Leyen reste à la tête de la Commission européenne. Pour autant, cette reconduction ne signifie pas un statu quo. Mme von der Leyen promettait en 2019 une Commission « géopolitique » pour faire face aux bouleversements du monde et défendre les intérêts de l’Union. Sans juger du résultat, j’estime que ce précédent cycle a largement mis l’Union européenne et ses États membres à contribution.
Désormais, la donne politique a changé : il faut compter avec deux nouveaux blocs puissants, les droites souverainiste et populiste, qui constituent les troisième et quatrième groupes au Parlement européen, en lieu et place des libéraux de Renew Europe et des Verts sous la précédente législature.
Les défis européens se posent aujourd’hui en des termes nouveaux.
La transition climatique ne peut plus se concevoir sans prendre en compte l’impératif de compétitivité et d’autonomie stratégique. Le rapport d’Enrico Letta et celui de Mario Draghi montrent que l’Union européenne devra faire des efforts considérables pour tenir ses engagements.
Depuis l’élection de Donald Trump, la guerre en Ukraine ne peut plus être pensée en comptant avec certitude sur le soutien américain.
L’immigration illégale ne peut plus être tolérée par nos concitoyens, inquiets pour l’avenir de leur pouvoir d’achat, de leur sécurité et de leur identité.
Les politiques industrielles agressives conduites par Pékin et Washington nous mettent parfois dos au mur.
La défiance de nos populations envers la construction européenne et le populisme qui s’en nourrit ne peuvent plus rester sans réponse, sauf à se résigner à voir les extrêmes conquérir progressivement le pouvoir un peu partout, en Europe et dans le monde.
Notre pays, comme notre continent, se trouve à un moment charnière. Il n’y a pas de fatalité, car nous savons quel chemin nous devons emprunter. Le plus exigeant reste cependant à faire : l’arpenter !
Tout cela commande d’agir vite et fort. Or le moteur franco-allemand est à la peine : la coalition outre-Rhin vient d’imploser et nous savons combien notre pays, lui aussi, est fragilisé. Monsieur le ministre, quelle influence lui reste-t-il à Bruxelles ?
On ne peut ignorer que, dans l’hémicycle du Parlement européen, la délégation française la plus fournie est constituée d’élus du Rassemblement national : doté de trente eurodéputés, le parti d’extrême droite français compte un élu de plus que la formation allemande de la CDU-CSU.
Quant à la composition de la Commission européenne, elle a valu, rappelons-le, bien des déboires à notre pays. Le 17 septembre, la présidente von der Leyen dévoilait la liste des candidats aux postes de commissaires européens et la répartition des portefeuilles. La veille, le commissaire européen français Thierry Breton avait annoncé in extremis qu’il ne ferait finalement pas partie du nouveau collège. En moins de vingt-quatre heures, l’Élysée a proposé la candidature de Stéphane Séjourné, ancien ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Le retrait tardif d’un candidat est inédit, s’agissant d’un grand pays comme le nôtre, et traduit une faiblesse certaine de la France, empêtrée depuis trois mois dans ses difficultés politiques internes et placée sous l’épée de Damoclès d’une procédure pour déficit excessif qui entame sa crédibilité.
Dans le nouvel organigramme de la Commission, qui comprend, outre la présidente, vingt-six commissaires, la place de la France a été préservée, en apparence, et même renforcée puisque Stéphane Séjourné serait nommé vice-président exécutif chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, alors que Thierry Breton n’occupait pas de poste de vice-président.
Toutefois, Thierry Breton disposait d’un très large portefeuille et exerçait, en pratique, une grande influence au sein de la Commission européenne. Le nouveau commissaire européen français, lui, sera seulement à la tête de la direction générale chargée du marché intérieur, alors que son prédécesseur était également responsable de la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies et la direction générale de l’industrie de la défense et de l’espace.
Certes, en qualité de vice-président, Stéphane Séjourné sera chargé d’assurer la coordination de plusieurs commissaires européens, mais ce rôle n’est pas très clair. Dans le nouvel organigramme, certains commissaires européens sont en effet placés sous la tutelle de plusieurs vice-présidents, tandis que d’autres relèvent en même temps d’un vice-président et directement de la présidente de la Commission européenne.
En outre, la nouvelle composition du collège reflète les nouveaux équilibres en Europe, marqués par un basculement vers l’est. Ainsi, le commissaire européen polonais obtient le portefeuille stratégique du budget, à la veille du lancement des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel. La place des pays baltes est également remarquable. Le poste de haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a ainsi été attribué à la candidate estonienne et le nouveau poste de commissaire européen chargé de la défense et de l’espace au candidat lituanien.
Le Sud n’est pas pour autant oublié. La candidate socialiste espagnole hérite d’un large portefeuille consacré à la transition verte, tandis que le candidat italien du parti de Giorgia Meloni sera chargé de la cohésion et des réformes, deux sujets majeurs.
Le passage de trois à six vice-présidents dans cette deuxième Commission von der Leyen risque en outre de diluer leur poids respectif et de les empêcher de contrebalancer le pouvoir de la présidente, qui s’en trouve augmenté.
La Commission européenne reste pourtant, en théorie, un organe collégial, dont le président n’est que le primus inter pares. Mais le caractère pléthorique et très politique de la nouvelle Commission renforce le poids de sa présidente qui, privilégiant un mode de gouvernance très centralisé, se positionne en cheffe d’un « gouvernement de l’Europe » plutôt qu’en responsable d’une institution indépendante, chargée d’incarner l’intérêt général européen. Quelle sera la cohérence d’ensemble de son action ?
Ainsi, le renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) sera-t-il confié au haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au commissaire européen chargé de la défense et de l’espace ou bien au commissaire européen chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle ? La réponse à cette question n’est pas dénuée d’importance, compte tenu des sensibilités différentes des États membres concernant l’industrie de défense et le lien transatlantique.
Il en va de même concernant la question sensible de l’énergie nucléaire, sur laquelle les positions des commissaires divergent de manière préoccupante.
On peut aussi s’interroger sur le portefeuille de certains commissaires, comme celui qui est à la fois chargé de l’énergie et du logement, alors même qu’on ne trouve aucune référence à ce deuxième domaine dans les traités européens : de fait, il ne s’agit pas d’une compétence de l’Union.
Tout cela appelle la plus grande vigilance de notre assemblée : il nous appartient de vérifier à la fois que les compétences des États membres, et donc les principes de subsidiarité et de proportionnalité, seront bien respectées et que l’action européenne prendra mieux en compte les réalités de terrain et la diversité nationale.
La commission des affaires européennes du Sénat examinera d’ici à la fin du mois des recommandations que deux de ses vice-présidents et moi-même lui soumettrons. En matière européenne, il faut absolument parvenir à faire mieux et moins.
J’espère pouvoir compter sur votre soutien en ce sens, monsieur le ministre. Je m’apprête également à déposer une proposition de loi visant à instaurer un contrôle parlementaire sur la nomination des membres français dans plusieurs institutions européennes, à commencer par la Commission européenne.
J’en ai en effet la conviction, que vous partagez, que nous avons, en tant que parlementaires nationaux, une responsabilité et un rôle éminents à assumer en matière européenne si nous voulons que l’Union soit synonyme d’espoir pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le président, monsieur le président Rapin, je partage votre point de vue sur l’importance du rôle des parlementaires dans le débat européen. C’est la raison pour laquelle je me réjouis d’échanger avec les sénateurs et les sénatrices sur les priorités de notre agenda européen et sur l’influence française au sein de la Commission.
Vous avez dit, à juste titre, que la reconduction de la présidence de la Commission européenne ne valait pas statu quo.
Les défis auxquels nous faisons face le montrent bien. Notre débat a lieu quelques jours après l’élection américaine, qui aura bien sûr des conséquences majeures sur la relation transatlantique, la sécurité de l’Europe et la guerre qui se déroule à nos portes, en Ukraine.
Nous devons agir vite et fort. C’est le sens de nos propositions pour garantir la prospérité et la compétitivité de l’Union européenne, au travers de la mise en œuvre, notamment, des recommandations du rapport Draghi. La France défend plusieurs mesures pour renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne et rehausser nos ambitions.
À cet égard, l’influence de la France ne se décrète pas. Elle se construit, régulièrement, progressivement, avec humilité, en coopération avec nos partenaires, les vingt-six États membres de l’Union européenne et les différents commissaires.
Les thèmes défendus par la France depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République en 2017 figurent aujourd’hui parmi les différentes priorités de la Commission européenne. Je pense en particulier à la stratégie industrielle, à la souveraineté technologique, à la défense, à la reconnaissance du nucléaire comme une énergie décarbonée, ou encore à la mise en place d’outils de politique commerciale pour répondre aux mesures protectionnistes de la Chine ou des États-Unis. C’est une Europe moins naïve qui est en train d’éclore, mais nous devons aller plus vite et plus loin. Cela fera partie de nos priorités au cours du mandat de la nouvelle Commission.
Nous devrons travailler non pas seulement avec Stéphane Séjourné, qui était auditionné par la Commission aujourd’hui, mais avec l’ensemble des commissaires européens. Certains de ceux que vous avez cités se sont d’ailleurs rapprochés des positions défendues par la France ces dernières années.
La nouvelle haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas, avait ainsi fait siennes les propositions d’investissement et de création d’une dette commune européenne pour la défense lorsqu’elle était encore Première ministre d’Estonie.
Nous devons donc encourager cette convergence de vues pour former des coalitions avec nos partenaires européens. C’est ainsi que nous bâtirons notre influence pour mettre en œuvre cet agenda.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jeudi dernier à Budapest, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a rappelé : « Nous avons démontré que l’Europe pouvait prendre son destin en main quand elle était unie. »
En présence d’une quarantaine de chefs d’État et de gouvernement européens, le Président de la République a ainsi résumé la problématique, au lendemain de l’élection de Donald Trump : « Au fond, la question qui nous est posée [est] : voulons-nous lire l’histoire écrite par d’autres, [à savoir] les guerres lancées par Vladimir Poutine, les élections américaines, les choix faits par les Chinois […] ? Ou est-ce qu’on veut écrire l’histoire ? » Sans surprise, cette position est celle que notre majorité a toujours défendue et assumée depuis 2017.
En avril, sept ans après son premier discours de la Sorbonne, le Président de la République avait ainsi mis en garde : « L’Europe est mortelle. » Il appelait dans le même temps à bâtir une défense « crédible », une Union « plus souveraine et plus puissante ».
Ces discours fondateurs ont été suivis d’actes.
En témoigne le rôle clé joué par la France dans le plan de relance post-covid, d’inspiration keynésienne, à l’échelle continentale, qui a été largement salué, notamment par les sociaux-démocrates espagnols, et voté, par exemple, par les Verts français, en dissonance notable, toutefois, avec Raphaël Glucksmann et les membres de sa liste en 2021.
En témoigne encore la position centrale de la France dans la nouvelle définition de la taxonomie européenne incluant le nucléaire. Notre pays s’apprête d’ailleurs à battre son record d’exportation d’électricité. Là encore, nous avons pesé sur les décisions.
En témoignent, toujours, les mesures prises pour la mise en œuvre de politiques communes, à l’instar du pacte sur la migration et l’asile, que Pedro Sánchez et la gauche allemande ont voté. La gauche française l’avait quant à elle rejeté, évoquant, soit dit en passant, une forme d’« inhumanité », ce qui est faux, choquant, et pour le moins cavalier envers ses partenaires européens.
La réunion des membres du parti socialiste européen (PSE) à la demande des socialistes français sera aussi l’occasion d’aplanir leurs nombreuses fractures avec les autres membres du centre gauche, mais également d’aborder la question du Mercosur – j’y reviendrai. Politiquement, je souhaite qu’ils y parviennent.
Je partage en effet – une fois n’est pas coutume – le point de vue que de nombreux responsables de La France insoumise ont exprimé récemment. Ils font le même constat que Valérie Hayer durant la campagne des européennes : les socialistes français sont en fait si proches du centre et si loin de la gauche radicale ! Vous le savez aussi bien que nous, et vous avez d’ailleurs voté, comme notre groupe, pour Ursula von der Leyen, contrairement à eux.
Dans ce combat que nous menons collectivement contre les extrêmes, il n’est plus possible d’avoir un visage à Bruxelles et un autre à Paris. Le contexte l’impose, il va falloir jouer collectif : entre États membres, mais aussi entre membres de la même coalition à l’échelle européenne.
Ursula von der Leyen a dévoilé sa nouvelle équipe de commissaires au mois de septembre.
Je salue le travail remarquable effectué durant cinq ans par Thierry Breton en tant que commissaire européen au marché intérieur et aux services.
La France a désigné Stéphane Séjourné candidat au poste de commissaire européen chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, responsable de l’industrie, des petites et moyennes entreprises (PME) et du marché unique. Alors que son audition vient de s’achever, je veux ici l’assurer de notre entière confiance pour porter notre voix dans ces domaines d’importance.
J’ai déjà évoqué les récentes victoires remportées ces derniers mois. D’autres dossiers, en cours et à venir, porteront la marque de notre influence. Notre position sur l’Ukraine n’a pas évolué depuis le début du conflit. Elle doit être celle de l’Union. Le Président l’a rappelé, nous avons un intérêt commun à ce que la Russie ne l’emporte pas.
En parallèle, la victoire de Donald Trump doit conduire l’Europe à prendre son destin en main et à ne plus compter sur une aide importante des États-Unis, notamment au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) et dans le cadre du conflit en Ukraine.
Depuis des années, les négociations sur l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur n’aboutissent pas, en raison de l’opposition de la France. Cet accord pourrait en effet augmenter de 25 % la déforestation et de 63 % le prix du bœuf importé. L’importation en provenance de ces pays de produits ne respectant pas les normes européennes pourrait être dévastatrice pour nos éleveurs.
Menée par la France, la résistance s’organise en Europe. Nous pesons contre l’Allemagne, qui plaide pour une signature rapide, sans modification ni compensation. La ministre de l’agriculture l’a rappelé il y a quelques jours : nous sommes frontalement opposés à cet accord.
Sur le volet migratoire, c’est également la position française qui a été adoptée par le Conseil européen. En effet, sur demande, notamment, de la France, les ministres de la justice et de l’intérieur se sont accordés sur la nécessité de réviser la directive Retour de 2008. La France, l’Allemagne et l’Espagne ont également obtenu l’avancée de l’entrée en vigueur du pacte pour la migration et l’asile dès 2025.
Sur la compétitivité, Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), prône dans son rapport des réformes d’une ampleur inégalée et chiffre à 800 milliards d’euros par an le besoin d’investissements supplémentaires. Face au risque isolationniste et protectionniste des États-Unis, l’Europe doit se défendre économiquement en investissant pour résister dans la guerre commerciale qui s’annonce.
Mario Draghi propose également que les emprunts communs soient régulièrement utilisés pour mettre en œuvre les ambitions de l’Union en matière de transformation écologique. J’ai participé au forum urbain mondial du Caire la semaine dernière, en tant que présidente du Partenariat français pour la ville et les territoires (PFVT). La voix de la France est attendue, car il y a urgence, alors que cette année est la plus chaude qui ait jamais été enregistrée.
Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz se sont rencontrés à plusieurs reprises afin de discuter du rapport Draghi, mais un point de désaccord central persiste. L’idée d’un nouvel emprunt commun européen, soutenue par la France, reste combattue par l’Allemagne. Mon groupe y est évidemment favorable. Notre pays devra convaincre les États dits frugaux d’emprunter cette voie, comme nous l’avons fait pour le plan de relance post-covid.
En outre, face au risque de hausse des droits de douane lié à la nouvelle donne internationale, l’Allemagne pourrait se tourner davantage vers l’Europe afin de garantir la compétitivité de ses entreprises dans un contexte de croissance atone.
Dans son rapport, Mario Draghi souligne enfin la nécessité, pour la survie des industries européennes de défense, de passer à des commandes communes et plaide pour des règles de préférence européenne. Il suggère de faciliter la concentration des industries de défense européenne en nommant un commissaire européen à la défense. Enfin, il constate que certains équipements européens, de même que certaines technologies, sont supérieurs ou équivalents à ceux qui sont produits aux États-Unis, pour un investissement pourtant trois fois plus faible.
Mes chers collègues, l’Europe est face à son destin, et ce dans tous les domaines.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je partage votre constat, madame la sénatrice Havet. En effet, la seule conclusion que nous pouvons tirer de l’élection américaine, c’est qu’il nous revient, en tant qu’Européens, d’investir dans notre autonomie stratégique et notre souveraineté pour prendre en main notre destin. Sans cela, nous laisserons d’autres écrire notre histoire à notre place.
Nous devons donc investir dans notre défense commune, dans la protection de nos frontières, dans notre politique commerciale et dans la réindustrialisation. En réalité, nous avons déjà commencé à mettre en œuvre de telles politiques ces dernières années.
Je profite de votre intervention pour rappeler la position très ferme du Gouvernement sur le Mercosur. Cet accord n’est pas acceptable en l’état. Il ne respecte ni l’équité commerciale ni nos exigences environnementales, en l’absence de clauses miroirs. La France n’est pas opposée aux accords de libre-échange. Pour autant, nos partenaires commerciaux doivent appliquer nos normes et nos standards. C’est le principe même de l’équité.
Nous travaillons avec nos partenaires à constituer une minorité de blocage. En l’état, la France, je le répète avec la plus grande clarté, ne peut accepter cet accord.
M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj.
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par un hasard du calendrier, les changements institutionnels en cours au sein de l’Union européenne coïncident avec le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis.
Il est indéniable que cette situation modifie l’environnement politique et il est essentiel que nous prenions rapidement la mesure de cette nouvelle réalité afin d’adapter nos stratégies politiques.
Le retour de Donald Trump à la tête des États-Unis pourrait avoir des répercussions significatives sur nos relations transatlantiques, notamment en ce qui concerne la guerre en Ukraine et le conflit au Moyen-Orient, mais aussi sur les mouvements conservateurs en Europe qui le soutiennent et l’imitent.
Par ailleurs, les États-Unis, sous la direction de M. Trump, pourraient modifier leur approche de sujets cruciaux tels que le commerce international, le climat et les relations diplomatiques.
Face à ce renouvellement institutionnel, à la nomination des nouveaux commissaires européens et au retour de l’« America first », l’agenda des politiques européennes doit non seulement être clair, mais également juste, inclusif, écologique et démocratique.
Il faut que l’Union européenne se montre unie si elle ne veut pas être effacée par les États-Unis. Il est impératif que les pays membres parlent d’une seule voix, surtout dans un contexte où l’individualisme de certains États pourrait mettre à mal les fondements mêmes de notre union.
La France et l’Allemagne, piliers de l’Europe, doivent s’unir, agir et enfin assumer leur rôle de leaders pour encourager une coopération renforcée et éviter que les tensions internes n’affaiblissent nos positions sur la scène internationale.
En ce sens, l’agenda stratégique élaboré par le Conseil européen a mis en exergue des points sur lesquels l’Union et la France doivent parachever leur travail et maintenir une dynamique d’amélioration.
Nous devons travailler pour une Europe forte, sûre, prospère, libre et démocratique. Les pays européens doivent parler d’une seule voix, d’abord dans le domaine de l’environnement.
Alors que se tient aujourd’hui la conférence des Nations unies sur le climat à Bakou, l’Union a décidé de s’exprimer unanimement en faveur du Pacte vert pour l’Europe et des technologies à zéro et faibles émissions.
Les catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes, et dont l’intensité et la violence sont exponentielles – je pense bien évidemment aux événements ayant eu lieu en Espagne au début du mois –, doivent constituer un moteur dans l’appréhension des risques de demain et nous inspirer des mesures pour lutter contre le dérèglement climatique et protéger les citoyens européens.
Dans le domaine sécuritaire ensuite, l’Union est menacée aux confins de son territoire par des tentatives de déstabilisation croissantes, qui l’obligent à affirmer son ambition et son rôle d’acteur stratégique.
Encore une fois, l’élection de Donald Trump laisse présager des conséquences géopolitiques fortes pour l’Europe. C’est pourquoi la coopération entre les membres de l’Otan doit se raffermir.
Enfin, d’un point de vue économique, nous avons toujours à l’esprit le rapport Draghi. Il est impératif que l’Union gagne en compétitivité, en attractivité et en rayonnement en valorisant son marché et ses travailleurs. Des économies sociales de marché robustes seront le moteur de la réalisation de nos ambitions. Faisons confiance à nos entreprises en les mettant en valeur. Permettons-leur de se développer, d’innover et de créer pour que l’Europe puisse s’imposer.
Je ne peux conclure mon propos sans évoquer la perte d’influence de notre pays au sein de la nouvelle Commission européenne et de sa capacité à défendre sa propre vision, notamment pour ce qui concerne l’établissement des priorités de l’agenda politique 2024-2029.
La candidature de Stéphane Séjourné a été proposée à la suite de la démission de Thierry Breton, mais le portefeuille qui lui reviendra, moins fourni, sera également « co-supervisé ».
En effet, bien que Stéphane Séjourné ait obtenu le poste de vice-président ainsi qu’un portefeuille à la prospérité et à la stratégie industrielle, le domaine des politiques centrales de concurrence lui a échappé et son influence pourrait par conséquent s’en trouver limitée.
De nombreux domaines de son portefeuille font en outre l’objet d’une « co-supervision ». La France n’aura la main, semble-t-il, ni sur la défense et l’espace ni sur l’énergie. Elle devra constamment négocier avec ses homologues pour promouvoir son agenda industriel, sans capacité apparente à peser sur les négociations budgétaires à venir.
Malgré cela, je reste convaincu que notre pays restera fort et mobilisé en faveur de cette union des peuples qui nous est si précieuse. La France saura faire valoir ses positions à l’échelon supranational et retrouver l’influence qui a toujours été la sienne.
À l’échelle nationale, nous, sénateurs du groupe du RDSE, y veillerons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nadège Havet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, soyez assuré que la France restera forte et influente au sein de l’Union européenne. Nous veillerons en effet à ce que notre voix et nos intérêts restent défendus, en particulier au lendemain de l’élection américaine.
Vous êtes notamment revenu sur les ambitions climatiques et environnementales de l’Union européenne, que la France a largement poussées. Je pense en particulier aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 et de neutralité carbone à l’horizon 2050. Par ailleurs, le Green Deal a été largement financé par le plan de relance post-covid Next Generation EU, dans lequel la France a joué un rôle pilote. Ses piliers sont clairs : investissement massif dans les énergies renouvelables et reconnaissance du nucléaire comme une énergie permettant d’atteindre la décarbonation sur le continent. Nous continuerons à défendre cette ambition.
Maintenant que le Green Deal a été conclu, nous devons le mettre en œuvre et accompagner les acteurs dans sa déclinaison. Ce sera l’une de nos priorités, tant à l’échelle européenne qu’en France, au cours des prochaines années.
M. le président. La parole est à M. François Bonneau.
M. François Bonneau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviendrai d’abord sur le renouvellement de la Commission européenne, en particulier sur le cas de Thierry Breton. J’avais déjà abordé ce sujet lors du débat préalable au Conseil européen, sans toutefois obtenir de réponse à ma question. Je profite donc de ce débat pour la poser une nouvelle fois.
Le Président de la République avait été clair lors des discussions avec Mme von der Leyen au moment de constituer la future Commission européenne : il voulait pour la France un poste de vice-président de la Commission, lequel devait lui permettre de décliner ses priorités en matière d’autonomie stratégique et de souveraineté économique.
Le Président de la République militait pour que notre commissaire européen récupère, en plus du marché intérieur, de l’industrie et du numérique, dont Thierry Breton avait déjà la charge, le portefeuille de la recherche et du commerce, voire de l’énergie.
Les mauvaises relations entre Thierry Breton et la présidente von der Leyen ont conduit celle-ci à poser un ultimatum à la France : soit nous conservions Thierry Breton dans son périmètre existant, soit la France proposait un nouveau commissaire, probablement plus docile, chargé d’un portefeuille plus large. Nous savons quelle solution a été retenue…
Un tel désaveu nous conduit naturellement à nous interroger sur le poids de la France au sein des instances européennes, en particulier de la Commission.
Stéphane Séjourné a été auditionné cet après-midi par les quatre commissions du Parlement européen compétentes, pour une nomination en qualité de vice-président exécutif de la Commission chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle. Le volet des industries de défense ne fera pas partie de son portefeuille.
J’aborderai cependant le sujet de notre base industrielle et technologique de défense, couramment appelée BITD, car c’est un véritable enjeu de la future Commission européenne.
L’industrie de défense française a le vent en poupe. L’Insee a constaté une nette amélioration du climat des affaires dans ce secteur depuis 2021, pour les raisons que l’on connaît. Face à la montée des tensions géopolitiques, l’Europe a voulu bâtir une économie qui tend vers l’économie de guerre.
Je rappelle que la BITD regroupe en France près de 2 000 entreprises. Les industries de défense ont bénéficié de l’émergence d’une demande spécifique, dans le cadre de l’aide matérielle fournie à l’Ukraine par la France et l’Union européenne. Selon le Kiel Institute, Paris a contribué à ce jour à hauteur de 2,69 milliards d’euros à l’effort de guerre en Ukraine.
Vous le savez, notre BITD dépend de notre souveraineté, et réciproquement. Tout ce qui viendrait contraindre demain notre production et nos exportations dans le secteur serait susceptible de fragiliser durablement un secteur clé de notre économie et de notre sécurité.
Nous avons en France une BITD très efficiente, mais nous devons nous interroger sur le programme européen pour l’industrie de la défense (Edip).
L’Edip a vocation à améliorer la compétitivité et la réactivité de la BITD européenne, mais de nombreux signaux donnent à penser que l’Union européenne souhaite mettre à contribution d’autres industries – majoritairement non européennes – que les industries françaises. Je pense d’ailleurs que le départ de Thierry Breton, pour revenir à mon propos initial, n’est pas étranger à cet aspect des choses, compte tenu de la situation outre-Atlantique.
Nous parlons, dans le débat qui nous réunit ce soir, du poids de la France au sein de la future Commission européenne. Je pense qu’il est de votre devoir, monsieur le ministre, et du nôtre, d’assurer à la France une place digne de notre nom dans le futur Edip. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Pierre Médevielle applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. En effet, monsieur le sénateur, le contexte géopolitique rend encore plus urgent le développement d’une base industrielle et technologique de défense européenne. Vous connaissez à cet égard nos positions, elles sont très claires. Nous en avons fait part lors des discussions sur le Fonds européen de la défense (FED) et sur l’Edip et nous les rappellerons lors des futurs débats au sein de la Commission européenne. Nous sommes déjà en contact à ce sujet avec l’équipe du commissaire européen chargé de la défense et de l’espace, Andrius Kubilius.
Les financements européens doivent soutenir de façon préférentielle le développement d’une industrie de défense européenne autonome. Disons-le, si nous voulons monter en puissance de façon durable et assurer notre autonomie stratégique, nous devons disposer d’une industrie qui soit à même de répondre à nos besoins de la façon la plus agile possible. Il faut aussi que ce soutien se traduise de façon très concrète au travers de l’innovation, de la réindustrialisation et de l’emploi à l’échelon européen.
Sachez que cette question est pour nous une priorité, laquelle a également été mise en avant par la future haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Par ailleurs, un travail portant sur le livre blanc de l’Union européenne pour la sécurité et la défense sera mené au cours des cent premiers jours d’exercice de la Commission. Nous ferons, à cette occasion, entendre notre voix.
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que près de 100 millions d’Européens ont faim, qu’ils peinent à se chauffer et à se loger, Mme von der Leyen a décidé que, pour la première fois de son histoire, l’Union européenne n’aurait plus de commissaire à l’emploi et aux droits sociaux ; à sa place est nommé un commissaire « chargée des personnes, des compétences et de la préparation ». On passe là d’une logique collective de prise en charge politique de la question de l’emploi à une logique individuelle de responsabilité personnelle du rapport au travail.
De même, la création d’un commissaire chargé de la défense et de l’espace est inédite.
À chaque jalon de la construction européenne, ses défenseurs ont évoqué une « Europe sociale » et une « Europe de paix ». Nous observons pourtant ici, d’une part, une véritable dégradation du volet social, et, d’autre part, la substitution progressive de la mention de « la défense » à celle de « la paix ».
La nomination d’Andrius Kubilius au commissariat à la défense a le mérite de lever les masques et relègue quelque peu le « mythe fondateur de la paix ». L’Union européenne semble se préparer à faire la guerre, tout en restant subordonnée à l’Otan.
Sous la houlette des États-Unis, nous avons intensifié notre production d’armement sur le continent, ainsi que le soutien financier et militaire à l’Ukraine. Pour quels résultats ?
Tandis qu’aucune perspective de paix ne se profile, toutes les lignes rouges fixées par les États-Unis et l’Union européenne, toutes les précautions prises se diluent au fil des mois, comme le montre l’autorisation d’utilisation de notre équipement militaire contre des cibles en Russie. Mes chers collègues, la perte de maîtrise des conséquences de ce conflit se précise et, de ce fait, le spectre d’une troisième guerre mondiale se matérialise peu à peu.
La dérive belliciste de l’Union européenne ne s’arrête pas à nos frontières à l’est de l’Europe.
En ce qui concerne le Proche-Orient, le Conseil européen, sous prétexte du « droit d’Israël à se défendre » et de « l’attachement de l’Union européenne à la sécurité d’Israël », décide de maintenir l’accord commercial de l’Union européenne avec Israël, ce qui équivaut de fait à une forme de cautionnement des crimes de masse et en série commis par le gouvernement de Netanyahou dans la région.
Par ailleurs, sous la pression des États-Unis, l’Union européenne détériore consciencieusement ses relations diplomatiques et commerciales avec la République populaire de Chine en usant de la rhétorique de l’indépendance de Taïwan.
Le débat au Parlement européen, proposé récemment par la Commission européenne, sur « l’interprétation erronée de la résolution 2758 des Nations unies par la République populaire de Chine » visait à mettre directement en cause le principe d’une seule Chine, et avec lui, l’ordre international d’après-guerre. Plutôt que d’agir dans le sillage de la communauté internationale en choisissant les instruments de la diplomatie et de la coopération, le bloc des Vingt-Sept continue sa dérive belliciste en multipliant ses visites navales et ses exercices d’entraînement militaire conjoints en mer de Chine méridionale.
Les grands perdants de cette dérive, ce sont les peuples européens. La présidente de la Commission a en effet estimé que les États membres devraient investir dans les prochaines années plus de 500 milliards d’euros dans la défense. Or si la force des armes reste inévitable dans un monde écrasé par les dominations, le surarmement – car c’est de cela qu’il s’agit – n’a jamais conduit à autre chose qu’à l’abîme.
Vous l’aurez compris, les remèdes au déclassement de l’Union européenne qui nous sont proposés par cette nouvelle Commission sont loin de nous convaincre.
Tandis que les règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance nous conduisent à imposer des contraintes austéritaires à nos services publics, les budgets de la défense seront, eux, expansifs.
Tandis que le mantra « America First » est de retour après l’élection de Donald Trump et que planent des menaces de guerre commerciale, le commissaire chargé de la défense et de l’espace suggère que notre plan de production industrielle soit fondé sur les exigences de l’Otan.
Selon nous, pour échapper au déclassement de l’Union européenne, nous devrions collectivement mettre en cause le concept de sécurité, lequel est uniquement fondé sur des dépenses d’armement, de défense ou d’infrastructures militaires. Nous devons cesser d’ignorer que les insécurités sanitaire, alimentaire, énergétique et climatique, ainsi que l’absence de partage réel de la gouvernance politique de la mondialisation, sont au cœur de tous les conflits et par conséquent à la racine de toutes les guerres. Notre pays devrait contribuer à ce réveil. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice Silvani, vous évoquez une dérive belliciste de l’Union européenne. Or si dérive belliciste il y a, elle est plutôt le fait de la Russie quand elle agresse son voisin ukrainien au mépris du droit international !
Quand la France participe, avec certains de ses partenaires, à des opérations de stabilité en mer de Chine, c’est précisément pour prévenir la guerre et pour contribuer à la sécurité collective.
Je vois une contradiction dans votre propos. Vous dites, d’un côté, que nous ne devons pas dépendre des États-Unis et de l’Otan, et, de l’autre, qu’il ne faut pas que nous investissions dans notre propre sécurité ou que nous augmentions nos budgets de défense… À un moment donné, il faut choisir !
Si nous voulons défendre nos intérêts en matière de sécurité – je signale, à cet égard, que tous les acteurs qui nous entourent augmentent leur budget de défense –, ne pas être dépendants, sauvegarder l’espace de paix et de sécurité dans lequel nous vivons, et défendre nos valeurs, à commencer justement par la paix, alors nous devons nous donner les moyens de nous défendre de façon souveraine et autonome. Pour atteindre cet objectif, il convient que les questions militaires figurent parmi les priorités de l’Union européenne. Ce message, la France le porte lorsqu’elle défend l’ambition du réarmement, y compris intellectuel, du continent européen.
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le ministre, la nouvelle Commission qui se met en place portera une immense responsabilité : celle de répondre, ou non, aux défis existentiels auxquels nous faisons face, au premier rang desquels figure l’urgence climatique.
Force est de constater que la composition et les premières orientations de cette future Commission suscitent de profondes inquiétudes. La domination des forces libérales et conservatrices, notamment la nomination d’un commissaire d’extrême droite, sont des signaux préoccupants.
Le morcellement du portefeuille environnemental et la subordination apparente du Pacte vert pour l’Europe aux impératifs de compétitivité industrielle font craindre un recul de l’ambition climatique européenne, alors qu’il est question non plus de transition écologique, mais de transition « propre » dans l’intitulé même des vice-présidences. Ce glissement sémantique n’est pas neutre : il traduit une dilution de l’ambition environnementale dans une approche principalement économique et industrielle…
Tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, le président américain doute du changement climatique et a déjà annoncé vouloir, de nouveau, sortir de l’accord de Paris, l’Europe et la France portent une responsabilité d’autant plus grande dans la lutte contre le réchauffement climatique. À défaut, nous nous dirigerons vers un monde à +3 degrés, et même à +4 degrés pour ce qui concerne la France, d’ici à la fin de ce siècle.
Dans ce contexte, la question de l’influence française prend une dimension particulière. La France ne peut se contenter de célébrer l’obtention d’une vice-présidence exécutive, au portefeuille flou, sur la stratégie industrielle. Cette approche fondée sur le placement de candidats, fait du prince, et la défense de nos seuls intérêts industriels est dépassée !
Notre influence doit se réinventer. La France doit être la force motrice d’une réorientation écologique et sociale de la Commission. Concrètement, cela signifie qu’il faut porter trois exigences fondamentales.
Premièrement, la Commission doit être la garante de l’ambition environnementale européenne et non pas son fossoyeur. Nous ne pouvons accepter que le Pacte vert soit vidé de sa substance au nom de la compétitivité. La France doit défendre l’exigence d’objectifs climatiques contraignants, d’une sortie effective des énergies fossiles et d’une protection réelle de la biodiversité.
Deuxièmement, la transition écologique doit être socialement juste. Exigeons un fonds social climat réellement doté et des mécanismes efficaces de solidarité européenne !
Troisièmement, la France doit défendre une vision de l’Europe comme projet politique, démocratique et fédéral, et pas seulement comme marché ou puissance industrielle.
La question du Mercosur illustre parfaitement ces contradictions. Vous avez sans doute lu, monsieur le ministre, la tribune adressée ce jour par plus de six cents parlementaires français à Ursula von der Leyen, dans laquelle ils indiquent que les conditions d’un accord ne sont aujourd’hui pas réunies.
La Commission envisage de contourner l’opposition, notamment française, en scindant l’accord. Cette manœuvre juridique permettrait d’adopter le volet commercial à la majorité qualifiée, sans que l’unanimité soit nécessaire.
Cette tentative de passage en force portant sur un accord aux conséquences environnementales désastreuses est grave ! Elle créerait un précédent dangereux en matière de gouvernance européenne, tout en encourageant la déforestation en Amazonie et le développement d’une agriculture intensive incompatible avec nos objectifs climatiques.
Si la Commission s’engageait dans cette voie, elle n’affaiblirait pas seulement la position française : elle saborderait sa propre crédibilité en matière de lutte contre le changement climatique et de respect des opinions publiques du continent.
En matière d’autonomie stratégique européenne, le soutien à l’Ukraine est une nécessité absolue. Nous devons maintenir notre engagement à ses côtés face à l’agression russe, particulièrement dans la période d’incertitude qui s’ouvre concernant le soutien des États-Unis.
Nous avons aussi besoin d’une vision plus large de la sécurité européenne, qui intègre pleinement les enjeux climatiques, alimentaires et sanitaires.
La première des autonomies est énergétique : c’est en accélérant le développement des énergies renouvelables que nous renforcerons véritablement notre indépendance. Une Europe qui continuerait à subventionner les énergies fossiles ferait fausse route.
Face à un président américain climatosceptique, qui menace d’imposer des droits de douane punitifs et de saper l’alliance transatlantique, l’Europe doit plus que jamais affirmer son autonomie, sa solidarité et ses valeurs, dans le cadre d’un véritable projet politique alternatif : celui d’une Europe qui protège ses citoyens et son environnement, qui investit massivement dans la transition écologique, qui renforce sa cohésion sociale face aux menaces externes. Les tensions commerciales annoncées avec les États-Unis doivent être l’occasion d’accélérer notre transition vers une économie décarbonée et circulaire, et non pas de renoncer à nos ambitions environnementales.
L’Europe ne peut plus se permettre d’être suiviste. C’est à cette condition que l’influence française retrouvera son sens, non pas comme une fin en soi, mais comme un levier au service d’une transformation profonde de l’Europe.
La France a une responsabilité historique, celle de montrer qu’une autre Europe est possible : une Europe de la transition écologique, de la justice sociale, du respect des droits fondamentaux, de la justice internationale et de la démocratie vivante. C’est ce message que je vous invite à porter avec force lors de vos discussions avec la nouvelle Commission sur les chantiers à venir à l’échelon européen. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Didier Marie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice Ollivier, j’abonde dans votre sens au sujet de l’accord en cours de négociation avec le Mercosur, auquel nous sommes défavorables pour des raisons d’équité commerciale et de respect des clauses environnementales. Nos exigences ne sont en effet pas atteintes aujourd’hui concernant cet accord, et en l’état nous nous y opposons.
J’approuve également les propos que vous avez tenus sur le soutien à l’Ukraine.
Je suis d’accord avec vous, par ailleurs, sur la nécessité de continuer à investir dans la transition environnementale. Nous nous sommes fixés à cet égard des objectifs très ambitieux lors de la mandature précédente. Il s’agit désormais pour nous de les mettre en œuvre et d’accompagner nos industriels, sans jamais opposer compétitivité et transition environnementale.
Je note d’ailleurs que Mario Draghi, dans son rapport sur la compétitivité européenne, recommande d’investir dans notre industrie, dans l’innovation et aussi dans la décarbonation du continent. Il s’agit d’un enjeu, à la fois d’innovation, d’autonomie stratégique et d’indépendance, en particulier dans le contexte géopolitique que nous connaissons.
Je tiens à souligner la nécessité d’investir dans les énergies renouvelables, mais aussi, madame la sénatrice, dans le nucléaire. (Mme Mathilde Ollivier manifeste son désaccord.) Il s’agit en effet des deux piliers de la décarbonation, mais aussi de l’autonomie énergétique et stratégique de notre continent.
Vous avez évoqué la relation transatlantique. Il nous revient aussi de faire respecter les normes environnementales au travers des accords commerciaux et des relations avec nos partenaires. C’est l’objet de la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne – le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) –, cet outil dont s’est dotée l’Union européenne et qui doit désormais être mis en œuvre.
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment de l’instauration de cette nouvelle Commission, nous sommes, pour notre part, prêts à travailler dans un esprit de compromis, celui qui caractérise nos institutions européennes.
Cependant, nous sommes inquiets. Réélue grâce au soutien de l’alliance pro-européenne, la présidente de la Commission a en effet choisi de nommer vice-président un proche de Mme Giorgia Meloni. Cette alliance s’accompagne d’un virage sécuritaire et d’une présidentialisation de la cheffe de la Commission, qui a divisé les portefeuilles de ses commissaires et écarté tout profil susceptible de faire contrepoids à son autorité.
Les partis conservateurs, apparemment fermement pro-européens, mettront-ils en cause le projet qui doit nous unir ? Le risque est celui d’un détricotage des législations européennes les plus ambitieuses – nous pensons notamment au récent Pacte vert – et des dernières avancées.
Alors qu’à la suite de l’épidémie de covid, l’Europe de la santé émerge à peine, la présidente de la Commission abandonne ces questions à un proche de Viktor Orban, qui ne dispose d’aucune expérience sur le sujet. Pis, la présidente souhaite intégrer le programme EU4Health au sein d’un grand fonds de compétitivité, actant la prévalence des logiques de rentabilité sur celles de santé. Cette impulsion vers un capitalisme financiarisé nous inquiète.
En matière de migration, la dynamique tend clairement vers un durcissement des politiques européennes. La Commission souhaite passer de nouveaux accords avec des pays tiers pour la gestion des centres d’asile. Or de tels centres existent déjà en Tunisie, en Libye, en Turquie et de nombreuses violations des droits humains y ont été constatées.
La présidente de la Commission et son commissaire aux affaires intérieures et à la migration appuient l’accord contesté entre l’Italie et l’Albanie, malgré son invalidation par les tribunaux italiens et l’avis des tribunaux européens.
En choisissant de généraliser l’externalisation de la gestion des migrations, l’Union européenne se défausse de ses responsabilités. Elle ferme les yeux sur les violations des droits fondamentaux qui sont commises en dehors de son territoire.
Pourtant, la Commission avait elle-même pointé en 2018 les risques légaux liés à l’utilisation des centres de retour. Elle notait un risque élevé d’enfreindre le principe de non-refoulement et soulevait des doutes quant à la conformité de ces centres aux valeurs de l’Union. Or, aujourd’hui, ces valeurs mêmes sont remises en cause.
Pour notre part, nous souhaitons préserver l’acquis européen et défendre un modèle autre que celui du repli sur soi et du rejet de l’autre. Mais, pour ce faire, encore faut-il avoir une voix.
Force est de constater que la France n’arrive plus à faire entendre la sienne au sein de l’Union européenne. Notre perte d’influence, illustrée par la mise à l’écart autoritaire de Thierry Breton, a déjà un effet visible à l’échelon européen. La conclusion de l’accord avec le Mercosur, probablement imminente, hélas ! malgré l’opposition de la France et la prise de position de plus de six cents parlementaires, en est un symptôme.
Cette perte d’influence ne date pas d’hier : derrière les discours lui faisant miroiter un rôle majeur, notre pays n’est plus, en réalité, le moteur de l’Europe depuis un bon moment. La France est aujourd’hui plus isolée que jamais. Le couple franco-allemand, locomotive historique de l’intégration européenne, est désormais doublé par une Europe dont le pivot glisse inexorablement vers l’est.
Par ailleurs, il nous faut bien constater que ces dernières années la France a trop souvent soutenu des positions relativement souverainistes, contre la logique de compromis. Elle est apparue comme défendant trop fréquemment ses seuls intérêts propres. Ce faisant, elle a perdu de sa capacité à fédérer, à créer ce consensus qui est si fondamental dans le projet européen.
Les discours résolument pro-européens du Président de la République, et particulièrement ses engagements environnementaux, n’ont pas trouvé de traduction concrète. Nous n’avons pas oublié l’abstention de la France qui a permis le renouvellement de l’autorisation du glyphosate pour dix ans, malgré les promesses présidentielles ! Ces promesses rompues engendrent une perte de crédibilité notable. La voix de la France ne porte plus.
Enfin, les résultats des élections outre-Atlantique nous rappellent notre besoin vital d’une Europe forte et indépendante. Nous sommes désormais un peu plus seuls en tant qu’Européens, car le président Trump n’est pas, et ne sera pas, un ami de l’Europe.
Le retour de la guerre, la compétition internationale, la relocalisation des industries, l’effondrement climatique sont autant de défis qui ne peuvent appeler qu’une réponse commune. Aucun de ces sujets ne sera résolu par les égoïsmes des nations. Aussi, il est d’autant plus important de développer des politiques fortes, de réaffirmer nos valeurs, notre attachement à l’Europe sociale et à la démocratie.
L’Europe est capable de s’ériger en modèle de référence. Il faut qu’elle le veuille ; pour notre part, nous le voulons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, je ne reconnais pas du tout la situation actuelle dans le constat assez catastrophiste que vous dressez de l’influence française, lequel est en complet décalage avec ce qui s’est passé ces derniers jours.
Depuis l’élection américaine, et même auparavant, certains de nos partenaires se sont exprimés clairement. Le Premier ministre polonais, par exemple, avait ainsi dit que, quel que soit le résultat de cette élection, l’ère de la sous-traitance géopolitique était terminée et que l’Europe devait prendre son destin en main.
C’est précisément la vision d’une Europe souveraine, capable de prendre son destin en main, que nous mettons en avant depuis des années et qui fait aujourd’hui consensus en Europe. Il nous revient désormais, ainsi qu’à nos partenaires, de mettre cette partition en musique en étant capable d’investir dans notre défense, notre compétitivité, notre industrie et notre innovation.
Le logiciel des Européens est en train de changer, ce qui est le résultat du travail d’influence que nous menons avec nos partenaires depuis des années. Cessons de nous autoflageller, mais écoutons ce que nous disent nos voisins, en particulier dans ce contexte géopolitique si important.
Sur les questions migratoires, vous avez rappelé la position très claire de la France : à ce problème européen majeur, nous devons apporter des réponses européennes. C’est pourquoi nous soutenons la mise en œuvre rapide du pacte sur la migration et l’asile, qui constitue un bon équilibre à l’échelon européen, la révision de la directive Retour et la dimension externe des politiques européennes relatives aux sujets migratoires en matière de visas et d’aide au développement.
Je vous rejoins lorsque vous dites que les prétendues solutions innovantes proposées par certains de nos voisins et partenaires ne portent pas leurs fruits. Seules des réponses coordonnées à l’échelle européenne peuvent nous permettre, collectivement, d’avoir une politique de maîtrise de l’immigration et de répondre à ce défi avec nos voisins de la rive sud.
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Mme Nadège Havet applaudit.)
M. Pierre Médevielle. « L’Europe, quel numéro de téléphone ? » : c’est ainsi qu’Henry Kissinger raillait la désunion européenne. Il n’est pas impossible que cette mauvaise plaisanterie revienne bientôt au goût du jour outre-Atlantique.
Que l’on aime ou que l’on déteste Donald Trump, une chose est tout à fait certaine : il aura pour seule boussole la défense des intérêts américains.
Trump ne nous fera pas de cadeaux. Alors, le meilleur cadeau que nous pouvons nous faire, à nous Européens, c’est de ne pas lui en faire ! Il s’agit non pas d’ouvrir les hostilités avec nos alliés historiques, mais d’adapter notre positionnement stratégique à cette nouvelle donne géopolitique. L’Union européenne doit redevenir une puissance si elle ne veut pas rester la vassale des autres puissances. Elle doit rester fidèle à ses valeurs et s’engager pour la paix et la prospérité, mais elle doit surtout défendre ses intérêts.
Le déclin géopolitique du vieux continent s’explique d’abord par son décrochage économique. Pour redevenir une puissance, l’Europe doit renouer avec la croissance. Pour ce faire, elle doit redevenir une terre de production.
J’identifie trois principaux chantiers pour y parvenir : investir massivement dans l’innovation ; mobiliser la commande publique pour nos entreprises ; faire de l’action climatique un levier de compétitivité.
Premier chantier : pour rester dans la compétition technologique mondiale, l’Europe doit faire de l’innovation une obsession économique. C’est non pas une option tactique pour tenter de gagner une ou deux places dans la compétition mondiale, mais une question de vie ou de mort. Si nous cessons d’innover, nous ne pourrons plus garantir la pérennité de notre modèle socio-économique.
Il fallait sans doute qu’un Européen convaincu le dise aussi crûment pour que tous les Européens commencent à y croire. En effet, le rapport Draghi est très clair : si nous n’investissons pas massivement pour moderniser notre économie, l’Union européenne ne pourra plus justifier sa propre existence. Mario Draghi estime cet effort à 800 milliards d’euros par an.
Comment administrer un tel électrochoc ? À l’évidence, il faut précisément moins administrer. La bureaucratie ne favorise jamais la compétitivité ; j’y reviendrai.
La puissance publique dispose aussi d’un puissant levier d’action pour servir en priorité les intérêts européens : la commande publique. C’est le deuxième chantier.
La révision de la directive de 2014 sur la passation des marchés publics doit permettre une réorientation stratégique claire. Nous devons donner priorité à nos entreprises. Pour appréhender la mondialisation avec un peu plus de sérénité, il faut cesser de considérer que les Européens sont des consommateurs avant d’être des producteurs.
Le troisième chantier consiste à faire de l’action climatique un levier de compétitivité, et non l’inverse. Le Pacte vert de la précédente Commission partait d’une excellente intuition : la pérennité de notre économie passe par la transition écologique, pour la simple raison que le réchauffement climatique menace nos intérêts économiques.
Mais la transition écologique ne doit être ni un exercice de repentance ni un appel à la décroissance. Le Pacte vert, par sa dérive bureaucratique, risque de plomber notre économie.
Je conclurai ce propos par un sujet cher à mon cœur : l’agriculture. Celle-ci ne saurait être la seule priorité de la nouvelle Commission, mais elle sera la jauge de son succès. Si l’Europe continue à ouvrir ses marchés à tous vents, tout en étouffant ses propres agriculteurs sous les normes, alors elle aura échoué. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Nadège Havet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Médevielle, je ne peux que partager votre constat, ces sujets sont des questions de vie ou de mort pour l’Europe.
Avant même l’élection de Donald Trump, le protectionnisme, le soutien à l’industrie et la hausse des tarifs douaniers étaient déjà des tendances de l’administration Biden. Nous aurions dû en tirer les conséquences, indépendamment des résultats de l’élection. À présent, l’urgence est devant nous.
Je suis intégralement d’accord sur les priorités que vous avez mentionnées. La révision de la directive sur la passation des marchés publics figure dans la lettre de mission du candidat français à la Commission, Stéphane Séjourné.
En outre, le rapport Draghi identifie de nombreuses pistes prioritaires comme l’unification des marchés de capitaux, l’union bancaire, la réforme de la politique de concurrence et des aides d’État, la simplification et le soutien à l’innovation : autant de priorités pour que l’Europe devienne de nouveau un continent de producteurs et non pas uniquement de consommateurs.
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous débattons ce soir de la politique européenne de la nouvelle Commission et de l’influence de la France, il me semble important d’aborder notre politique étrangère et certains de ses corollaires en ayant en tête l’agitation internationale.
La nouvelle Commission européenne doit inspirer à la France de la vigilance, de l’exigence et de l’anticipation. Tel n’a malheureusement pas toujours été le cas dans le passé…
Tout en restant fidèle à ses engagements européens, la France a des intérêts à défendre. La nouvelle Commission, elle, doit entendre les États membres et ne pas donner l’impression de naviguer à vue.
Nous assistons à un véritable basculement des ambitions diplomatiques de la nouvelle gouvernance vers l’est, les pays d’Europe centrale et orientale gagnant en influence. Ceux qui ne sont pas encore membres sont courtisés par la nouvelle commissaire à l’élargissement : la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine sont les nouveaux élus de cette politique, qui aura pour effet de déplacer un peu plus le centre de l’Europe vers l’est.
Les observateurs internationaux le disent, les conditions dans lesquelles se sont récemment tenues les élections en Moldavie et en Géorgie étaient inquiétantes d’un point de vue démocratique. À part l’avancée à marche forcée de la Commission, rien ne permet de dire que ces pays sont de sérieux candidats à l’intégration. Nous devons donc rester vigilants, ne pas faire de promesses que nous ne pourrions pas tenir et demeurer exigeants sur les critères d’intégration, qui ne peuvent être incomplètement atteints.
Les ambitions de la diplomatie européenne doivent être plus alignées avec les intérêts des États membres fondateurs. Les intérêts des pays d’Europe centrale et orientale ne sont pas nécessairement ceux de la France. Par exemple, faut-il élargir l’Union à l’Ukraine, au risque que l’agriculture de ce pays entre en concurrence avec la nôtre ? Poser la question, c’est commencer à y répondre. Anticipons avec lucidité.
Oui, la France doit faire entendre sa voix et tempérer un tropisme qui, en l’état, ne sert pas suffisamment ses intérêts.
Par ailleurs, tout le monde a constaté le retour de Donald Trump outre-Atlantique et d’un America first décomplexé, avec ce que cela pourrait signifier pour les enjeux climatiques ou le droit des femmes.
En tant qu’Européens, nous ne pouvons ignorer la fragilité de notre autonomie stratégique et notre besoin de maintenir une alliance transatlantique équilibrée. Au milieu des turbulences mondiales, nous ne devons pas oublier nos rivaux géopolitiques que sont la Chine, la Russie ou encore l’Iran.
Les États-Unis seront toujours fidèles à eux-mêmes et nos attentes ne sauraient être démesurées. Soyons réalistes et pragmatiques, car aucune des deux dernières administrations américaines n’était plus favorable que l’autre à l’Europe.
De même, un nouveau défi international de taille se profile pour la nouvelle Commission : il concerne le numérique. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) puis, plus récemment, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) ont permis de protéger les données, de préserver une concurrence équitable et de garantir la sécurité des utilisateurs européens.
Plus généralement, ces règles sont allées dans le sens d’une limitation du monopole des grandes plateformes, en imposant des règles de transparence à leurs algorithmes.
Un nouveau défi se présente : celui de l’intelligence artificielle (IA), secteur dans lequel les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) investissent très massivement. Ces entreprises développent des IA de plus en plus puissantes et intégrées dans nos vies quotidiennes, depuis les assistants personnels jusqu’aux outils professionnels, en passant par le secteur de la cybersécurité.
Certes, le règlement établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle adopté cette année a permis de définir un cadre rigoureux pour garantir que les IA soient a priori sûres, transparentes et respectueuses des droits fondamentaux. Des restrictions ont été prévues pour les systèmes à haut risque, comme ceux qui sont utilisés dans les domaines de la reconnaissance faciale ou du recrutement.
Malheureusement, ce règlement ne fait qu’effleurer le sujet et de lourdes incertitudes demeurent, notamment dans le volet relatif à la cybersécurité. Alors que l’IA est de plus en plus implantée dans ce domaine, la nouvelle Commission devra remettre l’ouvrage sur le métier. Il est urgent de permettre l’émergence de solutions cybereuropéennes et indépendantes.
De même, face à l’intégration de plus en plus fréquente d’IA pilotées par les Gafam dans nos outils numériques du quotidien, il conviendra de prendre des mesures analogues à celles qui ont été prises à l’époque lors de l’adoption du RGPD.
Il y a urgence à agir, car les géants du numérique outre-Atlantique battent tous les records d’investissement dans l’intelligence artificielle, sur fond d’une compétitivité déjà asymétrique entre l’Europe et les États-Unis.
En conclusion, qu’il s’agisse de grande diplomatie ou de soft power, la nouvelle Commission ne peut se permettre d’osciller entre navigation à vue et absence de vision à long terme. Plus que jamais, la vigilance, l’exigence et l’anticipation doivent être de mise. Monsieur le ministre, il y va aussi de l’intérêt de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, la politique d’élargissement de l’Europe est également un facteur de stabilité géopolitique. Les zones grises à nos portes, trop longtemps négligées, sont devenues des zones d’ingérence de puissances étrangères hostiles et d’instabilité potentielle.
Toutefois, cette politique doit se faire sur la base du mérite. L’intégration est soumise à des conditions très claires, en matière de respect de l’État de droit, de réforme des marchés ou de lutte contre la corruption. En outre, lors d’un élargissement, les institutions européennes doivent également être réformées pour fonctionner avec plus de membres.
Les élargissements prendront le temps nécessaire. La France, avec ses voisins, est prête à accompagner le mouvement, mais il n’y a ni procédure accélérée ni décision politique visant à le forcer. Il faut faire en sorte que les pays candidats n’intègrent l’Union européenne que le jour où ils y seront totalement prêts. La France est extrêmement vigilante à cet égard.
En ce qui concerne le numérique et l’intelligence artificielle, vous avez souligné le travail réalisé par la précédente Commission, notamment par le commissaire Breton. Vous le savez, il s’agit de l’une des priorités fléchées par le Président de la République lors du plan de relance.
Notre souveraineté en ce domaine passera non seulement par la régulation et les normes, mais avant tout par l’investissement et l’innovation. À défaut, nous nous retrouverions dépendants des innovations des autres, qui fixent les normes.
L’agenda de la précédente Commission était largement centré sur la régulation. Il me semble que le prochain agenda devra être axé sur l’investissement, la simplification et l’innovation pour assurer notre souveraineté dans les domaines du numérique, de l’intelligence artificielle ou de l’informatique quantique, mais aussi dans tous les secteurs d’innovation.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Donald Trump ayant été réélu président des États-Unis – ce n’est pas un scoop ! –, l’Europe devra plus que jamais faire preuve de puissance – cela a été dit dans nombre des interventions précédentes – face au géant américain, dont la doctrine sera « l’Amérique d’abord ».
Il faut s’attendre à voir les États-Unis se replier sur eux-mêmes encore davantage que ces dernières années. Comme l’a justement indiqué Jean-François Rapin, nous devrons peut-être regarder vers le Pacifique plutôt que vers l’Atlantique.
Le devoir de l’Union européenne est de procéder à des réformes importantes pour ne pas dévisser, mais surtout pour conserver, voire accroître sa compétitivité. Le rapport de Mario Draghi est à cet égard en tout point d’actualité. Peut-être n’a-t-il pas été assez mis en lumière en France, où la création de richesse demeure l’angle mort du débat public, ce que nous regrettons.
Ce rapport met en avant trois axes pour relancer la croissance au sein de l’Union européenne : innover pour combler nos retards technologiques, adopter un plan commun pour la décarbonation et la compétitivité, renforcer la sécurité et réduire les dépendances.
En posant un diagnostic sévère, mais juste, Mario Draghi propose dans son rapport des réformes structurelles qui pourraient être extrêmement utiles pour rendre l’Union européenne plus forte. Il souligne par exemple que le ralentissement de la croissance de la productivité est associé à celui de la croissance des revenus et à un affaiblissement de la demande intérieure en Europe.
L’écart entre le PIB européen et le PIB américain est passé d’un peu plus de 15 % à 30 % entre 2002 et 2023. L’écart entre les PIB par habitant s’est moins creusé, car la croissance démographique a été plus rapide aux États-Unis qu’en Europe, mais il reste important. En parité de pouvoir d’achat, il est passé de 31 % en 2002 à 34 % aujourd’hui. En clair, l’Europe et la France dévissent pour ce qui est de la création de richesse.
Dans son rapport, Mario Draghi fait au total 170 propositions et préconise une nouvelle stratégie industrielle pour libérer le potentiel d’innovation dans l’Union et investir en mutualisant les ressources. Il estime que la mise en œuvre de ses propositions nécessiterait entre 750 milliards et 800 milliards d’euros d’investissements par an d’ici à 2030, soit 4,5 % du PIB européen.
Pour accroître l’innovation, il est proposé de doubler le budget du programme-cadre de recherche et d’innovation en le portant à 200 milliards d’euros sur sept ans et de créer une agence européenne pour l’innovation. Cette mesure va dans le bon sens. Nous avons en Europe des ingénieurs et des chercheurs de talent ; encourageons-les à rester chez nous et à ne pas céder aux sirènes des géants américains du secteur. Garder les talents européens sur le sol européen, quel bel objectif !
Un autre thème sera aussi au cœur des préoccupations de la future Commission : les relations diplomatiques et les conflits à nos frontières. Le poids de la France dans le jeu diplomatique européen s’est amoindri ces derniers temps, ainsi que nous l’avons constaté lorsque le Président de la République a déclaré ne pas exclure l’envoi de troupes au sol en Ukraine, sans être suivi par nos partenaires européens.
Or, aujourd’hui, l’Union européenne doit faire front commun pour aider l’Ukraine face à la Russie. Nous ne pouvons pas exclure la possibilité que les États-Unis de Donald Trump cessent de livrer des armes à l’Ukraine. L’Union européenne devra alors accélérer sa production pour ne pas abandonner l’Ukraine à un triste sort. La France est dans la course sur ce sujet, ainsi que François Bonneau l’a rappelé.
Pour conclure, les enjeux sont de taille dans ce contexte géopolitique chaque jour un peu plus incertain. La France devra, au sein des instances européennes, promouvoir des réformes de compétitivité pour que l’Union reste dans la course sur l’échiquier mondial.
N’oublions jamais ce mot d’André Frossard : l’histoire de l’Europe occidentale est un destin voulu, et non un destin fortuit.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Henno, je partage totalement votre analyse.
Il faut en effet conserver nos talents, nos chercheurs, nos ingénieurs, nos scientifiques, nos entrepreneurs en Europe. Les chiffres donnés dans les rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi prouvent que, en matière de publications scientifiques, l’Europe est très bien placée par rapport à ses concurrents chinois ou américains, mais qu’elle décroche en revanche en matière de dépôts de brevet et surtout de commercialisation des innovations.
Il est donc nécessaire de permettre la mobilisation de l’épargne, tant privée que publique, pour soutenir les innovations de rupture, en s’inspirant par exemple de la Darpa américaine, la Defense Advanced Research Projects Agency, liée au Pentagone.
Soutenir les start-up, mobiliser l’investissement, faciliter le développement des entreprises à l’échelon européen : tous ces chantiers sont nécessaires. Nous devons avoir cette belle ambition de conserver nos talents en Europe afin de développer l’autonomie de notre continent.
M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Michaël Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nouvelle Commission, plus conservatrice que jamais, devra pourtant reprendre le chantier le plus ambitieux de notre histoire, celui du Pacte vert.
Le diagnostic posé était simple : personne ne peut, en son âme et conscience, défendre un modèle de vie où l’air que nous respirons est vicié, où l’eau que nous buvons et la nourriture que nous mangeons sont contaminées, où la nature périclite, où les sols s’appauvrissent, où le climat s’emballe et où les catastrophes s’enchaînent.
Pourtant, alors que les circonstances exigent de faire preuve de volontarisme, la composition politique de la nouvelle Commission ne reflète en rien les préférences électorales des citoyens. Tout concourt à faire d’elle un simple secrétariat du Conseil européen, dénué de toute autonomie et incapable de définir un intérêt général. La Commission étant dominée par des gouvernements réactionnaires, la culture européenne du consensus est dangereusement mise en péril.
La Commission ne doit pas céder à la pression politique des extrêmes. L’Union européenne doit rester ce lieu où nous faisons en conscience des choix inscrits dans le long terme pour le climat, pour une alimentation durable, pour la biodiversité et pour plus de justice. La véritable responsabilité de la France, au-delà de ses inquiétudes sur son influence, est de contribuer au maintien d’une politique commune forte, indépendante et résolue.
Or rien n’est plus délétère que l’incertitude provoquée par les atermoiements et les renoncements qui brouillent notre message et nous détournent de ce que nous sommes. Le fameux cap devient un chemin en zigzag, l’objectif s’éloigne et le découragement, voire le cynisme, nous gagne.
La plupart des grands projets européens pour l’avenir ont ainsi été fortement compromis. Le plan de réduction de l’utilisation des pesticides est aujourd’hui lettre morte. La stratégie « de la ferme à l’assiette » est en partie démantelée. L’application du règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts est reportée sous la pression des États-Unis et du Brésil. La révision du règlement Reach, pierre angulaire de la stratégie « zéro pollution », a également été reportée à plusieurs reprises. Enfin, les ambitions environnementales de la politique agricole commune (PAC), fruits de plusieurs années de travail et de réflexion, ont été enterrées en l’espace de quelques semaines, tandis que le projet d’interdire la vente de moteurs thermiques d’ici à 2035 suscite déjà une fronde.
Le retour de Donald Trump sur la scène internationale signifie en outre le mépris des règles, la défense coûte que coûte des énergies fossiles, l’entrave à la réglementation stricte de l’usage des pesticides et des organismes génétiquement modifiés (OGM), le dénigrement, enfin, des ambitions écologiques et climatiques de l’Europe. Ne nous laissons pas entraîner dans la course à un capitalisme sauvage, vers notre propre ruine et celle du monde.
Aux plus conservateurs d’entre nous, à ceux qui demeurent attachés à la préservation de la nature et des paysages, qui renvoie à une tradition, à une identité, à un modèle d’agriculture familiale, à une alimentation locale, je demande de ne pas oublier cette fameuse phrase de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : « Si nous voulons que rien ne change, il faut tout changer. »
Que nous le voulions ou non, le monde est en mutation. Notre responsabilité, celle de la France dans une Union incertaine et imprévisible, est de ne pas subir cette évolution, en tenant le cap du progrès social et environnemental. Ainsi, la seule question qui vaille est la suivante : la France a-t-elle encore le poids nécessaire pour assumer cette responsabilité ?
Monsieur le ministre, j’ai écouté bien sûr votre réponse à l’intervention de Bernard Jomier. Nous vous jugerons sur vos actes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, il faudra en effet l’agilité du Guépard pour relever tant de défis ! Vous pourrez compter sur notre détermination.
Les ambitions environnementales de la France, portées lors du mandat précédent dans le cadre du Pacte vert, répondent à des enjeux de compétitivité et d’autonomie stratégique sur le plan énergétique. Nous investissons dans les énergies renouvelables, dans le nucléaire et dans la décarbonation de notre continent.
Ces ambitions restent des objectifs majeurs, que nous n’opposons pas à la compétitivité et à l’investissement dans la réindustrialisation de l’Europe. Au contraire, l’objectif est bien de faire de notre continent un modèle et un pilote sur ces sujets, notamment en ce qui concerne nos relations avec nos grands partenaires commerciaux, à commencer par les États-Unis.
M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Ronan Le Gleut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, et si nous passions à l’âge adulte ?
Le continent européen a délégué sa sécurité collective aux États-Unis, principalement au travers de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Tous les quatre ans, les Européens sont-ils pour autant condamnés à trembler face aux suffrages exprimés par quelques électeurs américains dans certains États pivots ? Devons-nous continuer à renoncer à assurer notre propre sécurité collective, élément pourtant fondamental de notre souveraineté ?
En réalité, le premier mandat du président Trump tout comme sa récente campagne électorale sont des éléments de fragilisation de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord. Par conséquent, notre sécurité collective est, de fait, fragilisée.
Face à cela, nous, Français, commettons l’erreur de ne pas écouter nos partenaires. Parce que, à juste titre, les Français considèrent que leur sécurité est assurée par leur propre armée, parce que nous sommes le seul pays à disposer de la dissuasion nucléaire, parce que sur terre, sur l’eau, dans les airs ou dans l’espace nous disposons de la meilleure armée d’Europe, nous considérons que nous assurons nous-mêmes notre sécurité. C’est juste, mais nos partenaires ont confié presque aveuglément leur sécurité au parapluie américain.
Par conséquent, nous avons un rôle particulier à jouer pour aller vers l’autonomie stratégique. En effet, non seulement nous avons la première armée d’Europe, mais du point de vue diplomatique, dans l’Europe post-Brexit, nous sommes le seul pays de l’Union européenne à disposer d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Au sujet de la fragilisation du traité de l’Atlantique Nord, l’ancienne ministre des armées Florence Parly avait très justement indiqué, les États-Unis ayant une conception transactionnelle de leur adhésion à l’Otan, que « la clause de solidarité de l’Otan s’appelle article 5, pas article F-35 ».
Dès lors que l’article 5 est fragilisé, nos partenaires européens sont d’une certaine manière autorisés à ne pas acheter systématiquement sur étagère le matériel américain. La France doit se réveiller et saisir cette opportunité nouvelle. Nous fabriquons le meilleur matériel au monde. Nos ingénieurs font preuve d’un brio exceptionnel. Toutes les études objectives établissent que le Rafale est incontestablement le meilleur avion de chasse de la planète. Naval Group, KNDS, MBDA, tous les acteurs français ou européens sont capables de produire les meilleurs matériels.
En conséquence, compte tenu de la fragilisation de l’article 5, il est temps de développer une base industrielle et technologique de défense véritablement européenne, que les Européens se saisissent enfin de leur propre destin et se tournent vers l’achat prioritaire de matériels européens.
Dans ce contexte, la France a un rôle à jouer en matière de défense et d’industrie : saisissons l’élection de Trump comme une occasion pour la France, et donc pour l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, je partage votre analyse. Elle est d’ailleurs valide indépendamment du résultat de la récente élection américaine, puisque les tendances protectionnistes, l’unilatéralisme, l’éloignement de l’Europe et la priorité donnée à la rivalité stratégique avec la Chine, ainsi que les appels des présidents tant démocrates que républicains pour que les Européens investissent davantage dans leur propre défense sont des tendances structurelles, dont le président élu est un accélérateur ou un révélateur. À cet égard, on le voit, il y a une continuité de la politique américaine.
Vous l’avez dit de manière éloquente, les Européens ne peuvent pas laisser leur sécurité dépendre des décisions que prennent tous les quatre ans les électeurs du Michigan ou du Wisconsin.
Nous devons donc investir dans notre autonomie stratégique et dans l’industrie de la défense. La France a un rôle à jouer pour développer la préférence pour l’industrie européenne de défense, parce que nous portons une vision stratégique de la défense du continent. Nous continuons d’investir dans notre outil de défense et de sécurité. À l’issue des deux mandats du Président de la République, nous aurons doublé le budget de défense de la France, et j’espère que cette dynamique se poursuivra.
Sachons aussi écouter nos voisins et respecter les impératifs de sécurité de nos partenaires, tant ceux qui sont en première ligne face à la menace de la Russie que ceux qui placent la relation transatlantique au cœur de leur sécurité. Sachons répondre à leurs inquiétudes et à leurs préoccupations géopolitiques : c’est ainsi que nous pourrons bâtir l’Europe de la défense, l’autonomie stratégique et la souveraineté européenne que nous appelons de nos vœux.
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Else Joseph. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par un curieux hasard, l’installation de la nouvelle Commission européenne intervient au même moment que l’élection d’un nouveau président aux États-Unis.
Cette coïncidence pourrait sembler anecdotique, mais elle ne l’est pas tant que cela, car la Commission européenne est l’interlocutrice directe des États-Unis sur des sujets comme l’agriculture ou le commerce extérieur.
Les membres de la Commission feront face au nouveau locataire de la Maison-Blanche, qui s’est spécialisé dans l’art de la négociation, comme le rappelle le titre d’un de ses livres.
En effet, en application des traités européens, successivement modifiés pour donner plus de compétences à l’Europe, la Commission dispose de compétences exclusives en la matière. Jouant un rôle clé dans les démarches et dans le traitement de certains contentieux, elle a reçu un mandat exclusif pour négocier, ce qui dans l’histoire n’a pas toujours été sans tension.
Nous avons justement l’occasion de lancer un message de vigilance pour notre agriculture.
L’Europe a ouvert ses marchés, mais sans toujours obtenir de contreparties ou d’équivalences. Elle a parfois dû accepter des pratiques pourtant interdites sur son sol. Le président de la commission des affaires européennes du Sénat, notre collègue Jean-François Rapin, a parlé à juste titre de réciprocité et de préférence communautaire, ces principes semblant toujours oubliés dans les discours européens.
Certains accords comme l’Accord économique et commercial global (Ceta), que le Sénat a récemment rejeté au nom de la loyauté des échanges, en sont des exemples. Nous ne devons pas faciliter l’accès à l’Europe de produits agricoles qui ne répondent pas aux exigences que nous imposons à nos propres produits.
De telles aberrations doivent-elles se poursuivre ? Il est dommage que rien n’ait été médité au sujet de l’accord avec le Mercosur…
J’en appelle donc à une politique plus compréhensive envers nos agriculteurs, qui ont beaucoup donné en France et qui restent inquiets.
Toutefois, ne nous défaussons pas en pensant que les seules difficultés viennent de l’extérieur. Elles sont aussi le fruit de problèmes endogènes, d’un manque de vision et d’une absence d’ambition.
L’Europe a aussi découragé par le passé, en menant des politiques absurdes. La Commission, gardienne des traités, les a-t-elle appliqués intelligemment et finement ? Elle a protégé le consommateur sur le marché intérieur, ce qui est une volonté louable, mais nos industries nationales ont aussi droit à la même attention : elles doivent être encouragées.
Je ne citerai qu’un exemple, celui des semi-conducteurs. L’Europe souffre cruellement d’une pénurie des composants nécessaires pour nos ordinateurs, qui jouent aussi un rôle dans le développement de l’intelligence artificielle, en particulier les superpuces. Ma collègue Marta de Cidrac a abordé ce sujet. La crise du covid a révélé la fragilité de l’Europe dans ce domaine. Notre dépendance a été cruellement mise en évidence lors de ce moment critique ; n’attendons pas une crise supplémentaire.
Il y a deux ans, la présidente de la Commission européenne fixait pourtant à l’Europe l’objectif de représenter 20 % du marché mondial des semi-conducteurs en 2030. Il lui reste peu de temps, monsieur le ministre : moins de quatre ans ! Les industries taïwanaises sont prêtes à investir en Europe, mais à ce jour pas en France. Tendons-leur la main, ayons enfin une stratégie dynamique et attractive à leur égard !
Bref, à l’heure des tentations populistes et de l’accumulation des colères, la Commission européenne se doit d’être à la hauteur non seulement des textes fondateurs, mais aussi de l’idéal européen lui-même, au risque, sinon, de créer une fracture définitive et irrémédiable. Chaque pays européen pourrait alors être tenté de faire bande à part. Nous n’avons pas besoin de cela.
Une Europe qui protège est aussi une Europe qui entreprend et qui avance, dans un monde qui sera celui de la revanche du Sud global. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice Joseph, vous soulignez l’importance d’une véritable politique industrielle européenne. L’Europe doit protéger ses citoyens. La meilleure réponse face aux populismes est précisément d’entendre les préoccupations sur les questions de sécurité, de migration et de désindustrialisation, lesquelles ont par ailleurs, il faut le dire, fait le succès du candidat Donald Trump.
Face à ces défis européens, nous devons montrer que nous pouvons apporter des réponses européennes, tant pour la maîtrise de nos frontières que pour le soutien à nos industries.
Les politiques européennes, qui protègent les consommateurs, doivent désormais protéger les industries. Cela fait partie des propositions de Mario Draghi relatives à la réforme des politiques de concurrence et des aides d’État.
En effet, si nous voulons peser sur les grands équilibres géopolitiques et économiques mondiaux, nous devons nous poser la question de savoir quel marché est pertinent pour développer nos politiques de concurrence. S’agit-il du marché européen ou bien sommes-nous capables de faire émerger des champions industriels à l’échelle mondiale, c’est-à-dire des entreprises européennes qui pourront être compétitives face aux géants américains ou chinois ?
Tels sont les défis que devra relever la Commission européenne et qui feront partie des priorités de la France au cours des prochaines années.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. De nombreux sujets ont été abordés, mais un point est revenu dans les interventions de plusieurs sénateurs et sénatrices, au-delà des clivages politiques, ce qui montre qu’un consensus, ou du moins une forme de convergence, a pu émerger : nous sommes en effet à un moment de bascule historique et géopolitique pour notre continent.
La guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine est à nos portes, les enjeux climatiques et géopolitiques sont importants, et les résultats de l’élection américaine viennent de nous rappeler une fois de plus la nécessité de prendre notre destin en main. Si nous ne le faisons pas, les règles du monde s’écriront sans nous.
J’aime bien ce proverbe américain selon lequel si vous n’êtes pas à la table, c’est que vous êtes au menu. Par conséquent, si nous ne nous donnons pas les moyens de peser dans les domaines industriel, technologique et commercial et de défendre nos intérêts, y compris en assumant des rapports de force, alors nous serons réduits à n’être qu’un sujet, à jouer un rôle passif dans le théâtre des rivalités des grandes puissances.
Tel est le message que nous portons à l’échelle européenne depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République sur la souveraineté européenne.
Puisqu’il est question d’influence, je tiens à souligner que ce discours a entraîné des avancées majeures comme la réponse collective à la crise du covid, à travers le plan Next Generation EU, la mise en œuvre du pacte sur la migration et l’asile prévoyant une réponse européenne coordonnée à travers une première sélection des demandeurs d’asile aux frontières de l’Union européenne, le renforcement de l’agence Frontex par l’instauration d’une plus grande solidarité européenne, le développement de nos outils de préférence européenne sur les questions de défense, la fin d’une forme de naïveté en matière commerciale, consacrée par l’application de tarifs douaniers sur les véhicules électriques chinois, en réponse aux pratiques commerciales déloyales de la Chine, la mise en place d’un soutien à notre politique d’innovation et, bien évidemment, le lancement du Green Deal et la défense de nos ambitions climatiques. Voilà autant d’avancées sur lesquelles la France a été pilote ces dernières années.
Si je fais cette liste, c’est non pas pour nous décerner un satisfecit et nous satisfaire de notre bilan, mais pour montrer l’étendue des champs qui restent encore à défricher, à commencer par celui de la compétitivité, de la productivité et de la prospérité de notre continent, qui sera au cœur du portefeuille de notre commissaire Stéphane Séjourné.
Nous devons nous donner les moyens de mobiliser l’épargne publique et privée pour investir massivement dans l’innovation, dans la technologie, ainsi que dans la recherche et le développement.
Il nous faut aussi unifier les marchés de capitaux de notre continent et achever l’union bancaire, c’est-à-dire en réalité finir le marché unique pour donner à nos entreprises les moyens de se développer à l’échelle européenne.
Il faudra aussi investir dans notre industrie de défense.
Tel est le message que nous porterons lors de l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel.
Nous devons nous donner les moyens d’avoir une Europe plus ambitieuse et plus influente dans son voisinage, que ce soit en Géorgie, en Moldavie, en Ukraine – c’est la condition de notre sécurité – ou encore dans les Balkans occidentaux.
Les dossiers prioritaires sont nombreux ; ils sont tous existentiels pour notre continent. Il s’agit de savoir si nous voulons continuer de peser sur les grands équilibres géopolitiques du monde ou si, au contraire, nous voulons laisser à d’autres le soin d’écrire notre histoire et notre destin à notre place. Tel est l’enjeu de ce moment de bascule.
Nous serons au rendez-vous et vous pourrez compter sur le Gouvernement, sur le Premier ministre et sur le Président de la République pour porter la voix de la France, de manière déterminée, à Bruxelles, auprès de nos partenaires européens.
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il me revient la tâche de conclure ce débat – lourde tâche que de conclure après la conclusion !
Une nouvelle Commission européenne est en train de se mettre en place à Bruxelles : la commission von der Leyen II, qui se distingue à bien des égards de la commission von der Leyen I.
Elle s’en distingue tout d’abord en raison d’un contexte politique interne très différent de celui de 2019, qui se reflète à la fois dans la composition du nouveau Parlement européen et dans celle du Conseil européen. Dans les deux cas, on observe un net déplacement du centre de gravité des institutions européennes vers la droite et, pour ce qui concerne le Parlement, une montée inquiétante des mouvements nationalistes.
Elle s’en distingue ensuite en raison d’un environnement international également très différent de celui de 2019, instable et globalement hostile, marqué par la guerre en Ukraine, les événements du Proche-Orient, la menace économique et géostratégique chinoise et la prochaine installation d’une administration américaine protectionniste.
Il en découle une réorientation des priorités de la Commission. S’il est toujours question de poursuivre un agenda environnemental et numérique ambitieux et de conserver un certain attachement de l’Union européenne au multilatéralisme, dans la sphère internationale, ces thèmes cèdent à présent le pas à des objectifs de compétitivité, de croissance, d’emploi, de réindustrialisation, d’autonomie stratégique, économique et militaire et, plus généralement, de défense résolue des intérêts européens dans tous les domaines. Un certain nombre de mes collègues viennent de le souligner.
Pour ma part, je me réjouis de ce nouveau souci de réalisme affiché par la Commission. Reste à voir si la cohésion des États membres et les moyens mis en œuvre seront suffisants pour que de réels progrès puissent être enregistrés sur tous ces sujets, inquiétude que partagent d’ailleurs plusieurs des orateurs qui se sont exprimés.
En effet, ma crainte principale porte sur l’influence que peut avoir la France dans ce contexte. Elle inquiète ses partenaires par les déficits qui plombent ses finances publiques : « une nation qui ne tient pas ses comptes ne peut pas tenir son rang ».
Par ailleurs, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner dans cet hémicycle, notre pays me paraît aujourd’hui très affaibli dans chacune des grandes institutions européennes.
Au Conseil européen, il est représenté par un Président de la République qui non seulement ne pourra se représenter en 2027, mais qui a de surcroît subi, à travers les partis qui se réclament de lui, deux échecs électoraux successifs, lesquels lui ont fait perdre une bonne part de sa crédibilité aux yeux de ses homologues européens.
Au Conseil des ministres de l’Union européenne, notre pays est représenté par un Gouvernement de compromis, que je soutiens, mais dont l’assise parlementaire est fragile et qui doit assumer à Bruxelles comme à Paris une situation budgétaire très dégradée, comme je viens de le dire, privant la France de réelles marges de manœuvres politiques.
Au Parlement européen, la France est cruellement sous-représentée dans les deux grands groupes qui ont le plus d’influence sur les politiques et la législation européenne, le Parti populaire européen (PPE) et l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D). En revanche, elle est surreprésentée dans le groupe Patriotes pour l’Europe, qui s’autoexclut du débat.
Enfin, rappelons que la France a subi de la part de la présidente de la Commission européenne un diktat inédit et humiliant concernant le choix de son candidat, conduisant au retrait de Thierry Breton et à la désignation d’une autre personnalité, insuffisamment qualifiée à mon sens pour exercer des responsabilités de ce niveau.
Le putatif commissaire français se trouve certes paré d’un beau titre de vice-président exécutif, mais alors qu’il est chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, son portefeuille me semble assez mal défini. Les risques de chevauchement avec les portefeuilles d’autres commissaires sont évidents. Par ailleurs, il n’aura a priori pas autorité sur une ou plusieurs grandes directions générales de la Commission.
Dans ces conditions, comme un certain nombre de mes collègues, je suis assez inquiet sur la possibilité pour la nouvelle Commission européenne de mener dans les mois qui viennent une action véritablement efficace, au service des citoyens européens, et sur la capacité de la France à peser sur les décisions importantes qui devront être prises.
J’espère, bien évidemment, en tant que Français et Européen convaincu, que les faits me donneront tort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Nouvelle commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ? ».
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
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Gestion de l’eau: bilan de l’été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Gestion de l’eau : bilan de l’été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource. »
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Jean Sol, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’année 2024, qui n’est pas encore terminée, a été marquée par des records de pluviométrie. Cette situation est exceptionnelle et même atypique, puisqu’elle intervient après plusieurs années de sécheresse dans une large partie du territoire hexagonal.
Gouverner, c’est prévoir et c’est donc anticiper. Nous avons la chance au Sénat de disposer d’une délégation à la prospective dont c’est précisément la mission. Son rapport d’information intitulé Éviter la panne sèche – Huit questions sur l’avenir de l’eau, remis à la fin de l’année 2022 et dont j’étais corapporteur, a posé un diagnostic clair et implacable, confirmé par la mission conduite l’année dernière par nos collègues Rémy Pointereau et Hervé Gillé : les cycles hydriques se modifient sous l’effet du changement climatique, faisant alterner des épisodes de fortes précipitations au printemps et à l’automne, et des épisodes prolongés chauds et secs en été, parfois aggravés par des sécheresses hivernales.
Tordons le cou à une idée fausse : nous n’aurons pas globalement moins d’eau. En effet, l’eau est une ressource renouvelable et le réchauffement climatique conduit à s’exposer à plus de précipitations puisque la quantité d’eau qui s’évapore des océans a tendance à retomber en plus grande quantité sur les terres émergées.
En revanche, les périodes de pluie, la distribution géographique et l’intensité des pluies sont déjà en train de changer. Dans le cadre du projet Explore 2070, les chercheurs ont estimé que le débit moyen des cours d’eau pourrait baisser en France de 10 % à 40 %, la variabilité pouvant être accrue tout au long d’une saison, mais aussi d’une année sur l’autre. Nous attendons les résultats de l’étude Explore2 qui devraient affiner ces prévisions et en préciser la géographie. Mais une chose est sûre : tous les territoires, même au nord du pays, seront touchés. Le récent épisode espagnol en est un exemple concret.
Dans ce contexte, ne rien faire serait catastrophique. Gérer l’eau, et la domestiquer, est consubstantiel à la civilisation. Il convient non seulement de se prémunir contre les inondations, mais aussi de sécuriser notre approvisionnement en eau potable, de savoir l’utiliser pour l’industrie, pour la production d’énergie ou encore pour l’agriculture.
Au passage, notons que l’agriculture irriguée ne représente que 10 % des surfaces agricoles, soit moins de 3 millions d’hectares.
Bien entendu, il faut tirer les leçons du passé et ne pas se lancer dans des aménagements hydrauliques néfastes à l’environnement et à la biodiversité. Nous disposons désormais des connaissances nécessaires et d’un cadre juridique très exigeant pour ne pas tomber dans les travers de tels aménagements.
Mais ne tombons pas non plus dans l’excès inverse. Le rapport d’information de la délégation à la prospective que j’ai cité et celui que la mission d’information sur la gestion de l’eau a remis en 2023 rappellent l’un et l’autre qu’il n’est pas mauvais en soi de retenir l’eau pour l’agriculture. Parfois même, le bilan écoenvironnemental peut être très positif : regardez par exemple le fonctionnement des réserves de la Vendée.
Le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique et le plan Eau annoncé au printemps 2023 par le Président de la République montrent qu’il y a une prise de conscience de la nécessité de faire des retenues collinaires et des retenues de substitution pour récupérer l’eau surabondante, notamment en hiver, afin de ne pas avoir à en pomper dans les rivières ou les nappes phréatiques durant l’été.
Sachons appliquer avec discernement le principe de précaution, en n’opposant pas l’environnement à l’activité économique et en essayant de faire dialoguer les différentes parties prenantes. En matière de politique de l’eau, nous faisons le pari que l’ensemble de celles-ci pourront se mettre d’accord au sein des instances de la démocratie de l’eau que sont les comités de bassin et les commissions locales de l’eau.
Les sécheresses successives rendent ce modèle du consensus de plus en plus fragile, mais il n’y a pas d’autre voie que celle du dialogue et de la concertation, sous réserve bien évidemment que les différents acteurs s’engagent de bonne foi.
L’année 2024 nous offre un répit, qui ne doit pas nous faire oublier que les restrictions d’eau pourront revenir très vite. Elles n’ont d’ailleurs pas disparu, cette année, sur la totalité du territoire.
Dans mon département des Pyrénées-Orientales, où vous vous êtes rendue, madame la ministre, comme partout ailleurs, l’accès à l’eau est stratégique non seulement pour la population qui y réside, mais aussi pour le secteur touristique et surtout pour nos agriculteurs, viticulteurs, maraîchers, cultivateurs, arboriculteurs et éleveurs. Depuis plusieurs années, les arrêtés préfectoraux relatifs aux mesures de restriction en période de sécheresse se multiplient et tendent à devenir permanents.
Toutes les parties prenantes font des efforts pour s’adapter, qu’il s’agisse des agriculteurs, engagés dans des actions d’économie d’eau, des élus, ou bien encore des acteurs des secteurs hôtelier et des activités de plein air. Mais ces efforts ne seront supportables à long terme que s’ils s’accompagnent d’une gestion plus active et plus ambitieuse de la part des pouvoirs publics. Il faut sortir de l’immobilisme.
Tous les outils doivent être mobilisés : il faut non seulement faire des économies d’eau, mais également prévoir la réfection des réseaux d’eau potable fuyards. N’oublions pas que, à l’échelle nationale, on estime à un milliard de mètres cubes par an, soit 20 % de l’eau potable produite, la quantité d’eau qui n’arrive pas jusqu’au client final.
Nous devons aussi agir sur l’offre, en utilisant toute la palette des solutions. Il faudra ainsi réaliser de nouvelles retenues de l’eau venant des Pyrénées, là où c’est possible, en plus des barrages de Vinça ou de l’Agly.
Nous devrons développer les retenues collinaires dans les exploitations agricoles, en réduisant la durée des procédures d’autorisation et en les simplifiant, ce qui diminuera aussi les coûts. En effet, le coût des études préalables est bien souvent plus élevé que celui des travaux !
Il conviendra aussi de pratiquer davantage la réutilisation des eaux usées traitées, notamment dans la zone littorale, pour des usages autres que l’approvisionnement en eau potable.
Enfin, nous aurons besoin de prolonger l’aqueduc Aqua Domitia depuis l’Aude jusqu’à Perpignan, afin de pouvoir recourir à l’eau du Rhône quand les Pyrénées n’en fourniront plus suffisamment.
Pour conclure, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est pas tenable de faire reposer l’essentiel de la stratégie pour l’eau des Pyrénées-Orientales sur des efforts d’économie. Beaucoup a déjà été fait en la matière. Les communes littorales gèlent le développement touristique pour ne pas davantage solliciter la ressource en période d’étiage. Les agriculteurs s’autolimitent fortement. Le risque est d’abandonner des pans entiers du territoire, qui seront rendus à la garrigue ou à la forêt, dans un secteur à fort danger d’incendie.
Nous n’avons pas le temps d’attendre dix ans avant de voir validés les projets de retenues collinaires. Ne soyons pas lents ou timides. Des solutions existent. Arrêtons de multiplier les études et les comités Théodule. N’attendons plus pour agir, car il y a urgence. Les pluies de 2024 ne nous ont donné qu’un court répit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie M. Sol d’avoir « planté le décor » de ce débat sur l’eau.
Tout d’abord, en effet, la ressource en eau est menacée par le dérèglement climatique. Nous l’avons constaté lors des épisodes de sécheresse particulièrement importants, notamment dans les Pyrénées-Orientales. Nous le constatons encore au travers des inondations qui sévissent de manière répétée dans différentes parties de notre pays. L’enjeu est donc de nous adapter.
Pour cela, nous disposons premièrement du plan Eau, qui traite en particulier les questions de sobriété et de réutilisation de l’eau, en prévoyant la construction d’infrastructures garantissant un meilleur accès à l’eau et une gestion plus efficace sur un cycle complet, au cours d’une année entière.
Deuxièmement, nous pourrons nous appuyer sur la feuille de route concernant la protection des captages. Je veux d’ailleurs vous dire, monsieur le sénateur, que l’étude Explore2 a été publiée, dont les conclusions matérialisent le mur d’investissements qui sera nécessaire pour traiter les métabolites dans l’eau brute. Nous devons nous emparer de ce sujet et c’est l’un des prochains objectifs que nous nous sommes fixés au sein du ministère.
Troisièmement, le Premier ministre a annoncé la tenue d’une grande conférence nationale sur l’eau dont l’objet sera de territorialiser notre politique de l’eau en développant son volet non seulement quantitatif, mais aussi qualitatif.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Mireille Conte Jaubert. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Conte Jaubert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré une pluviométrie abondante au printemps et au début de l’été dernier, vingt et un départements ont tout de même dû faire face à des restrictions importantes imposées par les préfectures. Ces mesures montrent bien qu’une gestion durable de l’eau ne peut plus dépendre uniquement des conditions saisonnières, mais qu’elle nécessite des réponses structurelles.
Nous le savons tous, la gestion de l’eau est une question cruciale et l’été 2024 n’a fait que renforcer cette réalité, notamment en Gironde, département qui a été placé en état de crise en raison de la baisse du débit des cours d’eau.
Les périodes de restriction sont devenues la norme et non plus l’exception. Durant l’été dernier, les limitations d’usage ont affecté l’arrosage des jardins, l’irrigation des cultures et même certaines activités économiques. Or ces mesures ne sont que des solutions temporaires qui ne constituent ni une réponse d’envergure ni une réponse de long terme. La gestion de l’eau peut notamment être appréciée au regard de la vétusté de nos infrastructures et de l’inefficacité de notre système de distribution, où chaque goutte compte désormais.
Je souhaite ici poser une question essentielle : comment peut-on accepter que plus de 20 % de notre eau potable se perde chaque jour en raison de fuites ? Ce chiffre, bien trop élevé, n’est pas seulement une donnée technique. Il est aussi le reflet d’années de sous-investissements dans nos réseaux d’eau.
La modernisation de nos canalisations, qui représentent plus de 900 000 kilomètres de réseau déployé à travers la France, n’avance qu’à un rythme de 0,67 % de renouvellement par an. Si l’on continue ainsi, il faudra plus d’un siècle pour remettre à neuf l’ensemble du réseau !
Dans la continuité de ce qui avait été proposé par Nathalie Delattre et le groupe du RDSE lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, je suggère la création d’un fonds bleu de solidarité pour soutenir la rénovation des réseaux d’eau en France.
Toutefois, la mise en place de ce fonds ne pourra pas être efficace si les recettes des agences de l’eau continuent d’être redirigées vers le budget de l’État. Ce prélèvement compromet en effet la capacité de ces agences à investir directement dans l’entretien et l’amélioration des infrastructures hydriques locales.
Si ce transfert budgétaire est maintenu dans les années à venir, d’autres sources de financement devront être envisagées, comme l’établissement de contributions fondées sur la consommation d’eau, sur le modèle de l’ancien fonds national pour le développement des adductions d’eau. Ce fonds, financé en partie par une taxe sur les paris du PMU et par une redevance sur l’eau potable, pourrait servir de référence.
Une fois financé, ce fonds bleu pourrait être redistribué prioritairement aux communes et aux syndicats dont les infrastructures sont les plus dégradées. En Gironde, par exemple, de nombreux syndicats de petite taille peinent à assurer l’entretien de leur réseau, en comparaison de ce qui se fait dans les grandes villes comme Bordeaux.
En partenariat avec les agences de l’eau, les conseils départementaux doivent également apporter un soutien technique aux plus petites communes pour cibler les rénovations et optimiser leur coût.
Enfin, assurer la gestion de l’eau, c’est aussi garantir son optimisation. En ce sens, madame la ministre, je salue votre volonté de compléter le plan Eau sur la protection des captages d’alimentation.
Il faudra aussi sensibiliser toujours plus la population sur les usages non essentiels de l’eau potable, que l’on doit réserver à la consommation humaine et à la préservation de la santé publique.
Si l’été 2024 a vu, comme les précédents, se multiplier les signaux d’alarme, nous avons encore le temps d’agir pour préserver l’eau, cette ressource précieuse pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe CRCE-K)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Madame la sénatrice Conte Jaubert, comme le collègue qui vous a précédée, vous nous avez donné beaucoup d’éléments qui « plantent le décor » de ce débat. Je vous remercie d’avoir mentionné que vous souteniez la feuille de route du ministère sur la protection des captages.
Pour ce qui est de la résorption des fuites d’eau, je tiens à préciser que l’accompagnement des agences de l’eau, notamment sous la forme d’investissements, concerne 57 % des 170 collectivités locales qui sont considérées comme des points noirs. Certes, tous les sujets ne sont pas résolus, mais la trajectoire est lancée.
Le problème concerne particulièrement les outre-mer. Si les taux de fuite sont en moyenne de l’ordre de 20 %, ils peuvent dépasser 60 % dans certains territoires ultramarins. C’est donc une nécessité absolue de nous y attaquer.
L’enjeu sera d’accompagner l’évolution du budget des agences de l’eau. En effet, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit de reporter à 2026 la hausse de leur plafond de recettes. Je tiens à préciser que, théoriquement, cela ne posera pas de problème compte tenu des projets déjà engagés pour 2025. Nous aurons probablement l’occasion d’y revenir lors du débat budgétaire. Bien évidemment, ce qui importe, c’est le niveau de trésorerie des agences de l’eau.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les événements dramatiques survenus récemment en Espagne illustrent de façon tragique les conséquences dévastatrices du dérèglement climatique sur le cycle de l’eau.
Les sécheresses et les inondations extrêmes qui se succèdent à travers l’Europe révèlent l’ampleur de la crise hydrique qui nous menace. Les scientifiques prédisent une intensification des sécheresses, sur la base d’un réchauffement moyen de 4 degrés Celsius à l’horizon 2100 – cela correspond à la prévision du Gouvernement – et d’une baisse de 30 % à 40 % de la quantité d’eau disponible d’ici à 2050.
En France, les effets sont déjà visibles, qui prennent la forme d’un assèchement des sols, d’une baisse drastique du niveau des nappes phréatiques et de tensions exacerbées entre les différents usages.
L’intensité des périodes de sécheresse que nous avons connues ces dernières années et leur fréquence accrue percutent sérieusement notre gestion de cette ressource vitale. Elles rappellent également l’urgence qu’il y a à mettre en œuvre une politique de régulation et de partage de l’eau à la hauteur des enjeux. L’heure est venue de repenser en profondeur notre modèle de gestion de l’eau.
C’est pourquoi j’attire votre attention, ce soir, sur trois sujets qui méritent réflexion : les mécanismes de concertation pour la gestion de l’eau, les fuites d’eau et le prix de l’eau.
L’eau est un bien commun qu’il faut s’efforcer de rendre accessible à tous. De ce fait, sa gestion doit être collective et équitable, particulièrement en période de rareté.
Or certaines situations préoccupantes soulèvent des interrogations fondamentales. J’ai récemment pris connaissance de ce que vivait un riverain du château de Savoye, dans le Cher, lequel ne peut que constater l’assèchement de la rivière Villabon trois à six mois par an, à la suite de la création d’une retenue d’eau en amont. Cette construction, autorisée par la préfecture, a été réalisée sans étude préalable sérieuse et sans aucune consultation des parties concernées.
Il s’agit d’une question environnementale, mais également d’ordre public : comment préviendrons-nous la montée des tensions liées à l’eau alors que celle-ci se raréfie ? Les décisions unilatérales et les conflits d’usage ne feront que s’intensifier si nous ne mettons pas en place des mécanismes de concertation robustes.
La mesure 33 du plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau – d’ici à 2027, « chaque sous-bassin versant sera doté d’une instance de dialogue » – est un premier pas. Toutefois, des questions cruciales restent sans réponse : quelle sera l’autorité réelle de ces instances locales pour trancher, dans des cas de conflit d’usage ? Quelles solutions sont envisagées à l’échelle locale en matière d’adaptation à des variations saisonnières extrêmes ?
Une première solution pour réduire la fréquence des conflits d’usage serait de ne pas gaspiller la ressource. Pourtant, certaines de nos communes voient jusqu’à 30 % de leur eau potable se perdre au travers de fuites dans les réseaux de distribution. À l’échelle nationale, le rendement moyen des réseaux est de 81 %, ce qui signifie qu’environ 19 % de l’eau destinée à la consommation se perd avant même d’être distribuée à nos concitoyens.
Dans le contexte actuel de sécheresses répétées, où nous demandons des efforts considérables à la population pour réduire sa consommation, ce niveau de rendement est loin d’être suffisant.
Les collectivités locales sont en première ligne face au défi de l’approvisionnement. Toutefois, elles peinent à faire face à la complexité technique et aux coûts élevés des travaux nécessaires pour moderniser leurs infrastructures de distribution et d’assainissement.
Le Gouvernement a bien pris connaissance de cette problématique, qui est identifiée dans le plan Eau. Au total, 170 points noirs ont été répertoriés par les services de l’État, soit 170 communes, intercommunalités ou syndicats où 50 % de la ressource est perdue dans les canalisations : un litre sur deux est gâché.
Les agences de l’eau pourraient jouer un rôle essentiel dans l’accompagnement technique des collectivités pour détecter, pour réparer et pour prévenir les fuites sur les réseaux, mais elles manquent de moyens. Dans ce contexte, quelles solutions proposez-vous, madame la ministre, pour accompagner les collectivités dans la modernisation de leurs infrastructures et dans la réduction de ces pertes ?
Par ailleurs, l’eau est particulièrement bon marché en France par rapport à d’autres pays européens. Ce faible coût, tout en étant un facteur de justice sociale, envoie également un signal ambivalent quant à la valeur de la ressource, dont la rareté se fait de plus en plus sentir. Actuellement, dans notre pays, le prix moyen de l’eau potable est d’environ 3,56 euros par mètre cube, soit 11 % de moins que la moyenne européenne. Ce tarif ne reflète pas l’ensemble des efforts nécessaires pour garantir à chacun un approvisionnement en eau propre et potable.
Ces efforts, déjà coûteux à l’heure actuelle, le seront de plus en plus dans les années à venir. Comme mentionné précédemment, des investissements importants, indispensables pour rénover notre réseau vieillissant et pour limiter les pertes liées aux fuites, devront inclure les coûts additionnels associés aux défis posés par le dérèglement climatique.
Alors que vous promouvez, madame la ministre, la sobriété comme une valeur cardinale, la question du prix de la ressource sera-t-elle à l’agenda ? Autrement dit, si tant est que « l’eau paie l’eau », le coût des travaux nécessaires pour moderniser notre système d’approvisionnement sera-t-il répercuté sur les tarifs ?
Madame la ministre, lors de votre dernière audition par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, que j’ai l’honneur de présider, vous avez évoqué le besoin de repenser la gestion de la ressource. Aujourd’hui, en portant à votre attention ces pistes de réflexion, je vous propose d’aller plus loin, en contribuant au débat sur notre gestion de l’eau, et de consacrer réellement sa valeur de bien commun. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDSE, GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le président Longeot, j’ai déjà indiqué qu’au moins 57 % des 170 collectivités et syndicats « points noirs » sont accompagnés par les agences de l’eau. L’un des objectifs du plan Eau est de faire en sorte que toutes les collectivités locales concernées reçoivent une réponse.
Cela suppose – vous avez fait le lien – de nous pencher, sans tabou, sur la question du financement des agences de l’eau, qui sera un sujet de la conférence nationale sur l’eau que le Premier ministre souhaite lancer à l’occasion du soixantième anniversaire de la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, dite loi Eau. Nous devons faire face à un mur d’investissement.
Il faut d’ailleurs faire en sorte que ces redevances – c’est une des réformes que nous voulons défendre – tiennent également compte de la performance des réseaux, et ce pour inciter à investir, entre autres, dans la lutte contre les fuites. Vous connaissez aussi les enjeux autour de la redevance pour pollution diffuse.
Au-delà de ces sujets dont nous devons nous emparer, que signifie « payer le juste prix » d’une eau disponible à la fois en quantité suffisante et – ce qui est un élément majeur pour la préservation de notre santé – en qualité ?
Concernant les mécanismes de concertation, la conférence nationale sur l’eau, qui a vocation à être déclinée bassin par bassin, donnera l’occasion de se pencher sur le fonctionnement des instances de dialogue prévues. Nous ne disposons actuellement d’aucune autorité « mordante » ; aussi, c’est également par la concertation que nous arriverons à résoudre les conflits d’usage.
Nous connaissons les deux enjeux : réduire tout ce qui relève du gaspillage, à savoir les fuites et les usages qui ne sont pas essentiels dans les moments de tension, et réutiliser la ressource en son entier. Sur ce dernier sujet, nous avons beaucoup à apprendre d’autres pays, car nous ne sommes pas les meilleurs « réutilisateurs » d’eau : même si nous avons publié des textes en la matière en début d’année, nous disposons, notamment dans ce domaine, d’une marge de progression importante.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE. – M. Rémy Pointereau applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans vouloir revenir, en guise de préambule, sur l’histoire de l’humanité, je rappelle que la sédentarisation humaine et l’évolution à travers les siècles de toute société n’ont pu avoir lieu qu’à partir d’une gestion de l’eau efficace.
Le bilan de l’été 2024 pourrait être le suivant : il est plus simple de gérer une ressource quand elle est abondante. Il est vrai que nous n’avons pas manqué d’eau cet été. Le mois de juin a été excédentaire de 20 % en précipitations et juillet a été dans les normales de saison, même si le mois d’août s’est montré très sec, avec 25 % de précipitations en moins par rapport aux normales.
Cet été est donc dans la moyenne. Il a pu sembler plus humide que d’habitude pour certains territoires parce que les étés récents ont été plus secs et que les différences ont été notables d’une région à l’autre.
Ces variations, aléatoires, d’une année sur l’autre confortent l’idée que nous devons renforcer les moyens de l’État et de ses établissements publics pour élaborer des méthodologies fiables de prévision des disponibilités futures de la ressource en eau. C’était déjà une des recommandations figurant dans le rapport d’information pour la délégation sénatoriale à la prospective Éviter la panne sèche - Huit questions sur l’avenir de l’eau, que nous avions rédigé Jean Sol, Catherine Belrhiti, Alain Richard et moi-même.
Nous avons en tête les images de la catastrophe récente en Espagne. Les événements que nous avons connus dans notre pays sont bien évidemment sans commune mesure, mais rappelons que la pluie a pu tomber violemment en France également : certains orages ont, d’un côté, rempli les nappes phréatiques, de l’autre, causé des dégâts localement.
Sans vouloir évoquer toutes les crises, je mentionnerai les crues torrentielles en Isère à la fin du mois de juin dernier, les coulées de boue en Haute-Marne en juillet ou les pluies exceptionnelles dans le Morbihan au mois d’août. Je pense également aux fortes précipitations et aux inondations qui se sont ensuivies, le 17 octobre dernier, dans la vallée du Gier, dans les monts du Pilat et dans le nord-Ardèche.
Toutes nos actions auront des incidences lors des moments de catastrophe. Il faudra bien sûr encourager les aménagements favorisant l’infiltration des eaux de pluie. Cette recommandation de notre rapport d’information n’est toutefois pas le seul moyen de prévention. La question du stockage de l’eau, avec intelligence et en concertation avec les acteurs de la ressource, se posera également.
Madame la ministre, je vous rappelle les engagements pris par certains de vos prédécesseurs sur les retenues collinaires. Dans beaucoup de départements, ces dernières ne trouvent pas actuellement de débouchés, bien qu’il existe des plans départementaux en la matière, qui ont été élaborés, en prenant du temps, avec l’ensemble du monde agricole.
M. Laurent Burgoa. C’est exact.
Mme Cécile Cukierman. Une météo locale de l’eau, déclinée par bassin versant, pourrait avoir du sens. Nous devrons renforcer les moyens de nos services publics pour fonctionner à cette échelle et pour améliorer ainsi la prévention des risques.
Les défis sont devant nous. Il faut donc prévoir la surabondance de la ressource et les fortes pluies, mais nous devons aussi avoir en tête les risques de manque d’eau. Un « en même temps » de la gestion de l’eau, si j’ose dire, madame la ministre, reste à faire !
Nous devons mieux surveiller l’état de nos cours d’eau en renforçant les dispositifs existants et en les contrôlant au fil du temps, tout comme nous devons contrôler l’état de nos nappes phréatiques. Cette connaissance est nécessaire au bon fonctionnement de notre société de sorte que nous continuions à permettre tous les usages, dans le respect de chacun d’entre eux : eau potable domestique, usage agricole, industriel, touristique ou énergétique.
Au travers de la première recommandation de notre rapport, nous faisions le lien avec cet objectif : permettre pour toutes et pour tous un partage équitable de l’eau, dans un contexte de raréfaction hydrique et de sobriété.
Pour tout cela, il faudra des moyens. Nous avions proposé de supprimer d’ici à la fin de 2023 le « plafond mordant » de recettes et de relever les plafonds d’emplois et les plafonds de dépenses des agences de l’eau. Au lieu de cela, le Gouvernement les maintient au niveau de 2024 dans le projet de loi de finances à venir.
Si nous nous réjouissons que les communes qui le souhaitent puissent bientôt conserver, dans le cadre des communautés de communes, leurs compétences « eau » et « assainissement », celles-ci ne s’exerceront correctement qu’avec des moyens en cohérence avec nos objectifs.
Je fais partie de ceux qui affirment que nous avons besoin d’une nouvelle loi sur l’eau. Celle-ci est nécessaire, car nous ne pouvons pas additionner seulement des mesurettes ! Le Premier ministre lui-même l’a rappelé : il nous faut une grande conférence sur l’eau, nationale et territorialisée, pour répondre aux différents enjeux des usages.
Pour conclure, je veux préciser que, si nous améliorons nos connaissances sur l’eau, sa gestion et son partage, celle-ci peut aussi devenir une opportunité économique, notamment énergétique. Nous pouvons profiter de cet élément naturel pour soutenir les énergies renouvelables, avec la production hydroélectrique et les stations de transfert d’énergie par pompage (Step) et aboutir ainsi à une stratégie nationale ambitieuse, territorialisée, nous donnant la capacité de mieux réguler les effets des fluctuations de précipitations.
Je ne reviens pas, madame la ministre, sur l’enjeu à venir de la réutilisation des eaux usées, car vous venez de l’évoquer. Notre pays est très en retard.
Je tiens à remercier le groupe Les Républicains de nous avoir permis de débattre ce soir sur ce sujet. J’espère que nos échanges permettront de mieux nous saisir de l’enjeu de la gestion de l’eau. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Premièrement, madame la sénatrice Cukierman, il se trouve que, dans une vie professionnelle antérieure, je me suis penchée un certain nombre de fois sur la question des retenues collinaires : elles fonctionnent très bien, je peux vous l’assurer !
Mme Cécile Cukierman. Je partage !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Nous défendons le fait de procéder à leur réalisation dans le cadre de projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) pour que le partage de la ressource soit anticipé et clair entre les différents usagers.
Deuxièmement, je suis tout à fait d’accord avec vous sur la nécessité qu’il y a à mieux surveiller l’état de nos cours d’eau. Par ailleurs, cette surveillance est importante pour bien maîtriser le cycle de l’eau, ce d’autant que nos perspectives changeront peut-être avec le dérèglement climatique. En effet, les évolutions risquent d’être assez signifiantes dans les années qui viennent – nous en sommes conscients – et, faute de savoir exactement de quelle manière et dans quelle direction, nous ne pouvons pas nous prévaloir de nos connaissances.
Pour lutter contre les inondations, il faut placer tous nos cours d’eau sous la surveillance de Vigicrues. Notre ambition est d’atteindre cet objectif d’ici à 2030, mais les inondations récentes devraient nous amener à accélérer autant que possible.
Troisièmement, j’ai déjà évoqué l’enjeu de la réutilisation et j’ai répondu à la question du relèvement du « plafond mordant » de recettes, en parlant non pas d’une remise en question, mais d’un décalage à 2026.
Enfin, j’abonde dans votre sens sur les opportunités énergétiques. L’hydroélectricité et les Step ont de nombreux avantages : pilotables, décarbonés, compétitifs, etc. Toutefois, il ne faut pas considérer ces sources d’énergie comme un « plus » – c’est leur seul problème. Là aussi, en effet, le dérèglement climatique nous apprend à rester vigilants : protéger notre potentiel hydraulique, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, est déjà une bonne chose.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, je suis ravi que nous ayons ce débat ce soir. Je craignais un peu qu’il ne tourne autour de la question : pour ou contre les mégabassines ? Or Jean Sol, que j’ai écouté avec attention, exprime clairement par ses mots – « récupérer l’eau surabondante », savoir gérer « avec discernement » – un refus de ces installations !
D’ailleurs, le tribunal administratif de Poitiers vient de limiter fortement les capacités de pompage d’été dans les nappes phréatiques. Au vu de cette décision et du nombre de recours qui ont été engagés, je ne suis pas certain que, à la fin, nous compterons encore beaucoup de mégabassines !
Jean-François Longeot et Mireille Conte Jaubert mentionnaient l’enjeu central du réseau d’eau potable, qui connaît des pertes importantes. La remise en état de ce dernier coûte beaucoup d’argent, mais, puisque l’eau n’est pas chère en France – je vais tout à fait dans le sens de Jean-François Longeot –, nous disposons certainement de marges de manœuvre.
En préparant ce débat, j’ai d’ailleurs découvert avec intérêt que le nucléaire français paie l’eau 0,1 euro alors que l’agriculture la paie 1 euro. Le monde agricole ne peut que dénoncer cette inégalité. J’espère, madame la ministre, que vous serez capable de rétablir l’équilibre : il serait alors possible de dégager des moyens susceptibles d’améliorer les réseaux.
De plus, nous connaissons actuellement des problèmes aigus de qualité des eaux. Nous avons tous lu les derniers rapports sur les risques liés aux nouveaux perturbateurs endocriniens, comme le flufénacet. Face à cet enjeu majeur, il faut certainement imaginer à présent, madame la ministre, une taxe sur les entreprises à l’origine de ces polluants diffus. Elle créerait également de nouvelles ressources pour répondre à l’enjeu de la qualité des réseaux. Pour résumer les choses : l’eau ferrugineuse, oui, l’eau pleine de perturbateurs endocriniens permanents, non ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
En outre, je note, madame la ministre, que vous avez tenu un propos très clair sur la protection des points de captage d’eau. Je vous signale à ce sujet que, à l’Assemblée nationale, mon collègue Jean-Claude Raux vient de déposer une proposition de loi pour protéger durablement la qualité de l’eau potable. Je ne doute plus du soutien du Gouvernement à ce texte extrêmement important ! En effet, le défaut de protection des points de captage oblige ensuite les collectivités territoriales à engager beaucoup de dépenses pour garantir la qualité de l’eau distribuée.
Madame la ministre, je viens de vous donner deux exemples de recettes possibles sur la ressource en eau dans un moment où le budget de l’État est pour le moins contraint. Même si j’ai bien compris votre argument du simple décalage dans le temps pour les plafonds de recettes, vous n’êtes donc pas obligée d’essorer de nouveau la trésorerie des agences de l’eau pour rééquilibrer le budget de l’État, même s’il s’agit d’une tradition gouvernementale…
Nous avons besoin de diriger cet argent vers l’eau. Il est important pour le contribuable que ce qu’il paie pour l’eau aille à l’eau ! Nous pourrions élargir le propos : il est important que ce que le contribuable paie pour le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier, reste au fonds Barnier et donc à la prévention et à la lutte contre les catastrophes naturelles. En effet, 200 millions d’euros disparaîtront de ce fonds pour retourner au budget de l’État.
J’en viens à mon point principal, madame la ministre, que Jean-François Longeot et vous mentionniez : il a été peu question jusqu’à présent des projets de territoire pour la gestion de l’eau alors qu’ils constituent une des grandes conclusions du Varenne de l’eau.
Rien n’est plus anxiogène et susceptible de créer des tensions dans la société que la gestion de l’eau. Il suffit de revenir à Marcel Pagnol et à Manon des sources !
Les PTGE traduisent notre capacité collective à gérer au mieux la ressource et à créer du consensus sur le terrain, en réunissant l’ensemble des acteurs économiques et agricoles ainsi que les collectivités. C’est véritablement la direction que nous devons emprunter, sans quoi nous irons vers une société de plus en plus sous tension. Malheureusement, c’est un peu la tendance générale.
En 2022, un certain nombre de propositions ont été formulées dans un rapport de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable pour augmenter le nombre des PTGE, une cinquantaine de ces projets de territoire ayant été mis en place, cependant que l’objectif de l’État est d’atteindre en 2027 la centaine. Madame la ministre, êtes-vous prête à aller plus loin et à partir de ce rapport pour renforcer ces projets en leur donnant peut-être la même force que celle des programmes d’actions de prévention des inondations (Papi) ? Si nous ne créons pas le consensus sur l’eau, alors nous ne le créerons sur aucune des questions redoutables qui sont devant nous en matière d’adaptation au changement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Dantec, un comique de répétition prend forme autour du nucléaire… Ces installations rendent 90 % de l’eau prélevée au milieu, comme vous le savez.
M. Ronan Dantec. Légèrement réchauffée !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. C’est parfaitement exact : légèrement réchauffée, selon des valeurs limite qui font l’objet d’un suivi rapproché, y compris au regard des effets de ces rejets sur l’écosystème. D’autres prélèvements se font sans que l’eau soit restituée par la suite, ce qui explique la différence de tarification.
La feuille de route fixée à partir de la directive du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite directive Eau potable, comprend la protection des captages. Nous n’avons donc pas besoin d’un véhicule législatif pour défendre celle-ci et les enjeux qui lui sont liés : compréhension et suivi scientifiques, prise en compte du travail réalisé à l’échelle de la maille territoriale et du travail avec les agriculteurs. En revanche, il faut publier des arrêtés importants avant la date de mise en œuvre déterminée de cette feuille de route, notamment sur les points de prélèvements sensibles.
Les PTGE s’articulent avec les plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE). Notre objectif est que, dans l’idéal, ces projets de territoire couvrent tout le pays, dans une logique de concertation sur l’ensemble du territoire français. La conférence nationale sur l’eau est une illustration de ce que nous défendons puisqu’elle a vocation à se tenir à l’échelle de chaque bassin dans le cadre d’une gouvernance ouverte s’appuyant sur celle des agences de l’eau.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et GEST.)
M. Hervé Gillé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malheureusement, l’été 2024 ainsi que les dramatiques événements espagnols nous ont, une fois encore, démontré l’urgence d’une gestion raisonnée et équilibrée de notre ressource en eau. En Gironde, comme dans de nombreux territoires, nous avons vécu des épisodes contrastés : des périodes de sécheresse ont été suivies de précipitations parfois excessives. Cette situation nous impose de repenser en profondeur notre rapport à l’eau et d’adopter une approche globale et cohérente.
Premièrement, nous devons faciliter la pénétration naturelle de l’eau dans nos sols. C’est la clé de voûte d’une gestion durable de notre ressource, car les nappes phréatiques sont nos réserves naturelles et leur recharge doit être notre priorité. Concrètement, cela signifie repenser nos pratiques d’aménagement du territoire.
En Gironde, certaines collectivités ont déjà mis en place des projets pilotes prometteurs. À Bordeaux Bacalan dans le quartier des Bassins à flot, plusieurs hectares derrière la base sous-marine ont été désimperméabilisés. Le projet d’ampleur, de plus de 100 millions d’euros, du champ captant des Landes du Médoc, qui vise à alléger les prélèvements sur la nappe profonde, est également un projet de solidarité territoriale, accompagné par l’agence de l’eau Adour-Garonne dans son douzième programme.
Deuxièmement, ma position sur les retenues collinaires est claire : ces ouvrages peuvent être pertinents, mais uniquement lorsqu’ils s’inscrivent dans un véritable projet de territoire. Ils doivent être non pas une solution de facilité, mais un outil parmi d’autres dans une stratégie globale. Quand ils sont bien conçus et bien intégrés, ces ouvrages multi-usages permettent de stocker l’eau en période d’abondance pour la restituer lors des périodes de stress hydrique.
Outre les travaux de la délégation sénatoriale à la prospective qu’a mis en avant Jean Sol, la mission sénatoriale de 2023 sur la gestion durable de l’eau, dont j’ai été avec plaisir rapporteur, a formulé à ce titre des recommandations fortes, qui restent d’actualité.
Il est essentiel de garantir des procédures claires s’inscrivant dans des délais raisonnables d’autorisation et de déclaration des ouvrages de retenue. Il faut conditionner l’autorisation d’édification de ces derniers à des contrats d’engagements réciproques, portant notamment sur des changements de pratique, et mettre en place un suivi fin de leur fonctionnement et de leurs effets une fois bâtis. Cette contractualisation doit être développée quels que soient les usages pour engager l’ensemble des parties prenantes sur des objectifs communs.
Troisièmement, nous devons impérativement développer une stratégie de sobriété hydrique. Cela passe par plusieurs leviers : une meilleure gestion des eaux pluviales, notamment en milieu urbain, grâce à des systèmes de récupération et de réutilisation, la protection et la restauration de nos zones humides, véritables éponges naturelles qui jouent un rôle crucial dans la régulation du cycle de l’eau, et l’accompagnement de nos agriculteurs vers des pratiques plus économes, de manière à leur permettre de changer de modèle, sans doute avec l’appui des collectivités territoriales. Certaines régions jouent actuellement le jeu de cette politique par le biais des fonds européens.
Les zones humides sont essentielles. Leur préservation n’est pas qu’une question environnementale : elle est un enjeu de résilience territoriale.
Par ailleurs, il est particulièrement important, à cette fin, que la gestion des eaux pluviales soit intégrée dans les documents d’urbanisme. La planification urbaine doit impérativement inclure des solutions efficaces en la matière pour prévenir les pertes de cette ressource précieuse et éviter les risques d’inondation.
Une meilleure qualification des réseaux hydrologiques est donc essentielle pour assurer le ressuyage des sols, leur régénération naturelle et l’évacuation contenue des eaux pluviales. Cela permettrait de mieux gérer l’eau à l’échelle du territoire, de limiter l’imperméabilisation des sols et de garantir une évacuation contrôlée des eaux pluviales, notamment en période de fortes pluies.
Une telle approche doit être systématiquement intégrée dans les documents d’urbanisme afin de structurer une gestion durable et préventive à l’échelle de chaque commune.
Nous l’avons vu également dans le Pas-de-Calais : la qualité des réseaux hydrologiques est essentielle et doit nous intéresser prioritairement.
Mes chers collègues, la gestion de l’eau est une question non plus technique, mais politique, au sens général : c’est un défi de société qui nécessite une approche systémique. Les événements de l’été 2024 nous ont montré que nous devons agir vite, mais surtout intelligemment, et mobiliser tous les moyens nécessaires, notamment en matière de prévention. Nous en avons débattu avec vous, madame la ministre, au travers du fonds Barnier. Les moyens de ce dernier ont été rehaussés de 75 millions d’euros : il faudra peut-être essayer d’utiliser la totalité de ses 450 millions d’euros.
L’examen budgétaire sera l’occasion, au-delà des postures et des discours, de savoir qui, concrètement, souhaite agir pour protéger la ressource en eau, en renforçant les moyens alloués à sa protection. Il n’y aura pas de politique de l’eau ambitieuse sans moyens financiers ambitieux. Varenne de l’eau, plan Eau, etc. : la grande conférence sur l’eau est attendue, mais il ne faut pas en rester à l’incantation. Donnons-nous la capacité d’agir ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cécile Cukierman et M. Pierre Jean Rochette applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Gillé, dans votre propos, vous mettez en avant de nombreuses pistes : récupération, réutilisation, nécessité de désimperméabiliser certains territoires, etc. En effet, comme nous l’avons vu récemment, l’imperméabilisation des sols est un facteur aggravant des inondations auxquelles nous faisons face. Cela montre bien qu’il est vain d’opposer le « zéro artificialisation nette » (ZAN) à d’autres politiques de protection des territoires et des populations dans ce contexte de dérèglement climatique.
À cet égard, les zones humides ne sont pas des « distractions » ; ce sont des éléments essentiels de gestion du cycle de l’eau. Les événements récents à Valence et leur caractère dramatique nous placent face à nos responsabilités, y compris au cœur d’agglomérations importantes. Ils doivent nous inviter à être particulièrement humbles et à mettre réellement en œuvre toutes les politiques de préservation du cycle de l’eau.
Un plan d’intégration des eaux pluviales dans les documents d’urbanisme, au fur et à mesure de leur mise à jour, a été publié en 2022. Il constitue un point d’appui. Nous savons tous que ces mises à jour sont un parcours long et compliqué, qui suppose des ressources de la part des collectivités locales et donc un besoin d’accompagnement en ingénierie de ces dernières.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (M. Jean-François Longeot applaudit. – Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face au caractère désormais irréversible des mutations entraînées par le changement climatique, nous sommes contraints d’accélérer nos transitions et d’adopter une stratégie d’atténuation et d’adaptation.
Les défis liés aux sécheresses répétées et aux tensions croissantes entre les différents usages de l’eau – agriculture, consommation domestique, industrie, loisirs – nous rappellent que l’eau est une ressource précieuse.
Il est indispensable que nous trouvions des solutions pour une gestion efficace de cette ressource : le bilan de l’été 2024 en est une nouvelle démonstration.
Certains territoires, notamment dans l’Ouest et dans le Sud-Est, ont dû faire face à des déficits de précipitations, suivis, par endroits, d’épisodes pluvio-orageux. À l’inverse, certaines zones, comme le Bassin parisien, la Champagne-Ardenne, les Hauts-de-France ou le Massif central, ont connu des pluies diluviennes et des orages violents, ces événements provoquant inondations et importants dégâts – nous en savons quelque chose, malheureusement, dans mon département de la Loire.
Au début du mois de septembre, tandis que vingt départements ont dû mettre en œuvre des mesures de crise en matière de restriction des usages de l’eau, huit autres étaient placés en vigilance pluie-inondation et orages par Météo-France. Voilà un paradoxe avec lequel, malheureusement, nous allons devoir apprendre à vivre…
Délocalisation des bassins de production, déplacements de populations, concurrence pour le foncier et pour l’accès à la ressource en eau : ces phénomènes créent des tensions et des arbitrages doivent être faits. La gestion de l’eau constitue un sujet crucial, à l’échelle des territoires.
Dès lors, plusieurs leviers peuvent être actionnés et différents aménagements sont possibles pour assurer une gestion plus efficiente de cette ressource, et notamment des excédents d’eau : zones tampons, enherbement, haies, lacs, retenues collinaires – je vais mettre l’accent sur ce dernier sujet, qui a déjà été évoqué par les orateurs précédents.
Technique chère aux agriculteurs, en particulier dans mon département, et utilisée depuis l’Antiquité, la retenue collinaire permet de stocker l’eau de surface quand celle-ci ruisselle – je vous épargne le raisonnement, vous le connaissez par cœur : Mme la ministre nous a même expliqué qu’elle avait eu l’occasion, dans une vie précédente, de mettre en service quelques-uns de ces ouvrages…
Cette solution présente de nombreux avantages : d’un côté, l’eau ainsi stockée permet de limiter le recours au pompage des nappes et rivières pour l’irrigation et pour de multiples autres usages, selon les besoins du territoire ; de l’autre, et au gré d’un travail qui associe villes, régions et comités de bassin, le positionnement de ces réserves devient un outil majeur dans la prévention des catastrophes naturelles, car il réduit les risques d’érosion et d’inondation auxquels sont exposées les communes se trouvant à proximité.
M. Philippe Folliot. C’est vrai !
M. Pierre Jean Rochette. Hélas ! les tensions autour des réserves d’eau se sont accentuées ces dernières années, entre besoins agricoles et préoccupations écologiques notamment – ne faisons pas l’erreur d’opposer les deux ! À cela s’ajoutent des obstacles économiques et des exigences environnementales, ainsi que la complexité et la lenteur des démarches administratives – en particulier pour nos agriculteurs.
M. Laurent Burgoa. C’est vrai aussi !
M. Pierre Jean Rochette. L’eau est un bien commun dont l’usage doit être équilibré ; mais il est indispensable de nous adapter vite et d’éviter les oppositions de principe. Les retenues collinaires sont des solutions efficaces et durables de gestion de l’eau.
À condition de privilégier une approche pragmatique et ancrée dans la réalité des besoins et des équilibres environnementaux, il est possible de mettre en œuvre une gestion de l’eau répondant aux enjeux climatiques tout en restant à l’écoute des différents acteurs concernés.
Dans les territoires ruraux, les agriculteurs souhaitent une simplification des procédures applicables à la création de retenues collinaires.
M. Philippe Folliot. C’est sûr !
M. Pierre Jean Rochette. Ma question est la suivante, madame la ministre : comment pouvons-nous travailler ensemble pour faciliter la mise en œuvre de ces projets vitaux pour l’avenir de notre agriculture, de notre monde agricole et, par conséquent, de notre souveraineté alimentaire ? (Applaudissements sur des travées des groupes UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Rochette, je ne reviendrai pas sur la situation que vous avez vécue, vous et tous les habitants de votre territoire. Nous étions ensemble il y a quelques jours pour mesurer, sur place, les conséquences des terribles inondations qu’a connues votre département. Si je les qualifie de « terribles », c’est qu’elles ont été plus brutales encore que celles qui ont touché le Pas-de-Calais voilà un an : la présence d’embâcles a causé d’amples destructions, des cours d’eau ont changé de lit, des maisons ont été ravagées. Il est quasi miraculeux que nos services de secours aient réussi à venir en aide à l’ensemble des habitants sans qu’il y ait eu à déplorer de décès ou de blessés graves.
J’en viens au sujet des retenues collinaires : on ne saurait dire que ces infrastructures sont sans impact environnemental. Comme pour tout projet, il faut une étude d’impact préalable, pour évaluer notamment les incidences de l’installation sur la biodiversité. C’est pourquoi il ne peut être envisagé de créer de telles retenues que dans le cadre d’un projet de territoire pour la gestion de l’eau, l’idée étant toujours de trouver le juste milieu.
L’un des enseignements des travaux menés ces douze derniers mois dans le Pas-de-Calais, où l’on a pris presque un an d’avance, par rapport à d’autres territoires exposés aux inondations, dans la réalisation de travaux d’urgence et de travaux structurants, c’est qu’il existe un certain nombre de hiatus dans nos réglementations : il arrive que les textes disent tantôt noir et tantôt blanc sur le même sujet. Voilà qui peut, assez paradoxalement, retarder la mise en œuvre de travaux qui sont pourtant des travaux de protection de la population et de la biodiversité.
En la matière, nous devons nous améliorer ; c’est dans cette direction, mesdames, messieurs les sénateurs, que je nous proposerai d’avancer.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la gestion de l’eau représente un défi qu’il faut relever pour garantir un partage équitable et raisonné de cette ressource, et ainsi assurer l’avenir des générations futures.
Pour relever ce défi, cinq conditions me paraissent essentielles.
Premièrement, il faut évaluer.
Il est impératif de disposer d’une connaissance la plus fine possible de la ressource en eau souterraine et superficielle sur tous nos territoires de plaine, de demi-montagne et de haute montagne. Tous les moyens de prospection et de recherche doivent être mis en œuvre à cet effet.
Deuxièmement, il faut protéger.
Après avoir évalué la quantité disponible, il est essentiel d’assurer la qualité de l’eau selon les usages envisagés : les normes requises sont différentes selon que l’eau est destinée à la consommation humaine, à l’assainissement, à l’irrigation, au stockage, aux loisirs, au thermalisme, etc. Dans une optique d’anticipation des périodes de sécheresse futures, des mesures s’imposent visant la sobriété pour tous les usages.
Troisièmement, il faut rationaliser.
Les rendements des captages et des réseaux d’eau doivent être sécurisés. À l’heure actuelle, les fuites et les déperditions représentent en moyenne 40 % des pertes ; voilà qui n’est pas acceptable en période de sécheresse et de restriction. Il est paradoxal de solliciter économies et rationalisation quand le rendement est si déficitaire. Aussi des efforts doivent-ils porter sur le diagnostic des réseaux et sur la programmation des travaux nécessaires pour colmater les fuites et optimiser le rendement.
Quatrièmement, il faut connecter.
Après avoir évalué, protégé et rationalisé, il convient de partager équitablement la ressource, selon un principe de solidarité, entre les syndicats existants et les communes ou territoires dont les ressources en eau sont insuffisantes. Les solutions sont d’abord locales : elles naissent de l’engagement et de la collaboration des différents acteurs concernés d’un territoire.
Par exemple, dans mon département, un pacte territorial conclu entre un gestionnaire d’eau potable et la société Volvic, acteur privé que chacun connaît, permet de sécuriser la ressource en eau potable et de compléter les actions de sobriété et d’efficience des collectivités. Mais cette solidarité peut et doit s’exprimer sans écarter la libre administration des collectivités locales. C’est là, du reste, tout le – bon – sens de la proposition de loi adoptée par le Sénat visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », texte dont la disposition essentielle, à savoir la suppression du caractère obligatoire du transfert desdites compétences des communes vers les intercommunalités, a été reprise ici même par le Premier ministre.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Jean-Marc Boyer. Cinquièmement, il faut stocker.
Les événements climatiques récents, à savoir les fortes inondations de l’année 2024 consécutives à trois années de sécheresse, devraient conduire, à mon sens, à engager une démarche de stockage de l’eau. Il y va de la simple logique : une telle politique relève du bon sens paysan. Notre ambition à cet égard doit être d’anticiper les effets du changement climatique par un stockage en période de hautes eaux, car on sait depuis plusieurs années que les périodes de sécheresse sont plus fréquentes et plus longues et les épisodes de pluie plus répétés et plus violents.
Les retenues collinaires, voire les bassines, et pourquoi pas les mégabassines – jusqu’à présent, personne n’en a parlé,…
M. Ronan Dantec. Si, si !
M. Jean-Marc Boyer. … mais ce terme n’est pas tabou… –, permettent de stocker l’eau de pluie, peuvent prévenir les inondations et limitent l’érosion des sols.
Après avoir évalué, protégé, rationalisé, connecté et stocké, nous devons tous agir en responsabilité et en solidarité et être très attentifs au coût final payé par le consommateur.
Le défi du changement climatique a des impacts sur tous nos usages. Il impose de faire évoluer nos pratiques, de déployer différentes solutions complémentaires, d’améliorer à la fois la sobriété de nos usages et notre résilience face à l’évolution de la ressource. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Boyer, vous avez décrit par le menu la politique que nous devons mener ; je vais donc avoir du mal ne serait-ce qu’à compléter votre propos ! (Sourires.)
M. Laurent Burgoa. Il faut le nommer ministre ! (Nouveaux sourires. – M. Rémy Pointereau renchérit.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Je ne peux que le commenter.
J’ai déjà évoqué le sujet des PTGE et celui des retenues collinaires. Pour ce qui est des bassines, nous les appelons « retenues de substitution ». (M. Ronan Dantec fait la moue.) La terminologie permet parfois de mettre du liant entre les acteurs…
M. Ronan Dantec. « Bassines » ou « retenues de substitution », c’est du pareil au même…
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Ce qui importe, c’est la manière dont ces ouvrages jouent sur le cycle de l’eau : il faut bien s’assurer, d’une part, que l’usage de l’eau ainsi stockée fait l’objet d’un juste partage et, d’autre part, que l’impact de la constitution de cette ressource sur le cycle de l’eau n’est pas de nature à dérégler ledit cycle ou à accroître la vulnérabilité du territoire concerné. Cette dernière question mérite bel et bien une analyse fouillée, mais, dans l’absolu, il ne faut pas avoir de tabou, s’agissant d’infrastructures qui nous permettent d’augmenter notre niveau de résilience en matière d’accès à l’eau.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth. (M. Ludovic Haye applaudit.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat inscrit à notre ordre du jour par le groupe Les Républicains nous conduit à nous interroger sur la gestion de l’eau : comment préserver cette ressource ?
Je me félicite que nous puissions débattre de ce sujet. Cette thématique nous oblige, en tant que citoyens, mais surtout en tant que législateur. Il n’est pas vain de rappeler combien la gestion de l’eau est vitale, non seulement pour l’avenir de notre planète, mais aussi pour celui de l’espèce humaine. L’eau est en effet une ressource indispensable pour notre santé, pour nos écosystèmes, pour notre agriculture et pour notre économie. Mais, trop souvent, nous prenons cette ressource pour acquise. En plus, nous la croyons éternelle…
Débattant de ce sujet, nous ne saurions faire l’économie de la question du changement climatique. L’accès à l’eau et la gestion de cette ressource demeurent des enjeux majeurs dans le contexte du réchauffement climatique.
D’année en année, nous constatons avec effroi les répercussions sur l’eau dudit réchauffement. Pourtant, les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) n’ont cessé de nous rappeler que « chaque degré supplémentaire de réchauffement de la planète accroîtrait encore les risques de sécheresse et d’inondation, ainsi que les dommages sociétaux qui en découlent ».
C’est ainsi que les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les inondations et les sécheresses, sont de plus en plus fréquents et intenses. J’en veux pour preuve la fermeture actuelle de plusieurs écoles en Guyane : en raison de la sécheresse et d’un niveau exceptionnellement bas du fleuve Maroni, les embarcations qui transportent les élèves ne peuvent plus circuler. Les habitants du Maroni sont ravitaillés grâce à un pont aérien mis en place par l’armée.
Cet été encore, près de quarante départements ont été concernés par des mesures de restriction d’eau, la sécheresse ayant épuisé les ressources en eau plus tôt que d’habitude. Dans le sud-est de la France comme en Bretagne, région habituellement épargnée, on a ainsi observé une baisse significative du niveau des nappes phréatiques.
Nous devons être lucides : les besoins en eau dépassent très régulièrement notre capacité d’approvisionnement et ce phénomène n’est pas près de s’inverser.
Selon de nombreuses études, il apparaît qu’à l’horizon 2050 les débits annuels moyens pourraient diminuer de 10 % à 40 % ; la vitesse de recharge des nappes de 10 % à 25 %, tandis que l’humidité du sol devrait elle aussi être moindre.
La préservation de cette ressource est plus que jamais une priorité absolue. Nous en sommes tous conscients, il convient de faire évoluer nos habitudes, en matière de réutilisation notamment, pour améliorer la gestion de l’eau.
Plusieurs initiatives ont déjà vu le jour pour optimiser l’usage de cette précieuse ressource. Mes collègues de la commission du développement durable Rémy Pointereau et Hervé Gillé recommandaient ainsi, dans le rapport de la mission d’information sur la gestion durable de l’eau, de renforcer les systèmes de réutilisation des eaux usées afin de répondre aux besoins du monde agricole et des industriels.
En effet, selon la Commission européenne, plus de 40 milliards de mètres cubes d’eaux usées sont traités chaque année dans l’Union européenne, dont moins de 1 milliard seulement sont réutilisés. En France, 99 % des eaux usées sont rejetées dans le milieu naturel après leur passage en station d’épuration. Le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau a ainsi prévu la réalisation de 10 % d’économies d’eau d’ici à 2030. À cet égard, la réutilisation des eaux est cruciale ; elle rendra la gestion de cette ressource plus résiliente dans les domaines de l’industrie et de l’agriculture ainsi que dans les usages du quotidien. Madame la ministre, quelles sont les politiques prévues pour atteindre cet objectif ?
Je veux également évoquer la nécessité d’améliorer la gestion des réseaux d’eau. L’ancienne présidente de communauté d’agglomération que je suis connaît les conséquences des fuites d’eau, qui sont principalement provoquées par le vieillissement de nos infrastructures. Chaque année, près de 1 milliard de mètres cubes d’eau sont perdus, soit l’équivalent de 20 % de la production nationale d’eau potable. Autrement dit, pour cinq litres d’eau mis en distribution, un litre retourne directement au milieu naturel sans passer par le consommateur.
Aussi, en tant qu’ultramarine, ne puis-je aborder cette question des réseaux de distribution sans avoir une pensée pour mes compatriotes guadeloupéens. Depuis des mois, une partie des habitants de leur île est privée d’accès à l’eau du robinet à cause de l’état désastreux des réseaux. À maintes reprises, mes collègues guadeloupéens ont interpellé le Gouvernement sur cette question.
Je vous demande, madame la ministre, de soutenir financièrement l’ensemble des collectivités et des syndicats mixtes, particulièrement en zone rurale, dans la perspective d’une amélioration des réseaux de distribution. Quels engagements pouvez-vous prendre en la matière ?
Il ne fait aucun doute que les initiatives engagées en vue d’une telle amélioration, bien qu’elles démontrent notre volonté d’innover, ne parviendront pas à elles seules à stopper l’hémorragie. Mes chers collègues, j’estime que désormais chaque goutte compte. Il est crucial de renforcer les campagnes de sensibilisation menées auprès du grand public, et surtout à destination de la jeune génération. La rareté de l’eau nous impose de changer de paradigme ; chacun, où qu’il se trouve, doit jouer un rôle dans la préservation de cette ressource vitale. (MM. Ludovic Haye et Pierre Jean Rochette applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Madame la sénatrice Phinera-Horth, les territoires ultramarins doivent bel et bien être traités comme des priorités absolues. Les difficultés que nous rencontrons dans l’Hexagone sont en effet plus fortes et plus marquées encore dans ces territoires : à Mayotte, où nous traversons une crise épouvantable d’accès à l’eau potable ; en Guyane, où il y a tantôt trop d’eau, tantôt pas assez, et où, sous l’effet des marées, le biseau salin fragilise périodiquement l’accès à l’eau, rendant inopérants une partie des captages ; en Guadeloupe, où l’état des réseaux est tel que les pertes d’eau sont évaluées non pas à 20 %, mais à plus de 60 %. Et je pourrais multiplier les exemples…
C’est dans ce contexte que les précédents gouvernements ont engagé un plan Eau pour les départements d’outre-mer, assorti de moyens financiers qui continuent d’être déployés. De manière générale, nous souhaitons, avec mon collègue François-Noël Buffet, renforcer la prise en compte des territoires ultramarins. Tel sera du reste l’un des enjeux du prochain comité interministériel des outre-mer : pour répondre à un certain nombre de besoins élémentaires – eau, assainissement, déchets, électricité –, il y a une véritable transformation à opérer dans ces territoires.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Simon Uzenat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, beaucoup l’ont dit avant moi, les tensions politiques et sociales s’exacerbent sur le sujet de l’eau depuis maintenant de nombreuses années, car cette ressource va devenir de plus en plus rare. En France, la quantité d’eau renouvelable disponible a baissé de 14 % entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018. Nous avons perdu 32 milliards de mètres cubes d’eau ; nous pourrions en perdre 50 milliards supplémentaires dans les années qui viennent, sous l’effet du réchauffement climatique.
Se pose également la question centrale – j’y reviendrai – de la qualité de l’eau, qui a des incidences pour nos concitoyens et pour les acteurs économiques. Avec mes collègues Brigitte Devésa et Lauriane Josende, nous avons rendu un rapport d’information sur les entreprises et le climat dans lequel nous pointons en particulier le caractère crucial de ce sujet pour l’agriculture comme pour l’industrie.
Notre collègue vient d’évoquer la réutilisation des eaux usées traitées : on avance, mais, là aussi, avec beaucoup trop de retard. On l’a dit, les tensions sont légion. Il faut pacifier les débats, les apaiser ; il faut, en d’autres termes, plus de démocratie et plus de dialogue, et des moyens à la hauteur. En Bretagne, nous avons installé une assemblée bretonne de l’eau, contre-modèle de Sainte-Soline. Il faut mettre en œuvre ce genre d’initiatives à tous les échelons, des commissions locales de l’eau jusqu’au plan national.
En Bretagne, chacun le sait, la situation est particulière : 75 % de l’eau potable provient d’eaux de surface, soit le double du niveau national. Par ailleurs, la Bretagne est en partie composée d’îles, autre singularité importante.
Pour ce qui concerne la qualité de l’eau, madame la ministre, je souhaite aborder le sujet des polluants éternels, déjà évoqué notamment par notre collègue Ronan Dantec.
M. Grégory Blanc. Bravo !
M. Simon Uzenat. En la matière, les inquiétudes sont très fortes, concentrées depuis quelques heures sur une molécule, l’acide trifluoroacétique (TFA), issu de la dégradation du flufénacet.
Cette affaire suscite beaucoup d’interrogations. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ne semble pas avoir été saisie, alors même que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) reconnaît le flufénacet comme perturbateur endocrinien et que l’Allemagne et la Commission européenne ont pris les devants. Qu’en est-il, madame la ministre ?
Nos collègues Hervé Gillé et Rémy Pointereau, dans leur rapport intitulé Pour une politique de l’eau ambitieuse, responsable et durable, ont rappelé que le coût de la prévention était trois fois moins élevé que celui du traitement. Et le Sénat a adopté, au mois de mai dernier, la proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). Qu’en est-il du calendrier d’examen de cette proposition de loi ? Quid en particulier de la mise en œuvre du principe pollueur-payeur et notamment de son application aux firmes pétrochimiques ?
Les collectivités locales, en ce domaine également, sont à la manœuvre. Je prends l’exemple breton : le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) de la région Bretagne réaffirme bien l’objectif de « zéro phyto » à l’horizon 2040. La Bretagne s’est positionnée comme région volontaire sur le sujet et des territoires d’expérimentation y ont été mis en place. Pour autant, madame la ministre, les annonces récentes de votre gouvernement, comme celles qui ont été faites par la Commission européenne dans le cadre du Pacte vert, ne laissent pas d’inquiéter. Derechef, qu’en est-il ?
Quant au dossier des algues vertes, il suscite lui aussi beaucoup d’interrogations. La région Bretagne a réaffirmé sa volonté d’être aux côtés de l’État pour le copiloter et pour cofinancer les projets de territoire des huit baies concernées. En 2025, nous serons à mi-parcours du plan de lutte contre la prolifération des algues vertes (Plav), qui comprend un volet destiné aux agriculteurs : des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) ont été mises en place et, dans ce cadre, des programmes d’actions volontaires ont été lancés. Là aussi, de nombreuses interrogations demeurent. Quelles sont les intentions de l’État ? Nous avons besoin en effet d’un État qui soit à la hauteur, c’est-à-dire de moyens et d’agents de contrôle. Quelle est la volonté du Gouvernement ?
J’en viens à l’assainissement, collectif et non collectif – beaucoup de collègues ont évoqué ce sujet. Il a en particulier des incidences, pour ce qui concerne la Bretagne, sur les activités conchylicoles. La région, là aussi, a pris ses responsabilités, finançant neuf opérations pour un total de 120 équipements en 2024. En 2025, nous souhaitons aller plus loin en matière de soutien à l’assainissement non collectif afin d’accompagner notamment les foyers les plus modestes via un financement public assuré par la région et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) couvrant 100 % de la dépense. Mais il y faudra des moyens financiers, madame la ministre !
Cette préoccupation financière a été exprimée par de nombreux collègues ; je m’en fais à mon tour le porte-parole, au nom des collectivités, des agences de l’eau, des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) et autres syndicats. Nous avons des interrogations très fortes sur le financement du grand cycle de l’eau et des politiques en faveur des trames bocagères et de la haie, alors que les annonces budgétaires paraissent aller à contre-courant de ce qu’il conviendrait de faire.
Madame la ministre, vous semblez avoir pris des engagements auprès des collectivités en matière de financement des réseaux d’eau potable et d’eaux usées et de l’assainissement collectif et non collectif ; mais nous restons extrêmement vigilants. Pouvez-vous nous en dire davantage ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Uzenat, vous m’interrogez sur l’usage des produits phytosanitaires à la suite de la réévaluation du flufénacet. Je rappelle qu’en tant qu’État membre de l’Union européenne nous nous conformons aux autorisations de mise sur le marché (AMM) émises par la Commission européenne – et le dossier dont il est ici question a vocation à « atterrir » au mois de juin 2025. La Commission européenne interdit ou autorise une substance ; lorsqu’une substance est autorisée à l’échelon européen, alors nous pouvons à notre tour en autoriser l’usage dans le cadre d’une AMM délivrée par l’Anses : c’est ainsi que les choses fonctionnent.
La réponse est donc dans la question : si une interdiction est prononcée à l’échelon européen, elle s’applique par construction à la France. Il n’y a pas d’autre possibilité.
Nous avons d’ailleurs été assez clairs, ces dernières années, en matière de suivi des instructions européennes ; on nous a même parfois reproché d’aller plus vite que la musique. Le cas d’espèce que vous soulevez n’est pas une surprise : le flufénacet fait partie des produits phytosanitaires identifiés comme « candidats à la substitution ». Un travail est mené pour rechercher des alternatives, et ce, d’ailleurs, sous forme de nouvel itinéraire technique plutôt que de remplacement pur et simple d’une molécule par une autre : l’idée est que le recours à de nouvelles modalités de culture permettrait de se passer progressivement d’un certain nombre de produits phytosanitaires problématiques.
Comme vous le savez, ces dix dernières années, nous avons supprimé 98 % des produits phytosanitaires classés comme dangereux.
Pour ce qui est des PFAS, je rappelle qu’au mois d’avril dernier un plan interministériel a été lancé par le Gouvernement pour réduire leur utilisation. L’un des volets de ce plan consiste à améliorer la connaissance des PFAS : toutes n’ont pas le même impact environnemental et il faut, dans ce domaine comme dans d’autres, travailler main dans la main avec la science. Parmi les PFAS, on compte des molécules qui entrent dans la composition de médicaments, vétérinaires comme humains, ou d’éléments indispensables à la transition écologique – je pense notamment aux filières aéronautique et automobile.
M. le président. Votre temps de parole est écoulé, madame la ministre.
La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.
M. Simon Uzenat. Vous n’avez répondu qu’à une toute petite partie de ma question, madame la ministre. Concernant le sujet que vous évoquez, nous n’en sommes pas encore au stade de l’interdiction : nous en sommes à la reconnaissance par l’autorité compétente à l’échelon européen du caractère de perturbateur endocrinien du TFA, reconnaissance désormais effective. En Allemagne, les manœuvres ont déjà commencé. Pour ce qui est de la France, il revient maintenant à l’Anses de classer cette molécule comme « pertinente » pour l’eau potable. Or l’Agence a reconnu n’avoir pas été saisie à ce jour d’une demande d’évaluation de ladite pertinence. Avant même de parler d’interdiction européenne, il est donc nécessaire d’activer le principe de précaution.
Je profite de cette discussion pour rappeler qu’une nouvelle fois le Sénat est aux avant-postes, puisqu’il a adopté, au mois de mai dernier, la proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux PFAS. Il incombe désormais à l’Assemblée nationale de se prononcer en deuxième lecture. Pouvez-vous nous en dire davantage, madame la ministre, sur le calendrier d’examen de ce texte ?
Je rappelle par ailleurs que le groupe socialiste du Sénat a pris l’initiative de la création d’une commission d’enquête sur la qualité de l’eau en bouteille. En effet, les PFAS touchent non seulement les eaux de surface, mais aussi les eaux minérales. Ainsi aurons-nous l’occasion, madame la ministre, de vous entendre plus avant sur ces sujets.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit ce soir, la gestion de l’eau, occupera très certainement une part croissante de nos travaux dans les années à venir. La raison en est aussi simple qu’implacable : l’eau constitue l’un des plus puissants marqueurs du changement climatique.
En offrant au Sénat l’opportunité de débattre des perspectives pour mieux gérer la ressource, le groupe Les Républicains fait donc à mes yeux œuvre utile et nécessaire.
L’exercice de prospective grandeur nature réalisé par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) au travers du projet Explore 2 a dressé un tableau des futurs de l’eau et modélisé des scénarios tendanciels qui nous invitent, sans ambiguïté, à préparer sans tarder notre résilience hydrique.
Deux constats issus de cette étude suffisent à qualifier l’urgence : premièrement, la ressource en eau renouvelable a diminué de 14 % au cours des quinze dernières années ; deuxièmement, il faut s’attendre, en France hexagonale et d’ici à la fin du siècle, à une baisse très significative – de l’ordre de -30 % en moyenne, avec une variation de -50 % à -15 % – des débits estivaux des cours d’eau.
L’été 2024, plutôt clément, ne doit pas nous leurrer : les dynamiques pluviométriques de moyen et long termes sont bel et bien en train d’évoluer et la France ne bénéficiera plus, comme par le passé, de la disponibilité saisonnière de la ressource qu’elle a pu connaître.
Force est de constater que les enjeux hydriques montent à mesure que les nappes phréatiques baissent. Dans ce contexte, anticipation et concertation doivent être les maîtres mots : anticiper, pour éviter que les sécheresses à répétition et les stress hydriques plus intenses ne prennent au dépourvu les territoires les plus fragiles ; concerter, pour prévenir les conflits d’usage qui mettent à mal le vivre ensemble, afin d’élaborer de manière collective un nouveau « contrat social de l’eau ».
Pour relever ces défis, nous disposons de plusieurs outils : d’abord d’un modèle français de gestion de l’eau, copié par de nombreux pays et fondé sur une réalité hydrographique, le bassin versant ; ensuite d’agences de l’eau, puissants organes de mutualisation financière, de solidarité horizontale et d’investissement dans les réseaux et dans la résilience hydrique ; enfin, d’une démocratie de l’eau, qui vit au sein de multiples structures, sans doute trop nombreuses, depuis le comité de bassin jusqu’aux commissions locales de l’eau.
La structure est robuste. Malgré des critiques justifiées, elle a permis à notre pays de traverser plusieurs crises. Il nous faudra néanmoins la consolider face à l’intensité croissante des phénomènes climatiques extrêmes et la rendre plus efficiente encore.
Pour anticiper ces évolutions, le plan Eau consacre une augmentation des moyens destinés à préparer la France à la nouvelle donne climatique.
Le dynamisme budgétaire du plan a connu un coup d’arrêt pour 2025, rigueur oblige, mais il devrait reprendre à compter de 2026 pour atteindre les 475 millions d’euros annoncés en 2023.
À ce titre, on ne peut que déplorer, madame la ministre, le prélèvement sur les recettes des agences de l’eau à hauteur de 130 millions d’euros visant à combler le déficit des comptes publics. Ce prélèvement contrevient au principe selon lequel « l’eau paye l’eau ».
Les moyens dévolus au plan Eau nous permettront de résorber une partie de la fuite des réseaux. Nous ne pouvons plus, en effet, nous permettre de gaspiller une ressource aussi précieuse.
Nous devons être meilleurs dans la réutilisation des eaux usées traitées et dans la sécurisation de l’eau nécessaire à notre souveraineté agricole.
La sobriété des usages doit être élevée au rang de priorité et les acteurs doivent être accompagnés dans leur recherche de performance hydrique accrue.
La facture d’eau doit aussi mieux refléter la rareté de la ressource au travers d’un signal prix repensé et réaffirmé.
Le principe pollueur-payeur doit mieux imprégner notre gestion de l’eau, car il devient de plus en plus complexe et onéreux de traiter les micropolluants nouveaux qui affectent la qualité de la ressource et mettent en danger la biodiversité aquatique.
La conciliation des différents usages de l’eau aux périodes critiques doit être renforcée au travers d’instances de concertation, de modalités de partage équitable entre tous les acteurs et d’un juge de paix en cas de blocage persistant.
À la lumière de ces éléments, mes questions sont donc simples, madame la ministre : quels seront le format et les objectifs de la grande conférence nationale sur l’eau annoncée par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale ?
Quand sera-t-elle lancée ? Qui y participera et quels seront les débouchés législatifs probables des conclusions de cette grande concertation, qui n’est pas sans rappeler les Assises de l’eau ou encore le Varenne agricole de l’eau ?
Sachez que le Sénat, comme toujours lorsqu’il s’agit de l’intérêt des territoires, sera particulièrement attentif à ce que cette conférence ne soit pas une énième séquence où chacun s’épanche sans que rien de tangible en ressorte pour les territoires.
Il est en effet de notre devoir d’apporter des réponses concrètes aux défis auxquels sont confrontées les collectivités et aux problèmes que doivent résoudre les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Chevrollier, l’ambition du plan Eau n’a pas été réduite.
Vous avez raison de mentionner le prélèvement de 130 millions d’euros, non pas sur les recettes, mais sur la trésorerie des agences de l’eau. Vous aurez l’occasion d’en discuter lors du débat budgétaire, mais les douzièmes programmes des agences intègrent bien toutes les actions du plan Eau.
La conférence nationale sur l’eau annoncée par le Premier ministre ne sera pas une grande conférence centralisée de plus, sur le modèle des Assises de l’eau ou du Varenne agricole de l’eau. Elle aura pour objectif de décliner localement, dans les bassins, les grands enjeux de la gestion de l’eau, autour de thématiques communes comme la tarification, la quantité ou encore la gouvernance.
Les territoires pourront également se saisir eux-mêmes de thématiques spécifiques. Ainsi, on peut imaginer que dans les zones littorales, la question de l’usage de l’eau salée et de la désalinisation viendra nourrir les débats, en complément de celles qui seront liées à l’eau douce.
Nous avons pour objectif de lancer la conférence nationale au moment du soixantième anniversaire de la loi sur l’eau du 16 décembre 1964, soit vers la mi-décembre.
Les débats territoriaux – véritable apport de cette conférence – seront organisés au niveau de chaque bassin à partir du mois de janvier et s’égrèneront tout au long du semestre, pour aboutir à des propositions d’ajustements législatifs ou d’actions concrètes pour aller encore plus loin.
Ils permettront d’aborder les questions que vous avez évoquées – la gouvernance, la mobilisation des PTGE sur l’ensemble du territoire ou encore la tarification de l’eau – et auxquelles il nous faut, en priorité, apporter des réponses.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si cet été a été particulièrement pluvieux, les signes de tension hydrique se sont multipliés ces dernières années, mettant en lumière l’urgence d’une gestion de l’eau adaptée aux défis de demain.
Notre climat tempéré, historiquement généreux en pluies, semble aujourd’hui ne plus suffire à garantir une ressource en eau abondante et accessible pour tous.
Ce sujet me tient particulièrement à cœur, car j’ai eu l’honneur d’être la corapporteure, aux côtés notamment de mes collègues Cécile Cukierman et Jean Sol, d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective remis en novembre 2022 et intitulé Comment éviter la panne sèche – Huit questions sur l’avenir de l’eau en France.
Ensemble, nous avons examiné la situation actuelle et exploré les pistes pour l’avenir. Celles-ci doivent permettre à la France de faire face aux enjeux grandissants liés à la gestion de cette ressource précieuse.
Le changement climatique bouleverse notre cycle de l’eau : les précipitations irrégulières, les sécheresses prolongées ou encore les crues soudaines sont autant d’événements qui deviennent la norme et fragilisent l’équilibre naturel de nos réserves.
Ce constat est bien entendu préoccupant, mais des solutions existent : avec des efforts notables, une gestion plus durable de la ressource est possible.
Ainsi, si nous devons repenser notre gestion de l’eau, il nous faudra revoir notre rapport à cette dernière.
Dans la continuité des recommandations de notre rapport, plusieurs solutions, je le répète, se dessinent pour anticiper les tensions et garantir une gestion de l’eau plus sereine.
Envisager des retenues d’eau multi-usages pour capter les précipitations hivernales pourrait aider, par exemple, à pallier le manque d’eau en été.
Investir dans des solutions naturelles comme la restauration des zones humides, des prairies et des forêts renforcerait la recharge des nappes phréatiques et limiterait le ruissellement.
Encourager la recherche et l’innovation permettrait encore de réutiliser les eaux usées traitées.
Par ailleurs, notre agriculture est indissociable de ce processus. En effet, ce secteur essentiel pour notre économie et notre souveraineté alimentaire absorbe près des deux tiers de notre ressource en eau, ce qui en fait un acteur clé dans la gestion durable de cette ressource.
Bien que des techniques avancées comme le goutte-à-goutte soient encouragées pour améliorer l’efficacité de l’irrigation, il est nécessaire – j’insiste sur ce point – de repenser les systèmes de culture pour réduire durablement la consommation d’eau.
Évidemment, les changements impliquent des efforts financiers. L’augmentation des budgets des agences de l’eau permettrait de renforcer la résilience collective de nos territoires et de soutenir davantage les projets d’infrastructure et de préservation de l’eau.
Enfin, mes chers collègues, n’oublions pas le rôle fondamental de l’éducation. En tant qu’ancien professeur, je mesure l’importance de l’apprentissage pour préparer notre société de demain.
La sensibilisation des publics de tous âges à la valeur de l’eau et à sa préservation est essentielle. En mobilisant chaque citoyen, nous pourrons construire un modèle de gestion de l’eau capable de répondre aux défis futurs.
Notre responsabilité est d’assurer à nos territoires un accès durable à l’eau, aujourd’hui et pour les décennies à venir, afin que les générations actuelles et futures ne connaissent pas la pénurie.
Le tableau est complexe, mais non apocalyptique. La France peut gérer son eau avec intelligence et anticipation, à condition de mettre en œuvre les transformations nécessaires et de prendre des décisions courageuses.
Les recommandations de notre rapport sénatorial offrent une feuille de route ambitieuse, mais réaliste, pour atteindre cet objectif.
Ensemble, œuvrons pour un avenir où l’eau restera une ressource accessible à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Madame la sénatrice Belrhiti, il y a de telles résonances entre le plan Eau et votre rapport que l’on pourrait penser que le premier s’inspire du second.
Le plan Eau contient une enveloppe spécifique de 30 millions d’euros pour la modification des pratiques agricoles. Je pense notamment au développement d’un usage plus sobre de l’irrigation grâce, par exemple, aux pratiques de goutte-à-goutte.
Vous avez soulevé par ailleurs, en fin de propos, une question essentielle, qui a pourtant été peu évoquée dans ce débat : celle de l’éducation et de l’information des agriculteurs.
C’est essentiel au moment de l’installation, car les jeunes sont en attente d’un accompagnement pour mieux prendre en compte le dérèglement climatique et développer un projet soutenable dans la durée.
De même, en matière de gestion de l’eau, si les infrastructures doivent rassurer les agriculteurs sur leur capacité à faire, il faut aussi accompagner ces derniers dans l’évolution de leurs propres pratiques.
Je pointe ici l’agriculture, car elle est au cœur de l’actualité, mais les enjeux sont similaires dans bien d’autres secteurs comme l’industrie, où nous n’en sommes qu’au début en matière de réutilisation par exemple.
À cet égard, un certain nombre de pays qui ont été exposés plus tôt que nous à des pénuries d’eau nous montrent le chemin. En Espagne ou en Israël, chaque goutte d’eau est précieusement réinjectée dans le système, de telle sorte que rien ne se perde. C’est une approche que nous devons probablement ancrer en France.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Au cours de ce débat, de nombreux points ont été abordés et je n’y insisterai pas.
Vous l’aurez compris : j’inscris mes pas dans ceux de mon prédécesseur, Christophe Béchu, qui a lancé le plan Eau et qui en a fait un objet politique très complet. Je souhaite que nous puissions matérialiser ses avancées mois par mois, semestre après semestre.
Cinq chantiers me semblent prioritaires.
Le premier est la protection des points de captage d’eau potable. À partir du moment où une molécule comme le TFA est considérée comme problématique, il devient pertinent de l’intégrer dans le suivi de la qualité des eaux potables. Seule la démonstration inverse – celle de son absence de nocivité – peut justifier de ne pas la suivre.
Je veux rappeler qu’un tiers des points de captage ont été abandonnés ces quarante dernières années en raison d’une qualité des eaux insuffisante.
Certaines agglomérations de plusieurs centaines de milliers d’habitants ne dépendent que d’un seul et même point de captage. On peut donc imaginer qu’un incident ou une pollution à bas bruit puisse mettre en difficulté ces collectivités. Ce sujet préoccupe un certain nombre d’élus d’intercommunalités.
Aussi, l’objectif est d’améliorer nos connaissances sur ces pollutions et d’agir pour les réduire.
À cet égard, trois éléments sont attendus dans le droit fil du plan Eau et de la stratégie Écophyto : un arrêté de définition des points de captage sensibles, un guide à destination des préfets comportant des règles de gestion en fonction des différents cas de figure, et des outils financiers d’accompagnement de changement des pratiques.
Le deuxième chantier est la mise en œuvre du plan d’action pour l’eau et l’assainissement dans les territoires ultramarins, que nous avons évoqué avec Mme Phinera-Horth.
Le troisième chantier, la gestion quantitative de la ressource en eau, a été largement enrichi par vos travaux, mesdames, messieurs les sénateurs, en particulier par ceux de la mission d’information sénatoriale sur la gestion durable de l’eau, présidée par Rémy Pointereau et dont Hervé Gillé était le rapporteur.
Notre stratégie repose sur un usage plus sobre de la ressource, sur l’optimisation de sa disponibilité et sur une meilleure gestion des périodes de sécheresse.
À cet égard, l’objectif est clair : mieux partager la ressource dans le contexte du changement climatique. Certains agriculteurs qui n’irriguent pas aujourd’hui auront besoin, demain, en effet, de recourir à l’irrigation. C’est le cas par exemple dans mon territoire du Pas-de-Calais, qui a connu en 2023, avant les inondations de cette année, un épisode de sécheresse.
Il faut donc anticiper ces besoins d’irrigation et adopter d’emblée les bonnes pratiques.
C’est pourquoi, en parallèle des mesures du plan Eau visant à stabiliser les volumes consacrés à l’irrigation, des réserves de substitution pourront être construites dans les territoires qui sont structurellement en déséquilibre.
Dans ces territoires, les ouvrages de substitution devront s’inscrire, je le répète, dans une démarche de PTGE ou de schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage).
Le quatrième chantier, le financement du plan Eau, a été évoqué à fleurets mouchetés au cours de ce débat. Pour atteindre l’objectif d’un financement à hauteur de 1,95 milliard d’euros, nous travaillons, dans une logique d’équilibre et de pragmatisme, sur une évolution de la redevance pour pollution diffuse.
Enfin, le cinquième et dernier chantier est l’organisation de la conférence nationale sur l’eau annoncée par le Premier ministre. Je vous en ai décrit à l’instant ses principales caractéristiques.
J’en terminerai en réaffirmant mon souhait de continuer à œuvrer – je rencontre d’ailleurs très prochainement les présidents de comité de bassin – avec l’ensemble des instances de gouvernance de la ressource en eau.
Cette gestion et cette gouvernance de l’eau nous sont enviées mondialement. J’ai pu le constater lorsque nous avons accueilli à Bordeaux la 12e assemblée générale mondiale du Réseau international des organismes de bassin (RIOB), consacrée à la gestion de l’eau par bassin.
Dans le cadre du One Water Summit qui se tiendra à Riyad le 3 décembre prochain en marge de la COP16 de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, nous présenterons un plaidoyer autour de ces sujets.
Notre objectif est aussi de contribuer à l’amélioration de la gouvernance mondiale de l’eau et d’accélérer l’action sur l’objectif de développement durable « eau propre et assainissement », en nous appuyant sur l’élan de la Conférence des Nations unies sur l’eau de 2023.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que le groupe Les Républicains ait été à l’origine de ce débat sur la gestion de l’eau, un sujet majeur pour notre avenir.
La richesse de nos échanges témoigne de l’importance de cette thématique.
L’eau, c’est la vie. Sans cette eau nécessaire à l’alimentation humaine comme à la biodiversité animale et végétale, l’espérance de vie est limitée sur Terre.
En raison du changement climatique, nous subissons des sécheresses et des inondations à répétition, qui, nous l’avons vu en Espagne, sont souvent dramatiques.
En cette année 2024, la pluviométrie n’a jamais été aussi abondante depuis l’an 2000 – si l’on excepte les Pyrénées-Orientales, mon cher Jean Sol (Sourires.) – et les nappes phréatiques sont à leur plus haut niveau.
Cet état des ressources n’est peut-être qu’un répit, mais cette situation favorable doit nous permettre de relativiser les prédictions de catastrophes planétaires liées à la pénurie d’eau.
Il faut donc anticiper et faire preuve de pragmatisme pour nous adapter au changement climatique : retenir l’eau quand elle est abondante afin de l’utiliser l’été, créer des bassins d’orage, rehausser les barrages existants pour écrêter les crues et faire face aux inondations.
Avec mon collègue Hervé Gillé, nous avons récemment présenté un rapport sur la gestion durable de l’eau et nous lançons aujourd’hui, avec Jean-Yves Roux, une mission d’information spécifique sur la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi).
Vous voyez qu’au Sénat nous traitons toutes les facettes du problème, qu’il s’agisse du manque ou de l’excès d’eau. Nous avons formulé, d’ailleurs, un certain nombre de propositions.
J’en viens à la gouvernance de l’eau.
Les agences de l’eau ont fait leurs preuves depuis 1964 et jusqu’à ces dernières années. Fondées sur une gestion décentralisée respectant l’un des principes clés de la gestion environnementale, la subsidiarité, elles ont permis de lutter contre la pollution et de concilier les besoins en eau des collectivités locales, de l’agriculture et de l’industrie.
Malheureusement, la politique de l’eau est devenue illisible et complexe. Aux agences de l’eau et comités de bassin s’ajoutent en effet désormais les Sage, les Sdage, les CLE, les Épage, les PTGE et autres Papi.
Le préfet coordonnateur de bassin, qui représente l’État au sein de ces instances, surveille et coordonne l’action des bassins, tandis que le Comité national de l’eau (CNE) donne un avis consultatif sur les actions engagées.
Dans ce véritable labyrinthe crétois, identifier l’acteur qui prend réellement les décisions n’est pas chose aisée.
Cette organisation complexe et chronophage est devenue d’autant plus technocratique qu’elle mobilise bien trop d’acteurs.
Aux côtés des acteurs présents parce qu’élus, on trouve en effet pléthore d’acteurs nommés, d’experts ou d’associations, qui n’aident pas toujours à la compréhension du fonctionnement des agences de l’eau.
Cet ensemble, n’ayons pas peur de le dire, sème le doute sur la capacité des élus, des collectivités ou des chambres consulaires à gérer la politique de l’eau et remet en question leur légitimité.
J’ajoute que les financements sont très variables en fonction des agences. Les actions des collectivités en matière d’eau et d’assainissement sont souvent financées par les fonds issus de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) plutôt que par les agences de l’eau, qui s’appliquent à imposer une réglementation technocratique et préfèrent financer une multitude d’études parfois inutiles.
Pour mieux gérer la ressource, une simplification du labyrinthe s’impose.
En ce qui concerne la gestion quantitative de l’eau, nous devons bien évidemment prioriser l’accès à l’eau potable, puis notre souveraineté alimentaire.
Pour ce qui est de l’accès à l’eau potable, le constat est sans appel : le volume d’eau perdue à cause des réseaux d’eau potable fuyards s’élève à 1 milliard de mètres cubes par an.
Il est urgent de mobiliser les moyens nécessaires pour assumer nos responsabilités dans ce domaine. L’ampleur de cette perte, que l’on peut rapprocher de l’indispensable indépendance alimentaire, relativise le tollé de nos amis écologistes radicaux. (M. Ronan Dantec manifeste son incrédulité.)
En effet, elle équivaut à 2 000 réserves de substitution de 500 000 mètres cubes, soit l’équivalent de 500 000 hectares à irriguer. (M. Ronan Dantec s’exclame.) Or le niveau d’irrigation des cultures en France est assez modeste, puisque 6,8 % seulement des cultures sont irriguées.
Nous pourrions également encourager la réutilisation des eaux usées traitées et renforcer l’interconnexion des réseaux, afin de sécuriser l’alimentation en eau potable.
Vous le voyez, madame la ministre, les enjeux relatifs à l’eau sont nombreux. C’est pourquoi, comme je l’avais recommandé dans un rapport en 2015, nous avons besoin d’une nouvelle mouture de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, dite loi Lema.
Cette « Lema 2 » modernisée et ambitieuse pourrait tenir compte des nouvelles réalités en matière de financement, de gouvernance et de changement climatique, et traduire un effort de simplification.
C’est d’ailleurs ce qu’a appelé de ses vœux le Premier ministre Michel Barnier lors de sa déclaration de politique générale.
La France doit relever le défi d’une gestion de l’eau durable et tournée vers l’avenir. Travaillons ensemble pour faire de cette politique de l’eau une priorité, sans idéologie, sans dogmatisme, mais avec pragmatisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Gestion de l’eau : bilan de l’été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource. »
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 13 novembre 2024 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe du RDSE)
Proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l’enfant victime de violences, présentée par Mme Maryse Carrère (texte n° 530, 2023-2024) ;
Proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces, présentée par M. Christian Bilhac et plusieurs de ses collègues (texte n° 628, 2023-2024).
Le soir :
Débat sur le thème « Financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER