En effet, la Kanaky-Nouvelle-Calédonie est soumise, depuis le 13 mai dernier, à de très vives tensions, qui ont dévasté le pays. Le bilan est lourd tant sur le plan humain, puisque treize morts sont à déplorer, que sur le plan économique et social, dans la mesure où près de 800 entreprises ont été détruites, où 24 000 emplois ont été suspendus ou totalement perdus et où, selon les estimations, le montant des dégâts avoisinerait les 2 milliards d’euros.

Mes chers collègues, ayons une pensée pour les familles endeuillées et les personnes blessées dans leur chair, ainsi que pour ceux qui ont perdu leur emploi, leur travail ou l’investissement de toute une vie.

Encore une fois, j’ai le sentiment que l’histoire, les vieilles pratiques ou l’ancien réflexe colonial se répètent inlassablement.

Au lieu de réussir ensemble la sortie de l’accord de Nouméa qui est un processus de concorde et de décolonisation, qui nous aura permis de vivre trente-cinq ans en paix, l’État central, comme s’il cédait à un vieux réflexe longtemps refoulé, décide, impose et se braque soudainement sur une date de référendum que les indépendantistes contestent, ainsi que sur une réforme unilatérale du corps électoral. La suite, vous la connaissez…

Pour rappel, le renouvellement des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie et des assemblées de province devait avoir lieu en mai 2024, conformément aux dispositions de la loi organique. Or le précédent gouvernement avait décidé de reporter ces élections, le temps de modifier le corps électoral dans un calendrier très contraint.

Le mouvement indépendantiste dans son ensemble, très attaché à la lettre et à l’esprit de l’accord de Nouméa, s’est toujours opposé à cette démarche et a dénoncé le fait que la question du corps électoral, élément clé de l’accord de Nouméa, ait été sortie du champ de la réflexion globale. Le mouvement indépendantiste a également alerté et mis en garde quant aux risques que l’adoption d’un tel texte pouvait comporter.

Le Premier ministre, Michel Barnier, a annoncé lors de son discours de politique générale souhaiter reprendre le dialogue et ouvrir une période consacrée à la recherche du consensus politique ; il a également déclaré que le texte relatif au dégel du corps électoral, adopté par les deux chambres, ne serait pas soumis au Congrès de Versailles. Nous nous en félicitons, mais nous resterons vigilants.

Après le 13 mai, au-delà des chiffres, la méfiance, la défiance, la rancœur et une certaine forme de haine sont apparues et se sont exprimées. Pourtant, il va falloir se retrouver et se regarder de nouveau en face dans la vie de tous les jours, se reparler, reconstruire et réapprendre à vivre ensemble.

Aujourd’hui, il nous est proposé de reporter pour la seconde fois la tenue de ces mêmes élections. Je regrette à ce titre que l’amendement que j’ai déposé en commission des lois ait été rejeté.

En effet, comme une majorité des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie, je ne suis pas opposé par principe au report de ces élections, et cela pour au moins deux raisons : d’une part, il faut parvenir à l’adoption d’un budget pour l’année prochaine, afin d’assurer la continuité du fonctionnement des institutions néo-calédoniennes et de traiter les urgences sociales ; d’autre part, il faut garantir que la prochaine rentrée scolaire se déroule dans un contexte apaisé.

Reste à savoir pour combien de temps… Je rappelle que les mouvements du 13 mai ont à la fois clairement sanctionné le passage en force du précédent gouvernement et révélé une profonde défiance vis-à-vis de la classe politique, tous bords confondus.

Alors que s’ouvre une nouvelle phase de discussion, il va falloir, par les urnes, donner rapidement une légitimité politique nouvelle aux responsables, qui devront reprendre le dialogue et écrire une nouvelle page de notre histoire.

Quant à la reprise des négociations, les indépendantistes ont toujours affirmé et réaffirmé que la suite devait s’écrire dans l’esprit et la lettre de l’accord de Nouméa, qui correspond, je le redis, à un processus de décolonisation.

Monsieur le ministre, je ne puis me satisfaire de votre réponse à la question au gouvernement que j’ai posée cet après-midi : vous avez déclaré que le principe d’autodétermination figurait dans la Constitution française. Or seuls l’accord de Nouméa et les règles internationales garantissent le processus d’accession à une pleine souveraineté.

Aussi, j’insiste : je vous interroge très solennellement sur la vision qu’a l’exécutif de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. J’invite par ailleurs l’État français à porter un regard décomplexé sur son histoire coloniale.

Qui sait ? Nous réussirons peut-être ensemble à sortir par le haut, à écrire une nouvelle page de notre histoire commune et à bâtir une nouvelle relation. En tout cas, mettons toutes les chances de notre côté pour aboutir à une décolonisation réussie et définir ensemble de nouvelles fondations. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de gravité et de sérieux que nous devons de nouveau aborder le sujet des élections en Nouvelle-Calédonie. La dernière fois que nous l’avons fait, il y a sept mois, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle relatif au dégel du corps électoral, nous avons commis une faute, contre laquelle nous avions pourtant mis en garde, ici même, à cette tribune.

Cette faute était évitable et son résultat était prévisible. Croyez-moi, je n’en tire aucune satisfaction, aucun plaisir, ni aucune fierté, car elle a conduit aux violences que chacun connaît.

Le Gouvernement, en choisissant de répondre par la voie répressive, a contribué à aggraver une faute qui a coûté la vie à treize personnes, lesquelles seraient toujours en vie si nous nous étions montrés un peu plus responsables, plus humbles, plus raisonnables, et davantage à la hauteur des enjeux.

M. Mickaël Vallet. Bien dit !

Mme Mélanie Vogel. Tout cela est désormais inscrit dans notre histoire. L’État doit en assumer la responsabilité et, surtout, ne pas reproduire les mêmes erreurs, qui sont, me semble-t-il, de quatre ordres.

Tout d’abord, l’État a cherché à isoler le sujet du dégel du corps électoral, qui est une vraie et une sérieuse question qu’il convient de régler, de la question globale de la citoyenneté calédonienne, donc du statut et de l’avenir global de la Nouvelle-Calédonie. C’est impossible !

Ensuite, il est revenu sur sa promesse de rester impartial en prenant fait et cause pour un camp ; il a ainsi rompu l’indispensable confiance nécessaire à tout processus politique apaisé et constructif. Il est également passé en force en persistant, malgré toutes les mises en garde, à faire voter un projet de loi sans accord local, lequel mettrait assurément le feu aux poudres.

Enfin, l’exécutif a en grande partie répondu par la répression aux violences résultant de son action, allant jusqu’à incarcérer des militants kanaks en métropole, une décision qu’a cassée hier la Cour de cassation.

C’est simple, il ne faut plus jamais agir ainsi ! Alors, que faire ? La plupart des éléments conduisent à penser que la tenue d’élections d’ici au mois de décembre prochain serait trop complexe et plaident à l’inverse en faveur d’une solution de sagesse impliquant des échéances plus tardives. C’est d’ailleurs le sens de l’avis rendu hier par le congrès de la Nouvelle-Calédonie.

La question du corps électoral n’est pas réglée, comme la plupart des questions d’ailleurs. La Nouvelle-Calédonie est souffrante. Son économie est dévastée et ses habitants durablement meurtris. Les dégâts sont estimés à plus de 2 milliards d’euros ; près de 29 % des travailleurs du secteur privé sont au chômage partiel ; les exportations de nickel ont été divisées par trois.

Le plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R) doit donc se matérialiser. La reconstruction, l’apaisement, l’amorce de nouvelles négociations auxquels ce report laisse la place peuvent déboucher sur un mieux… ou non.

Cela dépend beaucoup de nous, mes chers collègues. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, mais nous pouvons décider de faire mieux. Nous pouvons renouer avec l’esprit de concorde de l’accord de Nouméa et essayer, pour une fois, pour ce territoire, de ne pas totalement rater un processus de décolonisation.

Je salue à ce titre les récentes déclarations du Premier ministre, qui sont de nature à rompre avec les méthodes ayant mené à la catastrophe, donc à rassurer. Elles doivent maintenant trouver un débouché concret.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je demande au Gouvernement de s’engager aujourd’hui sur un certain nombre de points qui sont indispensables si l’on veut que ce report soit positif et utile.

La présente proposition de loi ne fixe pas de date précise pour la tenue des prochaines échéances électorales. Elle prévoit que ces scrutins puissent se tenir à tout moment, et ce jusqu’à la fin du mois de novembre 2025, en vertu d’un avis rendu par le Conseil d’État et de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

Comme vous le savez, certains acteurs néo-calédoniens ont exprimé le souhait que les élections puissent se tenir plus tôt, par exemple au printemps prochain, dès que les conditions pour renouveler et relégitimer le personnel politique seront réunies.

Monsieur le ministre, vous engagez-vous, au nom du Gouvernement, à convoquer des élections au moment approprié, y compris s’il se situe au premier semestre 2025 ?

Les négociations pour parvenir à un accord sur la question du corps électoral et, plus largement, sur le statut de la Nouvelle-Calédonie, doivent reprendre dans de bonnes conditions. Monsieur le ministre, le Gouvernement s’engage-t-il à y prendre une part active et impartiale et à rester ouvert à toute option possible et à tout statut imaginable en vertu du droit à l’autodétermination du peuple néo-calédonien ?

En novembre prochain, si aucune perspective d’accord global, ni même partiel, ne se dégage, autrement dit si nous nous trouvons exactement dans la même situation qu’en début d’année, le Gouvernement s’engage-t-il à ne pas commettre les mêmes erreurs et à ne pas lancer de nouveau une réforme unilatérale qui provoquerait irrémédiablement les mêmes effets que la précédente ?

Savez-vous comment Einstein définissait la folie ? « C’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » Rassurez-nous, monsieur le ministre, et dites-nous que vous ne serez pas fous. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Fabien Gay applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Nouvelle-Calédonie traverse une crise économique, sociale et politique d’une extrême intensité depuis le mois de mai 2024, une crise si grave qu’elle touche tous les secteurs d’activité privé et public.

La vie quotidienne des habitants est devenue intenable, qu’il s’agisse de l’approvisionnement alimentaire, de la santé, des transports ou de l’accès aux services publics et à la scolarité, au point qu’il est devenu préférable pour nombre d’entre eux de quitter le territoire.

L’origine des émeutes, tout comme leurs conséquences, est connue et documentée : l’adoption à marche forcée du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie en l’absence de tout accord politique global sur l’avenir institutionnel du territoire.

Que le Premier ministre ait décidé de se réapproprier ce dossier, qui n’aurait jamais dû être traité en dehors de Matignon, est salutaire : cela montre sa préoccupation et, peut-être, une certaine prise de conscience. Néanmoins, nous ne pouvons que déplorer que celle-ci soit si tardive.

Alors que notre groupe n’a cessé de dénoncer le passage en force du précédent gouvernement, l’exécutif n’a pas pris la mesure de la situation plus rapidement. Nous avons inlassablement réclamé un report des élections, préalable indispensable à un accord global sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie qui intégrerait éventuellement la question du dégel du corps électoral. En effet, ce n’est ni à l’État ni même aux parlementaires de se substituer aux parties prenantes en imposant un calendrier. L’État doit être un accompagnateur, un arbitre facilitateur de la recherche d’un consensus.

Les faits sont têtus, et l’histoire en a gardé la trace : depuis les accords de Matignon-Oudinot en 1988 et l’accord de Nouméa en 1998, cette méthode a fait ses preuves. Ce sont des précédents incontournables dont il faut s’inspirer pour bâtir un destin commun des communautés qui résident en Nouvelle-Calédonie.

Pour obtenir cette situation apaisée, il faut reprendre le chemin de la concertation et des négociations. Grâce aux accords de 1988 et 1998, la Nouvelle-Calédonie est heureusement dotée d’institutions locales, qui non seulement demeurent des espaces de médiation, mais aussi attribuent aux autorités locales le rôle de dernier rempart contre l’effondrement du territoire.

Vous le savez, monsieur le ministre, pour résoudre la crise politique, il y a deux priorités : bien sûr, acter le report des élections territoriales ; mais aussi répondre à l’urgence économique, sociale et humanitaire en Nouvelle-Calédonie.

Pour satisfaire la première urgence, la présente proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie en 2025 semble indispensable. Elle est d’ailleurs considérée comme telle par les premiers concernés : j’en veux pour preuve l’avis favorable et quasiment unanime rendu hier par le congrès de la Nouvelle-Calédonie sur ce texte, par 47 voix sur 50 au total. Le premier report en janvier 2024 n’avait obtenu que 38 voix favorables.

Tous les groupes politiques néo-calédoniens s’accordent donc sur ce constat : il faut prendre tout le temps nécessaire pour élaborer un nouvel accord. En demandant un report, notre groupe souhaite précisément inscrire ces enjeux dans le temps long ; il croit à une démarche de médiation, de dialogue et de négociation permettant d’aboutir à un accord global. Il vise ainsi un but d’intérêt général.

Que le Gouvernement ait repris notre texte à son compte et qu’il l’ait inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée qui lui est réservé montre une volonté, que j’espère durable, de renouer le fil du dialogue dont dépend la pérennité du redressement économique et social de la Nouvelle-Calédonie.

Cette remarque m’amène à la seconde urgence : la dégradation très préoccupante de la situation sociale, économique et humanitaire du territoire depuis le début des émeutes en mai dernier.

En regard de la situation – plus de 700 entreprises et 6 000 emplois ont déjà disparu, 25 000 personnes sont au chômage partiel ou total et la facture des dégâts causés aux infrastructures publiques et privées est estimée à 2,2 milliards d’euros –, l’aide de 400 millions d’euros versée jusqu’à présent par l’État paraît largement insuffisante.

De plus, les troubles à l’ordre public perdurent en dépit du déploiement des forces de l’ordre, ce qui crée d’évidentes difficultés matérielles et rend impossible l’organisation d’opérations électorales dans les prochaines semaines.

Le gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie a présenté à la fin août un plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction destiné à bâtir un nouveau modèle économique et sociétal.

Le congrès a également adopté une résolution faisant appel à la solidarité nationale qui prend la forme d’un plan quinquennal prévu jusqu’en 2029, dont le montant est évalué à 4,2 milliards d’euros, dégressif sur les cinq prochaines années et destiné à soutenir trois secteurs prioritaires : les collectivités locales et les régimes sociaux ; les personnes privées d’emploi et la préservation de l’accès aux soins ; enfin, le soutien aux entreprises et le sauvetage de l’industrie du nickel.

Je souhaite que l’examen du projet de loi de finances pour 2025 soit l’occasion pour le Gouvernement de prouver son intérêt pour la Nouvelle-Calédonie. Si, d’aventure, ce plan quinquennal ne trouvait pas de traduction budgétaire concrète, les parlementaires ne manqueront pas d’agir par voie d’amendement à l’occasion de la discussion budgétaire.

Monsieur le ministre, pour reprendre les termes du Conseil d’État, la gravité du contexte et l’ampleur de la dégradation des conditions de vie en Nouvelle-Calédonie compromettent la sérénité nécessaire tant au dialogue qu’à l’organisation du scrutin provincial avant le 15 décembre 2024.

Je souhaite donc insister encore une fois sur quelques conditions préalables pour rétablir le dialogue avec les Néo-Calédoniens.

En premier lieu, il faut confirmer que la réforme constitutionnelle est retirée, et non simplement ajournée.

En deuxième lieu, il faut créer et envoyer en Nouvelle-Calédonie une mission de dialogue déconnectée de l’exécutif et chargée d’écouter toutes les parties : cela permettra d’envoyer un signal fort aux habitants et, ainsi, de rétablir des relations de confiance.

En troisième et dernier lieu, il faut créer une instance permanente et commune au sein du Parlement, de type délégation, à l’image des comités de signataires qui ont jalonné le suivi de l’accord de Nouméa.

Monsieur le ministre, n’oubliez pas que la situation actuelle révèle les profondes inégalités qui perdurent entre les communautés, en dépit d’une politique très volontariste et des mesures prises par l’État depuis 1988. Pour compenser les torts subis par les Kanaks, il est indispensable de réfléchir à une solution institutionnelle innovante et consensuelle.

En guise de conclusion, je tiens à remercier la commission des lois qui, en adoptant ce texte, a reconnu qu’il satisfaisait aux exigences constitutionnelles, notamment du fait du caractère exceptionnel et transitoire du report, ainsi que du but, évidemment d’intérêt général, qu’il vise.

En adoptant trois amendements, la commission a également sécurisé juridiquement notre dispositif : elle en a amélioré la lisibilité, conformément aux recommandations du Conseil d’État, et en a garanti l’opérationnalité et l’application en temps utile, en prévoyant son entrée en vigueur dès le lendemain de la publication du texte au Journal officiel, afin qu’il puisse produire tous ses effets avant le 17 novembre 2024, date limite de convocation du corps électoral.

Le texte qui vous est soumis, mes chers collègues, constitue le prérequis indispensable à un retour de la paix civile en Nouvelle-Calédonie. Mon groupe politique le votera, et je ne puis que vous inviter à en faire de même. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre. Je ne pensais pas reprendre la parole, mais je souhaite tout de même apporter deux précisions, en réponse à l’intervention de M. Robert Wienie Xowie.

Il convient de bien distinguer deux notions, l’indépendance et de décolonisation, car il ne s’agit pas tout à fait de la même chose. Si le processus politique et institutionnel engagé par l’accord de Nouméa s’est achevé au terme des trois consultations, il ne saurait emporter la fin du processus de décolonisation culturelle, économique et sociale. Le Gouvernement poursuivra les actions qui ont été engagées en la matière par ceux qui l’ont précédé. Je tenais à préciser ce point, afin qu’il n’y ait pas de défaut d’interprétation.

Peut-être ai-je été un peu rapide en répondant à la question d’actualité qui m’a été posée aujourd’hui ; je profite donc de l’occasion qui m’est offerte par ce débat pour vous donner ces explications de la façon la plus claire possible – tout au moins je l’espère.

Je souhaite aussi apporter une réponse d’ordre économique, notamment à la question posée par Mme Jocelyne Guidez.

Voilà ce qu’il en est à la suite de mon déplacement, la semaine dernière, dans l’île. Chacun doit avoir en tête que les transferts de fonds de l’État pour la Nouvelle-Calédonie s’élèvent chaque année à un peu plus de 1,7 milliard d’euros ; c’est la situation normale.

Pour 2024, le précédent gouvernement avait annoncé l’attribution de 400 millions d’euros supplémentaires.

Au titre du budget pour 2024, seront dégagés 250 millions d’euros pour le soutien aux collectivités et le chômage partiel. Il faut y ajouter 4 millions d’euros en vue de permettre à la province Sud de continuer à financer les navettes maritimes qui ont été mises en place, la route de Saint-Louis étant encore dangereuse ; ce dispositif sera donc pris en charge par l’État.

Vous l’avez rappelé, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit des crédits à hauteur de 500 millions d’euros : il s’agit de faire bénéficier les collectivités locales d’un prêt qui leur permettra de régler leur problème de garanties ; s’y ajouteront 170 millions d’euros de garanties supplémentaires.

Quant à la circulaire dite de reconstruction, elle prévoit la prise en charge de dépenses de guichet. Il y est ainsi indiqué, à destination des collectivités locales, notamment des communes, que l’État financera à hauteur de 100 % la reconstruction des écoles et à 70 % celle des autres bâtiments publics.

Si l’on additionne les montants inscrits dans le budget pour 2024 et ceux qui sont prévus dans le projet de budget pour 2025, indépendamment d’autres points qui pourraient évoluer, nous parvenons à un total un peu supérieur à 1,3 milliard d’euros consacrés au redressement de la Nouvelle-Calédonie.

Je tenais à vous apporter ces précisions, car il convient de distinguer, d’une part, les chiffres qui sont parus et qui figurent dans le projet de loi de finances, et, d’autre part, ceux qui sont inscrits dans les décisions que nous avons prises la semaine dernière.

Pour conclure, je veux dire qu’il existe en effet deux plans : d’une part, le plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R), qui est celui du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; d’autre part, le plan émanant du groupe transpartisan du congrès de la Nouvelle-Calédonie, que nous avons également reçu. Il ne faut pas opposer les deux ! Tout l’enjeu consiste à trouver des points de convergence.

Ces plans étant pluriannuels, d’une durée de trois, quatre, voire cinq ans – nous engagerons à cet égard des discussions avec l’ensemble de ces élus –, il faudra bien que les finances suivent.

On se rend donc bien compte, à la réflexion, que tout n’est pas terminé et que l’on aboutira sans doute à des sommes encore plus importantes, qui s’ajouteront aux contributions annuelles et tout à fait classiques de l’État.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la nouvelle-calédonie

Article 1er

Par dérogation au premier alinéa de l’article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province, prévues au plus tard le 15 décembre 2024 par la loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024 portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, ont lieu au plus tard le 30 novembre 2025. La liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l’article 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

Les mandats en cours des membres du congrès et des assemblées de province prennent fin le jour de la première réunion des assemblées nouvellement élues.

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Xowie, est ainsi libellé :

Alinéa 1, première phrase

Remplacer le mot :

novembre

par le mot :

mai

La parole est à M. Robert Wienie Xowie.

M. Robert Wienie Xowie. Cet amendement vise à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie à mai 2025, au lieu de novembre 2025.

Le calendrier politique que je propose vise à procéder à une nouvelle réforme constitutionnelle du corps électoral.

Par ailleurs, avancer les élections provinciales au 3 mai 2025 permettrait de retrouver une légitimité nouvelle en vue d’engager les prochaines discussions sur l’avenir de l’île, condition sine qua non pour parvenir à la paix sociale en Kanaky-Nouvelle Calédonie.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. Nous comprenons, mon cher collègue, votre souhait que les négociations soient menées par des personnalités légitimes. Et, en effet, pour trouver un accord et renouveler le congrès, le plus tôt sera le mieux.

Cependant, la commission considère qu’il convient de desserrer l’étau du calendrier, afin d’éviter ce qui pourrait être perçu comme de nouvelles pressions. C’est pourquoi nous préférons le délai maximal autorisé par la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel et celle du Conseil d’État, et retenons la date du 30 novembre 2025 au plus tard.

Bien entendu, il appartient au Gouvernement et aux parties prenantes locales en Nouvelle-Calédonie – ce ne sont pas seulement les élus – de décider du cadre et du calendrier de négociation. Si vous parveniez à un accord permettant d’organiser les élections beaucoup plus tôt que la date prévue dans la proposition de loi, nombreux seraient les parlementaires qui seraient heureux de vous accompagner dans la mise en œuvre législative dudit accord !

Néanmoins, en attendant, la commission est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre. Il est défavorable, mais je vais tenter avec espoir, monsieur le sénateur Xowie, de vous convaincre de retirer votre amendement.

Il y a quelques mois, rappelez-vous, le texte du précédent gouvernement prévoyait que tout devait être arrêté au début du mois de juillet et fixait la date des élections à la fin du mois décembre suivant. J’avais alors, dans ces circonstances différentes et tandis que j’occupais une autre fonction, plaidé pour que l’on reporte le délai, non pas au mois de juillet, mais au début du mois de décembre, afin de laisser du temps pour la discussion et la conclusion de l’accord.

Je suis exactement dans le même état d’esprit : le report des élections au mois de novembre 2025 a aussi pour objectif de disposer d’un temps suffisant, afin que chacun puisse discuter.

Il ne faut pas oublier que des délais administratifs absolument incompressibles, qui sont de l’ordre de six mois, s’appliquent pour la préparation de l’élection provinciale. Si votre amendement était adopté, il faudrait donc trouver un accord avec l’ensemble des élus de Nouvelle-Calédonie d’ici au mois de décembre ! Objectivement, c’est compliqué,…

Mme Laurence Harribey. Même si c’est à Noël ! (Sourires.)

M. François-Noël Buffet, ministre. … même pour ceux qui, comme moi, croient encore un peu au père Noël. (Nouveaux sourires.) L’adoption de cet amendement poserait donc une véritable difficulté.

Certes, rien n’empêcherait de tenir la date que vous proposez si l’on obtenait un accord rapidement ; pour autant, il ne faut pas trop se contraindre. La fin novembre 2025 me paraît une date adaptée. Nous allons ouvrir la discussion et nous verrons bien si elle avance vite ou moins vite… Et quoi qu’il en soit, elle se tiendra dans des conditions moins contraignantes.

C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cet amendement. Mais si vous acceptiez de le retirer, monsieur Xowie, ce serait parfait !

Mme la présidente. Monsieur Xowie, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?

M. Robert Wienie Xowie. Oui, je le maintiens, madame la présidente.