M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Gillé, dans votre propos, vous mettez en avant de nombreuses pistes : récupération, réutilisation, nécessité de désimperméabiliser certains territoires, etc. En effet, comme nous l’avons vu récemment, l’imperméabilisation des sols est un facteur aggravant des inondations auxquelles nous faisons face. Cela montre bien qu’il est vain d’opposer le « zéro artificialisation nette » (ZAN) à d’autres politiques de protection des territoires et des populations dans ce contexte de dérèglement climatique.

À cet égard, les zones humides ne sont pas des « distractions » ; ce sont des éléments essentiels de gestion du cycle de l’eau. Les événements récents à Valence et leur caractère dramatique nous placent face à nos responsabilités, y compris au cœur d’agglomérations importantes. Ils doivent nous inviter à être particulièrement humbles et à mettre réellement en œuvre toutes les politiques de préservation du cycle de l’eau.

Un plan d’intégration des eaux pluviales dans les documents d’urbanisme, au fur et à mesure de leur mise à jour, a été publié en 2022. Il constitue un point d’appui. Nous savons tous que ces mises à jour sont un parcours long et compliqué, qui suppose des ressources de la part des collectivités locales et donc un besoin d’accompagnement en ingénierie de ces dernières.

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (M. Jean-François Longeot applaudit. – Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face au caractère désormais irréversible des mutations entraînées par le changement climatique, nous sommes contraints d’accélérer nos transitions et d’adopter une stratégie d’atténuation et d’adaptation.

Les défis liés aux sécheresses répétées et aux tensions croissantes entre les différents usages de l’eau – agriculture, consommation domestique, industrie, loisirs – nous rappellent que l’eau est une ressource précieuse.

Il est indispensable que nous trouvions des solutions pour une gestion efficace de cette ressource : le bilan de l’été 2024 en est une nouvelle démonstration.

Certains territoires, notamment dans l’Ouest et dans le Sud-Est, ont dû faire face à des déficits de précipitations, suivis, par endroits, d’épisodes pluvio-orageux. À l’inverse, certaines zones, comme le Bassin parisien, la Champagne-Ardenne, les Hauts-de-France ou le Massif central, ont connu des pluies diluviennes et des orages violents, ces événements provoquant inondations et importants dégâts – nous en savons quelque chose, malheureusement, dans le département de la Loire.

Au début du mois de septembre, tandis que vingt départements ont dû mettre en œuvre des mesures de crise en matière de restriction des usages de l’eau, huit autres étaient placés en vigilance pluie-inondation et orages par Météo-France. Voilà un paradoxe avec lequel, malheureusement, nous allons devoir apprendre à vivre…

Délocalisation des bassins de production, déplacements de populations, concurrence pour le foncier et pour l’accès à la ressource en eau : ces phénomènes créent des tensions et des arbitrages doivent être faits. La gestion de l’eau constitue un sujet crucial, à l’échelle des territoires.

Dès lors, plusieurs leviers peuvent être actionnés et différents aménagements sont possibles pour assurer une gestion plus efficiente de cette ressource, et notamment des excédents d’eau : zones tampons, enherbement, haies, lacs, retenues collinaires – je vais mettre l’accent sur ce dernier sujet, qui a déjà été évoqué par les orateurs précédents.

Technique chère aux agriculteurs, en particulier dans le département de la Loire, et utilisée depuis l’Antiquité, la retenue collinaire permet de stocker l’eau de surface quand celle-ci ruisselle – je vous épargne le raisonnement, vous le connaissez par cœur : Mme la ministre nous a même expliqué qu’elle avait eu l’occasion, dans une vie précédente, de mettre en service quelques-uns de ces ouvrages…

Cette solution présente de nombreux avantages : d’un côté, l’eau ainsi stockée permet de limiter le recours au pompage des nappes et rivières pour l’irrigation et pour de multiples autres usages, selon les besoins du territoire ; de l’autre, et au gré d’un travail qui associe villes, régions et comités de bassin, le positionnement de ces réserves devient un outil majeur dans la prévention des catastrophes naturelles, car il réduit les risques d’érosion et d’inondation auxquels sont exposées les communes se trouvant à proximité.

M. Philippe Folliot. C’est vrai !

M. Pierre Jean Rochette. Hélas ! les tensions autour des réserves d’eau se sont accentuées ces dernières années, entre besoins agricoles et préoccupations écologiques notamment – ne faisons pas l’erreur d’opposer les deux ! À cela s’ajoutent des obstacles économiques et des exigences environnementales, ainsi que la complexité et la lenteur des démarches administratives – en particulier pour nos agriculteurs.

M. Laurent Burgoa. C’est vrai aussi !

M. Pierre Jean Rochette. L’eau est un bien commun dont l’usage doit être équilibré ; mais il est indispensable de nous adapter vite et d’éviter les oppositions de principe. Les retenues collinaires sont des solutions efficaces et durables de gestion de l’eau.

À condition de privilégier une approche pragmatique et ancrée dans la réalité des besoins et des équilibres environnementaux, il est possible de mettre en œuvre une gestion de l’eau répondant aux enjeux climatiques tout en restant à l’écoute des différents acteurs concernés.

Dans les territoires ruraux, les agriculteurs souhaitent une simplification des procédures applicables à la création de retenues collinaires.

M. Philippe Folliot. C’est sûr !

M. Pierre Jean Rochette. Ma question est la suivante, madame la ministre : comment pouvons-nous travailler ensemble pour faciliter la mise en œuvre de ces projets vitaux pour l’avenir de notre agriculture, de notre monde agricole et, par conséquent, de notre souveraineté alimentaire ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Rochette, je ne reviendrai pas sur la situation que vous avez vécue, vous et tous les habitants de votre territoire. Nous étions ensemble il y a quelques jours pour mesurer, sur place, les conséquences des terribles inondations qu’a connues votre département. Si je les qualifie de « terribles », c’est qu’elles ont été plus brutales encore que celles qui ont touché le Pas-de-Calais voilà un an : la présence d’embâcles a causé d’amples destructions, des cours d’eau ont changé de lit, des maisons ont été ravagées. Il est quasi miraculeux que nos services de secours aient réussi à venir en aide à l’ensemble des habitants sans qu’il y ait eu à déplorer de décès ou de blessés graves.

J’en viens au sujet des retenues collinaires : on ne saurait dire que ces infrastructures sont sans impact environnemental. Comme pour tout projet, il faut une étude d’impact préalable, pour évaluer notamment les incidences de l’installation sur la biodiversité. C’est pourquoi il ne peut être envisagé de créer de telles retenues que dans le cadre d’un projet de territoire pour la gestion de l’eau, l’idée étant toujours de trouver le juste milieu.

L’un des enseignements des travaux menés ces douze derniers mois dans le Pas-de-Calais, où l’on a pris presque un an d’avance, par rapport à d’autres territoires exposés aux inondations, dans la réalisation de travaux d’urgence et de travaux structurants, c’est qu’il existe un certain nombre de hiatus dans nos réglementations : il arrive que les textes disent tantôt noir et tantôt blanc sur le même sujet. Voilà qui peut, assez paradoxalement, retarder la mise en œuvre de travaux qui sont pourtant des travaux de protection de la population et de la biodiversité.

En la matière, nous devons nous améliorer ; c’est dans cette direction, mesdames, messieurs les sénateurs, que je nous proposerai d’avancer.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la gestion de l’eau représente un défi qu’il faut relever pour garantir un partage équitable et raisonné de cette ressource, et ainsi assurer l’avenir des générations futures.

Pour relever ce défi, cinq conditions me paraissent essentielles.

Premièrement, il faut évaluer.

Il est impératif de disposer d’une connaissance la plus fine possible de la ressource en eau souterraine et superficielle sur tous nos territoires de plaine, de demi-montagne et de haute montagne. Tous les moyens de prospection et de recherche doivent être mis en œuvre à cet effet.

Deuxièmement, il faut protéger.

Après avoir évalué la quantité disponible, il est essentiel d’assurer la qualité de l’eau selon les usages envisagés : les normes requises sont différentes selon que l’eau est destinée à la consommation humaine, à l’assainissement, à l’irrigation, au stockage, aux loisirs, au thermalisme, etc. Dans une optique d’anticipation des périodes de sécheresse futures, des mesures s’imposent visant la sobriété pour tous les usages.

Troisièmement, il faut rationaliser.

Les rendements des captages et des réseaux d’eau doivent être sécurisés. À l’heure actuelle, les fuites et les déperditions représentent en moyenne 40 % des pertes ; voilà qui n’est pas acceptable en période de sécheresse et de restriction. Il est paradoxal de solliciter économies et rationalisation quand le rendement est si déficitaire. Aussi des efforts doivent-ils porter sur le diagnostic des réseaux et sur la programmation des travaux nécessaires pour colmater les fuites et optimiser le rendement.

Quatrièmement, il faut connecter.

Après avoir évalué, protégé et rationalisé, il convient de partager équitablement la ressource, selon un principe de solidarité, entre les syndicats existants et les communes ou territoires dont les ressources en eau sont insuffisantes. Les solutions sont d’abord locales : elles naissent de l’engagement et de la collaboration des différents acteurs concernés d’un territoire.

Par exemple, dans le département du Puy-de-Dôme, un pacte territorial conclu entre un gestionnaire d’eau potable et la société Volvic, acteur privé que chacun connaît, permet de sécuriser la ressource en eau potable et de compléter les actions de sobriété et d’efficience des collectivités. Mais cette solidarité peut et doit s’exprimer sans écarter la libre administration des collectivités locales. C’est là, du reste, tout le – bon – sens de la proposition de loi adoptée par le Sénat visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », texte dont la disposition essentielle, à savoir la suppression du caractère obligatoire du transfert desdites compétences des communes vers les intercommunalités, a été reprise ici même par le Premier ministre.

M. Laurent Burgoa. Très bien !

M. Jean-Marc Boyer. Cinquièmement, il faut stocker.

Les événements climatiques récents, à savoir les fortes inondations de l’année 2024 consécutives à trois années de sécheresse, devraient conduire, à mon sens, à engager une démarche de stockage de l’eau. Il y va de la simple logique : une telle politique relève du bon sens paysan. Notre ambition à cet égard doit être d’anticiper les effets du changement climatique par un stockage en période de hautes eaux, car on sait depuis plusieurs années que les périodes de sécheresse sont plus fréquentes et plus longues et les épisodes de pluie plus répétés et plus violents.

Les retenues collinaires, voire les bassines, et pourquoi pas les mégabassines – jusqu’à présent, personne n’en a parlé,…

M. Jean-Marc Boyer. … mais ce terme n’est pas tabou… –, permettent de stocker l’eau de pluie, peuvent prévenir les inondations et limitent l’érosion des sols.

Après avoir évalué, protégé, rationalisé, connecté et stocké, nous devons tous agir en responsabilité et en solidarité et être très attentifs au coût final payé par le consommateur.

Le défi du changement climatique a des impacts sur tous nos usages. Il impose de faire évoluer nos pratiques, de déployer différentes solutions complémentaires, d’améliorer à la fois la sobriété de nos usages et notre résilience face à l’évolution de la ressource. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Boyer, vous avez décrit par le menu la politique que nous devons mener ; je vais donc avoir du mal ne serait-ce qu’à compléter votre propos ! (Sourires.)

M. Laurent Burgoa. Il faut le nommer ministre ! (Nouveaux sourires. – M. Rémy Pointereau renchérit.)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Je ne peux que le commenter.

J’ai déjà évoqué le sujet des PTGE et celui des retenues collinaires. Pour ce qui est des bassines, nous les appelons « retenues de substitution ». (M. Ronan Dantec fait la moue.) La terminologie permet parfois de mettre du liant entre les acteurs…

M. Ronan Dantec. « Bassines » ou « retenues de substitution », c’est du pareil au même…

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Ce qui importe, c’est la manière dont ces ouvrages jouent sur le cycle de l’eau : il faut bien s’assurer, d’une part, que l’usage de l’eau ainsi stockée fait l’objet d’un juste partage et, d’autre part, que l’impact de la constitution de cette ressource sur le cycle de l’eau n’est pas de nature à dérégler ledit cycle ou à accroître la vulnérabilité du territoire concerné. Cette dernière question mérite bel et bien une analyse fouillée, mais, dans l’absolu, il ne faut pas avoir de tabou, s’agissant d’infrastructures qui nous permettent d’augmenter notre niveau de résilience en matière d’accès à l’eau.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth. (M. Ludovic Haye applaudit.)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat inscrit à notre ordre du jour par le groupe Les Républicains nous conduit à nous interroger sur la gestion de l’eau : comment préserver cette ressource ?

Je me félicite que nous puissions débattre de ce sujet. Cette thématique nous oblige, en tant que citoyens, mais surtout en tant que législateur. Il n’est pas vain de rappeler combien la gestion de l’eau est vitale, non seulement pour l’avenir de notre planète, mais aussi pour celui de l’espèce humaine. L’eau est en effet une ressource indispensable pour notre santé, pour nos écosystèmes, pour notre agriculture et pour notre économie, mais, trop souvent, nous prenons cette ressource pour acquise. En plus, nous la croyons éternelle…

Débattant de ce sujet, nous ne saurions faire l’économie de la question du changement climatique. L’accès à l’eau et la gestion de cette ressource demeurent des enjeux majeurs dans le contexte du réchauffement climatique.

D’année en année, nous constatons avec effroi les répercussions sur l’eau dudit réchauffement. Pourtant, les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) n’ont cessé de nous rappeler que « chaque degré supplémentaire de réchauffement de la planète accroîtrait encore les risques de sécheresse et d’inondation, ainsi que les dommages sociétaux qui en découlent ».

C’est ainsi que les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les inondations et les sécheresses, sont de plus en plus fréquents et intenses. J’en veux pour preuve la fermeture actuelle de plusieurs écoles en Guyane : en raison de la sécheresse et d’un niveau exceptionnellement bas du fleuve Maroni, les embarcations qui transportent les élèves ne peuvent plus circuler. Les habitants du Maroni sont ravitaillés grâce à un pont aérien mis en place par l’armée.

Cet été encore, près de quarante départements ont été concernés par des mesures de restriction d’eau, la sécheresse ayant épuisé les ressources en eau plus tôt que d’habitude. Dans le sud-est de la France comme en Bretagne, région habituellement épargnée, on a ainsi observé une baisse significative du niveau des nappes phréatiques.

Nous devons être lucides : les besoins en eau dépassent très régulièrement notre capacité d’approvisionnement et ce phénomène n’est pas près de s’inverser.

Selon de nombreuses études, il apparaît qu’à l’horizon de 2050 les débits annuels moyens pourraient diminuer de 10 % à 40 % ; la vitesse de recharge des nappes de 10 % à 25 %, tandis que l’humidité du sol devrait elle aussi être moindre.

La préservation de cette ressource est plus que jamais une priorité absolue. Nous en sommes tous conscients, il convient de faire évoluer nos habitudes, en matière de réutilisation notamment, pour améliorer la gestion de l’eau.

Plusieurs initiatives ont déjà vu le jour pour optimiser l’usage de cette précieuse ressource. Mes collègues de la commission du développement durable Rémy Pointereau et Hervé Gillé recommandaient ainsi, dans le rapport de la mission d’information sur la gestion durable de l’eau, de renforcer les systèmes de réutilisation des eaux usées afin de répondre aux besoins du monde agricole et des industriels.

En effet, selon la Commission européenne, plus de 40 milliards de mètres cubes d’eaux usées sont traités chaque année dans l’Union européenne, dont moins de 1 milliard seulement sont réutilisés. En France, 99 % des eaux usées sont rejetées dans le milieu naturel après leur passage en station d’épuration. Le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau a ainsi prévu la réalisation de 10 % d’économies d’eau d’ici à 2030. À cet égard, la réutilisation des eaux est cruciale ; elle rendra la gestion de cette ressource plus résiliente dans les domaines de l’industrie et de l’agriculture ainsi que dans les usages du quotidien. Madame la ministre, quelles sont les politiques prévues pour atteindre cet objectif ?

Je veux également évoquer la nécessité d’améliorer la gestion des réseaux d’eau. L’ancienne présidente de communauté d’agglomération que je suis connaît les conséquences des fuites d’eau, qui sont principalement provoquées par le vieillissement de nos infrastructures. Chaque année, près de 1 milliard de mètres cubes d’eau sont perdus, soit l’équivalent de 20 % de la production nationale d’eau potable. Autrement dit, pour cinq litres d’eau mis en distribution, un litre retourne directement au milieu naturel sans passer par le consommateur.

Aussi, en tant qu’Ultramarine, ne puis-je aborder cette question des réseaux de distribution sans avoir une pensée pour mes compatriotes guadeloupéens. Depuis des mois, une partie des habitants de leur île est privée d’accès à l’eau du robinet à cause de l’état désastreux des réseaux. À maintes reprises, mes collègues guadeloupéens ont interpellé le Gouvernement sur cette question.

Je vous demande, madame la ministre, de soutenir financièrement l’ensemble des collectivités et des syndicats mixtes, particulièrement en zone rurale, dans la perspective d’une amélioration des réseaux de distribution. Quels engagements pouvez-vous prendre en la matière ?

Il ne fait aucun doute que les initiatives engagées en vue d’une telle amélioration, bien qu’elles démontrent notre volonté d’innover, ne parviendront pas à elles seules à stopper l’hémorragie. Mes chers collègues, j’estime que désormais chaque goutte compte. Il est crucial de renforcer les campagnes de sensibilisation menées auprès du grand public, et surtout à destination de la jeune génération. La rareté de l’eau nous impose de changer de paradigme ; chacun, où qu’il se trouve, doit jouer un rôle dans la préservation de cette ressource vitale. (MM. Ludovic Haye et Pierre Jean Rochette applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Madame la sénatrice Phinera-Horth, les territoires ultramarins doivent bel et bien être traités comme des priorités absolues. Les difficultés que nous rencontrons dans l’Hexagone sont en effet plus fortes et plus marquées encore dans ces territoires : à Mayotte, où nous traversons une crise épouvantable d’accès à l’eau potable ; en Guyane, où il y a tantôt trop d’eau, tantôt pas assez, et où, sous l’effet des marées, le biseau salin fragilise périodiquement l’accès à l’eau, rendant inopérants une partie des captages ; en Guadeloupe, où l’état des réseaux est tel que les pertes d’eau sont évaluées non pas à 20 %, mais à plus de 60 %. Et je pourrais multiplier les exemples…

C’est dans ce contexte que les précédents gouvernements ont engagé un plan Eau pour les départements d’outre-mer, assorti de moyens financiers qui continuent d’être déployés. De manière générale, je souhaite, avec mon collègue François-Noël Buffet, renforcer la prise en compte des territoires ultramarins. Tel sera du reste l’un des enjeux du prochain comité interministériel des outre-mer : pour répondre à un certain nombre de besoins élémentaires – eau, assainissement, déchets, électricité –, il y a une véritable transformation à opérer dans ces territoires.

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Simon Uzenat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, beaucoup l’ont dit avant moi, les tensions politiques et sociales s’exacerbent sur le sujet de l’eau depuis maintenant de nombreuses années, car cette ressource va devenir de plus en plus rare. En France, la quantité d’eau renouvelable disponible a baissé de 14 % entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018. Nous avons perdu 32 milliards de mètres cubes d’eau ; nous pourrions en perdre 50 milliards supplémentaires dans les années qui viennent, sous l’effet du réchauffement climatique.

Se pose également la question centrale – j’y reviendrai – de la qualité de l’eau, qui a des incidences pour nos concitoyens et pour les acteurs économiques. Mes collègues Brigitte Devésa, Lauriane Josende et moi-même avons rendu un rapport d’information sur les entreprises et le climat dans lequel nous pointons en particulier le caractère crucial de ce sujet pour l’agriculture comme pour l’industrie.

Notre collègue vient d’évoquer la réutilisation des eaux usées traitées : on avance, mais, là aussi, avec beaucoup trop de retard. On l’a dit, les tensions sont légion. Il faut pacifier les débats, les apaiser ; il faut, en d’autres termes, plus de démocratie et plus de dialogue, et des moyens à la hauteur. En Bretagne, nous avons installé une assemblée bretonne de l’eau, contre-modèle de Sainte-Soline. Il faut mettre en œuvre ce genre d’initiatives à tous les échelons, des commissions locales de l’eau jusqu’au plan national.

En Bretagne, chacun le sait, la situation est particulière : 75 % de l’eau potable provient d’eaux de surface, soit le double du niveau national. Par ailleurs, la Bretagne est en partie composée d’îles, autre singularité importante.

Pour ce qui concerne la qualité de l’eau, madame la ministre, je souhaite aborder le sujet des polluants éternels, déjà évoqué notamment par notre collègue Ronan Dantec.

M. Simon Uzenat. En la matière, les inquiétudes sont très fortes, concentrées depuis quelques heures sur une molécule, l’acide trifluoroacétique (TFA), issu de la dégradation du flufénacet.

Cette affaire suscite beaucoup d’interrogations. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ne semble pas avoir été saisie, alors même que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) reconnaît le flufénacet comme perturbateur endocrinien et que l’Allemagne et la Commission européenne ont pris les devants. Qu’en est-il, madame la ministre ?

Nos collègues Hervé Gillé et Rémy Pointereau, dans leur rapport intitulé Pour une politique de leau ambitieuse, responsable et durable, ont rappelé que le coût de la prévention était trois fois moins élevé que celui du traitement. Et le Sénat a adopté, au mois de mai dernier, la proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). Qu’en est-il du calendrier d’examen de cette proposition de loi ? Quid en particulier de la mise en œuvre du principe pollueur-payeur et notamment de son application aux firmes pétrochimiques ?

Les collectivités locales, en ce domaine également, sont à la manœuvre. Je prends l’exemple breton : le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) de la région Bretagne réaffirme bien l’objectif de « zéro phyto » à l’horizon de 2040. La Bretagne s’est positionnée comme région volontaire sur le sujet et des territoires d’expérimentation y ont été mis en place. Pour autant, madame la ministre, les annonces récentes de votre gouvernement, comme celles qui ont été faites par la Commission européenne dans le cadre du Pacte vert, ne laissent pas d’inquiéter. Derechef, qu’en est-il ?

Quant au dossier des algues vertes, il suscite lui aussi beaucoup d’interrogations. La région Bretagne a réaffirmé sa volonté d’être aux côtés de l’État pour le copiloter et pour cofinancer les projets de territoire des huit baies concernées. En 2025, nous serons à mi-parcours du plan de lutte contre la prolifération des algues vertes (Plav), qui comprend un volet destiné aux agriculteurs : des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) ont été mises en place et, dans ce cadre, des programmes d’actions volontaires ont été lancés. Là aussi, de nombreuses interrogations demeurent. Quelles sont les intentions de l’État ? Nous avons besoin en effet d’un État qui soit à la hauteur, c’est-à-dire de moyens et d’agents de contrôle. Quelle est la volonté du Gouvernement ?

J’en viens à l’assainissement, collectif et non collectif – beaucoup de collègues ont évoqué ce sujet. Il a en particulier des incidences, pour ce qui concerne la Bretagne, sur les activités conchylicoles. La région, là aussi, a pris ses responsabilités, finançant neuf opérations pour un total de 120 équipements en 2024. En 2025, nous souhaitons aller plus loin en matière de soutien à l’assainissement non collectif afin d’accompagner notamment les foyers les plus modestes via un financement public assuré par la région et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) couvrant 100 % de la dépense. Mais il y faudra des moyens financiers, madame la ministre !

Cette préoccupation financière a été exprimée par de nombreux collègues ; je m’en fais à mon tour le porte-parole, au nom des collectivités, des agences de l’eau, des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) et autres syndicats. Nous avons des interrogations très fortes sur le financement du grand cycle de l’eau et des politiques en faveur des trames bocagères et de la haie, alors que les annonces budgétaires paraissent aller à contre-courant de ce qu’il conviendrait de faire.

Madame la ministre, vous semblez avoir pris des engagements auprès des collectivités en matière de financement des réseaux d’eau potable et d’eaux usées et de l’assainissement collectif et non collectif ; mais nous restons extrêmement vigilants. Pouvez-vous nous en dire davantage ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)