Les politiques européennes, qui protègent les consommateurs, doivent désormais protéger les industries. Cela fait partie des propositions de Mario Draghi relatives à la réforme des politiques de concurrence et des aides d’État.
En effet, si nous voulons peser sur les grands équilibres géopolitiques et économiques mondiaux, nous devons nous poser la question de savoir quel marché est pertinent pour développer nos politiques de concurrence. S’agit-il du marché européen ou bien sommes-nous capables de faire émerger des champions industriels à l’échelle mondiale, c’est-à-dire des entreprises européennes qui pourront être compétitives face aux géants américains ou chinois ?
Tels sont les défis que devra relever la Commission européenne et qui feront partie des priorités de la France au cours des prochaines années.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. De nombreux sujets ont été abordés, mais un point est revenu dans les interventions de plusieurs sénateurs et sénatrices, au-delà des clivages politiques, ce qui montre qu’un consensus, ou du moins une forme de convergence, a pu émerger : nous sommes en effet à un moment de bascule historique et géopolitique pour notre continent.
La guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine est à nos portes, les enjeux climatiques et géopolitiques sont importants, et les résultats de l’élection américaine viennent de nous rappeler une fois de plus la nécessité de prendre notre destin en main. Si nous ne le faisons pas, les règles du monde s’écriront sans nous.
J’aime bien ce proverbe américain selon lequel si vous n’êtes pas à la table, c’est que vous êtes au menu. Par conséquent, si nous ne nous donnons pas les moyens de peser dans les domaines industriel, technologique et commercial et de défendre nos intérêts, y compris en assumant des rapports de force, alors nous serons réduits à n’être qu’un sujet, à jouer un rôle passif dans le théâtre des rivalités des grandes puissances.
Tel est le message que nous portons à l’échelle européenne depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République sur la souveraineté européenne.
Puisqu’il est question d’influence, je tiens à souligner que ce discours a entraîné des avancées majeures comme la réponse collective à la crise du covid, à travers le plan Next Generation EU, la mise en œuvre du pacte sur la migration et l’asile prévoyant une réponse européenne coordonnée à travers une première sélection des demandeurs d’asile aux frontières de l’Union européenne, le renforcement de l’agence Frontex par l’instauration d’une plus grande solidarité européenne, le développement de nos outils de préférence européenne sur les questions de défense, la fin d’une forme de naïveté en matière commerciale, consacrée par l’application de tarifs douaniers sur les véhicules électriques chinois, en réponse aux pratiques commerciales déloyales de la Chine, la mise en place d’un soutien à notre politique d’innovation et, bien évidemment, le lancement du Green Deal et la défense de nos ambitions climatiques. Voilà autant d’avancées sur lesquelles la France a été pilote ces dernières années.
Si je fais cette liste, c’est non pas pour nous décerner un satisfecit et nous satisfaire de notre bilan, mais pour montrer l’étendue des champs qui restent encore à défricher, à commencer par celui de la compétitivité, de la productivité et de la prospérité de notre continent, qui sera au cœur du portefeuille de notre commissaire Stéphane Séjourné.
Nous devons nous donner les moyens de mobiliser l’épargne publique et privée pour investir massivement dans l’innovation, dans la technologie, ainsi que dans la recherche et le développement.
Il nous faut aussi unifier les marchés de capitaux de notre continent et achever l’union bancaire, c’est-à-dire en réalité finir le marché unique pour donner à nos entreprises les moyens de se développer à l’échelle européenne.
Il faudra aussi investir dans notre industrie de défense.
Tel est le message que nous porterons lors de l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel.
Nous devons nous donner les moyens d’avoir une Europe plus ambitieuse et plus influente dans son voisinage, que ce soit en Géorgie, en Moldavie, en Ukraine – c’est la condition de notre sécurité – ou encore dans les Balkans occidentaux.
Les dossiers prioritaires sont nombreux ; ils sont tous existentiels pour notre continent. Il s’agit de savoir si nous voulons continuer de peser sur les grands équilibres géopolitiques du monde ou si, au contraire, nous voulons laisser à d’autres le soin d’écrire notre histoire et notre destin à notre place. Tel est l’enjeu de ce moment de bascule.
Nous serons au rendez-vous et vous pourrez compter sur le Gouvernement, sur le Premier ministre et sur le Président de la République pour porter la voix de la France, de manière déterminée, à Bruxelles, auprès de nos partenaires européens.
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il me revient la tâche de conclure ce débat – lourde tâche que de conclure après la conclusion !
Une nouvelle Commission européenne est en train de se mettre en place à Bruxelles : la commission von der Leyen II, qui se distingue à bien des égards de la commission von der Leyen I.
Elle s’en distingue tout d’abord en raison d’un contexte politique interne très différent de celui de 2019, qui se reflète à la fois dans la composition du nouveau Parlement européen et dans celle du Conseil européen. Dans les deux cas, on observe un net déplacement du centre de gravité des institutions européennes vers la droite et, pour ce qui concerne le Parlement, une montée inquiétante des mouvements nationalistes.
Elle s’en distingue ensuite en raison d’un environnement international également très différent de celui de 2019, instable et globalement hostile, marqué par la guerre en Ukraine, les événements du Proche-Orient, la menace économique et géostratégique chinoise et la prochaine installation d’une administration américaine protectionniste.
Il en découle une réorientation des priorités de la Commission. S’il est toujours question de poursuivre un agenda environnemental et numérique ambitieux et de conserver un certain attachement de l’Union européenne au multilatéralisme, dans la sphère internationale, ces thèmes cèdent à présent le pas à des objectifs de compétitivité, de croissance, d’emploi, de réindustrialisation, d’autonomie stratégique, économique et militaire et, plus généralement, de défense résolue des intérêts européens dans tous les domaines. Un certain nombre de mes collègues viennent de le souligner.
Pour ma part, je me réjouis de ce nouveau souci de réalisme affiché par la Commission. Reste à voir si la cohésion des États membres et les moyens mis en œuvre seront suffisants pour que de réels progrès puissent être enregistrés sur tous ces sujets, inquiétude que partagent d’ailleurs plusieurs des orateurs qui se sont exprimés.
En effet, ma crainte principale porte sur l’influence que peut avoir la France dans ce contexte. Elle inquiète ses partenaires par les déficits qui plombent ses finances publiques : « une nation qui ne tient pas ses comptes ne peut pas tenir son rang ».
Par ailleurs, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner dans cet hémicycle, notre pays me paraît aujourd’hui très affaibli dans chacune des grandes institutions européennes.
Au Conseil européen, il est représenté par un Président de la République qui non seulement ne pourra se représenter en 2027, mais qui a de surcroît subi, à travers les partis qui se réclament de lui, deux échecs électoraux successifs, lesquels lui ont fait perdre une bonne part de sa crédibilité aux yeux de ses homologues européens.
Au Conseil des ministres de l’Union européenne, notre pays est représenté par un Gouvernement de compromis, que je soutiens, mais dont l’assise parlementaire est fragile et qui doit assumer à Bruxelles comme à Paris une situation budgétaire très dégradée, comme je viens de le dire, privant la France de réelles marges de manœuvres politiques.
Au Parlement européen, la France est cruellement sous-représentée dans les deux grands groupes qui ont le plus d’influence sur les politiques et la législation européenne, le Parti populaire européen (PPE) et l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D). En revanche, elle est surreprésentée dans le groupe Patriotes pour l’Europe, qui s’autoexclut du débat.
Enfin, rappelons que la France a subi de la part de la présidente de la Commission européenne un diktat inédit et humiliant concernant le choix de son candidat, conduisant au retrait de Thierry Breton et à la désignation d’une autre personnalité, insuffisamment qualifiée à mon sens pour exercer des responsabilités de ce niveau.
Le putatif commissaire français se trouve certes paré d’un beau titre de vice-président exécutif, mais alors qu’il est chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, son portefeuille me semble assez mal défini. Les risques de chevauchement avec les portefeuilles d’autres commissaires sont évidents. Par ailleurs, il n’aura a priori pas autorité sur une ou plusieurs grandes directions générales de la Commission.
Dans ces conditions, comme un certain nombre de mes collègues, je suis assez inquiet sur la possibilité pour la nouvelle Commission européenne de mener dans les mois qui viennent une action véritablement efficace, au service des citoyens européens, et sur la capacité de la France à peser sur les décisions importantes qui devront être prises.
J’espère, bien évidemment, en tant que Français et Européen convaincu, que les faits me donneront tort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Nouvelle commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ? ».
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Gestion de l’eau: bilan de l’été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Gestion de l’eau : bilan de l’été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource. »
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Jean Sol, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’année 2024, qui n’est pas encore terminée, a été marquée par des records de pluviométrie. Cette situation est exceptionnelle et même atypique, puisqu’elle intervient après plusieurs années de sécheresse dans une large partie du territoire hexagonal.
Gouverner, c’est prévoir et c’est donc anticiper. Nous avons la chance au Sénat de disposer d’une délégation à la prospective dont c’est précisément la mission. Son rapport d’information intitulé Éviter la panne sèche – Huit questions sur l’avenir de l’eau, remis à la fin de l’année 2022 et dont j’étais corapporteur, a posé un diagnostic clair et implacable, confirmé par la mission conduite l’année dernière par nos collègues Rémy Pointereau et Hervé Gillé : les cycles hydriques se modifient sous l’effet du changement climatique, faisant alterner des épisodes de fortes précipitations au printemps et à l’automne, et des épisodes prolongés chauds et secs en été, parfois aggravés par des sécheresses hivernales.
Tordons le cou à une idée fausse : nous n’aurons pas globalement moins d’eau. En effet, l’eau est une ressource renouvelable et le réchauffement climatique conduit à s’exposer à plus de précipitations puisque la quantité d’eau qui s’évapore des océans a tendance à retomber en plus grande quantité sur les terres émergées.
En revanche, les périodes de pluie, la distribution géographique et l’intensité des pluies sont déjà en train de changer. Dans le cadre du projet Explore 2070, les chercheurs ont estimé que le débit moyen des cours d’eau pourrait baisser en France de 10 % à 40 %, la variabilité pouvant être accrue tout au long d’une saison, mais aussi d’une année sur l’autre. Nous attendons les résultats de l’étude Explore2 qui devraient affiner ces prévisions et en préciser la géographie. Mais une chose est sûre : tous les territoires, même au nord du pays, seront touchés. Le récent épisode espagnol en est un exemple concret.
Dans ce contexte, ne rien faire serait catastrophique. Gérer l’eau, et la domestiquer, est consubstantiel à la civilisation. Il convient non seulement de se prémunir contre les inondations, mais aussi de sécuriser notre approvisionnement en eau potable, de savoir l’utiliser pour l’industrie, pour la production d’énergie ou encore pour l’agriculture.
Au passage, notons que l’agriculture irriguée ne représente que 10 % des surfaces agricoles, soit moins de 3 millions d’hectares.
Bien entendu, il faut tirer les leçons du passé et ne pas se lancer dans des aménagements hydrauliques néfastes à l’environnement et à la biodiversité. Nous disposons désormais des connaissances nécessaires et d’un cadre juridique très exigeant pour ne pas tomber dans les travers de tels aménagements.
Mais ne tombons pas non plus dans l’excès inverse. Le rapport d’information de la délégation à la prospective que j’ai cité et celui que la mission d’information sur la gestion de l’eau a remis en 2023 rappellent l’un et l’autre qu’il n’est pas mauvais en soi de retenir l’eau pour l’agriculture. Parfois même, le bilan écoenvironnemental peut être très positif : regardez par exemple le fonctionnement des réserves de la Vendée.
Le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique et le plan Eau annoncé au printemps 2023 par le Président de la République montrent qu’il y a une prise de conscience de la nécessité de faire des retenues collinaires et des retenues de substitution pour récupérer l’eau surabondante, notamment en hiver, afin de ne pas avoir à en pomper dans les rivières ou les nappes phréatiques durant l’été.
Sachons appliquer avec discernement le principe de précaution, en n’opposant pas l’environnement à l’activité économique et en essayant de faire dialoguer les différentes parties prenantes. En matière de politique de l’eau, nous faisons le pari que l’ensemble de celles-ci pourront se mettre d’accord au sein des instances de la démocratie de l’eau que sont les comités de bassin et les commissions locales de l’eau.
Les sécheresses successives rendent ce modèle du consensus de plus en plus fragile, mais il n’y a pas d’autre voie que celle du dialogue et de la concertation, sous réserve bien évidemment que les différents acteurs s’engagent de bonne foi.
L’année 2024 nous offre un répit, qui ne doit pas nous faire oublier que les restrictions d’eau pourront revenir très vite. Elles n’ont d’ailleurs pas disparu, cette année, sur la totalité du territoire.
Dans mon département des Pyrénées-Orientales, où vous vous êtes rendue, madame la ministre, comme partout ailleurs, l’accès à l’eau est stratégique non seulement pour la population qui y réside, mais aussi pour le secteur touristique et surtout pour nos agriculteurs, viticulteurs, maraîchers, cultivateurs, arboriculteurs et éleveurs. Depuis plusieurs années, les arrêtés préfectoraux relatifs aux mesures de restriction en période de sécheresse se multiplient et tendent à devenir permanents.
Toutes les parties prenantes font des efforts pour s’adapter, qu’il s’agisse des agriculteurs, engagés dans des actions d’économie d’eau, des élus, ou bien encore des acteurs des secteurs hôtelier et des activités de plein air. Mais ces efforts ne seront supportables à long terme que s’ils s’accompagnent d’une gestion plus active et plus ambitieuse de la part des pouvoirs publics. Il faut sortir de l’immobilisme.
Tous les outils doivent être mobilisés : il faut non seulement faire des économies d’eau, mais également prévoir la réfection des réseaux d’eau potable fuyards. N’oublions pas que, à l’échelle nationale, on estime à un milliard de mètres cubes par an, soit 20 % de l’eau potable produite, la quantité d’eau qui n’arrive pas jusqu’au client final.
Nous devons aussi agir sur l’offre, en utilisant toute la palette des solutions. Il faudra ainsi réaliser de nouvelles retenues de l’eau venant des Pyrénées, là où c’est possible, en plus des barrages de Vinça ou de l’Agly.
Nous devrons développer les retenues collinaires dans les exploitations agricoles, en réduisant la durée des procédures d’autorisation et en les simplifiant, ce qui diminuera aussi les coûts. En effet, le coût des études préalables est bien souvent plus élevé que celui des travaux !
Il conviendra aussi de pratiquer davantage la réutilisation des eaux usées traitées, notamment dans la zone littorale, pour des usages autres que l’approvisionnement en eau potable.
Enfin, nous aurons besoin de prolonger l’aqueduc Aqua Domitia depuis l’Aude jusqu’à Perpignan, afin de pouvoir recourir à l’eau du Rhône quand les Pyrénées n’en fourniront plus suffisamment.
Pour conclure, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est pas tenable de faire reposer l’essentiel de la stratégie pour l’eau des Pyrénées-Orientales sur des efforts d’économie. Beaucoup a déjà été fait en la matière. Les communes littorales gèlent le développement touristique pour ne pas davantage solliciter la ressource en période d’étiage. Les agriculteurs s’autolimitent fortement. Le risque est d’abandonner des pans entiers du territoire, qui seront rendus à la garrigue ou à la forêt, dans un secteur à fort danger d’incendie.
Nous n’avons pas le temps d’attendre dix ans avant de voir validés les projets de retenues collinaires. Ne soyons pas lents ou timides. Des solutions existent. Arrêtons de multiplier les études et les comités Théodule. N’attendons plus pour agir, car il y a urgence. Les pluies de 2024 ne nous ont donné qu’un court répit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie M. Sol d’avoir « planté le décor » de ce débat sur l’eau.
Tout d’abord, en effet, la ressource en eau est menacée par le dérèglement climatique. Nous l’avons constaté lors des épisodes de sécheresse particulièrement importants, notamment dans les Pyrénées-Orientales. Nous le constatons encore au travers des inondations qui sévissent de manière répétée dans différentes parties de notre pays. L’enjeu est donc de nous adapter.
Pour cela, nous disposons premièrement du plan Eau, qui traite en particulier les questions de sobriété et de réutilisation de l’eau, en prévoyant la construction d’infrastructures garantissant un meilleur accès à l’eau et une gestion plus efficace sur un cycle complet, au cours d’une année entière.
Deuxièmement, nous pourrons nous appuyer sur la feuille de route concernant la protection des captages. Je veux d’ailleurs vous dire, monsieur le sénateur, que l’étude Explore2 a été publiée, dont les conclusions matérialisent le mur d’investissements qui sera nécessaire pour traiter les métabolites dans l’eau brute. Nous devons nous emparer de ce sujet et c’est l’un des prochains objectifs que nous nous sommes fixés au sein du ministère.
Troisièmement, le Premier ministre a annoncé la tenue d’une grande conférence nationale sur l’eau dont l’objet sera de territorialiser notre politique de l’eau en développant son volet non seulement quantitatif, mais aussi qualitatif.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Mireille Conte Jaubert. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Conte Jaubert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré une pluviométrie abondante au printemps et au début de l’été dernier, vingt et un départements ont tout de même dû faire face à des restrictions importantes imposées par les préfectures. Ces mesures montrent bien qu’une gestion durable de l’eau ne peut plus dépendre uniquement des conditions saisonnières, mais qu’elle nécessite des réponses structurelles.
Nous le savons tous, la gestion de l’eau est une question cruciale et l’été 2024 n’a fait que renforcer cette réalité, notamment en Gironde, département qui a été placé en état de crise en raison de la baisse du débit des cours d’eau.
Les périodes de restriction sont devenues la norme et non plus l’exception. Durant l’été dernier, les limitations d’usage ont affecté l’arrosage des jardins, l’irrigation des cultures et même certaines activités économiques. Or ces mesures ne sont que des solutions temporaires qui ne constituent ni une réponse d’envergure ni une réponse de long terme. La gestion de l’eau peut notamment être appréciée au regard de la vétusté de nos infrastructures et de l’inefficacité de notre système de distribution, où chaque goutte compte désormais.
Je souhaite ici poser une question essentielle : comment peut-on accepter que plus de 20 % de notre eau potable se perde chaque jour en raison de fuites ? Ce chiffre, bien trop élevé, n’est pas seulement une donnée technique. Il est aussi le reflet d’années de sous-investissements dans nos réseaux d’eau.
La modernisation de nos canalisations, qui représentent plus de 900 000 kilomètres de réseau déployé à travers la France, n’avance qu’à un rythme de 0,67 % de renouvellement par an. Si l’on continue ainsi, il faudra plus d’un siècle pour remettre à neuf l’ensemble du réseau !
Dans la continuité de ce qui avait été proposé par Nathalie Delattre et le groupe du RDSE lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, je suggère la création d’un fonds bleu de solidarité pour soutenir la rénovation des réseaux d’eau en France.
Toutefois, la mise en place de ce fonds ne pourra pas être efficace si les recettes des agences de l’eau continuent d’être redirigées vers le budget de l’État. Ce prélèvement compromet en effet la capacité de ces agences à investir directement dans l’entretien et l’amélioration des infrastructures hydriques locales.
Si ce transfert budgétaire est maintenu dans les années à venir, d’autres sources de financement devront être envisagées, comme l’établissement de contributions fondées sur la consommation d’eau, sur le modèle de l’ancien fonds national pour le développement des adductions d’eau. Ce fonds, financé en partie par une taxe sur les paris du PMU et par une redevance sur l’eau potable, pourrait servir de référence.
Une fois financé, ce fonds bleu pourrait être redistribué prioritairement aux communes et aux syndicats dont les infrastructures sont les plus dégradées. En Gironde, par exemple, de nombreux syndicats de petite taille peinent à assurer l’entretien de leur réseau, en comparaison de ce qui se fait dans les grandes villes comme Bordeaux.
En partenariat avec les agences de l’eau, les conseils départementaux doivent également apporter un soutien technique aux plus petites communes pour cibler les rénovations et optimiser leur coût.
Enfin, assurer la gestion de l’eau, c’est aussi garantir son optimisation. En ce sens, madame la ministre, je salue votre volonté de compléter le plan Eau sur la protection des captages d’alimentation.
Il faudra aussi sensibiliser toujours plus la population sur les usages non essentiels de l’eau potable, que l’on doit réserver à la consommation humaine et à la préservation de la santé publique.
Si l’été 2024 a vu, comme les précédents, se multiplier les signaux d’alarme, nous avons encore le temps d’agir pour préserver l’eau, cette ressource précieuse pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe CRCE-K)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Madame la sénatrice Conte Jaubert, comme le collègue qui vous a précédée, vous nous avez donné beaucoup d’éléments qui « plantent le décor » de ce débat. Je vous remercie d’avoir mentionné que vous souteniez la feuille de route du ministère sur la protection des captages.
Pour ce qui est de la résorption des fuites d’eau, je tiens à préciser que l’accompagnement des agences de l’eau, notamment sous la forme d’investissements, concerne 57 % des 170 collectivités locales qui sont considérées comme des points noirs. Certes, tous les sujets ne sont pas résolus, mais la trajectoire est lancée.
Le problème concerne particulièrement les outre-mer. Si les taux de fuite sont en moyenne de l’ordre de 20 %, ils peuvent dépasser 60 % dans certains territoires ultramarins. C’est donc une nécessité absolue de nous y attaquer.
L’enjeu sera d’accompagner l’évolution du budget des agences de l’eau. En effet, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit de reporter à 2026 la hausse de leur plafond de recettes. Je tiens à préciser que, théoriquement, cela ne posera pas de problème compte tenu des projets déjà engagés pour 2025. Nous aurons probablement l’occasion d’y revenir lors du débat budgétaire. Bien évidemment, ce qui importe, c’est le niveau de trésorerie des agences de l’eau.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les événements dramatiques survenus récemment en Espagne illustrent de façon tragique les conséquences dévastatrices du dérèglement climatique sur le cycle de l’eau.
Les sécheresses et les inondations extrêmes qui se succèdent à travers l’Europe révèlent l’ampleur de la crise hydrique qui nous menace. Les scientifiques prédisent une intensification des sécheresses, sur la base d’un réchauffement moyen de 4 degrés Celsius à l’horizon 2100 – cela correspond à la prévision du Gouvernement – et d’une baisse de 30 % à 40 % de la quantité d’eau disponible d’ici à 2050.
En France, les effets sont déjà visibles, qui prennent la forme d’un assèchement des sols, d’une baisse drastique du niveau des nappes phréatiques et de tensions exacerbées entre les différents usages.
L’intensité des périodes de sécheresse que nous avons connues ces dernières années et leur fréquence accrue percutent sérieusement notre gestion de cette ressource vitale. Elles rappellent également l’urgence qu’il y a à mettre en œuvre une politique de régulation et de partage de l’eau à la hauteur des enjeux. L’heure est venue de repenser en profondeur notre modèle de gestion de l’eau.
C’est pourquoi j’attire votre attention, ce soir, sur trois sujets qui méritent réflexion : les mécanismes de concertation pour la gestion de l’eau, les fuites d’eau et le prix de l’eau.
L’eau est un bien commun qu’il faut s’efforcer de rendre accessible à tous. De ce fait, sa gestion doit être collective et équitable, particulièrement en période de rareté.
Or certaines situations préoccupantes soulèvent des interrogations fondamentales. J’ai récemment pris connaissance de ce que vivait un riverain du château de Savoye, dans le Cher, lequel ne peut que constater l’assèchement de la rivière Villabon trois à six mois par an, à la suite de la création d’une retenue d’eau en amont. Cette construction, autorisée par la préfecture, a été réalisée sans étude préalable sérieuse et sans aucune consultation des parties concernées.
Il s’agit d’une question environnementale, mais également d’ordre public : comment préviendrons-nous la montée des tensions liées à l’eau alors que celle-ci se raréfie ? Les décisions unilatérales et les conflits d’usage ne feront que s’intensifier si nous ne mettons pas en place des mécanismes de concertation robustes.
La mesure 33 du plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau – d’ici à 2027, « chaque sous-bassin versant sera doté d’une instance de dialogue » – est un premier pas. Toutefois, des questions cruciales restent sans réponse : quelle sera l’autorité réelle de ces instances locales pour trancher, dans des cas de conflit d’usage ? Quelles solutions sont envisagées à l’échelle locale en matière d’adaptation à des variations saisonnières extrêmes ?
Une première solution pour réduire la fréquence des conflits d’usage serait de ne pas gaspiller la ressource. Pourtant, certaines de nos communes voient jusqu’à 30 % de leur eau potable se perdre au travers de fuites dans les réseaux de distribution. À l’échelle nationale, le rendement moyen des réseaux est de 81 %, ce qui signifie qu’environ 19 % de l’eau destinée à la consommation se perd avant même d’être distribuée à nos concitoyens.
Dans le contexte actuel de sécheresses répétées, où nous demandons des efforts considérables à la population pour réduire sa consommation, ce niveau de rendement est loin d’être suffisant.
Les collectivités locales sont en première ligne face au défi de l’approvisionnement. Toutefois, elles peinent à faire face à la complexité technique et aux coûts élevés des travaux nécessaires pour moderniser leurs infrastructures de distribution et d’assainissement.
Le Gouvernement a bien pris connaissance de cette problématique, qui est identifiée dans le plan Eau. Au total, 170 points noirs ont été répertoriés par les services de l’État, soit 170 communes, intercommunalités ou syndicats où 50 % de la ressource est perdue dans les canalisations : un litre sur deux est gâché.
Les agences de l’eau pourraient jouer un rôle essentiel dans l’accompagnement technique des collectivités pour détecter, pour réparer et pour prévenir les fuites sur les réseaux, mais elles manquent de moyens. Dans ce contexte, quelles solutions proposez-vous, madame la ministre, pour accompagner les collectivités dans la modernisation de leurs infrastructures et dans la réduction de ces pertes ?
Par ailleurs, l’eau est particulièrement bon marché en France par rapport à d’autres pays européens. Ce faible coût, tout en étant un facteur de justice sociale, envoie également un signal ambivalent quant à la valeur de la ressource, dont la rareté se fait de plus en plus sentir. Actuellement, dans notre pays, le prix moyen de l’eau potable est d’environ 3,56 euros par mètre cube, soit 11 % de moins que la moyenne européenne. Ce tarif ne reflète pas l’ensemble des efforts nécessaires pour garantir à chacun un approvisionnement en eau propre et potable.
Ces efforts, déjà coûteux à l’heure actuelle, le seront de plus en plus dans les années à venir. Comme mentionné précédemment, des investissements importants, indispensables pour rénover notre réseau vieillissant et pour limiter les pertes liées aux fuites, devront inclure les coûts additionnels associés aux défis posés par le dérèglement climatique.
Alors que vous promouvez, madame la ministre, la sobriété comme une valeur cardinale, la question du prix de la ressource sera-t-elle à l’agenda ? Autrement dit, si tant est que « l’eau paie l’eau », le coût des travaux nécessaires pour moderniser notre système d’approvisionnement sera-t-il répercuté sur les tarifs ?
Madame la ministre, lors de votre dernière audition par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, que j’ai l’honneur de présider, vous avez évoqué le besoin de repenser la gestion de la ressource. Aujourd’hui, en portant à votre attention ces pistes de réflexion, je vous propose d’aller plus loin, en contribuant au débat sur notre gestion de l’eau, et de consacrer réellement sa valeur de bien commun. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDSE, GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le président Longeot, j’ai déjà indiqué qu’au moins 57 % des 170 collectivités et syndicats « points noirs » sont accompagnés par les agences de l’eau. L’un des objectifs du plan Eau est de faire en sorte que toutes les collectivités locales concernées reçoivent une réponse.
Cela suppose – vous avez fait le lien – de nous pencher, sans tabou, sur la question du financement des agences de l’eau, qui sera un sujet de la conférence nationale sur l’eau que le Premier ministre souhaite lancer à l’occasion du soixantième anniversaire de la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, dite loi Eau. Nous devons faire face à un mur d’investissement.
Il faut d’ailleurs faire en sorte que ces redevances – c’est une des réformes que nous voulons défendre – tiennent également compte de la performance des réseaux, et ce pour inciter à investir, entre autres, dans la lutte contre les fuites. Vous connaissez aussi les enjeux autour de la redevance pour pollution diffuse.
Au-delà de ces sujets dont nous devons nous emparer, que signifie « payer le juste prix » d’une eau disponible à la fois en quantité suffisante et – ce qui est un élément majeur pour la préservation de notre santé – en qualité ?
Concernant les mécanismes de concertation, la conférence nationale sur l’eau, qui a vocation à être déclinée bassin par bassin, donnera l’occasion de se pencher sur le fonctionnement des instances de dialogue prévues. Nous ne disposons actuellement d’aucune autorité « mordante » ; aussi, c’est également par la concertation que nous arriverons à résoudre les conflits d’usage.
Nous connaissons les deux enjeux : réduire tout ce qui relève du gaspillage, à savoir les fuites et les usages qui ne sont pas essentiels dans les moments de tension, et réutiliser la ressource en son entier. Sur ce dernier sujet, nous avons beaucoup à apprendre d’autres pays, car nous ne sommes pas les meilleurs « réutilisateurs » d’eau : même si nous avons publié des textes en la matière en début d’année, nous disposons, notamment dans ce domaine, d’une marge de progression importante.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE. – M. Rémy Pointereau applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans vouloir revenir, en guise de préambule, sur l’histoire de l’humanité, je rappelle que la sédentarisation humaine et l’évolution à travers les siècles de toute société n’ont pu avoir lieu qu’à partir d’une gestion de l’eau efficace.
Le bilan de l’été 2024 pourrait être le suivant : il est plus simple de gérer une ressource quand elle est abondante. Il est vrai que nous n’avons pas manqué d’eau cet été. Le mois de juin a été excédentaire de 20 % en précipitations et juillet a été dans les normales de saison, même si le mois d’août s’est montré très sec, avec 25 % de précipitations en moins par rapport aux normales.
Cet été est donc dans la moyenne. Il a pu sembler plus humide que d’habitude pour certains territoires parce que les étés récents ont été plus secs et que les différences ont été notables d’une région à l’autre.